La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/1971 | CJUE | N°6-71

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Dutheillet de Lamothe présentées le 22 septembre 1971., Rheinmühlen Düsseldorf contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel., 22/09/1971, 6-71


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 22 SEPTEMBRE 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les origines de la présente affaire sont les suivantes :

La firme Rheinmühlen, qui est une firme spécialisée dans la minoterie et dans le commerce, notamment international, des céréales ou produits transformés, déclara aux organismes allemands compétents avoir exporté pendant la période allant du 30 décembre 1964 au 16 décembre 1965 eviron 800 tonnes d'orge mondé et 200 tonne

s de semoule de blé dur.

Dans les déclarations ci exportation qu'elle souscrivit, elle indiqua comme ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 22 SEPTEMBRE 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les origines de la présente affaire sont les suivantes :

La firme Rheinmühlen, qui est une firme spécialisée dans la minoterie et dans le commerce, notamment international, des céréales ou produits transformés, déclara aux organismes allemands compétents avoir exporté pendant la période allant du 30 décembre 1964 au 16 décembre 1965 eviron 800 tonnes d'orge mondé et 200 tonnes de semoule de blé dur.

Dans les déclarations ci exportation qu'elle souscrivit, elle indiqua comme «pays de consommation» («Verbrauchsland») différents pays tiers: le Portugal, la Suisse, la Yougoslavie, etc.

Après avoir produit ces déclarations, elle réclama pour lesdites exportations les restitutions que, conformément à l'article 20 du règlement de base no 19 portant établissement graduel d'une organisation des marchés dans le secteur des céréales, la république fédérale d'Allemagne avait instituées en faveur des exportations allemandes vers les pays tiers par un règlement sur les restitutions applicables aux céréales et au riz («Erstattungsverordnung Getreide und Reis») du 24 novembre 1964.

Satisfaction lui fut donnée, non par l'allocation en espèces de ces restitutions, mais, comme le permettait la réglementation alors en vigueur, sous la forme d'une autorisation d'importation en franchise de prélèvement de certaines quantités de produits de base.

Mais, au début de 1966, les organismes allemands compétents éprouvèrent des doutes sur le point de savoir s'il y avait eu véritablement exportation vers des pays tiers et ils firent procéder à une expertise dans les bureaux de la firme Rheinmühlen.

Les résultats de cette expertise aboutirent à des constatations troublantes. D'après les experts allemands, la totalité des quantités, pour lesquelles la firme Rheinmühlen avait déclaré comme pays de consommation un pays tiers, aurait été en réalité mise en libre pratique ou consommée dans un des pays de la Communauté, le Luxembourg, l'Italie ou la Belgique.

La firme Rheinmühlen reconnaît qu'elle n'a pas ignoré que les semoules de blé dur destinées, d'après les déclarations d'expéditions, à la Suisse s'étaient arrêtées à Echternach et avaient été mises en libre pratique et consommées au Luxembourg.

En revanche, elle conteste qu'en tout cas la totalité de l'orge mondé soit restée en Belgique ou en Italie.

De toute façon d'ailleurs, prétend-t-elle, les circonstances révélées par l'expertise seraient sans influence sur son droit à obtenir des restitutions, car les changements de destination auraient été uniquement le fait de son client et aucun certificat DD4 n'aurait jamais été demandé ou obtenu pour les marchandises dont s'agit.

L'office allemand d'importation et de stockage des céréales et des fourrages, l'«Einfuhr- und Vorratsstelle fur Getreide und Futtermittel», n'admit pas cette thèse et, par une décision du 7 décembre 1966, il prononça le retrait de sa précédente décision accordant des restitutions à la firme Rheinmühlen.

Cette firme se pourvut alors contre ce retrait devant le Finanzgericht de Hesse, mais cette juridiction rejeta sa requête le 12 août 1968.

S'appuyant sur certaines considérations développées dans un arrêt antérieur du Bundesfinanzhof, le tribunal fiscal allemand estima d'une part que, pendant la période considérée, les États membres pouvaient définir, comme l'avait fait la république fédérale d'Allemagne par divers règlements, les conditions que devaient remplir des exportations pour ouvrir droit aux restitutions «pays tiers», d'autre part, qu'aux termes de cette réglementation ne pouvaient être regardées comme exportations vers un
pays tiers et ouvrir droit à la restitution que les exportations aboutissant à la consommation de la marchandise dans le pays tiers.

Saisi de l'affaire par un recours en révision, le Bundesfinanzhof semble avoir eu quelques doutes sur la valeur de cette thèse qui pourtant pouvait se réclamer de plusieurs de ses arrêts.

Il s'est visiblement demande si la réglementation allemande était ou non compatible avec une certaine notion communautaire de l'«exportation vers les pays tiers» et il s'est interrogé sur la validité du système mis en place par le règlement communautaire no 162/64.

C'est la raison profonde des questions qu'il vous a posées et qui sont ainsi rédigées :

«1) Comment faut-il comprendre la notion d'exportation vers les pays tiers, figurant à l'article 20, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 19/62 du Conseil, du 4 avril 1962 (JO 1962, p. 933 et s.), et comment cette notion doit-elle être délimitée par rapport à la notion d'exportation à destination d'un État membre, au sens de l'article 19, paragraphe 2, du même règlement? Une exportation vers les pays tiers suppose-t-elle notamment :

a) qu'il soit prouve que la marchandise est parvenue dans les pays tiers ;

b) qu'elle soit parvenue dans un pays tiers déterminé à l'avance ;

c) qu elle soit parvenue directement dans un pays tiers, c'est-à-dire que son transport vers ce pays ait eu lieu sur la base d'un seul titre de transport et qu'elle n'ait ni séjourné dans les pays de transit (États membres et pays tiers) ni fait l'objet d'actes juridiques dans ces pays, si ce n'est pour des raisons inhérentes au transport ;

d) que la marchandise soit mise en libre pratique dans le pays tiers ;

e) que la marchandise y soit “nationalisée”, c'est-à-dire qu'elle y soit utilisée ou consommée, travaillée ou transformée ;

ou y a-t-il exportation vers les pays tiers dès lors que :

a) une marchandise est exportée — même dans un État membre — sans être accompagnée d'un certificat de circulation de marchandises du modèle DD4 :

b) elle n'est pas transportée directement d'un État membre dans un autre État membre ;

ou au moyen de quels autres critères cette notion doit-elle être déterminée?

