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16/06/1975 | CJUE | N°40

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 16 juin 1975., Coöperatieve Vereniging "Suiker Unie" UA et autres contre Commission des Communautés européennes., 16/06/1975, 40


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LES 16 ET 17 JUIN 1975

Table des matières

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  Introduction générale


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LES 16 ET 17 JUIN 1975

Table des matières

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  Introduction générale
  I — Caractéristiques du marché du sucre
  II — L'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre
  III — La concertation entre producteurs européens
  IV — Applicabilité des règles de concurrence à l'agriculture
  V — Moyens de forme de caractère général
  VI — Protection du marché italien — Problème des importations de sucre
  VII — Protection du marché néerlandais
  VIII — Protection du marché de la république fédérale d'Allemagne
  IX — Concertation portant sur les adjudications aux restitutions en vue de l'exportation de sucre communautaire vers les pays tiers
  X — Les sanctions pécuniaires infligées
  Conclusions

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction générale

C'est dès la fin de la première campagne ayant suivi l'entrée en vigueur du règlement de base du Conseil no 1009/67, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, que la Commission des Communautés européennes fut informée de l'existence d'obstacles à la liberté des échanges communautaires de sucre.

Indépendamment de refus de vente dont se sont plaints certains utilisateurs de sucre, son attention fut également attirée par un ensemble de faits :

— regroupement, depuis le 1er juillet 1968, des producteurs allemands dans des comptoirs de vente dont les territoires sont strictement délimités et intervention du Bundeskartellamt de Berlin auprès d'une de ces organisations, la Südzucker-Verkauf, en vue d'exiger certains renseignements au sujet des contrats que ce comptoir avait passés avec ses représentants commerciaux et des rabais de fidélité qu'elle consentait ;

— accord conclu par les sucriers français, sous l'égide de l'Association de défense des intérêts économiques et sucriers, pour la campagne 1968-1969, notifié à la Commission le 31 octobre 1968, mais au sujet duquel elle n'a pas pris position ;

— intervention, également, d'accords de coopération entre producteurs néerlandais, dont l'appréciation, au regard de l'article 85 du traité, a fait l'objet, par la Commission, d'une procédure qui n'est pas terminée ;

— enfin, déclenchement, aux Pays-Bas, en mars 1969, d'une «guerre des prix» du sucre.

Ces éléments faisant présumer l'existence de pratiques restrictives de la concurrence sur le marché communautaire, la Commission a, dès 1969, procédé, conformément au règlement no 17/62 du Conseil, à des vérifications et recueilli des renseignements auprès de nombreux producteurs, négociants et utilisateurs de sucre.

Au terme de ces investigations, elle a, le 31 mai 1972, engagé d'office la procédure prévue par l'article 3, paragraphe 1, de ce règlement à l'encontre de vingt-deux producteurs et organismes de vente ainsi que de leurs membres, représentant environ les neuf dixièmes de la production communautaire.

Les griefs articulés contre ces entreprises leur furent notifiés entre le 24 et le 29 juillet suivant, un délai de deux mois leur étant imparti pour présenter leur défense par écrit.

Après que les entreprises eurent déféré à cette invitation, leurs représentants furent, comme le prévoit l'article 19, paragraphe 1, du règlement no 17, entendus oralement par des fonctionnaires des directions générales de la concurrence et de l'agriculture de la Commission, en présence de fonctionnaires des États membres concernés.

Enfin, après avoir recueilli, le 5 décembre 1972, l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, la Commission a arrêté, le 2 janvier 1973, sur le fondement des articles 85 et 86 du traité, sa décision «Industrie européenne du sucre» notifiée à vingt-deux entreprises. Elle leur enjoint, d'une part, de mettre fin immédiatement aux infractions constatées; elle inflige, d'autre part, à seize des entreprises des amendes dont le total s'élève à 9 millions d'unités de
compte.

Ces dernières entreprises seulement ont attaqué devant vous la décision dont elles demandent, à titre principal, l'annulation et, subsidiairement, la réformation en ce qui concerne le montant des amendes infligées.

En dehors de la récente affaire Frubo, c'est la première fois, nous semble-t-il, que vous êtes confrontés d'une façon aussi directe avec le problème de l'application des règles du traité concernant la concurrence à la production et au commerce d'un produit agricole (art. 42 du traité) qui fait l'objet d'une organisation commune de marché (art. 40).

Sur ce problème vient s'en greffer un autre: les instruments et mécanismes institués par un règlement portant organisation commune de marché et par les textes communautaires d'application d'une part, les régimes maintenus ou créés par les autorités nationales dans le même secteur d'autre part, sont-ils de nature à garantir ou à permettre, à condition qu'il n'y ait ni entente, ni abus de position dominante, la libre circulation du produit considéré et la libre concurrence entre producteurs ?

Ce problème, qui risque de se poser de façon de plus en plus fréquente aux autorités communautaires, n'est pas nouveau pour les autorités antitrust des États membres. C'est notamment celui des ententes qui, aux termes de l'article 59 de l'ordonnance française du 30 juin 1945, «résultent de l'application d'un texte législatif ou réglementaire» ; c'est également celui des «ententes entre exploitants agricoles ou associations d'exploitants agricoles», visées expressément à la loi allemande sur la
concurrence (paragraphe 100, alinéa 1, GWB).

Au plan communautaire, l'interférence du droit de la concurrence avec l'existence d'organisations communes de marché des produits agricoles met notamment en cause le règlement no 26/62 du Conseil, dont l'article 2 déclare l'article 85, paragraphe 1, du traité inapplicable aux accords, décisions et pratiques concertées qui font partie intégrante d'une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité.

Ces considérations expliquent qu'avant de pénétrer dans l'examen des recours il nous ait paru utile d'exposer les caractéristiques essentielles du marché du sucre et de définir le contexte réglementaire dans lequel se situe le comportement des requérantes.

I — Caractéristiques du marché du sucre

Depuis fort longtemps, le sucre a fait, avec ses matières premières: canne ou betterave, l'objet, au plan national, de mesures d'intervention de la puissance publique et d'accords entre opérateurs économiques.

A l'heure actuelle encore, il n'est pas de pays où l'économie sucrière soit laissée au libre jeu des forces du marché.

Le développement respectif de la culture de la betterave et de la canne et la concurrence entre les sucres tirés de ces deux plantes ont été influencés de façon décisive par les subsides accordés aux; fabricants de sucre de betterave.

Sans remonter aux mesures décrétées, au temps du blocus continental, par Napoléon 1er en faveur de la production sucrière, ces interventions ont commencé à jouer un rôle majeur en Europe à partir de la seconde moitié du 19e siècle. Elles se sont traduites par de multiples mesures d'aide et de soutien accordées aux producteurs de betteraves et aux sucriers par les gouvernements nationaux. Quelles que fussent les modalités de ces mesures, leur financement pesait en définitive sur les consommateurs ou
sur les contribuables au point que, dès 1843, Lamartine, poète mais aussi homme politique, pouvait proclamer à l'Assemblée nationale :

«Je vous défends d'appeler la sucrerie une industrie nationale. Elle n'a de national que les charges qu'elle fait peser sur le pays.»

Ces politiques ont abouti à un dumping à grande échelle entraînant la dépression des cours sur le marché mondial et ont ainsi porté préjudice au développement des pays producteurs de canne.

Par réaction, ces interventions de la puissance publique ou les accords privés ont suscité, au plan international, des tentatives visant à organiser plus ou moins libéralement la production et les échanges en même temps qu'à assurer une certaine stabilité du marché et à adapter, sans trop de secousses, le volume de production au volume de la consommation. Citons à cet égard la convention signée à Bruxelles le 5 mars 1902 et, dernier en date, l'«International Sugar Agreement» en vertu duquel étaient
notamment fixés des quotas à l'exportation pour les pays qui sont exportateurs nets.

Le marché mondial du sucre est, à proprement parler, un marché résiduel très étroit qui ne représente guère plus de 15 % de la production mondiale. En 1960 déjà, les deux tiers du sucre entrant dans les échanges internationaux étaient vendus à des prix spéciaux, garantis et fixés par accords; le prix mondial, tel qu'il était défini par l'Accord international sur le sucre, ne s'appliquait qu'à environ un tiers du commerce international de ce produit.

Cette disproportion s'est encore aggravée: sur 80 millions de tonnes produits dans le monde en 1974, 55 millions de tonnes étaient consommés dans les pays producteurs eux-mêmes. Le reste, 25 millions de tonnes, soit à peine plus d'un tiers de la production, était l'objet du commerce international. Mais, 13 millions de tonnes étaient échangés dans le cadre d'accords bilatéraux, tels le «Sugar Act» américain, le «Commonwealth Agreement» ou l'accord passé entre Cuba et l'Union soviétique. Il s'agit là
de marchés préférentiels. Ainsi estime-t-on à 12 millions de tonnes seulement les quantités de sucre vraiment mises sur le marché mondial. Compte tenu de cette situation, ce marché, très sensible aux crises politiques ou économiques, est soumis également à la spéculation. C'est ainsi qu'il existe un rapport étroit entre le mouvement des stocks et l'évolution des cours, en dépit des méthodes modernes de commercialisation et de transport qui devraient normalement priver de justification la
constitution de stocks démesurés.

Bien que rendus nécessaires, dans une certaine mesure, par la brièveté de la campagne sucrière proprement dite et par l'obligation d'assurer la soudure entre les campagnes, les stocks ont un caractère éminemment spéculatif. Il suffit que l'on manque effectivement de quelques centaines de milliers de tonnes pour que les prix bondissent au-dessus du coût de production le plus élevé ou, au contraire, s'affaissent au point de tomber en dessous du prix de revient en présence d'un surplus, connu ou
latent, d'un ou de deux millions de tonnes.

Ces variations sont encore accentuées par le jeu de la spéculation sur les marchés à terme de New York, Londres et Paris. On a quelques raisons de penser que les périodes de pénurie, toutes relatives, ne sont que des accidents provisoires dans le développement d'une production qui ne cesse de s'accroître et que la consommation est loin de rattraper. En effet, dans les pays industriels développés, la consommation n'augmente pratiquement que dans la mesure de la croissance démographique dont le taux
reste très modéré; en revanche, dans les pays du tiers monde, où l'accroissement de population est important, la consommation demeure freinée par la faiblesse du niveau de vie.

Quant au marché communautaire, il était caractérisé, tout comme le marché mondial à l'époque, par une nette tendance à la surproduction.

Au cours des quatre campagnes 1968-1969 à 1971-1972 que concernent les présentes affaires, la production totale de sucre blanc de la Communauté est passée des 6800000 tonnes à environ 8100000 tonnes.

Dans le même temps, la consommation n'a augmenté que de 5900000 tonnes à6500000 tonnes, soit 120000 à 150000 tonnes par an.

La production a donc excédé de 11 à 24 % la consommation communautaire.

Si l'on ventile ces chiffres entre les cinq États membres — la Belgique et le Luxembourg ne faisant qu'un — on constate que deux États, la France et la Belgique, ont constamment connu un excédent de production, tandis que les autres ont présenté un bilan soit équilibré, soit déficitaire. L'Italie connaît un déficit structurel.

Au cours de cette période, les courants d'échanges communautaires n'ont pas augmenté dans des proportions considérables, à l'exception des importations en Italie.

Quant aux exportations communautaires de sucre blanc sur le marché mondial, elles sont passées de 1100000 tonnes en 1968-1969 à 1600000 tonnes en 1971-1972.

II — L'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre

C'est ce secteur très spécifique de la production sucrière que le règlement no 1009/67 a entrepris d'organiser, en tentant de concilier des objectifs aussi contradictoires que: le maintien du niveau de vie des exploitants betteraviers, la stabilisation des marchés, la sécurité des approvisionnements, l'accroissement de la productivité selon des critères rationnels et, enfin, un niveau de prix raisonnable à la consommation.

A proprement parler, seul l'aspect agricole de la production de sucre, c'est-à-dire pour l'essentiel l'agriculture betteravière, aurait dû relever des dispositions agricoles du traité, l'industrie sucrière devant être soumise, comme le reste, des industries de la Communauté, au régime général, notamment aux règles de concurrence. Et il pourrait paraître que c'est raisonner à l'envers que de faire dériver le prix du produit à protéger — la betterave ou, accesssoirement, la canne — du prix d'un
produit ultérieur, le sucre. Cependant, comme l'exposait la Commission dans ses propositions originaires d'organisation du marché : «en raison des particularités de la commercialisation des betteraves, le revenu des betteraviers ne pouvait être garanti que par l'intermédiaire du prix du sucre».

Il était d'ailleurs impossible de parvenir à obtenir, dans tous les États membres, des prix comparables pour les betteraves, compte tenu notamment des modalités très diverses régissant les rapports entre betteraviers et sucriers. Aussi bien, le marché mondial du sucre repose sur le prix du sucre blanc.

S'inspirant à cet égard de la réglementation néerlandaise antérieure, les auteurs du règlement no 1009/67 ont donc tenté de surmonter la difficulté en prenant en considération le stade du produit transformé. Le producteur agricole ne se vit garantir un prix adéquat que de façon indirecte par le biais d'une articulation établie entre le prix d'intervention valable dans la zone de production considérée et le prix des betteraves.

Cela dit, les dispositions du règlement no 1009/67, qui sont plus directement en rapport avec les présentes affaires, ont trait au régime des prix, aux contingents nationaux et au régime des aides; elles enserrent et encadrent le marché tant au stade de la production qu'au niveau des prix.

Le sucre blanc de nos sociétés industrielles est un produit homogène et rigoureusement standardisé. C'est son prix, plutôt que la marque, qui détermine l'acheteur.

Néanmoins, la réglementation communautaire part de l'existence de quatre qualités de sucre aux fins, notamment, de l'achat de sucre par les organismes d'intervention.

De ces quatre qualités, c'est la catégorie 3 («qualité ou catégorie standard» qualité de base de la Bourse de Paris pour le sucre blanc) qui, théoriquement, revêt la plus grande importance: c'est pour elle que, d'après les articles 2 et 3 du règlement de base, sont fixés annuellement les prix indicatif et d'intervention.

Nous disons «théoriquement», parce qu'en fait cette qualité n'était pas produite par les fabricants de certains pays, qui n'offraient que les sortes les plus chères (catégories 1 et 2).

Au contraire, l'industrie de transformation considérait cette qualité comme satisfaisante pour ses productions. En particulier, le désir des confiseurs allemands de s'approvisionner en sucre de cette catégorie s'est heurté, peu après la mise en place de l'organisation communautaire, à un refus pur et simple de l'industrie sucrière. Le recours au sucre de cette qualité produit dans les autres États membres ne leur a été d'aucun secours, car les frais de transport de ce dernier sucre correspondaient à
peu près au supplément de prix exigé pour la catégorie immédiatement supérieure. Cette situation a donné lieu, en 1969, à l'ouverture, par le Bundeskartellamt, d'une enquête qui est demeurée, semble-t-il, sans suite.

La production des sortes de sucre plus chères a été également favorisée par le système communautaire en matière d'intervention: un producteur obtient, pour du sucre de catégorie 1 offert à l'intervention, un prix nettement supérieur au prix du sucre de catégorie 2 et qui est plus élevé que les frais effectivement occasionnés par la transformation.

Par la suite, les producteurs ont obtenu que la qualité 2, plus chère, soit reconnue comme qualité standard, à la place de la catégorie 3 soi-disant non demandée, ce qui a entraîné un accroissement de la marge de transformation des raffineries de 0,50 unité de compte par 100 kg, marge qui avait déjà été relevée de 0,88 unité de compte par 100 kg en 1971-1972.

Venons- en, à présent, aux dispositions régissant les prix.

A l'origine, la Commission avait proposé au Conseil de n'orienter la production et le marché du sucre — comme dans les autres organisations de marché — qu'au moyen du mécanisme des prix, un contingentement de la production n'étant envisagé que comme un ultime recours pour stabiliser le marché en cas de déséquilibre grave.

Or, sous la pression des délégations allemande et italienne qui s'étaient ralliées à la manière de voir des betteraviers et des sucriers nationaux, et avec, du reste, l'appui de l'Assemblée parlementaire européenne (résolution du 20 janvier 1965), le système des quotas nationaux a été retenu à côté du régime des prix et en liaison avec ce régime.

Si l'organisation communautaire du marché sucrier n'inclut pas directement dans son champ d'application le stade du commerce de gros et de détail, elle se caractérise, par comparaison avec les autres organisations de marché, par un encadrement «en aval» très poussé en matière de prix, remontant du produit fini au produit brut. Le prix indicatif a été fixé pour le sucre blanc, produit de première transformation ou même produit final, alors que, dans les autres organisations, le prix indicatif est
établi sur la base de la matière première agricole. C'est que, comme nous l'avons dit, dans la généralité des cas la betterave à sucre n'est pas, en l'état, une marchandise commercialisable et exportable à proprement parler.

Le règlement no 1009/67 prévoit, on le sait, la fixation annuelle, par le Conseil, pour ce qui concerne du moins le sucre produit dans le marché commun, d'une part, d'un prix indicatif, d'autre part, d'un prix d'intervention dont il convient de rappeler les fonctions respectives dans une organisation commune de marché.

Le premier répond à un objectif économique: c'est le prix auquel ou autour duquel il est souhaité que s'effectuent les transactions sur le marché intérieur de la Communauté.

Le prix d'intervention est celui auquel les organismes d'intervention habilités par les États membres ont l'obligation d'acheter le sucre qui leur est offert par les producteurs. Fixé à un niveau légèrement inférieur à celui du prix indicatif, il tend à permettre la circulation du produit en cause; mais il est également un prix garanti, un prix plancher, dans la mesure où le jeu normal de l'intervention devrait assurer les opérateurs économiques que le prix de marché ne peut, en principe, tomber,
sauf exception limitée dans le temps et dans l'espace, au-dessous du prix d'intervention.

A cet égard, le règlement no 1009/67 ne diffère nullement, quant à ses objectifs, de la plupart des textes régissant les organisations communes de marché des produits agricoles. La Commission, qui a eu l'occasion, à propos de nombreux litiges concernant la mise en œuvre de telles organisations, de définir devant la Cour le sens et la portée des notions de prix indicatif et de prix d'intervention, ne saurait donc, dans les présentes affaires, s'écarter de la position qu'elle a constamment adoptée.

Mais, le régime applicable au sucre se distingue, en ce qui concerne le mode de fixation des prix, du schéma traditionnel retenu dans d'autres secteurs.

Dans celui des céréales, par exemple, le prix indicatif de base et le prix d'intervention sont fixés pour la zone de production la plus déficitaire (Duisbourg, en Allemagne), qui se trouve être en même temps une région de grande consommation; les prix qui en sont dérivés diminuent avec l'éloignement par rapport à cette zone.

Il y a donc une régionalisation effective des prix.

Or, c'est un système inverse qui a été choisi pour le sucre.

Le prix indicatif commun et le prix d'intervention sont fixés pour la zone de production la plus excédentaire de la Communauté, c'est-à-dire la région constituée par les huit départements sucriers du Nord de la France. Ce prix est également valable pour les trois pays du Benelux et pour l'Allemagne.

Une véritable régionalisation des prix, à l'instar du secteur céréalier, n'a pas été prévue.

Il est vrai que les régions à la fois productrices et consammatrices de sucre sont relativement proches les unes des autres et que les États membres, à l'exception notable de l'Italie et, accessoirement, du Luxembourg, sont en état de couvrir pratiquement tous leurs besoins en sucre de bouche par leur propre production.

La première conséquence de cette situation, qui tient d'ailleurs aux facteurs naturels et climatiques, est que les échanges ne dépassent guère le cadre de la région.

Des prix indicatif et d'intervention dérivés n'ont été fixés que pour l'Italie et les départements français d'outre-mer.

La régionalisation des prix pour la zone déficitaire la plus éloignée (Palerme) est opérée par l'addition des frais de transport depuis le Nord de la France jusqu'en Italie. Dans la mesure où ces prix dérivés s'écartent en hausse de ceux fixés pour la zone de production principale, ce système a, en outre, pour conséquence de favoriser les producteurs marginaux.

Ainsi, la position concurrentielle des producteurs n'est guère affectée par leur localisation par rapport à la zone de production principale mais plutôt par le degré d'auto-approvisionnement des régions de consommation.

L'organisation commune a, en quelque sorte, ainsi pris le relais des dispositions nationales relatives à une péréquation des frais de transport. La proximité ou l'éloignement de la zone de production principale, au moins en ce qui concerne l'Italie, n'a qu'une incidence réduite sur les revenus des producteurs qui se situent à l'intérieur de la fourchette prix indicatif -prix d'intervention.

Étant donné qu'à de rares exceptions près la situation des fabriques nationales de sucre par rapport aux régions nationales de consommation est plus favorable que la situation du producteur de sucre des autres États membres, il était prévisible que les échanges intracommunautaires resteraient réduits, même dans l'hypothèse d'une répartition optimale du sucre et d'une réduction au minimum des coûts du transport.

Enfin, le prix d'intervention, prix garanti, doit se situer entre les recettes du producteur de betteraves et le prix qui, se formant sur le marché, devrait tendre, en principe, à rejoindre le prix indicatif.

Entre ces deux pôles, le Conseil a été appelé à tenir compte de la nécessité de garantir aux exploitants agricoles un pouvoir d'achat convenable, de manière à éviter ainsi une régression de la culture des betteraves. En outre, alors que l'écart entre prix indicatif et prix d'intervention s'élève à 8 % pour les céréales, les auteurs du règlement ont réduit cet écart à 5 % pour le sucre. Ce décalage a été jugé suffisant parce que, à la différence de ce qui se passe pour la plupart des produits
agricoles, la commercialisation du sucre, produit de bonne conservation, ne comporte que des risques limités.

Ces considérations expliquent que le prix d'intervention ait été fixé à un niveau relativement élevé, particulièrement rentable au moins pour les producteurs les plus efficients et les mieux placés.

Mais, dira-t-on, cette circonstance aurait dû incliner ces producteurs disposant d'excédents à les offrir aux organismes d'intervention qui, à l'intérieur des quotas nationaux, ont l'obligation d'acheter tout le sucre qui leur est présenté. Ces organismes ne peuvent le remettre sur le marché intérieur qu'à un prix supérieur au prix d'intervention; ils ne sont autorisés à vendre du sucre à un prix inférieur qu'en vue de la dénaturation ou ne peuvent l'écouler. sur la base du prix mondial que s'il est
exporté vers les pays tiers, en l'état ou après transformation.

Or, il est manifeste que, pendant la période qui nous intéresse, ce système d'intervention n'a que très peu — et d'ailleurs mal — fonctionné, avec des pertes, car les organismes n'ont guère vendu qu'à des conditions inférieures au prix d'intervention du sucre destiné à la dénaturation ou à l'exportation hors de la Communauté.

La Commission aurait pu, semble-t-il, dans l'hypothèse où des tonnages importants eussent été repris dans le cadre de l'intervention, maintenir les cours du marché à un niveau sensiblement proche du prix d'intervention aussi longtemps que la production était manifestement excédentaire. Tel était bien le cas puisqu'elle a excédé, pendant la période considérée, la consommation intérieure de 16 % en moyenne.

De leur côté, les producteurs auraient, en principe, eu intérêt à présenter leurs excédents aux organismes d'intervention — donc au prix plancher garanti — si, sur le marché libre, le prix du sucre avait eu tendance à descendre, à cause de la pression des excédents, à un niveau inférieur.

Mais, force est de constater que cette situation ne s'est jamais réalisée de façon significative, même dans les pays fortement excédentaires comme la France et la Belgique. Au contraire, c'est un fait que, sauf exception limitée, les producteurs de ces pays et particulièrement la Raffinerie tirlemontoise ont marqué une réticence manifeste à offrir du sucre aux organismes d'intervention, quels que soient les prétextes avancés pour justifier cette abstention.

La véritable raison en est sans doute que ces organismes constituaient, pour les producteurs, des concurrents potentiels dangereux, capables d'exercer une influence non négligeable sur le marché s'ils avaient pu y intervenir assez massivement.

Nous y voyons, en second lieu, la confirmation que le prix garanti a été fixé à un niveau plus élevé que ne l'eût exigé la prévention d'un risque de réduction de la culture des betteraves, encore qu'une meilleure répartition de cette culture dans la Communauté eût été souhaitable.

Enfin, ces constatations nous inclinent à penser qu'en réalité, en dépit de la pression des excédents, une pénurie artificielle a été créée, dans une certaine mesure, à l'aide des restitutions à l'exportation et des primes de dénaturation qui constituaient un avantage indéniable pour l'industrie sucrière.

La particularité la plus marquante de l'organisation commune du marché du sucre, qui la distingue de toutes les autres organisations de marché de la Communauté économique européenne, réside dans la fixation de quotas de production.

Ce régime a été instauré, à titre transitoire, par l'article 23, paragraphe 1, du règlement no 1009/67 pour une période qui devait prendre fin le 1er juillet 1975 ; mais nous savons qu'il a été récemment reconduit, sous réserve de l'aménagement des quotas.

Contrairement donc aux propositions initiales de la Commission, cette organisation du marché n'implique pas la réalisation effective de la liberté de production. Elle aboutit, en fait, à un contingentement de celle-ci.

C'est sur la base d'un objectif communautaire global de production de 6480000 tonnes par campagne que les quotas nationaux de base, exprimés en sucre blanc, ont été fixés pour chacun des États membres. Ils se sont élevés, pour la période qui nous intéresse, à 1750000 tonnes pour la République fédérale allemande, à 2400000 tonnes pour la France, à 1230000 tonnes pour l'Italie, à 550000 tonnes pour les Pays-Bas et au même tonnage pour la Belgique et le Luxembourg, la production étant pratiquement
inexistante dans ce dernier État.

Ces quotas nationaux, dérivés de l'objectif de base de production, sont répartis, par les autorités nationales de chaque État, entre les fabriques et entreprises situées sur leur territoire en fonction, d'une part, de leur production annuelle moyenne pendant une période de référence et, d'autre part, de l'importance du quota national.

En liaison avec le régime des prix, ce système tend à limiter la production et à promouvoir sa spécialisation régionale, tout en garantissant un niveau minimum de production, même dans les régions les moins aptes à la culture betteravière. La spécialisation régionale devrait donc porter, comme nous le verrons, sur la production dépassant les quotas de base.

Le contingentement de la production vise également à réaliser la garantie des prix. Cette garantie, au niveau du prix d'intervention, fut, à l'origine, accordée non pas à 100 % de la consommation humaine estimée dans la Communauté, mais à 105 % de cette consommation.

Après avoir fortement progressé au cours des années précédant la campagne 1964-1965, en conséquence aussi bien d'un accroissement de la consommation par habitant que de la croissance démographique, la consommation de sucre destiné à l'alimentation humaine n'a marqué que des progrès plus lents et plus limités; on a même enregistré un recul partiel de la consommation par habitant en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.

Il s'ensuit qu'en arrêtant les quotas de base le Conseil s'est fondé sur une hypothèse «optimiste» et que, dès la première campagne, la somme de ces quotas dépassait la consommation humaine de 500000 tonnes, soit près de 10 % dans l'ensemble de la Communauté.

Au surplus, pour la fraction de la production dépassant ce contingent de 105 %, intervient la notion de «quota maximum» fixé à 135 % du quota de base, les fabricants de sucre pouvant encore, dans cette limite, bénéficier de la garantie de débouchés, en versant toutefois une cotisation à la production dont 60 % peuvent être mis à la charge des fournisseurs de betteraves, les sucriers eux-mêmes n'en supportant que 40 %.

Cette cotisation a donc pour effet non seulement de réduire la marge de fabrication du prodcteur de sucre, mais également de diminuer sensiblement le prix payé au cultivateur de betteraves. C'est en quelque sorte une cotisation de résorption.

Mais, comme la cotisation à la production a été planfonnée à un maximum et qu'elle aurait été plus élevée à défaut de ce maximum, il en résulte que le coût de résorption des excédents a pesé non seulement sur les producteurs, mais également sur l'ensemble de la Communauté.

Quant aux quantités de sucre produites au-delà du quota maximum, elles ne peuvent être écoulées sur le marché intérieur; elles doivent être exportées en l'état hors de la Communauté sans que les producteurs puissent bénéficier de restitutions à l'exportation.

Or, l'augmentation de la production au cours de la période considérée tend à prouver que, sauf en Italie, les producteurs ne se sont pas limités aux quotas de base qui leur étaient attribués. Ils ont largement utilisé les quotas maxima en dépit de l'exigence de la cotisation à la production qui diminuait assez sensiblement leurs recettes. Il est donc certain qu'ils avaient encore intérêt à produire au-delà des quotas de base. Il est même arrivé, en France, en Belgique et aux Pays-Bas, que les quotas
maxima aient été eux-mêmes dépassés.

Au terme de cette analyse, deux observations peuvent être dégagées de l'économie du régime institué par le règlement no 1009/67, en ce qui concerne d'une part les prix, d'autre part les quotas de production :

1) le mode de fixation des prix, et spécialement des prix d'intervention de base ou dérivés, n'était guère de nature, il faut le reconnaître, à favoriser de très larges échanges de sucre entre États membres ;

2) il n'est pas contestable que le régime des quotas nationaux tend à restreindre les quantités de sucre que les producteurs sont en mesure d'écouler sur le marché commun; en liaison avec le coût élevé du transport d'un produit dont le rapport valeur/poids est faible, ce régime a donc une incidence indéniable sur le volume et la structure des échanges intracommunautaires. Il constitue, en lui-même, un facteur favorable au cloisonnement des marchés nationaux, ainsi d'ailleurs que la Commission l'a
elle-même reconnu dans une communication récente au Conseil et au Parlement, en février dernier.

Est-ce à dire toutefois que l'organisation commune du marché du sucre aurait exclu toute concurrence efficace, au point que les pratiques concertées reprochées aux principaux producteurs européens n'auraient pu, en tout état de cause, avoir aucun effet sur les échanges entre États membres ?

Nous ne le croyons nullement.

Tout d'abord, le régime institué par le règlement no 1009/67 n'a rien modifié quant à la répartition inégale de la production communautaire entre les États, par rapport aux consommations nationales. Il n'a rien changé au fait qu'il existe des pays structurellement et fortement excédentaires, la France et la Belgique essentiellement, et des pays déficitaires, plus particulièrement l'Italie, dans une moindre mesure les Pays-Bas et, du moins pour certaines régions et pour certaines campagnes, la
république fédérale d'Allemagne, dont le bilan, sucrier n'a été équilibré qu'à partir de 1971.

Cette situation de fait impliquait la réalisation d'échanges intracommunautaires, au moins dans la mesure où il était nécessaire de combler les déficits des États qui n'étaient pas en mesure d'assurer leur auto-approvisionnement.

De tels échanges étaient, de surcroît, rendus possibles par les dispositions de l'article 35 du règlement qui interdisent, à l'intérieur du marché commun, tout droit de douane et toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent, ainsi que le recours à un système de prix minima, tel que prévu par l'article 44 du traité.

Certes, ces échanges communautaires ne pouvaient ouvrir, par rapport à la production globale, qu'un marché résiduel, portant sur une fraction limitée de cette production; mais cette circonstance ne pouvait avoir pour effet d'y supprimer la concurrence. Tout au contraire, celle-ci devait y être d'autant plus vive qu'elle ne pouvait porter que sur des quantités relativement faibles par rapport au tonnage global des excédents de production des régions les mieux situées.

Enfin, le régime des prix communautaires, qui ne sont pas des prix de vente aux utilisateurs, aux négociants ou aux consommateurs, laissait aux producteurs une marge de liberté suffisante quant à la formation des prix sur le marché, compte tenu de leur situation plus ou moins favorable, du rendement, de leurs installations et du niveau réel de leur coût de revient.

A cet égard, la fixation à un niveau élevé des prix d'intervention permettait aux producteurs les plus spécialisés de se montrer particulièrement compétitifs et aurait dû les inciter à étendre leurs ventes sur les marchés de leurs concurrents des États membres les plus proches, dans la mesure où le coût du transport ne constituait pas, à cet égard, un obstacle insurmontable.

