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03/02/1971 | CJUE | N°47-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Dutheillet de Lamothe présentées le 3 février 1971., Heinrich Kschwendt contre Commission des Communautés européennes., 03/02/1971, 47-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 3 FÉVRIER 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant, qui est d'origine autrichienne, a épousé le 16 août 1965 une fonctionnaire en service à l'établissement d'Ispra du Centre commun de recherches nucléaires.

Comme il était naturel, il chercha un travail qui ne le séparât point de son épouse et il réussit le 20 septembre 1965 à se faire engager par la même administration dans laquelle il fut ultérieurement titularis

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Lors de son engagement, il avait indiqué comme lieu de son domicile la ville autrichienne de Graz; e...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 3 FÉVRIER 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le requérant, qui est d'origine autrichienne, a épousé le 16 août 1965 une fonctionnaire en service à l'établissement d'Ispra du Centre commun de recherches nucléaires.

Comme il était naturel, il chercha un travail qui ne le séparât point de son épouse et il réussit le 20 septembre 1965 à se faire engager par la même administration dans laquelle il fut ultérieurement titularisé.

Lors de son engagement, il avait indiqué comme lieu de son domicile la ville autrichienne de Graz; en conséquence, il avait droit en application du statut:

— d'une part, à une indemnité journalière spéciale,

— d'autre part, à ce que l'on appelle les «frais de déménagement fictifs», c'est-à-dire en réalité une prestation permettant à l'agent nouvellement recruté d'acquérir sur place une partie de son mobilier.

Mais l'administration s'aperçut qu'en réalité, lors de son recrutement, le 20 septembre 1965, il vivait avec son épouse à Ispra depuis son mariage.

Il n'y avait certes qu' à s'en féliciter du point de vue des mœurs, mais cela changeait tout du point de vue administratif. Il n'avait en effet pas droit dans ces conditions aux indemnités et prestations précitées.

C'est ce que l'administration lui notifia par une décision du 27 juin 1966.

L'intéressé saisit alors l'administration d'une série de demandes ou réclamations qui furent toutes rejetées par des décisions implicites ou explicites successives. Il vous demande d'annuler la dernière en date de ces décisions, celle du 20 mars 1970.

L'irrecevabilité pour tardiveté nous paraît certaine, et le seul point sur lequel on peut hésiter, pensons-nous, est celui du fondement juridique qu'il y a lieu de retenir pour cette irrecevabilité car il y a, à notre avis, au moins deux possibilités. La solution la plus simple serait peut-être de constater que la décision du 20 mars 1970 est purement et simplement confirmative d'une décision implicite de rejet d'un recours préalable adressé à l'administration.

Cette décision du 20 mars 1970 rejette en effet une demande du 7 mars 1967.

D'après l'article 91-2 du statut, l'intéressé aurait dû tenir ce recours préalable du 7 mars 1967 comme rejeté le 9 ou le 10 mai 1967 et former son recours contentieux avant le 11 ou le 12 juillet 1967.

Or, ce recours n'a été enregistré que le 6 août 1970, soit presque trois ans plus tard.

Il est vrai que le conseil du requérant vous a demandé de ressusciter à son profit une jurisprudence du Conseil d'État français, abandonnée par ce dernier, et selon laquelle, lorsqu'une décision administrative porte qu'elle a été prise «après nouvel examen» ou «après une nouvelle instruction de l'affaire», cette décision n'aurait point un caractère purement confirmatif des décisions antérieures implicites ou explicites ayant la même portée.

Nous ne saurions trop vous recommander de ne pas suivre ce raisonnement.

En effet, la jurisprudence française invoquée est très largement à l'origine une jurisprudence de guerre par laquelle le Conseil d'État français a voulu éviter à des requérants sous les drapeaux pendant la guerre de 1914-1918 de se voir opposer des forclusions dont il était légalement difficile de les relever.

Il est vrai que le Conseil d'État français a continué à appliquer cette même jurisprudence entre les deux guerres et même pendant quelques années après la Seconde Guerre mondiale.

Mais il en avait restreint considérablement la portée en matière de fonction publique puisque cette jurisprudence bienveillante ne s'appliquait que pour les décisions ne créant pas de droits à d'autres fonctionnaires, ce qui excluait l'essentiel du contentieux de la fonction publique (nominations, promotions et, dans la plupart des cas, révocations ou licenciements).

Le Conseil d'État français a fini d'ailleurs par abandonner cette jurisprudence en constatant que la formule «après nouvel examen» qui figure dans bien des lettres de réponse à des recours adressés par des fonctionnaires n'est le plus souvent qu'une formule de courtoisie et qu'en tout état de cause il était inadmissible de faire dépendre l'application de délais de procédure de la forme et non de la portée d'une correspondance administrative.

C'est donc sans hésitation que nous vous proposerons de considérer, comme vous l'avez jugé déjà par vos arrêts du 14 avril 1970, Nebe contre Commission, Recueil, XVI-1970, p. 152 et du 25 juin 1970, Elz contre Commission, Recueil, idem, p. 511, que la décision explicite attaquée étant purement confirmative d'une décision implicite devenue définitive, le recours contre la décision explicite est tardif.

Mais si vous le désirez vous pourrez également rejeter la requête comme tardive en vous plaçant sur un autre terrain juridique.

En effet, la décision initiale refusant au requérant le droit aux indemnités et prestations qu'il réclame est du 27 juin 1966.

Le requérant soutient que les recours préalables successifs qu'il a adressés à l'administration ont pu conserver à son profit le délai du recours contentieux jusqu'au 6 août 1970.

Une telle thèse ne nous paraît pas pouvoir être admise pour deux raisons:

1. La conservation du délai du recours contentieux par un recours préalable devant l'auteur de l'acte ou, comme le prévoit expressément le statut, devant l'autorité investie du pouvoir de nomination (les deux recours sont de même nature) est en elle-même une notion dérogatoire aux principes généraux de la procédure.

Elle existe, certes, dans le contentieux administratif de certains États membres, mais elle n'est expressément prévue ni par le statut ni par le règlement de procédure.

Votre jurisprudence l'a admise, mais il convient de ne pas lui donner trop d'extension.

2. Dans la mesure où l'on admet que le recours préalable devant l'administration conserve le délai du recours contentieux, il faut admettre, comme toutes les jurisprudences nationales qui se sont engagées dans cette voie, qu'il ne peut le conserver qu'une fois, et une seule fois.

Sans cela, on permettrait à des plaideurs éventuels, par le biais de recours préalables successifs devant l'administration (recours devant l'auteur de l'acte ou recours devant l'autorité investie du pouvoir de nomination), de menacer pendant de longues années la stabilité des situations juridiques que l'institution du délai de recours a précisément pour objet d'établir et de garantir.

Excusez-nous, Messieurs, de la comparaison, mais en matière de délai de procédure le recours préalable devant l'administration (quel qu'en soit le destinataire), c'est un peu comme les allumettes, cela ne peut servir qu'une fois.

Sur ce second terrain, l'irrecevabilité de la requête du sieur Kschwendt est donc également certaine. C'est la raison pour laquelle, sans aucune hésitation, nous concluons

— au rejet de la requête du sieur Kschwendt comme irrecevable,

— et à ce que les dépens soient mis à la charge du requérant dans les conditions prévues à l'article 70 du règlement de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47-70
Date de la décision : 03/02/1971
Type de recours : Recours de fonctionnaires - irrecevable

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Heinrich Kschwendt
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Dutheillet de Lamothe
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:9

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