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14/12/1976 | CJUE | N°51-76

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 14 décembre 1976., Verbond van Nederlandse Ondernemingen contre Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen., 14/12/1976, 51-76


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 14 DÉCEMBRE 1976

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'article 99 du traité instituant la Communauté économique européenne a conféré à la Commission le pouvoir de proposer au Conseil les mesures nécessaires en vue d'harmoniser, dans l'intérêt du marché commun, les législations des différents États membres, relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires.

Par un avis du 3 juin 1964, elle a fait connaître les lignes générales selon lesquelles il convien

drait d'établir un système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Sur le fondement des articles 99 et 10...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 14 DÉCEMBRE 1976

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'article 99 du traité instituant la Communauté économique européenne a conféré à la Commission le pouvoir de proposer au Conseil les mesures nécessaires en vue d'harmoniser, dans l'intérêt du marché commun, les législations des différents États membres, relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires.

Par un avis du 3 juin 1964, elle a fait connaître les lignes générales selon lesquelles il conviendrait d'établir un système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Sur le fondement des articles 99 et 100 du traité, le Conseil a adopté, à cette fin, une série de directives.

La première, en date du 11 avril 1967, a fixé comme objectif final à atteindre l'élimination des systèmes de taxes cumulatives à cascade et l'adoption par tous les États membres d'un système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Il était cependant reconnu qu'il serait nécessaire de procéder par étapes, puisque l'harmonisation des taxes sur le chiffre d'affaires devait entraîner, dans les États membres, des modifications considérables de leur structure fiscale et aurait des conséquences sensibles
dans les domaines budgétaire, économique et social.

C'est pourquoi, dans une première phase, tout en prescrivant l'adoption par tous les États membre du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, on a renoncé à harmoniser les taux et les exonérations de cette taxe. Le terme ultime avant lequel les taxes sur le chiffre d'affaires devaient être remplacées par la taxe sur la valeur ajoutée communautaire était primitivement fixé au 1er janvier 1970: avant cette date, les États membres devaient avoir introduit, ainsi que le prescrit l'article 2, alinéa
1, qui reprend sur ce point les termes de l'avis émis en 1964 par la Commission, le principe de l'application d'un «impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition». Selon l'alinéa 2 du même article, à chaque stade de ce processus, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux
applicable à ce bien ou à ce service, était exigible, déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Les mesures concernant la structure et les modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ainsi retenu ont fait l'objet d'une seconde directive du Conseil du même jour. Le régime des déductions est organisé par son article 11, sur lequel nous reviendrons puisque son interprétation fait notamment l'objet de la demande de décision préjudicielle qui vous a été adressée par le «Hoge Raad» des Pays-Bas.

Il y a lieu de noter que le régime de la taxe sur la valeur ajoutée n'a pas pu être introduit avant le 1er janvier 1970 dans la République italienne et dans le royaume de Belgique. Pour cette raison, cette date a été remplacée par celle du 1er janvier 1972 (troisième directive du 9. 12. 1969), à l'exception encore de l'Italie qui a été autorisée à reporter la mise en application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée à une date qui, en définitive, a été fixée au 1er janvier 1973 (cinquième
directive du 4. 7. 1972).

En vue de se conformer aux deux premières directives, le royaume des Pays-Bas a adopté, le 28 juin 1968, une loi portant remplacement de l'impôt sur le chiffre d'affaires alors en vigueur par une taxe perçue suivant le système de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1969, a été ultérieurement complétée à différentes reprises et explicitée par toute une série d'«éclaircissements officiels».

L'Association des Entreprises néerlandaises (VNO) qui, entre autres, publie des périodiques et se livre à certaines activités pour le compte des entreprises qu'elle regroupe, a acquis, au cours des premiers mois de l'année 1972, une pince à poinçonner ou à percer ainsi que divers lots d'imprimés de convocation pour ses adhérents. VNO est, au sens de l'article 7 de la loi néerlandaise de 1968, un entrepreneur assujetti à la taxe sur le chiffre d'affaires frappant les livraisons de biens ou, plutôt
dans son cas, les prestations de services qu'il effectue à l'intérieur du Royaume au sens de l'article 1 de ladite loi.