2) Le règlement no 162/64/CEE de la Commission, du 29 octobre 1964 (JO 1964, p. 2739), est-il nul en tant qu'il limite forfaitairement les restitutions dans les échanges intracommunautaires à certains pourcentages du montant des restitutions résultant de l'application du règlement no 141/64/CEE du Conseil, du 21 octobre 1964 (JO 1964, p. 2666), alors que les restitutions accordées dans les échanges avec les pays tiers pouvaient atteindre la totalité de l'élément mobile du prélèvement applicable à
l'importation ?

3) En cas de réponse négative à la question no 2: compte tenu de la limitation apportée par le règlement no 162/64/CEE au montant de la restitution appliquée dans les échanges entre États membres ainsi que du but visé par ce moyen (protection des échanges intracommunau taires et des marchés des États membres importateurs contre les distorsions de prix), la notion d'exportation vers les pays tiers, au sens du règlement de la Commission no 164/64/CEE, du 29 octobre 1964 (JO 1964, p. 2743), doit-elle
être comprise autrement que dans les cas visés à la question no 1, notamment dans un sens plus étroit, et doit-elle être délimitée plus strictement que dans ces cas par rapport à la notion d'exportation vers un État membre ?»

I

Le problème préalable que vous pose la première question est celui de savoir si, au cours de la période considérée, il existait ou non une définition communautaire des exportations vers les pays tiers, c'est-à-dire des exportations pouvant ouvrir droit aux restitutions dont l'article 20 du règlement no 19 avait prévu l'octroi éventuel.

Sur ce point, trois thèses sont soutenues devant vous :

1) La firme requérante au principal, Rheinmühlen, soutient que cette notion était implicitement mais nécessairement définie complètement par le règlement de base no 19 et les textes pris pour son application et que le législateur national ne pouvait, comme l'aurait fait en l'espèce le législateur allemand, ni en restreindre ni en modifier la portée.

2) L'organisme allemand d'intervention soutient au contraire que, pendant la période considérée, c'était essentiellement aux autorités nationales qu'il appartenait de définir les conditions d'octroi des restitutions qu'elles étaient libres d'instituer ou de ne pas instituer, et notamment de définir quelles étaient les exportations qui y ouvraient droit.

3) La Commission enfin soutient qu'il existait, pour la définition des exportations vers les pays tiers, une sorte de «minimum communautaire» que les États membres étaient obligés de respecter, mais qu'en revanche rien n'empêchait ces États de prévoir, pour l'octroi des restitutions «pays tiers», des conditions plus sévères que celles résultant nécessairement du «minimum communautaire».

C'est la thèse de la Commission, qui ne diffère d'ailleurs de celle de l'organisme allemand d'intervention que par des nuances, que nous vous proposerons d'adopter.

A — La thèse de la requérante au principal, c'est-à-dire celle qui consiste à soutenir qu'il existait une définition complète, au plan communautaire, de la notion d'exportation vers les pays tiers, nous paraît très difficilement soutenable.

1. Il est incontestable et d'ailleurs il est incontesté, même par la firme Rheinmühlen, que cette notion n'a jamais fait l'objet d'une définition explicite avant 1967, ni d'une définition complète avant 1969.

Compte tenu du caractère exhaustif de l'énumération et de l'analyse qui figurent dans le rapport d'audience des textes applicables entre le 21 avril 1962, date d'entrée en vigueur du règlement de base no 19, et le 1er juillet 1967, date d'entrée en vigueur du règlement du Conseil no 120/67 qui a abrogé le règlement no 19, nous vous demandons de nous autoriser à ne pas revenir en détail sur ces textes. Il nous suffira, croyons-nous, de rappeler que, pendant cette période :

a) Les articles 19 et 20 du règlement no 19 permettaient aux États membres d'instituer des «restitutions» pour les exportations en provenance de leur territoire économique et à destination soit des États membres (art. 19), soit des États tiers (art. 20).

b) Le règlement n'ouvrait, à cet égard, aux États qu'une simple faculté. Les règlements communautaires se sont bornés pendant cette période à fixer des maximums applicables aux restitutions dont le principe devait être décidé par les États membres, et aucune définition des conditions ouvrant droit à leur perception par l'agent économique n'était même ébauchée dans la réglementation communautaire.

c) Le coût financier de ces restitutions était à l'origine entièrement à la charge des États membres. Il n'a été pris en charge par la Communauté que partiellement et progressivement à partir de l'exercice financier 1963-1964.

d) La notion de «restitution» comporte, pendant toute cette période, une ambiguïté fondamentale et, semble-t-il, voulue.

C'est tantôt une «restitution» au sens propre de ce mot, c'est-à-dire un avantage destiné à compenser, pour une marchandise importée d'un État tiers puis transformée dans un État membre, le coût du prélèvement perçu à l'entrée dans l'État membre où la transformation a eu lieu.

C'est tantôt au contraire purement et simplement une subvention à l'exportation vers des pays tiers de produits bruts «domestiques» ou de produits transformés à partir de produits de base «domestiques».

e) Il n'existe à l'époque qu'un régime transitoire destiné à permettre la mise en œuvre progressive des mécanismes du marché commun agricole et qui ne comporte notamment, il faut le souligner,

— ni prix de seuil ou d'intervention fixé par la Communauté pour tous les États membres,

— ni régime de restitution uniforme pour les exportations à destination des pays tiers.

