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12/05/1977 | CJUE | N°43-74

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 12 mai 1977., Pierre Guillot contre Commission des Communautés européennes., 12/05/1977, 43-74


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 12 MAI 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. L'affaire dont nous avons à nous occuper aujourd'hui présente des liens étroits avec l'affaire 53-72 qui a été introduite par le même requérant contre la Commission et s'est conclue par l'arrêt du 11 juillet 1974 (Recueil 1974, p. 791).

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 12 MAI 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. L'affaire dont nous avons à nous occuper aujourd'hui présente des liens étroits avec l'affaire 53-72 qui a été introduite par le même requérant contre la Commission et s'est conclue par l'arrêt du 11 juillet 1974 (Recueil 1974, p. 791).

L'un et l'autre recours remontent aux faits suivants. Par une expérience faite du 28 au 30 avril 1971, M. Guillot, fonctionnaire scientifique du Centre commun de recherches de l'Euratom à Ispra, avait cherché à démontrer le bien-fondé d'une théorie soutenue par lui dès 1968 et relative à un effet de dissolution dans l'eau de gaz de xénon radioactif. M. Malvicini, supérieur direct de M. Guillot, l'avait accusé d'avoir falsifié les résultats de cette expérience. La Commission, selon M. Guillot,
aurait dû protéger sa réputation professionnelle. Au lieu de cela, elle rejeta, par décision du 14 avril 1972, la réclamation présentée par M. Guillot le 3 janvier de cette année et tendant entre autres à obtenir que M. Malvicini rétracte l'accusation portée contre lui. Ce fut précisément contre la décision du 14 avril 1972 que M. Guillot forma son premier recours, en en demandant l'annulation.

La Cour, dans l'arrêt précité, estima injustifié le refus de la Commission d'engager l'enquête nécessaire en vue d'établir le bien-fondé des faits imputés au requérant, lesquels se rapportaient à son comportement dans le service et mettaient en question son intégrité professionnelle. A la suite de l'annulation de sa décision de refus, la Commission — précisait l'arrêt — était tenue de faire effectuer l'enquête en question le plus rapidement possible (attendus 19-22).

Après la clôture de la phase orale de la procédure dans l'affaire 53-72, et quelques semaines seulement avant que l'arrêt ne fût prononcé, M. Guillot a formé le recours introduisant la présente affaire. L'origine de ce second recours se trouve dans une note, datée du 21 octobre 1971 et signée par M. Malvicini, que le requérant avait trouvée, sans en avoir reçu communication préalable, dans son dossier personnel, déposé par la défenderesse au greffe de la Cour dans le cadre de l'affaire 53-72. Ce
document, intitulé: «Brève description et précisions relatives aux faits qui ont poussé M. Guillot à présenter la réclamation au sens de l'article 90 du statut des fonctionnaires», étendait la portée de l'accusation formulée par M. Malvicini dans un mémorandum que celui-ci avait adressé le 4 mai 1971 au directeur général du Centre de recherches, relativement à l'altération des résultats des six dernières mesures de l'expérience scientifique en question, en affirmant que les données relatives aux
onze dernières mesures avaient été altérées. En même temps, M. Guillot était également accusé d'avoir fait disparaître les résultats de trois mesures précédentes.

Dans la réclamation que M. Guillot a présentée le 26 novembre 1973, sur la base de l'article 90 du statut des fonctionnaires, contre l'insertion à son insu du document déjà mentionné dans son dossier personnel et contre les accusations contenues dans ce document, l'intéressé demandait à la Commission de retirer le document en question de son dossier et de le laver des accusations qui y sont portées contre lui; il demandait en outre réparation du préjudice subi ainsi que la restitution des
enregistrements, détenus par M. Malvicini, des expériences relatives au même phénomène et que le requérant affirmait avoir effectuées antérieurement à celles de fin avril 1971.

Après l'échéance du délai prévu à l'article 90, paragraphe 2, dernier alinéa, du statut et en l'absence de prise de position explicite de la Commission, M. Guillot a formé, le 25 juin 1974, le présent recours contre la décision implicite de rejet résultant du silence de la défenderesse. Outre l'annulation de cette décision, le requérant demande le retrait de son dossier personnel de la note Malvicini du 21 octobre 1971, la condamnation de la Commission au paiement d'un million de francs belges à
titre de dommages et intérêts et la restitution des enregistrements des expériences réalisées par lui.

Par mémoire présenté le 3 février 1975, la défenderesse a soulevé une exception formelle d'irrecevabilité du recours en tous ses moyens et conclusions. Par ordonnance du 24 septembre 1975, la Cour a décidé de joindre cette demande au fond.

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries à l'audience du 18 novembre 1976. Ensuite, par ordonnance du 25 janvier 1977, la Cour a ordonné la comparution du requérant et l'audition de quatre témoins au sujet des événements mentionnés dans le mémorandum Malvicini du 21 octobre 1971 et des événements connexes à ceux-ci, ce qui a eu lieu à l'audience du 3 mars 1977.

2. Nous estimons opportun de faire observer à titre préliminaire que le présent recours — qui tire son origine, ainsi que nous l'avons vu, d'un document reprenant et étendant des accusations précédentes relatives à un fait unique — finit inévitablement par reposer aussi certaines des questions débattues dans le cadre de l'affaire précédente. A l'époque de cette affaire, la Cour n'avait pas pu les résoudre au fond, parce qu'elle ne disposait pas des éléments nécessaires, du fait que la Commission
avait omis d'effectuer les enquêtes que la situation requérait.

Passons maintenant à l'examen des arguments développés par la Commission à l'appui de la thèse de l'irrecevabilité.

En premier lieu, la défenderesse a fait observer qu'elle était occupée à recueillir les éléments lui permettant d'apprécier le bien-fondé des accusations portées par le supérieur direct du requérant et que, de ce fait, jusqu'à ce que cette enquête soit clôturée, le requérant n'aurait pas pu accuser la Communauté de ne pas lui avoir prêté assistance face à la prétendue diffamation dont il aurait fait l'objet.

Cet argument a trait au fond de la demande et non à sa recevabilité. D'autre part, la référence que fait la défenderesse à l'enquête qu'elle a effectuée après le dépôt du présent recours ne permet en aucun cas d'exclure le fait qu'à l'époque de l'introduction de ce dernier, le requérant pouvait invoquer le défaut d'assistance de la part de la Communauté. L'observation de la Commission aurait pu servir tout au plus à obtenir que la décision sur le fond soit reportée en attendant que soient connus
les résultats de l'enquête qu'elle était désormais en train d'effectuer pour se conformer à l'arrêt déjà cité dans l'affaire 53-72, mais il ne permet certainement pas d'exclure la recevabilité du recours, laquelle doit s'apprécier sur la base de la situation existant au moment où celui-ci a été introduit.

