CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 28 JUIN 1972
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
La société à responsabilité limitée Haegeman, dont le siège est à Bruxelles, a pour objet le négoce des vins et liqueurs, tant par l'importation que par l'exportation. Elle importe, en particulier, des vins en provenance de Grèce.
Ces vins sont admis librement en Belgique, comme au Luxembourg et aux Pays-Bas, sans droit de douane ni restriction quantitative. Ce régime, antérieur à l'accord d'Athènes du 9 juillet 1961 créant une association entre la Communauté économique européenne et la Grèce, a été maintenu et confirmé par le protocole no 14 annexé à cet accord, qui concerne les exportations helléniques de vins de raisins frais.
Mais, le règlement no 816/70 du Conseil du 28 avril 1970, portant dispositions complémentaires en matière d'organisation commune du marché viti-vinicole, a institué, pour l'importation des vins en provenance des pays extérieurs au marché commun, une taxe compensatoire d'un montant variable en fonction du prix d'offre franco frontière. La perception de cette taxe est destinée à éviter des importations à des prix inférieurs aux prix de référence fixés par la Commission.
Ainsi, à partir de 1970, la société Haegeman a-t-elle été assujettie à ce régime. Elle a, notamment, payé une somme de4420000 francs belges, montant de la taxe afférente à l'importation de 30000 hectolitres de vin rouge originaire et en provenance de Grèce qui avaient fait l'objet d'un contrat conclu au début de l'année 1970.
Sans contester — du moins à l'époque — l'exigibilité de la taxe compensatoire, elle se borna à faire des réserves auprès de l'administration des douanes belges à laquelle elle demanda d'intervenir auprès des autorités communautaires. Puis elle saisit, le 15 juillet 1971, la Commission d'une réclamation par laquelle, déclarant avoir subi un préjudice du fait du paiement indu de la taxe compensatoire sur des importations réalisées en vertu de contrats conclus avant sa mise en application, elle lui
demandait de l'admettre au bénéfice d'une dérogation et insistait pour que la Commission prenne parti, dans le plus bref délai, sur sa réclamation. N'ayant, deux semaines plus tard, pas obtenu de réponse, elle lui adressa, le 30 juillet, une lettre de rappel.
Le 9 août 1971, sous la signature du directeur général de l'Agriculture, la Commission fit savoir à la requérante que la dérogation sollicitée n'était pas justifiée, au motif que la mise en œuvre d'une nouvelle organisation du marché des vins, résultant du règlement no 816/70 du Conseil et de divers règlements d'application, ne pouvait donner lieu à des exonérations, même pour des importations effectuées en vertu de contrats conclus antérieurement, et que le régime de la taxe compensatoire en cause
ne souffrait aucune exception pour les pays associés à la Communauté, comme la Grèce.
Le 1er septembre, la société Haegeman revint à la charge. Mais elle soutenait, cette fois, que l'exemption de la taxe devait être accordée à tous les importateurs belges, et pour toutes les importations de vins grecs; elle réclamait en conséquence la restitution des taxes indûment payées ainsi que les intérêts de ces sommes.
Par lettre du 27 septembre, le directeur général de l'Agriculture, estimant que cette dernière demande ne contenait aucun élément nouveau, confirma purement et simplement sa réponse négative du 9 août.
Dès le lendemain, 28 septembre, la société Haegeman, insistant sur la portée, réellement nouvelle à ses yeux, de sa lettre du 1er septembre, réitéra sa demande d'exonération.
Enfin, le 15 octobre 1971, le directeur général de l'Agriculture confirma, une fois encore, la réponse de principe qu'il avait opposée à la requérante, en précisant que la taxe compensatoire constituait, non pas une mesure de sauvegarde, mais un élément normal de l'organisation commune du marché viti-vinicole.
C'est au terme de cet échange de correspondance que la société Haegeman vous a saisis d'un recours dans lequel il convient de distinguer deux ordres de conclusions.
— En premier lieu, des conclusions fondées sur l'article 173 du traité de Rome, tendant à ce que la Cour annule la «décision» de la Commission, contenue dans la lettre du 15 octobre 1971, et tendant également à ce que la Cour déclare, en vertu de l'article 184 du traité, inapplicables aux importations de vins grecs sur le territoire de l'Union économique belgo-luxembourgeoise les règlements par lesquels la Commission a fixé le montant des taxes compensatoires, et notamment les règlements no 1019/ 70
et 2320/70; la société requérante vous demande également d'ordonner la restitution des taxes qu'elle estime avoir payées à tort.
— En second lieu, des conclusions en indemnité fondées sur le préjudice dit exceptionnel que la requérante aurait subi du fait de l'action et de la carence de la Commission. Ces conclusions tendent à voir admettre la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté. Elles sont, par conséquent, fondées sur l'article 215, alinéa 2, du traité de Rome.
Section I
Recours en annulation et déclaration d'inapplicabilité
Aux premières de ces conclusions, la Commission oppose plusieurs fins de non-recevoir, sur lesquelles nous allons rapidement prendre parti.
Tout d'abord, la lettre du 15 octobre 1971 ne contiendrait aucun élément décisoire susceptible d'être attaqué devant vous. En effet, le directeur général de l'Agriculture s'est borné, par cette lettre comme d'ailleurs par ses réponses antérieures, à opposer à la requérante l'existence d'une réglementation communautaire prise par le Conseil — c'est le règlement no 816/70 — ou par la Commission — ce sont les divers règlements d'application de l'organisation commune du marché viti-vinicole, et
notamment le règlement no 2770 fixant les taxes compensatoires à percevoir à l'importation des vins en provenance de pays tiers. Or, cette réglementation ne prévoit aucune exonération pour les vins grecs.
