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04/07/1973 | CJUE | N°59-72

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 4 juillet 1973., Wünsche Handelsgesellschaft contre Commission des Communautés européennes., 04/07/1973, 59-72


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 4 JUILLET 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Exposé des faits

La société en commandite simple Wünsche Handelsgesellschaft, dont le siège est à Hambourg, fait le commerce d'importation des conserves de fruits et légumes et tout particulièrement de concentrés de tomates en provenance de Grèce et du Portugal.

Les concentrés de tomates, de la position tarifaire 20.02, relèvent de l'organisation commune de marché institutée par le règle

ment du Conseil no 865/68 du 28 juin 1968, dans le secteur des produits transformés à base de fruits et lég...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 4 JUILLET 1973

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Exposé des faits

La société en commandite simple Wünsche Handelsgesellschaft, dont le siège est à Hambourg, fait le commerce d'importation des conserves de fruits et légumes et tout particulièrement de concentrés de tomates en provenance de Grèce et du Portugal.

Les concentrés de tomates, de la position tarifaire 20.02, relèvent de l'organisation commune de marché institutée par le règlement du Conseil no 865/68 du 28 juin 1968, dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes.

L'importation, dans le marché commun, de ces produits, en provenance des pays tiers, était à l'origine seulement passible de la perception des droits du tarif douanier commun. Il n'existait, par ailleurs, aucune coordination ou unification des régimes d'importation appliqués par chacun des États membres à l'égard des pays tiers.

En raison des perturbations auxquelles le marché des produits en cause risquait d'être exposé du fait d'importations considérables, réalisées à des prix de nature à mettre en péril les objectifs fixés à l'article 39 du traité, le Conseil dut recourir, au cours de l'été 1971, à l'instauration de mesures de sauvegarde.

Ce fut l'objet du règlement no 1427/71 du 2 juillet 1971, accompagné, le même jour, du règlement no 1428/71 qui détermine les conditions d'application de ces mesures dans le secteur considéré.

Vous avez déjà eu l'occasion d'analyser les dispositions de ce texte à l'occasion de l'affaire 40-72, Schroeder, (arrêt du 7 février 1973, non encore publié).

Nous nous bornerons donc à rappeler que ce règlement ouvre à la Commission la faculté de mettre en œuvre deux types de mesures de sauvegarde, consistant:

— soit à suspendre, totalement ou partiellement, les importations;

— soit à imposer des prix minima, les importations ne pouvant alors être réalisées que sur la base de prix supérieurs aux minima fixés.

La Commission a employé chacun de ces deux systèmes:

— le premier, établissant des restrictions quantitatives, a été édicté par son règlement no 1558/71; il concerne l'importation en provenance des pays tiers, à l'exception de la Grèce et des pays qui se sont engagés à respecter des prix minima (cas du Portugal, notamment);

— le second résulte de son règlement no 1643/71; spécifiquement applicable aux importations en provenance de Grèce, il met en pratique un régime de prix minima et subordonne toute importation à la conclusion préalable d'un contrat prévoyant la livraison des produits à un prix supérieur aux prix minima fixés, selon la qualité en cause, par un barème annexé au règlement.

En octobre 1971, la requérante a acheté cent tonnes de double concentré de tomates, en boites de cinq kilos, prenant de surcroît une option sur une livraison de quatre cent tonnes supplémentaires de ce produit.

Se soumettant au système de prix minima, elle a conclu cette opération sur une base de 340 dollars US à la tonne, soit 5,60 DM par boîte, malgré une offre plus avantageuse de son fournisseur grec. A ses dires, le prix minimum aurait été fixé à un niveau trop élevé, comme l'aurait démontré, par la suite, le fait que les conserveurs italiens ont vendu, sur le marché allemand, des concentrés de tomates à des prix inférieurs au minimum imposé à l'importation des produits grecs. Cette situation a
contraint la requérante à vendre, au-dessous du prix par elle payé, une partie de la marchandise importée en essuyant une perte de 780 DM, à laquelle s'ajouterait un manque à gagner de 318 DM, sur la base d'une marge bénéficiaire normale de 5 %.

Estimant ce préjudice imputable à l'intervention du règlement no 1643/71 de la Commission, en tant que ce règlement aurait illégalement fixé les prix minima à un niveau plus élevé que ne l'exigeait la situation du marché, la société Wünsche a demandé, le 17 avril 1972, à la Commission de lui allouer une somme de 1098 DM, en réparation de l'ensemble du dommage subi.

