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13/01/1971 | CJUE | N°39-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Dutheillet de Lamothe présentées le 13 janvier 1971., Norddeutsches Vieh- und Fleischkontor GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-St. Annen., 13/01/1971, 39-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 13 JANVIER 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Comme vous le savez, le règlement communautaire no 805/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine ainsi qu'un certain nombre de règlements pris pour son application, les règlements nos 888 et 1082/68, contiennent certaines dispositions relatives au trafic de perfectionnement des viandes.

Sous certaines conditions que nous vous rappellerons tout à l'he

ure, l'importation de viande bovine congelée destinée à la transformation ouvre droit à une sus...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 13 JANVIER 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Comme vous le savez, le règlement communautaire no 805/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine ainsi qu'un certain nombre de règlements pris pour son application, les règlements nos 888 et 1082/68, contiennent certaines dispositions relatives au trafic de perfectionnement des viandes.

Sous certaines conditions que nous vous rappellerons tout à l'heure, l'importation de viande bovine congelée destinée à la transformation ouvre droit à une suspension totale ou partielle du prélèvement communautaire qui eût été normalement perçu.

Chacune des administrations douanières des États membres est responsable de l'application de cette disposition, d'autant plus que le perfectionnement doit obligatoirement avoir lieu sur le territoire de l'État où l'importation a été effectuée.

Les autorités d'Allemagne fédérale n'ont pas jugé utile de prendre des mesures d'application spéciales pour ces opérations mais, en vertu d'un principe posé par une loi du 25 juin 1962, elles ont purement et simplement appliqué auxdites opérations les dispositions de l'article 55 du Code douanier allemand relatif au régime applicable en cas de transformation de marchandises sous douane.

C'est dans ces conditions que la société Fleischkontor, qui est une société spécialisée dans la fabrication de conserves de viandes, sollicita le 13 septembre 1968 le bénéfice des dispositions communautaires pour une importation de viande de bœuf congelée destinée à la fabrication de conserves.

Cette autorisation lui fut refusée car les administrations douanières allemandes estimèrent que cette société ne remplissait pas l'une des conditions posées par l'article 55 du Code douanier allemand qui exige que le demandeur de l'autorisation soit «digne de confiance» aux yeux de la douane; or, estimèrent les autorités compétentes de Hamburg, tel n'était pas le cas de la demanderesse qui, précédemment, avait fourni à l'administration des douanes, pour une opération déterminée, une facture d'un
montant inférieur à celui résultant de la facture établie par le fournisseur étranger, et qui avait d'ailleurs été sanctionnée pour ce fait par une amende.

Notons immédiatement que tous les soupçons de fraude qu'avaient pu avoir à propos de cette affaire les douanes allemandes se sont révélés sans fondement au cours des procès qui ont suivi, et qu'il fut reconnu de la manière la plus éclatante que Fleischkontor ne s'était rendue coupable d'aucune infraction à la législation fiscale et douanière. Cela a été expressément constaté par un jugement de relaxe en date du 3 novembre 1970 que l'avocat de la requérante au principal vous a remis lors de la
procédure orale.

Mais entre temps la requérante au principal avait bien entendu contesté devant les juridictions fiscales compétentes le refus de l'autorisation d'importation pour transformation qu'elle avait sollicitée.

Saisi de ce litige, le Finanzgericht de Hamburg vous a posé une question que l'on peut ainsi résumer: L'énumération faite par les règlements communautaires des conditions qui doivent être remplies pour qu'un importateur puisse bénéficier de la suspension de prélèvement a-t-elle un caractère limitatif ?

Les administrations nationales peuvent-elles y ajouter d'autres conditions tirées de leur législation nationale et notamment une condition de la nature de celle prévue par l'article 55 du Code douanier allemand qui exige que, selon l'appréciation discrétionnaire de l'administration, l'importateur soit «digne de confiance» ?

A cette question nous vous proposons, Messieurs, de faire une réponse en deux points.

Le premier consistera à préciser dans quelles limites les autorités nationales peuvent, pour éviter les fraudes, compléter par des mesures d'application les dispositions des règlements communautaires ou aux mêmes fins appliquer aux opérations que prévoient ces règlements certaines procédures du droit interne.

