La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/1973 | CJUE | N°36-73

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 7 novembre 1973., NV Nederlandse Spoorwegen contre Minister van Verkeer en Waterstaat., 07/11/1973, 36-73


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 7 NOVEMBRE 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

L'article 74 du traité instituant la Communauté économique européenne a posé le principe d'une politique commune des transports. L'article 75 définit la procédure selon laquelle la réalisation de cette politique doit être mise en Å“uvre par le Conseil auquel il revient d'établir les règles applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination des territoires d'un Ã

‰tat membre ou traversant le territoire d'un ou de plusieurs États membres.

Le Conseil règle égale...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 7 NOVEMBRE 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

L'article 74 du traité instituant la Communauté économique européenne a posé le principe d'une politique commune des transports. L'article 75 définit la procédure selon laquelle la réalisation de cette politique doit être mise en œuvre par le Conseil auquel il revient d'établir les règles applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination des territoires d'un État membre ou traversant le territoire d'un ou de plusieurs États membres.

Le Conseil règle également les conditions de l'admission des transporteurs non résidants aux transports nationaux dans un État membre.

Enfin, il prend toutes autres dispositions utiles.

Quant à l'article 77, il concerne le régime des aides dans les. transports. C'est un fait que le secteur des transports est un de ceux qui bénéficient traditionnellement d'aides ou de subventions de la part des États ou des collectivités publiques. Or, selon l'article 92, ces aides sont, en principe et sauf dérogation prévue par le traité, incompatibles avec le marché commun. L'article 77 a précisément pour objet d'apporter, en ce qui concerne les transports, une dérogation à ce principe et
d'autoriser les États à accorder certaines aides à leurs entreprises de transport soit pour le besoin de la coordination des transports, soit pour la compensation des «servitudes inhérentes à la notion de service public» qui leur sont imposées.

Le contenu de ces servitudes ou obligations de service public a été défini par le règlement no 1191 du Conseil du 26 juin 1969 qui a également pour objet de déterminer les méthodes de calcul des compensations dues aux entreprises de transport.

Pourquoi ces dispositions ?

Les transports constituent incontestablement une des clés du marché commun; ils sont la condition du bon fonctionnement de toutes les activités économiques et leur importance ne cesse de s'accroître. En second lieu, les États sont intervenus traditionnellement et constamment dans le fonctionnement des transports nationaux; il n'est guère de secteur aussi rigoureusement réglementé, qu'il s'agisse des normes de sécurité, de la régularité du trafic, des prix et des tarifs, de la fiscalité, des régimes
administratifs, du statut du personnel.

Il existait donc, dès avant 1958, des politiques nationales des transports, différentes les unes des autres selon les pays, certaines étant résolument dirigistes, d'autres, au contraire, tentant de concilier un certain libéralisme avec le souci de la protection des usagers.

Dans un tel domaine, l'établissement du marché commun impliquait le remplacement progressif des diverses politiques nationales par une politique communautaire unique.

Enfin, si certains États avaient mis l'accent sur le caractère complémentaire des transports et leur avaient appliqué les réglementations qui les subordonnent aux exigences de l'économie nationale — ce qui était le cas de l'Allemagne, de la France et, dans une moindre mesure, de la Belgique et du Luxembourg —, d'autres s'étaient efforcés de placer leurs entreprises de transport dans des conditions aussi compétitives que possible pour les rapprocher de la situation des autres entreprises
industrielles et commerciales; leur dessein était de les mettre en mesure d'assurer par elles-mêmes leur équilibre financier. Les Pays-Bas, en particulier, s'étaient déjà engagés dans cette voie.

Aujourd'hui et en partie en raison même du fait communautaire, il semble généralement admis que les entreprises de transport, publiques ou privées, doivent être placées dans une situation telle qu'elles puissent équilibrer leurs recettes et leurs dépenses. Si certains objectifs de politique économique ou sociale sont toujours poursuivis à travers l'économie des transports, il convient que les charges qui en résultent pour les entreprises soient compensées ou remboursées.

C'est à cette fin que tend le règlement no 1191/69. C'est un fait que pèsent sur certaines entreprises de transport et notamment sur les chemins de fer des obligations de service public qui peuvent revêtir trois formes :

— obligation de transporter,

— obligation d'exploiter,

— obligations tarifaires diverses.

Ces obligations, qui étaient légitimes dans le passé, notamment pour garantir au public des services de transport suffisants et protéger les usagers contre des tarifs trop élevés, ont parfois perdu leur raison d'être. Elles entravent la liberté commerciale des entreprises. C'est pourquoi le règlement prévoit que ces obligations seront supprimées, sauf si elles se révèlent indispensables, et dispose également que, si elles sont maintenues, les charges qui en découlent doivent faire l'objet de
compensations au profit des transporteurs.

C'est dans le cadre de ce texte communautaire que se situe le litige qui oppose la Société des chemins de fer néerlandais (NS) et le gouvernement des Pays-Bas, représenté par le ministre des Transports, devant le Conseil d'Etat des Pays-Bas et c'est l'interprétation de certaines des dispositions de ce règlement qui vous est demandée par le Conseil d'État.