Ajoutons que, le sucre étant un produit homogène et largement standardisé, en dépit de certaines habitudes de consommation, la concurrence pouvait s'exercer non seulement sur les prix, mais également sur les autres conditions de vente. On peut en conclure que l'organisation commune du marché du sucre n'exclut pas une marge appréciable de concurrence, susceptible d'être entravée par des pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

III — La concertation entre producteurs européens

La procédure engagée par la Commission l'a conduite à relever, à l'encontre des principaux producteurs européens, de telles pratiques dont l'objectif primordial et constant a été de protéger les marchés nationaux ou, en ce qui concerne l'Allemagne, les marchés régionaux sur lesquels ces producteurs, faisant litière des possibilités réelles de concurrence qu'ouvrait l'organisation commune de marché, se sont efforcés de maintenir leur position antérieure en faisant prévaloir le principe du «chacun
chez soi».

C'est donc le cloisonnement des marchés qui constitue la toile de fond des divers griefs particuliers énoncés par la Commission.

Il convient, dès lors, de prendre parti sur le point de savoir si nous sommes en présence d'une entente générale ou seulement, au contraire, de pratiques isolées et ponctuelles.

Pour ce faire, il faut se garder de s'attacher aux formes. Une présentation «atomisée» des diverses infractions, découpant et séparant artificiellement les griefs et faisant abstraction tout à la fois de l'objectif général de l'entente entre producteurs et de la frappante identité des techniques employées pour atteindre cet objectif, aboutirait à donner une vue fragmentaire des choses.

Inversement, ce n'est pas parce que la Commission a adopté une décision unique et que la Cour a ordonné la jonction des affaires aux fins de la procédure orale, qu'il faut nécessairement conclure à une généralisation.

En vérité, il est indéniable que la Commission est, à l'origine, partie de l'idée qu'il existait une entente globale. Si elle a, au cours de la procédure, été amenée à nuancer cette thèse, c'est qu'en raison même du cloisonnement des marchés nationaux elle a été inévitablement portée à examiner séparément la situation créée par les pratiques concertées sur chacun de ces marchés et n'a pu évidemment retenir, en définitive, à l'encontre de chacune des entreprises en cause, que les pratiques dont, à
ses yeux, celles-ci s'étaient rendues répréhensibles.

Mais, nous n estimons pas possible, pour notre part, d'écarter purement et simplement toute idée d'une concertation générale, car, ainsi que nous le verrons, les liens existant, dès avant 1968, entre les grands producteurs européens, l'objectif commun poursuivi par ceux-ci et les similitudes des moyens employés pour atteindre cet objectif éclairent leur comportement depuis la mise en oeuvre de l'organisation commune.

Comme on le sait, les fabricants concernés assurent à eux seuls les neuf dixièmes de la production de sucre de la Communauté. Dans chacun des pays producteurs, la concentration, fortement amorcée dès avant 1968, s'est encore renforcée depuis lors.

En France, principal producteur européen et pays fortement excédentaire, la production nationale est assurée aux trois quarts par cinq entreprises: les sociétés Béghin et Say, qui ont fusionné depuis le 1er janvier 1973, les sociétés Lebaudy Suc et Générale sucrière — cette dernière détenant, depuis 1972, la majorité du capital de la première — , enfin Sucre Union. Dans le négoce du sucre, la société Sucres et Denrées occupe une position prépondérante.

En Belgique — pays également excédentaire — la seule Raffinerie tirlemontoise produit directement plus de la moitié du tonnage national. En outre, contrôlant, au moyen de ses participations majoritaires, la production des usines de Warneton, Oreye et Moerbeke-Waes, et, par des contrats de commercialisation, celle des établissements de Liers, Embressin et Naveau, elle exerce — ou est en mesure d'exercer — une influence déterminante sur environ 85 % de la production belge. Au Pays-Bas, deux
entreprises: l'Union de coopératives Suiker Unie (SU) et la Centrale Suiker Maatschappij (CSM), liées par des accords de coopération, réalisent la totalité de la production nationale et, si l'on tient compte des importations, contrôlent plus des quatre cinquièmes du marché.

En Allemagne, les producteurs se sont regroupés dans des comptoirs de vente dont les territoires sont nettement délimités :

— la Norddeutsche Zucker pour le Schleswig-Holstein et une partie de la Basse-Saxe ;

— la Westdeutsche Zucker-Vertriebsgesellschaft pour la partie occidentale de l'Allemagne, dont le membre le plus important est l'entreprise Pfeifer & Langen qui, à elle seule, assure environ la moitié de la production de cette zone ;

— enfin, dans la partie méridionale de la République fédérale, la Südzukker-Verkaufsgesellschaft, au sein de laquelle la Süddeutsche Zucker AG occupe la position la plus importante avec 70 % de la production.

Quant à l'Italie, la concentration s'y est également accrue. Trois groupes principaux s'y partagent le marché :

— le premier s'est constitué autour de la Société Eridania: il réalise plus d'un tiers de la production ;

— le deuxième, le Gruppo Padano, se situe en pratique au même niveau que le premier, à la suite d'absorptions et de prises de contrôle, notamment celle de la Società italiana per l'industria degli zuccheri ;

— un troisième groupe s'est constituée par le jeu d'une concentration effectuée autour de la Sociétà agricola industriale Emiliana.

Enfin, si le reste de la production italienne est assuré par quelques entreprises de moindre importance, il n'existe pas de réseau commercial indépendant pour la commercialisation du sucre, qui est entre les mains des grands producteurs.

Ces entreprises européennes entretenaient, antérieurement à la mise en vigueur de l'organisation commune du marché, des contacts qui avaient été favorisés, sinon institutionnalisés, par la création, à l'échelon national, de groupements, d'associations ou de syndicats.

C'était, en Belgique, la Confédération professionnelle du sucre et de ses dérivés; en Allemagne, le Verein der Zuckerindustrie et la Wirtschaftliche Vereinigung Zucker; en France, le Syndicat national des fabricants de sucre et la Chambre syndicale des raffineurs; en Italie, l'Association nationale des industriels du sucre ou «Assozucchero». Aux Pays-Bas, une coordination étroite existe, on l'a dit, entre les deux entreprises qui réalisent la totalité de la production intérieure.

Ces organisations ou producteurs nationaux ont, sur le plan communautaire, constitué un Comité européen des fabricants de sucre. C'est dans le cadre de ce comité — et plus précisément de sa commission du marché commun — que se sont engagés, avant l'entrée en vigueur du règlement no 1009/67, des pourparlers au sujet des effets prévisibles de l'organisation commune de marché et ont été étudiées les mesures que devait prendre l'industrie sucrière européenne pour, notamment, «éviter le déséquilibre
existant entre le tonnage de sucre à prix garanti et les besoins du marché intérieur».

Au cours d'une réunion, tenue à Munich en mai 1968 et à laquelle ont pris part à la fois les représentants de groupements nationaux et des représentants directs de certains producteurs, fut affirmée la volonté commune que «les solutions élaborées permettent aux fabricants de sucre d'assurer par eux-mêmes, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation, la commercialisation de la totalité de leur production».

L'objectif central qui sera mis en oeuvre par des moyens identiques sur les divers marchés nationaux consiste à distinguer deux marchés :

— d'une part, le marché du sucre destiné à la consommation humaine, sur lequel les producteurs entendaient éviter toute incursion concurrentielle sur leur propre territoire de vente et maintenir, autant que possible, le statu quo antérieur par leur concertation ;

— d'autre part, le marché des excédents destinés à la dénaturation ou à l'exportation vers les pays tiers, sur lequel les intéressés avaient résolu de s'accorder en vue, selon la formule reprise dans l'accord conclu entre sucriers français le 1er juillet 1968, de garantir à chacun d'entre eux «une égalité de chances» dans leurs débouchés.

Il est intéressant, à cet égard, de se référer à une note introductive établie par l'Association syndicale française au sujet de cet accord d'ailleurs notifié à la Commission ainsi qu'à un avant-projet de convention relative à une société coopérative des fabricants de sucre de Belgique.

Ces documents permettent de comprendre la position des intéressés au sujet des deux marchés distincts et la conclusion qu'il faut en tirer, à savoir que «les producteurs de la Communauté doivent être mis dans une position de stricte équité à l'égard de ces deux marchés, ce qui revient à dire qu'ils doivent être mis en mesure de réaliser tous la recette moyenne pondérée correspondant aux tonnages absorbés par chacun des deux marchés en question».

Pour parvenir à ce résultat, le premier de ces textes proposait des mesures d'organisation particulières du marché d'exportation et de dénaturation.

En revanche, il ne proposait rien de tel pour le marché du sucre destiné à la consommation humaine parce que la concertation entre producteurs suffisait, dans ce domaine, à régler le problème par des moyens que les entreprises pourraient mettre elles-mêmes en œuvre sans difficulté, en fonction d'une politique qui a été précisément exprimée par le représentant de la Raffinerie tirlemontoise dans la formule : «Pas de mouvement de marchandises de pays à pays si ce n'est en concertation de producteur à
producteur».

Les échanges intracommunautaires de sucre devaient ainsi faire l'objet de ce qu'on a appelé «le commerce de rationalisation», qui impliquait une coopération étroite entre les groupes nationaux de producteurs-raffineurs et constituaient pour eux un marché préférentiel.

Pour mener à bien cette politique qui constitue à la fois le fondement commun des diverses pratiques concertées, faisant l'objet des griefs particuliers, et le moyen essentiel de contrôler les livraisons de sucre d'un État membre à un autre en vue de protéger les marchés nationaux, des techniques similaires ont été employées.

Le premier des ces moyens a consisté dans les livraisons directes de sucre blanc ou brut d'un pays à un autre, de producteur à producteur, donc entre entreprises concurrentes.

Les livraisons de sucre blanc ont été souvent faites dans des emballages fournis par les acheteurs et portant leur propre marque. Ce sucre a été revendu au même prix que celui de leur propre production. Les producteurs-fournisseurs ont refusé des offres d'achat émanant soit de négociants, soit d'industriels utilisateurs de sucre, en alléguant que les quantités disponibles devaient être réservées à leur marché national.

Ces pratiques, dont la mise en œuvre a été habituelle, ne peuvent trouver de justification convaincante ni dans la situation du marché communautaire du sucre, ni dans le seul intérêt commercial des producteurs.

Elles ne peuvent s'expliquer que par une politique coordonnée dont les principes, arrêtés par les principaux producteurs, tendaient à maintenir le cloisonnement des marchés nationaux.

Abstraction faite du marché italien sur lequel existe une réglementation interne particulièrement dirigiste et d'ailleurs minutieusement agencée pour réserver la plus grande part des importations aux sucriers nationaux, les livraisons de producteur à producteur constituent, à tout le moins, un premier et sérieux indice d'une concertation dont l'objet est de neutraliser le jeu de la concurrence dans des zones de vente privilégiées.

Cet indice est corroboré par le fait que, si certaines livraisons — en quantités plus modestes — ont été néanmoins faites à des utilisateurs industriels ou des négociants, dans ces zones de vente protégées, ces opérations n'ont, en règle générale, été réalisées qu'avec le consentement des producteurs établis dans ces zones. De surcroît, de telles livraisons ont été réservées, par exemple aux Pays-Bas, à l'approvisionnement de l'industrie laitière. En ce qui concerne le sucre destiné à la
consommation humaine directe, elles ont été exceptionnelles.

Un autre procédé a été également employé, qui tendait à dissuader les commerçants ou les utilisateurs d'acheter directement du sucre de production autre que nationale. Il a consisté à pratiquer des prix majorés, calculés en fonction des prir fixés par les producteurs sur leur propre territoire, de telle sorte que les acheteurs se sont trouvés, en définitive, conduits à ne se porter acquéreurs qu'auprès des seules entreprises nationales.

Enfin, les producteurs ont fait pression sur les commerçants afin de les obliger à s'aligner sur leur politique, soit en exigeant d'eux qu'ils n'opèrent dans les pays voisins que dans les conditions fixées par les entreprises de ces pays, soit en imposant des clauses de destination. Ainsi ont-ils interdit à leurs acheteurs de mettre sur le marché de la consommation humaine les tonnages vendus aux fins de dénaturation, de transformation par l'industrie ou d'exportation vers les pays tiers.

Ces divers moyens ont été mis en œuvre, conjointement ou séparément, en fonction de la situation des divers marchés nationaux, ainsi que l'examen des griefs particuliers permettra de le constater.

Ceci implique, à notre avis, qu'à défaut d'une entente générale au sens strict du terme, les pratiques concertées entre tels ou tels producteurs ou groupes de producteurs répondaient à une même conception et procédaient d'une volonté commune et non pas seulement de comportements parallèles mais autonomes inspirés par des considérations de pur intérêt commercial.

C'est pourquoi, si les preuves des pratiques concertées doivent être appréciées concrètement, dans le cadre de chacun des griefs énumérés par la décision attaquée et compte tenu du comportement individuel de chacune des entreprises, nous sommes porté à croire que les caractéristiques de ces comportements répondent à la définition de la pratique concertée, que vous avez dégagée, pour la première fois, dans les affaires des matières colorantes.

«Si l'article 85 — avez-vous dit notamment dans l'arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries (Affaire 48-69, Recueil 1972, p. 619 et suiv.) — distingue la notion de pratiques concertées et celle d'accords entre entreprises ou de décisions d'associations d'entreprises, c'est dans le dessein d'appréhender, sous les interdictions de cet article, une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue
sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence».

«Par sa nature même, la pratique concertée ne réunit donc pas tous les éléments d'un accord, mais peut notamment résulter d'une coordination qui s'extériorise par le comportement des participants».

C'est cette exigence d'un comportement de fait commun aux entreprises participantes qui permet de distinguer la notion de pratique concertée de celle d'accord en ce sens que, selon votre jurisprudence, un accord, pourvu que son existence soit établie et qu'il ait pour objet de porter atteinte à la concurrence dans le marché commun, tombe sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a eu réellement effet sur le jeu de la concurrence.

Au contraire, la pratique concertée ne peut être entièrement dissociée, dans sa conception même, des conséquences qu'elle entraîne sur les conditions de la concurrence, puisqu'elle doit s'extérioriser dans le comportement des entreprises concernées.

Cette opinion, que nous avons exprimée à propos des affaires des colorants, rejoint celle de l'avocat général Joseph Gand au sujet de l'entente internationale de la quinine.

A la différence d'un accord, disait-il, «une pratique concertée suppose, dans l'opinion dominante, que la concertation se traduise concrètement, de sorte qu'il faut établir à la fois un comportement de fait des intéressés et d'autre part l'existence d'un lien entre ce comportement et un plan préétabli».

En effet, la constatation de comportements communs ou parallèles des entreprises ne peut, à elle seule, suffire à caractériser une pratique concertée. Il faut encore que ces comportements ne soient pas la conséquence de la structure ou des conditions économiques du marché. Mais, ainsi que vous l'avez dit dans vos arrêts du 14 juillet 1972 : «Si un parallélisme de comportement ne peut, à lui seul, être identifié à une pratique concertée, il est cependant susceptible d'en constituer un indice sérieux
lorsqu'il aboutit à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché, compte tenu de la nature des produits, de l'importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché. Tel est notamment le cas lorsque le comportement parallèle est susceptible de permettre aux intéressés … la cristallisation de situations acquises au détriment de la liberté effective de circulation des produits dans le marché commun et du libre choix de leurs fournisseurs par les
consommateurs»… et, ajoutons-le en ce qui concerne le sucre, par les utilisateurs industriels de ce produit.

Le rappel de cette jurisprudence nous conduit également à prendre parti sur le problème de l'administration des preuves d'une pratique concertée.

Que la charge de la preuve incombe à la Commission n'est, à notre avis, pas douteux, mais nous ne partageons pas l'opinion de certaines des réquerantes lorsqu'elles soutiennent que le pouvoir conféré à la Commission d'infliger des amendes exclut, en cette matière quasi pénale, l'admission de la preuve par présomption et affirment que la règle «in dubio pro reo» devrait prévaloir.

C'est, à notre avis, méconnaître que le droit communautaire de la concurrence n'est pas régi par les principes de la procédure pénale; la Commission n'exerce pas de fonction juridictionnelle; pour contradictoire qu'elle doive être, la procédure organisée par le règlement no 17 demeure purement administrative.

D'autre part, la preuve d'une pratique concertée ne peut, dans la plupart des cas, résulter que d'indices ou de présomptions que les investigations menées par la Commission ont permis de révéler.

C'est le faisceau de ces présomptions — à la condition qu'elles soient sérieuses, précises et concordantes — qui seul permet, le plus souvent, de démontrer l'existence d'une concertation corroborée par le comportement de fait des intéressés, et il n'appartient qu'au juge communautaire d'apprécier, en définitive, si les éléments de conviction fournis par la Commission ont force probante.

C'est ainsi d'ailleurs que, dans l'affaire des colorants encore, vous avez jugé que «la question de savoir s'il y a concertation en l'espèce ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision attaquée sont considérés non pas isolément, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché en cause».

IV — Applicabilité des règles de concurrence à l'agriculture

Avant d'aborder chacun des griefs spécifiquement retenus par la décision attaquée, il est nécessaire de nous prononcer sur une question de portée générale.

C'est celle de l'applicabilité des règles de concurrence édictées par le traité à la production et au commerce des produits agricoles.

Selon l'article 42 du traité, en effet, les dispositions relatives, notamment, aux ententes et à l'abus de position dominante ne sont applicables, en ce domaine, que dans la mesure déterminée par le Conseil, compte tenu des objectifs de la politique agricole commune énoncés à l'article 39.

Entendons bien par là que les auteurs du traité n'ont pas voulu soustraire, par principe et définitivement, la production et le commerce des produits agricoles aux interdictions des articles 85 et 86; mais ils ont estimé qu'il convenait de prendre, à cet égard, des dispositions particulières tenant compte tant des structures de l'économie agricole que de la mise en œuvre des organisations communes de marché.

Ils ont, pour ce faire, donné compétence au Conseil afin de déterminer dans quelles limites et sous réserve de quelles exceptions les dispositions des articles 85 et 86 pourraient être appliquées à l'agriculture.

En son article 1, le règlement no 26 du 4 avril 1962 pose, en principe, que les articles 85 à 90 du traité, ainsi que les dispositions prises pour leur exécution, s'appliquent à la production et au commerce des produits agricoles.

Il prévoit toutefois, en son article 2, alinéa 1, première phrase, deux exceptions à ce principe, en exemptant des règles du seul article 85, paragraphe 1, les accords, pratiques ou décisions «qui font partie intégrante d'une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité».

Au surplus, et c'est l'objet de la deuxième phrase du même paragraphe, un régime particulier et préférentiel est prévu pour les ententes entre exploitants agricoles ou associations d'exploitants agricoles, ressortissants à un seul Etat membre, dans la mesure où, sans comporter l'obligation de pratiquer un prix déterminé, ces ententes concernent la production ou la vente de produits agricoles ou l'utilisation d'installations communes de stockage, de traitement ou de transformation de produits
agricoles, à moins que la Commission ne constate qu'ainsi la concurrence est exclue ou que les objectifs de l'article 39 du traité sont mis en péril.

Cette disposition spéciale ne figurait d'ailleurs pas dans la proposition de règlement présentée par la Commission. Elle a été insérée à la demande du Parlement européen et de la plupart des délégations nationales qui ont voulu ainsi légaliser les coopératives et les groupements de producteurs agricoles existant dans tous les États membres et considérés avec faveur par les législations nationales.

En vertu du paragraphe 2, compétence exclusive est donnée à la Commission pour constater soit d'office, soit à la demande des intéressés, après consultation des États membres et audition des entreprises ou associations d'entreprises concernées, par une décision qui doit être publiée, pour quelles ententes ou pratiques concertées les conditions d'exemption ainsi prévues sont remplies.

L'interprétation du règlement no 26 ne laisse pas de poser plusieurs problèmes qui ont trait, tout d'abord, au champ d'application de ce texte, en second lieu à la procédure suivant laquelle il peut être mis en œuvre, enfin à la nature et à la portée des exemptions qu'il institue.

Il n'est pas douteux que l'objectif essentiel de l'article 2 du règlement consiste à favoriser le regroupement des exploitants agricoles, facteur de modernisation et de rationalisation, aussi bien de la production que de la commercialisation de leurs produits; cette volonté se marque plus particulièrement dans le régime de faveur accordé aux coopératives et associations d'exploitants, dans la mesure où elles ont notamment pour objet la production ou le commerce de tels produits ou l'utilisation
d'installations communes.

On peut dès lors se demander si le bénéfice des exceptions apportées à l'application de l'article 85, paragraphe 1, s'étend également aux entreprises industrielles de transformation de produits agricoles, comme les sucreries et raffineries.

Une réponse affirmative ne nous paraît cependant pas douteuse :

— d'une part, la liste des produits agricoles telle qu'elle a été arrêtée à l'annexe II du traité n'est pas limitée aux produits bruts du sol; elle comprend expressément les produits de première transformation, comme le sucre ;

— d'autre part, les exceptions apportées par l'article 2 du règlement no 26 aux règles de la concurrence ont pour but de ménager les accords, pratiques ou décisions concernant non seulement la production et la commercialisation des produits agricoles «stricto sensu», mais également leur transformation.

Au surplus, l'énumération faite dans la deuxième phrase du paragraphe 1 n'a pas un caractère limitatif.

Ajoutons que, si les entreprises productrices de sucre n'ont pas elles-mêmes le caractère d'exploitations agricoles, l'organisation commune de marché établit une étroite solidarité entre ces entreprises industrielles de transformation et les producteurs de betteraves, que ce soit par le jeu des quotas, certes fixés au niveau des fabriques de sucre mais qui ont une incidence directe sur la culture des betteraves, qu ce soit par la cotisation à la production, en cas de dépassement des quotas de base,
puisqu'une partie de cette cotisation peut être mise à la charge des exploitants agricoles, que ce soit encore par le régime des prix communautaires du sucre qui détermine le prix d'achat de la matière première, ou enfin par le jeu des accords interprofessionnels concernant la culture et l'achat de betteraves.

Une seconde question se pose dès lors: la Commission pouvait-elle légalement faire usage des pouvoirs que lui confèrent l'article 85, paragraphe 1, et le règlement no 17 à des pratiques concertées relevées à l'encontre des entreprises en cause sans avoir, au préalable, statué dans les conditions prévues par l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 26? En d'autres termes, n'avait-elle pas l'obligation de se conformer, tout d'abord, à la procédure que lui impose ce texte ?

Dans l'affirmative, la Commission aurait dû, dès lors, prendre, après consultation des États membres et audition des entreprises intéressées, une décision ayant pour objet de constater si les conditions d'exemption prévues au paragraphe 1 du même article étaient ou non remplies.

Plusieurs des requérantes n'ont pas manqué d'invoquer la violation de ces règles de procédure en soutenant que les pratiques qui leur sont reprochées faisaient, suivant les cas, «partie intégrante d'une organisation nationale de marché», en l'espèce la réglementation nationale du marché italien du sucre, ou bien «étaient nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité» ; elles en déduisent que la Commission aurait dû, à leur égard, prendre une décision positive constatant
l'inapplicabilité, par ces motifs, de l'article 85, paragraphe 1.

Nous vous demandons, Messieurs, de rejeter ce moyen. La procédure prévue par le règlement no 26 et, notamment, la consultation préalable des États membres ne s'imposent, à notre avis, que dans l'hypothèse où la Commission entend constater que les conditions d'exemption sont effectivement réunies et prend, en conséquence, une décision positive déclarant les interdictions de l'article 85, paragraphe 1, inapplicables aux accords, pratiques ou décisions en cause.

En revanche, il ne nous paraît pas que la Commission soit tenue de suivre cette procédure lorsqu'elle estime qu'il n'y a pas lieu d'admettre l'une ou l'autre des exceptions.

Le règlement no 26 ne contient d'ailleurs aucune indication quant à la procédure à suivre pour appliquer l'article 85 à des ententes ou pratiques concertées qui ne rempliraient pas les conditions exigées pour bénéficier de ces exemptions.

Dans ces conditions, le principe fixé à l'article 1 de ce texte, à savoir l'applicabilité non seulement de l'article ai, mais des règlements pris pour son exécution, implique que la procédure à suivre soit celle de droit commun en matière de concurrence, organisée par le règlement no 17.

C'est cette solution que vous venez de retenir par votre arrêt du 15 mai dernier, Frubo (affaire 71-74), en relevant que «ce serait obliger la Commission à pratiquer un formalisme excessif et à retarder inutilement l'instruction des affaires concernées que d'exiger qu'elle consulte les États membres, même dans le cas où elle n'éprouve pas de doute quant à la non-applicabilité des exceptions prévues au règlement no 26».

Quant au débat sur le fond du problème, c'est-à-dire sur la question de savoir si les pratiques concertées — ou certaines d'entre elles du moins — devaient bénéficier de l'une ou de l'autre de ces exceptions, nous nous bornerons aux observations suivantes.

Pour ce qui concerne la première cause d'exemption, trois des requérantes françaises, les sociétés Générale sucrière, Béghin et Say d'une part, et deux firmes italiennes, Eridania et Industria degli zuccheri d'autre part, soutiennent, dans le cadre du grief relatif à la protection du marché italien, que la réglementation adoptée par les autorités italiennes doit être regardée comme une organisation nationale de marché au sens du règlement no 26 ou constitue, à tout le moins, une réglementation
interne d'effet équivalent au sens de l'article 46 du traité.

Envisagé conjointement avec l'organisation commune introduite par le règlement no 1009/67, ce régime aurait visé à stabiliser et à régulariser le marché italien du sucre, afin de garantir l'activité et le niveau de vie des producteurs de betteraves; il comportait, selon les requérantes, des mesures d'effet équivalant à des droits de douane, des aides aux sucriers et aux betteraviers; il imposait des prix maxima; enfin, il contenait des dispositions tendant à contingenter et à répartir les
importations de sucre en Italie.

Les pratiques concertées retenues à l'encontre des requérantes en vue d'assurer la protection du marché italien auraient été indissociablement liées à cette organisation nationale; elles en auraient fait partie intégrante.

A cette thèse, deux réponses peuvent être faites.

Dans une première opinion, on peut soutenir que l'exception invoquée avait pour but de ne pas porter atteinte aux organisations nationales de marché existant avant que les organisations communes fussent établies. Le règlement no 26, adopté en 1962, est en effet antérieur au développement et à l'aboutissement de la politique agricole commune. Sa portée ne serait donc, à cet égard, que transitoire puisque ces organisations nationales de marché devaient, sauf dispositions contraires expresses émanant
des institutions communautaires, être progressivement remplacées par les organisations communes.

Vous avez jugé qu'à partir de l'entrée en vigueur de celles-ci il n'appartient, en effet, qu'à l'autorité communautaire seule de décider du maintien, à titre provisoire, de tout régime national d'organisation portant sur les produits en cause :

— arrêt du 21 mars 1972, Sail, affaire 82-71, Recueil 1972, p. 138.

De même, avez-vous précisé par l'arrêt du 10 décembre 1974 (affaire 48-74, Charmasson) que, si le traité a prévu que l'organisation nationale peut être maintenue en attendant l'établissement d'une organisation commune, ce maintien n'a été toutefois envisagé que jusqu'à la fin de la période de transition, date à laquelle la politique agricole commune doit être définitivement établie.

L'application de ces directives jurisprudentielles implique qu'une organisation nationale de marché n'aurait donc pu légalement subsister en Italie après l'entrée en vigueur du règlement no 1009. Si ce règlement prévoit, il est vrai, certaines mesures d'aide en faveur des producteurs de sucre italiens, il n'a nullement avalisé et autorisé le maintien, dans ce pays, d'une organisation nationale de marché ou d'une réglementation interne d'effet équivalent.

Mais il nous paraît inutile de fonder sur ce terrain la solution du problème posé par l'existence de la réglementation italienne. Comme nous le verrons à l'occasion de l'examen du grief relatif à la protection du marché italien, c'est, à titre principal, sur les effets que ce régime, considéré comme une réalité de fait, a eu sur le jeu de la concurrence que nous motiverons nos conclusions.

Quant à la deuxième exception concernant les ententes nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité, sa mise en œuvre implique que le critère de «nécessité» soit apprécié en fonction des circonstances concrètes de l'espèce. C'est donc à l'occasion de l'examen des griefs particuliers, dans la mesure où le moyen tiré de cette exception est invoqué, qu'il conviendra d'en apprécier la valeur.

V — Moyens de forme de caractère général

En dehors des moyens tirés du défaut ou de l'insuffisance des motifs ou de contradictions internes de la décision que nous examinerons à propos du fond, nous voudrions à présent regrouper et considérer à ce stade de nos conclusions les moyens de forme de caractère général, qu'ils soient invoqués par une seule entreprise ou qu'ils soient communs à plusieurs d'entre elles. Tous ces moyens se ramènent au non-respect des droits de la défense. Leur appréciation dépend, dans une large mesure, de la
conception que l'on se fait de la procédure nécessaire à la mise en œuvre des règles des articles 85 et 86 du traité et du caractère des amendes destinées à sanctionner les infractions à ces articles.

A cet égard, votre jurisprudence antérieure contient des indications de principe que vous serez conduits à rappeler: la procédure devant la Commission a un caractère administratif et non juridictionnel; par ailleurs, comme nous avons eu l'occasion de le dire à la suite des avocats généraux Roemer et Gand, les amendes n'ont pas le caractère de sanctions pénales.

Ces moyens de forme s'ordonnent autour des points suivants :

1. S'insurgeant contre le caractère tendancieux de la politique d'information de la Commission et y voyant une volonté délibérée de les mettre publiquement en accusation sans les avoir préalablement entendues, les requérantes font valoir que, avant même de leur avoir communiqué les «griefs» articulés contre elles, la Commission — ou plus exactement celui de ses membres qui est plus spécialement responsable des problèmes de concurrence — aurait, au cours d'une conférence de presse qui eut un certain
retentissement, informé l'opinion publique de ce qu'elle avait engagé une procédure du règlement no 17 à l'encontre des principaux producteurs de sucre de la Communauté et des raisons qui l'avait amenée à le faire.

Nous ne voyons pas en quoi cette circonstance affecterait la validité de la procédure administrative, ni par suite de la décision entreprise. Cette communication à la presse n'a nullement privé les requérantes de la possibilité de présenter contradictoirement et utilement leurs observations sur les griefs articulés contre elles. Il est constant que la Commission a pris connaissance de leurs arguments en réponse avant de prendre sa décision finale. Ou bien les requérantes auraient-elles préféré
que la Commission publie la communication des griefs au Journal officiel des Communautés, comme l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 99/63 le lui permet ?

Si nous comprenons la vivacité des réactions de certaines des entreprises ou de leurs associations professionnelles (UNICE et CEFS), nous pensons que la controverse entre la Commission et les requérantes se situe sur un autre plan, celui de la politique d'information de la Commission. Il faut bien reconnaître que celle-ci a non seulement le droit, mais aussi le devoir d'informer l'opinion publique de sa politique, à laquelle on fait souvent le reproche d'être trop technocratique ou ésotérique.

2. En ce qui concerne la communication des griefs elle-même, Süddeutsche Zucker AG et le comptoir de vente Südzucker Verkauf se plaignent de ce que les griefs qui leur ont été communiqués, n'étaient pas accompagnés d'une traduction allemande des documents cités à l'appui par la Commission. Cette traduction ne leur aurait été fournie qu'ultérieurement; en outre, elle aurait été défectueuse. Nous ne pensons pas que, conformément à votre arrêt du 15 juillet 1970 dans l'affaire 41-69 (Chemiefarma,
Recueil, p. 689), cette circonstance ait empêché ces entreprises de prendre utilement connaissance de ces documents, ni que l'irrégularité — si irrégularité il y a — ait eu, en l'espèce, des conséquences préjudiciables sur la capacité et l'efficacité de la défense des entreprises intéressées.

Certaines requérantes se plaignent de ce que les griefs de la Commission leur auraient été communiqués dans un texte unique, qui n'aurait pas spécifié suffisamment les points qui les visaient individuellement. Nous pensons que ce caractère unique s'explique par la conception que la Commission se faisait de l'entente (entente «générale») et qu'en conséquence il se confond avec l'examen du fond. Il nous paraît, en tout état de cause, que chaque entreprise a été à même de déceler les griefs qui la
visaient spécifiquement.

3. Plusieurs des requérantes invoquent également la violation de l'article 4 du règlement no 99/63 relatif aux auditions, en ce que le délai imparti par la communication des griefs pour la présentation d'observations écrites aurait été trop bref.