Dans la déclaration fiscale qu'elle a souscrite, VNO a déduit intégralement la taxe sur la valeur ajoutée qui lui avait été portée en compte pour l'achat de ce matériel, au prorata du montant afférent aux opérations ouvrant droit à déduction au titre de l'utilisation de biens et services pour les besoins de l'entreprise et en se fondant sur deux dispositions de cette loi qu'il convient de citer.

Article 2:

«De la taxe due au titre des livraisons de biens et des prestations de services est déduite la taxe ayant frappé les livraisons de biens effectuées à l'entrepreneur, les services qui lui ont été rendus ainsi que les importations de biens qui lui sont destinées.»

Article 15, paragraphe 1 :

«La taxe visée à l'article 2, à déduire par l'entrepreneur, est:

a) la taxe qui, au cours de la période de déclaration, lui a été portée en compte sur une facture régulièrement établie par d'autres entrepreneurs à raison des livraisons qu'ils lui ont effectuées et des services qu'ils lui ont rendus …»

Ces dispositions ne font que mettre en œuvre les principes consacrés par les deux premières directives communautaires, tels qu'ils sont énoncés notamment à l'article 2 de la première directive et à l'article 11, paragraphes 1 et 3, de la deuxième directive (déduction totale et immédiate).

Toutefois, une exception est apportée à ce principe par l'article 45 du texte néerlandais, modifié successivement par la loi du 18 décembre 1969 et par la loi du 15 décembre 1971 avec effet au 1er janvier 1972. Aux termes de cette disposition (paragraphe 1):

«Par dérogation aux articles 2 et 15, il n'est accordé pour les biens destinés à être utilisés par l'entrepreneur comme moyens d'exploitation (bedrijfsmiddel) qu'une déduction de:

a) 30 % de la taxe, au cas où la livraison ou l'importation a lieu en 1969 ou en 1970;

b) 60 % de la taxe, au cas où la livraison ou l'importation a lieu en 1971;

c) 67 % de la taxe, au cas où la livraison ou l'importation a lieu en 1972».

Le législateur néerlandais a entendu ainsi faire usage de la faculté ouverte par l'article 17 de la deuxième directive qui dispose notamment:

«En vue du passage des systèmes actuels de taxes sur le chiffre d'affaires au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, les États membres ont la faculté:

3e tiret

— d'exclure, pour une certaine période transitoire, totalement ou partiellement, les biens d'investissement du régime des déductions prévu à l'article 11 …»

Se fondant sur l'article 45, paragraphe 1, de la loi nationale, l'inspecteur des droits d'entrée et accises, compétent en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n'a admis la déduction pratiquée par VNO qu'à concurrence de 67 % du prorata de la taxe acquittée par cette association lors de l'achat du matériel en cause. Il a émis, de ce fait, un avis de recouvrement rectificatif pour la différence, soit 96,67 florins.

VNO a attaqué cet avis de recouvrement devant la Tariefcommissie en se fondant sur l'article 11 de la seconde directive communautaire, relatif à la déduction totale et immédiate; mais cette juridiction a rejeté cette requête, motif pris de ce que la notion de «biens d'investissement» employée à l'article 17 était susceptible de faire l'objet d'une appréciation largement discrétionnaire du législateur national et de ce que cette disposition communautaire n'était donc pas «directement applicable».

L'affaire a fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le «Hoge Raad» et cette juridiction suprême a estimé qu'elle était tenue de vous saisir en interprétation.

Par la première question qu'elle vous soumet, elle vous demande si l'expression «biens d'investissement» figurant sous le troisième tiret de l'article 17 de la deuxième directive du Conseil, en date du 11 avril 1967, vise les biens dont le coût d'acquisition est non pas comptabilisé en tant que dépense courante, mais étalé sur plus d'un exercice, conformément aux principes en matière de comptabilité et de gestion des entreprises.