En second lieu, pour soutenir l'irrecevabilité du moyen tiré de la violation de l'article 26 du statut, laquelle résulterait de l'insertion de la note Malvicini du 21 octobre 1971 dans le dossier personnel du requérant, à l'insu de celui-ci, la défenderesse a fait observer qu'elle a fait retirer le document en question du dossier de l'intéressé; cela aurait donc rendu sans objet la demande de celui-ci. Mais cette circonstance est postérieure, elle aussi, à l'introduction du recours et ne saurait
par conséquent entraîner l'irrecevabilité de celui-ci. Il s'agira de l'apprécier à l'occasion de l'examen du fond même de la demande.

Pour des considérations analogues, on ne saurait non plus soutenir l'irrecevabilité du moyen tiré de la violation de l'article 26 du statut en prenant motif de ce que les affirmations contenues dans la note Malvicini font désormais partie des éléments de l'enquête engagée par la Commission.

Il est à noter, enfin, qu'en réponse à la demande de réparation du préjudice que le requérant prétend avoir subi du fait de la persécution dont il se juge être victime, la Commission a également soutenu qu'elle n'avait pas encore effectué l'enquête nécessaire pour vérifier le bien-fondé des accusations qui seraient la cause première du préjudice qu'aurait subi l'intéressé. Une fois de plus, il s'agit ici d'une question de fond: des exceptions de ce genre sont étrangères à la recevabilité du
recours.

C'est vainement aussi que l'on soulèverait l'exception de la chose jugée relativement aux chefs des conclusions qui coïncident avec ceux du premier recours. En réalité, dans l'arrêt du 11 juillet 1974, la Cour a réservé sa décision sur la demande en dommages-intérêts «en attendant l'issue de l'action qui s'impose à la Commission» (attendus 35 et 36 des motifs). Le dispositif de l'arrêt précise que ce chef des conclusions est rejeté «dans le cadre de la présente procédure».

Comme, sur le plan formel, cet arrêt n'avait pas caractère interlocutoire, il a définitivement clos la procédure de l'affaire 53-72. La possibilité restait toutefois ouverte d'engager une nouvelle procédure dans le cadre de laquelle M. Guillot pouvait de nouveau faire valoir ses prétentions à dommages-intérêts à la lumière des résultats de l'enquête de la Commission ou de nouveaux événements survenus dans l'intervalle. Le fait nouveau que constitue le mémorandum Malvicini (qui, bien que la
Commission en eût fait connaître l'existence dans le cours de la procédure précédente, n'avait alors donné lieu à aucune demande spécifique de la part du requérant) nous semble justifier à suffisance la présentation d'une nouvelle demande d'indemnisation par M. Guillot dans le cadre du présent recours, avant même que la Commission n'eût entamé son enquête.

Enfin, la Commission a encore soulevé une exception d'irrecevabilité contre la demande du requérant tendant à obtenir que lui soient restitués les résultats de certaines expériences effectuées par lui. La Commission a soutenu que ces résultats lui appartiennent. Cette exception a manifestement trait, elle aussi, au fond de l'affaire. Il nous semble toutefois qu'il faille dire immédiatement ici que la demande en question est sans fondement, puisqu'il s'agit de documents de travail et, partant,
d'éléments qui sont la propriété de la Commission.

3. Si, comme nous le croyons, le recours est recevable, il faut maintenant procéder à l'examen des arguments sur lesquels se fondent les demandes en annulation et en indemnisation. Nous avons vu que le requérant invoque principalement la violation de l'article 24 du statut, lequel fait obligation à la Communauté d'assister le fonctionnaire, «notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont
les membres de sa famille sont l'objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions». La Commission aurait violé cette règle en n'ayant pas fait le nécessaire pour vérifier le bien-fondé des accusations portées contre M. Guillot par son supérieur direct en relation avec une activité de service.

En second lieu, le requérant invoque la violation de l'article 26, deuxième et troisième alinéa, du statut, disposition selon laquelle «l'institution ne peut opposer àun fonctionnaire ni alléguer contre lui des pièces visées à l'alinéa a) ci-dessus (c'est-à-dire des pièces intéressant sa situation administrative ou concernant sa compétence, son rendement ou son comportement), si elles ne lui ont pas été communiquées avant classement» dans son dossier individuel.

A cet égard, nous ferons observer que, la note Malvicini du 21 octobre 1971 contenant des éléments d'accusation à la charge du requérant qui étaient nouveaux par rapport à ceux qui lui avaient été communiqués précédemment, il ne fait aucun doute que la Commission ne pouvait pas insérer cette note dans le dossier personnel de l'intéressé sans observer les formes prescrites par l'article 26. En ayant ensuite procédé au retrait de la note en question, la Commission a admis elle-même implicitement
l'irrégularité de son propre comportement. D'autre part, en retirant la note dont il s'agit, elle adonné satisfaction au requérant sur ce point précis.

Il nous reste à examiner le point central de cette affaire, c'est-à-dire la prétendue violation de l'article 24 du statut. Dans l'arrêt du 11 juillet 1974 qui a mis un terme à l'affaire 53-72, la Cour s'est fondée sur l'article 24 (ainsi que sur le principe d'équité et sur les exigences d'une saine administration) pour en déduire l'obligation de l'administration de vérifier la véracité d'accusations graves portant atteinte à la dignité professionnelle d'un de ses fonctionnaires dans l'exercice de
ses fonctions, accusations formulées par le supérieur hiérarchique de ce fonctionnaire. Reconnue responsable dans la première affaire Guillot, de ne pas avoir respecté cette obligation, la Commission s'est vu imposer l'accomplissement d'une enquête ayant pour objet «de rechercher l'existence de preuves justifiant les accusations à l'encontre de l'honnêteté du requérant». Sur ce point, non seulement le défaut d'accomplir une enquête de ce genre aurait constitué une nouvelle violation de
l'article 24, mais il faudrait également considérer que cette règle a été violée au cas où les résultats de l'enquête que la Cour a ordonné à la Commission d'effectuer feraient apparaître que les accusations portées contre M. Guillot sont sans fondement aucun, étant donné que, dans cette hypothèse, la Commission serait responsable de ne pas les avoir rejetées en temps utile et de ne pas avoir pris toute mesure susceptible de réparer l'offense subie par le requérant. Inversement, il n'y a pas de
raison de considérer qu'il y a eu violation de l'article 24 si l'enquête effectuée par la Commission en exécution de l'arrêt précédent a donné une justification objective et adéquate aux accusations portées contre le requérant par son supérieur hiérarchique direct; cela impliquerait, en effet, que la Commission n'était pas tenue de laver le requérant de ces accusations.