Cette manière de voir nous paraît justifiée. Il est certain que la situation dans laquelle s'est trouvée la requérante et qui a motivé sa réclamation résulte de l'application de ces règlements et qu'à supposer même que, redressant ses conclusions, vous admettiez qu'elles tendent, en réalité, à l'annulation de ces textes en tant qu'ils ne prévoiraient aucune exemption de la taxe compensatoire au bénéfice des importateurs de vins grecs, vous ne pourriez que constater qu'elles ne sont pas recevables
sur le fondement de l'article 173.
Ainsi que vous l'avez jugé, récemment encore, par votre arrêt du 8 mars 1972 dans l'affaire 42-71, Nordgetreide contre Commission, le rejet d'une réclamation ne peut faire l'objet d'un recours que si l'acte positif que l'autorité refuse de prendre pouvait lui-même être attaqué. La position exprimée le 15 octobre 1971 par le directeur général de l'Agriculture, agissant au nom de la Commission, ayant le caractère d'un refus, il faut apprécier ce refus en fonction de la demande de la société Haegeman à
laquelle cette prise de position fournit une réponse. Or, cette demande tendait en réalité à la modification d'un règlement, et, précisément, du règlement no 816/70 du Conseil dont l'article 9 a institué le régime des taxes compensatoires; ce à quoi prétendait la requérante consistait soit à voir affranchir expressément les vins grecs de ce régime, soit à obtenir que l'autorité communautaire compétente, en l'espèce le Conseil, prenne un nouvel acte pour régler, dans le sens d'une exonération, le cas
particulier des vins originaires de Grèce. Dans un cas comme dans l'autre: modification du règlement existant ou intervention d'un règlement nouveau, l'acte destiné à régler cette situation serait lui-même de nature réglementaire et la société Haegeman ne serait elle-même concernée par cet acte qu'en tant qu'elle appartient à la collectivité indéterminée des importateurs de vins grecs, donc à une catégorie de personnes prise dans son ensemble, envisagée abstraitement et non pas en qualité de
destinataire d'un acte qui la concernerait directement et individuellement. Dès lors, les conditions que requiert l'article 173, alinéa 2, pour admettre la recevabilité des recours des particuliers ne sont pas remplies et les conclusions en annulation ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.
Cette constatation vous dispensera d'ailleurs de retenir une deuxième fin de non-recevoir, opposée par la Commission et tirée de la tardiveté du recours.
La défenderesse soutient en effet que la lettre du 15 octobre 1971 est purement confirmative de celle du 27 septembre, cette dernière ayant elle-même confirmé la réponse négative initiale du directeur général de l'Agriculture en date du 9 août 1971.
Nous aurions, quant à nous, quelques doutes à ce sujet, car il ressort du texte même des réclamations successives de la société Haegeman que si, par sa première demande du 15 juillet 1971, elle se bornait à solliciter une exonération de taxe compensatoire pour une importation faite en vertu d'un contrat antérieur à l'entrée en vigueur de la réglementation contestée, ce n'est que par sa lettre du 1er septembre 1971 qu'elle a posé le problème de la licéité de la taxe pour toutes les importations de
vins grecs dans l'Union économique belgo-luxembourgeoise et, par conséquent, de la non-conformité du règlement no 816/70 aux dispositions de l'accord d'Athènes. Et c'est bien le 15 octobre seulement que le directeur général de l'Agriculture a fait une réponse qui, sur ce point, n'était pas purement confirmative; mais il vous suffira, pensons-nous, de retenir la première exception d'irrecevabilité.
Avant d'en venir au problème de responsabilité, il convient également de faire un sort aux conclusions fondées sur l'article 184 du traité et qui tendent, non pas à l'annulation, soit de la prétendue décision du 15 octobre 1971, soit des dispositions réglementaires litigieuses, mais seulement à ce que vous déclariez celles-ci inapplicables aux importations de vins grecs sur le territoire de l'Union économique belgo-luxembourgeoise.
Comme vous l'avez rappelé dans un arrêt du 14 décembre 1962, affaires jointes 31 et 33-62, Milchwerke Wöhrmann et Alfons Lütticke, (Recueil VIII, 1962, p. 971), l'article 184 a pour but de protéger les justiciables contre l'application d'un règlement illégal, c'est-à-dire non conforme au traité, sans que soit pour autant mis en cause le règlement lui-même, devenu inattaquable par l'écoulement du délai de l'article 173. Mais l'article 184 ne peut ouvrir une voie de recours parallèle à celle de
l'article 173. Il n'autorise la déclaration d'inapplicabilité d'un règlement que par voie incidente et dans une procédure engagée devant la Cour elle-même, sur la base d'une autre disposition du traité.
Certes, en l'espèce, les conclusions aux fins de déclaration d'inapplicabilité ont bien été présentées dans le cadre d'une procédure engagée devant vous. Mais, comme on l'a vu, la lettre du directeur général de l'Agriculture, objet des conclusions principales à fin d'annulation, n'a pas de caractère décisoire. Elle se borne à rappeler et à affirmer l'état du droit communautaire positif qui découle du règlement no 816/70 et des textes pris pour son application. Notons, en passant, que, si même le
directeur général, agissant au nom de la Commission, eût entendu prendre, sur la réclamation de la requérante, une véritable décision, il eût été radicalement incompétent pour le fair, car comme nous le verrons, le fondement juridique de la taxe compensatoire réside bien dans le règlement du Conseil et non dans les règlements d'application pris par la Commission, qui s'est bornée à fixer le montant de cette taxe.
Quoi qu'il en soit, la société Haegeman ne serait, à notre avis, recevable à exciper de l'inapplicabilité des règlements en cause, qu'ils émanent du Conseil ou de la Commission, qu'au soutien de conclusions en annulation contre une véritable décision, individuelle, lui faisant grief et s'imposant à elle.