Le second point de cette réponse devrait consister, croyons-nous, à constater que dépasse les limites ainsi fixées l'addition aux conditions posées pous la suspension du prélèvement, par les règlements communautaires qu'il vous est demandé d'interpréter, d'une condition tirée de l'appréciation subjective par des administrations nationales de la confiance qu'il y a lieu d'accorder à l'importateur.

I

Sur le premier point, votre jurisprudence a déjà posé un certain nombre de principes, en ce qui concerne la collaboration des autorités nationales à l'application des règlements communautaires et les limites des pouvoirs que les États membres ont à cet égard.

On peut à notre avis brièvement résumer toute cette jurisprudence de la façon suivante :

1. Le droit communautaire doit avoir une force exécutoire égale dans tous les États membres et dans tous ces États membres les dispositions des règlements communautaires doivent être appliquées de manière uniforme.

2. Les États membres ont, en application de l'article 5 du traité, le devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exéuction des obligations résultant des actes des institutions de la Communauté et doivent faciliter à celle-ci l'exécution de sa mission.

3. Il résulte de la combinaison des deux premiers principes ci-dessus résumés que, pour l'application des règles communautaires, les États membres peuvent prendre les mesures d'exécution nécessaires mais dans la limite où celles-ci sont indispensables, où elles n'ont pas pour objet ou pour effet de modifier la portée ou d'ajouter aux dispositions de l'acte communautaire, où enfin elles respectent l'ensemble des dispositions communautaires.

Le problème que soulève la présente affaire est celui de l'application de ces principes à la «surveillance douanière». C'est par son essence un problème difficile parce qu'à l'heure actuelle il implique une conciliation délicate entre les principes ci-dessus rappelés et la nécessité d'une lutte efficace contre la fraude. Cette lutte contre la fraude doit, à notre avis, être une préoccupation constante et dominante, aussi bien pour les États membres que pour les autorités communautaires.

Il est certain en effet que, comme il fallait s'y attendre, la mise en place du marché commun a suscité beaucoup d'espoirs chez les individus peu scrupuleux et leur a fourni, il faut bien le dire, certaines occasions de réaliser illégalement des profits considérables au détriment de toute la Communauté.

Il y a là un danger sérieux auquel il faut parer rapidement car il pourrait à long terme menacer tout l'ensemble de la construction européenne, comme le montre bien l'exploitation qui fut faite de certains scandales récents par ceux qui n'admettent encore qu'avec réticence les convictions et les espoirs qui sont les nôtres.

Cette nécessité de lutter par les moyens les plus efficaces contre la fraude, vous l'avez encore soulignée récemment par votre arrêt Craeynest du 22 octobre 1970.

Nous pensons donc que les exigences d'une prévention et d'une lutte contre la fraude justifient une collaboration des États membres pour l'application des règlements communautaires plus étendue peut-être que ne le permet, dans d'autres domaines, par exemple dans le domaine tarifaire, une stricte application des principes ci-dessus rappelés et déjà dégagés par votre jurisprudence.

Non seulement à notre avis les États membres peuvent, à cet égard, prendre toutes les mesures d'application nécessaires pour prévoir ou réprimer l'utilisation frauduleuse par des particuliers des possibilités que leur offre la réglementation communautaire (par exemple, l'instauration de formalités destinées à permettre ou à faciliter aux autorités douanières leur contrôle), mais il faut même, croyons-nous, aller plus loin.

Nous pensons en effet que, dans certains cas, les autorités nationales peuvent prendre soit directement soit par référence à des dispositions existantes de la législation nationale certaines mesures d'aménagement des règlements communautaires lorsqu'il existe dans ces règlements une brèche dans laquelle la fraude pourrait s'engouffrer et dans la stricte mesure où les dispositions ainsi prises ou appliquées n'ont pour seul objet et pour seul effet que de colmater cette brèche.