Il convient de préciser qu'aux fins de la présente procédure, il ne s'agit pas d'établir si le résultat que le requérant affirme avoir démontré par les expériences contestées, peut être considéré comme étant valable au point de vue scientifique. Il s'agit seulement de vérifier si le requérant a eu un comportement susceptible de justifier l'accusation de falsification de ces expériences ou un comportement consistant à avoir voulu faire apparaître un résultat différent de celui qui a été
effectivement obtenu ou, à tout le moins, àavoir présenté comme étant exact et indiscutable un résultat douteux, obtenu au moyen de procédés incompatibles avec ceux dont se sert un chercheur scrupuleux et consciencieux.

4. La solution du cas de l'espèce dépend donc essentiellement de la réponse a la question de savoir si l'issue de l'enquête menée par la Commission ou pour le compte de celle-ci sur la base des rapports qu'elle a produits dans le cours de la présente procédure, justifie ou non les accusations portées contre M. Guillot par M. Malvicini relativement aux expériences effectuées par le premier du 28 au 30 avril 1971?

Avant d'examiner les résultats de cette enquête, nous croyons toutefois qu'il convient de récapituler brièvement, sur la base de la documentation disponible, les faits saillants sur lesquels le supérieur du requérant a fondé ses accusations et la position du requérant à l'égard de ceux-ci.

Dans la mémorandum au directeur, du 4 mai 1971, que nous avons déjà cité, intitulé «Contrefaçon de résultats expérimentaux» qui a été à l'origine de l'affaire précédente, M. Malvicini avait écrit que M. Guillot lui avait transmis, relativement aux six dernières mesures effectuées au cours de l'expérience (celles portant les nos 42 à 47), non pas les rubans de l'imprimante automatique de l'analyseur multicanaux TMC, mais seulement les données que M. Guillot avait élaborées lui-même. M. Malvicini
aurait réussi, en outre, à confronter ces données avec celles, différentes, de l'imprimante, parce que ces dernières auraient été reportées par M. Guillot sur le ruban d'une calculatrice Olivetti, ruban récupéré par M. Malvicini dans une corbeille à papiers. De son côté, M. Guillot, interpellé a ce propos par M. Malvicini, aurait assuré ce dernier en présence d'un tiers qu'il lui avait transmis les rubans de l'imprimante.

Dans un mémorandum du 6 juillet 1971, adressé au directeur général, M. Malvicini a rappelé ses assertions précédentes, en ajoutant que pour toutes les mesures effectuées à partir de 11 h 25 le 29 avril, c'est-à-dire à partir de la mesure 34, M. Guillot lui avait transmis simplement les résultats élaborés par lui, et non les enregistrements originaux du spectromètre de l'analyseur multicanaux TMC.

Dans la note du 21 octobre 1971 qui est à l'origine du présent procès, M. Malvicini a précisé que le requérant lui avait communiqué les résultats des mesures prises à partir du début de l'expérience jusqu'à 11 h 25, le 29 avril, en même temps que l'enregistrement de l'imprimante automatique de l'analyseur, tandis qu'en ce qui concerne la suite des expériences effectuées à partir de 11 h 35, le 29 avril, jusqu'à 7 h 10, le 30 avril (mesures 34-47), le requérant lui avait remis seulement les
résultats des onze dernières mesures (37-47), sans lui remettre en revanche aucun des rubans enregistrés par l'imprimante automatique de l'analyseur.

Les expériences en question se sont terminées le 30 avril 1971. La note précitée du 21 octobre affirme que ce ne fut que le jour suivant, le 1er mai, que M. Malvicini, en portant sur un graphique les points des dernières mesures, s'est rendu compte qu'il n'avait pas les enregistrements de l'imprimante. Toujours selon cette note, il a pensé, en un premier temps, les avoir oubliés sur sa table de travail; mais, ne les ayant pas trouvés, il a poursuivi ses recherches et il a fini par trouver un
rouleau de la calculatrice Olivetti dans une corbeille à papier qui se trouvait dans le corridor devant le bureau du requérant. Sur ce rouleau, se trouvaient imprimées les valeurs des spectres des six dernières mesures, lesquelles ne correspondaient pas aux valeurs fournies par M. Guillot M. Malvicini a affirmé encore que dans la matinée du lundi 3 mai, ayant demandé à M. Guillot des éclaircissements sur ce point en présence d'un autre fonctionnaire, M. Dominici, l'intéressé avait répondu que les
données qu'il lui avait fournies étaient celles de l'analyseur, sans aucune correction. M. Malvicini a dit qu'il avait montré alors à Guillot les données inscrites sur le ruban de la calculatrice, que ce dernier n'a su fournir aucune explication sur le moment et s'est éloigné. Ses soupçons ayant été éveillés, M. Malvicini aurait recherché et récupéré d'autres pièces de ruban de la calculatrice Olivetti et de l'imprimante automatique de l'analyseur dans les bidons dans lesquels avaient été
déversés les derniers jours les vieux papiers provenant des divers bureaux.

L'après-midi du même jour, M. Guillot a déclaré à M. Malvicini qu'il avait corrigé les résultats des six dernières mesures en vue de compenser une altération que l'expérience avait subie à la suite de l'inclinaison accidentelle d'un flacon contenant le liquide radioactif. Cette explication qu'à la demande de M. Malvicini, M. Guillot consigna ensuite par écrit sur la dernière page du rapport qu'il avait précédemment remis à son supérieur, a été répétée par l'intéressé dans ses mémorandums du 7 mai
et du 9 juillet 1971 au directeur général M. Caprioglio.

Ayant procédé à la reconstitution pièce par pièce du ruban enregistré par l'imprimante et récupéré de la manière que nous venons de décrire, M. Malvicini put en conclusion constater — selon ce qu'il a soutenu — que toutes les données obtenues le 29 avril à partir de 11 h 35 (c'est-à-dire les mesures 34 à 47) avient été corrigées par M. Guillot.

Ce dernier a nié, par contre, avoir modifié les données imprimées par le «prin-ter», exception faite, ainsi que nous l'avons dit, des six dernières mesures, à l'égard desquelles la divergence d'opinion qui existe entre M. Guillot et M. Malvicini, porte seulement sur l'interprétation des causes des changements apportés.