Cette demande ayant été rejetée le 28 juin suivant, la requérante vous demande de juger que la responsabilité extracontractuelle de la Communauté est engagée dans les conditions prévues par l'article 215 du traité de Rome et, en conséquence, de condamner la Commission à lui verser une somme de 1098 DM à titre d'indemnité.

II — Recevabilité du recours

La recevabilité de la requête nous paraît incontestable: introduite moins de cinq ans après la survenance du fait générateur du préjudice allégué, elle satisfait à la condition du délai imposé à peine de déchéance par l'article 43 du protocole sur le statut de la Cour, en ce qui concerne les actions en indemnité.

De son côté, la défenderesse renonce expressément à soulever contre ce recours toute exception d'irrecevabilité, compte tenu de la jurisprudence qu'ont instaurée vos arrêts:

— Lütticke (28 avril 1971, Recueil, 1971, p. 325);

— Zuckerfabrik Schöppenstedt (2 décembre 1971, Recueil, 1971, p. 984);

— Compagnie d'approvisionnement des Grands Moulins de Paris (13 juin 1972, Recueil, 1973, p. 391)

en admettant la recevabilité de recours en indemnité présentés par des particuliers et fondés sur des moyens tirés de l'illégalité fautive de règlements communautaires.

Nous avons tenté, dans nos conclusions sur l'affaire 43-72, Société Merkur, présentées le 27 juin, de mettre en évidence les raisons de maintenir cette solution.

D'une part, le recours en indemnité est une voie de droit autonome — et non subsidiaire — qui n'est subordonnée qu'aux seules conditions d'exercice conçues en vue de son objet propre; il se distingue, par cet objet, du recours en annulation prévu par l'article 173, dont les dispositions limitant strictement la possibilité, pour les particuliers, de former un recours en annulation aux seuls actes individuels portant atteinte à leurs droits subjectifs ne sont pas transposables aux actions en
responsabilité.

Les particuliers sont, au contraire, recevables à mettre en cause la responsabilité communautaire en invoquant une faute commise par une institution dans l'exercice du pouvoir réglementaire.

D'autre part, si les requérants ont, à l'occasion d'un litige portant sur l'application individuelle qui leur a été faite d'un règlement communautaire par l'administration d'un État membre, la faculté de contester, devant le juge national compétent, la validité de ce règlement, nous avons essayé de vous convaincre que la procédure des questions préjudicielles de l'article 177 ne devait pas être regardée comme un préalable nécessaire à la recevabilité d'un recours direct en indemnité fondé sur
l'illégalité du règlement.

L'économie du système des recours juridictionnels organisé par le traité, l'intérêt du justiciable et l'impératif du bon fonctionnement de la justice nous ont paru exclure le «détour procédural» qui, si l'on admettait un tel préalable, serait inutilement imposé aux requérants.

Enfin, nous ne nous trouvons pas ici dans une situation analogue à celle de l'affaire Haegeman, en ce sens que n'est nullement en cause le contentieux né à l'occasion du recouvrement d'une taxe communautaire ou de l'octroi d'un montant compensatoire par une administration nationale.

Nous vous invitons donc, après ce bref rappel, à vous référer, en ce qui concerne la recevabilité de la requête, aux développements que nous avons consacrés à ce problème dans nos conclusions sur l'affaire Merkur.

III — Légalité du règlement no 1643/71 de la Commission

Suivant les directives qui se dégagent de vos arrêts Zuckerfabrik Schöppenstedt et Compagnie d'approvisionnement des Grands Moulins de Paris, la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, fondée sur l'illégalité fautive d'un acte réglementaire, suppose, «à tout le moins, le caractère illicite de l'acte prétendument générateur du préjudice».

En d'autres termes: pas d'illégalité, pas de faute et, partant, pas de responsabilité.

En second lieu, lorsque le règlement critiqué est, comme c'est incontestablement le cas du règlement no 1643/71 de la Commission, «un acte normatif impliquant des choix de politique économique», la responsabilité de la Communauté pour le préjudice que des particuliers auraient subi par l'effet de cet acte ne saurait être engagée, compte tenu des dispositions de l'article 215 du traité, «qu'en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les
particuliers».