Section II
Les conclusions en indemnité
Il en va tout autrement des conclusions tendant à obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'aurait subi la requérante. Comme elle le précise, ce préjudice est distinct de l'action en restitution des taxes compensatoires acquittées. Bien qu'elle n'apporte aucun élément d'information précis, la requérante dit «expressis verbis» qu'elle entend être indemnisée du dommage subi à raison des «perturbations graves» éprouvées dans son activité : «pertes de rendement, débours financiers, pertes sur
les contrats en cours». Elle évalue ce dommage à 10000 unités de compte.
Il s'agit donc la d'un recours en indemnité, fondé sur la responsabilité extracontractuelle de la Communauté telle qu'elle est définie par l'article 215, alinéa 2, du traité.
Or, Messieurs, votre jurisprudence la plus récente, exprimée dans l'arrêt du 2 décembre 1971, affaire 5-71, Zuckerfabrik Schöppenstedt contre Conseil des Communautés européennes (Recueil 1971, p. 975), et dans l'arrêt du 13 juin 1972, Compagnie d'Approvisionnement, de Transport et de Crédit et Grands Moulins de Paris, affaires 9 et 11-71, est en ce sens que l'action en indemnité prévue aux articles 178 et 215 du traité a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le
cadre du système des voies de recours, et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique. Cette action se différencie du recours en annulation en ce qu'elle tend, «non à la suppression de mesures déterminées, mais à la réparation du préjudice causé par une institution dans l'exercice de ses fonctions».
Vous avez donc admis qu'une telle action était recevable, lorsque la responsabilité invoquée découle de l'illégalité prétendue d'un acte réglementaire, alors même que cet acte ne peut pas ou ne peut plus faire l'objet d'un recours en annulation, soit parce que le requérant n'est pas — comme en l'espèce — recevable à l'attaquer, soit parce que les délais du recours direct en annulation sont expirés.
Vous ne pourrez donc accueillir l'exception d'irrecevabilité que la Commission tente d'opposer aux conclusions en indemnité de la société Haegeman et il convient maintenant d'aborder le fond du litige par le biais desdites conclusions.
A cette fin, il est indispensable, d'une part, d'exposer les conditions de l'importation des vins grecs dans le marché commun avant le 1er juin 1970, date de mise en application du règlement du Conseil no 816/70 qui est le texte de base en matière d'organisation commune du marché du vin; d'autre part, de rappeler les traits essentiels du régime établi par ce règlement pour les importations de vin en provenance des pays tiers, afin de rechercher ensuite si, en ce qui concerne la taxe compensatoire
qu'institue le règlement, ce régime est ou non compatible avec les stipulations de l'accord d'Athènes créant une association entre la Communauté et la Grèce.
Rappelons que, dans la période antérieure au 1er juin 1970, le marché du vin n'avait fait l'objet que du règlement du Conseil no 24/62 qui, dans l'opinion même de ses auteurs, ne constituait que le «début d'une politique commune des États membres en vue de résoudre les problèmes viti-vinicoles». Il ne réalisait pas une véritable organisation de marché, tant sur le plan interne que pour les échanges avec les pays tiers.
En réalité, le règlement no 24 était un acte préparatoire destiné à permettre, par une connaissance exacte du potentiel de production des États membres et par l'évaluation périodique des volumes de vins et de moûts disponibles, une organisation ultérieure tendant à la stabilisation des prix par l'adaptation des ressources aux besoins. Ainsi, ce règlement prévoyait-il l'établissement d'un cadastre viticole, l'obligation de déclaration périodique des récoltes et des stocks et un bilan prévisionnel
annuel en vue de déterminer l'importance des ressources et d'estimer les besoins de la Communauté.
Ce régime provisoire ne mettait pas fin au cloisonnement des différentes économies viticoles nationales. Il ne réglait pas non plus le problème des échanges avec les pays tiers.
D'autre part, le Conseil avait, par une décision du 4 avril 1962, commencé à libéraliser les échanges entre États membres en obligeant la France, l'Italie et l'Allemagne à ouvrir des contingents pour l'importation des vins originaires d'autres pays membres.
Dans les pays du Benelux, les importations de vin étaient d'ores et déjà complètement libérées à cette époque.
C'est dans ce contexte, qu'on ose à peine dire «communautaire», qu'il convient de situer le régime particulier qui, pour les vins d'origine grecque, trouve sa source dans l'accord d'Athènes et, plus précisément, dans le protocole no 14 annexé à cet accord.
En Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, les vins helléniques demeuraient exempts de tout droit de douane à l'importation ainsi que de toute restriction quantitative.
En revanche, l'Allemagne, l'Italie et la France étaient, aux termes du protocole, tenues d'ouvrir à la Grèce certains contingents tarifaires, soit en exemption de droit, soit comportant l'application de droits d'un taux parfois inférieur et parfois égal à celui du tarif douanier commun, exception faite des vins de muscat de Samos, réputés vins de qualité dont l'entrée en France devait être admise en franchise.
Par la suite, des mesures ont d'ailleurs été prises dans le cadre de ce protocole pour faciliter plus encore l'importation de certaines catégories de vins grecs dans ces pays.
En ce qui concerne le Benelux, le protocole no 14 s'est borné à confirmer le régime de complète liberté qui bénéficiait antérieurement aux exportations helléniques de vin.
Le règlement no 816/70 qui, sous le titre «Dispositions complémentaires en matière d'organisation commune du marché viti-vinicole» est en réalité la charte même de cette organisation, allait apporter une sensible altération à ce régime.