I — Exposé des faits

Se prévalant du règlement du Conseil, la Société des chemins de fer néerlandais a sollicité, le 16 juin 1970, du secrétaire d'Etat aux transports la suppression de toutes ses obligations de service public et, dès lors, la suppression tant de l'obligation d'exploiter que de celle de transporter, y compris la suppression de l'obligation tarifaire, pour toute espèce de transport de voyageurs sur le réseau qui lui est concédé. Elle a estimé que les obligations qui pèsent sur elle, en application de la
loi néerlandaise sur les transports par chemin de fer de 1875, entraînaient des «désavantages économiques» au sens de l'article 5, paragraphe 1, du règlement. Pour le cas où le secrétaire d'Etat ne pourrait accepter tout ou partie des demandes de suppression aux obligations de service public, la société se déclarait disposée à examiner, d'un commun accord avec l'administration, le mode de calcul de la compensation qu'elle estimait devoir lui être alors due.

Le 24 juin suivant, la société, exposant que le transport de marchandises par charges complètes l'exposait dans les dernières années à des pertes financières sérieuses, demandait à être libérée de l'obligation d'exploiter et de transporter et proposait un ensemble de «mesures de restructuration» destinées, selon elle, à rétablir l'équilibre financier dans ce secteur des transports par voie ferrée.

Par lettre de même date, elle demandait également des mesures compensatoires temporaires dans le secteur du trafic de messagerie et des transports de marchandises à grande vitesse.

Enfin, le 29 juin 1970, ayant pris acte du fait que le secrétaire d'Etat envisageait de telles mesures compensatoires dans le secteur du transport de marchandises pendant la période de restructuration, la société précisait sa position en ce qui concerne le mode de calcul de la compensation en raison du maintien de certaines obligations de service public. Relevant que le secrétaire d'Etat avait, en ce domaine, retenu le principe de l'équivalence entre le transport de voyageurs et le transport de
marchandises, conformément à la méthode de différenciation des résultats, elle soutenait que cette méthode aboutirait à imputer aux transports de marchandises des charges qui seraient de toute façon encourues, même si ce genre de transport n'était pas assuré.

Compte tenu de cette position de l'administration, la société se déclarait contrainte, afin de sauvegarder ses droits résultant du règlement no 1191/69, de demander la suppresssion de toutes ses obligations de service public, y compris de l'obligation tarifaire, et cela pour toute espèce de transport de marchandises sur les lignes concédées.

Après échange de correspondance et négociations, le ministre des transports prit le 30 décembre 1971 une série de décisions.

Par un premier arrêté, il décida, en vue de garantir la fourniture de services de transport suffisants, de maintenir pour l'ensemble du réseau les obligations d'exploiter et de transporter de la Société des chemins de fer néerlandais en ce qui concerne le transport des personnes et d'accorder, par voie de conséquence, à cette société, pour l'année 1972, une compensation des charges résultant du maintien de ses obligations de service public.

Faisant droit par un second arrêté à la demande de la société, il supprima sur l'ensemble du réseau, à partir du 1er janvier 1972, les obligations d'exploiter et de transporter de la société en ce qui concerne le transport ferroviaire de marchandises par charges complètes.

Enfin, il adressa au concessionnaire, le 30 décembre 1971 également, une lettre prenant position au sujet des expéditions à grande vitesse et du trafic de messagerie: aucune question ne se posait quant à la période postérieure au 1er janvier 1973, puisque ces transports seraient intégralement repris à partir de cette date par la firme Van Gend et Loos. Le seul point en litige, à savoir le montant de la compensation au titre de l'année 1972 pour le maintien des obligations de service public relatives
au trafic marchandises encore assuré par la Société nationale, était réglé par l'article 2 du projet de loi portant réglementation de sa situation financière.

Le ministre ajoutait que, d'une manière générale, on ne saurait parler dans la situation de l'entreprise d'obligation tarifaire, au sens du règlement no 1191/69.

Contre les décisions ainsi prises par le ministre, la Société anonyme des chemins de fer néerlandais a formé un pourvoi devant la Couronne, en application de la loi relative au recours contre les décisions administratives (BAB). Au cours de la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État, chargée de proposer une solution à la Couronne, la requérante, soulevant certaines questions d'interprétation du règlement no 1191/69, a demandé que la Cour de justice des Communautés
européennes soit saisie à titre préjudiciel conformément aux dispositions de l'article 177 du traité de Rome. La section du contentieux administratif a été d'avis qu'il y avait lieu de faire droit à cette demande et, par un arrêté du 26 janvier 1973 visant expressément l'article 177, Sa Majesté la reine des Pays-Bas a autorisé la section du contentieux administratif du Conseil d'État à demander à votre Cour de statuer sur trois questions d'interprétation du règlement communautaire en cause.

II — Applicabilité de l'article 177 du traité

Avant d'examiner ces questions, il y a lieu de rechercher si, compte tenu de l'organisation, des compétences et de la procédure du Conseil d'État des Pays-Bas, cette institution, qui en matière de contentieux administratif se borne à donner à la Couronne un avis qui ne la lie pas, doit être regardée comme une juridiction au sens de l'article 177 du traité.

En effet, c'est la Couronne qui décide en définitive, par arrêté motivé, de la solution du litige; le régime de la «justice retenue» a, dans ce domaine, survécu aux Pays-Bas.

Pour prendre parti sur ce problème qui met en cause l'applicabilité de l'article 177 et, partant, votre compétence, il est nécessaire de rappeler les origines historiques du Conseil d'Etat et de montrer comment, à la suite d'une longue évolution, cet organisme a acquis une compétence juridictionnelle pour le contrôle de la légalité des actes d'administration, sans que soit mis en cause, toutefois, le pouvoir de décision du Souverain.

