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26/06/1975 | CJUE | N°50-74

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 26 juin 1975., Friedrich Asmussen et autres contre Commission et Conseil des Communautés européennes., 26/06/1975, 50-74


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 26 JUIN 1975

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le Centre commun de recherches nucléaires, qui exerce ses activités dans quatre établissements distincts, dispose d'un personnel qu'il convient de répartir, pour l'essentiel, en trois catégories différentes :

— les fonctionnaires, qui occupent des emplois permanents dans lesquels ils sont nommés par décision unilatérale de l'institution et se trouvent dans une situation statutaire et r

glementaire; leurs droits et obligations sont régis par le statut; leur rémunération est fixée...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 26 JUIN 1975

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le Centre commun de recherches nucléaires, qui exerce ses activités dans quatre établissements distincts, dispose d'un personnel qu'il convient de répartir, pour l'essentiel, en trois catégories différentes :

— les fonctionnaires, qui occupent des emplois permanents dans lesquels ils sont nommés par décision unilatérale de l'institution et se trouvent dans une situation statutaire et réglementaire; leurs droits et obligations sont régis par le statut; leur rémunération est fixée conformément aux articles 62 à 70 de ce texte :

— les agents d'établissement qui occupent, eux aussi, des emplois permanents inscrits au budget du Centre commun de recherches nucléaires, mais qui sont dans une situation contractuelle.

Bien que les dispositions des articles 11 à 26 du statut, concernant les droits et obligations des fonctionnaires, leur soient applicables par analogie, leurs conditions de rémunération sont fixées par le Conseil, pour chaque lieu d'affectation, en fonction des usages locaux, ainsi qu'il ressort de l'article 94 du régime applicable aux autres agents ;

— les agents locaux, enfin, dont les emplois ne sont pas prévus au tableau des effectifs budgétaires et qui sont rémunérés sur des crédits globaux ouverts au budget; leurs conditions de rémunération sont fixées, en vertu de l'article 79 du régime applicable aux autres agents, par chaque institution, sur la base de la réglementation et des usages existant au lieu où ils sont appelés à exercer leurs fonctions.

Ainsi, tandis que la rémunération des fonctionnaires affectés dans les centres de recherches est déterminée, sous réserve de l'application d'un coefficient correcteur variable selon le pays dans lequel ils sont affectés, conformément à la grille générale des traitements prévue au statut, celle des agents d'établissement et des agents locaux est déterminée exclusivement en fonction d'éléments propres au lieu de leur affectation.

En pratique, pour trois des centres d'Euratom, ceux de Karlsruhe en République fédérale, de Mol en Belgique et de Petten aux Pays-Bas, tous États dans lesquels existent des centres de recherches nucléaires nationaux, le Conseil a retenu comme critère de fixation les échelles de rémunération applicables aux agents employés dans ces centres nationaux.

La situation des agents employés au Centre d'Ispra est particulière. Comme il n'existe pas, en effet, de centre de recherches italien, le Conseil s'est référé, pour déterminer les bases de leur rémunération, à la convention collective, applicable localement, des «metalmeccanici», ainsi qu'il ressort du règlement no 9 du Conseil en date du 18 décembre 1963.

Le salaire mensuel de base de ces agents a été fixé, en vertu de l'article 3 de ce texte, conformément à un barème annexé au règlement. L'article 17 dispose : «En cas de revalorisation des salaires dans les secteurs couverts par la convention collective italienne des “metalmeccanici”, il sera procédé à une révision du barème».

Des distorsions n'ont pas manqué de se produire après quelques années entre la situation pécuniaire des fonctionnaires et celle des agents d'établissement ou des agents locaux. Ces distorsions étaient d'autant moins acceptables qu'en fait les mêmes tâches étaient accomplies indifféremment par des personnes appartenant à ces diverses catégories, ce qui avait pour conséquence des disparités de traitement.

En outre, le classement de ces agents et notamment celui des agents locaux n'avaient pas toujours été réalisés selon des critères objectifs, et il en résultait certaines discriminations supplémentaires.

