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08/06/1977 | CJUE | N°11-77

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 8 juin 1977., Richard Hugh Patrick contre Ministre des affaires culturelles., 08/06/1977, 11-77


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 8 JUIN 1977

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La solution de la présente demande de décision préjudicielle, dont vous êtes saisis par le tribunal administratif de Paris, nous paraît commandée par l'interprétation que vous avez donnée de l'article 52 du traité de Rome dans votre arrêt Reyners du 21 juin 1974 (affaire 2-74, Recueil p. 631) et confirmée, tout récemment, par votre arrêt Thieffry du 28 avril 1977 (affaire 71-76, non encore publié).

Les f

aits sont, au demeurant, fort simples. M. Richard H. Patrick, de nationalité britannique, est titulai...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 8 JUIN 1977

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La solution de la présente demande de décision préjudicielle, dont vous êtes saisis par le tribunal administratif de Paris, nous paraît commandée par l'interprétation que vous avez donnée de l'article 52 du traité de Rome dans votre arrêt Reyners du 21 juin 1974 (affaire 2-74, Recueil p. 631) et confirmée, tout récemment, par votre arrêt Thieffry du 28 avril 1977 (affaire 71-76, non encore publié).

Les faits sont, au demeurant, fort simples. M. Richard H. Patrick, de nationalité britannique, est titulaire, depuis 1961, d'un diplôme d'architecte délivré par l'Architectural Association of London. Il a exercé cette profession au Royaume-Uni, à titre individuel ou comme associé dans différents cabinets de groupe et a été, pendant les années 1968 à 1970, architecte officiel du Comté de Hampshire pour la construction d'établissements scolaires.

En avril 1973, ayant mis fin à son activité en Grande-Bretagne, il est venu s'établir en France, où il a fixé son domicile à St-Germain- en-Laye.

Le requérant au principal a demandé sans tarder à l'autorité française compétente l'autorisation d'exercer sa profession sur le territoire français.

Il s'est prévalu, à cette fin, des dispositions de la loi du 31 décembre 1940 réglementant le titre et l'exercice de la profession d'architecte, dont l'article 2, paragraphe 2, dispose que les étrangers seront, après avis du Conseil supérieur de l'Ordre des architectes, admis à exercer cette profession, sous deux conditions:

— la première tient à l'existence d'une convention diplomatique entre la France et le pays dont l'intéressé est ressortissant, convention assurant le bénéfice de la réciprocité;

— la seconde exige la justification d'un titre équivalant au diplôme requis des architectes français.

A défaut même de la première condition, c'est-à-dire en l'absence d'une convention assurant la réciprocité, la seule production d'un diplôme reconnu équivalent permet à l'autorité nationale de délivrer l'autorisation demandée, mais à titre exceptionnel; dans cette hypothèse, cette autorité jouit donc d'un pouvoir très largement discrétionnaire.

Or, c'est dans cette situation que se présentait M. Patrick:

— d'un cote, le diplôme délivré par l'Architectural Association of London a été reconnu équivalent au diplôme d'architecte français par arrêté du ministre des affaires culturelles en date du 22 juin 1964;

— de l'autre, en revanche, il n'existe pas de convention relative à l'exercice de la profession d'architecte entre la France et le Royaume-Uni.

Le ministre des affaires culturelles a, en conséquence, le 9 août 1973, rejeté la demande du sieur Patrick au motif qu'en l'absence d'une telle convention l'autorisation d'exercer ne pouvait être octroyée qu'à titre exceptionnel.

Cette décision a fait l'objet d'un recours en annulation pour excès de pouvoir auprès du tribunal administratif de Paris; le requérant a invoqué, devant cette juridiction, le bénéfice du traité de Rome, et notamment de son article 7 qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité.

Tout en observant, dans son mémoire en réponse, que les dispositions pertinentes du traité de Rome sont les articles 52 à 57 plutôt que l'article 7, le ministre a estimé que le traité ne constituait pas, à l'époque du moins, une base juridique adéquate pour pallier le défaut d'une convention bilatérale assurant la réciprocité.

Le tribunal administratif de Paris a décidé de surseoir à statuer et vous a renvoyé la question préjudicielle suivante, par laquelle il demande à savoir «si, en l'état du droit communautaire à la date du 9 août 1973, jour où a été prise la décision attaquée, un ressortissant britannique était fondé à invoquer à son profit le bénéfice du droit d'établissement pour exercer, dans un État membre de la Communauté, la profession d'architecte». Si un doute raisonnable pouvait, à l'époque où est né le
litige, s'élever sur l'applicabilité du traité de Rome, et particulièrement de son article 52, au cas de M. Patrick, il est aujourd'hui manifeste que la controverse est dépassée.

Ainsi que vous l'avez jugé dans l'affaire Reyners, l'article 52 est, depuis l'expiration de la période transitoire, une disposition directement applicable, qui engendre, au profit des ressortissants des États membres, des droits que ceux-ci peuvent utilement invoquer devant les juridictions nationales, celles-ci ayant l'obligation de reconnaître et de garantir ces droits.