En effet, si ce règlement implique, sans qu'il fût besoin de le dire, l'application aux importations de vins en provenance des pays tiers des droits du tarif douanier commun, ce qui résulte de plein droit de l'article 23, paragraphe 5, du traité de Rome, il comporte aussi, dans son article 9, alinéa 1er , pour les échanges avec les pays tiers, le principe de la fixation annuelle d'un prix de référence pour le vin rouge et d'un prix de référence pour le vin blanc; ces prix sont exprimés en unités de
compte par hectolitre ou degré/hectolitre et fixés à partir des prix d'orientation des types de vins de table rouges et blancs les plus représentatifs de la production communautaire.
D'autre part, le paragraphe 3 du même article 9 dispose que «dans le cas où le prix d'offre franco frontière d'un vin, majoré des droits de douane, est inférieur au prix de référence concernant ce vin, il est perçu sur les importations de ce vin et des vins assimilés une taxe compensatoire égale à la différence entre le prix de référence et le prix d'offre franco frontière, majoré des droits de douane». Dès lors, si, en ce qui touche le régime tarifaire, le nouveau règlement n'a apporté aucune
modification aux conditions d'importation des vins grecs dans les pays du marché commun et, particulièrement, à leur entrée en franchise dans les pays du Benelux, l'application de la taxe compensatoire, dont le règlement no 816/70 n'a pas dispensé les vins grecs, constitue un élément nouveau. La Commission a expliqué dans ses mémoires, et son représentant a précisé à la barre, de quelle manière cette taxe est calculée. Rappelons-le: pour chaque vin soumis au système du prix de référence, la
Commission établit régulièrement un prix d'offre franco frontière qui tient compte des offres réellement faites par tous les pays exportateurs, parmi lesquels la Grèce. Ce prix d'offre est majoré du montant des droits de douane prévu par le tarif douanier commun. Si la somme de ces deux éléments est au moins égale au prix de référence, c'est-à-dire si le vin importé se situe à un prix suffisamment élévé pour que l'importation ne porte point préjudice à la production communautaire, aucune taxe n'est
exigible; si au contraire le prix d'offre augmenté des droits de douane est inférieur au prix de référence, une taxe compensatoire, égale à la différence entre ces deux valeurs, est alors perçue.
De ce mode de calcul, il résulte que, dans le cas d'importations de vins originaires d'un quelconque pays tiers avec lequel la Communauté n'a conclu aucun accord admettant ces vins sur le territoire du marché commun à un régime tarifaire préférentiel, le produit supportera, à l'entrée, les droits du tarif douanier commun au taux plein et, le cas échéant, la taxe compensatoire, de manière qu'en tout état de cause ce vin ne puisse être vendu à un prix inférieur au prix de référence.
Au contraire, l'importation des vins de Grèce se fera, selon les États membres et conformément aux dispositions du protocole no 14, soit en exemption totale des droits de douane: tel est le cas pour les États du Benelux, soit en bénéficiant de droits inférieurs à ceux du tarif douanier commun, dans la limite des contingents tarifaires ouverts: c'est le cas pour la France, l'Italie et l'Allemagne. Mais, en revanche, ces vins seront frappés de la taxe compensatoire si leur prix d'offre est, après
addition, même fictive, des droits de douane du tarif commun, inférieur au prix de référence.
Sans qu'il soit besoin de reprendre ici l'exemple chiffré donné par le représentant de la Commission, ces explications, quelque peu techniques, permettent déjà de mettre en lumière les deux questions majeures du litige qu'on peut poser dans les termes suivants :
1. Les stipulations de l'accord d'Athènes, qu'il s'agisse, comme nous le verrons, de son article 43 ou bien des dispositions des protocoles no 12 et no 14, faisaient-elles obstacle à ce que les autorités communautaires appliquent aux vins importés de Grèce la taxe compensatoire destinée à éviter que ces vins, entrant dans les pays de la Communauté au bénéfice d'un régime tarifaire préférentiel, soient vendus à un prix inférieur au prix de référence et ne fassent ainsi une concurrence qui s'avérerait
à coup sûr préjudiciable à l'écoulement de la production communautaire de vin ?
2. La taxe compensatoire instituée par le règlement no 816/70 a-t-elle le caractère d'un «prélèvement» au sens du protocole no 12 ou bien doit-elle être regardée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane ?
Quelle est, à ce propos, l'argumentation de la requérante ?
Bien que le débat soit limité à l'action en indemnité, il est nécessaire, pensons-nous, d'examiner l'ensemble des moyens qu'elle invoque, même au soutien des conclusions d'inapplicabilité des règlements communautaires, car le fondement de la responsabilité de la Communauté, en l'espèce, résiderait, selon elle, dans le fait qu'en prenant les règlements litigieux, instituant la taxe compensatoire et déterminant son montant et son mode de calcul, sans en exonérer les importations de vins grecs, les
organes communautaires auraient excédé leurs pouvoirs et violé les règles découlant de l'accord d'Athènes et des protocoles annexes.
La requérante soutient, en première ligne, que cet accord ayant établi entre la Communauté et la Grèce une union douanière, dont l'objet était de supprimer toute entrave à la libre circulation des marchandises, l'institution d'une taxe compensatoire n'eût été licite, dans certaines circonstances, qu'en vertu de l'article 43 de l'accord; mais, à supposer que les conditions particulières exigées par ce texte fussent réunies, une telle taxe n'aurait pu, aux termes mêmes du deuxième alinéa de
l'article 43, être créée que par le Conseil d'association, organisme composé de représentants des gouvernements des États membres, du Conseil et de la Commission de la Communauté d'une part, de représentants du gouvernement hellénique d'autre part, doté de certains pouvoirs de décision et statuant à l'unanimité.