— ni interdiction pour les États membres d'accorder des restitutions pour le commerce intracommunautaire.

2. La requérante au principal ne conteste formellement, comme nous vous l'avons dit, aucun de ces points.

Mais elle soutient que, le règlement no 19 et les textes pris pour son application ayant défini avec beaucoup de précision la notion d'importation par un Etat membre de marchandises en provenance d'un autre État membre, il en résulterait implicitement, a contrario certes, mais nécessairement, une définition de la notion d'exportation vers les États tiers.

A cet égard, la requérante au principal se fonde essentiellement sur la décision de la Commission du 17 juillet 1962, c'est-à-dire sur le texte par lequel la Commission a fixé les conditions de délivrance du certificat dit «DD 4» qui permet aux importations effectuées dans un État membre en provenance d'un autre État membre de bénéficier du prélèvement encore existant, mais relativement faible, applicable aux importations intracommunautaires.

Le raisonnement de la requérante au principal est sur ce point le suivant: ou les agents économiques ont demandé et obtenu le bénéfice des avantages que comporte l'octroi du certificat DD4, ou ils ne l'ont ni demandé ni obtenu.

Dans le premier cas, et dans ce seul cas, comme vous l'auriez jugé par votre arrêt Craeynest du 22 octobre 1970, l'opération doit être regardée comme une opération d'export-import communautaire.

Dans le second cas, l'opération ne pouvant pas être une opération d'export-import communautaire, cette opération serait nécessairement une opération d'export-import sur les pays tiers et, dès lors, ouvrirait droit, pour cette raison, aux restitutions instituées par les autorités nationales.

L'argumentation est brillante, mais, à notre avis, quelque peu spécieuse.

La Commission vous a longuement et de façon, à notre avis, très convaincante montré pourquoi et comment, tant pour des raisons techniques qu'en tenant compte de l'intention certaine des auteurs des textes applicables pendant cette période, il est impossible de considérer, comme le soutient la firme Rheinmühlen, le régime des exportations «pays tiers» comme étant «le symétrique du prélèvement» (c'est l'expression dont se sert la requérante au principal).

Nous sommes tout à fait d'accord sur ce point: on peut admettre certes que l'absence de délivrance d'un certificat DD4 est une condition nécessaire ou du moins une présomption favorable à ce que soit reconnu à une exportation le caractère d'exportation vers un pays tiers, mais en aucun cas, à notre avis, une condition suffisante.

L'exemple donné par la Commission, et qui montre que, pour certaines marchandises transformées, il pouvait y avoir légalement à la fois délivrance d'un certificat DD4 et octroi d'une restitution «pays tiers», est significatif. Il montre bien l'indépendance des deux mécanismes.

Pour ne pas allonger inutilement ces observations, nous ne reprendrons pas en détail les autres points de l'argumentation de la Commission que, sur cette question, nous faisons entièrement nôtres et nous nous bornerons à une observation générale.

Au fond de l'argumentation de la firme Rheinmühlen, nous retrouvons une conception que nous avons déjà eu l'honneur de condamner devant vous: celle selon laquelle toute l'organisation du marché commun agricole n'aurait eu pour objet que d'instituer entre la Communauté et les États membres, d'une part, les spécialistes du commerce extérieur des céréales, d'autre part, un vaste jeu du «chat et de la souris» dans lequel les agents économiques spécialisés dans l'export-import pourraient prétendre,
non seulement au bénéfice résultant de leur activité commerciale normale, mais encore à celui que pourrait leur procurer une insuffisance de la réglementation communautaire ou une coordination encore mal assurée des réglementations nationales.

C'est exactement à cela en réalité que revient l'argumentation de la société requérante au principal.

Que soutient-elle au fond en effet? Il a pu y avoir, pendant cette époque difficile de mise en place du marché commun agricole, des situations où des importateurs ou des exportateurs n'avaient pas intérêt à réclamer le bénéfice du taux relativement favorable du prélèvement applicable aux échanges intracommunautaires, mais au contraire à obtenir le bénéfice des restitutions relativement élevées, prévues pour les exportations à destination de pays tiers, même si finalement la marchandise devait
aboutir à être mise en libre pratique dans un des États membres.

Le bénéfice d'un tel avantage serait, pour les firmes intéressées, un droit.

Leur reconnaître un tel droit serait, à notre avis, méconnaître tous les objectifs de la politique agricole commune, tels qu'ils résultent tant des dispositions mêmes du traité que de l'interprétation que vous leur avez donnée.

Ces objectifs, quels sont-ils ?

L'article 39 nous les énumere de façon très nette.

1) Accroître la productivité de l'agriculture et le développement du progrès technique ;

2) Assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture ;

3) Stabiliser les marchés ;

4) Garantir la sécurité des approvisionnements ;

5) Assurer des prix raisonnables pour les livraisons aux consommateurs.

On chercherait en vain dans ces textes, ou dans l'interprétation que vous leur avez donnée, l'affirmation que les mesures prises pour mettre en place ce marché commun agricole doivent également permettre de subventionner les spécialistes de l'export-import pour des opérations n'ayant aucun intérêt économique pour le marché commun agricole. L'agent de la société requérante au principal a débuté ses observations orales devant vous en vous soulignant que ses clients n'étaient pas des fraudeurs et a
reproché aux agents de la Commission d'avoir rappelé les trafics auxquels certains agents économiques ont pu se livrer à certaines époques compte tenu des insuffisances des réglementations communautaires et nationales.

Nous lui donnons acte de ses déclarations, mais nous nous permettons de lui rappeler, et nous y reviendrons tout à l'heure, qu'à côté de la fraude, que le juge pénal national a le devoir et le pouvoir de réprimer, il existe aussi ce que l'on pourrait appeler l'«abus de droit», on serait même tenté de dire, comme le fait la Commission dans un de ses rapports, la «fraude légale», que tous les juges, et tout spécialement la Cour de justice des Communautés, se doivent de prévenir et d'empêcher.