Or, il se trouve, Messieurs, que l'examen récent de l'affaire 40-72, Schroeder, vous a conduits, sur renvoi du tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, a apprécier la légalité du même règlement de la Commission, au regard tant du traité de Rome que des règlements de base pris par le Conseil, source des pouvoirs de la Commission en la matière, qu'enfin au regard de certains principes généraux du droit.

Vous avez estimé, par votre arrêt du février 1973, que l'examen des questions préjudicielles qui vous étaient posées n'a révélé l'existence d'aucun élément de nature à affecter la validité du règlement litigieux.

L'arrêt que vous avez rendu n'a certes point effet «erga omnes» et les réponses que vous avez fournies aux questions du juge administratif allemand ne vous lieraient pas nécessairement.

Toutefois, dans la mesure où les moyens invoqués à l'appui de la présente requête sont substantiellement identiques à ceux qui avaient été articulés par la requerante au principal, dans l'affaire 40-72, nous croyons pouvoir attribuer aux solutions que vous avez retenues la valeur de «précédent».

Il nous paraît, dès lors, de bonne méthode que nous nous référions aux motifs de votre arrêt Schroeder, sauf à nous expliquer plus longuement sur certains arguments nouveaux que fait valoir la firme Wünsche.

La requérante admet elle-même, dans son mémoire en réplique produit postérieurement au 7 février 1973, n'avoir poursuivi l'instance, en dépit de votre arrêt, que parce qu'elle a produit des éléments d'information que la société Schroeder n'avait pas portés à votre connaissance et parce qu'elle pense devoir insister sur certains arguments que cette même société n'aurait pas suffisamment développés.

Quant à la Commission, elle estime que votre arrêt aurait «privé de son fondement» le présent recours en indemnité, la requérante n'ayant, à son avis, présenté aucun moyen nouveau de nature à démontrer l'illégalité du règlement litigieux.

Section I

Mais avant de souscrire à cette affirmation, rappelons dans quelles conditions la Commission a estimé devoir mettre en vigueur, par son règlement no 1643/71, la mesure de sauvegarde que constitue l'exigence de prix minima à l'importation et par quelles considérations vous l'avez jugée justifiée à le faire, en reconnaissant l'existence d'une menace de perturbations graves pesant sur le marché communautaire des concentrés de tomates, du fait des importations.

A cette fin, il nous suffira de reprendre les premiers motifs de votre arrêt du 7 février 1973.

La Commission a constaté, au cours des campagnes de commercialisation 1968 à 1970, une augmentation constante et considérable (de 4000 à 22000 tonnes) des importations de concentrés de tomates en provenance de Grèce, à des prix inférieurs de 30 à 40 % au prix de revient de l'industrie communautaire.

Cette différence de prix a provoqué la fermeture d'un grand nombre d'industries de transformation de tomates en Italie, phénomène qui, à son tour, avait conduit à une diminution sensible des possibilités d'écoulement des tomates fraîches produites dans ce pays. La Commission en a conclu que, le maintien de cette situation étant prévisible, le marché de la Communauté était menacé de subir une perturbation grave tant pour l'industrie transformatrice que pour l'écoulement de la production indigène, la
baisse des prix intérieurs qui résulterait de cette situation étant de nature à mettre en péril les objectifs de l'article 39 du traité.

Des mesures de sauvegarde s'imposaient donc, dont la nécessité devait être appréciée, comme vous l'avez jugé, en considération du volume non seulement des importations en provenance de Grèce mais également de celles en provenance d'autres pays tiers, l'effet sur le marché intérieur résultant du volume global des importations qui, s'étant élevées entre 1967 et 1970 de 18000 à 70000 tonnes, atteignaient 36 % de la production communautaire pour cette dernière année.

La notion de «perturbation grave» étant définie par rapport aux objectifs de la politique agricole commune que prévoit l'article 39 du traité, la Commission pouvait dès lors — ainsi que vous l'avez reconnu — prendre légitimement en considération non seulement l'objectif de stabilisation du marché, mais aussi celui du maintien d'un niveau de vie équitable de la population agricole et apprécier, en conséquence, le risque de perturbation tant par l'effet que les importations pouvaient avoir sur les
possibilités d'écoulement de la production indigène que par leur effet sur l'industrie de transformation. Elle pouvait également estimer à bon droit que le tonnage de concentré importé en 1970 constituait une menace grave pour l'écoulement de la production de tomates fraîches.