La date ultime à laquelle la communication de griefs a été reçue par les entreprises est celle du 1er août 1972 et la date à laquelle la dernière réponse de celles-ci a été enregistrée est le 4 octobre. Il nous paraît donc que les entreprises ont eu au moins deux mois pour prendre position, laps de temps qui leur était effectivement fixé dans la communication des griefs. L'article 11 du règlement no 99 exige un minimum de deux semaines. Bien que ce délai porte sur la période des vacances d'été,
il nous paraît suffisant pour que les entreprises aient pu présenter leurs observations éventuelles. Il ne saurait être mis en regard du temps (nécessairement bien plus long) que la Commission a pris pour instruire l'affaire, c'est-à-dire pour procéder aux investigations nécessaires et rassembler l'ensemble des éléments d'information lui permettant d'ouvrir la procédure prévue par le règlement no 17.

Aussi bien, au cours de cette période d'instruction, les requérantes, alertées par les vérifications faites à leur siège ou dans leurs établissements et par les demandes de renseignements qui leur ont été adressées, se trouvaient d'ores et déjà en mesure de savoir, pour l'essentiel, sur quels faits porterait l'exposé des griefs. Elles n'ont certainement pas été prises au dépourvu par la communication qui leur en a été officiellement faite.

Ajoutons que des observations écrites complémentaires ont encore été présentées par certaines des requérantes et acceptées par la Commission jusqu'au 21 novembre 1972.

4. Quant à l'absence de communication du procès-verbal de l'audition séparée de certaines entreprises, aucun texte n'oblige la Commission à procéder à une telle communication. On pourrait, au contraire, trouver dans le règlement no 99/63 (article 2, paragraphe 2 et article 9, paragraphe 3) certaines indications qui obligeraient plutôt la Commission à ne pas procéder à cette communication en vue de sauvegarder l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas
divulgués.

5. Quant à l'adoption d'une décision unique à l'égard de toutes les requérantes, il nous paraît que rien n'interdit à la Commission de statuer par une telle décision sur plusieurs infractions, alors que certains des destinataires sont concernés par une même infraction. Ici encore, tout dépend en définitive du caractère général ou non de l'entente et des pratiques concertées.

L'entreprise Suiker Unie argue d'une violation de l'article 3 du règlement no 1 du Conseil du 6 octobre 1958 portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (et de l'article 191 du traité), motif pris de ce que la Commission lui aurait adressé la version non seulement néerlandaise de la décision dont elle était destinataire, mais encore cette version dans les autres langues, sans indiquer que le texte néerlandais faisait seul foi à son égard. Il nous paraît que
cette circonstance n'a eu aucun effet sur la possibilité, pour la requérante, de se défendre: quod abundat non vitiat.

6. Certaines requérantes voient également un vice de procédure dans le fait que la décision attaquée n'aurait pas pris en considération certains faits ou arguments qu'elles ont allégués pour leur défense.

Rappelons à cet égard que vous avez jugé que «la Commission n'est pas obligée de prendre position, dans la motivation de ses décisions, sur tous les arguments que les intéressés peuvent invoquer pour leur défense, qu'il suffit d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de sa décision» (arrêt du 14 juillet 1972, affaire 55-69, Casella, Recueil 1972, p. 914). Plus récemment, vous avez jugé que «si la Commission est tenue de motiver sa
décision, elle n'est toutefois pas tenue de réfuter tous les moyens présentés au cours de la procédure administrative» (arrêt du 21 février 1973, affaire 6-72, Continental Can, Recueil 1973, p. 241). Pour le reste, nous estimons que l'examen de ce moyen relève du fond.

7. S'il y a eu une certaine évolution dans la thèse de la Commission au sujet des griefs qu'elle envisageait de retenir à l'encontre des entreprises au stade de la communication des griefs qu'elle a, en définitive, retenus dans sa décision, il n'y a là rien que de très normal: c'est précisément l'objet de la procédure administrative, pourvu que la Commission n'ait pas retenu des griefs autres que ceux au sujet desquels les entreprises ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue.

8. Enfin, deux des requérantes italiennes font valoir que, puisque la Commission présumait que la concurrence était faussée dans le secteur considéré, elle aurait dû procéder à une enquête dans ce secteur avant d'entamer la procédure d'infraction. Nous nous contenterons de relever que l'article 12 du règlement no 17 ne parle que d'une simple possibilité pour la Commission de procéder à une telle enquête.

VI — Protection du marché italien — Problème des importations de sucre

La production italienne de sucre est loin, on le sait, de suffire aux besoins de la consommation nationale. Au cours des campagnes 1968-1969 à 1971-1972, elle a oscillé entre 1100000 tonnes et 1300000 tonnes, alors que, pendant la même période, la consommation, en augmentation faible mais constante, est passée de 1400000 tonnes à plus de 1500000 tonnes.

L'Italie est donc tributaire des importations en provenance, plus particulièrement, des États membres du marché commun qui disposent d'une production structurellement excédentaire. C'est le cas, pour l'essentiel, de la France et de la Belgique.

De cette situation, la Commission déduit qu'après du moins l'ouverture des frontières à la suite de l'entrée en vigueur de l'organisation commune du marché, l'Italie aurait dû être, par excellence, le théâtre d'une vive concurrence pour les importations de sucre destiné tant à la consommation humaine qu'aux industries de transformation.

Or, elle a constaté que, dès la première campagne, cette libre concurrence avait été, en réalité, exclue par le fait, soutient-elle, que producteurs français et belges se seraient réparti leurs livraisons en Italie, auraient uniformisé leurs conditions de vente et auraient, au surplus, garanti aux producteurs italiens, leurs clients, qu'ils ne pratiqueraient de livraisons à des non-producteurs, notamment aux industries utilisatrices, que moyennant un supplément de prix.

Ces pratiques concertées se seraient organisées et développées plus spécialement à partir du début de la campagne 1969-1970, lors de la conclusion de très importants contrats d'importation entre :

— d'une part, le groupe des «producteurs-acheteurs» comprenant initialement la Société Eridania, chargée de la coordination de ces opérations, et les firmes Industria degli zuccheri, Romana, Volano, Cavarzere, Emiliana, Sermide et SADAM, ainsi que certaines autres entreprises dont deux ont été, depuis lors, absorbées par Eridania, et dont une autre est devenue la Société générale de sucrerie,

— d'autre part, le groupe des «producteurs-fournisseurs» comprenant essentiellement les sociétés françaises Béghin, Say, Générale sucrière, Lebaudy Suc et parfois Sucre Union (ces deux entreprises n'ayant pas formé de recours devant vous) ; en second lieu, la société belge Raffinerie tirlemontoise; enfin Süddeutsche Zucker AG (pour la seule campagne 1969-1970).

A l'exception de Süddeutsche Zucker AG, ce groupe a confié la centralisation des offres et le soin d'organiser les transports et les livraisons à un négociant en gros, la société française Sucres & Denrées.

Les preuves de la concertation résultent, selon la Commission, de réunions tenues par les intéressés, à Paris d'abord, le 29 juillet 1969, puis à Gênes, le 11 septembre suivant. Lors de la première réunion, ceux-ci auraient discuté des moyens à employer pour empêcher les «outsiders» de faire des offres sur le marché italien à des prix inférieurs à ceux qu'ils pratiquaient eux-mêmes; au cours de la seconde, ils auraient réglé les problèmes posés par les livraisons, dans des conditions telles que la
correspondance commerciale échangée par la suite démontrerait que les importations de sucre en Italie ont été effectivement réalisées conformément aux principes établis d'un commun accord.

A concurrence de 75 % du tonnage global des importations, le sucre livré directement aux producteurs italiens aurait été revendu par ceux-ci, qui disposaient seuls d'un réseau de distribution, soit directement à la consommation, soit aux industries transformatrices, aux mêmes prix et conditions de vente que le sucre national.

Dans la mesure, faible, où des ventes libres auraient été réalisées, les fournisseurs se seraient engagés à exiger un supplément de prix qui a varié, selon les campagnes, de 1 FF 25 centimes à 1 FF 75 centimes par quintal.

Au cours d'une nouvelle réunion, le 22 septembre 1970, les membres des deux groupes auraient réaffirmé et précisé leurs arrangements en vue de surmonter certaines difficultés survenues entre fournisseurs et importateurs.

Tels sont les motifs essentiels sur lesquels se fonde la décision attaquée, pour en déduire que ces actions, qualifiées de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ont exclu toute concurrence entre les participants sur le marché italien.

Aux dires de la Commission, sans cette concertation les producteurs des pays excédentaires eussent été en état de vendre individuellement leur produit à des acheteurs italiens après un libre débat sur les prix, les quantités offertes, et en utilisant des circuits de commercialisation normaux.

On ne peut pas nourrir de doute, Messieurs, sur la réalité de la concertation entre fournisseurs et importateurs. Les constatations de fait qui ressortent du dossier montrent bien que, si les exportations vers l'Italie ont été relativement peu importantes pendant la première campagne à raison de l'existence, dans ce pays, de stocks provenant d'une récolte précédente exceptionnellement favorable, elles ont augmenté dans les campagnes suivantes jusqu'à atteindre et parfois dépasser 300000 tonnes; il
n'est guère contestable non plus que, dans ces échanges, la part des livraisons aux producteurs italiens par le groupe des fournisseurs a augmenté progressivement jusqu'à atteindre en moyenne les trois quarts de ces importations.

De même, un certain nombre de télex échangés, notamment entre Eridania, représentant du groupe italien, et Sucres & Denrées montrent bien que les opérations ont été, en général, conduites sur la base des principes arrêtés au cours des réunions mentionnées par la Commission.

Mais, Messieurs, taisant abstraction des moyens de forme invoqués par certaines des requérantes, nous croyons nécessaire d'en venir d'emblée au problème de fond — essentiel — que pose ce premier grief et que certaines des requérantes n'ont pas manqué de soulever.

Leur argumentation est fondée, en effet, sur l'existence, pendant la période considérée, d'une réglementation nationale italienne qui, selon elles, aurait rendu nécessaire et inévitable le comportement qui leur est reproché et n'aurait laissé subsister, sur le marché italien, aucune marge de concurrence appréciable.

La Commission n'a-t-elle pas reconnu, dans sa décision même, que, sur ce marché, il existait une situation particulière due tant à la réglementation communautaire «qu'à des dispositions spéciales prises par les autorités nationales» ?

Ces mesures se sont traduites d'abord par la création, par arrêté no 1195 du Comité interministériel des prix, le 22 juin 1968, c'est-à-dire à la veille de l'entrée en vigueur du règlement no 1009/67, de la Cassa congualio zucchero, Caisse d'égalisation pour le sucre, qui a été d'ailleurs substituée à trois organismes d'égalisation pré-existants. Elle a reçu pour attribution de procéder «aux péréquations nécessaires en vue de l'introduction progressive de l'économie sucrière italienne dans celle de
la Communauté et pour la réalisation du marché commun dans le secteur du sucre».

Alimentée par une contribution appelée «sovraprezzo», grevant le sucre tant national qu'importé, quels qu'en soient la qualité et le type, la Caisse devait affecter ses recettes, sans doute, au financement des aides autorisées en faveur des producteurs et transformateurs de betteraves par l'article 34 du règlement de base communautaire, mais également à d'autres fins, non prévues par la réglementation communautaire et résultant des diverses mesures d'aide accordées par le gouvernement italien aux
producteurs de sucre, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.

Le «sovraprezzo» fixé, par le même arrêté, à 23 lires par kg — ce montant étant resté inchangé jusqu'en 1973 — représentait l'écart entre les cours pratiqués en Italie et les nouveaux cours communautaires, c'est-à-dire le prix d'intervention dérivé applicable dans ce pays.

D'autre part, la politique du gouvernement italien avait, depuis longtemps, pour objet d'établir un prix uniforme du sucre sur toute l'étendue du territoire national, aussi bien pour le sucre de production intérieure que pour le sucre d'importation, de manière à ce que le consommateur des régions les plus éloignées des centres de production ne paie pas cette denrée plus, cher que celui de la vallée du Pô.

Avant l'intervention du régime communautaire, des prix maxima avaient été fixés, en dernier par arrêté du 6 août 1965 (no 1119), tant pour les ventes franco usine par les producteurs que pour les ventes à la consommation directe. Ces prix variaient naturellement en fonction des qualités. Cette réglementation, abrogée lors de l'entrée en vigueur de l'organisation commune du marché, fut néanmoins réintroduite en novembre 1969 : «afin d'éviter aux consommateurs italiens des augmentations ne résultant
pas de la variation des prix communautaires». L'arrêté no 1236 du Comité interministériel des prix a fixé non pas d'ailleurs un nouveau prix maximum à la consommation, mais décidé, ce qui revient au même, que les limites maximales des «écarts de prix» pour les diverses qualités et variétés de sucre, des rémunérations pour le conditionnement du produit, des marges commerciales pour la vente de ce produit à la consommation, doivent rester «celles qui résultent de la comparaison avec les cotations
figurant dans l'arrêté no 1119 de 1965», tant pour les ventes par les producteurs que pour la vente à la consommation.

Une circulaire no 1237 précisait le prix du sucre départ usine; le prix maximum et uniforme à la consommation en dérivait directement puisqu'il est le résultat d'une addition d'éléments dont certains résultent des dispositions communautaires fixant le prix d'intervention dérivé et d'autres des dispositions arrêtées par le CIP.

Il nous paraît donc établi, en dépit de la discussion qui s'est élevée sur ce point à l'audience, que non seulement le système de prix maxima a été reconduit par ces dispositions, mais que ces prix maxima étaient applicables en réalité non seulement au stade de la consommation, mais également au niveau de la production, donc notamment aux ventes de sucre aux utilisateurs industriels.

Il n'est par ailleurs pas contesté que, si, sur le recours de l'industrie sucrière italienne, le Conseil d'État a annulé, le 29 février 1972, l'arrêté no 1236 et la circulaire qui l'explicitait, cette juridiction a admis, quant au fond, la légalité des mesures prises; le régime des prix ainsi mis en œuvre a continué en fait d'être appliqué.

Or, ainsi que la Commission l'a elle-même admis expressément, l'exigence de la totalité du «sovraprezzo», jointe à l'incidence des frais de transport, rendait, en fait, impossible l'importation de sucre communautaire en Italie. Les fournisseurs n'auraient pu, en effet, offrir leurs produits qu'à un prix supérieur au maximum fixé par les autorités italiennes. Le CIP avait lui-même considéré que la mise à la consommation du sucre importé ne pouvait être effectuée qu'à des prix plus élevés que les prix
nationaux, ce qui — reconnaît-il — «est contraire aux objectifs poursuivis».

Dès avant l'organisation commune du marché, existait d'ailleurs, depuis 1963, une Caisse d'égalisation pour le prix du sucre importé, chargée de dispenser une aide financière en vue de couvrir la différence entre le prix du sucre sur le marché international et les prix fixés sur le marché intérieur. Cet organisme avait accusé un déficit du fait des importations effectuées à un prix supérieur à celui du marché intérieur. Ce déficit devait être repris en charge par la nouvelle Caisse d'égalisation
créée, comme on l'a vu, en 1968.

Il fallait donc trouver le moyen de rendre possibles les importations en provenance des autres États membres.

En février 1969, par une première mesure transitoire, le taux du «sovraprezzo» fut forfaitairement réduit à 8 lires par kg pour le sucre importé, destiné à l'usage industriel. Puis, en mai, fut instauré, par arrêté no 1215 du CIP, un régime d'adjudications publiques pour les importations, dont le principe repose sur la volonté de l'administration italienne d'obtenir des adjudicataires le taux de «sovraprezzo» le plus élevé, compatible avec le respect des prix maxima intérieurs

Le soin d'organiser les adjudications, ouvertes en principe à tous les opérateurs intéressés, fut confié à la Caisse d'égalisation pour le sucre, qui reçut le pouvoir de fixer la quote-part de «sovraprezzo» qu'elle considère comme adéquate. Ce taux a varié de 1969 à 1972 de 6,40 à 11,50 lires par kg de sucre, selon les adjudications.

La Caisse détermine tant les quantités que les qualités du sucre à importer à chaque adjudication.

Aucune offre n'est recevable si elle ne porte sur une quantité d'au moins 1000 tonnes.

Après examen des offres reçues, la Caisse adjuge les importations en fonction de la quantité et du montant du «sovraprezzo» offerts par les candidats.

La bonne fin des importations était garantie par une caution d'un montant relativement élevé. Enfin, dans le cas où un adjudicataire ne se serait pas conformé aux conditions fixées par l'avis d'adjudication, le sucre par lui importé devait supporter la totalité du «sovraprezzo».

Ce système a été applique à l'importation du sucre blanc, tandis qu'en ce qui concerne le sucre brut une réduction fixe du «sovraprezzo» d'environ 50 % était consentie en dehors de toute procédure d'adjudication.

Enfin, en vue de permettre à des opérateurs économiques qui ne disposeraient pas d'une organisation leur permettant de participer aux adjudications publiques — formule révélatrice qui vise particulièrement les utilisateurs industriels — de s'approvisionner en sucre importé, il fut décidé, par arrêté no 1234 du 24 octobre 1969, d'autoriser l'importation hors adjudication, mais en en limitant les quantités et moyennant un taux de «sovraprezzo» arrêté par la Caisse. En tout état de cause, ces
opérations ne pouvaient porter que sur une fraction des importations adjugées.

Une telle réglementation conjuguée des prix maxima et des adjudications ne pouvait manquer d'avoir une incidence décisive sur le comportement tant des producteurs acheteurs italiens que des fournisseurs français, belges et même allemands.

A cet égard, les considérations suivantes doivent être retenues.

Tout d'abord, la politique italienne ayant eu pour objectif de n'admettre à l'importation que les tonnages strictement nécessaires pour combler le déficit de la production nationale par rapport aux besoins, cet objectif pouvait être et a été effectivement atteint grâce au pouvoir dont disposait la Caisse, tant de décider l'ouverture des adjudications que de fixer elle-même les quantités de sucre à importer pour chacune de ces opérations.

En conséquence, on peut affirmer que le volume total des importations en provenance des autres États membres n'a pu être affecté par la concertation entre le groupe des acheteurs et le groupe des fournisseurs.

En second lieu, les quantités soumises aux adjudications étaient d'une importance telle (de 50000 à 170000 tonnes environ) que, d'une part, les acheteurs se sont trouvés fortement incités à s'adresser à des exportateurs disposant d'un volume de production suffisant, offrant des garanties de livraisons groupées et régulières et en mesure de conclure à des prix suffisamment bas, notamment en obtenant des conditions de transport particulièrement intéressantes qui n'auraient pu être consenties par les
entreprises ferroviaires pour des tonnages plus réduits.

Ces considérations expliquent que les acheteurs se soient donc adressés à un «pool» des producteurs étrangers. A l'exception de Süddeutsche Zucker AG, ceux-ci ont estimé avantageux de confier la réalisation des opérations d'importation à un négociant international susceptible d'offrir les garanties indispensables à la bonne fin de ces opérations.

De l'autre côté, du fait qu'aucun réseau de distribution indépendant n'existe en Italie, du fait également que les utilisateurs industriels, qui ne disposent pas de moyens de stockage et doivent le plus souvent s'approvisionner au jour le jour, étaient dans la quasi-impossibilité de participer aux adjudications, il ne fait pas de doute que les seuls acheteurs en position de le faire étaient les producteurs italiens eux-mêmes.

De même que Sucres & Denrées était l'intermédiaire agréé par la plupart des exportateurs, le soin de mener les négociations commerciales pour chaque adjudication fut confié à l'un des producteurs italiens, la société Eridania, dont les activités, non seulement de producteur, mais aussi de commerçant et de financier, comptent parmi les plus importantes en Italie.

Aussi bien, l'impression se dégage-t-elle du dossier que le regroupement des producteurs acheteurs italiens autour d'Eridania a été sinon imposé, du moins fortement «conseillé» par les autorités nationales.

Aussi bien est-il également établi qu'avant la mise en vigueur de l'organisation commune, les producteurs italiens avaient déjà la position d'importateurs.

Rappelons aussi que, par son arrêté du 24 octobre 1969, le CIP avait dû prendre certaines mesures particulières tendant à permettre aux utilisateurs, même s'ils ne s'étaient pas portés eux-mêmes candidats à l'adjudication, de bénéficier, dans me mesure limitée, des offres, à condition qu'ils aient notifié leur intention d'importer individuellement des quantités inférieures au minimum de 1000 tonnes exigé de tout adjudicataire.

Mais, si la somme des quantités réclamées par ces utilisateurs venait à dépasser 10000 tonnes, les droits de chacun étaient proportionnellement réduits. De nombreuses demandes présentées dans ces conditions ne reçurent qu'une satisfaction partielle, ce qui n'était pas de nature à encourager les intéressés à faire usage de cette faculté. Mieux valait, pour eux, en fin de compte, s'approvisionner directement auprès des producteurs nationaux. Enfin, le total des autorisations d'achat hors adjudication
fut, de toute manière, cantonné à 20 %, puis à 25 % des importations globales.

Compte tenu des conséquences de cette réglementation, nous doutons sérieusement, Messieurs, qu'il pût subsister une marge de concurrence réellement praticable pour les importations de sucre communautaire.

Par le jeu des prix maxima combiné avec le régime des adjudications, manifestement organisé pour en réserver, dans la plus large mesure, l'accès aux seuls producteurs, il est clair que les autorités nationales avaient «verrouillé» le marché italien.

Or, s'il n'est pas douteux que le groupe des acheteurs et celui des fournisseurs étrangers ont négocié, se sont concertés et ont, en définitive, abouti à faire en sorte qu'environ les trois quarts des importations totales ont été réalisées, dans le cadre des adjudications, par leurs soins, encore faudrait-il que les pratiques incriminées aient eu pour effet d'altérer, de restreindre ou de fausser de façon sensible le jeu de la concurrence.

Vous avez fait appel à ce critère de sensibilité dans plusieurs arrêts :

— 30 juin 1966 (affaire 56-65 — Technique minière, Recueil 1966, p. 359),

— 6 mai 1971 (affaire 1-71 — Cadillon, Recueil 1971, p. 356),

— 25 novembre 1971 (affaire 22-71 — Béguelin Recueil 1971 p. 960)

Vous ne vous êtes pas encore prononces sur la question de savoir si le caractère sensible des restrictions à la concurrence, attribuées par la Commission à l'existence de pratiques concertées, peut être dénié lorsque le jeu normal de la concurrence se trouve étroitement limité, sinon supprimé, par une réglementation nationale dirigiste qui conduit les opérateurs économiques à s'accorder pour adapter leur comportement aux exigences d'une telle réglementation. Il nous paraît que tel est bien le cas en
l'espèce et que c'est bien au régime imposé par les autorités nationales, tel qu'il a été conçu et appliqué, qu'il faut imputer la réduction de la marge de concurrence, et non à la concertation du groupe des importateurs et du groupe homologue des fournisseurs. Dans ces conditions, les livraisons de producteur à producteur ne peuvent être regardées, pour ce qui touche du moins le marché italien, comme un indice probant d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Or, la Commission s'est bornée à mentionner l'existence des «mesures spéciales prises par les autorités nationales», sans avoir recherché quelles en ont été les conséquences. Elle allègue, purement et simplement, qu'à défaut de la concertation incriminée, des ventes libres auraient pu être pratiquées par les fournisseurs sur le marché italien. Mais cette allégation, qui n'est assortie d'aucune démonstration, ne nous paraît pas plausible en présence de l'analyse que nous venons de faire des
mécanismes mis en œuvre par la réglementation italienne.

A tout le moins doit-on retenir, à notre avis, que la Commission a complètement négligé d'examiner cet aspect, pourtant essentiel, du problème, et qu'elle a ainsi été conduite à prendre une décision non seulement insuffisamment motivée en la forme, mais qui repose sur des données incomplètes et fait abstraction de certains éléments déterminants.

La conclusion à laquelle nous sommes ainsi conduit suffirait à justifier, dans notre opinion, l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle retient et réprime les infractions à l'article 85, paragraphe 1, touchant la protection du marché italien.

Il est toutefois un autre terrain juridique sur lequel il est possible de fonder une identique solution et certaines des requérantes, particulièrement Générale sucrière, n'ont pas hésité à s'y engager, ainsi d'ailleurs — mais pour d'autres raisons — que l'intervenante, l'Union nationale des consommateurs italiens.

Nous visons ainsi la question de savoir si la réglementation italienne n'est pas incompatible avec certaines dispositions du traité et du règlement no 1009/67.

Nous l'examinerons, sous réserve de quelques observations préalables.

En premier lieu, il y a lieu ici de faire abstraction de la notion d'organisation nationale de marché, au sens du règlement 26/62, en tant que l'article 2, paragraphe 1, de ce règlement exclut l'application de l'article 85 aux accords, décisions et pratiques concertées qui font partie intégrante d'une telle organisation. Il nous paraît certain que l'incompatibilité éventuelle de la réglementation italienne avec le droit communautaire serait, à elle seule, de nature à écarter l'exemption prévue par
ce texte.

Toutefois — et c'est notre deuxième observation — cela ne signifie pas que le règlement 1009/67 et les textes subséquents n'aient pas appelé l'adoption par les États membres de certaines mesures nationales complémentaires en vue d'en assurer l'application, ne serait-ce par exemple que pour répartir les quotas qui sont attribués aux États membres entre leurs entreprises.

Il est dès lors à considérer que l'organisation du marché européen du sucre est régie tout à la fois par des normes communautaires et par des dispositions prises par les États, destinées à les compléter sans toutefois en altérer l'économie et la portée.

En vue de préserver les compétences exclusives des institutions communautaires, votre jurisprudence a en effet fermement marqué les limites dans lesquelles les autorités nationales peuvent intervenir en présence d'une organisation commune de marché.

L'arrêt Bollmann pose en principe qu'un règlement relatif à une telle organisation étant directement applicable, il est, sauf dispositions contraires, exclu que les États puissent, en vue d'en assurer l'application, prendre des mesures ayant pour objet d'en modifier la portée ou d'ajouter à ces dispositions (arrêt du 18 février 1970, affaire 40-69, Recueil 1970, p. 80).

Dans la même ligne, l'arrêt SAIL dispose qu'à partir de l'entrée en vigueur du règlement no 804/68, les marchés, dans le secteur du lait et des produits laitiers, ont fait l'objet d'une organisation définitive, bien qu'encore, à certains égards, incomplète; qu'à partir de ce moment, il appartenait à l'autorité communautaire seule de décider du maintien, à titre provisoire, de tout régime national d'organisation, d'intervention ou de contrôle portant sur les produits en cause (arrêt du 21 mars 1972,
affaire 82-71, Recueil 1972, p. 138).

Tel est également le sens de l'arrêt Van Haaster (30 octobre 1974, affaire 190-73, Recueil 1974, p. 1133) dans lequel vous avez relevé que, l'organisation du marché des plantes vivantes et produits de la floriculture étant fondée sur la liberté des transactions commerciales dans des conditions de concurrence loyale, «un tel régime exclut toute réglementation nationale susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire».

Enfin — et c'est notre troisième observation — dans la mesure où, à la lumière de cette jurisprudence, il serait possible de dégager de la réglementation italienne des éléments qui sembleraient contraires à la réglementation communautaire, cet examen ne pourrait toutefois vous conduire à prononcer un jugement sur l'illicéité de certaines des mesures en vigueur en Italie. Saisis de litiges en matière de concurrence, il ne vous est pas possible, dans ce cadre, d'empiéter ainsi sur certaines procédures
telles que celles que les articles 169 ou 92 du traité ont prévues spécialement à la diligence de la Commission, en vue de constater soit le manquement d'un État aux obligations que lui imposent le traité ou les règlements pris pour son application, soit l'incompatibilité de certaines formes d'aides nationales avec le marché commun.

En revanche, rien ne vous interdit, à notre avis, de tirer les conséquences, d'une part, du fait que la Commission n'a pas, avant de prendre sa décision sur les pratiques concertées en cause, examiné sérieusement si la réglementation italienne n'était pas effectivement incompatible avec les normes communautaires, d'autre part, de son abstention, depuis 1968, à prendre les mesures en son pouvoir pour mettre fin à la situation créée par cette réglementation.

Or, Messieurs, il ne nous paraît guère douteux que plusieurs éléments du régime italien auraient dû convaincre la Commission de la nécessité de procéder à cet examen avant de statuer.

Le premier réside dans la procédure des adjudications dont l'agencement général et les modalités avaient, comme nous l'avons constaté, pour conséquence — d'ailleurs délibérée — d'enserrer les importateurs dans un réseau d'exigences administratives qui limitaient, en fait, l'accès aux adjudications et, partant, rendaient les importations plus difficiles à nombre d'opérateurs économiques et, en particulier, aux industriels utilisateurs de sucre. La circonstance que des importations hors adjudication
fussent, en théorie, libres ne contredit en rien cette constatation puisque de telles opérations étaient subordonnées au paiement de l'intégralité du «sovraprezzo», ce qui les rendait économiquement impossibles.

Au demeurant, les quantités de sucre faisant l'objet des adjudications étant fixées par la Caisse d'égalisation, le système permettait d'assurer un contingentement des importations. Il est difficile de ne pas y voir une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, prohibée par l'article 35, paragraphe 1, du règlement no 1009/67.

Une deuxième observation ressort de l'exigence même du «sovraprezzo». Bien que cette contribution fut perçue tant sur le sucre de production nationale que sur le sucre importé, elle n'en pourrait pas moins être regardée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane dans la mesure où, comme vous l'avez relevé dans l'affaire Capolongo-Maya (affaire 77-72, arrêt du 19 juin 1973, Recueil 1973, p. 624), «une redevance intérieure appréhendant systématiquement les produits nationaux et les
produits importés selon les mêmes critères peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter les activités qui profitent spécialement au produit national appréhendé».

Or, il est de fait que le «sovraprezzo» était destiné à financer des aides au bénéfice des producteurs italiens de betteraves et de sucre, qu'il s'agisse de celles qu'autorise le règlement 1009/67 ou d'aides instituées unilatéralement par les autorités nationales. Il est donc permis de penser que ce mode de financement contrevient tant à l'interdiction faite par l'article 35, paragraphe 1, du règlement de percevoir sur le sucre, à l'intérieur de la Communauté, tout droit de douane ou taxe d'effet
équivalent, qu'à la prohibition résultant de l'article 95 du traité de percevoir des impositions intérieures discriminatoires.

De plus, ainsi qu'on vient de le dire, le produit du «sovraprezzo» n'était pas seulement affecté au seul financement des aides autorisées par le règlement communautaire; il ressort de l'article 6 de l'arrêt no 1195 du CIP qu'il était, pour partie, employé à fournir d'autres avantages financiers aux sucriers italiens.

Tel est le cas du remboursement de certains droits fiscaux perçus à l'occasion de l'achat et du transport des betteraves; de l'aide fournie aux sucriers en compensation de versements effectués aux betteraviers en vertu d'un décret italien antérieur; de l'aide relative aux frais de stockage de la production exceptionnellement importante de la campagne 1967-1968 ou même de la résorption, au moyen du «sovraprezzo», du déficit accumulé par la précédente Caisse d'égalisation pour le prix du sucre
importé.

En admettant même que le «sovraprezzo» ne contrevienne pas, ipso facto, à l'article 95 du traité, de telles aides paraissent relever du champ d'application de l'article 92, paragraphe 3. A supposer même encore qu'elles puissent être considérées comme compatibles avec le marché commun, encore faudrait-il qu'elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Mais, c'est précisément à la Commission, tenue de les examiner de concert avec l'État membre
intéressé, qu'il eût appartenu, ou d'en autoriser le maintien, ou de décider leur supression ou leur modification en vertu de l'article 93.

Le mode de financement de ces aides peut suffire à les rendre illicites, comme vous l'avez jugé dans l'affaire France/Commission (affaire 47-69, arrêt du 25 juin 1970, Recueil 1970, p. 493).

Enfin, la question se poserait de savoir si, après l'entrée en vigueur du règlement no 1009/67 et la mise en œuvre des prix communautaires du sucre, les autorités italiennes pouvaient encore, même au stade de la consommation, imposer des prix maxima, fût-ce par le système des écarts de prix par rapport au prix d'intervention dérivé.

Pour toutes ces raisons, il est permis de douter sérieusement que la réglementation italienne: prélèvement et affectation du «sovraprezzo», prix maxima ou écarts de prix, régime des adjudications, soit compatible avec les objectifs et les principes du règlement no 1009/67 et avec certaines dispositions du traité.