En vertu de cette jurisprudence, le droit d'établissement sur le territoire d'un État membre en vue d'y exercer une activité indépendante, ne peut donc plus être refusé à un ressortissant d'un autre État membre sur le seul fondement de sa nationalité étrangère.

L'arrêt Reyners va plus loin en décidant que l'article 52 a effet direct, nonobstant l'absence éventuelle, dans un domaine déterminé, des directives prévues aux articles 54, paragraphe 2, et 57, paragraphe 1, du traité.

En effet, s'agissant de cette dernière disposition, l'intervention des directives qu'elle prévoit, concernant notamment la reconnaissance mutuelle des diplômes, constitue un complément utile, certes, à la réalisation pratique de l'égalité de traitement, mais n'en est pas la condition juridique nécessaire.

Dès lors, une disposition législative nationale prescrivant une autorisation spéciale et individuelle, exigée des étrangers exclusivement, pour exercer la profession d'architecte constitue, par elle-même, une restriction caractérisée à la liberté d'établissement et à l'égalité de traitement qui en est la raison d'être.

Mais, il convient de pousser le raisonnement plus avant en y faisant intervenir la notion de reconnaissance, par l'autorité nationale compétente, de l'équivalence à un diplôme français d'un diplôme étranger.

On se trouve alors dans une situation juridique qui s'apparente à celle dans laquelle était le sieur Thieffry, avocat de nationalité belge, à qui le Conseil de l'Ordre du barreau de Paris avait, on le sait, refusé son inscription au tableau, au motif qu'il n'était pas titulaire du diplôme français de licencié en droit, et ce nonobstant l'équivalence, d'effet purement académique il est vrai, que l'université de Paris avait reconnue à son diplôme de docteur en droit de l'université de Louvain avec le
diplôme national.

Or, vous avez jugé, le 28 avril dernier, que cette exigence d'un diplôme national constituait un obstacle excédant ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif du droit communautaire en matière de liberté d'établissement.

Il y avait là une restriction non pas ostensible et caractérisée, mais déguisée à la réalisation du droit d'établissement.

Dans la présente affaire, la situation est plus nette, car la reconnaissance de l'équivalence des diplômes étrangers au diplôme français d'architecte a été prévue par le législateur national comme comportant un effet civil, c'est-à-dire en vue de permettre à leurs titulaires d'exercer en France la profession considérée.

En d'autres termes, l'exigence d'une autorisation individuelle et spéciale, de surcroît délivrée à titre discrétionnaire, ne saurait être valablement opposée aux ressortissants communautaires qui jouissent, en vertu de l'article 52 du traité, du droit d'établissement.

Cette solution a recueilli l'accord du gouvernement français qui, dans ses observations écrites, se rallie entièrement à la solution de l'arrêt Reyners et se déclare disposé à en tirer les conséquences dans la présente espèce comme en toute affaire de même nature.

Qu'il nous soit permis d'ajouter, Messieurs, que le législateur français avait, d'ailleurs, par une loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, retenu la même solution. En effet, l'article 10 de cette loi assimile pleinement aux nationaux, pour l'accès à la profession d'architecte, les ressortissants d'un quelconque État membre de la Communauté, titulaires, à défaut d'un diplôme national, d'un diplôme ou titre étranger reconnu par l'État.

La décision prise, en août 1973, par le ministre des affaires culturelles ne s'explique donc qu'en raison de son antériorité par rapport à l'intervention de l'arrêt Reyners, d'une part, du nouveau statut légal de la profession d'architecte en France, d'autre part.

Il nous reste seulement à préciser que, pour ce qui concerne les ressortissants britanniques, l'article 52 est devenu d'application directe dès l'adhésion du Royaume-Uni, soit à compter du 1er janvier 1973, ainsi que vous l'avez jugé de l'article 119 du traité dans votre arrêt Defrenne du 8 avril 1976 (Recueil p. 479, attendu no 59).

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

1) qu'à la date du 9 août 1973, un ressortissant d'un État membre était fondé à invoquer à son profit le bénéfice du droit d'établissement garanti par l'article 52 du traité instituant la Communauté économique européenne pour exercer la profession d'architecte, nonobstant l'absence, dans le domaine de cette profession, des directives prévues à l'article 57, paragraphe 1, du traité;

2) que, par suite, l'accès à cette profession lui était ouvert dans les mêmes conditions que les nationaux de l'État membre d'accueil, dès lors qu'il était titulaire d'un diplôme reconnu équivalent par l'autorité compétente au diplôme exigé de ses propres nationaux;

3) que l'exigence d'une autorisation individuelle et spéciale constituerait une restriction caractérisée à son droit de s'établir et d'exercer son activité sur le territoire de l'État d'accueil.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11-77
Date de la décision : 08/06/1977
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Paris - France.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Richard Hugh Patrick
Défendeurs : Ministre des affaires culturelles.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Mertens de Wilmars

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1977:99

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