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24/01/1978 | CJUE | N°96/77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 24 janvier 1978., SA Ancienne Maison Marcel Bauche et SARL François Delquignies contre Administration française des Douanes., 24/01/1978, 96/77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 24 JANVIER 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La présente affaire montre, une fois de plus, à quelles complications et à quels résultats inattendus peut donner lieu le système des montants compensatoires monétaires. Grâce à ce système et en mettant à profit le certificat d'exportation du sucre produit au-delà du quota maximum (pour lequel la Communauté n'avait voulu assumer aucune charge), certains producteurs de cette denrée ont t

iré d'importants bénéfices des fluctuations de la monnaie de certains États membres en grevant ain...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 24 JANVIER 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La présente affaire montre, une fois de plus, à quelles complications et à quels résultats inattendus peut donner lieu le système des montants compensatoires monétaires. Grâce à ce système et en mettant à profit le certificat d'exportation du sucre produit au-delà du quota maximum (pour lequel la Communauté n'avait voulu assumer aucune charge), certains producteurs de cette denrée ont tiré d'importants bénéfices des fluctuations de la monnaie de certains États membres en grevant ainsi les
mécanismes communautaires d'intervention des charges financières en découlant.

Selon le règlement 3330/74 du Conseil, du 19 décembre 1974, dans lequel ont été refondues les dispositions fondamentales de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, toute entreprise productrice de sucre se voit attribuer un quota de base, dit quota A (article 24), consistant en une quantité de sucre que l'entreprise en question peut vendre directement sur le marché communautaire en bénéficiant du prix d'intervention. Outre cela, les producteurs de sucre peuvent mettre
librement sur le marché dans la Communauté un quota additionnel de leur propre production, compris entre le quota de base et un quota maximum, qui se calcule en multipliant le quota de base par un coefficient et qui est dit quota B (article 25). Pour commercialiser ce sucre du quota B, ils doivent toutefois verser une contribution (article 27, paragraphe 1). Enfin, le sucre produit au-delà du quota maximum, dit sucre C, ne peut être commercialisé à l'intérieur du marché commun, mais doit être
exporté sur le marché mondial avant le 31 décembre suivant la fin de la campagne sucrière au cours de laquelle il a été produit (article 26), sans pouvoir bénéficier d'aucune restitution ni d'aucune autre forme d'aide. Cette exportation est effectuée sur la base d'un certificat ad hoc qui est délivré aux producteurs et qui est valable pour l'ensemble de la Communauté. Aux termes de l'article 5, paragraphe 3, du règlement 2990/76 du 9 décembre 1976 (concernant les modalités d'application du
régime des titres d'importation et d'exportation dans le secteur du sucre), ces certificats ont une durée de validité permanente.

A partir de l'entrée en vigueur du règlement de la Commission 2645/70, du 28 décembre 1970, et jusqu'à l'adoption par cette institution du règlement 458/73 du 2 février 1973, les producteurs de sucre de quota C ne pouvaient se libérer de l'obligation pesant à leur charge de commercialiser ce sucre à l'extérieur du marché commun qu'en exportant le sucre produit par eux-mêmes. Estimant que cette exigence d'identité entre le sucre produit et le sucre à exporter s'était révélée trop onéreuse pour
certains producteurs de sucre, la Commission, par le règlement 458/73 précité, a ouvert la possibilité aux fabricants de sucre C de se libérer de cette obligation en exportant le sucre produit par d'autres entreprises. Pour comprendre cette disposition, il suffira de noter, à titre d'exemple, que celui qui avait produit du sucre excédentaire par rapport au quota maximum pouvait avoir intérêt à exporter, au lieu de son propre sucre, le produit d'une entreprise située dans une zone plus proche du
port d'embarquement, de façon à éviter les complications, les charges, les pertes de temps liées au transport du sucre de sa propre production. Le fabricant qui mettait à profit cette possibilité, devait payer un montant forfaitaire à titre de compensation des avantages résultant de la substitution, lequel était fixé à 2 unités de compte pour 100 kilogrammes de sucre.

Entre-temps, depuis 1971 — et précisément par le règlement du Conseil 974/71 du 12 mai 1971 — , la Communauté avait créé le système des montants compensatoires monétaires visant à rendre possible, malgré les fluctuations des taux de change entre les monnaies des États membres, le maintien artificiel du cours de ces monnaies par rapport à l'unité de compte, en évitant que les fluctuations ne se répercutent automatiquement sur les niveaux des prix des produits agricoles dans les échanges entre ces
États. L'on sait qu'en application de ce système, lequel a été complété par le règlement du Conseil 2746/72 du 19 décembre 1972, les pays dont la monnaie est dévaluée ou flotte vers le bas accordent des montants compensatoires monétaires à l'importation et prélèvent des montants analogues à l'exportation et, vice versa, les pays dont la monnaie est réévaluée ou fluctue vers le haut, prélèvent des montants compensatoires à l'importation et octroient des montants compensatoires à l'exportation. Ce
mécanisme a permis de geler les prix des produits agricoles exprimés dans les monnaies nationales tant et si bien que le producteur de chaque pays continue à percevoir le même chiffre, exprimé dans sa monnaie nationale propre, qu'il percevait avant une dévaluation ou une réévaluation. Il s'en est toutefois suivi que les prix d'intervention, en dépit du fait qu'ils étaient maintenus dans toute la Communauté à un niveau unique exprimé en unités de compte, se sont traduits dans les monnaies
nationales à des niveaux de prix réels sensiblement différents, du fait qu'ils étaient rattachés à des taux de change précédant la réévaluation ou la dévaluation. Ainsi, par exemple, le prix d'intervention pour le sucre à la date du 20 janvier 1977, exprimé en unités de compte, était de 33,14 unités de compte dans toute la Communauté. D'autre part, grâce au jeu des parités fixes que les montants compensatoires servaient à préserver, ce montant équivalait en Allemagne à 49,63 dollars américains
et en France à 37,83 dollars.