En cas de réponse négative, une deuxième question tend à savoir suivant quel autre critère un bien doit être considéré comme bien d'investissement au sens de la disposition en cause.

Enfin, par sa troisième question, le «Hoge Raad» vous demande si la règle de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par un assujetti pour les biens qui lui sont livrés, règle fixée par l'article 11 de la directive, a effet direct, en ce sens qu'elle conférerait aux contribuables un droit subjectif à déduction intégrale que le juge national serait tenu de sauvegarder, pour autant qu'il s'agisse de biens acquis en 1972, utilisés pour les besoins de l'entreprise, mais ne répondant pas
à la définition des biens d'investissement au sens de l'article 17 de la directive.

Permettez-nous, Messieurs, avant d'exposer notre point de vue sur le système retenu par la deuxième directive communautaire, de faire quelques observations préliminaires.

En réalité, pour trancher le litige au principal, c'est au juge national qu'il appartient de dire si le matériel acquis par VNO constitue un «moyen d'exploitation» au sens de la loi néerlandaise de 1968 et si un tel «moyen d'exploitation» entre dans la notion de «biens d'investissement» employée à l'article 17 de la deuxième directive. Il n'est pas de votre compétence, naturellement, de définir ce qu'il faut entendre par «moyen d'exploitation» au sens de législation nationale et encore moins de dire
si le matériel litigieux doit être qualifié comme tel au regard de celle-si. Il ne s'agit pas non plus, dans le cadre de la présente procédure, de se prononcer sur les mérites de la loi néerlandaise de 1968, mais d'interpréter la notion de «biens d'investissement» en fonction du but fixé par la directive, ce qui permettra au juge national de dire si son législateur a respecté ce but ou comment la loi nationale d'exécution doit être interprétée et appliquée pour qu'elle soit conforme à la directive.

Mais le montant de la somme réclamée par VNO ne doit pas faire illusion sur l'enjeu véritable de l'affaire. Il s'agit en effet, la requérante au principal ne s'en cache pas, d'un procès type dont la solution, si elle intervenait en sa faveur, obligerait le fisc néerlandais à reverser à un certain nombre d'entreprises des sommes considérables. Les objets litigieux ont été soigneusement choisis et amalgamés pour servir de «test». Ils sont intermédiaires entre les «moyens d'exploitation» qui, en raison
de leur faible valeur, sont comptabilisés comme dépenses courantes, et le matériel de bureau plus important (machine à écrire par exemple) dont la valeur d'usage est plus longue et qui peut, selon les pays et selon les époques, faire l'objet d'amortissements échelonnés sur plusieurs années.

En effet, dans les «éclaircissements» officiels relatifs à la réglementation transitoire adoptée aux Pays-Bas en ce qui concerne les «moyens d'exploitation» (éclaircissements publiés par circulaire en même temps que la loi), il est précisé que l'article 45 n'est pas applicable à ceux de ces «moyens» dont la contrevaleur (hors taxe sur le chiffre d'affaires) ne dépasse pas 50 florins par «unité en usage dans le commerce».