La société Haegeman soutient ensuite que si les conditions d'application de l'article 43 faisaient, en l'espèce, défaut, et si par suite cette disposition ne pouvait être utilement invoquée, la Communauté ne pouvait, en usant de sa compétence générale, assujettir les importations de vins grecs à une taxe compensatoire qui a une incidence sur le régime préférentiel garanti par le paragraphe 2 du protocole no 14. Ce texte dispose, en effet, que : «Le royaume de Belgique, le grand-duché de Luxembourg,
le royaume des Pays-Bas appliquent aux importations en provenance de la Grèce le régime auquel sont soumises les importations en provenance de l'Allemagne, de la France et de l'Italie».
Ainsi, selon la requérante, le «régime» de l'importation des vins grecs dans les pays du Benelux ne pouvait-il comporter ni droit de douane, ni taxe compensatoire, puisqu'aucune taxe de cette nature ne frappe, dans les mêmes pays, les importations de vins en provenance des autres États membres.
Tels sont les deux terrains sur lesquels se place la requérante pour soutenir que les organes communautaires ont méconnu les obligations que leur imposait l'accord d'association.
Avant de prendre parti sur le mérite de cette argumentation, il convient de rappeler l'économie générale de l'accord d'Athènes, notamment en ce qui concerne les produits agricoles. Cet accord crée, entre la Communauté économique européenne et la Grèce, une association. Il se situe donc dans le cadre de l'article 238 du traité de Rome, qui autorise la Communauté à conclure, par exemple avec un État tiers, des accords créant une association, caractérisée par des droits et obligations réciproques, des
actions en commun et des procédures particulières. Mais l'article 238 ne donne de l'association aucune définition et ne précise nullement le contenu possible d'un accord d'association. Il s'ensuit qu'un tel type d'accord peut aboutir à l'établissement d'une coopération institutionnelle très étroite entre la Communauté et le pays associé, sans toutefois aller jusqu'à l'adhésion pure et simple de ce pays. A l'inverse, un accord de cette nature peut être limité soit à l'octroi d'avantages non
discriminatoires, soit à l'établissement d'une zone de libre échange, soit à l'union douanière, soit même à l'institution d'un véritable régime préférentiel. Dans le cas de la Grèce, c'est la formule de l'union douanière qui a prévalu, parce qu'à l'époque cette solution est apparue la plus adéquate compte tenu, d'une part, de la situation de l'économie hellénique et de ses perspectives de développement, d'autre part, des objectifs que la Communauté et les États membres entendaient poursuivre dans le
cadre de cette association.
Pour les produits industriels, la Communauté accorde à la Grèce le régime tarifaire et contingentaire que les Six s'accordent entre eux, dès le moment du moins où l'union douanière aura été réalisée complètement entre ces États eux-mêmes (protocole no 6, paragraphes 1 et 3), la Grèce disposant de son côté de longues périodes de transition (12 et 22 ans) pour la protection de sa propre industrie.
En revanche, pour les produits agricoles, l'article 33 de l'accord a traduit l'impossibilité que l'ouverture des frontières puisse s'opérer sans que, parallèlement, les politiques agricoles de la Communauté et de la Grèce aient fait l'objet d'une harmonisation suffisante, en vue d'assurer l'égalité de traitement des produits agricoles de chaque partie sur le marché de l'autre.
Mais cette harmonisation était subordonnée, d'une part aux progrès que la Communauté réaliserait dans la mise en œuvre de sa propre politique agricole commune, dont il faut rappeler qu'elle n'existait pas encore en 1961 lors de la conclusion de l'accord d'Athènes, d'autre part à des négociations entre la Grèce et la Communauté sur les conditions de cette harmonisation. En attendant, les parties se sont bornées à consolider la situation tarifaire et contingentaire existant à l'entrée en vigueur de
l'accord (article 34, paragraphe 2). Toutefois, pour certains produits agricoles, tels que le tabac, les raisins secs, les fruits et légumes et les vins, qui représentent une part très importante dans les exportations traditionnelles de la Grèce, la Communauté a accordé en principe le régime tarifaire et contingentaire que les Six s'accorderaient entre eux, abstraction faite de l'intervention prévisible des règlements agricoles communautaires; enfin, alors que, pour le tabac (protocole no 15) et
pour les raisins secs (protocole no 17) une accélération de l'union douanière a été prévue, les exportations de vins grecs ont fait l'objet de mesures tarifaires et contingentaires spéciales: c'est l'objet même du protocole no 14.
De ces dispositions, deux constatations doivent, à notre avis, être dégagées :
La première est que l'accord d'Athènes n'a qu'un contenu institutionnel restreint; le type d'association qu'il crée est non seulement différent, par nature, de l'adhésion, mais en est en pratique fort éloigné, même si, dans l'esprit des négociateurs, ainsi que le marquent certaines des stipulations de l'accord, l'adhésion de la Grèce est considérée comme un objectif d'avenir — en admettant, toutefois, que le contexte politique et économique autorise un tel aboutissement.
En l'état, il ne fait aucun doute que la Grèce est restée, au regard de la politique agricole commune, un État tiers et doit être traitée comme tel, sauf dans la mesure où des dispositions précises et impératives de l'accord ou de ses annexes l'autoriseraient à revendiquer sur des points particuliers un traitement privilégié.
La seconde constatation dérive du fait que l'objet essentiel de l'accord d'Athènes consiste dans la réalisation, entre la Communauté et la Grèce, d'une union douanière, sous la double réserve des délais que l'accord a prévus pour cette réalisation, et des avantages particuliers garantis, mais uniquement en matière tarifaire et contingentaire, aux exportations helléniques de certains produits agricoles, avant même que ne soient harmonisées les politiques agricoles des deux parties.
Cependant, il ne fait pas de doute qu'en attendant cette harmonisation qui ne pourra résulter que de négociations entreprises dans le cadre du Conseil d'association (articles 33 et 35 de l'accord), la Communauté a gardé les mains libres pour déterminer sa propre politique agricole, qui n'était pas encore définie lors de la conclusion de l'accord. Elle n'a rien abandonné, dans ce domaine, de ses compétences; elle ne s'est pas liée.