Les organes de l'État sont, aux Pays-Bas comme dans la plupart des autres États européens, issus progressivement du démembrement de la «curia régis». L'administration générale du pays était, à la fin du Moyen Age, de la compétence du Conseil du Roi et, sous la domination bourguignonne, existait, dans des conditions analogues, un Conseil de gouvernement. Vers le milieu du XVIe siècle, l'attribution de l'administration du pays à un gouverneur général donna naissance à un type d'organisation plus
différenciée, dans laquelle le Conseil d'État devint l'organisme consultatif pour toutes les affaires de gouvernement.

Cette situation fut certes remise en cause en 1581 et pendant toute la période au cours de laquelle s'éleva un conflit d'attributions entre le Conseil d'État et les États généraux.

Puis, au XIXe siècle, après que l'influence exercée aux Pays-Bas par la Révolution française d'abord, par le Premier Empire ensuite, avait entraîné l'adoption du système français de règlement des litiges administratifs alors en vigueur, une réaction se produisit. Après 1814, la plupart des litiges administratifs furent confiés au juge ordinaire.

Toutefois, les Constitutions de 1814 et surtout de 1815 conservèrent au Conseil d'État son rôle d'organe consultatif du gouvernement, cette dernière prévoyant expressément l'obligation de l'entendre «sur tous les projets transmis par le Roi aux États généraux ou transmis par ceux-ci au Roi et sur toutes les mesures de politique intérieure».

De même, la Couronne demeurait-elle compétente pour trancher les différends opposant les provinces ou les communes entre elles et avait-elle conservé d'importants pouvoirs de tutelle sur les administrations locales.

L'avènement du régime parlementaire et la responsabilité ministérielle eurent pour conséquence de mettre en cause la fonction du Conseil d'État. Si certains souhaitaient que cette institution fût le Conseil de Gouvernement de la Couronne et de chaque département ministériel en particulier, qu'elle demeurât chargée de l'élaboration des lois et arrêtés, qu'enfin elle devînt l'instance juridictionnelle suprême pour les litiges administratifs, ce qui pouvait être réglé par une loi ordinaire, un courant
politique se forma dans la seconde moitié du XIXe siècle pour réclamer la suppression du Conseil d'État, mais cette tendance n'aboutit pas.

Le Conseil d'État devint désormais le collège consultatif du gouvernement, et non plus du Roi, ce qu'exprime clairement l'article 28 de la loi du 21 décembre 1861 selon lequel, dans tous les cas, la consultation du Conseil d'État est ordonnée par un ministre, en vertu toutefois d'une autorisation donnée par le Souverain. Parallèlement, le jugement des recours adressés à la Couronne, statuant après avis du Conseil d'État, recevait une première organisation avec la loi de 1861 qui organisa, devant
cette assemblée, une procédure publique et contradictoire avec la participation des parties. Des textes ultérieurs et, finalement, la loi du 9 mars 1962 on perfectionné cette procédure. D'autre part, la loi du 20 juin 1963 sur les recours contre les décisions administratives (Wet BAB) a créé devant la Couronne, statuant sur avis du Conseil d'État, un nouveau recours administratif qui ne se substitue ni aux recours portés devant les juridictions administratives ordinaires, ni à ceux qui sont encore
adressés directement aux autorités administratives. Ce nouveau recours est ouvert dans les cas où une décision d'une autorité centrale était auparavant insusceptible de recours.

Par les garanties procédurales qu'il comporte, les compétences qui sont dévolues à la section du contentieux du Conseil d'État et à la Couronne, les pouvoirs d'annulation des actes administratifs qui en découlent, le régime actuellement applicable donne à penser que le recours porté devant la Couronne, après avis du Conseil d'Etat, a perdu le caractère purement administratif qu'il avait à l'origine. Il est devenu un véritable recours juridictionnel, encore que la décision ne soit finalement rendue
que par voie de «justice retenue».

Si le Souverain est, de droit, président du Conseil d'État, survivance de l'antique notion du Conseil de gouvernement, il n'assure plus, en fait, cette présidence; c'est la vice-président du Conseil d'État qui le remplace. D'autre part, l'une des tâches essentielles du Conseil a trait au règlement des litiges administratifs. La loi de 1962 règle le fonctionnement de la section pour les litiges administratifs couramment appelée, suivant le modèle français, «section du contentieux».

Elle est chargée d'instruire les recours et de recommander à la Couronne la solution. Elle comprend un président et quatre membres au moins. En fait, elle est divisée en chambres, dont le nombre est à présent de onze.

Lorsque la Couronne soumet un recours à l'avis de la section, le dossier est communiqué à celle-ci, les parties en sont informées et peuvent présenter des mémoires écrits et des documents à l'appui de leur argumentation. Le président de la section a un pouvoir d'instruction de l'affaire auprès des autorités concernées par celle-ci.

Après cette phase écrite, les intéressés peuvent faire plaider oralement leur affaire en séance publique; ils peuvent faire citer des témoins; la section peut également citer d'autres témoins, recueillir de plus amples informations ou même décider une descente sur les lieux. Ainsi, le caractère contradictoire de la procédure est-il respecté.

A la fin de la procédure orale, la section arrête son avis et y joint un projet d'arrêté motivé, soumis à la décision de la Couronne.

S'il est vrai que le ministre intéressé peut ne pas se rallier au projet d'arrêté et si, par suite, l'arrêté royal s'écarte de l'avis donné par la section, cet avis doit lui-même être publié au Journal officiel avec le rapport du ministre à la Couronne.