5. La Commission a produit quatre rapports relatifs à quatre enquêtes qui ont été effectuées sur sa demande au sujet des faits controversés:

1) le rapport du 19 décembre 1975 qui aété souvent dénommé dans le cours de la procédure «rapport Boulenger», du nom du fonctionnaire scientifique du Centre belge d'études d'énergie nucléaire de Mol auquel la Commission s'était adressée. Un autre fonctionnaire scientifique du centre belge de Mol, M. Colard, a été associé à son élaboration;

2) le rapport du 28 octobre 1975 de la Commission administrative interne, créée ad hoc par le directeur général du Centre commun de recherches d'Ispra;

3) le rapport du 29 décembre 1975, établi par M. Colard précité et d'autres fonctionnaires scientifiques du Centre de recherches de Mol;

4) enfin, un rapport complémentaire Boulenger-Colard du 26 avril 1976.

Le premier de ces documents débute par un examen complet de l'activité scientifique déployée par le requérant dans le cadre du Centre de recherches d'Ispra à partir de 1968. Il lui attribue le mérite d'avoir été le premier à entamer l'étude, sur le plan de la radioprotection, du problème de la rétention des isotopes du xénon par les tissus du corps humain. Le travail accompli depuis 1968 par M. Guillot dans ce domaine est jugé notable, même s'il donne lieu à quelques réserves.

Les travaux ultérieurs (relatifs à la période 1968-70), sur les différences de rétention par le corps humain des divers types de radioisotopes du xénon, soulèvent d'autres réserves de la part des auteurs du rapport quant aux résultats présentés, en raison du fait qu'il y manque le relevé statistique précis des mesures effectuées. Le rapport relève également que le nombre des résultats est souvent trop réduit pour pouvoir en déduire des conclusions certaines dans un secteur où la variété
biologique empêche des mesurages de grande précision.

Les critiques augmentent en ce qui concerne les travaux ultérieurs, surtout en ce qui concerne l'exactitude des raisonnements mathématiques. Le rapport admet, en effet, que la validité des résultats expérimentaux ne peut être exclue a priori, mais les critiques se concentrent sur les conséquences déduites mathématiquement de ces résultats.

En conclusion, pour ce qui est des travaux et des expériences scientifiques effectués par le requérant antérieurement à l'expérience de fin avril 1971, le rapport Boulenger observe qu'exerçant son activité dans des conditions difficiles en raison des divergences de vue qui l'opposaient déjà depuis un certain temps à M. Malvicini, M. Guillot aurait fait preuve d'une précipitation dangereuse dans la rédaction de ses écrits. D'autre part, il serait difficile de démontrer l'existence d'erreurs
éventuelles en raison de la clarté insuffisante du raisonnement. Les rapporteurs estiment qu'il est probable que ce comportement du requérant tient au fait qu'il était exacerbé par le conflit qui l'opposait à son supérieur direct, lequel contestait la valeur scientifique des découvertes que le requérant estimait avoir faites. Cela pouvait, d'une certaine manière priver M. Guillot de la lucidité et de la sérénité d'esprit nécessaires et le pousser à vouloir démontrer la pertinence de ses thèses au
moyen de résultats expérimentaux qu'il pensait à tort avoir obtenus.

En ce qui concerne, ensuite, les expériences de dissolution du radioxénon dans l'eau que le requérant avait faites du 28 au 30 avril 1971 en vue de vérifier le bien-fondé de certains résultats qu'il disait avoir déjà obtenus au cours d'expériences précédentes, les rapporteurs n'ont rien observé d'anormal jusqu'au résultat du mesurage no 33. Ils constatent toutefois que les mesures 34 à 36, effectuées le 29 avril entre 11 h 35 et 12 h 05, ne figurent pas dans la documentation de M. Guillot. Les
rapporteurs affirment à ce propos que le requérant «semble les avoir écartées parce qu'elles n'allaient pas dans le sens espéré». Les résultats des cinq mesurages suivants (du no 37 au no 41) auraient été altérés, selon les auteurs du rapport; il en aurait été de même des résultats des six derniers mesurages. Sur ce point, le rapport ne rejette pas formellement l'explication donnée par le requérant, selon laquelle il aurait appliqué un coefficient correcteur aux six dernières mesures en vue de
tenir compte d'un déplacement fortuit du flacon utilisé pour effectuer l'expérience. D'autre part, les rapporteurs sont d'accord avec le requérant pour estimer que ces six dernières mesures ont une importance modeste dans le cadre de l'expérience. Ils notent toutefois que la correction des résultats a été effectuée par le requérant de manière à ne pas la faire apparaître clairement dans le rapport présenté à M. Malvicini.

Le rapport Boulenger attribue d'autre part un caractère de plus grande gravité au fait que le requérant n'a rien dit au sujet des modifications apportées aux cinq mesures précédentes et qu'il n'a pas non plus mentionné les trois mesures manquantes.

En fait, selon les rapporteurs, ces dernières mesures (no 34 à 36) et les cinq mesures suivantes (no 37 à 41) seraient justement décisives pour démontrer l'existence du phénomène recherché. Le phénomène de séparation isotopique que le requérant prétend avoir constaté paraît précisément résulter des vingt mesurages effectués au cours de la première journée. En revanche, les observations faites par le requérant au sujet de la concordance entre la première et la seconde série de mesurages ne
seraient pas exactes. Le rapport Boulenger affirme que cette concordance, qui paraît être nécessaire pour prouver l'existence du phénomène recherché, n'aurait pas pu se produire réellement, sans l'altération des résultats des mesurages 37 à 41 et la disparition des résultats des mesurages 34 à 36.

En conclusion, le prétendu déplacement de flacon ne justifierait pas les modifications apportées aux résultats des mesurages effectués au cours de la seconde journée ni l'emploi de coefficients correcteurs variables au lieu d'un coefficient unique, appliqué à toutes les mesures. Les rapporteurs estiment que si le flacon s'était déplacé par accident, la seule décision scientifiquement correcte eût été de ne pas tenir compte des mesurages qui auraient pu être perturbés par l'incident et de refaire
l'expérience. L'opinion exprimée par les rapporteurs est que l'utilisation de résultats adaptés de manière à faire apparaître en tout état de cause l'effet que l'on désirait démontrer constituerait sur le plan scientifique une véritable falsification.

6. Le second rapport est le fruit des enquêtes d'une commission administrative interne instituée par décision du 18 septembre 1975 du directeur général du Centre commun de recherches et composée de fonctionnaires du centre, du directeur de l'établissement de Karlsruhe et d'un fonctionnaire de l'administration. Cette commission s'est basée, pour effectuer ses travaux, sur une documentation composée, en plus de l'arrêt de la Cour dans l'affaire 53-72 et des conclusions de l'avocat général Trabucchi
relatives àcette affaire, des mémorandums de Malvicini au directeur Caprioglio du 3 mai et du 6 juillet 1971, des mémorandums du requérant au directeur Caprioglio du 7 mai et du 9 juillet 1971, des tableaux des données expérimentales présentés par M. Guillot à M. Malvicini les 28 et 30 avril et le 6 mai 1971, ainsi que des rubans enregistreurs de la calculatrice Olivetti et de l'analyseur multicanaux sur lesquels sont imprimés les résultats des expériences.