Si même, dans l'élaboration de cette politique agricole, les organes communautaires sont amenés à prendre des décisions susceptibles d'affecter certaines exportations helléniques, la Communauté n'a pas accepté, dans l'accord d'Athènes, d'aller au-delà d'un engagement général et — il faut bien le dire — non sanctionné de «tenir compte des intérêts de la Grèce».
Ces constatations ont, à notre avis, un intérêt déterminant pour apprécier le mérite du moyen que la requérante tire d'une prétendue violation du paragraphe 2 du protocole no 14.
Comme on l'a vu, du contexte général de l'accord ressort déjà une sérieuse présomption que ce protocole ne concerne que le régime tarifaire et contingentaire applicable à l'importation des vins grecs dans les pays du marché commun. Alors que la société Haegeman soutient que le mot «régime», employé au paragraphe 2 du protocole, visant ces importations dans les pays du Benelux, aurait le sens le plus large et recouvrirait également la notion de taxe compensatoire, voire de prélèvement, le
représentant de la Commission a opposé à cette thèse un argument de texte qui vient conforter une interprétation plus limitée.
Le protocole définit les conditions de l'importation des vins grecs dans chacun des six États membres de la Communauté et non dans le marché commun, considéré dans son ensemble. La raison en est évidente: à l'époque, existait encore un cloisonnement entre les marchés viti-vinicoles nationaux des États membres; il n'y avait ni politique ni organisation commune de marché. Nous l'avons rappelé en exposant le régime antérieur à l'entrée en application du règlement no 816/70.
Or, le paragraphe 2 du protocole, concernant les importations de vins grecs dan les pays du Benelux, prend place dans un texte qui, en ce qui touche les importations de ces vins tant en Allemagne qu'en France et en Italie, règle exclusivement des questions de tarifs et de contingents. Est-il imaginable que, pour le Benelux, les rédacteurs du protocole aient entendu donner au mot «régime», sans le marquer avec la précision et la clarté nécessaires, un sens plus large que celui de régime douanier et y
inclure les incidences éventuelles d'une organisation commune du marché viti-vinicole, qui était à l'époque encore dans les limbes ?
Ajoutons que si, dans le cas de l'Allemagne, de la France et de l'Italie, il était indispensable, en vue de favoriser les exportations helléniques de vins, de prévoir dans le protocole l'ouverture de contingents tarifaires comportant, dans certaines conditions, l'application de droits inférieurs à ceux du tarif douanier commun, la question ne se posait aucunement pour les pays du Benelux qui, avant même la conclusion de l'accord d'association, admettaient déjà les vins grecs en franchise de droit et
sans restrictions quantitatives, tout comme les vins français, allemands ou italiens. Il s'agissait donc seulement de maintenir cet état de choses et il est naturel que les rédacteurs du protocole aient exprimé cette idée en prescrivant que les vins grecs soient traités, à l'entrée en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, comme l'étaient les vins des autres États membres.
Mais il y a plus : le protocole no 12, qui traduit de manière concrète le principe que la Communauté s'est réservé le pouvoir d'organiser sa propre politique agricole commune, dispose que «le système des prélèvements envisagé dans le cadre de cette politique constitue une mesure spécifique à celle-ci, qui ne pourra être considérée comme taxe d'effet équivalant aux droits de douane au titre des articles 12 et 37 de l'accord d'association dans le cas de son application par l'une ou l'autre partie».
La question ne se pose pas, croyons-nous, de savoir lequel des deux protocoles no 12 et no 14 devrait prévaloir sur l'autre; il n'y a pas lieu de se demander si le protocole no 14, relatif à l'importation des vins, ferait échec aux dispositions plus générales du protocole no 12 qui concerne la politique agricole commune dans son ensemble.
Chacun de ces deux textes se situe sur un terrain entièrement différent :
— le premier concerne les «prélèvements» au sens de l'organisation des marchés agricoles; il vise la politique des prix susceptible d'être appliquée par la Communauté et qui le sera, d'ailleurs, quelques années après la conclusion de l'accord d'Athènes. Selon les marchés et les types d'organisation, il s'agit des prix de seuil, des prix d'entrée et des prix de référence, avec leur corollaire indispensable, dans les échanges avec les États tiers, à savoir les prélèvements ou même, comme nous le
verrons, les taxes compensatoires, lorsque cette expression désigne un instrument de régularisation des prix dans le marché commun, qu'on doit assimiler aux prélèvements.
— le second protocole est entièrement étranger à ces notions: il établit un certain régime douanier qui, pour les importations de vins grecs dans les pays du Benelux, ne comporte ni droits ni restrictions quantitatives.
C'est donc sans hésitation que nous vous convions à écarter la thèse de la requérante quant à l'interprétation des protocoles no 12 et no 14.
Toutefois, encore faut-il rechercher si, eu égard à sa nature et à son but, la taxe compensatoire instituée par l'article 9, paragraphe 3, du règlement no 816/70 peut être assimilée à un «prélèvement», au sens du protocole no 12.