Il ne vous appartient pas, nous l'avons dit, de trancher cette question dans le cadre des présents litiges. Mais qu'il nous soit permis de dire qu'avant de condamner les entreprises requérantes pour violation de l'article 85, paragraphe 1, la Commission avait le devoir de se livrer à un examen attentif de ce problème et, dans la mesure où elle aurait pu, légitimement semble-t-il, présumer que certains éléments essentiels du régime national italien étaient illicites au regard du droit communautaire,
elle aurait dû faire usage — que ce soit au titre de l'article 169 ou de l'article 92 du traité — des pouvoirs qu'elle détient en vue d'obtenir leur modification ou leur abrogation.

Or, elle a toléré le maintien de l état de choses ainsi créé, dont nous avons dit qu'il avait eu une incidence indéniable sur les conditions de la concurrence et, partant, sur le comportement tant des importateurs que des fournisseurs.

C'est seulement après plus de six années que, sur un point déterminé — celui du mode de financement des aides accordées aux producteurs de betteraves et à l'industrie sucrière — elle a décidé, ainsi qu'elle vient de le faire savoir à la Cour, d'engager, le 4 décembre dernier, une procédure de manquement, par une lettre adressée au gouvernement italien.

Cette initiative tardive ne peut que renforcer notre opinion.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous vous proposerons d'annuler, in parte qua, la décision attaquée.

VII — Protection du marché néerlandais

En ce qui concerne le marché du sucre aux Pays-Bas, la Commission retient à l'encontre des deux producteurs néerlandais: Suiker Unie et Centrale Suiker Maatschappij, d'une part, la Raffinerie tirlemontoise et Pfeifer & Langen, d'autre part, des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité, commises pendant les quatre campagnes en cause par les trois premières entreprises, tandis que la firme allemande n'est poursuivie que pour la campagne 1971-1972.

Ces infractions consistent en des pratiques concertées qui auraient eu pour objet et pour effet de contrôler les livraisons de sucre en provenance de Belgique et de la partie occidentale de l'Allemagne sur le marché néerlandais et, en conséquence, de protéger ce marché.

Deux autres griefs, juridiquement distincts du premier, puisque fondés sur l'article 86 du traité, mettent également en cause la Raffinerie tirlemontoise d'abord, à laquelle il est reproché d'avoir exercé des pressions économiques sur les deux principaux négociants belges: les firmes Export et Hottlet, afin de les obliger à limiter leurs exportations vers les Pays-Bas ou, d'ailleurs, d'une manière plus générale sur le marché communautaire et à destination des pays tiers.

De leur côté, les producteurs néerlandais auraient agi de même à l'égard des commerçants nationaux: les firmes Internatio, Jacobson et Dudok de Wit, en vue de les contraindre à renoncer à certaines importations de sucre, notamment en provenance de France.

Bien qu'ils s'appliquent à des manifestations différentes du comportement des producteurs: pratiques concertées, d'une part, abus de position dominante, d'autre part, ces trois griefs n'en sont pas moins liés dans la mesure où ils procèdent d'un même dessein, d'une politique coordonnée par laquelle les producteurs des deux pays se sont non seulement efforcés de conserver le contrôle absolu des échanges de sucre dans les relations intracommunautaires par le jeu des livraisons directes de producteur à
producteur, mais aussi de contraindre les négociants, sur lesquels ils avaient barre, à s'aligner sur leur politique et à n'effectuer de transactions que dans le cadre de celle-ci.

Cela dit, avant d'examiner le bien-fondé de ces griefs, il nous faut nous arrêter quelques instants sur un moyen invoqué à titre préalable par Suiker Unie. Cette entreprise oppose à la Commission qu'elle n'existe, en tant que personne morale, que depuis le 2 janvier 1971 ; que, dès lors, la défenderesse ne peut juridiquement lui imputer des infractions commises antérieurement à sa création.

Pour en juger, il convient de rappeler qu'en 1966 quatre entreprises néerlandaises productrices de sucre, constituées en coopératives, dont les membres étaient des exploitants betteraviers, ont décidé de créer, en vue de coordonner leur activité, une association ou union de coopératives sous la raison sociale : «Coöperatieve Vereniging Suiker Unie UA», habilitée à prendre certaines décisions communes pour l'exploitation des installations sucrières, les investissements et les prix. Toutefois, les
exploitants producteurs de betteraves restaient, dans cette première formule, adhérents des coopératives de base qui, elles-mêmes, continuaient d'assurer, dans le cadre des instructions données par l'association, la commercialisation du sucre qu'elles produisaient.

Dans l'esprit des intéressés, cette organisation ne devait avoir qu'un caractère transitoire; elle était une étape vers la création d'une union sucrière complètement intégrée à laquelle devaient, par la suite, adhérer directement les planteurs de betteraves.

C'est ce qui fut réalisé en 1970. Une nouvelle «Coöperatieve Vereniging Suiker Unie UA» vit le jour, tandis que l'ancienne association ajoutait à sa raison sociale le mot «Beheer», c'est-à-dire administration. Elle devait d'ailleurs mettre fin à ses activités le 31 décembre de la même année et disparaître quelques mois plus tard.

Le 2 janvier 1971, la nouvelle association se substituait aux quatre coopératives de base dont elle reprenait intégralement les droits et les obligations, devenant ainsi elle-même producteur et non pas seulement organe de coordination.

La requérante déduit de cette transformation qu'elle est une nouvelle personne morale juridiquement distincte de l'association initiale, bien qu'elle en ait repris la raison sociale. La Commission ne pouvait donc mettre à sa charge des faits qui auraient été commis par celle-ci.

En admettant même, Messieurs, que ce raisonnement puisse trouver un fondement dans la législation interne des Pays-Bas, il impliquerait que les sanctions pécuniaires prononcées par la Commission en application du règlement no 17 sont des sanctions pénales au sens strict du terme.

Nous avons déjà dit qu'il n'en est rien; l'article 15, paragraphe 4, du règlement le confirme expressément.

Les amendes ne sont pas infligées à des personnes physiques; elles frappent des entreprises, personnes morales certes, mais en tant qu'entités économiques.

Et c'est la réalité économique qu'il faut ici faire prévaloir, sans s'attacher à la question de savoir si la requérante Suiker Unie est, ou non, l'ayant droit de l'ancienne association.

Sur ce plan, il suffit de constater que, dans l'organisation primitive, coexistaient les quatre coopératives de base, certes propriétaires des installations sucrières, mais dont les activités étaient étroitement coordonnées par une association disposant de pouvoirs importants.

A ce complexe a été substituée l'association requérante qui, ayant repris l'actif et le passif des coopératives de base, ne dispose plus seulement de pouvoirs de coordination, mais est devenue une entité économique unique.

Il nous paraît conforme à l'esprit du règlement no 17 que cette entité se voit imputer le comportement antérieur de l'organisation qu'elle a remplacée, sans solution de continuité.

Écarter cette interprétation reviendrait d'ailleurs à priver le règlement de tout effet utile et la Commission des pouvoirs que ce texte lui confère, dans l'hypothèse — qui n'est pas théorique — où une substitution intervient dans la personnalité morale d'une entreprise entre le moment où des comportements anticoncurrentiels ont été constatés à son encontre et l'intervention de la décision prise par la Commission. Celle-ci est, dans un tel cas, en droit d'imputer les comportements antérieurs à la
nouvelle personne morale, à la condition que celle-ci recouvre la même entité économique.

Nous vous proposons en conséquence d'écarter le moyen liminaire invoqué par Suiker Unie.

Il s'agit, à présent, d'examiner par quels procédés les producteurs néerlandais, d'une part, la Raffinerie tirlemontoise, d'autre part, ont fait en sorte de canaliser les importations de sucre belge vers le marché néerlandais.

C'est un fait, tout d'abord, qu'au long des quatre campagnes en cause, Suiker Unie et Centrale Suiker ont acheté directement à leur concurrent des quantités croissantes de sucre blanc qu'ils ont vendues aux Pays-Bas, par l'intermédiaire de leur propre réseau de distribution, aux mêmes conditions et prix que le sucre de production nationale et, le plus souvent, sous leur propre marque.

Dans le même temps, on peut constater que la Raffinerie tirlemontoise n'a pratiquement pas fait d'autres livraisons sur le marché néerlandais, à l'exception de quelques centaines de tonnes exportées librement en vue de la dénaturation.

En outre, cette même entreprise a informé très clairement les négociants belges que des exportations de leur fait vers les Pays-Bas ne seraient admises qu'à la demande et par le canal des producteurs néerlandais.

Toutefois, au cours des deux premières campagnes, ces derniers n'avaient pas, semble-t-il, été pleinement en mesure de contrôler leur marché national. En effet, que ce fût par des importations de quantités de sucre importantes en provenance de France — et sur lesquelles nous reviendrons — ou, moindres, de Belgique, du fait de petites entreprises indépendantes de la Raffinerie tirlemontoise, une concurrence assez vive avait été exercée sur le marché néerlandais, y déclenchant même ce que l'on a
appelé la «guerre du sucre».

C'est sans nul doute en relation avec ces événements que la Raffinerie tirlemontoise et les producteurs néerlandais ont résolu, à partir de 1970-1971, de faire pression sur les négociants nationaux en vue de faire respecter une stricte discipline dans le commerce du sucre d'un pays à l'autre.

Aux deux exportateurs belges: Export et Hottlet, la Raffinerie tirlemontoise a accordé l'exclusivité de ses ventes aux Pays-Bas, à la condition que ceux-ci restreignent leurs livraisons à ceux des acheteurs ou utilisateurs qui seraient agréés par les producteurs de ce pays et mettent fin à toute exportation sur le marché néerlandais de sucre produit par des raffineurs belges indépendants.

De leur côté, Suiker Unie et Centrale Suiker, dont l'objectif était de s'assurer le contrôle exclusif du marché du sucre de bouche aux Pays-Bas, ont subordonné leur accord aux livraisons de sucre belge — autres que celles qui leur étaient faites directement — à la condition que ce produit ne soit livré qu'à l'industrie laitière, qui consomme de 50000 à 70000 tonnes de sucre par an et exporte d'ailleurs hors des Pays-Bas le lait condensé en boîte qu'elle fabrique.

Les commerçants néerlandais qui, traditionnellement, approvisionnaient cette industrie, ont été, dès lors, contraints d'indiquer que le sucre importé de Belgique par leurs soins était effectivement destiné à l'industrie laitière et de préciser, dans leurs offres d'achat, qu'ils ne revendraient qu'à des clients pour lesquels les producteurs nationaux avaient donné leur accord.

La même contrainte a été appliquée aux ventes de sucre destiné à l'industrie chimique, mais en beaucoup plus faible quantité.

Si bien qu'à partir de la campagne 1970-1971, ces négociants ont été, à leur tour, intégrés dans le système mis en œuvre d'un commun accord entre la Raffinerie tirlemontoise et les producteurs néerlandais, les livraisons de sucre belge étant réalisées par l'intermédiaire du commerce de gros des deux pays.

En définitive donc, la politique suivie pour la protection du marché des Pays-Bas s'appuie, d'une part, sur les livraisons directes de producteur à producteur, qui ne sont pas contestées, d'autre part, sur la canalisation, par l'intermédiaire des négociants, des exportations belges vers des destinations ou des destinataires déterminés.

La mise en œuvre de ce plan nous paraît amplement démontrée par de nombreux documents qui émanent de la Raffinerie tirlemontoise elle-même ainsi, principalement, que de la firme Export.

Sans prétendre en analyser en détail le contenu, il nous suffira de rappeler les éléments qui s'en dégagent :

— C'est, en premier lieu, la confirmation que toute exportation vers les Pays-Bas était assortie de clauses de destination précises, l'industrie laitière néerlandaise étant expressément désignée, dans des télex ou lettres échangés entre la Raffinerie tirlemontoise et Export, entre Export et Jacobson, entre la Raffinerie Notre-Dame à Oreye et encore Export, ainsi que dans une série de contrats d'achat conclus par Export et Hottlet avec la Raffinerie tirlemontoise ;

— Il s'agit, en second lieu, des documents commerciaux émanant de la Raffinerie tirlemontoise, d'Export, du Comptoir sucrier d'Anvers ou de producteurs belges contrôlés par la Raffinerie tirlemontoise, qui confirment des refus de livraisons opposés à des utilisateurs néerlandais autres que ceux de l'industrie laitière ou l'industrie chimique ;

— Enfin, les conditions dans lesquelles les négociants belges se sont ralliés à la politique imposée par les producteurs sont clairement évoquées dans un échange télex entre la Raffinerie tirlemontoise et Export des 19 et 20 août 1970. Après que la Raffinerie tirlemontoise se soit déclarée disposée à mettre du sucre à la disposition d'Export pour l'industrie laitière des Pays-Bas, cette firme commerciale a marqué son accord pour suivre la raffinerie «dans son élaboration d'une entente avec Suiker
Unie et Centrale Suiker».

Export déclare notamment : «renoncer à traiter les sucres belges avec les acheteurs utilisateurs néerlandais» pour tout ce que cette firme dénomme «les besoins propres néerlandais qui consistent, d'une part, en la consommation de bouche, d'autre part, en la consommation de produits sucrés aux Pays-Bas, à l'exclusion de l'industrie laitière. Est également exclu du renoncement d'Export le trafic de dénaturation du sucre et de l'industrie chimique».

De même, en ce qui concerne les rapports entre producteurs et négociants néerlandais, une note d'Export adressée à la Raffinerie tirlemontoise fait état de l'engagement pris par les trois importateurs traditionnels des Pays-Bas vis-à-vis de Suiker Unie et de Centrale Suiker : «de ne pas importer pour la consommation néerlandaise, si ce n'est avec leur accord». L'exécution effective de cet engagement ressort des correspondances commerciales échangées notamment entre Jacobson et Export.

En substance, ces documents confirment et éclairent, pour le marché des Pays-Bas, les principes dégagés dans le cadre général de la concertation entre les principaux producteurs européens et que la Raffinerie tirlemontoise a d'ailleurs, dans une lettre à Export en date du 31 août 1970, formulés de manière concise, nette et claire :

«En ce qui concerne la Hollande, le principe de base est que nous souhaitons ne rien faire qui puisse heurter Suiker Unie ou Centrale Suiker, de même qu'eux ne désirent rien faire qui nous dérangerait».

Il n'est pas d'aveu plus explicite.

La Raffinerie tirlemontoise en a si bien conscience qu'elle reconnaît que les pièces versées au dossier sont «accablantes». Rappelons d'ailleurs que certaines de ces pièces, émanant de ses propres archives, n'ont pas été obtenues sans difficulté puisque, en septembre 1971, la Commission a dû lui infliger une amende de 4000 unités de compte pour n'avoir remis aux enquêteurs que des renseignements insuffisants ou incomplets.

Sans contester l'authenticité des documents produits, non plus que la matérialité des faits qu'ils révèlent, la Raffinerie tirlemontoise tente de se justifier en alléguant les relations difficiles qu'elle a entretenues à l'époque avec Export. Cette société redoutait en effet d'être progressivement évincée de sa fonction commerciale auprès de la Raffinerie, en raison notamment des livraisons directes de producteur à producteur.

Évitant d'expliquer franchement à Export que «son propre intérêt lui commandait d'éliminer les intermédiaires de certaines transactions», la Raffinerie tirlemontoise aurait préféré, dit-elle, «se retrancher derrière ses collègues étrangers».

En d'autres termes, elle aurait invoque les exigences d'une concertation entre producteurs concurrents afin de ménager la susceptibilité des dirigeants d'Export.

Qu'il y ait eu, il est vrai, de sérieuses tensions entre les deux firmes, jusqu'au moment du moins où Export, comme on l'a vu, s'est finalement aligné sur la politique commune, n'est pas niable. Que ce soit par les échanges de lettres et de notes soulignant les divergences de vues qui se sont manifestées durant les deux premières campagnes sucrières entre les deux entreprises que la Commission a été informée de cette concertation n'est pas douteux.

Mais il reste que ces documents ont force probante, non seulement d'ailleurs pour établir les pressions exercées sur Export, mais aussi pour mettre à jour le comportement de Suiker Unie et de Centrale Suiker dans leurs relations avec le principal producteur belge et les exportateurs de ce pays.

La circonstance qu'à l'égard des producteurs néerlandais les éléments de conviction soient ainsi tirés d'une correspondance échangée entre des tiers n'affaiblit pas la position de la Commission dans la mesure où cette correspondance permet d'établir la matérialité des faits, que d'ailleurs l'analyse du comportement effectif des entreprises néerlandaises confirme amplement.

Nous tenons donc pour établie l'existence de pratiques concertées entre ceux-ci et la Raffinerie tirlemontoise, ces entreprises ayant sciemment substitué une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence en vue d'assurer aux producteurs néerlandais le maintien de positions acquises sur leur marché national.

Ainsi, le commerce entre deux États membres a-t-il été directement affecté.

Ainsi également, la concurrence qui aurait dû normalement s'exercer a-t-elle été faussée, les consommateurs et utilisateurs industriels de sucre n'ayant pu bénéficier du libre choix de leurs fournisseurs.

Aussi bien, qu'il s'agisse des livraisons directes de producteur à producteur ou de la canalisation des livraisons de sucre belge aux Pays-Bas vers des destinations et des destinataires déterminés, c'est un fait que ces opérations ont porté sur une fraction importante du total des exportations belges. Selon la Commission, ces opérations «contrôlées» en représentent en moyenne 70 à 80 % pour trois des campagnes en cause. La seule exception notable concerne la campagne sucrière 1969-1970 au cours de
laquelle, avant d'ailleurs que la concertation n'ait porté tous ses fruits, des producteurs belges indépendants de la Raffinerie tirlemontoise ont eu encore la possibilité d'intervenir sur le marché néerlandais.

Compte tenu de ces faits, c'est en vain que les requérantes font valoir que les livraisons de producteur à producteur ne tomberaient pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Ces livraisons ne seraient, en elles-mêmes, qu'un indice, mais elles s'inscrivent dans des pratiques concertées dont la mise en œuvre est prouvée; elles en sont l'un des moyens et ne peuvent donc en être dissociées.

Ajoutons que, si, à partir de 1970, des livraisons importantes de sucre produit par la Raffinerie tirlemontoise ont été faites non plus directement à Suiker Unie ou à Centrale Suiker, mais par l'intermédiaire des négociants traditionnels, ce fait ne modifie pas la conclusion qu'il convient d'en tirer, car la clause de destination imposée, on l'a vu, aux exportateurs belges constitue, en l'espèce, un élément déterminant de la concertation.

Avant d'en venir à la situation de Pfeifer & Langen dans les relations de cette entreprise avec le marché néerlandais, il nous reste à écarter un moyen de forme que Suiker Unie et Centrale Suiker tirent d'une prétendue violation de l'article 190 du traité. Elles soutiennent que certaines des allégations ou affirmations figurant dans l'exposé des motifs de la décision attaquée seraient trop générales, trop sommaires ou parfois même incohérentes pour répondre à l'exigence de motivation que
l'article 190 impose à la Commission.

En vérité, Messieurs, il serait difficilement concevable qu'on ne puisse, dans une décision aussi longue et détaillée, découvrir quelques imprécisions de rédaction ou certaines formules elliptiques. Mais, le but de l'obligation de motiver, en ce qui concerne les décisions prises en application des articles 85 et suivants du traité, est de permettre aux entreprises concernées de comprendre l'exacte portée des griefs retenus par la décision attaquée et, par voie de conséquence, d'en pouvoir contester
utilement le bien-fondé. Il est manifeste qu'en l'espèce on ne peut relever à la charge de la Commission aucune violation des formes substantielles, car l'exposé des motifs de la décision attaquée ne laisse place à aucune ambiguïté non seulement quant à la nature et à la gravité des griefs retenus, mais aussi quant aux faits sur lesquels sont fondés ces griefs.

Il nous faut faire justice d'un dernier moyen, commun à Centrale Suiker et à la Raffinerie tirlemontoise. Ces deux requérantes invoquent le bénéfice de la seconde exception prévue à l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 26 en ce que leur comportement devrait, en tout état de cause, échapper à l'application de l'article 85, paragraphe 1, au motif qu'ils étaient «nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité». Centrale Suiker, pour sa part, soutient que, si elle
avait renoncé à acheter du sucre à la Raffinerie tirlemontoise, son appareil de production et de distribution eût été sous-employé; elle se serait alors trouvée dans l'impossibilité de payer aux producteurs de betteraves néerlandais un prix supérieur au prix minimum prévu par la réglementation communautaire. Il en serait résulté que l'un des objectifs énumérés à l'article 39, à savoir celui qui consiste à assurer un niveau de vie équitable aux exploitants agricoles, n'aurait pu être atteint aux
Pays-Bas.

Il s'agit là d'une simple allégation qui n'est étayée d'aucun commencement de preuve; Centrale Suiker ne tente même pas de démontrer que ses seuls achats de sucre à la Raffinerie tirlemontoise lui auraient permis d'assurer aux exploitants betteraviers un prix supérieur au minimum communautaire. Au surplus, son argumentation impliquerait que les autorités communautaires auraient elles-mêmes fixé ce prix minimum à un niveau trop bas pour assurer la réalisation de l'objectif en question. Ceci nous
paraît démenti par le lien qu'établit le règlement 1009/67 entre le prix d'intervention du sucre blanc et le prix minimum que les betteraviers sont assurés de percevoir. Enfin, Centrale Suiker n'allègue pas que les pratiques concertées auxquelles elle s'est livrée, auraient été nécessaires également à la réalisation des autres objectifs visés à l'article 39 du traité.

C'est un raisonnement analogue que fait la Raffinerie tirlemontoise en se fondant précisément sur le lien établi entre prix d'intervention du sucre et prix des betteraves. Elle soutient qu'à défaut d'avoir pu vendre, notamment aux Pays-Bas, une partie de ses excédents, dans la limite de son quota maximum, en obtenant des recettes au moins égales au prix d'intervention, elle n'aurait pu assurer aux betteraviers belges le prix minimum qui leur est garanti par le règlement 1009/67. De toute façon,
précise-t-elle, elle n'aurait pu vendre du sucre à l'organisme belge d'intervention, parce que les autorités nationales l'auraient dissuadée de le faire.

Elle entend justifier ainsi sa politique qui a consisté notamment à vendre directement ou par l'intermédiaire du négoce des quantités considérables de sucre à des producteurs concurrents ou à d'importants acheteurs, notamment pour ce qui concerne l'industrie du lait néerlandaise, et à un prix au moins égal au prix d'intervention.

Cette argumentation porte à faux. En vertu de l'article 9, paragraphe 1, du règlement de base, les organismes d'intervention nationaux ont l'obligation d'acheter tout le sucre qui leur est offert par des producteurs; à la demande de ceux-ci, la Commission n'aurait pas manqué d'intervenir pour faire assurer le respect de cette obligation par les autorités nationales.

En réalité, la Raffinerie tirlemontoise a cherché à éviter le plus possible tout recours au système de l'intervention.

Elle est d'autant moins fondée à considérer que le prix d'intervention doit être regardé comme un prix garanti; cela n'est exact que dans la mesure où le régime de l'intervention fonctionne effectivement, ce qui n'a pas été le cas sur le marché du sucre et tout particulièrement en Belgique.

Quant au sucre que la Raffinerie a cédé à un prix plus bas, en vue de la dénaturation, on sait qu'elle en a interdit aux intermédiaires la revente sur le marché de la consommation humaine, afin d'éviter une baisse des prix sur ce marché. Elle ne peut prétendre avoir ainsi contribué à la réalisation d'un autre objectif de l'article 39, qui consiste à «assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs».

En tout cas, l'article 39 ne nous semble pas compatible avec une politique de cloisonnement des marchés nationaux, menée en concertation par les producteurs.

Nous n'avons jusqu'à présent examiné que les rapports entre la Raffinerie tirlemontoise et le marché néerlandais. Mais la Commission a retenu à l'encontre de la firme allemande Pfeifer & Langen le même grief de pratique concertée avec les producteurs des Pays-Bas et particulièrement Suiker Unie.

Les éléments relatifs au comportement de Pfeifer & Langen sont de même nature que ceux produits à la charge de l'entreprise belge, dans la mesure où ils sont l'illustration, sinon d'une entente générale entre les producteurs européens, du moins d'une politique commune tendant à respecter les situations acquises sur les divers marchés nationaux.

En dehors du fait même que, selon la Commission, la participation de Pfeifer & Langen à la protection du marché néerlandais résulterait des livraisons de sucre que cette société aurait faites aux producteurs néerlandais, alors que ses livraisons à d'autres acheteurs des Pays-Bas auraient été insignifiantes, son comportement serait établi par certaines pièces du dossier — moins nombreuses, il est vrai, et moins éclairantes que les documents qui «accablent» la Raffinerie tirlemontoise.

Les premières ont trait au comportement de Pfeifer & Langen antérieurement au 1er juillet 1970, alors que l'entreprise n'est poursuivie que pour des faits postérieurs à cette date. Ces documents n'en pourraient pas moins constituer un indice de la volonté de la firme allemande de ne rien entreprendre sur le marché des Pays-Bas, qui pût porter ombrage à Suiker Unie ou à Centrale Suiker. Mais, en fait, les quelques refus de livraisons que révèlent ces documents sont explicables par la situation de la
production à cette époque dans la région occidentale de l'Allemagne; ils ne nous paraissent donc pas pouvoir être retenus à la charge de Pfeifer & Langen.

En second lieu, les notes et procès-verbaux établis par Export les 23 avril et 6 mai 1970 ne concernent spécifiquement que les rapports de cette société avec la Raffinerie tirlemontoise et non le comportement de producteurs allemands sur le marché néerlandais.

Ces écrits se réfèrent, certes, a l'existence d'une concertation globale entre producteurs européens et en indiquent les lignes directrices. Mais il faut bien admettre qu'ils ont un caractère trop général et trop imprécis pour fournir la preuve que cette concertation a fait l'objet de mesures d'application entre Pfeifer & Langen et les producteurs néerlandais.

Quant au fait que les livraisons de Pfeifer & Langen sur le marché néerlandais n'aient pas atteint un niveau élevé, il s'explique aussi par cette considération que le niveau des prix en Allemagne occidentale n'était pas, semble-t-il, inférieur à celui des Pays-Bas; il est donc admissible que la firme allemande ait trouvé peu avantageux d'essayer de s'implanter sur le marché en question. Encore que, compte tenu de la position de Suiker Unie et de Centrale Suiker, on ait tout lieu de penser que toute
tentative sérieuse en ce sens se serait heurtée à une vigoureuse opposition de ces entreprises.

Cela dit, nous avons donc, en l'état du dossier présenté par la Commission, des doutes sérieux quant à la mise en œuvre effective d'une concertation entre les producteurs néerlandais et Pfeifer & Langen.

Il reste toutefois qu'au début de 1971 cette entreprise a effectivement vendu à la société Limako, filiale de Suiker Unie et contrôlée par celle-ci, une quantité non négligeable (20000 tonnes selon la Commission, 10000 tonnes seulement si l'on en croit Suiker Unie), dans des conditions qui pourraient ne pas être sans rapport avec l'objectif général des pratiques concertées qui ont eu pour objet de protéger le marché des Pays-Bas.

Ce sucre, produit hors quota après le 1er juillet 1969 par Pfeifer & Langen, n'avait pas bénéficié d'un report au sens de l'article 32 du règlement 1009/67, son fabricant n'ayant pas apporté la preuve qu'il l'avait exporté hors de la Communauté, en l'état et sans restitution, avant le 1er juillet 1971. Il devait être, dès lors, considéré, en vertu d'un règlement 2645/70 de la Commission, comme ayant été écoulé sur le marché intérieur et, à ce titre, frappé d'un montant égal au prélèvement le plus
élevé augmenté d'une unité de compte aux 100 kg.

En l'espèce, on sait que la Commission a, par règlement no 458/73, rétroactivement appliqué pour ce sucre un montant forfaitaire de seulement deux unités de compte aux 100 kg. Une des conditions de la preuve de l'exportation était celle de l'identité entre le sucre exporté et le sucre produit par le fabricant en cause. Or, il semble, sous toutes réserves, qu'il y ait eu substitution à ce sucre, produit hors quota par Pfeifer & Langen, d'une quantité équivalente de sucre produit, à l'intérieur de son
quota, par Suiker Unie. Cette quantité aurait été effectivement exportée vers les pays tiers, tandis que la livraison faite à Limako aurait été écoulée sur le marché intérieur par les soins de Suiker Unie.

Ainsi l'opération pourrait-elle s'analyser, en définitive, comme une livraison de producteur à producteur. Ainsi également constituerait-elle une preuve a contrario de la mise en œuvre pratique d'une concertation entre Pfeifer & Langen et Suiker Unie, dans la mesure où le sucre livré à la filiale du producteur néerlandais aurait été, en définitive, destiné à la consommation humaine et ne devait, de ce fait, transiter qu'entre producteurs.

Mais, Messieurs, en admettant même que ce raisonnement puisse être retenu — et nous n'avons pas, en l'état du dossier, la possibilité de l'affirmer — il ne nous paraît pas possible de considérer cette transaction, d'ailleurs unique, comme un indice suffisant d'une pratique concertée.

Nous vous proposons donc d'écarter le grief retenu, en ce qui concerne la protection du marché néerlandais, à l'encontre de Pfeifer & Langen, et d'annuler, en conséquence, sur ce point, la décision attaquée.

A l'encontre de la Raffinerie tirlemontoise, la Commission a spécifiquement retenu une infraction à l'article 86 du traité.

Considérant que cette entreprise détient une position dominante sur les marchés belge et luxembourgeois du sucre, elle lui reproche d'avoir exploité de façon abusive cette position en exerçant, au cours des quatre campagnes considérées, des pressions économiques sur les deux exportateurs belges: les sociétés Export et Hottlet, en vue de les obliger à ne revendre qu'à des clients ou pour des destinations déterminés le sucre qu'elle leur livre, ainsi qu'à imposer ces mêmes conditions à leur propre
clientèle. Nous avons relevé déjà que la requérante a contraint ces négociants à s'aligner sur sa politique de vente, notamment pour servir les fins de la concertation nouée avec les producteurs néerlandais. D'une manière plus générale, elle aurait étroitement limité leur liberté d'action commerciale tant sur le plan des échanges intracommunautaires qu'en ce qui concerne les exportations vers les pays tiers et les ventes de sucre destiné à la dénaturation. La discussion de ce grief implique que
soient mises en évidence les trois conditions d'application de l'article 86.

Il faut d'abord que la position dominante concerne une «partie substantielle du marché commun».

Cette première condition tient moins à l'étendue géographique de la zone territoriale dans laquelle l'entreprise concernée exerce son influence qu'à l'importance économique du marché qu'elle contrôle. Par conséquent, doivent intervenir, en vue d'apprécier si la condition est remplie, certains facteurs purement quantitatifs tes que le niveau et la structure de la production et de la consommation. Mais, plus déterminants encore sont les éléments qualitatifs qui permettent de mesurer l'importance
relative du marché sur lequel s'exerce la position dominante par rapport à l'ensemble du marché commun. Il faut alors considérer la densité de la population, l'élévation de son niveau de vie, le volume des échanges.

En l'espèce, la position dominante couvre le marché belgo-luxembourgeois. Il est déjà significatif de constater que la production de sucre y est relativement très importante; dépassant 500000 tonnes en 1968-1969, elle culmine è 770000 tonnes en 1971-1972, soit près de 10 % de la production globale de la Communauté. Elle présente au surplus des excédents considérables, qui doivent être écoulés soit dans les autres États membres, soit à l'extérieur du marché commun, puisque la consommation locale, qui
est loin d'être négligeable, ne se situe en moyenne qu'autour de 350000 tonnes par an.

L'économie sucrière de cette région est donc caractérisée par une production puissante, en augmentation rapide au cours des années 1968-1972.

Il faut également tenir compte de l'importance, par rapport à l'étendue du territoire, d'une population dont le niveau de vie est élevé, et du haut degré de développement industriel de la Belgique et du Luxembourg.

Le marché belgo-luxembourgeois apparaît donc, au sein de la Communauté, comme un marché régional que ses traits particuliers distinguent de ceux qui le jouxtent au nord et à l'est.

Il constitue donc une partie substantielle du marché commun, ainsi d'ailleurs que vous l'avez admis déjà par votre arrêt du 21 mars 1974 (affaire 127-73, BRT, Recueil 1974, p. 315).