Pour garantir que le ministre n'use pas, sans nécessité réelle, de la faculté dont il dispose à cet égard, la loi prescrit que l'opinion divergente du ministre ne soit arrêtée qu'après délibération avec le ministre de la justice. Si ce dernier est lui-même en cause, la consultation du premier ministre est requise.

En définitive, si l'on ne peut affirmer que, dans la réalité, la section du contentieux détient le pouvoir de décider, il ne fait pas de doute à nos yeux que les décisions prises par la Couronne, sur avis de la section, ont un caractère juridictionnel.

Or, l'article 177, tel qu'il a été interprété. par votre Cour, n'exige rien de plus à cet égard.

Vous avez, par exemple, jugé qu'il suffisait, pour qu'un organe national puisse faire usage du renvoi préjudiciel, qu'il «exerce une fonction juridictionnelle» et qu'une interprétation du droit communautaire ait été par lui estimée nécessaire pour rendre sa décision, sans vous attacher à la circonstance que la décision de renvoi avait été prise dans le cadre d'une procédure sommaire d'injonction. (Arrêt du 14 décembre 1971, Politi, affaire 43-71, Recueil, 1971, p. 1048; implicitement: arrêt du
10 octobre 1973, société Variola, affaire 34-73 (ronéotypé)). De même avez-vous accueilli des demandes de décision préjudicielle émanant, non pas seulement de juridictions — au sens étroit du terme — c'est-à-dire de tribunaux insérés dans une structure judiciaire pyramidale, qu'ils fussent compétents en matière civile, pénale, administrative ou sociale, mais également de certains organismes spécialisés, situés en marge de l'organisation judiciaire de droit commun. Ce fut le cas notamment pour une
institution qui, dans le cadre d'un régime d'assurance maladie privé aux Pays-Bas, était habilitée à trancher certains litiges. Vous avez considéré que cet organisme, appelé «Scheidsgerecht», régulièrement constitué en conformité de la loi néerlandaise, chargé de connaître de litiges définis par la loi, appelé à statuer en droit et non pas en équité, soumis enfin à des règles de procédure contradictoires analogues à celles qui régissent le fonctionnement des tribunaux de droit commun, pouvait
valablement faire usage de la faculté ouverte par l'article 177; que, dès lors, la demande en interprétation dont il vous avait saisi était recevable. (Arrêt du 30 juin 1966, affaire 61-65, Vaassen-Göbbels, Recueil 1966, p. 394).

Les mêmes critères peuvent, a fortiori, être appliqués à la section du contentieux du Conseil d'Etat néerlandais, organe institué par la Constitution, auquel le législateur a confié tout à la fois certains pouvoirs juridictionnels et des attributions consultatives en matière législative et réglementaire, et auquel sa composition, également fixée par la loi, confère les plus hautes garanties d'impartialité et d'indépendance. Si le Conseil n'adopte que des avis motivés, auxquels il faut que la
Couronne donne la sanction souveraine, ses avis sont rendus sur une procédure de caractère rigoureusement contradictoire.

La circonstance que les décisions tranchant les litiges émanent de la Couronne permet seulement d'affirmer que Sa Majesté la reine des Pays-Bas elle-même participe à l'exercice de la fonction juridictionnelle. Ceci d'ailleurs est illustré, en l'espèce, par le fait qu'en visant par son arrêté motivé du 28 février 1973 l'article 177 du traité de Rome, la Souveraine ait cru devoir autoriser formellement la section du contentieux à vous saisir de questions préjudicielles d'interprétation de droit
communautaire. N'a-t-elle pas ainsi entendu engager la Couronne à se conformer, dans la décision qu'elle sera appelée à prendre sur le litige principal, à l'interprétation qui sera donnée par votre Cour ?

Nous estimons donc que les questions dont vous êtes saisis ont été légalement posées dans le cadre de l'article 177 du traité de Rome et que vous avez le devoir de les trancher.

III — Économie générale de la réglementation communautaire en matière d'obligations de service public imposées aux entreprises de transport

Avant de donner notre opinion sur les réponses qu'il conviendrait, à notre sens, de fournir à ces questions, il est nécessaire d'exposer l'économie générale du règlement no 1191/69 dont l'interprétation n'a jusqu'à présent donné lieu à aucune jurisprudence de votre Cour.

Le premier principe de ce texte, c'est la suppression, par les États membres, des obligations de service public en matière de transports, notamment par chemin de fer, sauf dans le cas où leur maintien serait considéré comme indispensable pour garantir la fourniture de services de transport suffisants, eu égard à la situation du marché des transports, à l'état respectif de l'offre et de la demande et aux besoins de la collectivité nationale.

Le Conseil a entendu ainsi éliminer les disparités qui résultent, pour les entreprises de transport, des obligations de service public imposées par les États et dont les charges sont de nature à fausser substantiellement les conditions de la concurrence. Le Conseil a estimé devoir laisser ces États libres, en principe, de prendre, dans le cadre de leurs compétences, les mesures de suppression ou de maintien de telles obligations.

En revanche, en raison même des charges qui, de ce fait, pèsent sur les entreprises, le Conseil a admis celles-ci à présenter des demandes de suppression aux autorités nationales compétentes, à la condition que ces obligations entraînent pour elles des désavantages économiques qui devront être déterminés selon des méthodes communes définies par le règlement.

Le deuxième principe que met en évidence le règlement, mais qui résultait déjà d'une décision du Conseil en date du 13 mai 1965, c'est que le maintien d'une quelconque obligation de service public comporte l'obligation pour l'État de compenser les charges qui en découlent pour l'entreprise, le droit à compensation naissant à compter de la décision de maintien de l'obligation.