La commission administrative a estimé que le problème de fond consiste à comparer l'enregistrement des mesurages faits au moyen des dispositifs électroniques (informations primaires) avec les tableaux, les enregistrements ou les rapports de valeurs numériques (informations secondaires) élaborés par le requérant à partir des informations primaires. Selon la même commission, ce sont les enregistrements effectués par l'imprimante automatique, allant du no 37 au no 41, qui revêtent une importance
particulière parmi les informations primaires relatives au litige. La commission a constaté que les valeurs figurant sur le ruban de la calculatrice Olivetti concordent avec celles qu'a indiquées M. Guillot dans son rapport, mais seulement pour le xénon-133, tandis qu'une divergence aété notée en ce qui concerne les valeurs relatives au xénon-131m, lesquelles sont systématiquement plus élevées dans le rapport présenté par M. Guillot. Interrogé par la commission d'enquête, le requérant a nié avoir
effectué lui-même les calculs imprimés sur le ruban enregistreur de la calculatrice Olivetti: Il a également évoqué la possibilité d'une falsification opérée à son détriment. Mais la commission d'enquête a constaté qu'il existe une concordance complète entre les valeurs figurant sur les rubans enregistreurs de l'analyseur multicanaux et celles de la calculatrice Olivetti et elle a exclu qu'il eût été concrètement possible de composer artificiellement un ruban enregistreur de l'im-primeuse de
l'analyseur électronique, compte tenu des moyens techniques disponibles à Ispra à l'époque des faits dont il s'agit. La commission est ainsi parvenue a la conclusion que le ruban de la calculatrice Olivetti retrouvé par M. Malvicini est authentique, lui aussi.

Elle en a déduit que les informations secondaires fournies par M. Guillot doivent être considérées comme inexactes et comme ne correspondant pas aux données des informations primaires. L'écart serait de 2 %.

La commission administrative interne a conclu qu'à son estime, les modifications des valeurs expérimentales et la présentation des données modifiées par M. Guillot sont inacceptables sur le plan scientifique et professionnel, si bien que les accusations portées par M. Malvicini à l'endroit du requérant seraient justifiées.

7. Le rapport additionnel du 29 décembre 1975, signé par MM. Colard, Ballaux et Leduc, fonctionnaires scientifiques du Centre belge de Mol, que la Commission présente à l'appui de son mémoire en défense, rend compte de trois expériences réalisées par ses signataires au cours des mois de novembre et décembre 1975 à propos du même phénomène que celui qui a fait l'objet des expériences effectuées par le requérant du 28 au 30 avril 1971. Ce rapport note que l'effet isotopique est confirmé par les
nouvelles expériences, mais qu'il est beaucoup plus faible que celui annoncé par M. Guillot

Il conviendra de rappeler toutefois que ce n'est pas le degré de valeur scientifique de la théorie et des expériences du requérant qui est en cause dans la présente affaire. En outre, le rapport Boulenger dont nous avons déjà parlé ci-dessus, a justement relevé à titre préliminaire qu'il était impossible d'effectuer de nouvelles expériences portant sur le même phénomène dans des conditions absolument identiques à celles dans lesquelles M. Guillot avait mené ses propres expériences. Pour vérifier
ces dernières sur le plan scientifique il eût été préférable, toujours selon le rapport Boulenger, que M. Guillot les refasse éventuellement devant témoins.

Pour sa part, le requérant fait observer dans la réplique que les trois nouvelles expériences décrites dans le rapport du 29 décembre 1975 ont été effectuées dans des conditions que leurs auteurs ont choisies eux-mêmes, sans lui demander son accord.

8. Enfin, la défenderesse a présenté, en annexe à sa duplique, le quatrième rapport qui porte la date du 26 avril 1976 et est signé par MM. Boulenger et Colard. Ces derniers expriment de nouveau leur conviction que les rubans qui leur ont été transmis par la Commission et qui ont constitué le principal matériel de leurs enquêtes précédentes, sont les rubans originaux se rapportant aux expériences effectuées par M. Guillot du 28 au 30 avril 1971. Ils confirment également leur opinion que les
résultats des mesurages n os 37 à 41 ont été manipulés, tandis que les résultats des trois mesurages précédents qui ne donnaient pas non plus les résultates voulus, ont simplement été omis dans le rapport de M. Guillot.

Selon MM. Colard et Boulenger, les résultats des expériences auraient été manipulés dans le seul but de les faire coïncider avec la thèse soutenue par M. Guillot. Telle est la raison pour laquelle les rapporteurs estiment qu'il est justifié de dire qu'il y a eu «falsification sur le plan scientifique», d'autant que la volonté de M. Guillot de dissimuler les manipulations en question résulterait clairement de la manière suivant laquelle il a rédigé son rapport. Il aurait, en effet, veillé à
corriger les résultats des expériences de manière à ce que les modifications passent inaperçues aux yeux de quiconque n'étant pas en possession des rubans originaux.

9. Le requérant a objecté que ni la commission administrative ni les auteurs du «rapport Boulenger» n'ont respecté les droits de la défense. Ils auraient agi unilatéralement, sans communiquer au requérant les actes de leurs enquêtes respectives et sans lui permettre de défendre son point de vue; en outre, ils se seraient basés essentiellement sur les rubans de la calculatrice Olivetti et de l'imprimante de l'analyseur multicanaux, c'est-à-dire sur un matériel dont l'authenticité n'avait pas été
reconnue préalablement par le requérant lui-même.

M. Guillot cite à cet égard l'arrêt de la Cour dans l'affaire 80-63, relative à l'activité de la commission d'intégration prévue par l'article 102 du statut des fonctionnaires de 1962 (arrêt du 1er juillet 1964, Recueil 1964, p. 767). Dans cette décision, la Cour, estimant que l'avis défavorable de cette commission liait l'autorité investie du pourvoir de nomination, a déclaré qu'avant d'exprimer son avis, la Commission devait mettre l'intéressé en mesure de présenter ses propres observations sur
toutes les circonstances susceptibles d'influer sur sa titularisation. Dans le cas auquel se rapportait l'arrêt précité, l'intéressé avait été entendu par la commission d'intégration après l'audition de ses supérieurs hiéarchiques, mais il n'avait pas été invité à présenter de nouveau ses observations sur les éléments d'appréciation ultérieurs que cette commission avait recueillis par la suite et qui l'avaient portée à exprimer un avis négatif. La Cour a estimé par conséquent que ce manquement
invalidait l'avis exprimé par la Commission.

Contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire dont nous venons de parler, non seulement les rapports techniques disponibles en l'espèce ne lient pas les organes investis du pouvoir de décision en ce qui concerne la position statutaire du requérant, mais ils ne sont pas destinés non plus à influer sur une décision ayant un tel objet. La question sur laquelle ces documents peuvent effectivement avoir une incidence ne regarde pas, en effet, la position statutaire du fonctionnaire intéressé.
Elle revêt cependant pour lui une grande importance; et cela nous amène à affirmer par principe que, même en l'absence de règles formelles strictes et en agissant en dehors de toute procédure judiciaire, les organismes chargés d'accomplir des tâches aussi délicates doivent procéder en donnant des garanties adéquates à l'intéressé.

D'autre part, si le principe du contradictoire n'a pas été respecté en l'espèce dans les enquêtes menées par la Commission, cela tient en grande partie au requérant lui-même. La Commission s'était déclarée disposée en effet à le faire participer, dans certaines limites, aux travaux des experts (voir lettre du 15 janvier 1975 de l'agent de la Commission à l'avocat du requérant). Mais le requérant a préféré ne pas faire usage de cette possibilité.

Telle est aussi la raison pour laquelle le non-respect du principe du contradictoire, dont il est fait grief à la Commission ne saurait priver de toute valeur dans la présente procédure les rapports techniques présentés par des spécialistes qualifies. Certes, la valeur probatoire d'enquêtes extra-judiciaires ne saurait se comparer à celle d'une expertise directement ordonnée par la Cour dans le cadre d'un procès. Nous ne pouvons pas oublier toutefois que ce fut la Cour elle-même qui, par la
décision qu'elle a rendue sur le précédent recours Guillot et que nous avons déjà citée plusieurs fois, a imposé à la Commission l'obligation d'effectuer une enquête, malgré le fait que cette dernière avait instamment demandé une expertise judiciaire en bonne et due forme. Nous croyons dès lors qu'il est justifié de conclure que si la Cour ne peut pas se limiter à baser sa propre décision sur les rapports techniques dont nous avons parlé précédemment, elle a néanmoins le pouvoir et le devoir d'en
tenir compte dans le cadre des divers moyens probatoires sur lesquels doit se fonder l'appréciation finale des thèses ici en présence.

10. La défense qu'oppose le requérant aux accusations qui lui sont faites d'avoir falsifié les résultats des expériences d'avril 1971 consiste essentiellement à nier l'authenticité des rubans de l'imprimante de l'appareil multicanaux TMC relatifs aux mesures 37 à 41 que son supérieur de l'époque soutient avoir retrouves dans des bidons contenant des vieux papiers. Il semble donc, dans la logique même de l'attitude adoptée par le requérant, que s'il était possible d'établir l'authenticité de ces
éléments, l'accusation portée par M. Malvicini se trouverait corroborée.

Pour démontrer l'authenticité de ces rubans, la défenderesse a fait valoir la circonstance, soulignée également dans les rapports des deux commissions d'enquête, que pour un des deux gaz analysés au cours de l'expérience de M. Guillot, le xénon-133, les valeurs enregistrées sur les rubans en question correspondent aux résultats fournis par le requérant lui-même dans son rapport au directeur Caprioglio (sauf quelques petites variantes imputables à un défaut du mécanisme de l'imprimante et qui se
situent presque exclusivement dans la colonne des unités). En revanche, pour l'autre gaz, le xénon-131m, cette correspondance n'existe pas.

Le requérant a avancé tout d'abord l'hypothèse que ces données auraient trait à une expérience différente de la sienne ou qu'elles seraient directement le résultat d'une contrefaction volontaire, effectuée en vue de lui porter préjudice. Mais nous avons déjà rappelé que selon la Commission et les experts consultés par celle-ci, il n'y aurait qu'une chance sur mille de pouvoir reproduire au moyen de l'imprimante automatique TMC un résultat correspondant à celui obtenu durant l'expérience de M.
Guillot pour le premier des deux gaz.

Ensuite, le requérant a contesté tant au cours de la procédure écrite qu'au cours de la procédure orale, la correspondance des valeurs enregistrées sur les rubans pour le xénon-133 avec les résultats fournis dans son rapport. Plus particulièrement, le requérant a mis en doute un chiffre figurant sur ces rubans dans la colonne des centaines. Ce chiffre pouvait apparemment être lu tant comme un 0 que comme un 9. Mais si l'on examine attentivement le ruban en question à la lumière tant de l'allure
normale de la courbe représentant le phénomène de dissolution étudié que des valeurs indiquées dans le rapport du requérant, il semble que ce soit le chiffre retenu par les auteurs du rapport Boulenger qui soit exact et que ce chiffre corresponde à celui qu'avait indiqué à l'origine le requérant lui-même.

Enfin, sur un plan plus général, le requérant a soutenu que le défaut relevé dans le mécanisme de l'imprimante, qui se situait — ainsi que nous l'avons vu — presque exclusivement dans la colonne des unités et résulte parfois d'une lecture difficile, aurait laissé aux experts chargés d'effectuer l'enquête pour le compte de la Commission une certaine liberté d'appréciation, dont ceux-ci auraient profité pour adapter les résultats imprimés sur le ruban à ceux déjà notés dans le rapport Guillot, de
manière à faire apparaître une correspondance inexistante entre les uns et les autres.

Cet argument qui rejette en substance sur les experts choisis par la Commission l'accusation d'avoir manipulé les calculs, n'apparaît cependant pas convaincant. Il faut considérer avant tout la circonstance qu'en cas de chiffres illisibles, les experts de la Commission, loin de choisir arbitrairement une valeur de convenance, ont constamment retenu la valeur moyenne 5. D'autre part, la Commission a montré que si l'on choisit les valeurs extrêmes (c'est-à-dire 1 ou, respectivement 9) pour tout
chiffre illisible sur les rubans, de manière à obtenir un résultat minimum et un résultat maximum, les données dans le rapport du requérant se situent toujours entre ces deux extrêmes.

En ce qui concerne les chiffres différents fournis par le requérant dans le cours de la présente procédure sur la base de cette méthode de la fourchette, la Commission a fait observer que la différence tient au fait que M. Guillot, en déterminant ces chiffres, avait omis de déduire le facteur fixe appliqué pour tenir compte de ce qu'il est convenu d'appeler le «bruit de fond» de l'appareil mesureur, facteur qu'il avait déduit, en revanche, dans l'analyse des données des expériences dont il
s'agit.