Pour nous résumer sur ce point, nous pensons que si dans l'intérêt de la lutte contre la fraude les États membres disposent pour l'application des règlements communautaires de pouvoirs plus larges que dans d'autres domaines, ces pouvoirs comportent au moins trois limitations :

1) Ils ne peuvent s'exercer que lorsqu'il existe dans le règlement communautaire une lacune grave de nature à ouvrir un risque de fraude ;

2) Les mesures prises pour combler cette lacune ne peuvent dépasser ce but ni dans leur objet ni dans leur effet ;

3) Ces mesures ne doivent pas être contraires aux principes généraux du droit communautaire ou aux règles formelles de celui-ci.

Or, et c'est là le second point de la réponse que nous vous proposerons de faire au Finanzgericht, l'interprétation des règlements communautaires nos 805, 888 et 1082/68 devrait vous amener, croyons-nous, à juger que la mesure à propos de laquelle cette interprétation vous est demandée, c'est-à-dire l'application de l'article 55 du Code des douanes allemand, ne remplit aucune des trois conditions ci-dessus mentionnées.

II

Nous pensons en effet, nous allons tenter de vous en convaincre,

a) qu'il n'existe dans les règlements communautaires aucune lacune importante de nature à ouvrir un risque de fraude ;

b) qu en admettant même que ces règlements ne soient ni complets ni parfaits en ce qui concerne la surveillance douanière, l'adjonction aux conditions qu'ils prévoient d'une condition supplémentaire et préalable relevant d'une appréciation subjective portée par une administration nationale sur l'importateur dépasse par son objet et ses effets le pouvoir qu'ont les autorités nationales de compléter le règlement communautaire ;

c) qu'enfin cette condition supplémentaire est contraire tant aux principes généraux du droit communautaire qu'aux règles formelles posées par celui-ci.

Revenons sur chacun de ces aspects de la question.

A — Les règlements communautaires nos 805, 888 et 1082/68 contiennent plusieurs dispositions destinées à éviter ou à réprimer les fraudes :

1) La transformation doit avoir lieu dans le pays d'importation, ce qui fait que tout l'ensemble de l'opération est placé sous la surveillance d'une même administration douanière.

2) L'importateur doit s'engager à transformer la viande de la manière prévue.

3) L'importateur dépose une caution: en cas de non-réalisation de la transformation, non seulement cette caution est perdue, mais encore il peut être réclamé à l'importateur une somme supplémentaire, cette dernière disposition ayant pour objet d'éviter tout bénéfice spéculatif pouvant résulter d'une variation des taux de prélèvement.

4) Enfin, et cela est important, c'est à l'importateur de faire la preuve que la viande importée a bien été transformée dans un délai de six mois à compter de l'importation.

Y a-t-il dans ces dispositions une lacune importante de nature à ouvrir un risque de fraude ?

Il ne le semble pas.

Le risque de fraude peut en effet procéder en l'espèce de la tentation qu'aurait l'importateur de revendre à la consommation la viande importée en franchise de prélèvement. Or, le règlement communautaire a justement pour objet et pour effet de supprimer cette tentation puisqu'en pareil cas :

Si l'importateur n'apporte pas la preuve que la viande importée a été transformée dans les six mois

— d'une part, il perd sa caution qui est égale au montant du prélèvement,

— d'autre part, il est tenu s'il y a lieu d'acquitter une somme supplémentaire correspondant aux variations éventuelles du prélèvement pendant les six mois.

Les conditions générales ainsi posées paraissent donc suffisantes pour décourager les fraudeurs et permettre en cas de besoin qu'ils soient sanctionnés.

C'est ce que conteste cependant le gouvernement allemand qui a fait développer devant vous une thèse qui mérite un examen attentif :

Elle consiste, si nous l'avons bien comprise, à soutenir que si les dispositions communautaires sont probablement suffisantes pour éviter la fraude dans cinq des pays du marché commun, elles ne le sont pas en Allemagne fédérale, à cause de certaines particularités du droit douanier allemand.

Ce droit, vous a-t-on dit, présente par rapport aux droits des autres États membres cette particularité qu'en cas d'irrégularité ou de fraude c'est à l'administration douanière qu'incombe la charge de la preuve.