Il est, en second lieu, surabondamment démontré que la Raffinerie tirlemontoise détient une position dominante sur ce marché dont elle est de loin le producteur le plus important puisqu'elle réalise, à elle seule, selon ses propres dires, 65 % de la production belge de sucre. Ce fait suffirait à démontrer qu'elle est en mesure d'y exercer une influence prépondérante. Mais il y a plus. Elle détient la moitié au moins du capital de deux autres raffineries, la NV Suikerfabrieken van Vlaanderen à
Moerbeke-Waas et la SA Raffinerie Notre-Dame à Oreye; les conseils d'administration des trois firmes comptent certains membres communs; elle dispose ainsi du pouvoir de contrôler ces entreprises. Bien qu'elle se défende d'avoir jamais exercé réellement ce pouvoir, il ressort des documents produits par la Commission que celles-ci ont très généralement suivi la politique de vente pratiquée par la Raffinerie tirlemontoise.

Les contrats conclus entre ces fabricants et les exportateurs belges contiennent en effet des clauses de destination identiques à celles que la requérante impose à ces négociants.

Dans ces conditions, le «groupe Tirlemont» étend son emprise sur 85 % du marché, compte tenu du fait que les importations de sucre en Belgique sont de très minime importance. Enfin, la Raffinerie tirlemontoise exerce également son influence sur d'autres sucreries ou raffineries d'une capacité de production plus réduite, soit au moyen d'une participation majoritaire dans leur capital: c'est le cas de Warneton, soit par le jeu de contrats de commercialisation: c'est le cas pour Naveau.

L'emprise de la Raffinerie tirlemontoise n'est pas moins réelle sur les sucreries de Liers et Embresin ainsi que de Couplet et Donstiennes.

Cette situation lui permet d'avoir un comportement indépendant, de déterminer sa politique sans tenir compte, sur son marché, de l'activité de ses concurrents, de ses acheteurs ou de ses fournisseurs.

Quand bien même, en de rares occasions, certaines des entreprises qu'elle contrôle se seraient livrées à des exportations libres vers les Pays-Bas ou l'Allemagne, ces entorses limitées à la politique de la Raffinerie tirlemontoise ne permettent nullement de douter que celle-ci a réellement la maîtrise du marché belgo-luxembourgeois.

Dominant donc très largement la production de sucre, disposant de notables excédents, engagée dans une politique concertée avec les producteurs néerlandais et, nous le verrons, avec Pfeifer & Langen pour les livraisons dans la partie occidentale de l'Allemagne, la requérante ne pouvait admettre que les exportateurs belges se livrent à des opérations qui risqueraient de mettre en péril sa propre politique.

Il lui fallait donc les amener à composer, sinon à s'incliner purement et simplement et à suivre ses directives. C'est en cela que la Raffinerie tirlemontoise a exploité abusivement sa position dominante.

A cet égard, significatifs sont tout d'abord les documents fournis sur l'approvisionnement en sucre belge tant du marché néerlandais que de celui de la région Ouest de l'Allemagne.

Ces pièces, qui ont trait aux rapports entre la Raffinerie tirlemontoise et les firmes Export et Hottlet, mettent en évidence que la requérante a subordonné ses ventes de sucre à ces négociants à la stricte exécution des engagements pris à l'égard des producteurs étrangers, dont l'accord était requis pour importer sur leur marché et pour des destinations et des clients déterminés.

L'abus de position dominante ressort non seulement des instructions données à Export et à Hottlet, dans le cadre d'une politique de vente à laquelle il leur a fallu se rallier, mais aussi des moyens employés par la requérante pour obtenir leur alignement.

Elle a placé les exportateurs en face d'une alternative: ou bien ceux-ci se montreraient les dociles exécutants de ses instructions et bénéficieraient alors d'un traitement relativement favorable, ce qui vaut tout particulièrement pour Export, ou bien, s'ils entendaient conduire leurs affaires d'une manière indépendante, ils se verraient privés de leur principale sinon unique source d'approvisionnement en sucre. En effet, l'activité des négociants belges consiste, pour la plus grande part, à
exporter ce produit, notamment vers les pays tiers. Or, compte tenu de la position de quasi-monopole de la Raffinerie tirlemontoise, ils ne pouvaient raisonnablement espérer acheter du sucre en quantité suffisante qu'à celle-ci ou aux raffineurs qu'elle contrôle. Leur position commerciale, voire leur survie, étaient directement en Question.

Au surplus, il est avéré que, grâce à ses relations avec ses homologues étrangers, la requérante eût été en mesure de se passer de l'intermédiaire des négociants pour réaliser une bonne part de ces exportations.

Bien entendu, la menace qu'elle faisait peser sur les exportateurs n'a jamais été formulée en termes brutalement comminatoires. Elle a été exprimée de manière nuancée, encore que certaines correspondances révèlent nettement la volonté arrêtée de la requérante de ne tolérer de la part des commerçants aucun écart à ses exigences.

Les pressions ont donc revêtu des formes diverses en fonction de l'évolution des rapports, notamment, entre la requérante et Export.

Tantôt il ne s'agit que de signifier à cette firme les limites dans lesquelles sa collaboration commerciale peut être admise. En témoigne un compte rendu, rédigé par Export, d'une entrevue avec les représentants de la Raffinerie tirlemontoise le 20 avril 1970. Ce document confirme que Export demeurera «l'acheteur privilégié de la Raffinerie, sans que le concept d'exclusivité puisse être invoqué. Une part des excédents doit être réservée à Hottlet dans le cadre d'un engagement moral.»

Toutefois, compte tenu notamment de la concertation entre raffineurs européens, «… sont éliminées du champ d'application des rapports commerciaux entre Tirlemont et Export une série d'affaires directes entre raffineurs ou producteurs».

Allant plus loin, Export exprime, dans une note du 23 avril, l'appréhension que «la politique des raffineurs ne lui permette pas de livrer dans les régions frontalières du Benelux, de la France et de l'Allemagne».

Il est douteux — relève-t-on dans cette note — que «nous puissions obtenir un contingent, car la Raffinerie tirlemontoise ne voudra pas continuer une politique à l'encontre des conventions qu'elle a prises avec les autres raffineurs».

Bien qu'exprimée sous cette forme dubitative, la crainte d'Export de se voir opposer un refus de vente transparaît dans ce document.

Dans d'autres cas, la pression se manifeste de manière plus directe. A l'occasion d'une exportation de sucre brut à Tate and Lyle, entreprise britannique à laquelle la Raffinerie tirlemontoise se trouve d'ailleurs liée financièrement, Export s'est vu proposer d'intervenir comme courtier, mais «à la condition de respecter la politique commune définie à l'égard des adjudications pour l'exportation».

La note d'Export relatant l'entretien avec un dirigeant de Tirlemont conclut : «En contrepartie (de l'opération dont il s'agit), il nous demande de renoncer à notre liberté d'aller tant aux adjudications d'exportations de sucre brut qu'à celles de sucre blanc. Il est implicite — ajoute la note — que la Raffinerie tirlemontoise refuse de nous offrir des bruts que nous serions libres de vendre où bon nous semble».

Dans le même sens, on doit relever les échanges de télex entre les deux sociétés, les 19 et 20 août 1970 ; ils ont déjà été mentionnés à propos de la protection du marché néerlandais. Ces documents définissent clairement les conditions dans lesquelles Export a dû, en contrepartie de son maintien dans le circuit des exportations vers les Pays-Bas, renoncer à traiter avec les acheteurs utilisateurs de ce pays pour les livraisons de sucre de bouche. Le lien imposé par Tirlemont entre le respect des
clauses de destination strictes et l'assurance qu'il serait fait appel au concours d'Export pour réaliser les exportations autorisées ressort, à l'évidence, de ces documents.

En ce qui concerne les exportations vers les pays tiers, des sacrifices similaires sont exigés d'Export qui, à plusieurs reprises, a dû, selon une expression des plus claires, «faire le sacrifice de ses mandants» et, soit refuser de soumissionner à certaines adjudications pour l'exportation, soit accepter de réduire ses offres.

Ce que confirme une note d'Export reconnaissant que Tirlemont restreint encore sa liberté d'action et ses possibilités d'activité en ce qui concerne les demandes de restitutions.

Enfin, pour retenir une indication particulièrement nette des exigences de la Raffinerie tirlemontoise, il est intéressant de noter que, dans une confirmation de vente adressée par Export à la firme néerlandaise Jacobson, le 1er octobre 1970, il est précisé que Export et Hottlet ont obtenu, pour la campagne 1970-1971, l'exclusivité de la vente des sucres cristallisés de Tirlemont à l'exportation de Belgique, mais à la condition impérative que soit respectée la politique commerciale du groupe de
Tirlemont : «Toutes opérations en sucre belge en dehors de cette ligne de conduite ne pouvant être agréées par ce groupe et nous faisant perdre l'exclusivité obtenue».

Les relations entre la requérante et la firme Hottlet s'inscrivent dans la même perspective, qu'il s'agisse de livraisons à destination fixée ou de la vente de sucre exclusivement en vue de sa dénaturation.

L'ensemble des éléments d'information recueillis permet d'affirmer que la Raffinerie tirlemontoise a fait un usage abusif de la position de force qu'elle détient sur le marché belge et luxembourgeois, en privant aussi bien Export qu'Hottlet de toute possibilité de mener une politique commerciale autonome. Elle a ainsi étroitement restreint la concurrence sur le marché du commerce du sucre, aussi bien dans les échanges intracommunautaires que pour les exportations vers les pays tiers.

Ces deux négociants, dont l'activité était, pour l'essentiel, consacrée à l'exportation du sucre, notamment vers les pays tiers, se trouvaient nécessairement dans une étroite dépendance d'un producteur qui réalise directement ou contrôle la presque totalité d'une production, au surplus largement excédentaire.

Ne disposant pas d'autre source appréciable d'approvisionnement, ils ne pouvaient se permettre de rejeter les exigences d'une entreprise qui jouit d'un quasi-monopole.

La Raffinerie tirlemontoise a mis à profit ces rapports de force pour dicter aux exportateurs leur ligne de conduite. Elle a restreint, sinon éliminé, la concurrence dans le commerce du sucre belge.

De tels faits relèvent bien de l'article 86 du traité. Lorsqu'une entreprise puissante menace une plus faible d'un désavantage économique si celle-ci n'accepte pas ses conditions, il y a abus d'une position dominante. Il faut appliquer à une telle situation des critères objectifs. Peu importe, dès lors, la nature des moyens employés, pourvu qu'il en résulte une pression économique de nature à restreindre la concurrence.

L'article 85, dont l'interprétation doit être dégagée du principe posé à l'article 3, lettre f), du traité, exige que la concurrence ne soit pas altérée et encore moins supprimée par de telles pressions.

Au nombre des pratiques abusives, l'article 86, alinéa 2, cite d'ailleurs le fait

a) d'imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables, ainsi que

b) la limitation, notamment des débouchés, au préjudice des consommateurs.

Nous pensons que les procédés employés par la Raffinerie tirlemontoise à l'égard d'Export et d'Hottlet relèvent de l'un et l'autre de ces exemples d'infractions à l'article 86.

Un grief analogue peut-il être retenu contre les producteurs néerlandais ?

C'est ce qu'affirme la Commission. Au cours de la campagne 1968-1969, les trois négociants des Pays-Bas: Internatio, Jacobson et Dudok de Wit, traditionnellement importateurs de sucre, ont conclu des contrats d'achat de sucre français pour une quantité importante — de l'ordre d'au moins 70000 tonnes — dont la livraison devait être échelonnée sur plusieurs campagnes.

A la suite de ces opérations, les producteurs nationaux, et particulièrement Suiker Unie, mécontents de constater qu'une partie de ce sucre était revendue, à un prix inférieur à celui de leur propre production, sur le marché de la consommation humaine — qu'ils estimaient leur être réservé — auraient menacé les négociants de rendre impossibles leurs opérations traditionnelles d'importation, en admission temporaire, de sucre destiné à l'industrie laitière en approvisionnant eux-mêmes cette industrie
aux conditions du marché mondial.

Contraints de s'incliner devant cette menace, les négociants se seraient alors engagés, d'une part, à écouler le sucre importé de France à un prix qui ne serait pas trop compétitif par rapport à celui du sucre de production néerlandaise; d'autre part, à céder directement les dernières quantités de sucre ainsi importé aux producteurs qui en assureraient eux-mêmes la commercialisation; enfin, à ne plus effectuer à l'avenir, sans le consentement de ces derniers, de telles importations aux Pays-Bas.

C'est dans ces conditions que, pendant les campagnes suivantes, 1969-1970 et 1970-1971, plus de 14000 tonnes de sucre de provenance française ont été achetées par Suiker Unie et Centrale Suiker.

Puis, les négociants ont été intégrés dans les circuits commerciaux nés de la concertation entre les producteurs néerlandais et la Raffinerie tirlemontoise. Nous avons vu, en effet, que les importations de sucre belge destiné principalement à l'industrie laitière avaient été, sous réserve que les clauses de destination imposées fussent respectées, réalisées par l'intermédiaire du commerce traditionnel belge aussi bien que néerlandais.

Les allégations de la Commission, en ce qui concerne les pressions exercées sur les commerçants néerlandais par Suiker Unie et Centrale Suiker, sont, pour l'essentiel, tirées d'une note interne à la société belge Export, en date du 8 juin 1970.

Ainsi que nous l'avons appris, cette note, rédigée par M. Lemaire, directeur de cette firme, à l'intention de son président, relate un entretien que son auteur avait eu quelques jours auparavant avec M. Dudok de Wit, lui-même directeur, à l'époque, de la maison de commerce néerlandaise du même nom.

Ce document fait expressément état des «représentations» que, par l'intermédiaire de M. Lindeboom, directeur de Suiker Unie, les producteurs néerlandais auraient adressées aux importateurs nationaux et de la «menace» de priver les négociants de leur activité traditionnelle d'approvisionnement de l'industrie laitière s'ils n'acceptaient pas les termes de l'accord qui leur aurait été ainsi imposé.

La Commission s'est fondée notamment sur ces éléments d'information pour en déduire que Suiker Unie et Centrale Suiker, liées entre elles par une étroite coopération et détenant une position dominante sur le marché néerlandais du sucre, auraient obligé les négociants à accepter leurs conditions. La Commission y voit une exploitation abusive de leur position dominante, infraction tombant sous le coup de l'article 86, dès lors qu'elle a eu pour conséquence de limiter, voire d'empêcher, la vente aux
Pays-Bas, dans de libres conditions, de sucre en provenance d'autres États membres, en l'espèce la France, et ainsi d'affecter les échanges intracommunautaires.

Compte tenu de l'intérêt que revêt la note d'Export pour vérifier la matérialité des faits retenus par la Commission, vous avez décidé d'entendre les témoignages non seulement de l'auteur de cette note et de son interlocuteur, M. Dudok de Wit, mais aussi de M. Sanders, à l'époque fondé de pouvoirs et actuellement directeur-adjoint de la firme Jacobson, enfin de M. Lindeboom, dont l'intervention a été expressément mise en cause par M. Lemaire.

Ce dernier a, certes, confirmé avoir fidèlement et complètement transcrit la teneur de ses entretiens avec M. Dudok de Wit, mais il n'a pas été en mesure, en réponse à la question qui lui a été posée, de prendre parti sur le point de savoir si l'«accord» intervenu entre les producteurs néerlandais et les négociants avait été conclu «sous une certaine pression ou, au contraire, librement».

Il s'agissait, a-t-il déclaré, de rapports qui avaient eu lieu en dehors des contacts directs qu'avait Export; il lui était, dès lors, impossible de donner, sur ce point, une réponse précise.

MM. Dudok de Wit et Sanders ont expliqué que les négociants néerlandais, engagés à acheter en France un tonnage considérable de sucre commandé à un moment où la baisse du franc français rendait cette transaction avantageuse, se sont trouvés, après la dévaluation officielle de cette devise, dans une situation difficile. En effet, le sucre non encore livré en octobre 1969 ne pouvait plus être importé aux Pays-Bas que moyennant le paiement de montants compensatoires qui en grevaient le prix de revient
de telle sorte qu'il leur devenait difficile d'écouler ce sucre sur le marché néerlandais sans s'exposer à des pertes.

Seuls les producteurs nationaux auraient été en mesure de l'acheter en quantités importantes et à bref délai.

Négociants et producteurs étaient en contact régulier; il semble, d'après les témoins, qu'à cette occasion les négociants eux-mêmes auraient pris l'initiative d'approcher Suiker Unie et Centrale Suiker en vue de leur offrir le sucre de provenance française Qu'ils détenaient.

Les producteurs n'auraient donc pas été demandeurs.

En ce qui concerne la prétendue «menace» qui aurait été proférée par M. Lindeboom, M. Dudok de Wit a déclaré que M. Lemaire avait inexactement interprété ses propres paroles. En fait, l'intention manifestée par les producteurs d'importer directement eux-mêmes pour approvisionner l'industrie laitière n'était pas un fait nouveau et avait d'ailleurs reçu un commencement d'exécution. Ce fait, à lui seul, constituait une menace pour le commerce néerlandais. Mais, au cours des négociations entre
producteurs et commerçants sur l'écoulement du sucre français aux Pays-Bas, M. Lindeboom n'aurait nullement usé de ce moyen de pression, du moins dans les termes rapportés par M. Lemaire.

La déclaration de M. Sanders est quelque peu différente. Il admet que «dans le feu d'une conversation où il s'agissait de conclure un accord permettant aux négociants d'écouler une partie du sucre importé de France, il se peut que les producteurs aient laissé entendre qu'ils prendraient des mesures de rétorsion au cas où les négociants ne cesseraient pas, pour l'avenir, d'importer du sucre français».

Mais, à son avis, la menace était peu crédible, car, d'une part, il n'était pas vraisemblable que les producteurs se fassent en quelque sorte concurrence à eux-mêmes en important du sucre des pays tiers; d'autre part, sur ce terrain, les importateurs traditionnels étaient, en tout état de cause, mieux placés qu'eux pour négocier sur le marché mondial; enfin, les producteurs ne pouvaient être assurés que de telles importations fussent possibles dans l'avenir, la réglementation communautaire relative
aux importations de sucre en provenance des pays tiers pouvant être modifiée d'une campagne à l'autre.

Quant à M. Lindeboom, il nie catégoriquement avoir usé de menaces dans les entretiens qu'il a eus sur le sujet en question avec le commerce néerlandais.

En vérité, ces contacts se seraient bornés à une conversation entre lui-même et M. Kopmels, à l'époque préposé de la firme Jacobson, avec lequel il entretenait des relations personnelles et confiantes. Il se serait borné à convaincre celui-ci de la nécessité, tant pour les producteurs que pour les commerçants, de s'imposer une commune «autodiscipline» afin de parer aux risques que la situation monétaire faisait peser sur les prix intérieurs du sucre aux Pays-Bas. Au surplus, la seule idée que le
commerce néerlandais, en la personne de M. Kopmels, aurait pu se laisser menacer par Suiker Unie lui paraît totalement invraisemblable.

En résumé, les requérantes affirment que leur attitude n'est pas constitutive d'abus et qu'elle n'est que l'expression d'un comportement commercial normal: le sucre français qui avait été offert aux commerçants traditionnels l'avait été à des prix de dumping et il n'était que logique que les fabricants répondent à cette manœuvre en «sous-cotant» leurs propres prix. A la perte d'une partie de leur marché traditionnel, celui de la consommation humaine, il était naturel qu'ils répliquent par des
concessions de prix temporaires sur le marché (lait condensé) de leurs concurrents. Au surplus, l'intervention des montants compensatoires, après la dévaluation du franc français, aurait mis les négociants dans la nécessité de trouver un débouché à des prix peu compétitifs.

Pour qualifier le comportement en cause, il faut, nous semble-t-il, appliquer des critères non point moraux, mais objectifs: pour qu'il y ait abus au sens de l'article 86, il n'est point nécessaire que des menaces aient été proférées, ni qu'elles aient été accompagnées d'un boycott en règle, comme ce fut le cas à l'égard des épiciers détaillants au moment de la guerre du sucre.

Les considérants que vous avez énoncés dans votre arrêt La Technique Minière du 30 juin 1966 (Recueil p. 360) valent, mutatis mutandis, en matière d'abus. Il y a lieu, avez-vous dit, de prendre en considération notamment la nature et la quantité limitée ou non des produits, la position des partenaires sur le marché des produits concernés, la place du comportement dans un ensemble, les possibilités laissées à d'autres courants commerciaux sur les mêmes produits par le moyen d'autres canaux.

Si nous appliquons ces critères au cas d'espèce, nous sommes conduit à faire les constatations suivantes :

a) Quant à la quantité des produits, nous savons que les Pays-Bas étaient déficitaires; dans une telle situation de pénurie, le commerce traditionnel aurait pu et aurait dû jouer un rôle particulièrement actif.

b) Le simple examen des forces en présence suffit à montrer que l'intérêt même des commerçants les a amenés à composer. En face du trio des commerçants traditionnels — qui était désireux et parfaitement capable de vendre du sucre destiné à la consommation humaine — les fabricants ont une position de quasi-monopole en matière de production, assurés qu'ils sont par ailleurs de la collaboration du seul autre fournisseur entrant en ligne de compte (Raffinerie tirlemontoise), qui impose à ses
intermédiaires (Export et Hottlet) de ne vendre que pour des destinations qui auraient reçu l'agrément de l'industrie sucrière néerlandaise et qui, à tout moment, peut fournir à celle-ci les moyens de casser le marché des commerçants traditionnels.

c) La pratique reprochée aux fabricants néerlandais s'insère dans un plan d'ensemble. Comme pour Tirlemont, l'exclusion par Suiker Unie/Centrale Suiker des commerçants traditionnels de l'accès au sucre destiné à la consommation humaine était le complément de leur stratégie globale: la concertation avec les autres producteurs ne devait pas être remise en cause par le commerce traditionnel et les agissements de celui-ci devaient donc être contrôlés.

C'est bien ainsi que les choses se sont passées :

après le relus par Sucre Union d'annuler les livraisons restantes, la sucre français a été acheté directement par les producteurs néerlandais et commercialisé sous leur marque. Le sucre vendu par la suite aux commerçants néerlandais par leurs homologues belges a toujours été affecté au marché de l'industrie du lait condensé (par exemple, vente de 5000 t, le 1er octobre 1970, par Export à Jacobson). Si, le 3 août 1971, Hottlet a acheté du sucre à la Raffinerie tirlemontoise, ce sucre devait être
«logé en sacs de jute polyéthylène de 50 kg, à fournir par l'acheteur, avec la marque «Suiker Unie» et il était destiné à la Hollande — Suiker Unie.

La preuve de l'abus nous paraît donc découler objectivement de l'évolution même du marché, telle qu'elle s'exprime dans le comportement concret des entreprises.

A cet égard, la note d'Export du 8 juin 1970 constitue un élément, intéressant certes pour la compréhension du comportement des entreprises, mais presque surabondant.

Le résultat de l'audition de témoins acteurs à laquelle vous avez procédé — plus de cinq ans après les faits — a été sollicité dans des sens contradictoires, comme il est normal en pareille matière. Cette audition a fait apparaître un déplacement d'accent, certains understatements, certains repentirs, bien compréhensibles compte tenu de la position professionnelle des acteurs, mais elle ne saurait remplacer l'analyse objective des faits ni se substituer aux pièces écrites.

Le seul point douteux est de savoir si cet épisode de la «guerre du sucre» s'est terminé par un accord en bonne et due forme entre commerçants et fabricants.

Il semble qu'il y ait bien eu des tractations entre les commerçants néerlandais et leur fournisseur français en vue de régler l'exécution du solde des livraisons (la question des emballages, notamment) et il y a eu d'autre part une convention écrite entre le commerce belge et le commerce néerlandais (confirmation de vente que Export a adressée le 1er octobre 1970 à Jacobson en priant ce dernier de lui retourner un double après signature).

Mais, le fait pour Suiker Unie et Centrale Suiker d'avoir «convenu» avec les commerçants traditionnels que ceux-ci n'approvisionneraient en sucre étranger que l'industrie du lait condensé — et le respect effectif de ce partage de marchés — ne nous paraît pas — compte tenu de la position dominante des fabricants — devoir être qualifié d'une autre façon que les procédés de la Raffinerie tirlemontoise vis-à-vis du commerce belge ou, comme nous le verrons, le système instauré par Süddeutsche Zucker AG
et Südzucker-Verkauf avec leurs représentants de commerce. Nous dirions presque que ces modalités sont le reflet de la diversité des tempéraments nationaux.

Lorsqu'il y a position dominante et que la concurrence ne peut pas jouer son rôle correcteur, il suffit, pour qu'il y ait abus comme le disait déjà l'article 66, paragraphe 7, du traité CECA, que l'entreprise qui jouit de cette position «l'utilise à des fins contraires aux objectifs du présent traité».

Il nous paraît que, rapporté à ces critères, le comportement de Suiker Unie et de Centrale Suiker ne peut pas être considéré comme cadrant avec les objectifs de l'organisation commune de marché et que, compte tenu de leur position dominante, il est l'expression d'un abus de cette position. Ces requérantes ont appliqué, selon les termes de l'article 86, des conditions inéquitables à des partenaires commerciaux et elles leur ont infligé, de ce fait, un désavantage dans la concurrence. Si, en plus, il
y a eu un accord, il n'a pu s'agir que d'un véritable «diktat».

VIII — Protection du marché de la république fédérale d'Allemagne

A un moindre degré que les Pays-Bas et surtout que l'Italie, la république fédérale d'Allemagne était l'un des États membres où les excédents d'autres pays de la Communauté (Belgique et surtout France) auraient dû trouver des débouchés. Ces courants d'échanges potentiels revêtaient toutefois une importance variable en fonction de la région considérée, suivant les besoins et les disponibilités annuelles en sucre national de cette région.

A cet égard, on peut distinguer l'Ouest de la république fédérale d'Allemagne, légèrement déficitaire, et le Sud de ce pays où, à l'exception notable de la Sarre, besoins et ressources s'équilibrent à peu près, sous réserve de variations saisonnières. On doit d'ailleurs noter que, depuis l'instauration de l'organisation commune, il y a eu un déplacement et un accroissement de la culture des betteraves vers le Sud de l'Allemagne, et que cette région est presque parvenue à «l'autosatisfaction». Aussi
bien, la principale entreprise de cette région, la Süddeutsche Zucker AG, a participé aux adjudications italiennes et a exporté du sucre vers l'Italie, à raison de 10000 à 20000 tonnes par an.

Nous serons donc amené à distinguer deux marchés au regard des présentes affaires: celui de l'Ouest et celui du Sud de la république fédérale d'Allemagne.

Un trait commun à ces deux régions est que, jusqu'au 30 juin 1968, date de l'entrée en vigueur de l'organisation commune, la production et le commerce du sucre étaient réglementés par une organisation nationale de marché.

La loi fédérale sur le sucre de 1951 (Zukkergesetz) était elle-même complétée par trois autres réglementations en matière de prix des betteraves, de prix du sucre et de péréquation des frais de transport. Sous l'empire de cette loi, le territoire de la république fédérale d'Allemagne était partagé en zones de vente. Pour éviter les transports antiéconomiques, chaque fabrique de sucre se voyait assigner un certain secteur et elle ne pouvait vendre sa production que dans ce secteur. Des restitutions
n'étaient octroyées par la caisse de compensation que pour les livraisons effectuées dans la zone assignée. De plus, l'organisation était renforcée, sur le plan contractuel, par un réseau commercial qui revêtait des modalités diverses.

Pour la République fédérale, comme pour les autres États membres, le passage de cette organisation à l'organisation commune de marché impliquait donc un changement d'orientation fondamental et c'est sans doute pour faciliter son insertion et celle de ses membres dans cette nouvelle situation que la Wirtschaftliche Vereinigung Zucker (Union sucrière) chargea un cabinet d'avocats de Stuttgart d'élaborer un «avis sur les questions de concurrence en rapport avec l'organisation communautaire des marchés
du sucre».

Nous savons que les conventions liant les producteurs allemands ont été aménagées à la veille de la première campagne sucrière communautaire (1er juillet 1968), sans doute pour tenir compte de la nouvelle réglementation, mais qu'elles comportaient création et fonctionnement de trois comptoirs de vente.

Ces accords ont été notifiés à la Commission et ils font l'objet d'une procédure qui est toujours en cours. On ne peut que regretter que cet aspect des choses, qui a certainement une incidence sur le présent litige, n'ait pas encore été éclairci: l'appréciation de la consistance des infractions reprochées aux producteurs allemands et à leurs comptoirs de vente, ainsi qu'à leurs partenaires du marché commun, est intimement liée à la connaissance des accords notifiés à la Commission et des conventions
liant producteurs ou comptoirs et intermédiaires revendeurs.

Il nous paraît en tout cas impossible d'essayer de porter une appréciation sur l'évolution du marché en république fédérale d'Allemagne sans tenir compte à la fois de la concertation des entreprises sucrières allemandes avec leurs homologues des autres États, de l'existence de ce cloisonnement national en zones de vente et, enfin, de l'agencement du réseau commercial des producteurs.

C'est pourquoi vous nous permettrez d'articuler nos explications autour, d'une part, du complexe que constitue l'Ouest de la république fédérale d'Allemagne, avec les deux griefs qui s'y rapportent: concertation entre la Raffinerie tirlemontoise et Pfeifer & Langen et accords passés par Pfeifer & Langen et la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft avec leurs intermédiaires, et, d'autre part, autour de la partie méridionale de la république fédérale d'Allemagne: concertation entre la Süddeutsche
Zukker AG et Béghin; accessoirement, concertation entre Franken, filiale de la Süddeutsche Zucker AG, et Sucre Union, et accords passés entre le comptoir Südzucker-Verkauf, dont la Süddeutsche Zucker AG est le membre le plus important, et les revendeurs.

1. En ce qui concerne la protection du marché de la partie occidentale de l'Allemagne, la Commission fait état de pratiques concertées entre la Raffinerie tirlemontoise et la société Pfeifer & Langen au cours des trois campagnes 1969-1970 à 1971-1972.

Ces pratiques peuvent être regroupées sous les chefs suivants :

— La plupart des livraisons de sucre belge dans cette région de l'Allemagne ont été faites directement de producteur à producteur, dans des conditions analogues à celles qui ont été constatées sur le marché néerlandais, du moins en ce qui concerne le sucre blanc.

Ces livraisons, relativement réduites pendant la première campagne, ont augmenté progressivement au cours des années suivantes jusqu'à atteindre des quantités considérables. Elles sont passées de 3400 tonnes en 1968-1969, dont seulement 800 tonnes en livraisons directes à Pfeifer & Langen, à 45300 tonnes pour la dernière campagne, dont près de 30000 tonnes ont été livrées à cette entreprise.

La proportion des livraisons directes représente, pour les deux dernières campagnes, environ 75 % des exportations belges dans la région considérée.

Il faut toutefois relever qu'une partie importante de ces opérations concerne du sucre brut. Nous reviendrons ultérieurement sur cet aspect du problème.

— Les directives générales de la politique suivie par la Raffinerie tirlemontoise à l'égard de Pfeifer & Langen se révèlent également similaires à celles qui ont été constatées à l'égard des producteurs néerlandais. Un télex d'Export à la requérante, daté du 11 septembre 1970, rappelle très clairement les instructions de celle-ci, à savoir «de ne rien faire pouvant perturber la structure du marché sucrier intérieur allemand, dans le cadre de la clientèle de Pfeifer & Langen». Ce principe est
confirmé par une correspondance du 14 septembre d'Export à un grossiste allemand.

— En fonction de cette politique s'expliquent les refus de livraison opposés par la Raffinerie tirlemontoise à des négociants allemands ainsi que les obligations tendant à imposer aux exportateurs belges de ne pratiquer, dans leurs ventes à des utilisateurs allemands, que des prix aussi proches que possible de ceux pratiqués dans la région de destination, de manière à dissuader ces acheteurs.

— Les pressions exercées par le groupe Tirlemont sur les exportateurs belges en vue de les obliger à n'exporter qu'avec le consentement de Pfeifer & Langen reflètent le comportement identique de la requérante en ce qui touche les exportations sur le marché néerlandais. Ces pressions visaient incontestablement à imposer des clauses de destinations déterminées.

En tant que ces pratiques concernent des livraisons de sucre blanc, il nous paraît démontré qu'elles procèdent d'une concertation entre la Raffinerie tirlemontoise et Pfeifer & Langen et s'inscrivent dans la ligne d'un comportement soigneusement coordonné entre ces deux entreprises.