La terminologie nous paraît à cet égard sans grande signification. A l'époque où fut rédigé ce texte, la Communauté n'avait pas encore de politique agricole commune et, si des projets étaient d'ores et déjà à l'étude, si, manifestement, on avait déjà imaginé le système des prélèvements comme l'un des éléments de base de l'organisation commune des marchés agricoles — pour paraphraser la formule de votre arrêt du 13 décembre 1967, affaire 17-67, Neumann, Recueil 1967, page 588 —, rien n'excluait que,
dans une organisation de marché, on emploie le terme «taxe compensatoire» pour dénommer une «redevance régulatrice liée à une politique commune des prix». Car c'est par cette autre formule que vous avez défini la nature du prélèvement, dans le même arrêt, en ajoutant cette indication qui revêt, dans la présente affaire un intérêt particulier : «quelles que soient les similitudes qu'il (le prélèvement) peut offrir soit avec un impôt, soit avec un droit de douane». Vous avez en outre clairement
précisé, dans le même arrêt du 13 décembre 1967, le but du prélèvement en le définissant comme «remplissant un rôle régulateur, non dans le cadre national mais dans celui d'une organisation commune, se définissant par rapport à un niveau de prix fixé en raison des objectifs du marché commun, de taux mobile et susceptible de varier en fonction des aléas de la conjoncture.»
Certes, il n'existe, en revanche, pas de jurisprudence sur la nature juridique de la taxe compensatoire prévue par l'article 9, paragraphe 3, du règlement no 816/70, non plus que sur d'autres taxes compensatoires. Dans l'affaire 5/67, Beus, statuant sur une demande préjudicielle à propos de la validité du règlement no 144/65 de la Commission instituant une taxe compensatoire à l'importation de raisins en provenance de Bulgarie et de Roumanie, vous ne vous êtes pas prononcés sur la nature de la taxe
en question.
Mais, si l'on cherche à définir le but de la taxe compensatoire prévue par le règlement no 816/70, n'est-on pas conduit à la considérer comme parfaitement assimilable à un «prélèvement»?
En effet :
— Elle est incontestablement liée à la politique commune des prix dans le secteur viti-vinicole, puisqu'elle tend, précisément, à compenser la différence entre le prix d'offre franco frontière des vins importés sur le territoire de la Communauté et le prix de référence, fixé par la Commission, pour l'ensemble du marché commun, à partir des prix d'orientation des types de vins les plus représentatifs de la production communautaire ;
— Elle se définit donc par rapport à un niveau de prix fixé en raison des objectifs du marché commun, c'est-à-dire à un niveau destiné à garantir un équilibre entre production et consommation communautaire, tout en assurant un revenu suffisamment rémunérateur aux producteurs ;
— Elle est un élément spécifique et adapté de stabilisation du marché communautaire du vin et tend à éviter les perturbations dues à des offres faites, sur le marché mondial, à des prix anormalement bas ;
— Son taux est mobile, susceptible de varier en fonction des aléas de la conjoncture puisque, nous le rappelons, son mode de calcul tient compte des prix d'offre franco frontière périodiquement fixés par la Commission en fonction des offres réellement faites par les pays exportateurs ;
— Enfin, le fait que, pour le calcul de cette taxe, les droits de douane soient ajoutés au prix d'offre franco frontière constitue à nos yeux un élément supplémentaire pour la distinguer des droits du tarif douanier commun. Ceux-ci sont fixés à l'hectolitre, compte tenu du degré alcoolique du vin; ils sont un instrument de protection, non de régulation des prix. La taxe compensatoire a, au contraire, le caractère d'une redevance régulatrice, en ce sens qu'elle tend à faire coïncider le prix de vente
sur le territoire du marché commun avec le prix de référence, ou du moins à éviter des ventes à un prix inférieur.
Aussi bien, le règlement no 816/70, non plus que les règlements d'application, n'ayant porté aucune atteinte au régime d'importation en franchise des vins grecs dans les pays du Benelux, vous avez certainement retenu des explications fournies à la barre que l'intégration — fictive en l'espèce — des droits du tarif douanier commun dans le calcul de la taxe ne lèse nullement les importateurs des vins grecs, dont le prix réel reste en principe inférieur à celui des vins de même qualité en provenance
d'un quelconque pays tiers, abstraction faite toutefois de la faculté d'exonération de la taxe compensatoire ouverte par l'article 9, paragraphe 4, du règlement no 816/70, et sur laquelle nous reviendrons.
Ainsi, Messieurs, pensons-nous que la taxe compensatoire doit, au sens du protocole no 12 annexé à l'accord d'Athènes, être regardée comme équivalant à un prélèvement et en tirons-nous la conséquence que les autorités communautaires n'ont pas méconnu les dispositions de cet accord en assujetissant les vins grecs à cette taxe.
Si vous partagez notre point de vue, vous serez conduits à écarter également le moyen tiré de l'article 43 de l'accord d'Athènes. Cette disposition a prévu la faculté d'appliquer une taxe compensatoire à l'entrée «lorsqu'un produit fait l'objet d'une organisation de marché, de toute réglementation interne d'effet équivalent, ou qu'il subit directement ou indirectement les effets d'une telle organisation existant pour d'autres produits, et lorsque la différence des prix des matières premières
utilisées qui en résulte porte préjudice sur le marché d'un ou plusieurs États membres ou de la Communauté d'une part, ou sur celui de la Grèce d'autre part».
En l'espèce, il ne nous paraît pas, tout d'abord, que les conditions exigées par cet article pour l'application d'une taxe compensatoire soient réunies, du moins dans le sens que prétend la requérante. Car, on pourrait peut-être se demander si le fait, par la Communauté, d'avoir organisé le marché du vin sur son territoire pourrait justifier une intervention des autorités helléniques en vue de demander au conseil d'association d'instituer une telle taxe à l'entrée en Grèce des vins en provenance des
États membres du marché commun; à l'inverse, en l'absence de toute indication, voire même de toute allégation, quant à l'existence d'une «réglementation interne grecque d'effet équivalant» à une organisation du marché du vin, on imagine difficilement comment les autorités communautaires auraient pu, de leur côté, se prévaloir de l'article 43.