Vous avez enfin relevé que les critères définis par l'article 1 du règlement no 1428/71 du Conseil, c'est-à-dire volume des importations réalisées ou prévisibles, disponibilité des produits sur le marché, prix des produits indigènes et enfin prix des produits importés, avaient été pris en considération par la Commission qui n'a ainsi ni excédé son pouvoir d'appréciation, ni violé l'article 40, paragraphe 3, du traité, pas plus que les règlements du Conseil nos 1427 et 1428/71 dont elle tire ses
pouvoirs en la matière.

Vous avez, par ces motifs, admis la validité, en son principe, de la mesure de sauvegarde mise en vigueur.

La société Wünsche ne conteste d'ailleurs pas ce principe.

Le premier moyen de sa requête est tiré de ce que le régime des prix minima, imposés à l'importation des concentrés de tomates en provenance de Grèce, ne serait pas approprié pour atteindre le but de stabilisation des marchés fixé à l'article 39, paragraphe 1, du traité de Rome; que, par suite, le règlement litigieux violerait tant les dispositions de cet article que celles de l'article 40, paragraphe 3, du traité.

La requérante explique que le système des prix minima serait dépourvu d'efficacité, car il offrirait aux opérateurs économiques de multiples possibilités de le tourner par différents moyens, notamment par la conclusion de contrats fictifs sur la répétition de l'indu ou par des importations réalisées par l'entremise de filiales ou d'entreprises de la même branche ayant leur siège dans le pays exportateur ou dans d'autres pays tiers.

Il s'agit là, Messieurs, d'une argumentation que vous avez clairement écartée par votre arrêt du 7 février 1973, en observant que «la légalité d'un acte communautaire tel que le règlement no 1643/71 ne saurait dépendre de considérations rétrospectives concernant son degré d'efficacité; que, s'agissant en l'occurrence de mesures économiques complexes, impliquant nécessairement un large pouvoir d'appréciation quant à leur opportunité et comportant, par ailleurs, une marge d'incertitude quant à leurs
effets, il suffit qu'au moment où elles sont édictées il n'apparaisse pas, avec évidence, qu'elles sont inaptes à concourir à la réalisation de l'objectif fixé».

Vous avez estimé que tel n'était pas le cas du règlement litigieux et que la réduction sensible des importations en provenance de Grèce, constatée postérieurement à la mise en vigueur du règlement, confirme que ce texte «ne présentait pas le degré d'inefficacité allégué».

La requérante s'incline d'ailleurs devant votre raisonnement, mais soutient que les principes dégagés par votre arrêt n'auraient pas dû trouver application en fait.

Vous auriez, à cet égard, été induits en erreur par les données statistiques produites par la Commission, tant en ce qui concerne l'évolution des importations de concentrés de tomates grecs dans le marché commun qu'en ce qui touche le niveau des prix auxquels ces produits ont été offerts par les exportateurs grecs comme par les producteurs italiens.

En premier lieu, nous dit-elle, les statistiques du commerce extérieur grec ne confirmeraient nullement la «diminution sensible», des importations de concentrés de tomates, en provenance de cet État dans les pays de la Communauté, que la Commission dit avoir constatée dans ses propres documents statistiques.

Cette divergence ne trouverait d'explication que dans les importations «clandestines» réalisées à des prix inférieurs aux minima imposés.

Il vous serait bien difficile, Messieurs, de décider sur se point — la statistique étant, selon une formule caustique, «la forme scientifique du mensonge».

Mais cela ne vous sera pas nécessaire, car l'argument que la requérante prétend tirer des données douanières grecques n'apporte rien de nouveau à la thèse, déjà soutenue dans l'affaire Schroeder, selon laquelle le système des prix minima aurait été illégal parce qu'inapproprié, inefficace et relativement aisé à tourner. Ces considérations rétrospectives sur le degré d'efficacité de la mesure prise ne peuvent donc qu'être écartées.

En second lieu, la société Wünsche tente de tirer parti du fait que les prix d'offre des concentrés de tomates auraient été, dans la réalité, beaucoup moins élevés que les minima imposés. Elle fait état de certaines propositions faites par des exportateurs grecs; elle affirme également que, de 1969 jusqu'au premier semestre 1972, les producteurs italiens ont offert des concentrés à des prix inférieurs de 24 % à ces minima.

De ces constatations, qui ne sont sans doute pas inexactes, elle déduit que les prix minima avaient été fixés à un niveau excessif.