Les documents versés au dossier sont, à cet égard, révélateurs.

La Raffinerie tirlemontoise, ayant constaté en juillet 1969 que du sucre belge, vendu aux fins de dénaturation était en réalité importé sur le marché allemand de la consommation humaine, a vivement réagi en rappelant que «ces mises en consommation … ne sont possibles qu'à la faveur de prix inférieurs à ceux demandés par les producteurs allemands; ceux-ci déplorent, en conséquence, vivement la pression ainsi exercée sur leur marché». Elle insiste dès lors auprès des négociants belges pour qu'un
terme soit mis à de telles opérations. Et l'on constate, en effet, qu'aussi bien Export que Hottlet s'engagent désormais à ne revendre que pour la dénaturation le sucre acheté en vue de cette destination.

De même, de nombreuses correspondances échangées entre les négociants belges et la Raffinerie tirlemontoise ou les producteurs qu'elle contrôle confirment, en 1970, l'engagement des exportateurs de ne pas livrer, en Allemagne, du sucre pour la consommation humaine.

Quant à l'obligation qui leur est faite de s'abstenir de toute exportation libre à des utilisateurs industriels ou dans la région de l'Allemagne limitrophe de la Belgique sinon avec le consentement de Pfeifer & Langen, ou à des prix adaptés à ceux de la firme allemande, elle est expressément mentionnée dans des documents qui émanent d'Export et rejoignent, à cet égard, le sens du procès-verbal du 30 avril 1970 par lequel est rappelée, dans des termes que nous avons déjà cités, la politique
définie par la Raffinerie tirlemontoise : «pas de mouvement de sucre de pays à pays si ce n'est en concertation de producteur à producteur».

Aussi ne peut-on être surpris de relever, dans une série de télex échangés entre Export et la Raffinerie tirlemontoise, que cette dernière, en présence d'une offre d'achat importante de sucre blanc proposée à Export par un négociant allemand à un prix qui lui paraissait trop sensiblement inférieur au prix pratiqué par Pfeifer & Langen, a exigé un relèvement de ce prix, dans de telles conditions d'ailleurs que la transaction n'a pu, en définitive, être conclue.

Enfin, une série d'offres ou de confirmations d'achat, adressées au cours de la campagne 1969-1970 par Export et Hottlet à des producteurs belges, indiquent que ceux-ci n'ont accepté de vendre du sucre à destination de l'Allemagne qu'à un prix départ-usine supérieur à celui qu'ils devaient fixer pour d'autres destinations.

Les refus de livraison sur le marché ouest-allemand sont également prouvés par les correspondances échangées entre la Raffinerie tirlemontoise et Export, desquelles il ressort que le groupe Tirlemont a marqué son opposition, parfois de manière voilée, à des ventes sur le marché allemand en exigeant des prix dissuasifs. Ce que confirment les regrets exprimés par les entreprises commerciales allemandes de n'avoir pas reçu en temps utile de la part des négociants belges des offres à des prix
suffisamment intéressants.

C'est sur ces documents que la Commission se fonde pour affirmer que ces pratiques sont le fruit d'une concertation. Nous estimons, quant à nous, que non seulement, en effet, ces pièces apportent, en elles-mêmes, de sérieux éléments de conviction, mais qu'elles mettent en évidence des procédés analogues à ceux qui ont été constatés dans les rapports de la Raffinerie tirlemontoise et des producteurs néerlandais. Les comportements qu'elles révèlent ne peuvent trouver d'explication rationnelle que
dans la mesure où ils constituent les moyens d'exécution de la politique générale de concertation entre les producteurs.

Comment d'ailleurs comprendre les refus ou réticences opposés à des offres d'achat de négociants ou utilisateurs allemands, alors que la production belge était, au cours des trois campagnes en cause, très largement excédentaire et qu'une demande importante se manifestait dans la partie occidentale de l'Allemagne? Ils traduisent la volonté du groupe Tirlemont de ne pas concurrencer Pfeifer & Langen sur son propre terrain.

Les requérantes ne manquent pas, tout comme l'ont fait Suiker Unie et Centrale Suiker, de dénier toute valeur probante à des documents qui ne mettent généralement en cause que les relations entre la Raffinerie tirlemontoise et les exportateurs belges, principalement Export. Mais il n'y a aucune raison de penser que les informations qui se dégagent de cette correspondance, ou même des notes internes d'Export, ne soient pas conformes à la réalité. Elles sont d'ailleurs corroborées par des échanges
de lettres avec certains négociants allemands.

Quant à la circonstance invoquée par Pfeifer & Langen que les intérêts d'Export étaient, en cette affaire, opposés à ceux de la Raffinerie tirlemontoise, en ce que la politique de cette dernière aurait eu pour conséquence de faire échec, en plusieurs occasions, à des opérations qu'Export souhaitait réaliser, elle ne nous paraît nullement affecter la véracité des écrits de cette dernière firme; bien au contraire, cette opposition est, en elle-même, une preuve du comportement de la Raffinerie
tirlemontoise qui, d'ailleurs, n'a pas allégué que ses propres déclarations aient été déformées ou travesties par Export.

Enfin, les arguments invoqués par Pfeifer & Langen, qui soutient n'avoir jamais été nommément désignée comme ayant participé à la concertation, ne résistent pas à l'examen. Si certains des documents produits ne font allusion, en termes généraux, qu'aux «producteurs allemands», cette firme est elle-même expressément mentionnée dans d'autres pièces. Il est d'ailleurs manifeste que, parmi les producteurs allemands, Pfeifer & Langen se trouve être l'entreprise dont l'implantation géographique par
rapport à la Belgique la désignait pour se trouver en concurrence immédiate avec le groupe Tirlemont.

Le seul fait de ses achats directs de sucre belge, ensuite revendu au prix du sucre de sa propre production, dans les mêmes conditions et sous sa marque, suffirait, en tout état de cause, à la désigner comme le partenaire de la Raffinerie tirlemontoise dans ladite concertation. Ajoutons que la requérante ne conteste pas sérieusement avoir communiqué les prix départ-usine qu'elle pratiquait à la Raffinerie tirlemontoise et que, dans le contexte où cette information a été demandée et obtenue, on ne
saurait y voir qu'un élément supplémentaire de la pratique concertée puisque, en fait, elle a permis aux producteurs belges d'adapter — ou d'obliger les négociants belges à adapter — le prix du sucre belge exporté vers la zone de vente de Pfeifer & Langen en vue d'éviter de concurrencer cette entreprise sur son propre marché.

Dès lors, par les motifs déjà exposés à propos de la protection du marché des Pays-Bas, nous pensons que les pratiques concertées, qui ont eu pour objet de protéger de la même manière le marché de la partie occidentale de l'Allemagne, doivent être retenues. Ayant manifestement affecté le commerce entre les deux États membres, elles ont également visé à entraver la concurrence qui aurait dû s'exercer dans cette région, ayant ainsi permis à Pfeifer & Langen de maintenir une situation acquise.

Il reste à nous demander si la réalité de ces pratiques concertées, directement prouvée en ce qui concerne les opérations portant sur du sucre blanc, peut être également admise pour les livraisons de sucre brut de la Raffinerie tirlemontoise à Pfeifer & Langen qui se sont élevées, pendant les trois campagnes en cause, à une quantité totale de l'ordre de 55000 tonnes.

S'agissant de livraisons directes et ne disposant pas de documents de nature à établir la preuve d'une pratique concertée, la Commission en est réduite, pour les englober dans le jeu de la concertation générale, à affirmer que la Raffinerie tirlemontoise n'avait aucun intérêt à opérer de telles livraisons. D'une part, en effet, elle aurait disposé d'une capacité de raffinage qui, si l'on y ajoute celle de l'usine d'Oreye, lui permettrait de traiter la totalité du sucre brut qu'elle produit;
d'autre part, en présence d'une demande importante de sucre belge émanant de négociants ou d'utilisateurs allemands — demande dont on a vu qu'elle était demeurée pour l'essentiel insatisfaite — la Raffinerie tirlemontoise aurait eu à la fois la possibilité de livrer à ses acheteurs du sucre blanc de sa propre fabrication et intérêt à le faire puisqu'ainsi elle aurait bénéficié de la marge de raffinage. Or, ni les frais de transport, puisque ses acheteurs se trouvaient dans une zone
particulièrement proche, ni la nécessité de créer un réseau de distribution autonome n'eussent constitué, selon la Commission, des obstacles insurmontables.

Quant à Pfeifer & Langen, elle disposait, outre sa propre production de sucre brut, de la possibilité d'acheter le complément nécessaire, pour utiliser à plein sa propre capacité de raffinage, à des producteurs de l'Allemagne du Nord. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait. Dans ces conditions, elle n'aurait nullement eu besoin du sucre brut produit par la Raffinerie tirlemontoise. Au surplus, le prix auquel elle aurait acheté du brut belge était si élevé qu'elle n'aurait pu bénéficier elle-même
d'une marge de raffinage normale.

Ainsi, le comportement des requérantes ne pouvait-il s'expliquer que par la volonté commune des deux entreprises d'éviter que les quantités de sucre brut livrées à Pfeifer & Langen ne soient transformées en sucre blanc par les raffineurs belges et exportées, en tant que produit fini, sur le territoire de vente de l'entreprise allemande.

A cette argumentation, les entreprises requérantes ont beau jeu d'opposer, chiffres à l'appui, des considérations techniques tirées, notamment, de leurs capacités respectives de raffinage. La Raffinerie tirlemontoise, pour sa part, ne disposerait que d'une capacité inférieure à celle que lui attribue la Commission : 200000 tonnes par an, et non 225000 tonnes, car il serait, en particulier, erroné d'ajouter à la sienne propre celle de la Raffinerie Notre-Dame qui ne serait pas en mesure de
raffiner du sucre brut en dehors de la période de récolte. Il faudrait, au surplus, tenir compte du fait que la requérante se trouve dans l'obligation de raffiner du sucre brut mis à sa disposition par certaines sucreries belges qui ne disposent pas d'installations de raffinage ainsi que les sirops — dits égouts de sucreries — produits dans huit établissements faisant partie de son complexe industriel.

Compte tenu de cela, la Raffinerie tirlemontoise disposerait en moyenne de 230000 tonnes de sucre brut par an. Elle serait donc obligée d'en céder directement une partie, non pas seulement d'ailleurs à Pfeifer & Langen, mais aussi à des raffineurs établis dans d'autres États membres et même dans des pays tiers. Dans ces conditions, il serait de son intérêt, tant industriel que commercial, de vendre directement du sucre brut à Pfeifer & Langen à un prix avantageux pour elle-même plutôt que de
tenter de vendre du sucre blanc à des négociants ou utilisateurs allemands, au risque de perdre la clientèle de Pfeifer & Langen.

Cette entreprise, dont la capacité de raffinage s'élèverait à 260000 tonnes annuelles et dépasserait donc de beaucoup sa propre production, serait dans l'obligation, pour utiliser à plein cette capacité dans des conditions de rentabilité convenables, d'acheter non seulement à la Raffinerie tirlemontoise, mais à d'autres producteurs, notamment du Nord de l'Allemagne, des quantités très importantes de sucre brut. Les fournitures du fabricant belge ne représenteraient d'ailleurs qu'une fraction
relativement faible de l'ensemble de ces livraisons. En outre, Pfeifer & Langen avait intérêt à diversifier ses sources d'approvisionnement, notamment pour pallier une diminution possible, sinon probable, des livraisons reçues de Basse-Saxe. Enfin, le sucre brut en provenance de Belgique lui aurait permis de fabriquer du sucre blanc de grande qualité dont la vente autoriserait une marge bénéficiaire plus importante.

Nous n'entendons pas, Messieurs, entrer dans la discussion technique des capacités de raffinage respectives de la Raffinerie tirlemontoise et de Pfeifer & Langen, d'autant que nous sommes, à cet égard, en présence d'affirmations discordantes de la Commission et des requérantes. C'est sur un autre terrain qu'il nous paraît nécessaire de nous placer.

Au fond, la Commission incrimine non pas tant les livraisons de sucre brut de la Raffinerie tirlemontoise à Pfeifer & Langen, prises en elles-mêmes, mais le fait que ces livraisons n'aient pas été accompagnées de livraisons de sucre blanc significatives, alors que l'intérêt bien compris de la Raffinerie tirlemontoise aurait dû l'inciter à procéder à de telles ventes sur le marché libre de l'Ouest de la république fédérale d'Allemagne, que cette entreprise en avait les moyens et, enfin, que
l'absence de réseau commercial est un faux prétexte. En fait, ces livraisons de sucre brut sont le substitut de livraisons de sucre blanc. Elles sont critiquables dans la mesure où elles représentent une quantité correspondante de sucre blanc belge qui aurait pu et dû être écoulée avec profit sur ce marché.

Il est remarquable du reste qu'au cours de la campagne 1970-1971, caractérisée par un déficit de sucre blanc en Allemagne, dans le même temps où la Raffinerie tirlemontoise livrait du sucre brut à Pfeifer & Langen, les producteurs français, eux, livraient à cette même entreprise du sucre blanc en quantités supérieures.

Un autre point sur lequel insiste la Commission, c'est que ces livraisons ont coûté relativement cher à Pfeifer & Langen, compte tenu par ailleurs de la distance Liers-Elsdorf; elle y voit la contrepartie du manque à gagner de la Raffinerie tirlemontoise du fait de son abstention de vendre du sucre blanc de qualité équivalente.

La Commission n'a pas manqué de relever la contradiction qu'il y avait pour Pfeifer & Langen à affirmer qu'elle avait intérêt à acheter du sucre brut à la Raffinerie tirlemontoise, indépendamment de son désir d'éviter une incursion de cette dernière sur son propre marché du sucre blanc. Aussi, pour dissiper l'impression que les livraisons de brut pourraient expliquer l'absence de livraisons de blanc sur son marché. Pfeifer & Langen, en réponse aux questions posées par la Cour à ce sujet, a
expliqué que l'intérêt que présentaient pour elle les livraisons de brut de la Raffinerie tirlemontoise n'était pas tel qu'il eût suffi à lui faire accepter en échange la concurrence de la Raffinerie tirlemontoise sur son propre marché du sucre blanc. Mais, on est alors en droit de se demander s'il ne devait pas en aller de même pour la Raffinerie tierlemontoise: l'intérêt de ventes de sucre brut à Pfeifer & Langen n'était pas tel qu'il eût suffi, pour une entreprise de l'envergure de la
Raffinerie tirlemontoise, agissant de façon autonome et dans des circonstances normales, à la faire renoncer à vendre du sucre blanc dans la zone de vente de Pfeifer & Langen.

En réponse à l'affirmation de la Commission, selon laquelle les livraisons de la Raffinerie tirlemontoise ne peuvent s'expliquer que par le fait que Pfeifer & Langen a payé le sucre brut un prix «particulièrement intéressant», ce qu'admet la Raffinerie tirlemontoise, Pfeifer & Langen, qui estime qu'elle avait, elle aussi, tout avantage à traiter, explique, en dernière analyse, que la vente de brut aurait été particulièrement profitable pour la Raffinerie tirlemontoise parce qu'elle aurait
pratiquement rapporté à cette entreprise le même bénéfice que si elle avait elle-même raffiné le brut.

Quant à Pfeifer & Langen, elle n'aurait payé le brut un prix si élevé que parce qu'il était destiné à être transformé en sortes spéciales pour lesquelles la marge de transformation est particulièrement élevée, sortes dont la vente en république fédérale d'Allemagne n'était pas possible pour le producteur étranger qu'était la Raffinerie tirlemontoise.

Il est difficile, Messieurs, pour le profane, de suivre dans tous ses méandres cet échange d'arguments et de porter, après coup, une appréciation économique catégorique sur une situation d'une haute technicité. Remarquons simplement que, s'il est exact que sur le marché mondial il arrive parfois, en période excédentaire et de gonflement des stocks — de sucre blanc notamment — que le prix de celui-ci descende au-dessous de celui du brut, cette situation ne peut guère se produire sur le marché
communautaire, en tout cas pas durant plusieurs campagnes successives.

N'y aurait-il que ces livraisons de brut, il est douteux qu'elles suffisent à établir la réalité d'une concertation.

Mais cet aspect du grief fait à Pfeifer & Langen et à la Raffinerie tirlemontoise doit, à notre avis, être rapproché de la concertation, que nous estimons pour notre part établie, quant au sucre blanc.

Les livraisons d'avant-produits entre fabricants ne sont pas critiquables lorsque ces fabricants se font concurrence au stade des produits finis. Elles le deviennent, au contraire, à partir du moment où ces producteurs se concertent pour ne pas se concurrencer au stade du produit final. Or, c'est précisément ce qui s'est passé en l'espèce.

Nous pensons donc que le souci pour la Raffinerie tirlemontoise de délester sa capacité de raffinage, prétendument déjà obérée, et celui d'utiliser à plein celle de Pfeifer & Langen, soi-disant excédentaire, ne suffisent pas à rendre compte de ces livraisons de brut qui avaient, fait assez rare pour être noté, l'avantage d'être particulièrement intéressantes pour deux concurrents. Elles ne s'expliquent que par la certitude que la Raffinerie tirlemontoise n'interviendrait pas non plus sur le
marché libre du sucre blanc de Pfeifer & Langen. Cette certitude s'accompagnait de l'assurance que les offres d'achat émanant de clients situés dans les régions frontalières seraient poliment déclinées, malgré les conditions favorables du point de vue du transport. C'est bien ainsi que les choses se sont passées. Nous estimons, dans ces conditions, que la réalité de la pratique concertée est également prouvée en ce qui concerne ces livraisons de sucre brut.

2. En sus du grief d'avoir participé, avec la Raffinerie tirlemontoise, à une pratique concertée en vue de protéger son marché contre les importations en provenance de Belgique, Pfeifer & Langen se voit reprocher d'avoir protégé ce même marché en se concertant avec ses intermédiaires.

Depuis l'établissement de l'organisation commune, le comptoir Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft a eu recours, pour la vente du sucre produit dans cette zone, à quatre commissionnaires régionaux avec lesquels il a passé des «contrats de commission», tandis que Pfeifer & Langen, pour la vente de sa propre production, avait recours à douze représentants de commerce, avec lesquels elle avait conclu des «contrats d'agence» et dont certains étaient également commissionnaires de la Westdeutsche
Zuckervertriebsgesellschaft. L'activité de ces intermédiaires était limitée à certains territoires et elle ne pouvait porter sur du sucre provenant d'autres producteurs du marché commun qu'avec l'autorisation écrite de la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft ou de Pfeifer & Langen.

Les réponses aux questions posées par la Cour ont confirmé que tous les contrats passés par Pfeifer & Langen avec ses représentants contenaient une clause de limitation territoriale à l'intérieur de la république fédérale d'Allemagne (une carte annexée détermine chaque fois le périmètre de vente) et l'interdiction de vendre du sucre provenant d'autres producteurs du marché commun. Ces restrictions ont été également appliquées à un sinon à trois négociants qu'aucun contrat exprès ne liait Pfeifer
& Langen.

La Commission en déduit que l'instauration de ce système de vente résulte d'une concertation entre tous les producteurs allemands de l'Ouest de la république fédérale d'Allemagne et qu'elle a eu pour effet que le négoce «libre», qui vend le sucre en son nom et pour son compte propre, a été exclu de ce type de vente pour le sucre produit dans cette partie de l'Allemagne, comme c'était d'ailleurs le cas dans les autres comptoirs de vente. Indépendamment de la pratique concertée entre producteurs
visant à la protection du marché de l'Ouest de la république fédérale d'Allemagne, elle a considéré que ce système restreint la concurrence à l'échelon commercial et contrevient à l'article 85, paragraphe 1: les commissionnaires et représentants de la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft et de Pfeifer & Langen ne pouvaient vendre que le sucre de leurs commettants, il leur était interdit de vendre du sucre d'autres producteurs et encore ne pouvaient-ils le faire que dans un certain territoire.

Pfeifer & Langen, qui seul a formé un recours contre cette partie de la décision, répond que ses représentants sont des intermédiaires qui n'ont aucune indépendance et qui font partie intégrante de sa propre organisation de vente. Or, en droit allemand, il serait interdit à de tels intermédiaires de faire concurrence à leur mandant; cela résulterait déjà de l'obligation de loyauté qu'ils auraient envers lui.

En outre, dans sa communication du 24 décembre 1962, relative aux contrats de représentation exclusive conclus avec des représentants de commerce, la Commission aurait elle-même déclaré que l'article 85 ne visait pas les représentants de commerce dans la mesure où ils étaient intégrés comme auxiliaires dans l'entreprise de leur mandant.

Il est possible, Messieurs, que, d'après le droit commercial allemand, un représentant de commerce agisse au nom et pour le compte de son commettant.

Mais, comme la Commission a raison de le dire, il faut rechercher si l'on est bien en présence d'un simple auxiliaire intégré dans l'entreprise du mandant et, pour ce faire, il faut s'attacher moins à la dénomination qu'à la fonction du «représentant de commerce».

Un négociant ne peut, selon la Commission, être considéré comme organe auxiliaire lorsque, à côté de ses activités de représentant, il agit d'une manière non négligeable pour son propre compte comme négociant indépendant.

Or, selon la Commission, tel serait le cas des représentants de la requérante. Elle invoque le fait — qui nous paraît exact — que certains des représentants de la requérante sont qualifiés, dans les répertoires professionnels, de négociants en gros ou d'importateurs. Ces firmes nous paraissent devoir être mises sur le même pied que d'autres négociants dont les noms vous sont connus à la suite d'affaires ayant trait à la dénaturation ou à l'exportation du sucre.

Répondant aux questions de la Cour, la requérante a confirmé qu'à côté de leur activité pour son compte, ses représentants agissaient comme négociants indépendants. Les «commissionnaires régionaux» qui ont été instaurés après l'établissement de l'organisation commune sont des entreprises importantes du négoce en gros de l'alimentation, qui ont un chiffre d'affaires considérable non seulement du fait de leurs ventes, dans la zone qui leur est assignée, de sucre provenant des membres du comptoir,
mais encore du fait de leur activité particulière dans le domaine de l'exportation vers les pays tiers ou des opérations d'importation de sucre destiné à la dénaturation, domaine dont nous savons par ailleurs qu'il avait été «abandonné» dans d'autres pays, comme la Belgique et les Pays-Bas, au «négoce traditionnel».

Si ces négociants se sont livrés à de telles opérations vers les pays tiers et en vue de la dénaturation, ils auraient parfaitement pu le faire pour vendre du sucre destiné à la consommation humaine et provenant d'autres producteurs que les membres du comptoir, dans d'autres zones de vente. Ils y ont renoncé par un accord avec leur commettant.

De plus, et la Commission a raison de le souligner, même au regard du droit interne, il existe en république fédérale d'Allemagne également le paragraphe 18 du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (GWB), qui dispose que les clauses d'exclusivité peuvent être déclarées sans effet dans la mesure où elles restreignent le jeu de la concurrence. Les auteurs sont en désaccord sur le point de savoir si les restrictions imposées aux représentants de commerce tombent ou non dans le champ d'application
du paragraphe 18. Il semble inutile d'entrer dans cette controverse; il nous suffit de constater que ces restrictions relèvent de l'article 85 du traité de Rome.

Vous avez vous-mêmes jugé, à propos des «contrats verticaux» (il nous paraît que les clauses litigieuses relèvent de ce type) :

«qu'il est possible que, sans entraîner un abus de position dominante, un accord entre opérateurs économiques situés à des stades différents soit susceptible d'affecter le commerce entre États membres et, simultanément, ait pour but ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausses le jeu de la concurrence, tombant ainsi sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1» (13 juillet 1966, affaire 32-65. Italie/Commission, Recueil, p. 592) ;

et encore que «si le libellé de l'article 85 rend l'interdiction applicable, sous réserve de remplir les autres conditions, à un accord passé entre plusieurs entreprises et exclut, de ce chef, la situation d'une entreprise unique intégrant son propre réseau de distribution, il n'en résulte pas pour autant que doive être légalisée, par simple analogie économique, d'ailleurs incomplète et en contradiction avec ledit texte, la situation contractuelle dérivant d'un accord entre une entreprise de
production et une entreprise de distribution» (13 juillet 1966, affaires 56 et 58-64, Grundig, Recueil, p. 493).

Nous voyons d'ailleurs une confirmation de la thèse de la Commission dans le fait que — et ce n'est pas une simple coïncidence — la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft a modifié les contrats qu'elle avait conclus avec ses commissionnaires après qu'ait été prise la décision attaquée et que les représentants avec lesquels Pfeifer & Langen n'avait passé que des conventions verbales ont été informés par elle (au plus tard à partir de janvier 1973) de ce qu'ils n'étaient plus tenus de travailler
exclusivement pour elle et que, le 2 janvier 1973, un nouveau contrat de représentation a été conclu entre la requérante et ses douze commissionnaires, contrat ne contenant plus de clause d'exclusivité.

Il est certes possible que ce ne soit pas avec un enthousiasme excessif que ces «commissionnaires» aient accepté de voir réduire leur rôle en matière de vente de sucre destiné à la consommation humaine (vente uniquement du sucre produit par la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft et ses membres dans le territoire convenu), mais de là à dire que c'est par un abus de position dominante (art. 86) qu'ils ont convenu de cette limitation (comme dans le cas de la Raffinerie tirlemontoise/négoce
belge et Suiker Unie, Centrale Suiker/négoce néerlandais), il y a un pas. D'ailleurs, Pfeifer & Langen n'a pas une position comparable à celle de Süddeutsche Zucker AG, ni quant à sa production propre, ni quant à l'importance de sa participation dans son comptoir de vente. Même si c'était le cas, vous avez jugé que «l'altération de la concurrence, étant interdite lorsqu'elle résulte des comportements visés par l'article 85, ne saurait devenir licite lorsque ces comportements, menés à bonne fin
sous l'action d'une entreprise dominante, réussissent à se matérialiser dans une intégration des entreprises entre elles» (21 février 1973 affaire 6-72, Continental Can, Recueil p. 246).

Par conséquent, les clauses d'exclusivité conclues entre la Westdeutsche Zuckervertriebsgesellschaft/Pfeifer & Langen et leurs commissionnaires sont contraires à l'article 85, paragraphe 1; les requérantes ne sauraient jouir de la «validité provisoire» en prétendant qu'il n'y avait pas lieu pour elles de notifier ces contrats, car la communication de la Commission n'avait qu'un caractère purement indicatif et ne faisait pas disparaître l'intérêt des entreprises à obtenir une attestation négative
ou à faire établir la situation juridique par une décision individuelle. La vérité est que cette situation les arrangeait fort bien.

3. Le marché méridional allemand, tout comme le marché de la partie occidentale de ce pays, est caractérisé par un regroupement des producteurs au sein d'un comptoir de vente, le Südzucker-Verkauf, subdivisé en zones bien définies. Les cinq entreprises regroupées au sein de ce comptoir assurent 38 % de la production totale allemande, soit 800000 tonnes annuelles environ. Le comptoir détient plus de 90 % du marché dans son territoire de vente.

Les deux principaux protagonistes de la concertation alléguée sont deux «géants» de la production sucrière :

— Béghin, d'une part, qui, depuis la fusion avec Say intervenue en cours de procédure, est devenu, avec les filiales communes, le premier producteur français et maintenant le second producteur communautaire, après la firme britannique Tate and Lyle ;

— Süddeutsche Zucker AG, d'autre part, qui, au sein du comptoir de vente, détient une participation de 51,5 % ; avec huit sucreries, cette société assure 70 % de la production de ce comptoir, soit 29 % de la production totale allemande; cette entreprise occupe donc une position régionalement dominante dans la partie méridionale de la République fédérale.

Deux autres entreprises ont été impliquées dans les pratiques concertées relevées sur ce marché :

— Du côté français, la société Sucre Union, organe de commercialisation créé en 1966 par 23 sucreries françaises ;

— Du côté allemand, la Zuckerfabrik Franken qui, avec 4 sucreries, assure plus de 8 % de la production allemande totale. Süddeutsche Zucker AG détient une participation de 25 % dans cette entreprise.

Relevons toutefois que ni Sucre-Union, ni Franken ne se sont vu infliger d'amende. Elles n'ont pas formé de recours contre la décision attaquée.

Une question particulière se pose, dans le cadre de ce grief, au sujet du comptoir de vente Sudzucker-Verkauf. Il est constant que, dans le dispositif de la décision attaquée (article 1, 1re partie, paragraphe 4), le comptoir n'est pas mentionné parmi les entreprises ayant participé à cette concertation.

En revanche, des infractions à l'article 86 du traité lui sont reprochées dans la seconde partie, paragraphe 3, de cette décision.

Toutefois, au cours de la procédure, la Commission a affirmé que le grief de concertation sur le marché de l'Allemagne méridionale visait également Südzukker-Verkauf et que, si une amende a d'ailleurs été infligée à cette société, ce serait uniquement en raison de sa participation à l'infraction à l'article 85, paragraphe 1. Ceci résulterait, selon la Commission, de l'exposé des motifs de la décision ainsi que des dispositions introductives à la deuxième partie de l'article 1 du dispositif aux
termes desquels «il est constaté que les mesures suivantes, qui ont été relevées dans le contexte des pratiques concertées, constituent, en elles-mêmes, des infractions soit à l'article 86, soit à l'article 85 du traité».

Si nous comprenons bien cette thèse, la Commission établit un lien entre pratique concertée et abus de position dominante, la deuxième infraction ayant contribué à assurer l'efficacité de la première.

Nous serions porté à suivre ce raisonnement et à admettre que les deux griefs ne sont pas entièrement dissociables, dans la mesure où l'organisation de vente du comptoir a certainement contribué à limiter les importations de sucre blanc dans la zone qui lui est réservée. Mais nous nous réservons d'en tirer les conséquences en examinant le grief d'abus de position dominante retenu contre Südzucker-Verkauf.

Cela dit, à nous en tenir pour le moment à la concertation entre producteurs, les pratiques reprochées par la Commission sont de même nature que-celles qui ont été constatées en ce qui concerne le marché de la partie occidentale de l'Allemagne.

Il s'agit, en premier lieu, des livraisons directes de producteur à producteur. Süddeutsche Zucker AG et Franken ont, depuis la campagne 1970-1971, acheté des quantités croissantes de sucre brut à Béghin, de sucre. blanc tant à Béghin qu'à Sucre-Union. Elles ont commercialisé ce produit, après transformation du brut, aux mêmes prix et conditions de vente que le sucre de leur fabrication, sous leur propre marque.

Ces livraisons ont porté sur des quantités relativement importantes, particulièrement en ce qui concerne le sucre brut livré par Béghin à Süddeutsche Zucker AG, soit 11200 tonnes au titre de la campagne 1970-1971, 13900 tonnes pour la campagne suivante, et à Franken 9200 tonnes en 1971-1972. Les livraisons de sucre blanc ont été moins importantes: minimes de la part de Béghin: 286 tonnes vendues à Süddeutsche Zukker AG, elles atteignent respectivement 4500 tonnes livrées par Sucre-Union à cette
entreprise et 4000 tonnes à Franken.

Mais il convient surtout de remarquer qu'en dehors de ces livraisons directes les importations destinées aux utilisateurs industriels ou négociants allemands établis dans le territoire de vente de Südzukker-Verkauf ont été très limitées, à l'exception du sucre destiné à la dénaturation ou à l'exportation vers les pays tiers.

La Commission en déduit que les deux entreprises françaises ont évité d'exercer une pression concurrentielle sur le marché de l'Allemagne méridionale. Elles auraient, en concertation avec leurs concurrents, contribué à cloisonner ce marché.

Bien évidemment, les requérantes s'emploient à justifier leur comportement par des considérations économiquement rationnelles.

Pour les entreprises françaises, des livraisons de producteur à producteur permettaient de compenser les variations de production d'une campagne à l'autre et d'utiliser au mieux les capacités de raffinage disponibles par la fourniture de sucre brut ou de sucre blanc de qualité inférieure en vue de sa transformation en sucre liquide. Ces opérations seraient d'autant plus avantageuses que les coûts de transport du sucre brut sont relativement faibles. En revanche, les fournisseurs n'auraient eu
aucun intérêt à supporter les frais d'un réseau de distribution en Allemagne du Sud et à s'exposer aux aléas du stockage.

Les acheteurs allemands y trouveraient, de leur côté, l'avantage d'éviter la perte de clients et de parts de marché.