Parmi les effets anormaux du système des montants compensatoires conçu à l'origine comme étant entièrement provisoire, eu égard à son caractère exceptionnel, il en était un qui présentait des. avantages pour les entreprises des pays à monnaie forte (p. ex., la république fédérale d'Allemagne) productrices de sucre excédant le quota maximum. Ces entreprises pouvaient obtenir de bons bénéfices en mettant à profit la faculté qui leur était consentie par le règlement 458/73 de la Commission de se
libérer de l'obligation de commercialiser le sucre C en dehors de la Communauté en cédant le certificat d'exportation y relatif à un fabricant d'un autre État membre à monnaie faible (p. ex., la France), lequel effectuait l'exportation d'une quantité correspondante de sucre produit par lui à l'intérieur du quota maximum. Le producteur appartenant au pays à monnaie forte, après avoir ainsi rempli son obligation d'exporter le sucre produit au-delà du quota maximum, était en mesure de vendre ce
sucre comme si celui-ci faisait partie de son quota. En cas de vente sur le marché communautaire, il bénéficiait des prix communautaires d'intervention qui, sur le plan de la valeur réelle, sont plus élevés en Allemagne qu'en France; en cas d'exportation, il réalisait un bénéfice grâce à l'octroi du montant compensatoire monétaire. Il est à noter, ainsi que l'a relevé la Commission, que, sur le plan des effets économiques, cette opération équivaut à l'hypothèse d'une importation en Allemagne, en
exemption de tout montant compensatoire monétaire, d'une quantité de sucre français de quota A ou de quota B équivalant à la quantité allemande originale de sucre C.

L'avantage non négligeable que les producteurs, établis dans des pays à monnaie forte, et ayant produit du sucre au-delà du quota maximum pouvaient obtenir de cette opération de substitution à celui-ci du sucre de quota A ou B des pays à monnaie faible, avait échappé dans un premier temps à la Commission, mais non pas aux entreprises sucrières de la république fédérale d'Allemagne. Vers la moitié de la campagne de commercialisation 1976-1977, les deux tiers du sucre allemand produit au-delà du
quota maximum faisaient déjà l'objet d'actes de substitution en vertu du règlement cité ci-dessus.

2.  Se rendant compte sur le tard de ce qui arrivait, la Commission décida d'y porter remède en adoptant, le 19 janvier 1977, le règlement 101/77, modifiant le règlement 572/76 du 15 mars 1976 qui fixait entre autres les montants compensatoires monétaires dans le secteur du sucre. Dans le second considérant du nouveau règlement, la Commission a souligné que l'exportation de sucre produit au-delà du quota maximum par une entreprise peut créer des détournements de trafic «dans la mesure où il peut
être substitué dans les échanges intracommunautaires par du sucre produit dans les limites du quota maximum et qui, lui, est soumis à l'application des montants compensatoires» et que «il en résulte un avantage non justifié pour l'opérateur qui se livre à de tels détournements». Pour éviter ces inconvénients, la Commission a prévu l'application de montants compensatoires monétaires au sucre en question exporté en provenance d'un État membre autre que celui dans lequel il a été produit, en
limitant d'autre part cette application aux États dans lesquels était perçu un montant compensatoire à l'exportation.

Conformément à ce règlement, les exportations de sucre français des quotas A et B au départ de la France, effectuées sur la base d'un certificat C relatif à du sucre produit dans un autre État membre, ont été soumises à un montant compensatoire monétaire sous la forme d'un prélèvement qui, à l'époque des faits qui entrent en considération en l'espèce, était de 6 dollars le quintal; et ce montant équivalait, par conséquent, au prélèvement dont étaient déjà grevées toutes les exportations de sucre
français de quota A ou B en cette qualité. Ce chiffre ne couvrait pas totalement la marge monétaire des opérations dont il s'agit, étant donné que celui-ci était formé des 6 dollars épargnés en ne versant pas le montant compensatoire français et du montant compensatoire perçu en raison de l'exportation au départ de l'Allemagne, se montant à 4 dollars environ; d'autre part, cet avantage supplémentaire résultant de l'opération de substitution était absorbé en bonne partie par l'incidence du
montant forfaitaire de 2 unités de compte, équivalant à 3 dollars environ. Quoi qu'il en soit, la Commission a déclaré à l'audience avoir renoncé à poursuivre l'objectif d'une compensation totale de la marge bénéficiaire, étant donné que cela aurait impliqué un changement radical du système.

En fait, pour éviter toute manœuvre spéculative du genre décrit ci-dessus, il aurait suffi de supprimer entièrement la possibilité, consentie par le règlement 458/63 au producteur de sucre dépassant le quota maximal, de se libérer de son obligation de vendre ce sucre en dehors de la Communauté exportant du sucre produit par des tiers. Mais la Commission a préféré maintenir ouverte cette possibilité en se limitant à corriger les abus auxquels elle avait donné lieu par l'institution du montant
compensatoire monétaire dont nous avons déjà parlé.

