La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/03/1977 | CJUE | N°31-76

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 30 mars 1977., Margherita Macevicius, épouse Hebrant contre Parlement européen., 30/03/1977, 31-76


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 30 MARS 1977

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le présent recours, introduit par Mme Hebrant, née Macevicius, contre le Parlement européen le 24 mars 1976 est la conséquence logique et d'ailleurs prévisible d'un premier litige entre les mêmes parties, tranché par la deuxième chambre de la Cour l'année dernière.

La requérante, fonctionnaire de grade A 4, était bibliothécaire à la direction générale de la recherche et de la documentation, dirigée, dep

uis 1973, par un fonctionnaire britannique ayant le titre de directeur général, M. Taylor, sur la pro...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 30 MARS 1977

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le présent recours, introduit par Mme Hebrant, née Macevicius, contre le Parlement européen le 24 mars 1976 est la conséquence logique et d'ailleurs prévisible d'un premier litige entre les mêmes parties, tranché par la deuxième chambre de la Cour l'année dernière.

La requérante, fonctionnaire de grade A 4, était bibliothécaire à la direction générale de la recherche et de la documentation, dirigée, depuis 1973, par un fonctionnaire britannique ayant le titre de directeur général, M. Taylor, sur la proposition duquel le bureau du Parlement décida, en septembre 1974, de mettre en œuvre une importante réforme de la bibliothèque de cette institution. Cette réforme consistait notamment à introduire, à côté du système analytique jusqu'alors exclusivement employé
pour l'établissement du catalogue, une classification décimale des ouvrages, articles de revues et autres documents possédés ou acquis par la bibliothèque parlementaire.

Hostile à cette réforme, qu'elle jugeait inopportune et inutile, Mme Hebrant, qui se considérait comme seule responsable de l'établissement et du contrôle du catalogue, fut écartée de la tâche de réorganisation de la bibliothèque.

Cette tâche fut confiée à un groupe de travail présidé par un fonctionnaire de nationalité britannique, M. Reid, recruté, comme agent temporaire, au grade A 5 au début de l'année 1974. Le groupe comportait en outre quatre agents de grade également inférieur à celui de la requérante.

Celle-ci accueillit fort mal cette décision qui lui apparut comme de nature à la priver de ses attributions antérieures et forma, le 22 décembre 1974, une réclamation précontentieuse tendant au retrait de la nomination de M. Reid. Le président du Parlement ayant explicitement rejeté cette réclamation, Mme Hebrant introduisit un premier recours (affaire 66-75) tendant non seulement à l'annulation de la désignation de M. Reid, mais aussi à la constatation que le Parlement aurait commis une faute en
refusant de prendre en considération sa réclamation.

Par arrêt du 20 mai 1976, la deuxième chambre, tout en admettant la recevabilité du recours dirigé contre un «acte relevant du pouvoir d'organisation interne de l'institution défenderesse en tant que cet acte était de nature», comme le soutenait la requérante, «à porter atteinte aux droits qu'elle tient des articles 5 et 7 du statut des fonctionnaires en ce qu'il aurait pour conséquence de priver celle-ci des fonctions correspondant à son emploi et à son grade», a rejeté le recours au motif «qu'il
résulte de l'ensemble des éléments (du dossier) postérieurs à la désignation de M. Reid comme réorganisateur de la bibliothèque que rien ne permet d'affirmer que cet acte ait conduit à réduire l'activité de la requérante à des attributions restant en deçà de celles qui correspondent à celles d'un administrateur principal classé au grade A 4».

Dans les conclusions que nous avons prononcées sur cette affaire, nous avions relevé qu'aucun rapport de notation pour les années 1973-1974 ne figurait, à l'époque, au dossier personnel de Mme Hebrant. C'est seulement, en effet, en réponse à certaines questions posées par la Cour que le Parlement a fini par produire ce rapport de notation non encore contresigné à l'époque par le secrétaire général de cette institution.

C'est à l'annulation de ce rapport de notation et à son retrait du dossier de la requérante que tend le présent recours, par lequel Mme Hebrant demande également la condamnation du Parlement européen au paiement d'un franc symbolique de dommages-intérêts à raison du préjudice moral qu'elle estime avoir éprouvé du fait des appréciations particulièrement sévères que comporte sa notation.