Mais, Messieurs, la Commission a beau jeu de répondre que ces affirmations ne mettent nullement en cause la légalité de son règlement; les prévisions économiques qu'elle a cru devoir faire comportaient, comme il est naturel en ce domaine, une certaine marge d'incertitude. Il suffit, comme vous l'avez dit, qu'au moment où le règlement a été pris «il ne soit pas apparu avec évidence que le système mis en œuvre fut inapte à concourir à la réalisation de l'objectif fixé».

Aussi bien doit-on relever, sur ce plan, une contradiction dans l'argumentation de la requérante qui, tout en faisant grief à la Commission d'avoir établi des prix minima plus élevés que ne l'aurait requis la situation du marché, reconnaît que les prix pratiqués en fait sur ce marché ont connu une hausse générale à partir de juin 1972, en raison de la mauvaise récolte de tomates alors prévisible, nous dit-elle, dans toute l'Europe méridionale. Sans cet évenement, l'échec du système des prix minima
eût été, selon elle, manifeste.

Nous dirons simplement que, grâce peut-être à ce phénomène naturel, les prévisions de la Commission se sont trouvées, en partie au moins, confirmées par les faits.

Là encore, la requérante se livre au jeu facile des «pronostics à rebours» et se fonde sur des explications rétrospectives dénuées de toute pertinence pour contester la légalité du règlement.

En définitive, on voit mal d'ailleurs comment son objectif, qui était de freiner les importations en provenance de Grèce, eût été conciliable avec la fixation de prix minima inférieurs aux prix de revient communautaires.

Section II

Reste alors une série de moyens dont vous avez déjà fait complètement justice par votre arrêt du 7 février dernier. Les premiers de ceux-ci sont fondés sur la violation de deux principes généraux du droit, celui de la proportionnalité et celui de la sécurité juridique:

— Violation du principe de la proportionnalité, en ce que le système des prix minima aggraverait les conditions des importations sans offrir d'avantages de nature à compenser cet inconvénient.

Ce moyen n'est guère dissociable du grief relatif au caractère inapproprié de la mesure litigieuse. Rappelons, en citant encore une fois votre arrêt, que «si, en ce qui concerne la Grèce, la Commission a donné la préférence à un système de prix minima, c'est parce qu'elle était, à cet égard, tenue de respecter les obligations découlant de l'Accord d'association conclu entre la Communauté et cet État».

L'article 41 de cet accord prévoit, à titre de mesure de sauvegarde, un régime de prix minima comportant deux modalités:

— la première prévoit un régime de contingentement lorsque les prix intérieurs tombent au-dessous d'un niveau minimum;

— la seconde correspond exactement au système appliqué en l'espèce.

La Commission n'a pu que retenir cette seconde modalité; la première eût impliqué un mécanisme de cotations périodiques des prix qui n'existait pas au moment où la mesure de sauvegarde — qui devait être prise d'urgence — a été édictée.

Elle était donc, en tout état de cause, tenue d'instituer un régime restrictif des importations grecques fondé sur des prix minima.

On ne peut, avez-vous conclu, lui reprocher d'avoir agi illégalement en se conformant à l'obligation que lui imposait l'accord d'association.

Vous avez ajouté qu'il lui eût été d'ailleurs impossible d'imposer des restrictions aux importations de tous les pays tiers en faisant exception pour l'un d'entre eux, la Grèce.

Par suite, en mettant en balance les inconvénients des prix minima pour les importateurs et l'importance des mesures édictées à l'égard des pays tiers par rapport aux différents objectifs de l'article 39 du traité et en optant pour le système appliqué, la Commission n'a pas excédé les limites de son pouvoir d'appréciation.

— Violation du principe de la sécurité juridique, en ce que les possibilités de tourner le système établi auraient introduit dans le commerce d'importation un élément d'insécurité en empêchant les acheteurs d'exercer leur négoce dans des conditions normales.

Ce grief n'est pas fondé, car le système des prix minima ne comportait aucune atteinte à des droits acquis et la circonstance que certaines importations aient pu être faites de manière clandestine ou illicite, sans respecter ces prix, n'était pas de nature à empêcher les importateurs de conduire leurs affaires dans des conditions normales de concurrence, en appliquant loyalement le règlement.

Il est au surplus paradoxal de prétendre mettre en cause la légalité d'un règlement communautaire en exprimant implicitement le regret de ne l'avoir pas tourné.