Répliquant sur ce dernier point, dans ses observations annexées à la lettre de son avocat du 6 décembre 1976, le requérant a nié avoir tenu compte du «bruit de fond» dans son «annexe technique» du 7 mai 1971 pour le déduire des valeurs qui lui avaient été fournies par l'imprimante automatique. Cette affirmation se trouve toutefois en contradiction flagrante avec ce que le requérant a soutenu précédemment à la page 2 de l'«annexe technique» dont nous avons parlé précédemment.

Enfin, pour confirmer encore l'authenticité des rubans, la Commission a attiré l'attention sur certaines annotations manuscrites figurant sur ceux-ci et qui auraient été faites en grande partie par le requérant lui-même, de même que sur le fait qu'il apparaîtrait clairement que les divers morceaux de rubans proviennent du même rouleau, les marges respectives de ces morceaux de ruban correspondant entre elles. Le requérant a toutefois nié, dès le début, que les annotations manuscrites étaient de
sa main et il ne s'est pas départi de cette attitude fermement négative jusqu'à la veille de sa comparution personnelle.

11. C'est surtout en considération des nombreuses divergences de vue existant entre les parties, au sujet d'éléments de fait qui apparaissent susceptibles de revêtir une importance déterminante pour la solution de l'affaire, et, en tenant compte de la contradiction dans laquelle s'était enfermé M. Guillot sur un de ces éléments, que la Cour a décidé d'inviter le requérant à comparaître en personne et d'entendre quatre témoins: MM. Benco, Dominici, Colard et Malvicini. Ensuite, le requérant a eu la
possibilité de présenter par écrit ses observations sur les preuves fournies.

Cette instruction orale a permis surtout de clarifier certains points restés obscurs jusqu'alors au sujet du comportement de M. Malvicini et, en particulier, de la manière suivant laquelle celui-ci a découvert les rubans relatifs aux expériences du requérant et des raisons pour lesquelles il s'est ensuite écoulé une période de six mois entre la date à laquelle ces rubans avaient été retrouvés et l'ampliation de l'accusation de falsification dans le mémorandum, déjà cité, d'octobre 1971.

Interrogé à ce propos pendant sa déposition, M. Malvicini a précisé qu'après avoir procédé, au cours de la première moitié du mois de mai, à la recherche et à la recomposition des divers morceaux de ruban relatifs aux expériences en question, après avoir analysé ce matériel et être parvenu aux conclusions dont nous avons déjà parlé, il en avait informé oralement son supérieur direct, le directeur général du Centre.

M. Guillot, hospitalisé pour cause d'intervention chirurgicale, était resté absent du travail pendant les mois de mai et juin. Le 24 juin, M. Malvicini, à la suite d'entretiens qu'il avait eus avec son supérieur direct et avec M. Biaise, un autre fonctionnaire scientifique, a décidé de demander à M. Guillot des précisions au sujet des expériences en question et ce dernier lui a répondu par note du 9 juillet, parvenue au bureau de M. Malvicini après le départ de celui-ci pour ses vacances d'été,
lesquelles ont duré tout le mois de juillet. A son retour, M. Guillot. était de nouveau absent, cette fois pour cause de vacances, de même que le directeur général. Ainsi n'est-ce que vers la fin du mois de septembre que M. Malvicini put demander au directeur général quelle était sa réaction au sujet de la question de la falsification de l'expérience de M. Guillot. Le directeur général demanda alors à M. Malvicini de préciser ses observations par écrit, ce que celui-ci fit dans son mémorandum du
21 octobre.

Dans ses observations sur les résultats de l'audition, le requérant n'a produit aucun élément susceptible de mettre en doute l'exactitude de cette description de la manière suivant laquelle se sont déroulés les faits.

D'autre part, l'instruction orale a enlevé toute justification à la contradiction dans laquelle s'était enfermé le requérant et elle en a fait apparaître d'autres qui, dans leur ensemble, affaiblissent sérieusement la crédibilité de l'intéressé.

Il a été établi tout d'abord que les 26 et 27 avril, jours précédant immédiatement la période au cours de laquelle M. Guillot. a effectué les expériences dont il s'agit, M. Malvicini avait effectué avec l'assistance de ses collaborateurs une expérience préliminaire du même genre qui s'était conclue par un résultat négatif, c'est-à-dire contraire à la démonstration du phénomène de dissolution gazeuse soutenue par le requérant Il résulte des dépositions des témoins que ce dernier était
parfaitement au courant de cette expérience et on ne comprend pas pourquoi il s'est obstiné à le nier. Ce n'est que dans les observations écrites présentées après l'audition des témoins que le requérant a admis pour la première fois avoir eu connaissance des préparatifs et des «essais» effectués par M. Malvicini les 26 et 27 avril 1971, tout en affirmant que ceux-ci ne sauraient être qualifiés d'expériences véritables en raison du fait que ce dernier aurait fait usage d'une pompe à main au lieu
de la pompe électrique utilisée ensuite par le requérant, laquelle garantissait une meilleure étanchéité.

En second lieu, le requérant a soutenu dans sa déposition que le xénon-131 utilisé par lui dans les exériences en question avait été préparé par lui-même dans l'établissement d'Ispra et mélangé ensuite au xénon-133 provenant du Centre de recherches de Mol. Or, dans l'«annexe technique» présentée conjointement avec le mémorandum du 7 mai 1971 au directeur général du Centre, il avait affirmé que le mélange de xénon-131 et de xénon-133 lui avait été fourni déjà préparé par le centre de Mol. Comme
l'a souligné M. Colard, si ce que le requérant a affirmé oralement était vrai, il eût été peu correct de sa part de n'en avoir pas parlé auparavant, étant donné que le fait d'avoir utilisé pour le mélange de deux gaz un autre type de xénon-131 qui aurait différé de celui fourni par le Centre de Mol par quelques caractéristiques importantes, aurait eu des répercussions inévitables sur la marche des expériences et, partant, sur l'appréciation des résultats de celles-ci. D'autre part, le témoignage
de M. Dominici semblerait confirmer ce qu'avait écrit précédemment le requérant dans le rapport que nous avons déjà cité, c'est-à-dire qu'il s'agissait exclusivement de gaz préparés au Centre de Mol.

Une autre contradiction peut être trouvée dans les affirmations de M. Guillot. relativement à la durée du «barbotage» des gaz effectué dans la matinée du jeudi 29 avril. Dans son rapport écrit, celui-ci avait indiqué que cette durée était de 10 à 15 minutes; or, il a affirmé oralement avoir effectué cette opération pendant environ une heure. Il est à noter qu'il est important de déterminer avec précision cette durée pour pouvoir calculer exactement les résultats de l'expérience.