Enfin, les livraisons directes de producteur à producteur n'auraient pas empêché un certain développement des autres échanges intracommunautaires dans la région considérée.

Il est vrai, Messieurs, que Sucre-Union, pour sa part, a fourni à des intermédiaires indépendants des quantités de sucre non négligeables, du moins pendant la campagne 1970-1971, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Commission ne lui a pas infligé d'amende.

Il n'est pas contesté que Béghin, au contraire, n'a pas effectué de telles opérations.

Mais la requérante tire parti du fait que ses livraisons directes à Süddeutsche Zucker AG et à Franken ont porté presque exclusivement sur du sucre brut provenant de son usine de Sillery, située dans la région de Reims. Or, la production de brut de cette sucrerie a toujours été vendue à des raffineurs, français ou étrangers, parce qu'il eût été économiquement absurde, nous dit-on, de faire traiter ce produit par la raffinerie que Béghin possède à Thumeries, près de Lille, c'est-à-dire d'en
assurer tout d'abord le transport de la Marne jusqu'au Nord de la France pour obtenir du sucre blanc qu'il aurait ensuite fallu acheminer vers l'Allemagne du Sud.

Au surplus, tandis que la production de sucre brut de Sillery avait pratiquement doublé entre 1967-1968 et 1970-1971, la raffinerie de Thumeries, fonctionnant au plein de sa capacité, n'aurait pu, en tout état de cause, prendre en charge des quantités supplémentaires de brut en provenance de Sillery.

Quant à Süddeutsche Zucker AG, elle soutient qu'elle se serait trouvée, en 1970-1971, à court de stock et qu'il lui était donc nécessaire, pour honorer des contrats d'approvisionnement à long terme, d'importer du sucre brut, ce que d'ailleurs elle avait déjà fait à plusieurs reprises dès avant 1968. Les achats faits tant à Béghin qu'à Sucre-Union auraient eu pour but de résoudre ce problème, après d'ailleurs qu'elle ait tenté de s'approvisionner auprès d'autres producteurs, notamment de
Basse-Saxe.

Pour les requérantes, les opérations contestées trouveraient donc leur justification dans des impératifs d'ordre industriel et commercial qui suffiraient à exclure toute idée de concertation.

Nous n'en sommes, Messieurs, pas entièrement persuadé. Ce qui a été reproché essentiellement à Béghin n'est pas tant d'avoir livré directement du sucre brut aux producteurs d'Allemagne du Sud, mais d'avoir contribué, en s'abstenant d'opérer aucune livraison de sucre blanc à des négociants ou utilisateurs industriels de cette région, au cloisonnement de ce marché. Et, à ce sujet, il nous faut parler d'un grand absent dans la discussion qui s'est instaurée entre les parties au sujet de ce grief: il
s'agit de la Sarre.

Certes, l'absence de contre-prestation identifiable serait de nature à affaiblir le reproche de pratique concertée et, s'il était démontré que les producteurs français concernés n'ont tiré aucun parti de leur abstention sur le marché sud-allemand, on pourrait douter qu'ils aient agi en concertation avec leurs concurrents.

Mais la contre-prestation nous semble bien exister en l'espèce et même être de taille: il s'agit de l'«abandon» de la Sarre aux intérêts sucriers français.

Entendons-nous bien sur ces termes de «contre-prestation» et d'«abandon» : ce «troc» n'a eu nullement besoin de faire l'objet d'un accord exprès puisqu'il résultait pour ainsi dire des données de base et qu'il suffisait de continuer tacitement le comportement antérieur. Il n'empêche que cet élément a joué un rôle déterminant dans la pratique concertée.

Depuis la fin de la dernière guerre (avant le référendum sarrois), la Sarre a été approvisionnée en sucre d'origine française. Par la suite, cet état de choses a été officialisé par le traité franco-sarrois qui prévoyait, jusqu'au 31 décembre 1959, une union monétaire et douanière entre la France et la Sarre et qui, même après cette date, comportait l'importation en Sarre, en franchise de droits de douane, de certains produits originaires et en provenance de la zone franc, dans la limite des
contingents repris à une liste dénommée «liste A» dans laquelle figurait le sucre. C'est ainsi que, bon an mal an, 35000 tonnes de sucre blanc français étaient écoulées en Sarre.

Lors de l'abolition des derniers droits de douane (1er juillet 1968) et de l'entrée en vigueur du règlement no 1009/67 (même date), plus aucune raison juridique n'imposait le maintien de cette situation: la Sarre est une région clé de la république fédérale d'Allemagne et de l'Europe communautaire et on ne voit pas pourquoi elle échapperait aux règles du marché commun, à moins de disposition spéciale expresse.

Or, cette situation ne s'est pas sensiblement modifiée depuis l'entrée en vigueur de l'organisation communautaire; bien que tout droit de douane et tout contingent aient été supprimés entre les États membres (art. 35 du règlement) et qu'il n'existe aucun accord du genre de celui qui règle les échanges entre Berlin-Ouest et la République démocratique allemande, à peu près le même tonnage de sucre blanc français continue d'aller en Sarre, 30000 tonnes environ.

On trouve pourtant un reste de cette situation dans le fait que la Sarre n'a été incluse dans aucun des territoires de vente créés par les producteurs allemands, mais il ne s'agit là que d'une particularité qui découle d'un accord contractuel: le découpage en zones de vente avant la signature du traité franco-sarrois, pièce essentielle de l'organisation nationale de marché en république fédérale d'Allemagne, a bien dû tenir compte du particularisme sarrois. D'ailleurs, il n'existe aucune fabrique
de sucre ni raffinerie en Sarre, semble-t-il.

Pourtant, les choses auraient pu changer après le 1er juillet 1968 : d'une part, les fabriques allemandes les plus proches (celles de Süddeutsche Zucker AG: Worms, environ 100 km, Obrigheim, Waghäusel; de Pfeifer & Langen: Euskirchen) étaient bien placées pour «reconquérir le marché sarrois» (les principales entreprises de la zone la plus excédentaire de la Communauté situées parfois à près de 350 km: Reims, Soissons, Lille), sauf qu'elles n'y contrôlaient pas le réseau commercial dans la même
mesure que dans le reste de l'Allemagne méridionale.

D'autre part, pour les fabriques françaises, il n'était pas non plus exclu qu'elles puissent élargir encore leur marché dans la partie méridionale de l'Allemagne, compte tenu de leurs excédents et de conditions avantageuses en matière de frais de transport.

C'est ainsi qu'il résulte d'un échange de correspondance du 27 juin 1968 entre un commerçant sarrois et un client allemand situé près de la Sarre que ce commerçant était initialement disposé — compte tenu de l'entrée en vigueur prochaine de la réglementation communautaire — à livrer à ce client. Mais, dès le 6 août 1968, il a fait savoir à ce client que «l'industrie sucrière allemande a insisté, au cours des négociations permanentes qui se tiennent à Paris, auprès des fournisseurs français, pour
qu'ils se montrent réservés dans leurs livraisons au marché allemand, transitant par la Sarre vers le reste de la république fédérale d'Allemagne».

La Commission ne reproche évidemment pas à Béghin et à Süddeutsche Zucker AG de s'être concertées pour maintenir la situation antérieure en Sarre, puisqu'aussi bien il s'agissait là d'échanges intracommunautaires allant tout à fait dans le sens souhaité par l'organisation de marché.

Mais nous pensons que l'on ne peut faire abstraction de cet élément, qui perce d'ailleurs à travers les lignes de la décision.

Il semble d'ailleurs que les choses aient quelque peu évolué: à une lente «reconquête» du marché sarrois par les entreprises allemandes les plus proches, a correspondu une lente pénétration des entreprises françaises au-delà de la Sarre dans la partie méridionale de l'Allemagne. Les entreprises allemandes et françaises ont du moins entendu que ce réajustement se fît en bon ordre, par le canal des livraisons de producteur à producteur et en limitant les dégâts, à l'instar de ce qui s'est passé
entre la Raffinerie tirlemontoise et Pfeifer & Langen: si du sucre français devait venir dans le Sud de l'Allemagne, du moins ne devait-il y parvenir que par le canal de producteur à producteur, sous forme de sucre brut, à un prix certes intéressant pour les acheteurs allemands, qui leur laissait le bénéfice du raffinage, et, surtout, ce sucre représentait autant de sucre blanc qui ne serait pas commercialisé en dehors des circuits contrôlés par l'importateur. Il n'aurait pas été économiquement
absurde pour Béghin de faire raffiner le sucre de Sillery (Reims) à Thumeries (Lille) en encaissant la marge de raffinage, les raffineries du Sud de l'Allemagne étant elles-mêmes assez éloignées et le franchissement d'une frontière ne facilitant jamais les opérations de transport. N'était-ce d'ailleurs pas le cas pour le sucre blanc livré en Sarre ou en Italie? Une distance de 100 km de plus n'aurait guère constitué un obstacle insurmontable pour les entreprises françaises.

Les entreprises essentiellement intéressées à cette concertation étaient, d'une part, Süddeutsche Zucker AG (et sa filiale Franken), qui est la plus importante entreprise allemande; d'autre part, Béghin, qui est l'un des plus importants producteurs français. Or, c'est précisément entre elles et, accessoirement, avec la participation de la société de vente Sucre-Union que sont intervenues les livraisons de sucre brut litigieuses. D'autre part, ce sont ces entreprises qui s'intéressaient le plus à
la Sarre en raison tant de leur position géographique que de leur potentiel de production.

Or, si l'on rapporte les ventes françaises sur le marché «libre» de cette région où les cours se maintiennent aux environs du prix indicatif — abstraction faite des tonnages livrés en Sarre et aux fins de dénaturation — à l'ensemble des besoins de cette même région, on constate qu'elles n'ont pas revêtu une importance notable, tandis que les exportations de sucre blanc et de sucre brut à Süddeutsche Zucker AG et à sa filiale Franken (livraisons de producteur à producteur) ont été en
s'accroissant. C'est cet aspect des choses qu'incrimine la Commission.

Hormis le fait que, en dehors de la Sarre, le plus important courant d'importations dans la partie méridionale de la république fédérale d'Allemagne n'a pris la forme que de livraisons de producteur à producteur, la protection de cette région a été efficacement complétée, à l'autre bout de la chaîne si l'on peut dire, par le système des rabais de fidélité et par les contrats de représentation pratiqués par Südzucker-Verkauf, chargé de la commercialisation des sucres de Süddeutsche Zucker AG et de
Franken.

Nous avons plusieurs pièces révélatrices à cet égard :

Une lettre d'un grossiste du Sud de la république fédérale d'Allemagne, en date du 18 avril 1972 :

«Nous vous communiquons que nous avons malheureusement été informés par lettre de la Süddeutsche Zucker AG que nous ne toucherons pas de prime de fidélité pour la campagne écoulée».

Un télex d'un des rares commerçants indépendants du Sud de la république fédérale d'Allemagne à Sucre-Union du 23 août 1971, qui cite la disposition en cause des contrats de Südzucker-Verkauf et une lettre de ce même importateur à Sucre-Union du 29 septembre 1971 :

«La firme (maison de commerce du Sud de la République fédérale) m'a fait savoir que Süddeutsche Zucker AG a fait des réserves à la suite d'achats de sucre blanc en France. La firme courait le risque de ne pas toucher la prime de fidélité annuelle. Lors du renouvellement du contrat avec Süddeutsche Zucker AG, ladite firme a touché la prime annuelle de fidélité, sous la condition de renoncer à l'avenir aux achats de sucre auprès d'autres vendeurs et en provenance de France».

Ce commerçant a eu maille à partir avec ses fournisseurs, mais sa correspondance nous paraît, rapprochée de ces différents éléments, constituer un indice sérieux.

La pratique concertée nous paraît donc établie.

Il nous reste à examiner, à propos de ce «grief», certains moyens de forme invoqués par les requérantes.

En premier lieu, une violation de l'article 4 du règlement no 99: selon Süddeutsche Zucker AG, la communication des griefs ne ferait pas état de l'intérêt que présentaient des importations de sucre communautaire en Allemagne du Sud. Il nous paraît, au contraire, que c'est là une idée qui est à la base même tant de la communication des griefs que de la décision.

En second lieu, cette requérante relève que le dispositif retient à son encontre une pratique concertée avec Sucre-Union pour les campagnes 1970-1971 et 1971-1972, alors que, dans ses motifs, la décision ne mentionne, pas d'achat de Süddeutsche Zucker AG à Sucre-Union pendant la première de ces campagnes: seul le mémoire en défense mentionne une livraison de 4600 tonnes de sucre blanc de Sucre-Union à une filiale de Süddeutsche Zucker AG pour cette campagne.

Nous pensons que cette critique ne porte guère à conséquence: ce qui est reproché à la requérante allemande, c'est essentiellement une pratique concertée avec Béghin et, d'ailleurs, la Commission a renoncé à sanctionner Sucre-Union. Il n'y a pas lieu d'examiner davantage le comportement de cette dernière entreprise qui n'a pas été sanctionnée par une amende et qui n'a pas formé de recours. D'ailleurs, Sucre-Union n'est pas un producteur, ce qui explique qu'elle a pu avoir une stratégie parfois
différente de celle de Béghin.

Selon Süddeutsche Zucker AG et Béghin, la communication des griefs n'aurait pas précisé le producteur visé par le reproche de ne pas avoir vendu de sucre blanc en Allemagne du Sud, ni les entreprises avec lesquelles Süddeutsche Zucker AG se serait concertée. Seule la décision indiquerait les livraisons et les producteurs incriminés.

Comme nous l'avons dît à propos de l'examen des moyens généraux de forme, il nous paraît que tant Béghin que Süddeutsche Zucker AG n'ont pu se méprendre sur la portée du grief que la Commission se proposait de retenir à leur égard; elles ont d'ailleurs pris position sur ce point au cours de la procédure administrative.

4. Nous devons nous expliquer à présent sur le grief d'abus de position dominante reproché à Südzucker-Verkauf à partir de la campagne 1968-1969, du fait d'avoir empêché ses intermédiaires de revendre du sucre ne provenant pas de ses membres et d'avoir lié ses clients par l'octroi de remises de fidélité.

Rappelons que le 24 mars 1969, le Bundeskartellamt a adressé à Südzucker-Verkauf, la requérante en cause, un questionnaire concernant notamment les «rabais de fidélité» qu'elle accordait à ses clients et les contrats qu'elle passait avec ses représentants commerciaux. Le 8 juillet 1971, le Bundeskartellamt a fait savoir à ce comptoir qu'il avait arrêté la procédure le concernant.

Selon le rapport d'activité de ce même Office fédéral des cartels pour l'année 1969, les milieux de l'industrie de transformation du sucre et du commerce des produits alimentaires se sont plaints de ce qu'après l'entrée en vigueur de l'organisation du marché du sucre communautaire, et en particulier à la suite de l'adoption qui en résultait du prix départ usine, certaines entreprises productrices de sucre occupaient une position dominante dans certaines régions en raison du coût du transport.
«Même dans les régions excédentaires où la culture de la betterave est concentrée et où sont siuées des fabriques de sucre susceptibles de se concurrencer, la création d'organisations communes de vente du sucre a substantiellement réduit la concurrence. Cette évolution a entraîné l'apparition de prix excessifs pour le sucre, de restrictions à la production de sucre de catégorie II, meilleur marché, et, en particulier, l'absence de production de sucre de la catégorie III. Le soupçon ainsi créé que
certaines entreprises productrices de sucre détenaient, localement, une position dominante et en abusaient a donné lieu à une enquête approfondie. Celle-ci a, en partie confirmé, en partie renforcé l'existence présumée de positions régionalement dominantes. Toutefois, le soupçon que les prix du sucre avaient été fixés à un niveau abusif n'a pas été confirmé. Il n'est pas apparu d'indice suffisant pour établir l'existence d'une réduction préméditée de la production du sucre, meilleur marché, de
catégorie II».

«L'Office fédéral des cartels», poursuit le rapport, «a, sur le fondement des indications provenant du commerce de détail, engagé la procédure du paragraphe 22 de la loi allemande sur la concurrence contre les grossistes en sucre de certaines régions de la République fédérale. Ces entreprises occuperaient une position dominante dans leur territoire de vente. Les détaillants se sont plaints de ce que les grossistes ne cèdent du sucre meilleur marché de la catégorie de base que s'il leur ést acheté
en même temps du sucre raffiné, plus cher. L'enquête a montré que, par suite d'erreurs d'estimation des besoins et en raison de difficultés d'approvisionnement, les quantités de sortes de base disponibles s'étaient raréfiées chez certains fabricants et que seules des livraisons réduites avaient été effectuées. Les grossistes concernés avaient dû, en conséquence, recourir à un contingentement». Cependant, là encore, les procédures ouvertes ont été arrêtées.

La Commission estime que l'obligation imposée par ce comptoir à ses 17 représentants de commerce de ne pas vendre sans son accord de sucre provenant d'autres producteurs que ses membres a restreint la liberté des échanges entre États membres du fait qu'elle empêchait les négociants libres d'approvisionner les utilisateurs industriels, notamment en sucre communautaire importé. Cette obligation était assortie de surcroît de l'octroi de remises de fidélité à ses clients, système collectif des
rabais, dont le taux dépend exclusivement des achats totaux effectués auprès des producteurs associés. Pour ne pas perdre l'avantage de ce rabais, les acheteurs devaient donc concentrer leurs commandes auprès des producteurs allemands: la perte de la remise de fidélité entraînait un désavantage qui faisait plus qu'annuler l'avantage qu'aurait comporté l'achat de sucre de provenance étrangère.

Il nous semble en effet que Südzucker-Verkauf a usé de sa position régionalement dominante pour imposer ces contrats de distribution à ses revendeurs et ces remises de fidélité, et que cette pratique rentre dans la définition de l'article 86 :«imposer des prix ou d'autres conditions de transaction non équitables», «appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes» et constitue donc une infraction à cette disposition.

La requérante soutient que, en eux-mêmes, pris isolément, ces contrats de distribution et ces rabais contractuels n'avaient pas à être notifiés à la Commission, en tant que n'y participaient que des entreprises ressortissant à un seul État membre et qu'ils ne concernaient ni l'importation, ni l'exportation entre États membres (art. 4, 2e alinéa, 1), du règlement no 17).

Ce dernier point paraît douteux à la lumière de votre arrêt LTM du 30 juin 1966, rendu à propos des contrats d'exclusivité.

Mais de là à conclure qu'une amende ne peut être infligée pour des agissements connexes à ces contrats ou clauses contractuelles, il y a une différence. L'abus constaté et réprimé par la Commission concerne le système que la requérante a adopté pour commercialiser la production de ses membres, y compris le sucre acheté par ceux-ci aux producteurs français, en liaison avec la pratique concertée de Süddeutsche Zucker AG relative aux livraisons de sucre français.

Cette pratique «a porté atteinte à une structure de concurrence effective», telle que mentionnée à l'article 3 / du traité, selon votre arrêt Europemballage du 21 février 1973 (affaire 6-72, Recueil 1973, p. 244) et rentre donc dans la notion d'«exploitation abusive».

Elle était non seulement «susceptible d'affecter le commerce entre États membres» ou, selon les termes de votre arrêt Grundig du 13 juillet 1966 (affaires 56 et 58-64, Recueil 1966, p. 495), de «mettre en cause soit de manière directe ou indirecte, soit actuellement ou potentiellement, la liberté de commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objets d'un marché commun unique entre États», mais elle a eu ces effets, ainsi qu'en témoignent les pièces que nous
avons citées à propos du grief de concertation sur le marché de l'Allemagne du Sud.

Il se pose toutefois, nous l'avons dit, à propos de ce grief, un problème d'imputabilité et de qualification.

Dans sa communication des griefs, la Commission envisageait d'apprécier les mesures imposées par Südzucker-Verkauf et Süddeutsche Zucker AG à leurs clients, tant sur la base de l'article 85 que sur celle de l'article 86 :

— elle envisageait de considérer que l'obligation contenue par les divers contrats de distribution de Südzukker-Verkauf de ne commercialiser du sucre autre que celui livré par ce comptoir ou par ses membres qu'avec son accord tombait sous le coup de l'article 85 ;

— elle envisageait également de considérer que le système de représentation commerciale, mis sur pied par Süddeutsche Zucker AG et Südzukker-Verkauf, était révélateur de l'exploitation abusive d'une position dominante (art. 86). Enfin, toujours sous l'angle de l'article 86, elle envisageait de considérer que l'octroi, par Südzucker-Verkauf, à ses clients d'un rabais quantitatif annuel constituait également une exploitation abusive de la position dominante de Süddeutsche Zucker AG.

La décision, elle, constate dans son dispositif qu'il a existé au cours de la campagne 1970-1971 une pratique concertée de l'article 85, paragraphe 1, entre Süddeutsche Zucker AG (qui exerce une influence prépondérante au sein de Südzucker-Verkauf) et Franken, d'une part, Béghin et Sucre-Union, d'autre part.

Elle constate en outre qu'il a existé, depuis la campagne 1968-1969, une pratique abusive de l'article 86, du fait de Südzucker-Verkauf, chargée de la commercialisation des sucres de Süddeutsche Zucker AG.

Rappelant que cet abus avait été relevé dans le contexte de la pratique concertée et considérant que, aux fins de la détermination du montant de l'amende, les deux infractions que constituaient ces pratiques devaient être conjointement appréciées, la décision sanctionne la première de ces infractions d'une amende de 700000 unités de compte et la seconde d'une amende de 200000 unités de compte, la première étant mise au compte de Süddeutsche Zucker AG et la seconde à celui de Südzucker-Verkauf. Il
nous paraît donc qu'en tout cas la Commission a entendu sanctionner la société Südzucker-Verkauf au moins au titre de l'article 86, même s'il n'est pas exclu qu'elle ait entendu également la sanctionner au titre de l'article 85. C'est du moins ainsi que l'a compris cette société dans son recours.

Ces variations ne sont guère étonnantes: la frontière entre ce qui relève de l'article 85 et ce qui relève de l'article 86 est indécise; il s'agit souvent de situations voisines qu'il y a intérêt à traiter, dans toute la mesure du possible, de façon analogue; dans de nombreux cas d'ailleurs ces deux articles, qui figurent dans la même section (les règles communes de concurrence applicables aux entreprises) sont susceptibles de trouver tous deux en même temps application.

L'article 86 du traité vise «le fait, pour une ou plusieurs entreprises, d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci». Il est clair que ce texte suppose une sorte de lien entre les entreprises qui exploitent de façon abusive une position dominante.

Ce lien peut d'abord consister en une entente; on a pu même dire que les ententes les plus dangereuses sont celles qui tendent au monopole ou à la position dominante. Dans cette situation, extrêmement fréquente, il se pose un problème: des deux textes applicables, l'article 85 ou l'article 86, ne doit-on faire application que du plus rigoureux et quel est alors le texte le plus rigoureux, ou bien, au contraire, peut-on en faire une application cumulative? Étant donné que nous ne sommes pas en
droit pénal, nous pensons que c'est la dernière solution qui doit être retenue.

Ce lien peut aussi revêtir la forme de liaisons structurelles: c'est le problème des filiales, des holdings et des participations financières, caractéristiques de l'évolution récente.

A un degré moindre de cohésion, on trouve les liens personnels (interlocking directorships). On considère, dans certains pays, qu'une attitude commune d'un certain nombre d'entreprises peut faire considérer qu'elles occupaient une position dominante, au moins en ce qui concerne la pratique qui leur est reprochée.

Il nous paraît donc oiseux de rechercher si la Commission a entendu sanctionner Südzucker-Verkauf exclusivement pour sa participation à une pratique concertée ou pour un abus de position dominante, de rechercher si c'est une pratique concertée qui a permis un abus de position dominante ou si c'est cette position dominante qui a permis de continuer un cloisonnement des marchés et de faire jouer tantôt le dispositif, tantôt les motifs de la décision attaquée en faveur de la requérante pour qu'en
définitive elle échappe à toute condamnation.

C'est un sophisme que de dire que, le dispositif ne mentionnant pas Südzukker-Verkauf à propos de la pratique concertée, alors que les motifs visent effectivement ce comptoir en liaison avec cette pratique et que la Commission aurait dit, dans sa duplique, que Südzucker-Verkauf méconnaîtrait que l'amende lui aurait été infligée non en raison de l'abus visé au dispositif, mais en raison de la pratique concertée, ces variations devraient aboutir à faire juger qu'en réalité la Commission a entendu
laisser sans sanction l'infraction à l'article 86: le dispositif nous paraît parfaitement clair et n'a pas besoin d'être interprété à la lumière d'explications ultérieures.

Il en va d'autant plus ainsi qu'il faut de toute façon se prononcer sur l'article 2 de la décision qui enjoint à Südzukker-Verkauf, en ce qui la concerne, de mettre fin immédiatement à l'infraction qui a été constatée à son encontre (art. 1) et dont elle demande l'annulation.

Il serait paradoxal d'interpréter les articles 85 et 86 dans des sens contradictoires, alors que ces dispositions constituent la mise en œuvre d'un même objectif (arrêt du 21 février 1973, affaire 6-72, Recueil 1973, p. 247) et que les entreprises puissent en quelque sorte bénéficier d'un «no man's land» ou s'abriter derrière une autre qualification ou une question d'imputabilité pour faire échec au traité: au fond, Süddeutsche Zucker AG et Südzucker-Verkauf sont solidairement responsables.

Ce serait faire échec à la pleine juridiction qui implique, pour la Cour, le pouvoir et le devoir de pousser ses investigations au-delà de la simple légalité: vous jugez non seulement la décision, mais l'affaire dans tous ses éléments.

Ce qu'il faut éviter, c'est qu'une entreprise soit sanctionnée deux fois pour une même infraction, mais aussi que, pour une querelle de mots, une infraction échappe en définitive à toute sanction du fait qu'elle a été commise par plusieurs entreprises.

IX — Concertation portant sur les adjudications aux restitutions en vue de l'exportation de sucre communautaire vers les pays tiers

Nous avons achevé, Messieurs, l'examen de l'ensemble des griefs de pratiques concertées tendant au cloisonnement et à la protection des marchés nationaux ou régionaux à l'intérieur de la Communauté ainsi qu'à l'usage abusif de positions dominantes auxquelles se seraient livrées certaines des entreprises requérantes.

Il nous reste, avant de tirer les conséquences de cette étude quant aux amendes infligées, à rechercher si, et le cas échéant dans quelle mesure, la Commission était fondée à retenir, à l'encontre de la Raffinerie tirlemontoise d'une part, des trois producteurs français, Générale sucrière, Say et Béghin, et de l'entreprise de négoce Sucres & Denrées d'autre part, un dernier grief qui a trait aux exportations de sucre vers les pays tiers. Ajoutons que deux autre firmes françaises: Lebaudy-Suc et
Sucre-Union, également visées par ce grief, n'ont pas formé de recours devant vous.

Afin de permettre qu'une partie des excédents de la production communautaire soit exportée vers les pays tiers au cours du marché mondial, notablement inférieur, à l'époque, aux prix communautaires, et en vue de préserver certains courants d'échanges traditionnels, le règlement no 1009/67 a prévu une aide à l'exportation sous la forme d'octroi de restitutions. Les dispositions générales qui régissent ce système ont été arrêtées par règlement du Conseil no 766/68.

Ce texte, entré en vigueur en même temps que le règlement no 1009/67, a prévu deux régimes distincts pour la fixation des restitutions. D'une part, en vertu de l'article 2, celui de la fixation périodique des restitutions, toutes les deux semaines, qui a été appliqué immédiatement; d'autre part, celui de la fixation par voie d'adjudication qui n'a été employé qu'à partir de la seconde campagne sucrière de 1969-70.

La procédure des adjudications, prévue par l'article 4 du règlement no 766, a été, en quelque sorte, de droit commun, par la suite, pour l'octroi des restitutions, même si, parallèlement, la fixation périodique a continué à fonctionner, mais avec des montants de restitution généralement plus bas.

Les adjudications portent sur le montant de la restitution à octroyer, de telle manière que, les entreprises étant mises en concurrence et devant présenter leurs offres dans un délai déterminé, sont déclarés adjudicataires les offrants qui ont proposé le taux de restitution le moins élevé par rapport au montant maximum fixé par la Commission après consultation du Comité de gestion.

C'est dans le cadre de ce régime que, selon la décision attaquée, les entreprises en cause se sont, au cours de l'année 1970, concertées sur les offres à présenter, tant en ce qui concerne les quantités de sucre qu'elles se proposaient d'exporter que le montant de la restitution. Elles auraient ainsi faussé la concurrence qui, dans des conditions normales, aurait dû résulter des offres individuelles et autonomes de chaque entreprise candidate aux adjudications.

Bien qu'elle ait concerné l'exportation du sucre vers les pays tiers, cette concertation aurait été de nature à affecter le commerce entre les États membres, d'une part en ce qu'elle portait sur du sucre produit dans le marché commun, d'autre part en ce qu'elle aurait eu pour conséquence de permettre aux auteurs des pratiques concertées de modifier ainsi les quantités de sucre que chacun d'entre eux aurait dû, en l'absence de toute concertation, écouler sur le marché communautaire.

S'agissant, par hypothèse, de producteurs disposant d'excédents importants ou de leurs intermédiaires négociants, ces entreprises auraient été obligées de placer ces excédents en dehors de leur marché national, dans les autres États membres.

Ainsi, la concertation entre candidats aux adjudications, éliminant toute incertitude quant à la possibilité d'exporter à des conditions déterminées, se relierait au plan d'action commun des producteurs visant à protéger certains marchés nationaux.

Telle est, Messieurs, dans son essence, la thèse de la Commission dont la discussion implique que soient successivement examinées les preuves de l'existence de la concertation alléguée et, dans l'affirmative, son incidence sur le commerce intracommunautaire et le jeu de la concurrence, compte tenu des conditions dans lesquelles étaient organisées les adjudications des restitutions et des pouvoirs dont disposait, en ce domaine, la Commission tant pour contrôler et limiter les quantités de sucre à
exporter que pour déterminer les conditions financières des exportations au moyen de la fixation du montant maximum de la restitution.

A la première question, notre réponse ne peut être qu'affirmative.

Les preuves de la concertation résultent d'abord de documents de caractère général, de nature à éclairer la Cour sur les objectifs des producteurs; en second lieu, de correspondances ou télex échangés entre certaines des requérantes et leurs intermédiaires commerciaux, notamment la Raffinerie tirlemontoise et Export au sujet des adjudications elles-mêmes; enfin, des éléments de fait exposés par la Commission, d'où ressort l'identité ou la très grande proximité des offres présentées par les
requérantes en. ce qui concerne le montant de la restitution proposée.

Sur un plan général, il faut rappeler que, dès la mise en œuvre de l'organisation commune de marché, les producteurs européens avaient tiré de la réglementation communautaire la conclusion que deux marchés devaient être distingués: celui de la consommation humaine à l'intérieur de la Communauté et celui des excédents, destinés à être dénaturés ou exportés vers les pays tiers, et avaient estimé qu'il était équitable, pour chacun d'eux, d'obtenir une recette moyenne égale, résultant de la pondération
des tonnages à écouler sur le marché de la consommation et du tonnage à exporter ou à dénaturer.

Dès ce moment, la concertation en vue de l'exportation était en germe.

Elle se trouve confirmée, notamment, par une note de la firme Export datée du 17 février 1970. Ce document fait expressément état des réunions périodiques, précédant les adjudications, auxquelles étaient représentés les producteurs français incriminés, ainsi que la Société Sucres & Denrées, la Raffinerie tirlemontoise se tenant, en raison de l'éloignement, en contact téléphonique avec ses partenaires.

L'objet de ces réunions est précisé: il s'agissait de discuter «du niveau général des restitutions» et «du tonnage pour lequel chacun des membres soumissionnera, la conciliation éventuelle se faisant au cours de discussions multilatérales».

Bien qu'il s'agisse là d'un document interne, il est d'autant plus significatif qu'après avoir, comme la Société Hottlet et certains commissionnaires français, présenté, pour les premières adjudications de l'année 1970, des offres de restitutions à un niveau particulièrement bas et obtenu ainsi des certificats d'exportation pour des tonnages importants, Export s'est aligné sur la politique suivie par les producteurs.

Cette politique est expressément définie dans un télex de la Raffinerie tirlemontoise à Export en date du 23 juillet 1970, comme tendant : «à la suppression de la concurrence aux restitutions, de manière à ce que tout producteur soit assuré au minimum du prix d'intervention» et, en conséquence, «à la suppression de la lutte pour placer les quantités sur le marché intérieur où l'on est sûr du prix, plutôt que de devoir exporter».