Les «éclaircissements» en question expliquent que de nombreux biens peuvent être achetés en principe «à la pièce» (stylo-billes, classeurs, perforatrices, etc.). Pour ces biens, un exemplaire peut être considéré comme l'«unité en usage dans le commerce». Tel serait le cas de la perçeuse acquise par VNO. Par contre, beaucoup d'autres articles ne peuvent être acquis qu'en quantités standard déterminées (agrafes, etc). Pour ces articles, il faut entendre par «unité en usage dans le commerce» la
quantité standard minimale qui est habituellement vendue. Enfin, lorsque des articles ne sont normalement pas vendus à la pièce et que l'on ne peut parler de quantité standard minimale en usage, il faut entendre par «unité en usage dans le commerce» la quantité minimale qu'un quelconque vendeur est disposé à fournir sans que la livraison d'une quantité plus petite entraîne une réduction supplémentaire du prix total. Si le prix de cette quantité minimale ne dépasse pas 50 florins, l'article 45 n'est
pas applicable, quelle que soit la quantité acquise en fait, et le prix payé par l'acquéreur (par exemple, à raison d'une commande en gros) n'est pas déterminant. Mais si, par exemple, une entreprise achète 10000 exemplaires d'un imprimé (facture) au prix de 45 florins par mille, alors que le prix de la quantité minimale que le vendeur est disposé à livrer (sans qu'il subisse une nouvelle réduction) s'élève â à 55 florins, la taxe facturée à cette occasion ne saurait être déduite pour sa totalité.
C'est, nous paraît-il, le traitement qui a été appliqué aux imprimés achetés par VNO.

Venons- en, à présent, à l'analyse des dispositions qui font l'objet de la demande de décision préjudicielle.

L'article 11, paragraphe 1, de la deuxième directive est, en quelque sorte, la clé du régime de la taxe sur la valeur ajoutée puisqu'il pose le principe de la déduction de la taxe supportée en amont par l'assujetti. Ce principe tend à éviter tout cumul d'impôts et à atteindre l'un des buts du système, à savoir la neutralité fiscale sur le plan de la concurrence.

C'est pourquoi le régime des déductions revêt la portée la plus large.

Selon l'article 11, paragraphe 1, la déduction est, en principe, admise pour:

a) la taxe sur la valeur ajoutée facturée tant pour les biens livrés à l'assujetti que pour les services qui lui sont rendus,

b) la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour les biens importés par l'assujetti,

c) enfin, la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour l'utilisation, par l'assujetti, pour les besoins de son entreprise d'un bien produit ou extrait par lui-même ou par un tiers pour son compte.

La seule condition du droit à déduction est que les biens et services soient effectivement destinés à être utilisés pour les besoins de l'entreprise, les États membres ayant la faculté, en vertu du paragraphe 4 de l'article 11, d'exclure du régime des déductions les biens et services qui, acquis ou rendus pour les besoins de l'entreprise, sont par leur nature «susceptibles d'être exclusivement ou partiellement utilisés pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel».

En second lieu, le paragraphe 3 du même article retient clairement le principe de ladéduction immédiate. L'assujetti est autorisé à déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable pour une période déterminée là taxe qu'il a lui-même acquittée au cours de cette même période sur la valeur des biens acquis par lui ou des services qui lui ont été rendus.

Cette solution est, en principe, également applicable aux biens d'investissement dans le régime commun définitif de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, une première dérogation y est apportée, pour cette catégorie de biens, par le paragraphe 23 de l'annexe A jointe à la directive qui autorise les États membres, dans la mesure où des «raisons conjoncturelles» le justifient:

— soit à exclure partiellement ou totalement ces biens d'investissement du régime des déductions,

— soit a leur appliquer des déductions «prorata temporis», c'est-à-dire par fractions annuelles.

Mais le problème soulevé par les biens d'investissement se posait également à titre transitoire, en considération du passage des anciens systèmes de taxe sur le chiffre d'affaires au régime commun de la taxe sur la valeur ajoutée, et l'on conçoit qu'à cet égard la deuxième directive ait accordé aux États membres la faculté de prévoir des dérogations au principe de la déduction pour les biens de cette nature. Ces dérogations consistaient, selon l'article 17:

— soit à leur appliquer, pendant une certaine période transitoire, la méthode des déductions par fractions annuelles, c'est-à-dire des déductions «prorata temporis» (deuxième tiret),

— soit a exclure, totalement ou partiellement, ces biens d'investissement du régime normal des déductions (troisième tiret).

C'est de cette deuxième faculté que le législateur néerlandais aurait fait usage pour les biens destinés à être utilisés par les assujettis comme moyens d'exploitation.