En vérité, la requérante avait eu connaissance, au plus tard le 24 avril 1975, de ce projet de notation établi par l'autorité compétente, à savoir par son directeur général, M. Taylor. Elle avait été invitée à signer ce rapport en y joignant, le cas échéant, ses observations et à le renvoyer au directeur responsable de la notation.

Ce projet comportait, en ce qui concerne la «compétence», l'appréciation «bon», note moyenne. En revanche, tant pour le «rendement» que pour la «conduite dans le service», la requérante était jugée insuffisante. Ces appréciations étaient motivées par les considérations suivantes:

— la requérante aurait manqué, dans son travail, du sens de la responsabilité et, sous certains aspects, ce travail aurait été inadéquat;

— son comportement dans le service aurait témoigné d'une insuffisante bonne volonté de coopérer avec ses collègues.

Ces critiques sont reprises et résumées dans l'appréciation de synthèse qui clôt le rapport. Il y est reproché à Mme Hebrant de continuer à faire défaut du sens de la responsabilité que l'on doit normalement attendre d'un fonctionnaire de son ancienneté et de faire preuve d'une politique de non-coopération. Cette attitude serait d'autant plus regrettable que l'intéressée serait clairement capable d'un travail valable.

Cette notation, très défavorable puisque le terme «insuffisant» appliqué tant au rendement qu'à la conduite dans le service correspond à l'appréciation la plus stricte dans l'échelle de notation, confirme la dégradation progressive mais très perceptible dont témoigne le jugement de l'autorité compétente sur la valeur professionnelle de Mme Hebrant.

Il convient de se reporter au rapport de notation pour les années 1971-1972 qui admettait une compétence «bonne» de la requérante, mais relevait déjà que le rendement n'était que «assez bon», et l'opinion du notateur était synthétisée par l'appréciation suivante:

«Mme Hebrant a continué à fournir un certain nombre de prestations qui ne manquent pas de valeur, mais ne répondent pas suffisamment à ce que l'on peut attendre du responsable direct de la bibliothèque».

L'insuffisance du travail de la requérante était donc déjà exprimée, encore que dans des termes plus indulgents que dans la notation des deux années suivantes.

Mme Hebrant n'a pas manqué d'imputer à l'animosité personnelle dont son nouveau directeur, M. Taylor, aurait été animé à son encontre la rigueur de sa dernière notation.

Après avoir consigné, dans un «commentaire des appréciations portées par M. Taylor» et dans une «note sur le rapport de notation», ses observations qui imputent au directeur général, qualifie de profane en matière de gestion de bibliothèque, l'intention d'évincer la requérante de son emploi en vue d'y placer un compatriote dépourvu, aux dires de Mme Hebrant, de toute compétence professionnelle, la requérante n'a pas manqué de présenter, le 7 octobre 1975, conformément à l'article 90 du statut, une
réclamation au président du Parlement.

C'est contre le rejet implicite résultant du silence gardé par celui-ci qu'elle s'est pourvue devant la Cour.

Ce litige, Messieurs, est comparable à celui que vous avez tranché le 25 novembre 1976 à propos de l'affaire 122-75, Berthold Küster/Parlement européen.

Il pose, en premier lieu, des questions de recevabilité soulevées in limine par l'institution défenderesse et tenant, d'une part, à la nature de l'acte attaqué, d'autre part, à la tardiveté de la réclamation précontentieuse présentée par Mme Hebrant.

Le Parlement a tout d'abord soutenu que les rapports de notation bisannuels, dont l'établissement est prévu par l'article 43 du statut, ne peuvent faire l'objet d'un recours en annulation; il s'agirait, en effet, d'actes purement préparatoires qui ne constituent qu'un élément d'appréciation pour les décisions à prendre au sujet de la carrière des fonctionnaires et qui, par conséquent, ne feraient pas directement grief à ceux-ci.

Le droit de réclamation des fonctionnaires à l'encontre de leur rapport de notation serait épuisé par l'usage de la faculté qui leur est ouverte de présenter des observations sur les appréciations contenues dans ledit rapport.