Sous la pression de la Raffinerie tirlemontoise, Export avait déjà tiré les conséquences de cette concertation des producteurs et s'y était rallié, ainsi que le montre la note de son président du 25 mars 1970 se référant aux réunions de Paris.

Les autres documents produits par la Commission confirment l'existence de la concertation, que les requérantes ne contestent d'ailleurs pas sérieusement. Elles s'efforcent d'en minimiser la portée en taisant valoir qu'il se serait agi, selon les unes, de simples échanges d'informations, selon les autres de contacts intermittents pris adjudication par adjudication.

En l'état des pièces versées au dossier, cette argumentation ne peut être retenue.

Non seulement la commune volonté des requérantes d'éliminer entre elles toute concurrence aux adjudications s'en dégage clairement, mais on peut parler d'un véritable plan d'action commun dont l'exécution est confirmée par les résultats des adjudications ouvertes en 1970, ou du moins de la plupart d'entre elles.

Si, pour les six premières de ces opérations, les tentatives des requérantes d'obtenir des restitutions d'un montant relativement élevé furent mises en échec par des offres plus basses des firmes belges Export et Hottlet ainsi que de commissionnaires français, il n'en reste pas moins que les soumissions du groupe des producteurs avaient été soigneusement coordonnées et se situaient à un niveau pratiquement identique.

Puis, à partir d'avril 1970, on constate que ces producteurs ont été déclarés adjudicataires, pour des quantités importantes, dans des conditions qui montrent bien qu'ils se sont efforcés de se répartir les tonnages à exporter en modulant, souvent à quelques centimes près, leurs offres respectives.

Les faits étant matériellement établis, il convient de rechercher si l'entente était de nature à affecter le commerce entre les États membres et si elle a eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

Bien que vous n'ayez pas eu, jusqu'à présent, l'occasion de statuer, dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1, sur des ententes concernant exclusivement l'exportation de produits vers des pays tiers, vous avez admis qu'il n'est pas nécessaire que des accords ou pratiques concertées concernent strictement des échanges entre États membres pour que les interdictions édictées par ce texte soient éventuellement applicables. D'ailleurs, selon votre jurisprudence, cette notion n'a d'autre but que de
délimiter les compétences respectives des institutions communautaires et celles des autorités nationales. Il suffit donc, en tout état de cause, que l'entente ou les pratiques considérées aient été susceptibles d'avoir une incidence sur le commerce entre États membres, même si cette incidence est indirecte.

Ajoutons que, sur le terrain de l'article 86 dont la mise en œuvre implique que la même condition soit réalisée, vous avez expressément jugé, dans l'affaire Commercial Solvents/Commission (arrêt du 6 mars 1974, affaires jointes 6 et 7-73, Recueil 1974, p. 223), qu'on ne peut interpréter la notion d'affectation du commerce intracommunautaire «comme restreignant le champ d'application de cette disposition aux seules activités industrielles et commerciales tendant à approvisionner les États membres» et
qu'il y a lieu, en conséquence, «d'envisager le comportement incriminé dans toutes ses conséquences pour la structure de la concurrence dans le marché commun, sans distinguer entre les productions destinées à l'écoulement à l'intérieur de ce marché et celles destinées à être exportées».

Ce raisonnement vaut, mutatis mutandis, pour l'application de l'article 85, paragraphe 1. Ce que d'ailleurs incrimine la Commission n'est pas le fait que le volume global des exportations vers les pays tiers ait pu être augmenté par la concertation des producteurs et que les quantités demeurant disponibles pour les échanges intracommunautaires aient été, par voie de conséquence, diminuées. C'est l'atteinte qu'a portée la concertation à la structure de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

La défenderesse estime donc qu'il existe un lien de causalité, au moins indirect, entre les pratiques concertées et le jeu de la concurrence dans la mesure où ces pratiques ont eu pour objet et pour effet d'éliminer, au profit des entreprises, toute incertitude quant à leurs exportations hors de la Communauté et ainsi de les mettre en état d'éviter l'obligation où elles se seraient trouvées, sans cette concertation, d'écouler ou de tenter d'écouler une partie au moins de leurs excédents sur le
marché intérieur de la Communauté dans des conditions concurrentielles.

C'est bien ainsi que le problème se pose, ce qui nous conduira à écarter deux des moyens invoqués par les requérantes.

Le premier est tiré de ce que, pour affirmer que la concurrence a été entravée dans le marché commun, la Commission se serait fondée sur le motif que les adjudications permettaient l'exportation de sucre produit sur le territoire du marché commun.

Les demanderesses soutiennent que ce motif est insuffisant et, de surcroît, erroné en droit, le lieu de production étant sans incidence, en principe, sur l'application de l'article 85.

Par un second moyen, la Raffinerie tirlemontoise soutient, pour sa part, que la concertation n'a pas porté sur le marché du sucre, mais sur les adjudications des restitutions, c'est-à-dire seulement sur les conditions d'octroi des licences d'exportation.

Ces deux moyens doivent être écartés par les mêmes considérations.

Tout d'abord, si la décision attaquée relève, il est vrai, que, les adjudications concernant l'exportation du sucre vers les pays tiers, «il y a lieu de considérer qu'elles permettent l'exportation de sucre produit à l'intérieur de la Communauté», il ne s'agit là en vérité que d'une constatation de fait qui tend à établir que les adjudications n'étaient que le moyen, la procédure nécessaire pour parvenir à obtenir l'autorisation d'exporter le produit en cause.

En réponse à l'argumentation de la Raffinerie tirlemontoise, il ne fait donc pas de doute que la concertation sur les adjudications portait, par ce biais, sur le marché du sucre lui-même.

Les requérantes tentent alors de démontrer qu'en tout état de cause la Commission dispose, dans le cadre de la procédure des adjudications, de pouvoirs si étendus et si rigoureux qu'elle aurait eu, en définitive, la totale maîtrise des exportations, de telle manière qu'elle aurait été en mesure d'éviter que leur volume ne perturbât la concurrence à l'intérieur du marché commun et ne puisse affecter le commerce entre États membres.

De ces prémisses, les requérantes entendent tirer la conséquence qu'en admettant même la réalité et l'objet de la concertation qui leur est reprochée, il dépendait de la Commission d'éviter que ces pratiques puissent avoir le moindre effet préjudiciable.

Cette thèse, Messieurs, est en apparence séduisante, car il est vrai que la réglementation communautaire confère à la Commission des prérogatives qui lui permettent, compte tenu de la situation du marché intérieur, d'agir efficacement tant sur le volume global des exportations hors de la Communauté que sur le montant des restitutions, compte tenu des moyens autres que les exportations, d'écouler les excédents nets de la production communautaire de sucre par le jeu de la dénaturation.

Néanmoins, nous ne pensons pas que cette argumentation soit fondée, car les pouvoirs attribués à la Commission ne lui permettent de faire échec ni au mode de concertation dont les requérantes ont usé, ni à son objet qui était de s'assurer que telles entreprises plutôt que d'autres obtiendraient des licences d'exportation pour tout ou partie des quantités mises en adjudication.

La raison d'être des pratiques concertées était, comme on l'a dit, de permettre la substitution des entreprises en fonction du niveau de leurs excédents disponibles, de façon à ce que les marchés nationaux ou certains d'entre eux ne soient pas soumis à une concurrence que les producteurs avaient entendu, par la formule «chacun chez soi», réduire le plus possible, sinon éliminer complètement.

Qu'en est-il en effet des moyens juridiques dont disposait la Commission en ce domaine? Des deux systèmes prévus par le règlement no 766/68, celui de la préfixation périodique des restitutions ne lui conférait pas le pouvoir de contrôler effectivement les tonnages à exporter. La Commission a été ainsi conduite à neutraliser en quelque sorte ce système en fixant le montant des restitutions préfixées à un niveau particulièrement bas.

Elle a préféré recourir à la procédure des adjudications, permanentes ou partielles, parce qu'elle considérait que la préfixation était trop onéreuse pour le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole et qu'elle exerçait une influence défavorable sur les cours mondiaux.

En revanche, le régime des adjudications mettait entre les mains de la Commission un certain nombre de moyens d'action :

— celle-ci décide de la fréquence, du rythme des adjudications ;

— elle peut déterminer la quantité maximum de sucre à exporter dans le cadre de chaque adjudication ;

— elle fixe le montant maximum de la restitution ;

— elle peut encore, si les aspects économiques des exportations envisagées le justifient, ne pas donner suite à une adjudication déterminée ;

— enfin, elle a la faculté de suspendre les adjudications permanentes.

Pour ce qui est des entreprises, il leur faut, pour soumissionner, présenter dans un délai déterminé des offres portant sur les quantités qu'elles s'engagent à exporter aussi bien que sur le montant de la restitution offerte. Mais, à cet égard, les pouvoirs de la Commission sont limités dans la mesure où l'adjudication doit être attribuée à tout soumissionnaire dont l'offre ne dépasse pas le montant maximum de restitution fixé par la Commission, étant précisé que l'attribution de l'adjudication
fonde le droit à la délivrance d'un certificat d'exportation mentionnant le montant de restitution offert.

En outre, un système de répartition entre les soumissionnaires de la quantité de sucre sur laquelle porte l'adjudication, en fonction des montants de restitution offerts et en partant du taux le moins élevé, permet de parvenir à l'épuisement de ladite quantité.

Enfin, lorsque, comme ce fut le plus souvent le cas, plusieurs soumissionnaires ont offert des montants de restitution inférieurs au plafond déterminé dans le cadre d'une adjudication, chacun d'entre eux se voit attribuer le droit d'exporter en fonction de son offre et en commençant par la plus basse, de manière à épuiser la quantité maximum de sucre à exporter mise en adjudication.

Si plusieurs offres portant le même montant de restitution représentent au total une quantité supérieure à la quantité maximum, elles ne peuvent être prises en considération qu'au prorata de la quantité offerte par chacun des soumissionnaires.

De cette réglementation complexe, il ressort, Messieurs, que les pouvoirs, certes non négligeables, conférés à la Commission lui permettent, sans nul doute, de contrôler et de limiter, le cas échéant, en fonction de la situation du marché communautaire, d'une part, et des conditions du marché mondial, d'autre part, le tonnage global de sucre produit à l'intérieur de la Communauté, qui est livré à l'exportation vers les pays tiers. De même, en agissant sur le montant maximum de la restitution, elle
peut également, dans une certaine mesure, limiter les exportations. Enfin, il lui reste encore la possibilité de refuser de donner suite à une adjudication, dans la mesure où les offres de restitutions lui paraissent trop élevées.

Mais, si ces divers moyens autorisaient une orientation générale et un contrôle des exportations sur l'ensemble d'une campagne, ils ne permettaient pas de s'opposer à la concertation des soumissionnaires puisque, dans le cadre de chaque adjudication, la Commission était légalement tenue d'attribuer, dans les conditions que nous avons décrites, l'adjudication à ceux qui proposaient un montant de restitution égal ou inférieur au montant maximum qu'elle avait elle-même fixé. Celle-ci n'aurait eu, dans
ces conditions, d'autre solution que de suspendre purement et simplement les adjudications. Il faut admettre qu'un moyen aussi radical eût bloqué le courant des exportations s'il avait été mis en œuvre systématiquement.

Il est également permis de penser que la Commission n'a été en mesure de détecter la concertation qu'après avoir étudié et confronté les résultats d'un nombre relativement important d'adjudications. Elle n'a donc pu réagir qu'avec un certain retard. Il est significatif à cet égard que les pratiques concertées n'ont été mises en œuvre que pendant la seule année 1970.

Il nous faut également répondre à l'argument invoqué par la Raffinerie tirlemontoise à l'encontre du système des adjudications dont l'objectif était d'abaisser le montant de la restitution et qui, selon cette requérante, aurait eu pour conséquence de contraindre les entreprises à vendre à un niveau inférieur au prix d'intervention. Pour autant, Messieurs, que la Raffinerie tirlemontoise entendrait d'abord mettre en doute la légalité des textes organisant la procédure d'adjudication au regard des
principes du règlement de base, il nous suffira de rappeler que l'article 17 de ce règlement, après avoir ouvert la faculté de couvrir la différence entre les cours du marché mondial et les prix communautaires par des restitutions à l'exportation, a expressément prévu dans son paragraphe 3 que ces restitutions pourraient être octroyées par la procédure des adjudications et donné sur ce plan au Conseil compétence pour en arrêter les règles générales dans le cadre d'un pouvoir d'appréciation largement
discrétionnaire. La notion même d'adjudication impliquait qu'une concurrence fût organisée entre soumissionnaires en fonction des montants de restitution offerts.

En second lieu, le prix d'intervention n'est un prix garanti que dans la mesure où les producteurs ont effectivement recours aux organismes d'intervention, ce qui leur était possible de faire. Or, nous avons vu qu'ils s'y sont, en général, refusés. C'est le cas, notamment, de la Raffinerie tirlemontoise.

Aucun principe du règlement de base n'imposait donc que le montant de la restitution octroyée permît d'exporter, dans tous les cas, à un niveau au moins égal à celui du prix d'intervention.

Il nous reste, Messieurs, à nous prononcer sur la question de savoir si la concertation incriminée était susceptible d'affecter de manière sensible le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, ce que contestent implicitement ou explicitement les requérantes, et tout particulièrement les sociétés Beghin, Say et Générale sucrière.

Vous avez d'ailleurs invité les parties à s'expliquer sur ce point en demandant aux entreprises de préciser les tonnages de sucre blanc et de sucre brut que chacune d'entre elles avait exportés dans des pays tiers pendant l'année 1970 et en priant la Commission d'indiquer les quantités globales des mêmes produits exportés par d'autres entreprises ou organismes de la Communauté.

A la barre, une démonstration brillante et faisant même emprunt à la théorie des ensembles a tenté de vous convaincre, d'une part, que les échanges intracommunautaires se trouvaient pratiquement limités, dans leur volume, à la somme des déficits des États membres importateurs, d'autre part, que le tonnage exporté par les requérantes à la suite des adjudications ne représentait que moins de 3 % de la production totale de sucre de la Communauté, évaluée, pour l'année 1970, à 7 millions de tonnes.

Il n'est pas dans notre intention de discuter les chiffres allégués, qu'il s'agisse de 175000 tonnes environ, selon les requérantes, ou de 300000 tonnes, si l'on en croit la Commission. Mais, ce que nous contestons, c'est la pertinence de la comparaison entre les quantités exportées dans le cadre de la concertation et la production communautaire globale.

Il nous paraît plus significatif, d'une part, de rapprocher, en premier lieu, les quantités de sucre que les requérantes ont pu exporter, grâce aux adjudications concertées, du tonnage exporté globalement en 1970 hors de la Communauté, d'autre part, de comparer ces quantités au volume des échanges intracommunautaires.

La première comparaison suffit à mesurer l'ampleur de la concertation puisque, sur environ 700000 tonnes de sucre exportées cette année là vers les pays tiers, ce sont — selon les estimations divergentes des requérantes et de la Commission — de 25 à 45 % de ce total qui ont été fournis par les entreprises concertantes.

Encore ne faudrait-il considérer que les quantités de sucre exportées dans le cadre des adjudications, soit environ 450000 tonnes. On constate alors que la part des requérantes représente plus d'un tiers de ce tonnage, si l'on retient l'estimation basse, ou même les deux tiers, si l'on se fonde sur les chiffres avancés par la Commission.

La deuxième comparaison montre que, par rapport au volume des échanges entre États membres — soit un peu moins de 800000 tonnes — , les quantités exportées en concertation vers les pays tiers étaient loin d'être négligeables.

Il faut tenir compte du fait que ce marché intracommunautaire était un marché résiduel qui, sans la politique de cloisonnement des marchés nationaux, aurait dû être très sensible à la concurrence des producteurs disposant d'excédents.

En agissant de concert pour exporter à l'extérieur, les requérantes ont sciemment substitué une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence et cristallisé des situations acquises au détriment de la libre circulation du sucre dans le marché commun.

Nous estimons donc que la Commission était fondée à retenir à leur encontre une infraction à l'article 85, paragraphe 1.

X — Les sanctions pécuniaires infligées

Il nous est maintenant possible, Messieurs, de traiter des problèmes relatifs aux sanctions pécuniaires prononcées par la Commission.

Il nous parait, à cet égard, utile de rappeler les principes qui découlent de l'article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, et qui s'imposent à la Commission dans l'exercice du pouvoir que lui confère cette disposition d'infliger des amendes aux entreprises qui ont commis des infractions aux articles 85 ou 86 du traité.

Ce rappel nous donnera l'occasion de répondre à l'argumentation invoquée par certaines des requérantes.

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, les sanctions pécuniaires prévues par le règlement no 17 n'ont pas un caractère pénal. Même si le texte ne l'avait pas expressément affirmé, il faudrait l'admettre, ainsi que le disait l'avocat général Gand dans ses conclusions sur l'entente internationale de la quinine : «parce que les États membres n'ont délégué à la Communauté aucune compétence pénale».

Selon l'avocat général Roemer, les amendes communautaires sont de même nature que les amendes administratives prévues par la loi allemande sur les restrictions de concurrence, qui relèvent du domaine des infractions administratives.

En second lieu, le but de ces sanctions est de «réprimer les comportements illicites aussi bien que d'en prévenir le renouvellement».

De cette finalité, vous avez déduit que «le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes n'est nullement affecté par le fait que le comportement constitutif de l'infraction et la possibilité de ses effets nuisibles ont cessé» (arrêts du 15 juillet 1970, affaires de la quinine, Recueil 1970, p. 704). Dès lors, le moyen tiré de ce que les amendes infligées auraient eu un caractère rétroactif illégal ne saurait qu'être écarté.

L'article 15 du règlement no 17 subordonne l'application d'une amende à la condition que l'infraction retenue ait été commise de propos délibéré ou par négligence.

La première de ces expressions doit s'entendre en ce sens que les entreprises et les personnes agissant pour leur compte ont eu conscience de ce que les pratiques concertées mises en œuvre entre elles ou l'usage abusif qu'elles auraient fait de leur position dominante avaient des effets restrictifs de la concurrence et tombaient dès lors sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86. Mais ce n'est pas là une condition nécessaire. La simple négligence suffit à justifier l'application
d'une amende, dès lors que les entreprises n'auraient pas dû ignorer le caractère illicite de leur comportement.

Vous avez d'ailleurs considéré que l'existence d'une volonté délibérée constitue une circonstance aggravante dont la Commission peut légitimement tenir compte pour déterminer le montant de l'amende (arrêt du 15 juillet 1970, Böhringer/Commission, affaire 45-69, Recueil 1970, p. 810).

La Commission est tenue de motiver, à cet égard, sa décision. C'est ce qu'elle a fait en l'occurrence, sans toutefois s'en expliquer à propos de chacun des griefs retenus. Nous ne pensons pas que la formule de caractère général qu'elle a employée puisse être considérée comme une motivation insuffisante, parce qu'il est manifeste qu'elle est éclairée, pour chacune des entreprises en cause, par l'exposé détaillé et motivé des conditions de fait dans lesquelles les infractions ont été commises.

Quant au fond, il ne fait aucun doute que le comportement des entreprises a été effectivement délibéré. Parmi les documents versés au dossier, nous avons constaté que nombreux sont ceux qui ne prouvent pas seulement la matérialité des infractions, mais éclairent les intentions des requérantes et leur volonté commune d'éliminer la concurrence entre producteurs sur leurs marchés respectifs comme de procéder à un partage entre eux pour les exportations vers les pays tiers.

En troisième lieu, l'article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 n'impose nullement à la Commission, comme le prétendent notamment Say, Béghin, Générale sucrière et Sucres & Denrées, l'obligation de procéder à une ventilation de l'amende entre les différentes infractions retenues.

L'argument de texte, exclusivement tiré de l'emploi du mot «infraction» au singulier, ne suffit pas pour justifier une telle conclusion.

Les infractions aux règles communautaires de la concurrence ne peuvent être identifiées aux infractions pénales et la Commission n'est liée, en ce qui concerne la détermination du montant de l'amende, que par le double plafond fixé par le règlement no 17, en valeur absolue, à la somme de 1 million d'unités de compte ou, le cas échéant, à une somme égale à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par l'entreprise mise en cause.

La Commission dispose donc, sous le contrôle de la Cour, d'un large pouvoir d'appréciation et n'est pas tenue, en cas de cumul d'infractions, de déterminer séparément la part de l'amende afférente à chacune des infractions retenues.

Bien plus, le principe de la fixation individuelle de l'amende n'exclut pas la détermination préalable d'un montant global à répartir entre les différentes entreprises membres d'une entente ou ayant participé à des pratiques concertées, ainsi que vous l'avez jugé par l'arrêt du 15 juillet 1970, Böhringer/Commission (affaire 45-69, Recueil 1970, p. 812).

En revanche, la Commission doit déterminer le montant de l'amende en fonction de la gravité et de la durée des infractions retenues.

Vous avez précisé, dans le même arrêt, que cette détermination doit être effectuée en tenant compte, notamment, de la nature des restrictions apportées à la concurrence, du nombre et de l'importance des entreprises concernées, de la fraction respective du marché qu'elles contrôlent dans la Communauté, ainsi que de la situation de ce marché à l'époque où l'infraction a été commise.

La Commission n'a pas manqué de se livrer à cette appréciation en s'expliquant, de manière générale, sur la gravité des infractions. Elle a retenu à la charge des requérantes le fait que le sucre est un produit alimentaire de base qui revêt une importance particulière pour le consommateur; le fait également que les pratiques retenues sont manifestement contraires à l'objectif de la réalisation d'un marché unique puisqu'elles tendaient essentiellement à cloisonner les marchés nationaux ou régionaux
et à maintenir les positions antérieurement acquises par les producteurs.

Sur un plan général, les requérantes font valoir que le montant des amendes serait manifestement excessif, par comparaison notamment avec les sanctions pécuniaires prononcées antérieurement par la Commission pour des infractions aux règles de la concurrence. Elles y voient la manifestation de l'esprit systématiquement répressif dans lequel la procédure aurait été conduite et qui serait illustré par les informations rendues publiques par la Commission avant même que la décision ne fût définitivement
arrêtée.

Il est vrai, Messieurs, qu'en valeur absolue les amendes infligées peuvent paraître particulièrement lourdes. La Commission ne dissimule pas, d'ailleurs, qu'elle a entendu réprimer, de manière plus sévère que dans le passé, les agissements anticoncurrentiels.

Mais elle fait observer qu'en tout état de cause ces sanctions se situent loin en deçà du seuil maximum d'amende fixé par l'article 16, paragraphe 2, du règlement no 17, en fonction du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises au cours du dernier exercice précédant l'intervention de sa décision. En effet, le montant des amendes varie, suivant les requérantes et compte tenu du degré de leur responsabilité, de 0,5 % à 2 % au plus de leurs chiffres d'affaires respectifs. Sous réserve du cas
particulier des entreprises commerciales, telles que la société Sucres & Denrées et le comptoir Südzucker-Verkauf, nous ne pensons pas, pour notre part, que les sanctions infligées soient excessives, compte tenu de la gravité des infractions retenues par la décision attaquée et de leurs conséquences sur les échanges intracommunautaires.

Il convient, certes, de tenir compte des éléments propres au régime institué par le règlement no 1009/67 dont nous avons dit que les systèmes des prix et surtout des quotas nationaux comportaient, en eux-mêmes, une certaine incitation à la restriction des échanges de sucre entre États membres et à la survivance d'un certain cloisonnement des marchés nationaux.

Mais, Messieurs, il nous paraît que la Commission a elle-même pris en considération ces éléments de nature à atténuer, dans une certaine mesure, la responsabilité des entreprises.

Elle s'en est expliquée clairement, en retenant

— d'une part, le fait que «l'accoutumance des producteurs aux habitudes nées des organisations nationales de marché antérieures au 1er juillet 1968 n'a pas facilité leur adaptation à la situation nouvelle créée par l'organisation commune du marché» ;

— d'autre part, le fait que ladite organisation commune comportait certaines restrictions, sans pour autant éliminer les possibilités de concurrence.

Par conséquent, si nous n'avions nous-même pas proposé d'écarter certains griefs, pour les motifs précédemment exposés, nous serions porté à vous demander de confirmer les amendes infligées, exception faite de celles qui concernent les entreprises non productrices.

Mais il nous faut tirer les conséquences des solutions que nous avons cru devoir retenir en ce qui concerne, d'une part, le grief de pratiques concertées tendant à la protection du marché italien, d'autre part, le défaut de mise en œuvre de la concertation sur le marché des Pays-Bas entre les producteurs néerlandais et la firme Pfeifer & Langen.

Si vous partagez notre manière de voir, vous serez conduits à prononcer l'annulation partielle de la décision attaquée en tant qu'elle retient des infractions à l'article 85, paragraphe 1, à l'encontre des entreprises concernées. Par suite, il vous faudra également annuler l'article 3 de cette décision en tant qu'il vise celles de ces entreprises qui n'ont été condamnées qu'à raison, exclusivement, de leur participation à la concertation portant sur les livraisons de sucre en Italie. Tel est le cas
de six producteurs de ce pays :

  «Eridania» zuccherifici nazionali,

  Società italiana per l'industria degli zuccheri,

  Cavarzere produzioni industriali,

  Società agricola industriale Emiliana,

  Zuccherificio del Volano,

  et enfin SADAM.

En revanche, en ce qui touche les autres entreprises visées, à savoir: les sociétés Béghin, Say, Générale sucrière, Sucres & Denrées ainsi que la Raffinerie tirlemontoise, enfin la firme Süddeutsche Zucker AG, il conviendra seulement de réformer l'article 3 de la décision attaquée en réduisant le montant de l'amende infligée à chacune d'elles.

Cette réduction devrait tenir compte de la gravité relative de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, tendant à la protection du marché italien, par rapport à la gravité des autres infractions respectivement retenues à leur encontre.

A cet égard, nous ne croyons pas devoir préciser dans quelle proportion, selon les cas, le montant des amendes doit être réduit, mais il nous paraît équitable de tenir compte du fait qu'aux yeux de la Commission le grief relatif aux livraisons sur le marché italien a revêtu une gravité particulière. En effet, l'Italie — zone la plus déficitaire du marché commun — est, ou aurait dû être, ainsi que la défenderesse l'a affirmé, le terrain d'élection de la concurrence dans les échanges
intracommunautaires; il est vrai aussi que les quantités de sucre importées dans ce pays, en provenance de France, de Belgique ou même d'Allemagne, se sont élevées, au total, au cours des quatre campagnes considérées, à quelque 650000 tonnes dans le cadre de la concertation alléguée.

Il est, dans ces conditions, peu douteux que, dans la détermination du montant des amendes, ce grief a pesé tout particulièrement. Il est, pour le moins, certain que, par sa gravité et par sa durée, il a justifié, dans l'esprit de la Commission, une sanction beaucoup plus lourde que le grief de concertation portant sur les adjudications aux exportations vers les pays tiers.

En ce qui concerne la protection du marché néerlandais, le grief retenu — à tort à notre avis — contre Suiker Unie et Centrale Suiker d'une part, Pfeifer & Langen d'autre part, nous paraît avoir eu une importance nettement moindre, ne serait-ce qu'en raison de la situation respective des marchés des Pays-Bas et de la partie occidentale de l'Allemagne, qui n'eût guère permis, en tout état de cause, que des importations limitées de sucre allemand sur le marché néerlandais.

Au reste, nous avons vu que la seule livraison de sucre litigieuse de Pfeifer & Langen à Limako n'a porté que sur une quantité relativement faible. Tout en vous proposant d'écarter ce grief, nous vous suggérons de ne réduire le montant des amendes infligées à ces trois entreprises que dans une mesure strictement limitée.

Enfin, il convient de trancher la question particulière soulevée par la société Sucres & Denrées. La Commission a admis avoir établi une certaine proportion entre le montant des amendes infligées et le chiffre d'affaires des entreprises en cause. Or, si cet élément de calcul nous paraît justifié en ce qui concerne les producteurs, il n'en est pas de même pour une entreprise commerciale dont le rôle est celui d'un intermédiaire et qui exerce son activité soit comme courtier, soit en devenant
propriétaire du sucre qu'elle se charge d'exporter pour le compte des producteurs. Mais elle ne devient propriétaire du produit que pendant le laps de temps nécessaire au transport du sucre et à la réalisation de l'opération. Sucres & Denrées a souvent procédé ainsi et ce fut le cas, notamment, pour les exportations de sucre vers l'Italie, de manière à assurer la garantie de qualité du produit exporté et la garantie financière de la transaction.

Dès lors, il est juste de dire qu'en fixant le montant de l'amende qui lui a été infligée, la Commission a, en quelque sorte, frappé deux fois le même chiffre d'affaires, celui que réalisaient les producteurs français qui traitent avec cette entreprise et celui que celle-ci paraît avoir réalisé, alors qu'en vérité elle est rémunérée à la commission.

En déterminant le montant de l'amende infligée à cette entreprise, la Commission s'est donc fondée sur une appréciation erronée. Pour en tenir compte et en ne retenant à la charge de Sucres & Denrées que sa participation aux pratiques concertées concernant les exportations hors de la Communauté, nous estimons donc qu'il y a lieu de réduire le montant de l'amende dans une proportion nettement plus importante que pour les sociétés Say, Générale sucrière et Béghin.

Il serait équitable, à notre avis, de procéder de même à l'égard du comptoir de vente Südzucker-Verkauf, à l'encontre duquel l'infraction à l'article 86, constatée par la Commission, doit être retenue, mais en tenant compte, pour fixer le montant de l'amende, de ce que nous n'avons pas affaire à un producteur mais à un organisme de commercialisation.

Par ces motifs, nous concluons, en définitive :

1) à l'annulation de la décision attaquée (article 1, 1re partie, paragraphe 1) en tant qu'elle vise des infractions à l'article 85, paragraphe 1, fondées sur une pratique concertée ayant pour objet et pour effet de contrôler les livraisons de sucre sur le marché italien et de protéger ce marché ;

à l'annulation, par voie de conséquence, de l'article 2 de la décision attaquée en tant qu'il concerne les entreprises visées audit paragraphe de l'article 1 (1re partie) et à l'annulation de l'article 3 de ladite décision en tant que, par cette disposition, sont infligées des amendes aux entreprises suivantes :

— «Eridania» zuccherifici nazionali (paragraphe 1, lettre f)

— Società italiana per l'industria degli zuccheri (paragraphe 1, lettre g)

— Cavarzere produzioni industriali (paragraphe 1, lettre h)

— Società agricola industriale Emiliana (paragraphe 1, lettre i)

— Zuccherificio del Volano (paragraphe 1, lettre j)

— SADAM (paragraphe 1, lettre k) ;

2) à ce que les dépens afférents aux affaires nos 45, 46, 50, 111, 113 et 114-73 soient supportés par la Commission ;

3) au rejet des conclusions de l'intervention de l'Unione nazionale consumatori et à ce que les dépens afférents à ladite intervention soient supportés par l'intervenante ;

4) à l'annulation de la décision attaquée (article 1, 1re partie, paragraphe 2) en tant qu'elle vise des infractions commises par Suiker Unie et Centrale Suiker Maatschappij d'une part, Pfeifer & Langen d'autre part, et fondées sur une pratique concertée ayant pour objet et pour effet de contrôler les livraisons de sucre sur le marché néerlandais, en provenance de la partie occidentale de l'Allemagne, et de protéger en conséquence ce marché ;

à l'annulation, par voie de conséquence, de l'article 2 de ladite décision en tant qu'il concerne ces entreprises à raison de ladite pratique concertée ;

5) à la réformation de l'article 3 portant détermination du montant des amendes infligées dans le sens que nous avons indiqué ;

6) au rejet du surplus des conclusions des recours dans les affaires 40 à 44-73, 47 et 48-73, 54 à 56-73 ;

7) à ce que les dépens soient supportés, en ce qui concerne lesdites affaires, respectivement par les requérantes et par la Commission en fonction de la réduction du montant des amendes infligées à chacune des requérantes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40
Date de la décision : 16/06/1975
Type de recours : Recours en annulation - fondé, Recours contre une sanction - fondé

Analyses

Position dominante

Ententes

Agriculture et Pêche

Pratiques concertées

Sucre

Concurrence


Parties
Demandeurs : Coöperatieve Vereniging "Suiker Unie" UA et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Kutscher

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1975:78

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