3.  Venons- en maintenant aux faits de la cause. Le 27 juin 1977, les autorités françaises, agissant en vertu du règlement 101/77, ont perçu les montants compensatoires sur 800 tonnes de sucre produit par l'entreprise française Bauche dans les limites du quota maximal attribué à celle-ci et exporté sur la base d'un certificat relatif à du sucre C cédé par la société allemande Töpfer à l'entreprise anglaise Man par contrat du 6 janvier 1977. Il résulte du texte original de ce contrat, établi en
langue anglaise, que celui-ci avait pour objet un certificat d'exportation relatif à 800 tonnes de sucre blanc communautaire produit par Töpfer au-delà de son quota maximal, conformément à l'article 26 déjà cité du règlement 3330/74. L'entreprise Man contractait l'engagement d'exporter une quantité correspondante de sucre avant le 30 juin 1977 en conformité des règlements communautaires en vigueur à l'époque de l'exportation, de manière à libérer l'entreprise Töpfer de l'obligation de
commercialiser en dehors de la Communauté le sucre C produit par celle-ci. Étant donné qu'il n'y aurait aucune restitution à l'exportation de ce sucre sur la base du certificat C, Töpfer s'obligeait à payer à Man 42,50 DM par 100 kilogrammes de sucre exporté. Selon le calcul effectué par l'avocat des entreprises intéressées au cours de l'audience dans la présente affaire, ce chiffre était de peu inférieur au montant de la restitution à l'exportation applicable à l'époque pour les exportations de
sucre A ou B de France, avant déduction du montant compensatoire monétaire. Le montant net de cette restitution aurait été en effet de 42,75 DM.

L'avocat des entreprises intéressées a affirmé que l'entreprise Man s'était décidée à acquérir le certificat d'exportation de sucre C de l'entreprise Töpfer pour la simple raison qu'il ne lui convenait pas d'attendre les cinq ou six jours nécessaires pour s'assurer une autre possibilité d'exporter du sucre de France.

Il n'apparaît pas des documents produits que la société Bauche était partie à cette opération dès le début, mais cela semble assez probable. On ne voit pas comment l'entreprise Man aurait été en mesure autrement de garantir l'exécution de l'obligation assumée envers Töpfer d'utiliser, avant la date préfixée, le certificat d'exportation pour les 800 tonnes de sucre.

Il est intéressant de noter à ce propos que, dans l'acte par lequel la société Bauche a assigné l'Administration des douanes françaises, il est dit que cette même société, par accord conclu avec la société Töpfer, avait «acquis» de celle-ci des certificats d'exportation valables pour les pays tiers relativement à 800 tonnes de sucre blanc de quota C. Mais; comme on l'a vu, il apparaît du texte de la lettre-contrat du 6 janvier 1977 adressée par Töpfer à Man, que le cessionnaire direct de ce
certificat était l'entreprise Man.

Il est un fait que les titres d'exportation pour le sucre C, lesquels avaient fait l'objet du contrat du 6 janvier entre Man et Töpfer, ont été délivrés à Töpfer le 14 février suivant par l'Office allemand d'intervention et cédés ensuite par Man à la société Bauche, qui avait vendu à Man 800 tonnes de sucre faisant partie du quota maximum produit par celle-ci.

Par conséquent, si le contrat relatif à la cession des certificats d'exportation a été stipulé avant la date d'entrée en vigueur du règlement 101/77, c'est-à-dire avant le 20 janvier 1977, les certificats d'exportation ont été délivrés à une époque postérieure. De ce fait, l'entreprise Man ne pouvait pas bénéficier de la disposition transitoire de l'article 2, alinéa 2, de ce règlement, aux termes de laquelle le règlement n'est pas applicable aux exportations réalisées sous le couvert de
certificats délivrés avant sa date d'entrée en vigueur.

4.  Devant le tribunal d'instance de Valenciennes, la société productrice Bauche, l'agent en douane qui a effectué l'opération d'exportation, la société Delquignies, et l'acquéreur anglais Man ont contesté la légalité de la perception par les douanes françaises du montant compensatoire sur les 800 tonnes susdites, s'élevant à 241920 FF, en concluant à ce que l'Administration française soit, en tant que mandataire de la Commission des Communautés européennes, condamnée à leur rembourser la somme
susdite majorée des intérêts.

Par arrêt du 21 juillet 1977, le tribunal français, faisant droit sur ce point aux demanderesses au principal, a déféré à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, les questions suivantes à titre préjudiciel:

«1. Le règlement 101/77 ne constitue-t-il pas un règlement de basé modifiant le règlement général 3330/74 portant organisation commune du marché du sucre, dans la mesure où il institue le paiement d'un montant compensatoire monétaire pour un produit expressément exclu des mesures d'intervention?

2. La Commission était-elle en droit de prendre cette mesure sans habilitation expresse du Conseil?

3. Dans l'hypothèse d'une réponse négative aux deux premières questions, la Commission pouvait-elle promulguer le règlement 101/77 qualifiant de “détournement de trafic” conduisant pour l'opérateur à un “avantage injustifié” une opération expressément autorisée par le règlement 458/73 sans abroger ledit règlement 458/73, qui prévoit une compensation forfaitaire de 2 unités de compte par 100 kilos de sucre pour tout avantage résultant de la substitution autorisée?

4. La Commission pouvait-elle instituer des montants compensatoires monétaires à l'exportation vers les pays tiers pour des produits expressément exclus du mécanisme de l'intervention et de l'organisation commune du marché du sucre?

5. La Commission était-elle en droit d'instituer un montant compensatoire monétaire pour un produit exclu du système d'intervention, alors que la fonction des montants compensatoires monétaires est uniquement d'éviter une désorganisation du système d'intervention en maintenant l'unicité du prix du sucre au sein de l'organisation commune du marché?

6. La promulgation en cours de campagne sucrière avec application immédiate, aux opérations en cours, d'une réglementation nouvelle ne confère-t-elle pas un caractère rétroactif à cette dernière, contraire au principe de sécurité juridique?