Cette argumentation a été condamnée par votre jurisprudence Küster; qui reflète d'ailleurs la position déjà prise par les juridictions aministratives de plusieurs des États membres en la matière.

En France, le Conseil d'État avait d'abord considéré que les rapports de notation ne pouvaient faire l'objet d'un recours contentieux en annulation parce que constituant des mesures d'ordre intérieur (arrêt de Meyer, 1er décembre 1950 — Lebon, p. 594) ou, à partir de 1953, des mesures préparatoires dont les vices ne pouvaient être invoqués qu'à l'appui de recours dirigés contre des décisions concernant la carrière et prises au vu des notes elles-mêmes (arrêt Martin du 20 mars 1953, Lebon, p. 140).

Mais, revenant sur cette jurisprudence, la haute juridiction administrative admet, depuis l'arrêt de principe Camara (section du contentieux, 23 novembre 1962, Lebon, p. 627) confirmé par l'arrêt Vanesse (22 novembre 1963, Lebon, p. 577) que «les notes et appréciations dont les fonctionnaires sont l'objet de la part de l'autorité hiérarchique sont au nombre des actes susceptibles d'être déférés à la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir».

En Italie, l'article 54 du statut des fonctionnaires ouvre à ceux-ci un recours hiérarchique contre les rapports annuels de notation, devant le «conseil de l'administration» qui dispose d'un très large pouvoir de révision des notes et peut censurer, même d'office, les irrégularités diverses dont les rapports de notation seraient entachés. Quant au recours juridictionnel, ouvert devant le Conseil d'État, il ne peut porter que sur la légalité de la notation, mais le juge administratif peut, en cas
d'excès de pouvoir, contrôler l'appréciation donnée par l'administration sur le comportement professionnel du fonctionnaire.

En droit allemand, selon la jurisprudence du Bundesverwaltungsgericht, si les rapports de notation ne peuvent, en eux-mêmes, faire l'objet d'un recours direct en annulation (arrêt du 9 novembre 1967, vol. 88, p. 191), en revanche, la décision de l'autorité hiérarchique relative à une demande de révision ou de modification d'un rapport de notation peut être attaquée devant le juge administratif.

En droit belge, un recours en révision des appréciations portées dans ce que le statut définit comme «le signalement du fonctionnaire», notion équivalant à celle de rapport de notation, est ouvert aux intéressés devant une chambre de révision départementale ou interdépartementale, et le recours en annulation devant le Conseil d'État est alors recevable contre la décision du ministre statuant après avis de la chambre de révision compétente.

Système tout à fait différent, le droit du Royaume-Uni considère les notes des «civil servants» britanniques comme des mesures d'ordre purement intérieur contre lesquelles aucun recours n'est possible. Il n'existe donc pas de jurisprudence sur ce sujet.

Quant aux fonctionnaires des Communautés, vous avez, suivant en cela les conclusions de l'avocat général, Gerhard Reischl, admis la recevabilité des recours en annulation dirigés contre les rapports de notation bisannuels visés à l'article 43 du statut, actes qu'au sein des institutions les autorités chargées du pouvoir de notation doivent effectivement mettre à exécution, qui sont donc obligatoires pour ces autorités et qui revêtent une importance certaine et même évidente pour l'évolution de la
carrière des fonctionnaires, notamment en vue des promotions éventuelles ou lors de la participation à des concours au sens de l'article 29 du statut.

Nous nous rallions d'autant plus volontiers à cette solution qu'elle correspond à l'état de droit le plus évolué dans les États membres.

Une seconde exception d'irrecevabilité, opposée par le Parlement, est fondée sur la forclusion qui serait opposable à la requérante du fait qu'ayant reçu notification du rapport de notation pour les années 1973-1974, au plus tard le 24 avril 1975, celle-ci n'a introduit sa réclamation précontentieuse que le 7 octobre suivant, c'est-à-dire après l'expiration du délai de trois mois imposé par l'article 90, paragraphe 2, du statut.

Le recours lui-même serait dès lors tardif et, ne satisfaisant pas aux exigences de l'article 91, paragraphe 2, serait par suite irrecevable.