B — Si donc vous admettez, comme nous vous le proposons, que la notion d'exportation à destination d'un pays tiers n'avait pas, jusqu'en 1969, ou en tout cas jusqu'en 1967, un contenu communautaire nettement défini, vous aurez à vous prononcer sur le point de savoir si cette notion pouvait être définie discrétionnairement par les États membres ou si ceux-ci ne devaient pas respecter dans cette définition un «minimum communautaire» pour l'expression de la Commission.

Sur ce point, les positions de l'organisme d'intervention allemand et de la Commission diffèrent en réalité plus quant au contenu de ce «minimum communautaire» que quant au principe de son existence.

Nous pensons, pour notre part, que, si les États membres avaient une très grande latitude en ce domaine pendant la période considérée, ils devaient néanmoins respecter certains principes communautaires de base.

La grande latitude que l'on doit, croyons-nous, reconnaître aux États membres se déduit fort évidemment :

— d'une part, du fait qu'ils étaient libres d'instituer ou de ne pas instituer les restitutions prévues aux articles 19 et 20 du règlement no 19,

— d'autre part, du fait que le coût financier résultant directement ou indirectement de ces restitutions restait, pendant cette période, à la charge des budgets nationaux, soit totalement, soit ensuite partiellement.

A l'inverse, l'obligation pour ces États de respecter, pendant cette période, un certain nombre de principes communs quant à la définition de la notion d'exportation vers les pays tiers résulte selon nous :

a) De ce que le règlement no 19 distingue très nettement entre les restitutions qui peuvent être versées à l'occasion d'échanges intracommunautaires et celles qui peuvent être instituées pour les échanges avec des pays tiers, ce qui implique nécessairement une certaine conception communautaire quant à la distinction entre ces deux catégories d'opérations.

b) Si les États membres étaient libres d'instituer ou non les restitutions prévues par les articles 19 et 20, c'était dans le cadre seulement de maxima déterminés par les autorités communautaires et qui ont fait l'objet, comme vous l'avez constaté en lisant le rapport d'audience, d'un grand nombre de règlements d'application. Or, il est évident que, sans un certain nombre de notions communes, ces maxima n'auraient pas grand sens.

c) L'un au moins des buts de l'organisation provisoire d'un marché agricole commun est l'instauration d'un certain équilibre entre l'offre et la demande de produits agricoles à l'intérieur du marché commun, ce qui implique, en ce qui concerne les échanges extérieurs, l'institution de certains instruments d'orientation des échanges en fait d'aide à l'exportation des surplus.

De ces instruments d'orientation, la restitution est évidemment le principal et dès lors les conditions de son octroi ne pouvaient être laissées entièrement à l'appréciation discrétionnaire des États membres.

d) Enfin, comme nous vous l'avons dit il y a un instant, le coût de ces restitutions a été assez rapidement supporté au moins partiellement par le budget des Communautés, et c'est là encore un argument en faveur de la reconnaissance d'un «minimum communautaire» dans les conditions d'octroi desdites restitutions.

Compte tenu de ces diverses considérations, nous pensons donc que vous devrez indiquer au Bundesfinanzhof que, pendant la période considérée, si les États membres étaient en droit de définir les conditions d'attribution des restitutions qu'ils avaient la faculté d'instituer pour les exportations vers les pays tiers, cette définition devait cependant respecter certaines exigences communautaires minima.

C — Si vous partagez notre point de vue sur ce point, vous aurez alors à déterminer quel était le «contenu communautaire minimum» que devaient respecter les États membres dans leur définition de l'exportation vers les pays tiers.

Ce «minimum communautaire», la Commission vous propose de le définir de la manière suivante: il fallait qu'il y ait une opération effective d'exportation constatable selon des critères objectifs.

Nous vous proposons, pour notre part, une définition plus précise de ce «minimum communautaire».

Nous sommes entièrement d'accord avec la Commission lorsqu'elle constate que la première condition communautaire minimum pour qu'il y ait exportation à destination d'un pays tiers est que la marchandise ait quitté le territoire de l'État membre exportateur.

C'est évident, car sans cela il ne saurait y avoir, en aucun cas, exportation.

Mais nous nous séparons de la Commission sur le point suivant.

La Commission estime en effet que, pendant cette période, on ne pouvait exiger, au plan communautaire, que, pour qu'il y eût exportation vers un État tiers, la marchandise exportée ait pénétré sur le territoire douanier de l'État tiers.

Les États pouvaient le décider, ils n'étaient pas tenus de le faire.

Nous pensons au contraire que cette exigence constitue un des fondements mêmes de la notion communautaire d'exportation vers un État tiers.

1. Aucun des arguments que fait valoir la Commission contre cette thèse ne nous paraît déterminant.

a) Les premiers de ces arguments sont tirés d'une exégèse des textes.

Le règlement no 19, dans sa version française, emploie dans son article 19, consacré au commerce intracommunautaire, l'expression «exportation à destination» d'un État membre, alors que, dans son article 20, il emploie l'expression «exportation vers un pays tiers», ce qui semblerait indiquer, d'après la Commission. que, dans le premier cas, le législateur communautaire aurait bien voulu exiger que la marchandise soit parvenue dans le pays membre destinataire, mais que, dans le second cas, il
aurait admis qu'il suffisait que la marchandise ait été destinée à l'importation dans un État tiers.

L'argument ne nous retiendra guère, car cette disparité dans la terminologie n'existe que dans le texte français, alors que dans les textes allemand, italien et néerlandais la formule employée aux articles 19 et 20 est identique: exportation «nach», «verso» et «naar» un pays membre ou un pays tiers.

Plus troublant est évidemment le second argument de texte avancé par la Commission et selon lequel les auteurs du règlement no 19, en employant les termes: exportation «vers», «nach», «verso» et «naar», auraient entendu ne retenir que la notion de «pays de destination» et non celle de «pays d'arrivée» de la marchandise.