Ainsi, bien que la deuxième directive emploie, à plusieurs reprises, l'expression «biens d'investissement», elle n'en donne aucune définition précise.

Faudrait-il en conclure, comme l'a fait la Tariefcommissie, que la notion est vague, a un sens si peu défini qu'il appartenait aux États membres chargés de mettre en œuvre la directive en termes de droit national d'en définir eux-mêmes le contenu? Ceux-ci auraient ainsi disposé d'un pouvoir discrétionnaire pour en déterminer le champ d'application.

Nous ne le pensons pas. Si l'autonomie dont jouissent les États membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée demeure complète, par exemple dans la fixation des taux de la taxe, ils ne peuvent agir, dans les domaines où ils ont la possibilité d'introduire des dérogations ou la faculté d'appliquer certaines dispositions transitoires, comme celles que prévoient l'article 17, tirets 2 et 3, que dans le cadre et selon les prescriptions de la directive.

Il s'agit donc, pour nous, de tenter de dégager de l'ensemble des dispositions traitant des biens d'investissement les éléments, sinon une définition précise qui fait défaut, du moins des critères généraux applicables à cette expression.

A cet égard, il nous paraît qu'une première considération peut être retenue.

Elle tient à ce que, contrairement aux biens qui entrent directement dans le circuit de production, tels les matières ou les produits semi-ouvrés incorporés dans les produits vendus, les biens d'investissement, certes utilises pour les besoins de l'entreprise, ne sont pas directement intégrés dans le circuit de production et de commercialisation. Il s'agit de biens dont l'utilisation a un caractère durable et répété.

La conséquence de ces caractéristiques des biens d'investissement est qu'ils font, en règle générale, l'objet d'un amortissement.

Or, c'est bien cette notion d'amortissement que l'on retrouve, liée à celle de biens d'investissement, dans plusieurs dispositions de la deuxième directive du 11 avril 1967.

En vertu du paragraphe 2 de l'article 11, la déduction n'est pas autorisée en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens utilisés pour effectuer des opérations non imposables ou exonérées. Or, un même assujetti peut avoir effectué tant des opérations ouvrant droit à déduction que d'autres n'y donnant pas droit. Dans un tel cas, la directive impose l'application de la règle dite du «prorata», la déduction n'étant admise que pour la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée
qui est proportionnelle au montant des opérations ouvrant droit à déduction par rapport à l'ensemble des opérations imposées:

Le paragraphe 3 du même article prévoit, en cette hypothèse de déduction partielle, que le montant de la déduction est provisoirement déterminé selon des critères établis par chaque État membre, sous réserve de régularisation qui doit intervenir en fin d'année lorsque tous les éléments nécessaires en vue de calculer le prorata sont connus.

Dans la même hypothèse, un régime particulier est organisé par l'article 3, alinéa 3, en ce qui concerne les biens d'investissement.

Il est précisé que la régularisation est opérée en fonction des variations du prorata intervenues au cours d'une période de cinq années, à partir de l'année au cours de laquelle lesdits biens ont été acquis; ainsi la régularisation ne porte, chaque année, que sur un cinquième de la taxe ayant grevé les biens d'investissement.

Cet étalement forfaitaire sur cinq ans ne peut s'expliquer que par le caractère durable de l'utilisation des biens d'investissement.

C'est dans le même sens que doit être interprétée la faculté conférée aux États membres d'appliquer, soit à titre transitoire (article 17, deuxième tiret), soit à titre permanent, pour des raisons conjoncturelles (point 23 de l'annexe A de la deuxième directive), aux biens d'investissement la méthode de la déduction par fractions annuelles.

Le recours ainsi ouvert à la déduction «prorata temporis» induit encore à penser que les biens d'investissement sont l'objet d'un amortissement qui couvre plusieurs exercices.