C'est pourquoi, à défaut d'une remise en ordre générale fondée sur une communautarisation des régimes applicables à l'ensemble des agents d'établissement, qui avait été proposée vainement par la Commission en 1971, le Conseil, agissant d'une manière pragmatique, s'est efforcé de corriger les discriminations là où elles apparaissaient les plus choquantes, c'est-à-dire à Ispra. Le 20 juillet 1972, il a mis à la disposition de la Commission une enveloppe budgétaire de 600000 unités de compte en vue de
permettre à celle-ci d'améliorer la situation des agents locaux de ce centre sans pour autant modifier leur statut juridique. Il a, en outre, donné mandat à la Commission de proposer, dans la limite des crédits ouverts, des améliorations à la situation pécuniaire de certains agents d'établissement, à condition qu'il s'agisse d'éliminer des divergences graves de situation et qu'il n'y ait aucune répercussion sur d'autres établissements du Centre commun de recherches.

Après examen des propositions de la Commission par le Comité des représentants permanents, le 31 janvier 1973, le Conseil a adopté sans débat, le 5 février suivant, la répartition suivante entre agents locaux et agents d'établissement à Ispra du montant de 600000 unités de compte à accorder au titre d'indemnité différentielle :

1) 150000 unités de compte en faveur d'un certain nombre d'agents locaux et 20000 unités de compte en faveur de certains agents d'établissement sous-classés ;

2) 42000 unités de compte en faveur de ceux des agents, tant locaux que d'établissement, chargés de tâches de secrétariat ;

3) enfin, 388000 unités de compte destinées à financer un relèvement moyen de 7 à 8 % des rémunérations de tous les agents locaux et d'établissement du Centre d'Ispra.

Informés de l'octroi de ces avantages pécuniaires, 59 agents d'établissement du Centre de recherches de Karlsruhe ont saisi, le 3 avril 1973, la Commission d'une demande tendant à ce que le bénéfice du relèvement de salaire ainsi accordé soit étendu à l'ensemble des agents d'établissement des autres centres de recherches.

Contre la décision de refus qui leur a été opposée le 8 août suivant, les requérants ont présenté, conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation que la Commission a rejetée le 1er avril 1974.

C'est à l'annulation de cette décision que tend le présent recours par lequel les requérants vous demandent en outre de condamner la Commission à leur verser une indemnité égale à l'augmentation de rémunération accordée aux agents d'établissement d'Ispra.

Il serait possible, Messieurs, de mettre en doute la recevabilité du recours en observant qu'il est dirigé, non pas contre une décision exécutoire, mais contre une simple mesure préparatoire.

En effet, la Commission n'a nullement compétence pour fixer elle-même la rémunération des agents d'établissement ou pour en décider le relèvement. En vertu de l'article 94 du régime applicable aux autres agents, ce pouvoir n'appartient qu'au Conseil. Le rôle de la Commission se limite à faire des propositions. En l'espèce, c'est à l'invitation du Conseil et sur la base de sa première délibération du 20 juillet 1972 que la Commission a été chargée, on le sait, de proposer la répartition du crédit de
600000 unités de compte ouvert au budget.

L'acte decisoire réside dans la délibération, en date du 5 février 1973, par laquelle le Conseil a, sur l'avis du comité des représentants permanents, approuvé la proposition de la Commission.

Encore faut-il observer, Messieurs, que la décision ainsi prise dans son principe n'a été effectivement arrêtée et rendue obligatoire et directement applicable qu'ultérieurement par les règlements du Conseil nos 1618 du 27 juin 1974 et 3096 du 3 décembre 1974.

On pourrait donc soutenir que la délibération de 1973 elle-même n'a été qu'un acte préparatoire qui s'est inséré dans la procédure interne de décision du Conseil et que seuls les règlements constituent des actes faisant grief.

Mais aussi bien aucune des parties défenderesses ne soulève expressément cette exception d'irrecevabilité. Il nous paraît donc préférable de trancher le litige au fond.