Enfin, troisième principe, la compensation des charges doit être effectuée selon des méthodes communautaires tenant compte des répercussions que la suppression de l'obligation aurait sur l'activité de l'entreprise.

Pour mettre en œuvre ces principes, il était indispensable que les obligations de service public soient définies par le règlement. C'est ce qu'a fait l'article 2 de ce texte en disant que ces obligations sont celles que, si l'entreprise considérait son propre intérêt commercial, elle n'assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions. Il s'agit donc des obligations et charges qui ne sont pas inhérentes à la gestion commerciale et financière d'une entreprise, qui ne sont pas
déterminées en fonction seulement de la rentabilité qu'en attendent ses dirigeants.

L'article 2 distingue à cet égard trois catégories d'obligations :

— l'obligation d'exploiter, définie comme celle d'assurer un service répondant à des nonnes de continuité, de régularité et de capacité et entraînant par là même le devoir d'entretenir les lignes, le matériel et les installations, même après la suppression de certains services de transport ;

— l'obligation de transporter, c'est-à-dire celle d'effectuer tout transport de voyageurs et de marchandises à des prix et à des conditions de transport déterminés ;

— enfin, l'obligation tarifaire qui consiste à appliquer des prix fixés ou homologués par voie d'autorité, mais qui soit contraire à l'intérêt commercial de l'entreprise et qui résulte soit de l'imposition de mesures tarifaires particulières, soit du refus, par l'autorité compétente, de modifier de telles mesures, notamment pour certaines catégories de relations ferroviaires, de voyageurs ou de marchandises.

Cette définition ne s'applique pas aux obligations découlant de mesures générales de politique de prix ou de mesures prises en matière de conditions et de prix généraux de transport, en vue de l'organisation du marché des transports.

IV — La notion d'obligation tarifaire au sens du règlement no 1191/69

La première question soumise à votre interprétation met en cause la définition même de l'obligation tarifaire.

Certes, les termes dans lesquels cette question a été formulée sont peu adéquats puisque la section du contentieux, en vous demandant si la position prise par le ministre des transports, selon laquelle ne pèserait à la charge de la Société des chemins de fer néerlandais aucune obligation tarifaire, serait fondée sur une interprétation inexacte de l'article 2, paragraphe 5, du règlement, semble vous inviter à apprécier la conformité de la décision ministérielle avec le droit communautaire.

Pas plus que vous n'avez compétence pour appliquer la règle communautaire à une espèce déterminée, vous ne pouvez trancher un conflit entre une décision émanant de l'organe d'un État membre et la norme communautaire.

Mais, selon une jurisprudence constante, vous vous reconnaissez le pouvoir de dégager du libellé des questions posées par le juge national les éléments relevant de l'interprétation du droit communautaire, de façon à permettre à ce juge de trancher, en connaissance de cause, le problème juridique dont il se trouve saisi.

En l'espèce, il importe donc que vous précisiez l'interprétation communautaire de la notion d'obligation tarifaire dans le contexte du règlement no 1191/69 et particulièrement de son article 2, paragraphe 5.

Remarquons en passant que vous n'aurez pas à prendre parti sur le point de savoir si la question posée est ou non pertinente en ce qui concerne les transports de voyageurs assurés par la requérante au principal.

L'avocat du ministre a exposé a la barre que, pour cette catégorie de transports, la compensation accordée en raison du maintien de l'obligation d'assurer, conformément aux exigences du service public, le transport des voyageurs couvrait l'ensemble des charges qui en résultent pour l'entreprise. C'est là un problème sur lequel il appartiendra au seul juge national de se prononcer.

S'agissant du sens de l'expression «obligation tarifaire», il nous paraît, en revanche, que la thèse soutenue par les chemins de fer néerlandais tend à mêler deux notions différentes :

— celle d'obligation de transporter que le paragraphe 4 de l'article 2 définit comme consistant à accepter et à effectuer «tout transport de voyageurs ou de marchandises à des prix et conditions de transport déterminés»; et

— celle d'obligation tarifaire pour laquelle le paragraphe 5 du même article exige, en ce qui concerne l'établissement des prix de transport, des conditions précises et cumulatives, à savoir d'appliquer des prix «fixés ou homologués par voie d'autorité», qui soient contraires à l'intérêt commercial de l'entreprise et qui résultent soit de l'imposition, soit du refus de modification de mesures tarifaires particulières.

Il y a là deux aspects radicalement différents de la politique tarifaire qui recouvrent à la fois l'établissement et la modification des tarifs.

La plupart des compagnies de chemins de fer sont soumises, on le sait, à l'obligation de tarifer, c'est-à-dire à l'obligation, imposée par le législateur, de publier leurs prix dans le cadre d'un tarif, afin que tout usager soit en mesure de connaître à l'avance les conditions de prix afférentes à chacun des transports assurés. Cette nécessité d'établir et de publier un tarif est liée à la seule obligation de transporter.

Mais elle n'implique pas nécessairement que le tarif soit fixé ou homologué par l'autorité de tutelle, généralement le ministre chargé des transports. Rien n'exclut que l'entreprise soit maîtresse de son tarif et le détermine elle-même, sauf à respecter les mesures générales éventuellement édictées par les pouvoirs publics en matière de contrôle des prix.

Et même si le ministre a le pouvoir d'approuver ou d'homologuer les propositions de tarification que l'entreprise de chemins de fer est appelée à lui faire, il n'en résulte pas nécessairement que pèse sur le transporteur une obligation tarifaire au sens du règlement no 1191/69.