Mais, cette seconde exception ne peut être que rejetée.

Par le même arrêt Küster, vous avez en effet jugé qu'un rapport de notation ne devient définitif qu'après qu'il a été contresigné, pour visa, par le secrétaire général du Parlement, en vertu de l'article 2, dernier alinéa, des dispositions générales adoptées par cette institution en exécution de l'article 43 du statut (documentation parlementaire 16808 — note de service no 66/19 du 21 décembre 1966).

Dès lors, le recours contentieux introduit le 24 mars 1976 ne pourrait être regardé comme tardif. Il est constant, cependant, que le rapport de notation litigieux n'a été visé par le secrétaire général que le 19 octobre 1976.

Devrait-il dès lors être déclaré prématuré?

Nous ne le pensons pas. L'institution défenderesse ne va d'ailleurs pas jusqu'à soutenir ce point de vue. Au surplus, elle a pris position dans son mémoire en défense sur le bien-fondé du recours et ainsi lié le contentieux devant vous.

Le rapport de notation, devenu définitif et opposable à la requérante depuis l'apposition du visa du secrétaire général, est donc susceptible d'un recours en annulation.

Nous pouvons maintenant aborder le fond du litige et nous le ferons en vous proposant d'ailleurs une alternative:

— ou bien, après examen des moyens invoqués par Mme Hebrant sur le fond, nous serons conduit à vous proposer le rejet du recours, compte tenu des limites étroites dans lesquelles s'inscrit, à notre avis, votre pouvoir de contrôle juridictionnel en matière de notation;

— ou bien nous serons porté à vous suggérer que le retard considérable et, à notre sens, injustifiable et illégal avec lequel le secrétaire général du Parlement a visé le rapport litigieux constitue, en lui-même, une irrégularité substantielle qui entache de nullité toute la procédure de notation, telle qu'elle est prescrite par l'article 43 du statut et par la note de service du Parlement de 1966.

Voyons tout d'abord la première branche de l'alternative.

Suivant des principes communément admis par la plupart des législations et des jurisprudences nationales, vous avez exprimé, toujours dans l'arrêt Küster (affaire 122-75), que vous n'avez le pouvoir d'annuler un rapport de notation que dans le cas où son adoption est entachée de vices de forme ou de procédure substantiels, ou bien dans l'hypothèse où ledit rapport est fondé sur des faits manifestement inexacts, ou enfin si le dossier révèle l'existence d'un détournement de pouvoir.

Cette formule signifie que vous ne vous reconnaissez pas le pouvoir de substituer votre propre appréciation du comportement d'un fonctionnaire dans le service à celle des autorités administratives qualifiées pour exercer le pouvoir hiérarchique de notation ou pour contrôler le bien-fondé des éléments de cette notation.

Or, on retrouve dans la plupart des législations nationales une limitation analogue.

En Allemagne, le contrôle juridictionnel en la matière est restreint à la constatation des erreurs manifestes de fait, de la méconnaissance des règles générales d'appréciation et du détournement de pouvoir (Bundesverwaltungsgericht, arrêt du 13. 5. 1965, vol. 21, p. 127).

Cette jurisprudence restrictive s'explique par le caractère subjectif et personnel des appréciations des notateurs. C'est ainsi que le haut tribunal administratif écarte le moyen tiré de ce que, au cours des années, les appréciations portées sur un fonctionnaire auraient varié en raison de changements dans la personne du notateur.

De même, selon le Conseil d'État belge (arrêt Dubart du 27. 1. 1966 — Pasycrisie 1966, IV, p. 90), il n'appartient pas au juge administratif de se substituer dans l'appréciation des faits reprochés à un agent à l'autorité de notation; sa compétence se borne à vérifier si cette autorité a donné des textes applicables une interprétation compatible avec la portée que le législateur a entendu réserver à ces dispositions. En d'autres termes, seuls l'erreur de droit ou le motif juridiquement erroné
peuvent être censurés.