7. Le règlement 101/77 n'est-il pas, dans ces conditions, entaché de nullité?

8. Dans l'hypothèse où le règlement 101/77 ne serait pas déclaré nul, y a-t-il lieu de l'appliquer aux opérateurs ayant conclu des contrats fermes et définitifs avant l'entrée en vigueur du règlement 101/77, par lesquels ils s'engageaient, moyennant des conditions fermes et définitives, à acquérir des sucres quota C ou à devenir cessionnaires de certificats quota C?»

Les questions nos 1, 2, 4 et 5 soulèvent toutes le problème de la compétence de la Commission pour instituer des montants compensatoires monétaires relativement à des produits non soumis au système d'intervention. La question no 3 a trait à une prétendue contradiction entre le règlement 458/73 et le règlement 101/77. Les autres questions se rapportent au problème du respect de principes généraux: sécurité juridique et protection de la confiance légitime des opérateurs économiques.

En résumé, on peut dire que deux groupes de problèmes sont posés:

— il s'agit de savoir, d'une part, s'il entre dans les pouvoirs de la Commission et s'il est compatible avec la réglementation antérieure d'instituer les montants compensatoires monétaires à l'exportation pour le sucre de quota C;

— d'autre part, s'il y a eu violation des principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime.

5.  Pour résoudre les problèmes du premier groupe, il s'impose d'examiner le règlement 101/77 sous l'angle des dispositions communautaires qui l'ont précédé et principalement à la lumière des normes juridiques fixées par les règlements du Conseil auxquels l'exercice du pouvoir réglementaire de la Commission est subordonné.

Comme il nous a déjà été donné de le rappeler, les dispositions qui entrent en ligne de compte ici sont tant celles inhérentes au système des montants compensatoires . monétaires (règlement du Conseil no 974/71 et règlement de la Commission no 572/76) que celles qui ont trait à l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (règlement du Conseil no 3330/74 et règlement de la Commission no 458/73). Les demanderesses dans l'affaire pendante devant la juridiction française soutiennent:
a) que le règlement no 974/71 ne permettait pas à la Commission d'instituer des montants compensatoires monétaires pour des produits, tels que le sucre produit au-delà du quota maximal, qui sont soustraits à un régime communautaire d'intervention; b) que la Commission ne pouvait pas, par l'introduction de montants compensatoires, modifier substantiellement le règlement no 3330/74; c) que la cession de certificats d'exportation de sucre C, autorisée par le règlement no 458/73 et subordonnée au
versement d'une compensation forfaitaire pour les avantages qui en découlent, ne pouvait être grevée ultérieurement d'une charge par le règlement no 101/77, sans que ne fût abrogé le règlement no 458/73. Nous examinerons ces trois arguments dans le même ordre.

En ce qui concerne la thèse dont il est question au point a), nous observerons tout d'abord que le montant compensatoire prévu par le règlement 101/77 ne vise pas de manière globale et indistincte toutes les quantités de sucre produites au-delà du quota maximal (“sucre C”). Au contraire, le sucre C est soumis au mécanisme des montants compensatoires dans la mesure où il est exporté à partir d'un État membre autre que celui dans lequel il a été fabriqué; en outre ce mécanisme s'applique seulement
lorsque les montants compensatoires doivent être payés au moment de l'exportation (soit dans les seuls cas d'exportation au départ de pays à monnaie faible). Ces conditions limitatives trouvent leur raison d'être dans la constatation, énoncée au second considérant du règlement no 101/77, que l'exportation de sucre C peut provoquer des détournements de trafic “dans la mesure où il peut être substitué dans les échanges intracommunautaires par du sucre produit dans les limites du quota maximal et
qui, lui, est soumis à l'application des montants compensatoires”. En bref donc: le sucre sur lequel le règlement no 101/77 fait peser la charge du prélèvement à titre du montant compensatoire est en réalité le sucre A ou le sucre B exporté sous la couverture fictive d'un certificat d'exportation relatif au sucre C. En conséquence, la modification que l'article 1 du règlement en question opère à la note 1, annexe I, partie 7, du règlement no 572/76 ne consiste pas en la suppression de la
disposition selon laquelle les montants compensatoires ne s'appliquent pas au sucre C (textuellement, au “sucre exporté vers les pays tiers en vertu de l'article 26 du règlement CEE 3330/74”). Cette disposition reste inchangée, étant explicitement reproduite au règlement no 101/77, mais elle est restreinte dans le sens que nous avons souligné, c'est-à-dire que le montant compensatoire est perçu “quand les formalités douanières d'exportation sont effectuées dans un État membre autre que celui
dans lequel le certificat d'exportation a été délivré”.

Ces considérations sont importantes aux fins de vérifier la légalité du règlement no 101/77 à la lumière de l'article 1, paragraphe 2, du règlement du Conseil no 974/71. Selon le littera a) de cette disposition, les montants compensatoires monétaires sont applicables avant tout “aux produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles”. Or, s'il est vrai que le sucre C, produit au-delà du quota maximal, était exclu du
bénéfice des mesures d'intervention communautaires au moment de l'adoption du règlement no 101/77 et que, précisément en vue d'éviter que celui-ci ne pèse sur les mécanismes d'intervention, il avait été prévu, dans le cadre de l'organisation commune du marché du sucre, l'obligation pour ses fabricants de l'exporter vers des pays tiers, le produit auquel le règlement no 101/77 se réfère est, ainsi que nous l'avons dit, le sucre A ou le sucre B, exporté sur la base de certificats relatifs au sucre
C. Dans le cas d'espèce, il s'est fait que corrélativement à une exportation de ce genre (c.-à-d. à l'exportation de sucre français couvert par le certificat de sucre C allemand), une quantité équivalente de sucre allemand produite hors quotas a pu rentrer dans la catégorie du sucre produit dans le cadre des quotas. Dans ces conditions, on pourrait affirmer seulement d'un point de vue strictement formel que le montant compensatoire monétaire a été prélevé sur un produit soustrait aux mesures
d'intervention (sucre C); en réalité, le prélèvement a empêché qu'un produit soumis aux mesures d'intervention échappe à l'application du mécanisme des montants compensatoires.