Enfin, dans le cadre des mesures transitoires destinées à éviter les cumuls possibles d'impôts résultant du passage des anciens régimes de taxes sur le chiffre d'affaires à celui de la taxe sur la valeur ajoutée, l'article 17, 4e tiret, autorise, exceptionnellement, des déductions forfaitaires de la taxe sur le chiffre d'affaires perçue antérieurement à la mise en application du nouveau système, notamment pour les biens d'investissement non encore amortis.

Nous pensons que la notion de biens d'investissement constitue en quelque sorte la transposition, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, de la nation de «biens amortissables» reconnue dans le domaine de l'impôt direct sur le revenu des entreprises.

C'est donc bien le critère de l'amortissement qui permet de qualifier un bien d'investissement au sens de l'article 17.

Il en va différemment des biens dont le coût d'acquisition est passé par frais généraux, dont la valeur n'est pas inscrite à l'actif du bilan et pour lesquels, par conséquent, aucun amortissement étalé sur plusieurs années n'est prévu, selon la méthode la plus généralement employée dans la gestion des entreprises.

Il nous paraît inutile, dans ces conditions, de répondre à la seconde question qui vous est posée par la Cour de cassation des Pays-Bas.

Quant à la troisième question, elle doit, à notre avis, recevoir une réponse affirmative.

Cette question est en effet précisément circonscrite par le juge national qui vous demande si la règle de déduction intégrale posée par l'article 11 de la directive est directement applicable «pour autant qu'il s'agisse de biens acquis en 1972, qui seront utilisés pour les besoins de l'entreprise, mais ne constituant pas, toutefois, des biens d'investissement au sens de l'article 17 et sans égard à l'usage qu'a fait le législateur néerlandais des pouvoirs définis auxdits articles 11 et 17».

Comme nous l'avons dit, le principe de la déduction intégrale de la taxe acquittée en amont sur les biens destinés à être utilisés pour les besoins de l'entreprise est la clé du système de la taxe commune sur la valeur ajoutée.

Cette règle est non seulement contraignante pour les États membres, et en tout cas depuis le 1er janvier 1972 pour les Pays-Bas. Elle est clairement exprimée en des termes qui ne prêtent à aucune ambiguïté.

Elle n'est assortie d'aucune condition autre que celle qui tient à l'affectation des biens acquis aux besoins de l'entreprise.

Les seules exceptions qui lui sont apportées par les paragraphes 2 et 4 de l'article 11 sont nettement délimitées et ne peuvent affecter son effet direct.

Ces exceptions concernent, en effet, soit le cas dans lequel les biens sont utilisés pour effectuer des opérations non imposables ou exonérées (paragraphe 2), ce qui implique nécessairement l'absence de déduction, soit l'hypothèse dans laquelle fait défaut la condition tenant à l'affectation des biens acquis aux besoins de l'entreprise (paragraphe 4); c'est la disposition qui vise l'utilisation de certains biens pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel.

De telles dispositions ne portent pas atteinte au droit qu'ont les assujettis de se prévaloir du principe posé par le paragraphe 1 de l'article 11 qui ne confère aux autorités nationales aucun pouvoir d'appréciation. Il leur impose, au contraire, une obligation de résultat qui consiste dans la mise en œuvre d'un système non cumulatif de taxes sur le chiffre d'affaires.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

1) qu'au sens de l'article 17, 3e tiret, de la deuxième directive du Conseil 67/228/CEE du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, l'expression «biens d'investissement» concerne des biens d'utilisation durable dont le coût d'acquisition est l'objet d'un amortissement étalé sur plusieurs années;

2) que, dans la mesure où il s'agit de biens utilisés pour les besoins de l'entreprise, autres que des biens d'investissement, l'article 11, paragraphe 1, lettre a, de ladite directive est une disposition qui engende en faveur des assujettis des droits que ceux-ci peuvent faire valoir en justice dans un État membre et que les juridictions nationales doivent sauvegarder.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 51-76
Date de la décision : 14/12/1976
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas.

Biens d'investissement.

Fiscalité

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : Verbond van Nederlandse Ondernemingen
Défendeurs : Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Sørensen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1976:179

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