En France, le Conseil d'État se refuse à contrôler l'appréciation faite par le supérieur hiérarchique, c'est-à-dire l'autorité investie du pouvoir de notation, ainsi qu'il ressort d'un arrêt de section du 19 novembre 1971 (ministère de la santé/ Delle Bruguière, Lebon, p. 692). Il ne contrôle que les vices de forme ou de procédure, à condition que les formalités non respectées ou irrégulièrement effectuées soient substantielles (arrêt Vanesse, précité), l'inexactitude matérielle des faits sur
lesquels sont fondées les appréciations (arrêt Massoni, 4. 2. 1955, Lebor, p. 71), l'erreur manifeste de droit entachant le rapport de notation (arrêt Assemblée plénière Volff et Exertiers), et, enfin, le détournement de pouvoir, notamment l'influence sur la notation d'un mobile politique (arrêt Camara, précité).

Le droit public italien va dans le même sens, encore qu'il soit plus restrictif quant à l'admission des moyens invoqués à l'appui d'un recours en annulation pour excès de pouvoir.

Compte tenu des limites que vous-mêmes avez tracées à l'étendue de votre contrôle de juge de la légalité des rapports de notation, il nous paraît que les moyens du recours, quant au fond, ne sauraient être accueillis.

La requérante invoque le détournement de pouvoir en ce que le rapport de notation aurait été rédigé par la personne même contre laquelle elle avait déjà introduit sa réclamation précontentieuse dans la précédente affaire 66-75. Le notateur serait ainsi juge et partie. Ce moyen signifie que l'animosité personnelle qu'il aurait témoignée à la requérante en l'écartant de la réorganisation de la bibliothèque et en la confinant dans des attributions mineures, ou à tout le moins réduites par rapport à
celles qu'elle exerçait antérieurement, serait à la base du détournement de pouvoir.

Ce premier moyen doit être écarté. Le détournement de pouvoir doit ressortir clairement des pièces du dossier, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Qu'il y ait eu des frictions entre la requérante et son nouveau directeur général, M. Taylor, n'est pas contestable. Mais aucun élément déterminant ne permet, à notre avis, de démontrer que M. Taylor a saisi l'occasion que lui offrait la rédaction du rapport de notation de 1973-1974 pour exprimer une inimitié personnelle envers Mme Hebrant. Ses
appréciations sont, certes, rigoureuses, voire même d'une redoutable sévérité. Mais rien ne permet de présumer qu'il a agi dans le but d'accabler la requérante et de l'obliger à cesser ses fonctions à la bibliothèque dans le dessein de la remplacer par un de ses compatriotes.

Aussi bien l'examen des diverses pièces du dossier, et notamment des rapports de notation antérieurs, ainsi que les observations et interventions acides, voire déplaisantes de Mme Hebrant à l'égard de son chef, témoignent-elles, au contraire, que celle-ci a mis fort peu d'empressement, sinon même de la mauvaise volonté à se conformer aux instructions de service qui lui étaient données.

Dans la même optique, on ne saurait affirmer que les notes et appréciations dont elle a fait l'objet reposeraient sur des faits manifestement inexacts.

De l'ensemble du dossier se dégage, au contraire, l'impression que Mme Hebrant, se repliant sur elle-même, s'est cantonnée dans un comportement sciemment non coopératif.

Le second moyen invoqué a trait à la contradiction que manifesterait le rapport de notation concluant à l'insuffisance, sinon à l'incapacité de la requérante, par rapport au fait que des tâches importantes continuaient de lui être confiées.

Si contradiction il y a, c'est dans les positions successives de Mme Hebrant qui, à l'appui de son premier recours (affaire 66-75), soutenait que ses attributions avaient été réduites, qu'elle avait été, en pratique, évincée du contrôle de la gestion de la bibliothèque et qui, dans la présente affaire, admet qu'elle demeure chargée de tâches importantes.

Nous estimons, quant à nous, que le rapport ne recèle aucune erreur manifeste, de fait ou de droit, et qu'en tout état de cause vous n'avez ni le pouvoir, ni d'ailleurs les moyens, de substituer votre propre appréciation à celle de l'autorité chargée de la notation.