Mais nous croyons qu'il ne faut pas se livrer sur ce point à une interprétation purement exégétique de textes plus ou moins bien rédigés, mais plutôt, comme nous essayerons de le faire dans un instant, à une interprétation téléologique de ces mêmes textes.

b) La Commission fait état en second lieu du libellé de certaines dispositions, notamment d'un règlement no 90/62, relatives aux cas où une restitution plus élevée que la restitution normalement applicable pouvait être accordée.

Ce texte précisait que les Etats membres qui attribuaient ces restitutions en quelque sorte exceptionnelles devaient, en cas de vente par adjudication, prendre «toutes dispositions utiles pour que les céréales exportées sous ce régime soient effectivement exportées vers les pays tiers». D'après la Commission, si le règlement no 90/62 a posé cette condition spéciale pour certaines opérations, c'est qu'elle n'existait pas dans les cas ordinaires.

C'est très douteux, car on peut au contraire soutenir que la Commission n'a fait ici que rappeler ou affirmer explicitement un principe général découlant des buts poursuivis par le règlement no 19.

c) La Commission soutient en troisième lieu que, si, dans la plupart des cas dans la pratique, la preuve de l'existence de ce qu'elle appelle une «opération effective d'exportation» vers un pays tiers résultera de l'entrée de la marchandise dans le pays tiers, on ne peut cependant, pendant la période considérée, limiter au plan communautaire à ce seul cas la notion d'exportation vers un pays tiers.

Quoiqu'elle ne le dise pas formellement, la Commission est visiblement impressionnée par le fait que, eu égard aux lacunes et même à l'inexistence, dans certains cas, de dispositions communautaires d'exécution pendant toute cette période, une délimitation trop stricte de la notion d'exportation vers des pays tiers aurait posé aux administrations douanières et économiques nationales des problèmes pratiques complexes.

Peut-être pense-t-elle à des cas comme ceux qu'évoquait à la barre, devant vous l'agent de Rheinmühlen: celui du cargo qui sombre et dont la cargaison destinée à un pays tiers et qui a été effectivement chargée n'atteindra cependant jamais le pays de destination, ou bien celui de l'exportateur de bonne foi qu'on ne peut rendre responsable des décisions de son acheteur, citoyen d'un État tiers.

2. Mais, Messieurs, ces inconvénients, à certains desquels on peut d'ailleurs, à notre avis, remédier sans grande difficulté en faisant appel à la notion générale de force majeure, nous apparaissent comme un aspect malgré tout secondaire de la question si l'on examine les objectifs économiques profonds qui ont amené l'institution de restitutions pour les exportations vers les pays tiers.

De quoi s'agit-il en effet ?

— D'une part, d'écouler autant que possible sur le marché mondial les surplus existant dans l'ensemble des pays de la Communauté.

— D'autre part, de permettre de telles exportations en demandant aux contribuables des États membres un sacrifice financier destiné à combler la différence qui existe en général entre le prix des denrées agricoles à l'intérieur du marché commun et le cours mondial des mêmes denrées.

Or, qu'arrive-t-il si la marchandise ne parvient pas effectivement dans le pays tiers ?

1) Elle continue à grever de sa masse le marché intérieur de la Communauté, et dès lors l'opération dont elle fait l'objet ne contribue en rien à résorber des surplus.

2) Les sommes qu'ont versées les contribuables des États membres pour permettre la vente de cette marchandise à un prix compétitif sur le marché mondial sont détournées de leur objet et servent, non à assainir le marché communautaire, mais à «subventionner» en quelque sorte une opération dont l'intérêt économique pour l'ensemble de la Communauté est inexistant.

L'opération enfin contribue à fausser les prévisions en fonction desquelles sont maniés, par les États membres ou par les autorités communautaires, les instruments régulateurs du marché agricole commun, prix de seuil, prix d'intervention, prélèvements, etc.

Enfin, si, comme nous vous l'avons dit à l'occasion d'autres affaires, on ne peut mettre en doute a priori la bonne foi des exportateurs, il ne faut pas exclure, et les faits sont malheureusement là pour le prouver, la possibilité, pour un vendeur et un acquéreur d'un pays tiers, de se mettre d'accord pour partager le bénéfice résultant, pour une opération déterminée, de la coexistence momentanée d'un prélèvement particulièrement bas et d'une restitution particulièrement élevée.

En dehors des opérations frauduleuses proprement dites, un certain nombre d'opérateurs pouvaient, et ont pu malheureusement, utiliser légalement les textes applicables pour se procurer des bénéfices substantiels au détriment des États membres ou de la Communauté. Nous y faisions déjà allusion tout à l'heure en vous rappelant que, dans ses rapports au Conseil, la Commission avait parlé de «fraude légale».

On ne peut évidemment espérer qu'une définition, au plan communautaire, de l'exportation vers les pays tiers, exigeant l'entrée effective de la marchandise dans le pays tiers, suffise à rendre impossible toute opération de ce genre, mais une telle définition est, à notre avis, tout au moins de nature à gêner considérablement ce genre d'opérations, et c'est la raison essentielle pour laquelle nous vous la recommandons.

Faut-il aller plus loin et exiger au plan communautaire, non seulement l'entrée dans le pays tiers, mais encore soit la mise en libre pratique, soit la «nationalisation», soit la consommation de la marchandise ?

Nous ne le pensons pas, et sur ce point nous partageons l'avis de la Commission selon lequel, à l'époque considérée, c'est-à-dire à une époque où la coordination des législations douanières des États membres était encore très insuffisante, on ne pouvait entrer, au plan communautaire, dans de telles précisions que, comme le souligne la Commission, même la réglementation actuelle ne comporte pas encore.

A cette époque en particulier, il appartenait donc à chacun des États membres d'apporter de telles précisions s'il le jugeait utile, compte tenu de sa propre législation.