Aussi bien, si vous admettez que, dans le cadre de sa compétence générale et compte tenu de la liberté d'action qu'elle s'était réservée en matière d'organisation des marchés agricoles, notamment par le jeu du protocole no 12, la Communauté a pu, sans violer l'accord d'Athènes, créer une taxe compensatoire destinée à éviter l'importation de vins à un niveau inférieur au prix de référence, vous en tirerez logiquement la conséquence que le recours à la procédure de l'article 43 était dépourvu de sens,
qu'en tout cas il ne s'imposait nullement au Conseil et, par là même, que le moyen invoqué est inopérant.
Il nous reste à nous expliquer sur les deux derniers griefs invoqués par la société Haegeman. Celle-ci soutient qu'elle aurait été trompée du fait que la Commission ne se serait pas conformée à la résolution, en date du 6 février 1970, dans laquelle le Conseil avait manifesté l'intention de prévoir, dans le règlement organique sur l'organisation du marché viti-vinicole, un régime particulier applicable aux vins provenant d'États associés à la Communauté. Or, ni le règlement no 816/70 ni les
règlements ultérieurs n'ont défini un tel régime. Nous avons déjà dit ce que nous pensions de ce grief en concluant que le Conseil — et non pas d'ailleurs la Commission — avait pu légitimement instituer la taxe compensatoire, sans en exempter les vins en provenance de Grèce. Mais la requérante ajoute que, croyant pouvoir compter sur un régime spécial aux pays associés, donc applicable à la Grèce, régime qui, dans son esprit, aurait dû manifestement comporter une exonération de taxe, elle a été
surprise par la mise en application du règlement no 816/70 et contrainte de supporter la taxe compensatoire, sur des contrats en cours, sans pouvoir incorporer cette taxe aux prix déjà convenus.
Cette argumentation pose la question de savoir si la requérante pourrait prétendre avoir un droit subjectif au maintien d'un régime d'importation déterminé, pour les contrats conclus avant la mise en application d'un régime différent. Or, il n'en est rien; nous sommes ici dans le domaine réglementaire et si le Conseil avait, sans doute, la faculté, pour tenir compte de la situation des importateurs, de décider que la taxe ne serait perçue que sur les importations faisant l'objet de contrats passés
après la mise en application du nouveau règlement, il n'était, à cet égard, tenu par aucune obligation. C'est là une simple conséquence du principe qu'au regard des actes réglementaires de portée générale les particuliers ne peuvent invoquer de droits acquis au maintien d'une situation juridique antérieure.
La requérante fait d'autre part grief à la Commission d'avoir rompu l'équilibre entre les pays bénéficiaires d'un régime préférentiel, en exonérant de la taxe compensatoire les importations de vins en provenance de Turquie, d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, alors qu'au contraire elle a autorisé l'Allemagne, la France et l'Italie à prendre des mesures de protection à l'entrée sur leur territoire de vins grecs ayant transité par un pays du Benelux.
S'il est vrai que les vins importés des pays maghrébins et de Turquie ont été exonérés de la taxe compensatoire, c'est en vertu d'une disposition précise du règlement no 816/70, le paragraphe 3 de l'article 9, aux termes duquel : «Toutefois, la taxe compensatoire n'est pas perçue à l'égard des pays tiers qui sont disposés à garantir, et sont en mesure de le faire, que, à l'importation de produits originaires et en provenance de leur territoire, le prix pratiqué ne sera pas inférieur au prix de
référence diminué des droits de douane et que tout détournement de trafic sera évité».
Les gouvernements des États en question se sont pour leur part déclarés disposés à donner cette garantie pour les exportations de certains vins vers la Communauté; la Commission s'est assurée, de son côté, que cette garantie reposait sur des éléments sérieux :
— les exportations en question ne doivent être réalisées que sur la base de contrats écrits, par ou sous le contrôle des organismes officiels de commercialisation des vins, placés sous la tutelle des gouvernements intéressés :
— ces exportations ne sont autorisées que lorsque le prix d'offre franco frontière de la Communauté n'est pas inférieur au prix de référence, diminué des droits de douane ;
— enfin, ces gouvernements se sont engagés à veiller à ce que tout détournement de trafic soit évité.
Sans doute, les vins grecs auraient pu et pourraient, dans les mêmes conditions, bénéficier de cette exonération; mais encore faudrait-il que le gouvernement hellénique soit disposé à donner à la Communauté les garanties exigées, ce qui ne paraît pas avoir été le cas. Il n'y a donc pas rupture de l'équilibre ni disparité de traitement.
Et c'est d'ailleurs pour les mêmes raisons que la Commission a dû autoriser l'Allemagne, la France et l'Italie à prendre certaines mesures de protection contre l'entrée, sur leur territoire, de vins d'origine grecque préalablement importés dans les pays du Benelux. Compte tenu des dispositions du protocole no 14, dont nous avons vu qu'il établissait des régimes d'importation différents, d'une part, pour le Benelux: franchise douanière et absence de toute restriction quantitative, d'autre part, pour
les trois autres États membres qui n'étaient tenus que de concéder certains contingents tarifaires, il était à la fois nécessaire et conforme aux dispositions de ce protocole que l'Allemagne, la France et l'Italie puissent se prémunir contre les détournements de trafic des vins grecs et les assujettissent à des mesures de protection lorsqu'ils étaient acheminés vers leur territoire en provenance de Belgique, du Luxembourg ou des Pays-Bas où ils étaient entrés en franchise.
En définitive, aucun des moyens invoqués ne nous paraissant fondé, la requérante n'ayant pas démontré le caractère illicite de la perception de la taxe compensatoire sur les vins grecs, son recours en indemnité ne peut qu'être rejeté, sans qu'il soit besoin d'examiner la réalité du préjudice prétendu, non plus que son caractère direct et certain.
Nous concluons
— au rejet de la requête no 96-71,
— et à ce que les dépens soient mis à la charge de la société Haegeman.