Mais, et c'est là le second terme de l'alternative, Mme Hebrant invoque le retard inhabituel et, à cet égard, sujet à caution avec lequel le secrétaire général du Parlement a apposé son visa sur son rapport de notation 1973-1974 qui, notifié en projet à la requérante en mars 1975, n'a été — c'est constant — visé par le secrétaire général qu'en octobre 1976, alors que la procédure était déjà engagée devant la Cour depuis six mois.

C'est sur ce terrain qu'une solution différente peut et même doit, à notre avis, être envisagée.

Vous avez relevé, en effet, non seulement l'importance que revêtent les rapports de notation bisannuels pour le déroulement de la carrière des fonctionnaires, mais le caractère obligatoire d'une notation périodique et régulière. Il est manifeste que, dans la mesure où c'est principalement sur la base de ces rapports que sont examinées les possibilités de promotion et d'accès aux concours internes, l'obligation imposée aux institutions par l'article 43 du statut de respecter cette périodicité est une
règle fondamentale dont la méconnaissance est de nature à vicier la procédure de notation, à porter atteinte aux droits des fonctionnaires et à exercer une influence défavorable sur l'évolution de leur carrière.

Or, le rapport en cause, qui couvre la période du 1er janvier 1973 au 31 décembre 1974, a été établi par le responsable de la notation le 19 mars 1975. Il aurait été transmis à la requérante le 20 mars 1975 et, en tout cas, au plus tard le 24 avril 1975. Dès cette date, celle-ci a fourni quatre pages d'observations sur la notation dont elle avait fait l'objet: or, ce n'est que le 19 octobre 1976, soit environ dix-huit mois après, que ce rapport est devenu définitif par l'apposition du visa du
secrétaire général.

On vous a exposé à la barre que ce retard s'expliquait par le soin avec lequel celui-ci avait traité de cette affaire «difficile» et par le fait que le responsable de la notation, qu'il désirait consulter, avait été empêche pendant un certain temps.

On peut retenir une autre explication de cette carence: ce rapport aurait pu fournir des arguments à la requérante dans son recours précédent, qui portait précisément sur la nature de ses fonctions et sur la dévalorisation de celles-ci. Or, ce rapport ne décrit pas les principales tâches effectuées par elle et, pour toute description des fonctions correspondant à l'emploi occupé, il ne contient que le simple mot «librarian».

Mais quelle que soit la nature de ces raisons, nous estimons que le retard avec lequel le rapport a été établi est tel qu'il lui enlève toute portée et que ce rapport ne saurait être opposé à la requérante. Comme le disait l'avocat général A. Dutheillet de Lamothe, «la notation annuelle ou bisannuelle et sa communication ne sont plus, permettez-nous l'expression, qu'une comédie, si ce n'est pas cette notation qui est prise en considération pour l'examen des titres de l'agent» (affaire 21-70,
Rittweger, Recueil 1971, p. 21, arrêt du 3. 2. 1971, Recueil p. 7). Par conséquent, il n'y aurait aucun sens à le refaire et il doit être considéré comme inexistant. Aussi bien, il devrait être prochainement remplacé par un nouveau rapport couvrant la période 1975-1976.

Dans ces conditions, et sans même que vous ayez à examiner le fond des griefs de la requérante et de donner suite à son offre de preuve, nous pensons que le Parlement européen a violé tant l'article 43 du statut que les prescriptions arrêtées par le Parlement lui-même dans la note de service no 66/19 du 21 décembre 1966. Le retard de 18 mois avec lequel le secrétaire général a visé — pour approbation — le rapport litigieux est, en lui-même, un vice substantiel affectant la légalité de la procédure
de notation.

Enfin, quant à la demande de réparation symbolique d'un franc de dommages-intérêts, elle devient sans objet si vous ordonnez que le rapport litigieux soit retiré du dossier personnel de la requérante.

Nous concluons à ce que:

— le rapport de notation pour les années 1973-1974 concernant Mme Hebrant-Macevicius soit déclaré nul,

— ce rapport soit retiré de son dossier personnel,

— le Parlement européen soit condamné aux dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 31-76
Date de la décision : 30/03/1977
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Margherita Macevicius, épouse Hebrant
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1977:56

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award