Nous vous proposons donc de répondre à la première question du Bundesfinanzhof que si, au cours de la période considérée, les États membres étaient en droit de fixer les conditions d'attribution des restitutions qu'en vertu de l'article 20 du règlement no 19 ils avaient la faculté d'instituer pour les exportations vers les pays tiers, ils devaient exiger au minimum que, pour ouvrir droit auxdites restitutions, la marchandise, au cours de l'opération d'exportation considérée, ait quitté le
territoire douanier de l'État membre exportateur et, sauf cas de force majeure, pénétré, après ou sans transit à travers le territoire d'un autre État membre, sur le territoire douanier d'un État tiers.

II

La seconde question posée par le Bundesfinanzhof est relative à la validité du règlement de la Commission no 162/64 du 29 octobre 1964 qui limitait jusqu'au 31 mars 1965 le montant maximum de la restitution applicable aux exportations vers les États membres de certains produits transformés à base de céréales ou de riz.

A cet égard, soulignons tout de suite une des difficultés de cette affaire.

Le Bundesfinanzhof vous avait saisis d'un problème relatif à la validité de ce règlement.

La requérante au principal en a pris prétexte pour vous saisir d'un autre problème entièrement différent, mais relatif également, il est vrai, à la validité de ce même règlement, et nous éprouvons, comme nous vous le dirons dans un instant, de très grands doutes sur le point de savoir si vous avez à vous prononcer sur ce second problème de validité.

A — Quoi qu'il en soit, examinons pour l'instant le problème de validité soulevé par le Bundesfinanzhof.

Celui-ci s'est demandé si la Commission pouvait, comme elle l'a fait par le règlement dont s'agit, limiter forfaitairement le montant des restitutions susceptibles d'être accordées dans les échanges intracommunautaires à un certain pourcentage des restitutions résultant de l'application d'un texte plus général, le règlement du Conseil no 141/64, alors qu'en application de ce dernier texte les restitutions accordées dans les échanges avec les pays tiers pouvaient atteindre un montant beaucoup
plus élevé: la totalité de l'élément mobile du prélèvement applicable aux importations en provenance des pays tiers.

L'origine des doutes du Bundesfinanzhof quant à la validité, sur ce point, du règlement no 162/64 doit être recherchée dans une certaine conception de la «préférence communautaire» qui s'exprime plus clairement encore que dans la présente affaire, parce que les conditions de l'espèce s'y prêtaient mieux, dans une ordonnance de sursis à exécution prise par la même juridiction le 30 mars 1971 dans une affaire relative au marché des produits laitiers pendant la période considérée.

A l'époque, en effet, le prix de seuil italien du lait en poudre était inférieur à celui en vigueur dans la république fédérale d'Allemagne.

Celle-ci cependant n'accordait alors aucune restitution pour les exportations de produits laitiers à destination de l'Italie, ce qui avait pour effet de rendre impossibles des exportations directes de lait en poudre en provenance d'Allemagne et à destination de l'Italie.

Cependant, toujours à la même époque, la restitution accordée en Allemagne pour les exportations vers la Suisse était d'un niveau supérieur au prélèvement applicable en Italie aux importations de produits laitiers en provenance de Suisse.

Tout ce système serait donc, selon le Bundesfinanzhof, contraire au principe de la préférence communautaire qui impliquerait que les exportations d'un État membre vers un autre État membre doivent être favorisées par rapport aux exportations des États membres vis-à-vis des États tiers.

Le règlement no 162/64 pouvait, dans l'esprit du Bundesfinanzhof, aboutir, dans son principe tout au moins, à des résultats du même ordre et serait ainsi entaché du même vice de violation du principe de la préférence communautaire que le système applicable pour le lait.

Le raisonnement est subtil, mais, pour notre part, il ne nous paraît pas convaincant :

1. Les anomalies que relève le Bundesfinanzhof, tant en ce qui concerne le lait en poudre qu'en ce qui concerne les produits transformés à base de céréales, ne dérivent pas, à notre sens, des mesures prises pour l'application du règlement no 19, mais bien plutôt d'un des principes de base de celui-ci: le caractère progressif de la mise en place d'une organisation commune des marchés agricoles, caractère qui impliquait que, pendant toute une période, les États membres restaient compétents pour
fixer le prix de seuil et, sous réserve de certaines limitations, les restitutions et les prélèvements.

C'est l'absence de coordination et d'uniformisation des prix de seuil, et non les dispositions régissant les restitutions, qui est à l'origine des situations de la nature de celles qui ont ému le Bundesfinanzhof.

Mais il est évident qu'à cette étape de la construction européenne ce manque de coordination et d'uniformité était inévitable si l'on voulait aller tout de suite de l'avant.

Vous l'avez d'ailleurs reconnu à maintes reprises, et notamment dans la série d'arrêts que vous avez rendus le 2 décembre dernier (affaires 11, 25, 26 et 30-70).

La possibilité d'octroi de restitutions dans le commerce intracommunautaire n'était qu'une mesure transitoire et cette possibilité devait disparaître, comme d'ailleurs cela a été le cas, dès qu'il serait possible de procéder à la fixation, selon des normes uniformes, de prix uniques dans tous les États membres.

Il serait donc quelque peu paradoxal de reprocher à la Commission d'avoir préparé la disparition de ces restitutions en réduisant progressivement l'importance.

2. Et surtout: la conception que semble avoir de la «préférence communautaire» le Bundesfinanzhof nous paraît aller bien au-delà de la portée que cette notion doit avoir en droit communautaire.

Certes, l'article 44 du traite parle, en matière de prix minima agricoles, du «développement d'une préférence naturelle entre les États membres».

De même, les considérants et le texte du règlement no 19, notamment son article 9, paragraphe 1, paraissent bien se référer à cette notion de «préférence naturelle».

Mais, la seule obligation précise que ledit règlement en fait découler, c'est celle d'imposer aux États membres d'avoir un prix de seuil plus élevé pour les importations en provenance des pays tiers que pour les importations en provenance des autres États membres.