En ce qui concerne ensuite le coefficient correcteur qui aurait été utilisé en vue de compenser l'effet perturbateur du déplacement accidentel d'un flacon, le requérant a affirmé dans son rapport manuscrit à M. Malvicini avoir appliqué ce coefficient (exprimé par un nombre de quatre chiffres, déterminé, à ce qu'il paraît, en fonction du rétablissment de l'allure de la courbe par correspondance avec celle du jour précédent) aux résultats relatifs au xénon-131 et non, par contre, à ceux du
xénon-133. Dans le rapport qu'il a adressé ensuite au dircteur général, il a écrit avoir appliqué le coefficient correcteur aux deux gaz en en annulant par là toute signification, comme lui-même a dû le reconnaître ensuite en réponse à une question qui lui était adressée durant sa déposition par le juge rapporteur.

Toujours à propos de ce coefficient correcteur, le témoin M. Colard a confirmé ce qui avait déjà été souligné dans le «rapport Boulenger», à savoir que M. Guillot aurait également appliqué le même coefficient aux mesures précédant les six dernières.

Cela porterait à présumer que l'assertion de M. Guillot relativement à l'inclinaison du flacon ne correspond pas à la vérité. Il est bien possible que le requérant ait inventé ce prétendu incident du flacon pour répondre aux critiques de M. Malvicini qui portaient seulement sur les six dernières mesures (c'est-à-dire celles relativement auxquelles M. Malvicini, au moment de son entretien du 3 mai 1971 avec M. Guillot, avait découvert les rubans de la calculatrice Olivetti et auxquelles il avait
donc limité ses observations au début).

Cette hypothése se trouve encore renforcée par le fait, désormais établi, que M. Guillot n'avait fait état dans son premier rapport à M. Malvicini d'aucun incident survenu dans le cours de l'expérience ni de corrections des données fournies par l'analyseur qu'il aurait été amené à effectuer.

Le témoignage de M. Dominici, qui a assisté à la rencontre de la matinée du lundi 3 mai 1971 entre M. Malvicini et M. Guillot, au cours de laquelle celui-ci s'est vu reprocher le fait que les données de son rapport écrit relatives au xénon 131 et celles figurant sur le ruban de la calculatrice que M. Malvicini avait pu découvrir deux journées avant ne correspondaient pas, confirme l'assertion de M. Malvicini selon laquelle M. Guillot l'avait mis au courant de ce qu'il avait corrigé des données
fournies par l'imprimante automatique pour un des deux gaz seulement, après y avoir été contraint à la suite des critiques de M. Malvicini.

Conscient de l'ambiguïté d'un tel comportement, le requérant a soutenu déjà dans sa note du 9 juillet 1971 au directeur général et ensuite durant tout ce procès, avoir informé M. Malvicini oralement et spontanément, dès le 30 avril 1971, dernier jour des expériences en question, de la «correction» des résultats qu'il avait opérée. Mais, face au témoignage de M. Dominici sur la manière suivant laquelle s'est déroulé l'entretien de la matinée du 3 mai, il est difficile de prêter foi à une telle
assertion du requérant

De même, sur la question de la manière suivant laquelle, dans le calcul des résultats, M. Guillot a obvié au défaut du mécanisme de l'imprimante relativement à la colonne des unités, les déclarations du requérant font apparaître un manque de clarté et de cohérence. Il a affirmé, en effet, avoir remplacé parfois le chiffre manquant par un 1, d'autres fois par un 9, sans expliquer d'autre part sur la base de quels critères de fréquence il a choisi tantôt l'un tantôt l'autre chiffre. D'autre part,
si l'on se base sur les rubans non contestés et sur les chiffres rapportés par M. Guillot dans son rapport, il y a lieu de considérer que celui-ci a constamment remplacé le chiffre manquant par la valeur moyenne 5.

Enfin, nous voudrions souligner le fait qu'au cours de sa déposition, Te requérant a admis pour la première fois qu'il estimait qu'une partie des annotations manuscrites consistant en chiffres et en mots, figurant sur les rubans de l'imprimante automatique relatifs à des mesures comprises entre les nos 37 et 41, pouvaient être de sa main.

Cet aveu affaiblit beaucoup la position entièrement négative qu'il avait adoptée précédemment.

En conclusion, le fait qu'en tentant de démontrer la non-crédibilité des rapports des experts présentés par la Commission, le requérant se soit empêtré dans ce réseau d'inexactitudes, de contradictions et d'incohérence, est révélateur de la faiblesse de sa position. A notre avis, l'ensemble des éléments qui ont été discutés ne font qu'augmenter la valeur des constatations et des avis techniques contenus dans les rapports produits par la Commission et, en particulier, dans les rapports établis de
manière indépendante par les experts du Centre de Mol et par la commission d'enquête administrative. D'autre part, nous avons déja eu l'occasion de souligner que, pour rejeter le recours, il est nécessaire et suffisant d'établir que le comportement du requérant a été tel qu'il justifiait les accusations portées contre lui par son supérieur direct et que, partant, la Commission n'a commis aucune illégalité en refusant de désavouer M. Malvicini. Nous croyons que cette preuve peut être considérée
comme ayant été faite.

12. Les considérations que nous avons développées jusqu'ici nous portent à croire que la thèse de M. Guillot, selon laquelle la Commission aurait violé à son détriment l'article 24 du statut des fonctionnaires, mérite d'être rejetée. Quant à l'article 26, nous avons déjà eu l'occasion de préciser que celui-ci a été violé sans aucun doute par la Commission, mais la circonstance que celle-ci a procédé entretemps au retrait du mémorandum Malvicini du 21 octobre 1971 du dossier personnel du requérant, a
privé d'objet la demande de ce dernier tendant à obtenir précisément que le document soit retiré de son dossier.

Nous proposons donc à la Cour de rejeter comme non fondée la demande du requérant tendant à obtenir l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence opposé par la Commission à la réclamation introduite par le requérant le 26 novembre 1973.

La demande tendant à faire condamner la Commission à la réparation du préjudice qu'aurait subi le requérant du fait du refus de celle-ci de démentir les accusations contenues dans le mémorandum Malvicini du 21 octobre 1971doit être également rejetée comme non fondée, en raison du caractère légitime de ce refus. Le même sort doit être réservé à la demande en restitution des documents relatifs aux expériences scientifiques faites par le requérant, étant donné que ces documents n'appartiennent pas à ce
dernier, puisqu'il s'agit, ainsi que nous l'avons déjà noté, d'expériences effectuées dans la cadre du Centre d'Ispra et avec les moyens dont dispose ce Centre. Le recours étant non fondé pour l'essentiel, nous proposons que chacune des parties supporte ses propres dépens, conformément aux dispositions de l'article 70 du règlement de procédure relatif aux recours des fonctionnaires de la Communauté.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 43-74
Date de la décision : 12/05/1977
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Pierre Guillot
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Capotorti
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1977:78

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