C'est, vous a-t-on exposé, de ce principe que dérivent tous les traits généraux du système de contrôle et de surveillance allemand. C'est lui qui explique et justifie les dispositions de l'article 55 du Code douanier car, pour des opérations présentant de grands risques de fraude, comme la transformation de marchandises sous douane, la tâche de la douane allemande deviendrait impossible si le renversement de la charge de la preuve qui lui est imposé n'était pas combiné avec la possibilité pour
elle de n'autoriser l'opération que si l'importateur lui paraît «digne de confiance».

Cette argumentation, quand nous l'avions lue et quand elle avait été développée oralement devant vous, nous avait parue fort solide et difficile à réfuter.

Mais un examen des textes nous conduit au contraire à penser aujord'hui qu'elle se retourne contre la thèse à l'appui de laquelle elle a été avancée.

En effet, le règlement communautaire prévoit expressément que c'est à l'importateur de faire la preuve que la viande importée a été transformée. Il s'ensuit qu'en tout cas pour l'application de ce règlement la preuve n'est pas, même en Allemagne, à la charge de la douane mais à celle de l'importateur.

Dès lors, si la principale justification de la condition de confiance prévue par l'article 55 du Code douanier allemand est le régime de preuve généralement applicable en matière de douane, cette justification disparaît pour les opérations visées par le règlement communautaire puisque pour ces opérations ce n'est justement pas le régime général allemand des preuves qui sera applicable mais le règime spécial et contraire instauré par le règlement communautaire.

A ce régime de preuve instauré par les règlements communautaires correspond d'ailleurs l'indication des modalités de principe d'un régime de contrôle fort différent de celui envisagé par les autorités douanières allemandes.

L'article 1, paragraphe 4, du règlement no 888/68 prévoit en effet que la preuve que doit apporter l'importateur «ne peut être considérée comme fournie que lorsque les quantités de conserves, fabriquées à partir de viande congelée importée sous le régime de suspension totale du prélèvement, correspondent au moins à la quantité de cette viande. Cette correspondance est établie à l'aide de coefficients qui expriment la teneur en viande de chacun des différents types de conserves en cause».

Cet article — et surtout sa dernière phrase — implique necessairement que l'administration douanière allemande devra pour l'application du règlement communautaire surmonter sa répugnance traditionnelle pour les contrôles physiques.

Pour nous résumer, nous ne pensons pas que le gouvernement de la République fédérale soit fondé à soutenir que parce que les règlements communautaires en cause comportent un régime de preuve et un système de contrôle différents de ceux résultant pour des opérations de même type du Code douanier allemand, ces règlements présentent de ce fait une lacune grave qu'il convient de combler pour éviter de graves risques de fraudes.

B — S'ensuit-il que le règlement communautaire soit complet et «parfait» ? Il serait exagéré de l'affirmer, et il est évident qu'au moins sur certains points, comme par exemple sur celui des formalités à remplir par l'importateur pour bénéficier de l'exemption du prélèvement communautaire, il doit être complété.

De même, bien que la question soit plus contestable, l'exlusion du bénéfice de ses dispositions de ceux qui ont déjà été condamnés par les juridictions compétentes pour infraction aux règles sur le trafic de perfectionnement, exclusion que prévoient certaines législations nationales, pourrait, croyons-nous, se justifier par cet impératif de lutte contre la fraude sur lequel nous insistions tout à l'heure et par une interprétation téléologique du règlement communautaire.

Mais l'application aux opérations visées par les règlements communautaires de l'article 55 du Code des douanes allemand a des effets bien différents.

1. Au lieu de se borner à assurer une application correcte et raisonnable des règlements communautaires, il en restreint le champ d'application dans un État membre.

Alors que dans les cinq autres États membres l'importateur (en tout cas celui dont le casier judiciaire est vierge) peut obtenir le bénéfice de la suspension du prélèvement communautaire, s'il souscrit les engagements demandés et verse la caution, en Allemagne il doit en plus remplir une condition supplémentaire: jouir de la confiance des administrations douanières allemandes.

La présente affaire permet de constater combien cette condition restreint le champ d'application des règlements communautaires.