La requérante reprend également certains éléments de l'argumentation exposés dans l'affaire Schroeder en soutenant, d'une part, qu'il existerait un ordre de priorité en faveur des restrictions quantitatives et que, des deux mesures prévues par l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 1428/71 du Conseil, la suspension, totale ou partielle, des importations aurait limité moins gravement la liberté de l'importateur que le système des prix minima. Cet ordre de priorité découlerait aussi de
l'article 41 de l'Accord d'association. Elle affirme, d'autre part, que ce système aurait eu un effet prohibitif.

Sur le premier point, nous avons rappelé que, tenue de respecter, dans la mise en œuvre des mesures de sauvegarde, les obligations qui découlent de l'Accord d'association, la Commission était, à l'égard de la Grèce, obligée de recourir à une des deux variantes du système de prix minima; vous avez jugé que ni le texte de l'article 2 du règlement 1428 ni celui de l'article 41 de l'Accord d'association n'indiquent, par l'énumération des mesures qu'ils prévoient, un ordre de priorité entre celles-ci;
qu'il est, par ailleurs, conforme à l'objectif visé par ces mesures que l'autorité puisse choisir, selon les circonstances, celle qui lui paraît la plus appropriée.

Quant au grief tiré de ce que, en fixant les prix minima à un niveau trop élevé, la Commission aurait conféré à ce système un effet prohibitif, vous l'avez écarté en constatant que la Commission avait tenu compte des divers éléments de calcul du prix de revient des concentrés de tomates.

Pour établir la relation entre les prix grecs d'offre franco frontière et les prix de revient communautaires, la Commission s'est basée, à bon droit, sur les données officielles fournies par le ministère italien de l'agriculture, parce que l'Italie est le principal producteur de tomates de la Communauté. Sur ce point, la requérante n'apporte aucun élément nouveau de nature à mettre sérieusement en doute l'exactitude de cette appréciation; vous avez d'ailleurs estimé que la circonstance que les
prix d'offre de concentrés de tomates auraient été, postérieurement à la mesure critiquée, constamment inférieurs au prix minimum de 34 u.c. atteint seulement en juin 1972 ne suffit pas, par elle-même, à conclure à l'illégalité de la fixation du prix minimum. Vous avez noté d'ailleurs que si, pendant le second semestre de 1971, les prix intérieurs ont oscillé aux environs de 30 u.c., ils ont montré par la suite une tendance constante à rejoindre le prix minimum.

En définitive, vous avez relevé que, compte tenu du caractère complexe des prévisions économiques que comportait la mesure de sauvegarde, il n'apparaît pas que la Commission, dans son appréciation des prix à prendre en considération, soit allée au-delà de ce qui pouvait être considéré comme nécessaire pour atteindre les objectifs de stabilisation des marchés et le maintien d'un niveau de vie équitable pour les producteurs agricoles de la Communauté.

Quant au fait qu'à la suite de la mise en oeuvre de ces mesures les importations de Grèce aient diminué de moitié, notamment en Italie, il ne suffit pas, selon les termes de votre arrêt, à en démontrer le caractère «prohibitif».

Nous sommes ainsi conduits, Messieurs, à vous demander d'écarter l'ensemble de l'argumentation de la requérante en confirmant, sur la plupart des points soulevés, les positions que vous avez prises dans l'arrêt Schroeder.

Nous nous bornerons à ajouter que, sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté qu'a choisi délibérément la société Wünsche, l'absence de tout élément de nature à affecter la légalité des règlements critiqués suffit à exclure l'existence d'une faute de service au sens de l'article 215 du traité.

La requérante ne prétend pas, par ailleurs, avoir subi un préjudice exceptionnel et spécial. La question de savoir si la responsabilité communautaire pourrait être engagée indépendamment de toute faute n'est donc pas posée.

Dans ces conditions, il nous paraît inutile de discuter de la réalité et de l'évaluation du préjudice allégué.

Nous concluons donc:

— au rejet de la requête

— et à ce que les dépens soient mis à la charge de la requérante.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 59-72
Date de la décision : 04/07/1973
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Concentrés de tomates.

Politique commerciale

Responsabilité non contractuelle

Agriculture et Pêche

Accord d'association

Relations extérieures

Fruits et légumes


Parties
Demandeurs : Wünsche Handelsgesellschaft
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Sørensen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1973:77

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