Une interprétation de l'article 1, paragraphe 2, littera a, du règlement no 974/71 qui n'est pas purement littérale et formelle, conduit donc à admettre que cette norme permet de justifier les mesures adoptées dans le cadre du règlement no 101/77. Mais il ne faut pas négliger non plus l'argument qui peut se déduire de l'article 1, paragraphe 2, littera b, du règlement précité du Conseil, aux termes duquel les montants compensatoires monétaires sont applicables également “aux produits dont le
prix est dépendant de celui des produits visés sous a et qui relèvent de l'organisation commune des marchés”. Il ne fait nul doute que tout le sucre produit au-delà du quota maximal relève de l'organisation commune de marché, et c'est précisément en vertu de celle-ci que le sucre C, qui doit être vendu en règle générale hors de la Communauté, peut être remplacé dans le même but par du sucre A ou du sucre B d'un autre producteur. Tant l'existence de cette obligation que la possibilité de
substitution que nous avons soulignée, démontrent que le sucre du quota C est soumis à l'organisation de marché.

Mais aux termes de la règle citée ci-dessus, il faut également que le prix du produit (soustrait, par hypothèse, aux mesures d'intervention) soit fonction de celui des produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues. Or, par le fait même que le sucre C doit être vendu sur le marché mondial sans pouvoir donner lieu à aucune restitution de la part de la Communauté, son prix est seulement fonction du niveau des prix du marché mondial. Il nous faut cependant noter ici pour la deuxième
fois que la marchandise faisant l'objet des mesures définies par le règlement no 101/77 est le sucre A ou le sucre B d'un État membre à monnaie faible, exporté sur la base d'un certificat relatif à du sucre C. Cette marchandise, si elle est assimilée au produit excédant le quota maximal, ne saurait être identifiée purement et simplement avec celui-ci. Son prix effectif, c'est-à-dire le montant réel qu'il procure en étant exporté en lieu et place du sucre C d'un État membre à monnaie réévaluée,
est indubitablement supérieur au prix perçu sur le marché mondial. Comme l'a souligné la Commission, il est raisonnable de supposer, en effet, que le producteur de sucre B ne consentira à participer à l'opération de substitution que s'il en tire un avantage. Il bénéficiera donc, pour partie, du profit réalisé, aux dépens des mécanismes d'intervention, par le producteur de sucre de quota C, grâce à la substitution en question. Et, en ce sens, le prix effectif de la marchandise exportée, étant le
produit total de sa vente à l'exportation en tant que sucre de quota C, dépend en définitive également du prix des produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune de marché. Le producteur de l'État à monnaie faible réussira, en effet, à obtenir un prix supérieur, non seulement au prix du produit sur le marché mondial, mais même au prix qui lui est garanti par les mécanismes d'intervention, en ce qu'il faut présumer que la combinaison de ces
mécanismes avec le régime des montants compensatoires monétaires lui laisse des bénéfices supérieurs à ceux qu'il pourrait tirer de la vente de son sucre de quota A ou de quota B en tant que tel.

Par conséquent, si on tient dûment compte des réalités économiques, il faut admettre que, dans le cas considéré ici, le prix effectif du sucre A ou du sucre B substitué au sucre C pour l'exportation vers les pays tiers dépend en réalité du prix des produits pour lesquels des mesures d'intervention communautaire sont prévues. Cela étant, nous pouvons considérer que l'adoption du règlement no 101/77 était justifiée à tout le moins sur la base du littera b de l'article 1, paragraphe 2, du règlement
du Conseil no 974/71 — si tant est qu'elle ne l'était pas déjà sur la base du littera a de cette même disposition.

6.  Nous passerons maintenant à l'examen du deuxième argument avancé par les entreprises intéressées, à savoir que le règlement no 101/77 aurait modifié illégalement le règlement du Conseil no 3330/74 concernant l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre. Selon ce qui ressort des observations que les sociétés demanderesses ont présentées dans le cours du présent procès, le fondement de cette thèse remonterait à l'article 26, paragraphe 1, du règlement no 3330/74, lequel établit que
le sucre excédant le quota maximal de chaque entreprise ne peut être vendu sur le marché intérieur et doit être exporté. Les intéressés en déduisent que le règlement 3330/74 avait soustrait le sucre C à l'application de tout mécanisme communautaire d'intervention et, partant, à l'application des montants compensatoires monétaires; par conséquent, le règlement de la Commission no 101/77, instituant la perception de montants de cette nature, aurait apporté à ce règlement du Conseil une
modification non permise.

Il est clair que ce raisonnement recoupe ce que nous avons dit jusqu'à présent à propos de l'objet du règlement no 101/77.