Nous vous avons dit tout à l'heure que la firme Fleischkontor avait été lavée de tout soupçon de fraude. Or, cette décision de justice n'empêcherait, semble-t-il, nullement la douane allemande de continuer à la considérer comme n'étant pas «digne de confiance» puisque, au cours de la procédure, les autorités allemandes compétentes ont soutenu que même s'il s'agissait d'un malentendu dû à la mauvaise présentation par une secrétaire ou un employé subalterne d'une facture pourtant sincère, cette
circonstance suffisait à permettre de penser que la firme n'était pas digne de confiance.

2. Il est évident que l'application de l'article 55 du Code douanier allemand aux opérations visées par les règlements communautaires aboutit à des résultats contraires aux buts poursuivis par les auteurs de ces règlements.

Ceux-ci ont en effet voulu que la garantie de bonne fin de l'opération résulte, et résulte uniquement, d'un système de caution.

Or, d'après les explications qui nous ont été données, la douane allemande classe en quelque sorte les importateurs du point de vue de la confiance qu'elle entend leur accorder en trois catégories :

L'une de ces catégories est celle à laquelle appartiennent ceux qu'on pourrait appeler «les justes», c'est-à-dire les importateurs auxquels la douane en règle générale accorde sans formalités ni sûretés particulières les autorisations demandées.

A l'autre extrémité se trouve la catégorie de ceux que l'on pourrait appeler «les méchants» et qui se voient immédiatement refuser les autorisations demandées, n'ayant plus d'autre ressource que l'espoir très faible, nous vous dirons pourquoi tout à l'heure, de voir quelques années plus tard un juge leur donner raison.

Mais entre ces deux catégories il existe une catégorie intermédiaire, celle à laquelle appartiennent ceux qu'on pourrait appeler «les douteux» auxquels l'administration, hésitant sur le degré de confiance qui doit leur être accordé, délivre l'autorisation demandée mais subordonne cette délivrance au dépôt d'une caution.

On voit combien tout ce système est difficilement conciliable avec celui prévu par le règlement communautaire. Pour ceux que nous appelions «les justes», ils sont tenus de fournir caution, en application des dispositions commu nautaires, alors qu'ils en auraient été dispensés au titre de la législation allemande, mais cela est sans conséquence grave.

Au contraire, pour ceux que nous appelions «les douteux», ils seraient tenus de fournir deux cautions pour garantir la même obligation de transformer: une première caution, comme tous les importateurs, en application du règlement communautaire, une seconde caution parce que l'administration allemande ne serait pas sûre de la confiance qu'il y aurait lieu de leur accorder.

Ces exemples montrent combien tant par son objet que par ses effets l'application de l'article 55 du Code douanier allemand aux opérations visées par les règlements communautaires dépasse ce qui est nécessaire pour assurer la correcte exécution de ces règlements et arrive presque à les dénaturer.

Enfin, pour terminer, il y a lieu de remarquer que les dispositions du droit interne qu'on veut appliquer ici paraissent contraires aux principes fondamentaux du droit communautaire.

Les dispositions de l'article 55 actuel du Code douanier allemand dérivent, vous a-t-on dit, d'une loi de 1939 qui donnait au ministre des finances du Reich le pouvoir d'autoriser les douanes allemandes à ne délivrer les autorisations nécessaires à des trafics de perfectionnement qu'aux importateurs que ces administrations jugeaient «dignes de confiance».

Il s'agissait donc dans ce texte d'une disposition se rattachant aux exigences d'une économie d'autarcie dont la transformation en économie de guerre était déjà plus que commencée.

On aurait pu penser qu'elle disparaîtrait avec l'instauration du marché commun.

Non seulement il n'en fut rien mais les tribunaux allemands ayant tenté de contrôler l'exercice par l'administration de cette prérogative tout à fait extraordinaire, un texte législatif vint préciser que l'administration exerçait en ce domaine un pouvoir discrétionnaire (Ermessensbegriff).

Comme le souligne le Finanzgericht dans son ordonnance de renvoi, cette précision, apportée par une loi de 1961, réduit à très peu de choses les possibilités de contrôle des juridictions qui avaient cherché à l'exercer jusque là dans le cadre des pouvoirs que le droit public allemand leur reconnaît en ce qui concerne les notions juridiques indéterminées (unbestimmter Rechtsbegriff).