Même si l'on a de cette notion de «préférence naturelle» une conception extensive, elle implique seulement, selon nous, que, lorsqu'il existe dans un État membre une demande que la production nationale ne peut satisfaire, cet État doit chercher à remédier à cette situation en favorisant les importations en provenance des pays membres ayant une production excédentaire plutôt que celles en provenance de pays tiers.

Elle n'a jamais en revanche, croyons-nous, impliqué qu'un pays membre ayant des excédents doit à tout prix chercher à en inonder le marché d'un autre pays membre, quelles que soient la situation dudit marché et la situation de l'ensemble des marchés des pays membres.

Ce serait en réalité contraire, à notre avis, à un autre principe fondamental de toute l'organisation commune des marchés agricoles, celui selon lequel l'ensemble des pays de la Communauté doit chercher; avec l'aide des restitutions, à écouler sur le marché mondial l'ensemble des exédents communautaires.

Ainsi le règlement no 162/64 ne serait, selon nous, contraire aux principes communautaires en tant qu'il a diminué le montant des restitutions susceptibles d'être accordées à l'occasion du commerce intracommunautaire par rapport à celui dont pouvaient bénéficier les exportations à destination des pays tiers que s'il était démontré que, pour les produits qu'il vise, il existait dans l'ensemble de la Communauté une insuffisance de ressources par rapport aux besoins.

Une telle démonstration n'a jamais été tentée et serait, selon nous, probablement impossible.

Nous pensons donc que vous devrez décider que l'examen de la question posée par le Bundesfinanzhof et relative à la validité du règlement no 162/64 n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

B — Venons- en maintenant au problème de validité du règlement no 162/64 soulevé, non par le Bundesfinanzhof, mais par la requérante au principal dans ses observations devant vous.

Ce problème est entièrement différent de celui soulevé par le Bundesfinanzhof et la contestation de la validité du règlement no 162/64 par la firme Rheinmühlen repose, dans cette argumentation, sur une cause juridique différente de celle qu'avait retenue le Bundesfinanzhof.

La requérante au principal fait valoir en effet que le règlement contesté aurait établi un lien entre le prix de seuil d'une part et le taux de transformation des céréales d'autre part.

Or, d'après elle :

— d'une part, les raisons de l'établissement d'un tel lien auraient dû être exposées dans les motifs du règlement, ce qui ne serait pas le cas ;

— d'autre part, ce lien, tel qu'il est établi, est contraire tant à la réalité économique qu'au bon sens en tant que le règlement pose en principe que c'est dans les pays dont le prix de seuil est le plus élevé que le taux de transformation est le meilleur et inversement dans ceux où le prix de seuil est le plus bas que le taux de transformation est le moins satisfaisant.

1. La première question que pose cette argumentation est celle de savoir si vous devez l'examiner et y répondre.

Nous ne le pensons pas, et cela pour trois raisons :

a) Toute votre jurisprudence jusqu'ici a tendu à éviter que, par le biais de l'article 177 du traité, des particuliers ne parviennent à tourner les dispositions de l'article 173 qui limitent étroitement les possibilités, pour ces mêmes particuliers, de contester par un recours en annulation la légalité d'un règlement communautaire.

C'est la raison pour laquelle vous avez notamment :

— refusé à quiconque le droit d'intervenir dans une affaire dont vous êtes saisis en vertu de l'article 177 du traité (ordonnance du 3 juin 1964 dans l'affaire 6-64, Recueil, 1964-X, p. 1179),

— refusé de répondre à une question d'interprétation autre que celle qui vous a été posée par le juge national (ordonnance du 16 mai 1968 dans l'affaire 13-67, Recueil, 1968-XIV, p. 289),

— refusé d'examiner une question de validité lorsque le juge national ne vous a saisis que d'une question d'interprétation (9 décembre 1965, Hessische Knappschaft, affaire 44-65, Recueil, 1965-XI, p. 1192 et s.).

Or, dans la mesure ou un requérant au principal, qui, dans une affaire de l'article 177, n'est pas partie devant vous, soulève un problème de validité différent de celui soulevé par la juridiction qui vous a saisis, même si le texte dont la validité est contestée est le même, ce requérant tend bien en réalité à vous faire juger une question dont vous n'êtes pas saisis au titre de l'article 177 du traité, et dès lors admettre ses prétentions serait, selon nous, porter atteinte à cet équilibre
que vous avez toujours su maintenir entre les dispositions de l'article 177 et celles des articles 173, 175 et 184 du traité.

b) Ce serait également, selon nous, porter atteinte à ce caractère de «dialogue de juge à juge» qui, comme vous l'avez souvent souligné, est l'un des fondements, l'une des originalités et l'une des richesses du système instauré par l'article 177 du traité.

De ce principe résulte en effet que, saisis par l'article 177, vous devez éclairer le juge national sur les problèmes de droit communautaire qui se posent à lui, parfois même en interprétant son propre jugement, mais que vous ne pouvez et vous ne voulez jamais vous substituer à lui.

Or, si vous admettez qu'un requérant au principal puisse soulever devant vous, à propos de la validité d'un règlement communautaire, un problème autre que celui dont vous a saisis le juge national, il est à craindre que vous n'apparaissiez fort souvent comme vous substituant à ce juge national.

La présente affaire en fournit, croyons-nous, un bon exemple.

Il est impossible de savoir si le problème de validité soulevé devant vous par la firme Rheinmühlen avait ou non été soumis au Bundesfinanzhof.

Mais prenons différentes hypothèses. S'il l'avait été et que le Bundesfinanzhof l'ait expressément écarté, estimeriez-vous devoir censurer implicitement l'arrêt de cette juridiction en examinant cette question qu'elle aurait délibérément refusé de vous poser ?

Si le problème a été soulevé, allez-vous l'examiner uniquement parce que le Bundesfinanzhof ne l'a pas écarté explicitement mais seulement implicitement en ne vous le posant pas ?