Le fait que le sucre de quota C est soustrait à l'application des montants compensatoires monétaires reste la règle générale; la Commission a seulement veillé à y mettre des limites dans la mesure où l'exportation du sucre sur la base d'un certificat afférent au produit extérieur au quota maximal est opérée par substitution du sucre A ou B au sucre C, et dans des conditions permettant aux entreprises effectuant cette opération de tirer profit des marges monétaires dérivées du mécanisme des
montants compensatoires. Il ne nous paraît donc pas qu'il soit possible de parler de modifications du règlement no 3330/74, cela d'autant que la fonction propre de cet acte est de régler l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, dont les caractéristiques restent inchangées. Ce qui a été modifié ou plutôt ce qui a subi une correction d'ordre marginal, c'est le système des montants compensatoires monétaires, défini par le règlement no 974/71 déjà cité, mais nous avons déjà
traité de ce problème.

Il est à noter, à titre subsidiaire, que selon l'article 6 du règlement no 974/71, les modalités d'application de ce même règlement «pourraient comporter d'autres dérogations au règlement relatif à la politique agricole commune». S'il est donc vrai — comme nous avons cherché à le démontrer précédemment — que les mesures prévues par le règlement no 101/77 se situent dans le cadre des mesures d'application du règlement no 974/71, on peut en déduire que la Commission a le pouvoir d'établir des
dérogations, sur la base de l'article 6 précité, aux règlements relatifs à la politique agricole commune, au nombre desquels figure le règlement no 3330/74 déjà cité.

7.  Il reste à examiner l'argument selon lequel il n'aurait pas été possible d'arrêter le règlement no 101/77 sans abroger préalablement le règlement no 458/73. On a souligné, en effet, d'une part, la prétendue incompatibilité entre la réglementation introduite en 1973 et celle arrêtée en 1977: le règlement 458 visait à rendre possible l'exportation de sucre excédant le quota maximal, non produit par le fabricant qui l'exportait, tandis que le règlement 101 aurait eu pour objectif d'éviter les
opérations de substitution. D'un autre côté, le règlement no 458 avait déjà mis à charge des entreprises effectuant de telles opérations un paiement forfaitaire en vue de compenser les bénéfices résultant de la substitution, tandis que le règlement 101, battant en brèche le caractère global de cette compensation, a ajouté la charge du prélèvement à titre de montant compensatoire monétaire.

Sur le premier de ces arguments, il est facile de répondre que l'exportation de sucre produit par un autre fabricant sous la couverture d'un certificat relatif à du sucre C n'était ni interdite ni rendue impossible par le règlement 101; aussi est-ce précisément pour permettre de poursuivre les opérations de substitution que la Commission — face aux phénomènes de détournement de trafic que nous avons déjà décrits — a préféré introduire des montants compensatoires monétaires, en permettant en
outre que les entreprises intéressées jouissent encore d'une petite marge bénéficiaire découlant des déséquilibres monétaires (nous renvoyons à ce propos à l'analyse que nous avons faite ci-dessus). Il ne faut pas oublier que les charges imposées par le règlement no 101 frappent seulement les opérations qui se concluent par voie d'exportation à partir des pays à monnaie faible, alors que les opérations de substitution peuvent se réaliser en exportant le sucre produit par un autre fabricant à
partir de n'importe quel autre État membre. En ce qui concerne ensuite les finalités respectives des deux règlements, celles-ci apparaissent non seulement compatibles, mais même complémentaires: le règlement no 458 visait à faciliter le flux normal des échanges en permettant un type d'opération qui, en soi et par soi, présente l'avantage d'accélérer ou de simplifier les échanges; le règlement no 101 a voulu éviter des phénomènes de détournement de trafic trouvant leur origine non dans le
mécanisme de la substitution d'une quantité de sucre produit par des tiers à la quantité produite par le fabricant qui obtient le certificat d'exportation, mais dans des opérations de spéculation que la substitution, dans le cadre du régime des montants compensatoires ou, mieux, de la pathologie de ce régime, rend possibles.

En ce qui concerne le deuxième argument dont il a été question ci-dessus, il convient de dire que les avantages que présentent les opérations de substitution, en compensation desquelles la Commission a établi dans le règlement no 458/73 un paiement forfaitaire de 2 unités de compte par quintal de sucre, ne consistaient certainement pas en des bénéfices spéculatifs de nature monétaire. Le second considérant de ce règlement se réfère à «tout avantage pouvant résulter d'une telle substitution»;
mais il faut logiquement y voir une référence aux avantages directement liés à la substitution et à toute opération de substitution, indépendamment de la situation monétaire respective du pays dans lequel se trouve l'entreprise qui obtient le certificat d'exportation et de celui dans lequel se trouve le fabricant du sucre effectivement exporté. D'autre part, à l'époque où le règlement no 458/73 a été adopté, il n'existait pas encore entre les monnaies des États membres, dans lesquels les
producteurs pouvaient être intéressés à opérer la substitution précitée, de différences de valeurs permettant de réaliser un profit lié à la diversité des niveaux, exprimés en termes monétaires réels, des prestations effectuées dans les divers États membres par les organismes communautaires d'intervention. En prévoyant un montant forfaitaire à titre de compensation de l'avantage pouvant découler des opérations de substitution, la Commission n'a donc pas pu avoir en vue un avantage qui était
inexistant à l'époque. Des bénéfices spéculatifs ont été réalisés par la suite, lorsque s'est accentué l'écart entre les parités monétaires appliquées par la Communauté pour traduire en monnaie nationale les prix agricoles «uniques» fixés en unités de compte et les parités effectives de ces monnaies, déterminées par leur fluctuation dans le sens de la dévaluation pour certaines et de la réévaluation pour d'autres. Par conséquent, il n'y a aucune contradiction entre l'institution d'un montant
compensatoire monétaire, visant à contrebalancer des avantages d'ordre purement monétaire qui étaient étrangers aux finalités du règlement no 458/73, et le maintien du montant forfaitaire de 2 unités de compte pour 100 kilogrammes de sucre prévu par ce dernier.