En effet, pour qu'existe une telle obligation, il faut, d'une part, que des mesures tarifaires particulières soient imposées par le ministre, notamment pour certaines catégories de transports ou certaines relations, et, d'autre part, que ces mesures soient contraires à l'intérêt commercial de l'entreprise.

C'est ce qu'exige explicitement le paragraphe 5 de l'article 2 qui ne fait d'ailleurs, à ce propos, qu'appliquer le principe posé par le paragraphe 1 du même article, à savoir que l'obligation de service public est une obligation que l'entreprise n'assumerait pas de son propre chef ou, en tout cas, n'assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions si elle ne considérait que son intérêt commercial et que la rentabilité des capitaux investis.

Ainsi, la définition de l'obligation tarifaire retenue par l'article 2, paragraphe 5, du règlement ne recouvre-t-elle pas tous les types d'obligations de cette nature, susceptibles d'être imposées aux entreprises de transport. Il s'agit d'une notion spécifique.

A cet égard, il n'est pas sans intérêt de noter que, dans la proposition de règlement que la Commission a soumise au Conseil le 26 mai 1967 (JO no 248 du 13 octobre 1967), il était précisé que l'homologation par l'autorité publique ainsi que la publication des tarifs «servent surtout à l'organisation du marché des transports dans les États membres» et ne sauraient donc constituer, en tant que telles, des obligations tarifaires dont le maintien ouvrirait droit à compensation au sens du règlement. Il
ne s'agit certes que d'un document préparatoire, mais il corrobore la portée limitée que le Conseil a lui-même conférée à la notion d'obligation tarifaire dans son règlement de 1969 en n'y incluant que les seules obligations de nature à entraîner des désavantages économiques pour les entreprises ou pour certaines catégories de transport et, par là même, de nature à fausser la concurrence en ce domaine.

Dès lors, encore que vous n'ayez pas à prendre parti sur ce point, il ne nous paraît pas que le régime tarifaire applicable aux chemins de fer néerlandais, tel qu'il résultait de la loi de 1875 non modifiée sur ce point, ait comporté par lui-même d'obligation tarifaire au sens que donne à cette expression le règlement du Conseil. L'article 28 de la loi se borne en effet à prévoir, de façon générale, l'homologation des tarifs par le ministre des transports ainsi que leur publication; l'article 30
impose de publier également les modifications apportées aux tarifs un mois au moins avant leur entrée en vigueur. Si l'article 29 donne au gouvernement le pouvoir d'imposer, dans certains cas, une réduction de tarif et prévoit d'ailleurs, dans l'hypothèse où une telle réduction entraînerait une diminution du bénéfice net de l'exploitant, l'allocation d'une indemnité compensatoire à la charge de l'État, il ne semble pas que dans la pratique cette prescription législative ait été mise en œuvre, sinon
à titre exceptionnel. Au contraire, selon l'étude de Kapteyn sur le régime ferroviaire aux Pays-Bas, les chemins de fer sont soumis, en ce qui concerne le trafic voyageurs, au régime des prix fixes publiés, et pour le trafic marchandises, à un système de prix maxima publiés, fixés par l'exploitant et présentés à l'homologation du ministre. Sous réserve de respecter ces maxima, la société est libre d'organiser la structure de ses tarifs comme elle l'entend et peut également passer, avec certains
usagers, des conventions particulières qui ne sont pas publiées.

V — La notion de «désavantages économiques» dans les articles 4 et 5 du règlement no 1191/69 peut-elle être appliquée aux désavantages qui se seraient manifestés pendant une seule année ?

La deuxième question soumise à la Cour a trait à une notion contenue dans les articles 4 et 5 du règlement. En effet, les entreprises de transport ne sont admises a demander la suppression de tout ou partie d'une obligation de service public que si cette obligation entraîne pour elle des «désavantages économiques».

Ces désavantages existent, selon l'article 5, paragraphe 1, «lorsque la diminution des charges susceptible d'être réalisée par la suppression totale ou partielle de l'obligation … est inférieure à la diminution des recettes résultant de cette suppression».

Aux termes du paragraphe 2, ces désavantages économiques «sont déterminés sur la base d'un bilan, actualisé s'il y a lieu, des désavantages économiques annuels constitués de la différence entre la diminution des charges annuelles et la diminution des recettes annuelles résultant de la suppression de l'obligation».

Le Conseil d'État des Pays-Bas vous demande si une interprétation correcte de ces dispositions subordonne l'existence des désavantages économiques à la condition que ceux-ci se manifestent sur une assez longue période, en tout cas supérieure à un an.

Le réponse, dans l'abstrait, nous paraît découler clairement du texte même de l'article 5, paragraphe 1, qui, en définissant cette notion par la différence entre réduction des charges et diminution des recettes afférentes à l'exploitation, ne pose aucune condition tenant à la durée pendant laquelle doivent avoir été constatés les désavantages.

Le paragraphe 2, qui n'a d'autre objet que de fixer la méthode selon laquelle ils doivent être calculés, envisage l'hypothèse — à dire vrai la plus fréquente — dans laquelle ces désavantages se prolongent sur une période de plusieurs années et précise que c'est sur la base des bilans annuels, éventuellement actualisés, que doit être opéré leur calcul.

Cette précision était nécessaire puisque l'on se trouve généralement dans le cas du maintien, pour une période indéterminée, d'une obligation de service public.