Si enfin ce problème n'a pas été soulevé devant le Bundesfinanzhof, allez-vous admettre que puisse naître devant vous un litige très largement différent de celui dont la juridiction nationale compétente a été saisie et au sujet duquel elle vous interroge ?

Nous pensons qu'aller jusque la serait s'écarter des sages principes grâce auxquels vous avez su créer une collaboration confiante entre les juges nationaux et vous-mêmes.

c) Nous pensons d'ailleurs que les formules employées par vos arrêts les plus récents tranchent implicitement mais nécessairement la question.

Alors que pendant longtemps vous avez employé, dans le dispositif de vos arrêts sur les questions de validité, la formule «l'examen du règlement no X n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité», formule qui prêtait peut-être à une certaine ambiguïté quant aux conditions de votre saisine, vos arrêts les plus récents au contraire emploient une formule qui élimine toute ambiguïté à ce sujet, c'est la formule : «l'examen de la question posée par le … (nom de la juridiction)
relative à la validité du règlement no X ne révèle aucun élément de nature, etc.» (cf. par exemple vos arrêts 37-70 du 11 février 1971 et 38-70 du 10 mars 1971).

Certes, le problème pourra un jour se poser de savoir s'il n'y a pas certaines illégalités que vous devriez relever d'office, mais il ne pourrait s'agir que d'illégalités compromettant l'équilibre institutionnel instauré par le traité et la question ne se pose pas en l'espèce.

Dans ces conditions, nous vous demandons très fermement de refuser d'examiner le problème de validité du règlement no 162/64 soulevé devant vous par la firme Rheinmühlen et qui ne vous a pas été renvoyé par le Bundesfinanzhof.

2. Si, contrairement à notre sentiment, vous estimiez devoir faire «reste de droit» aux intéressés sur ce point, vous auriez à trancher des questions difficiles.

En effet, il faudrait faire un grand effort pour trouver même un début de motivation du règlement sur le point contesté, mais il faut remarquer que, si l'on veut être rigoriste, le défaut ou l'insuffisance de motivation pourrait constituer un vice qui entacherait, non seulement le règlement no 162/64, mais toutes les dispositions des règlements communautaires qui, jusqu'en 1967, traitaient des restitutions.

En ce qui concerne le fond, le problème est également fort délicat.

La Commission ne nie pas que, dans certains États membres ayant un prix de seuil très bas, existaient des industries de transformation très modernes travaillant avec un taux de transformation très élevé et qu'inversement il pouvait exister, même dans les pays à prix de seuil élevé, des industries de transformation vétustes. Mais elle soutient qu'elle était bien obligée de trouver un critère, si imparfait soit-il, permettant de concilier les intérêts opposés des industries nationales de
transformation et d'établir un équilibre entre, d'une part, l'utilisation des produits de base communautaires en vue de l'exportation de marchandises transformées vers les pays tiers et, d'autre part, l'utilisation des produits de ces derniers pays admis au trafic de perfectionnement.

Le problème serait en réalité de savoir si, dans l'ensemble et en négligeant les situations individuelles, les industries de transformation des pays à prix de seuil relativement bas étaient moins bien équipées et moins modernes que celles des pays à prix de seuil plus élevé.

Seuls, à notre avis, des experts pourraient vous éclairer sur ce point. Mais, comme nous vous l'avons dit, nous ne pensons pas que vous ayez à vous poser ce problème et nous estimons que vous devrez vous borner à répondre que l'examen de la question posée par le Bundesfinanzhof, relative à la validité du règlement no 162/64, n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité dudit règlement.

III

La troisième question posée par le Bundesfinanzhof nous retiendra moins longtemps.

Le Bundesfinanzhof vous demande en effet si les principes dégagés par vous pour la définition de la notion d'exportation vers un pays tiers dans votre réponse à la première des questions posées sont également valables pour l'application des règlements nos 162/64 et 164/64.

A elles seules, des raisons pratiques imposeraient l'unité d'interprétation.

Une raison juridique s'y ajoute: les règlements nos 162/64 et 164/64 sont des règlements de la Commission pris pour l'application d'un règlement de base, le règlement no 19 du Conseil.

Il serait donc juridiquement impossible, croyons-nous, de donner aux notions auxquelles se réfèrent les règlements d'application un contenu différent de celui qu'ont ces mêmes notions dans le règlement de base.

Nous vous proposons donc de répondre à la troisième question du Bundesfinanzhof que la notion d'exportation vers les pays tiers doit, pour l'application des règlements nos 162/64 et 164/64, être interprétée comme il est dit dans la réponse à la question no 1.

Nous concluons donc à ce que vous répondiez aux questions que vous a posées le Bundesfinanzhof comme suit :

1) Si, au cours de la période considérée, les États membres étaient en droit de fixer les conditions d'attribution des restitutions qu'en vertu de l'article 20 du règlement no 19 ils avaient la faculté d'instituer pour les exportations vers les pays tiers, ils devaient exiger au minimum que, pour ouvrir droit auxdites restitutions, la marchandise, au cours de l'opération d'exportation considérée, ait quitté le territoire douanier de l'État membre exportateur et, sauf cas de force majeure, pénétré,
après ou sans transit à travers le territoire d'un autre État membre, sur le territoire douanier d'un pays tiers.

2) L'examen de la question posée par le Bundesfinanzhof et relative à la validité du règlement no 162/64 n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

3) La notion d'exportation vers les pays tiers doit, pour l'application des règlements nos 162/64 et 164/64, être interprétée comme il est dit dans la réponse à la question no 1.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6-71
Date de la décision : 22/09/1971
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.

Agriculture et Pêche

Céréales


Parties
Demandeurs : Rheinmühlen Düsseldorf
Défendeurs : Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel.

Composition du Tribunal
Avocat général : Dutheillet de Lamothe
Rapporteur ?: Kutscher

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:91

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award