8.  Par sa sixième question, le juge français demande si l'adoption, durant la campagne sucrière, d'une nouvelle réglementation destinée à être immédiatement appliquée aux opérations en cours attribuait à cette réglementation un caractère rétroactif, ce qui aurait impliqué une violation du principe de la sécurité juridique.

Il nous semble opportun de rappeler ce qu'a affirmé la Cour dans l'arrêt du 4 juillet 1973 dans l'affaire 1/73, Westzucker (Recueil 1973, p. 729): «Selon un principe généralement reconnu, les lois modificatives d'une disposition législative s'appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la loi ancienne».

En harmonie avec ce critère, la Cour a exclu, dans un cas ultérieur, la possibilité que soit considéré comme ayant effet rétroactif un règlement qui abolissait des montants compensatoires monétaires à concéder à l'exportation et qui s'appliquait également aux opérations effectuées en exécution d'obligations contractées avant son adoption, puisque, la possibilité de fixer ces montants à l'avance étant inexistante, «le droit actuel à bénéficier d'un montant compensatoire à l'exportation n'est créé
que par la réalisation de l'exportation et seulement à partir du moment où celle-ci a lieu» (arrêt du 14 mai 1975 dans l'affaire 74/74, CNTA/Commission, Recueil 1975, p. 548, attendus 29 à 32). La même logique doit s'appliquer, selon nous, aux cas d'institution de nouveaux montants compensatoires monétaires.

Dans d'autres cas, dans lesquels il s'agissait d'établir quel était le sort de rapports existant au moment de la modification d'une réglementation agricole, la Cour s'est basée sur l'idée que, pour qu'une norme nouvelle puisse être considérée comme inapplicable à des situations existantes déterminées, il faut qu'une entreprise ait obtenu une garantie de la part de la Communauté au sujet du régime juridique d'une certaine opération, soit qu'il s'agisse du montant des restitutions et des montants
compensatoires monétaires liés à une exportation, soit qu'il s'agisse de primes ou de diverses formes d'aide inhérentes au régime communautaire d'intervention pour des opérations de dénaturation ou autres opérations analogues (voir, p. ex., l'arrêt du 25 juin 1975, dans l'affaire 5/75, Deuka, Recueil 1975, p. 760).

Quand la garantie est de nature à créer un droit parfait — comme dans le cas de la fixation à l'avance du montant relatif à une opération dont l'exécution est garantie par l'entreprise grâce au versement d'une caution pouvant être d'éclarée acquise en cas de non-exécution — , la règle nouvelle qui viendrait modifier rétroactivement le montant ainsi établi serait indubitablement contraire à une exigence fondamentale de sécurité du droit.

Une garantie communautaire peut également être reconnue lorsqu'il s'agit d'une espérance légitime, et précisément là où la possibilité de fixation à l'avance d'un montant fait défaut, dès lors qu'une opération a été autorisée avant l'adoption du nouveau régime juridique. Tel serait le cas — et nous le préciserons davantage ci-après — des exportations de sucre C à effectuer sur la base d'un certificat délivré avant l'entrée en vigueur du règlement no 101/77. On ne saurait aller plus loin sur le
plan de la protection de la sécurité juridique.

Il nous paraît clair, d'autre part, qu'il ne serait pas possible de reconnaître l'existence d'un droit ou d'une espérance légitime de continuer à bénéficier en tout état de cause du régime d'intervention qui existait à l'époque de la conclusion du contrat en faveur des parties qui auraient stipulé un contrat d'exportation relatif à du sucre de catégorie A ou B destiné à être vendu en tant que tel. L'unique façon de se protéger contre les modifications éventuelles de ce régime, et en particulier
des montants compensatoires monétaires, serait d'obtenir un certificat d'exportation, comme il apparaît de la jurisprudence que nous avons déjà citée ci-dessus. De même, les entreprises défenderesses au principal, ayant stipulé avant l'entrée en vigueur du règlement no 101/77 un contrat pour l'exportation de sucre C jusqu'alors totalement soustrait à l'application de montants compensatoires monétaires, ne peuvent pas prétendre que cela leur confère le droit de bénéficier d'un régime d'exemption
des montants compensatoires au nom de la sécurité du droit et de la non-rétroactivité du règlement en question.

En définitive, il est à exclure dès lors que le règlement no 101/77 de la Commission, par le fait qu'il s'applique à des opérations en cours sans toutefois affecter aucun droit acquis, ait un effet rétroactif, incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.

9.  La dernière question déférée à la Cour par le tribunal de Valenciennes soulève un problème de protection de la confiance légitime. Les juges français demandent, en effet, si le règlement no 101/77 est applicable à celui qui a contracté, avant son entrée en vigueur, l'obligation d'acquérir des quantités de sucre C ou de recevoir en cession des titres de quota C.

Notre Cour a déjà eu l'occasion de souligner que le régime des montants compensatoires a plutôt pour but de parer aux difficultés que l'instabilité monétaire peut créer pour le bon fonctionnement des organisations communes de marché, que de protéger des intérêts individuels des opérateurs économiques (arrêt précité dans l'affaire 74/74,. CNTA, Recueil 1975, p. 549, attendu 38). Par la même occasion, la Cour a précisé que «les conditions régissant l'application et la suppression du régime des
montants compensatoires dans un secteur déterminé ne tiennent pas compte des situations individuelles des opérateurs et ne leur offrent pas de garanties d'une application continue du régime». Nous croyons que cette précision est également valable pour l'hypothèse de l'institution d'un montant compensatoire monétaire en relation avec une opération à laquelle aucun montant compensatoire n'était applicable antérieurement.