Au surplus, un certain service de transport, déficitaire au cours d'un exercice, peut fort bien se révéler en équilibre ou même bénéficiaire au cours d'exercices ultérieurs.

La comptabilité des entreprises étant, en principe, retracée à la fin de chaque exercice dans le bilan, il convenait que puisse être prise en compte la somme des différences entre les diminutions des charges annuelles et les réductions des recettes annuelles qui seraient résultées de la suppression de l'obligation. Cela ne pouvait être réalisé qu'en reprenant les bilans des exercices en cause, sauf à les actualiser.

Mais ce mode de calcul n'exclut nullement que la période au cours de laquelle se manifestent les désavantages économiques puisse être limitée à une seule année.

Et c'est bien ainsi, semble-t-il, que s'est posée la question dans le litige porté devant le Conseil d'Etat.

La Société des chemins de fer ayant demandé au ministre de supprimer toutes les obligations de service public qui pesaient sur elle, notamment en ce qui concerne le transport de messagerie, celui-ci estima que, pour cette catégorie de transports du moins, on ne pouvait parler de désavantages économiques au motif que, selon la société elle-même, ce mode de transport ne serait exploité à perte que pendant la seule année 1972 pour redevenir rentable en 1973 grâce aux mesures qui seraient alors prises
pour cette partie de l'exploitation.

En vérité, le vrai problème pour le juge national est donc de savoir si, eu égard au maintien de l'obligation de service public en ce domaine pendant la seule année 1972, des désavantages économiques peuvent en fait ou non être déduits du bilan de l'entreprise pour ce même exercice. Il lui appartiendra de trancher cette question et vous n'avez pas à entrer dans ce débat.

Mais, au cas où le juge néerlandais devrait y apporter une réponse affirmative, nous pensons que les dispositions des articles 4 et 5 du règlement ne s'opposent pas à ce que les désavantages, dont la réalité n'aurait été reconnue que pour une seule année, soient retenus aux fins du calcul d'une éventuelle compensation.

VI — Mode de calcul de la compensation

La troisième question concerne le mode de calcul de la compensation mise à la charge de l'Etat dans le cas où, une entreprise ferroviaire assurant, sur le même réseau, le transport des voyageurs et le transport des marchandises, l'obligation de transporter n'est maintenue que pour la première catégorie, mais supprimée pour la deuxième.

D'après l'article 6, paragraphe 2, du règlement, la compensation est déterminée conformément à des méthodes communes qui sont définies aux articles 10 à 13.

Son montant est en principe égal, selon le paragraphe 1, alinéa 1, de l'article 10, à la différence entre la diminution des charges et la diminution des recettes de l'entreprise pouvant résulter de la suppression totale ou partielle de l'obligation en cause.

Ce montant est donc mesuré par l'importance des désavantages économiques engendrés par le maintien de l'obligation.

Toutefois, précise l'alinéa 2, si le calcul de ces désavantages a été fait en ventilant les coûts totaux supportés par l'entreprise au titre de son activité de transport entre les différentes parties de cette activité — et notamment entre le secteur voyageurs et le secteur marchandises — le montant de la compensation est égal à la différence entre les coûts affectables à la partie de l'activité de l'entreprise concernée par l'obligation de service public et la recette correspondante.

Dans un tel cas, faut-il ventiler les coûts totaux de l'entreprise entre les deux catégories de trafic en rapportant à chacune de ces catégories une quote-part des dépenses communes — ce qu'a fait, en l'espèce, le ministre des transports — ou bien, comme le prétend la Société des chemins de fer, ces dépenses communes doivent-elles être retenues pour leur totalité en vue du calcul de la compensation relative au trafic voyageurs, en considérant que le trafic marchandises ne serait qu'une activité
purement accessoire et qu'en tout état de cause c'est le trafic voyageurs, pour lequel subsiste l'obligation de transporter, qui doit supporter intégralement les dépenses communes ?

Sans revenir sur les explications techniques qui ont été fournies à la barre, il faut noter que la question est d'une grande importance pratique et recouvre des intérêts financiers considérables, car les dépenses communes représentent une part importante dans les coûts globaux.

Ces dépenses, définies dans la terminologie de l'économie des transports — particulièrement par fer — comme celles qui naissent simultanément de la production de plusieurs prestations, ne peuvent être imputées directement à l'une de ces prestations.

Elles ne correspondent d'ailleurs pas à une catégorie déterminée de coûts par nature, mais se retrouvent dans chacun des postes de dépenses d'une entreprise ferroviaire: dépenses d'exploitation, de personnel, de voies et bâtiments, d'énergie, de charges financières et de frais généraux.

Elles sont à opposer aux coûts dits imputables qui sont dans un rapport technique direct avec la production d'une certaine prestation, c'est-à-dire avec une catégorie déterminée de transport.

Dans une entreprise à monoproduction — par exemple en ce qui concerne le transport par fer dans le cas d'une entreprise qui n'assurerait que le seul transport des marchandises, hypothèse assez exceptionnelle — l'imputation des dépenses communes ne souffre aucune difficulté puisqu'elle s'effectue par simple division du montant de ces dépenses par le nombre d'unités de production — dans notre exemple, de tonnes-km.

Dans une entreprise à production multiple, en revanche, les dépenses communes doivent être affectées aux unités produites, c'est-à-dire réparties proportionnellement entre les différentes catégories de transport, donc faire l'objet d'une ventilation à l'aide d'une clé de répartition.