L'agent du gouvernement allemand est un spécialiste trop averti du droit communautaire pour n'avoir pas vu combien tout ce système était peu conforme aux principes généraux de ce droit.

Aussi a-t-il opéré à la barre une sorte de retraite stratégique qui a consisté à vous dire : «n'interprétez pas les règlements communautaires de telle sorte que l'exigence de confiance posée par l'article 55 du Code douanier allemand soit condamnée par votre interprétation; bornez-vous à constater que l'entrée en vigueur du marché commun a eu pour effet de rendre caduque la disposition de cet article 55 qui prévoit que l'appréciation de l'administration en cette matière est discrétionnaire».

Mais, Messieurs, ce caractère discrétionnaire n'est à notre avis qu'un des éléments de l'incompatibilité qu'il y a entre les principes du droit communautaire et les dispositions de l'article 55 du Code douanier allemand.

La vraie raison de cette incompatibilité réside dans le fait que, par le jeu de cette disposition, l'application d'un règlement communautaire dépend non pas de conditions objectives mais d'une appréciation subjective portée par une administration nationale.

Or, le principe d'une telle appréciation subjective se heurte à plusieurs des règles fondamentales du droit communautaire.

Il se heurte d'une part à la règle maintes fois rappelée par votre jurisprudence à laquelle nous faisions tout à l'heure allusion et selon laquelle le droit communautaire doit avoir une force exécutoire égale dans tous les États membres et les règlements communautaires doivent être appliqués de façon uniforme dans tous ces États (voir par exemple vos arrêts Costa du 15 juillet 1964, Salgoil du 19 décembre 1968, Böllmann du 18 février 1970, Krohn du 18 juin 1970 ou, plus récemment encore, Bakels
du 8 décembre dernier).

Il se heurte ensuite à la règle qui interdit aux États membres de restreindre, par exemple par l'introduction d'une condition qui dépend de l'appréciation subjective d'une administration nationale, les droits que font naître dans le chef des particuliers les dispositions des règlements communautaires qui, comme ceux sur le trafic de perfectionnement, ont un effet direct, règle que rappelle d'ailleurs expressément le dernier alinéa de l'article 20 de ce règlement no 805/68 dont l'interprétation
vous est demandée.

Ajoutons enfin que même si l'on fait comme nous aux douanes allemandes toute la confiance qu'elles méritent, on ne peut s'empêcher de penser qu'une appréciation aussi subjective que celle portée par une administration sur la confiance qu'il y a lieu d'accorder à un importateur contient certainement par elle-même et, malgré tous les efforts d'objectivité des hommes qui ont à l'accomplir, un germe de discrimination.

En effet, si la transformation des viandes doit se faire dans le pays où a eu lieu l'importation, l'importateur qui s'y livre n'est pas nécessairement un importateur national mais peut aussi bien être un étranger.

Or, il est bien évident qu une administration douanière, si impartiale qu'elle puisse être, aura naturellement tendance à reconnaître plus facilement comme dignes de confiance des importateurs nationaux qu'elle connaît que des importateurs étrangers dont elle ignore tout ou presque tout.

Pour ces différentes raisons, nous concluons donc à ce que vous disiez pour droit que si les États membres, responsables à l'égard de la Communauté de la perception du prélèvement communautaire, peuvent éventuellement prendre les mesures d'application nécessaires pour éviter toute fraude aux dispositions des règlements nos 805, 888 et 1082/68, relatives à la suspension totale dans certains cas du prélèvement à l'importation sur les viandes bovines congelées destinées à la transformation sous douane,
les conditions posées par ces règlements pour l'octroi de cette suspension ne peuvent être complétées par une condition supplémentaire tirée d'une appréciation subjective par une administration nationale de la confiance qu'il y a lieu d'accorder à l'importateur.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 39-70
Date de la décision : 13/01/1971
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne.

Agriculture et Pêche

Viande bovine


Parties
Demandeurs : Norddeutsches Vieh- und Fleischkontor GmbH
Défendeurs : Hauptzollamt Hamburg-St. Annen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Dutheillet de Lamothe
Rapporteur ?: Trabucchi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:2

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