Il est évident que tout le problème de la protection de la confiance légitime est étroitement lié, dans l'optique des parties qui ont fait appel à ce principe dans le cas d'espèce, à la question de la sécurité des rapports juridiques que nous venons de discuter. Cela nous amène à rappeler que la liberté du législateur communautaire dans la détermination des rapports se situant dans le cadre des effets temporels d'une nouvelle réglementation est limitée seulement par l'obligation de tenir des
contrats en relation avec lesquels l'opérateur a obtenu, sous caution, des certificats d'exportation comportant préfixation du montant de la restitution. Pour de tels contrats, aucune modification imprévisible ne doit intervenir en principe qui aurait pour effet, en exposant l'opérateur à des risques de change, de lui causer des pertes inévitables (arrêt CNTA précité, attendus 41 et 42).

Dans notre hypothèse, à défaut d'un régime des montants compensatoires applicables avant l'entrée en vigueur du règlement no 101/77 aux exportations de sucre C (et, partant, la fixation à l'avance de ces montants étant impossible), la seule précaution que pouvait prendre l'exportateur consistait à obtenir le certificat d'exportation. De ce fait, le respect du principe général de la protection de la confiance légitime imposait, selon les critères admis par la jurisprudence de la Cour, que les
opérations effectuées sur la base d'un certificat d'exportation pour le sucre C, délivré antérieurement à l'entrée en vigueur de ce règlement, soient exemptées de l'application des nouvelles charges imposées par le règlement no 101/77. Or, c'est précisément ce que prévoit l'article 2, paragraphe 2, du règlement 101/77.

Les entreprises en cause soutiennent que la protection de la confiance légitime doit être étendue de façon à couvrir tous les cas dans lesquels un opérateur s'est engagé irrévocablement par contrat à effectuer une exportation, même si le certificat y relatif n'a pas encore été obtenu ni même demandé. Plus particulièrement, ces entreprises font valoir que, pour le sucre C, il n'était pas possible d'obtenir un certificat d'exportation d'une durée de validité supérieure à trois mois. Puisque
l'exportation prévue par le contrat stipulé entre elles en janvier aurait dû avoir lieu en juin, elles n'avaient pas encore pu demander le certificat ad hoc, en raison précisément de la durée de validité restreinte des certificats de ce type.

Nous noterons, toutefois, que le caractère limité de la durée de validité du certificat en question montre que le législateur communautaire n'était disposé à fournir une garantie du genre précisé ci-dessus que pour un court laps de temps. Les manœuvres spéculatives auxquelles la Commission a cherché à porter remède en adoptant le règlement no 101/77 montrent que le législateur avait été prudent en limitant la validité des certificats d'exportation à une période ne dépassant pas trois mois. Cette
période de validité a été étendue à cinq mois par le règlement no 278/77, du 9 février 1977. Quoi qu'il en soit, il est indiscutable que, au moment du contrat (le 6 janvier 1977), les intéressés n'avaient aucun droit à obtenir un certificat d'exportation valable pour plus de trois mois. Ceux-ci auraient dû en tirer la conclusion logique qu'un contrat stipulé plus de trois mois avant la date prévue pour l'exportation présentait des aléas sous l'angle du régime communautaire qui aurait été
applicable au moment de l'exportation. De même, les intéressés ne sauraient aujourd'hui prétendre que la Communauté les exempte des conséquences d'un risque qu'ils savaient courir.

Les entreprises intéressées affirment ensuite qu'aucun intérêt public supérieur ne justifiait l'urgence avec laquelle a été adopté et mis en vigueur le règlement en question. Il nous semble superflu d'examiner si cet intérêt existait effectivement, ce que nous croyons démontré par la motivation même du règlement 101/77. Il suffira d'observer que l'exigence d'un intérêt public supérieur, qui justifie l'urgence d'appliquer une disposition dont découle une charge pour les destinataires, a été
affirmée par la Cour seulement là où la disposition n'est accompagnée d'aucune mesure transitoire visant à préserver les opérations pour lesquelles une espérance légitime était déjà née (p. ex., à la suite de la délivrance d'un certificat d'exportation). Lorsque, en revanche, les opérations de ce genre sont exemptées de l'application du règlement, comme c'est le cas en l'espèce, il n'y a aucune raison d'exiger une justification de l'urgence dans le sens indiqué par les demanderesses au
principal.

10.  Pour tous les motifs développés ci-dessus, nous concluons en proposant à la Cour de répondre aux questions préjudicielles qui lui ont été déférées par le tribunal d'instance de Valenciennes en disant qu'il est exclu que le règlement de la Commission no 101/77 ait modifié le règlement du Conseil no 3330/74; que la Commission pouvait légitimement adopter cet acte sur la base du règlement du Conseil no 974/71 tout en maintenant en vigueur toutes les dispositions de son règlement no 458/73; qu'il
est exclu, en outre, que l'adoption et l'application du règlement no 101/77 durant la campagne sucrière lui conférerait un caractère rétroactif; enfin, que cet acte n'est pas contraire au principe de protection de la confiance légitime du fait qu'il est applicable également aux exportations effectuées sur la base des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, pour lesquels n'avait pas encore été obtenu le certificat adéquat.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 96/77
Date de la décision : 24/01/1978
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Valenciennes - France.

Sucre de substitution.

Mesures monétaires en agriculture

Agriculture et Pêche

Sucre


Parties
Demandeurs : SA Ancienne Maison Marcel Bauche et SARL François Delquignies
Défendeurs : Administration française des Douanes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1978:11

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