Le choix de la clé de ventilation ne peut être arrêté d'une manière rigide; il requiert une certaine liberté d'appréciation; il n'est donc pas surprenant que le règlement du Conseil n'ait pu prévoir, à ce sujet, des modalités pratiques de calcul, aussi bien pour la ventilation des dépenses communes que pour la définition des coûts affectables.

Mais, ce qui est en cause pour les besoins de l'interprétation qui vous est demandée, c'est le principe même de la ventilation des dépenses lorsque, l'obligation de service public étant maintenue pour le trafic voyageurs et concomitamment supprimée pour le trafic marchandises, l'entreprise continue néanmoins de transporter des. marchandises, selon ses propres critères commerciaux et quelle que soit d'ailleurs la forme que revêt cette exploitation.

Dès lors, on se trouve bien en présence d'une entreprise à production multiple et il est normal que les dépenses communes soient réparties proportionnellement entre le trafic voyageurs et le trafic marchandises.

Et c'est bien la solution qui, pour le calcul de la compensation, ressort de la combinaison des articles 5, paragraphe 1, alinéa 3, et 10, paragraphe 1, alinéa 2. Aux termes de la première de ces dispositions : «si les obligations d'exploiter ou de transporter portent sur une ou plusieurs catégories de trafic, de voyageurs ou de marchandises, soit d'un réseau, soit d'une partie importante d'un réseau, l'estimation des charges susceptibles de disparaître en cas de suppression de l'obligation se fait
sur la base d'une ventilation des coûts totaux supportés par l'entreprise au titre de son activité de transport entre les différentes catégories de trafic».

Ce texte a trait, on le sait, au mode de calcul des désavantages économiques dont on a vu qu'ils mesurent l'importance corrélative de la compensation que l'entreprise est en droit de recevoir en cas de maintien de l'obligation de service public.

Or, la seconde disposition, article 10, paragraphe 1, alinéa 2, se réfère incontestablement à cette situation pour préciser le mode de calcul de la compensation lorsque la détermination des désavantages économiques a été faite en ventilant es coûts totaux entre les différentes parties ou catégories de l'activité de transport.

Les coûts directement et spécifiquement affectables entrent en jeu dans leur intégralité, mais pour la seule catégorie d'activité sur laquelle l'obligation de service public continue de peser; au contraire, les dépenses communes, élément important des coûts totaux, doivent faire l'objet d'une ventilation. En décider autrement serait d'ailleurs contraire, comme l'a exposé la Commission, à l'objectif défini antérieurement au règlement no 1191/69 par la décision du Conseil du 13 mai 1965, à savoir
d'éliminer les distorsions de concurrence qui peuvent résulter de l'imposition, aux entreprises de transport, de certaines obligations de service public soit en supprimant ces obligations, soit en admettant une compensation des charges qu'elles entraînent.

Faire supporter au seul trafic de voyageurs la totalité des dépenses communes en considérant, comme le demande la Société des chemins de fer néerlandais, que le transport des marchandises ne serait, historiquement et économiquement, qu'une activité purement accessoire aurait en effet pour conséquence de faire subventionner, indirectement mais sûrement, par l'État le trafic de marchandises, alors libéré de toute servitude inhérente au service public.

Ce serait, en vérité, non seulement apporter un enrichissement sans cause à l'entreprise, mais fausser la concurrence, notamment par rapport aux entreprises de transport de marchandises autres que ferroviaires.

Enfin, adopter l'interprétation de la requérante au principal risquerait de susciter de la part de compagnies de chemins de fer de certains pays membres autres que les Pays-Bas — entreprises qui sont en général soumises à de lourdes obligations de service public — des demandes de compensation d'une ampleur redoutable.

La thèse de la société néerlandaise ne serait, à notre sens, justifiée que si elle avait mis fin à toute activité de transport de marchandises ou, tout au moins, si elle n'assurait plus cette catégorie de transport, par elle-même ou par une filiale, qu'à un niveau de capacité notablement inférieur à celui qu'elle assurait antérieurement sous le régime du service public.

Nous concluons en définitive à ce que vous disiez pour droit :

1) qu'il n'y a obligation tarifaire, au sens de l'article 2, paragraphe 5, du règlement du Conseil no 1191/69, que lorsque les tarifs fixés ou homologués par voie d'autorité résultent soit de l'imposition, soit du refus de modification de certaines mesures tarifaires spéciales, notamment pour certaines catégories de voyageurs, de produits, ou pour certaines relations et lorsque les prix sont contraires à l'intérêt commercial de l'entreprise, ces deux conditions étant cumulatives ;

2) qu'au sens de l'article 6, paragraphe 1, du règlement des désavantages économiques peuvent se manifester sur une période d'une seule année dans le cas où, notamment, les obligations de service public sont maintenues pour l'année considérée et si, à l'expiration de cette même année, l'entreprise fait effectivement usage de la possibilité qui lui est donnée de renoncer à l'activité de transport en cause ;

3) qu'en cas de maintien d'un trafic important de marchandises par chemin de fer sur le réseau ou sur une partie importante du réseau, en dehors de toute obligation de service public, le calcul de la compensation prévue pour les charges communes au trafic voyageurs et au trafic marchandises, au titre du maintien des obligations de service public en ce qui concerne le seul trafic voyageurs, doit être effectué sur la base de l'équivalence entre les deux catégories de trafic, c'est-à-dire en prenant en
considération une partie proportionnelle des coûts communs.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36-73
Date de la décision : 07/11/1973
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas.

Obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports.

Transports

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : NV Nederlandse Spoorwegen
Défendeurs : Minister van Verkeer en Waterstaat.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1973:114

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award