Il convient tout d'abord d'écarter du débat l'argumentation présentée, dans leur demande initiale, par les requérants qui soutiennent qu'en proposant un relèvement de rémunération au bénéfice de tous les agents d'établissement d'Ispra, la Commission aurait excédé les pouvoirs que le Conseil lui avait confiés par sa délibération du 20 janvier 1972 de ne revaloriser que la situation de certains de ses agents, victimes de discriminations graves. Il est constant, en effet, que le Conseil a modifié sa
position et, revenant sur cette première délibération, a pris une nouvelle décision qui s'y est substituée. C'est contre celle-ci qu'en réalité le recours est dirigé et la seule question qui se pose est de savoir si le Conseil s'est conformé, ce faisant, aux prescriptions de l'article 94 du régime applicable aux autres agents, qui lui enjoignent de fixer la rémunération des agents d'établissement «pour chaque lieu d'affectation» et «en s'inspirant des usages locaux».

Les requérants soutiennent que cette dernière expression se réfère exclusivement aux variations des conventions collectives ou des réglementations publiques localement en vigueur, et que seule une modification des unes ou des autres pourrait justifier un changement des conditions de rémunération des agents d'établissement.

Cette thèse nous paraît reposer sur une interprétation trop étroite de la référence aux usages locaux et fait par ailleurs abstraction du principe selon lequel le Conseil a le pouvoir de fixer la rémunération des agents d'établissement pour chaque lieu d'affectation.

S'il est vrai que la situation pécuniaire des agents d'établissement d'Ispra est liée à l'évolution des salaires prévue par la convention collective des «metalmeccanici», aucune disposition de l'article 94 du régime applicable ne fait obstacle à ce que, indépendamment de la seule référence à cette convention, le Conseil puisse se fonder, pour améliorer la rémunération de ce personnel, sur l'ensemble des circonstances locales de nature à justifier une telle revalorisation et, notamment, tienne compte
de la hausse générale des salaires et du coût de la vie en Italie.

Une telle décision n'est pas de nature à entraîner une discrimination illégale à l'encontre des personnels des autres centres de recherches communautaires, dans la mesure où elle repose sur la prise en considération d'éléments d'appréciation locaux propres au lieu d'affectation considéré.

Si, en effet, le principe de l'égalité de traitement est une règle de caractère général, applicable au droit de la fonction publique communautaire, encore faut-il, pour qu'il y ait discrimination, qu'un traitement inégal soit appliqué à des situations identiques ou comparables. La Cour a eu l'occasion de le rappeler en diverses occasions, et notamment dans le domaine du statut des fonctionnaires par les arrêts du 12 juillet 1969 (Pasetti contre Commission, affaire 20-68, Recueil 1969, p. 245) et
16 juin 1971 (affaires jointes 63 à 75-70, Recueil 1971, p. 555).

Or, Messieurs, de la règle fixée par l'article 94 du régime applicable aux autres agents, selon laquelle la rémunération des agents d'établissement doit être déterminée «pour chaque lieu d'affectation», il ressort à l'évidence que les agents affectés dans les divers centres de recherches ne se trouvent pas dans une situation comparable puisque leur situation pécuniaire est fixée selon des critères particuliers, par référence aux usages locaux.

L'autorité compétente doit donc se livrer, pour chacun de ces centres, à une appréciation des circonstances de nature à justifier une modification de la rémunération de ces agents.

Non seulement elle n'est pas tenue d'assurer à l'ensemble de cette catégorie de personnel employé dans chacun des centres de recherches des revalorisations identiques ou parallèles de salaires, mais elle agirait illégalement en y procédant sans s'appuyer sur les motifs tirés des circonstances propres à chaque lieu d'affectation.

Les agents d'établissement du Centre de Karlsruhe ne sont donc pas fondés à réclamer le bénéfice de mesures prévues en faveur de leurs homologues d'Ispra sur la base des conditions particulières à l'évolution des salaires et des conditions de vie en Italie.

Dans ces conditions, nous concluons au rejet du recours et à ce que, conformément aux dispositions de l'article 70 du règlement de procédure, chacune des parties supporte ses propres dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50-74
Date de la décision : 26/06/1975
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Friedrich Asmussen et autres
Défendeurs : Commission et Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1975:92

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