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17/09/1970 | CJUE | N°12-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Gand présentées le 17 septembre 1970., Paul Craeynest et Michel Vandewalle contre État belge., 17/09/1970, 12-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,

PRÉSENTÉES LE 17 SEPTEMBRE 1970

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'instance préjudicielle sur laquelle nous avons à conclure a été introduite par une demande de la Cour de cassation de Belgique. MM. Craeynest et Vandewalle, reconnus coupables de complicité d'importation frauduleuse de 12000 kg de beurre des Pays-Bas, ont été condamnés par les juridictions pénales belges à payer à l'État, partie civile, une somme de 973560 francs au titre du montant des prélèvements éludés.

Ce chiffre correspondait au taux prévu pour les importations en provenance des pays tiers.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,

PRÉSENTÉES LE 17 SEPTEMBRE 1970

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L'instance préjudicielle sur laquelle nous avons à conclure a été introduite par une demande de la Cour de cassation de Belgique. MM. Craeynest et Vandewalle, reconnus coupables de complicité d'importation frauduleuse de 12000 kg de beurre des Pays-Bas, ont été condamnés par les juridictions pénales belges à payer à l'État, partie civile, une somme de 973560 francs au titre du montant des prélèvements éludés. Ce chiffre correspondait au taux prévu pour les importations en provenance des pays tiers.

Bien que le juge du fait ait considéré comme établi que le beurre provenait des Pays-Bas, il a relevé que l'importation n'avait pas été effectuée sous le couvert d'un certificat DD4, titre de circulation institué par la décision de la Commission du 17 juillet 1962 pour l'admission au bénéfice du régime des prélèvements intracommunautaires, lequel est, on le sait, plus favorable. Devant la Cour de cassation, MM. Craeynest et Vandewalle ont soutenu que, dès lors qu'il était constaté que le produit
provenait des Pays-Bas, aucune disposition ne permettait de lui appliquer le prélèvement «pays tiers». C'est dans ces conditions que la Cour de cassation vous interroge sur la portée, tant du règlement 13/64 du Conseil du 5 février 1964 portant établissement graduel d'une organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, que des articles 1 et 2 de la décision du 17 juillet 1962 de la Commission instituant le certificat DD4. De la combinaison de ces textes faut-il
déduire qu'en l'absence de ce certificat l'importateur ne peut en aucun cas bénéficier de l'application du régime des prélèvements intracommunautaires, et du taux réduit? Plus précisément, qu'en est-il dans l'hypothèse d'importation frauduleuse de produits laitiers en provenance des pays de la Communauté ?

1.  Si cette question n'appelle pas de longs développements, la réponse à lui donner n'est pas évidente. Il faut, pour en décider, rappeler les grandes lignes de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait, telle qu'elle a été instituée par le règlement 13/64, et la place qu'y tient le certificat DD4.

De même que pour l'ensemble des marchandises, la réalisation du marché commun doit aboutir à la libre circulation, à l'intérieur de la Communauté, des produits agricoles qui sont originaires des États membres ou qui s'y trouvent en libre pratique. Mais cette réalisation, qui ne peut être que progressive, se fait pour les produits dont le marché est organisé selon des modalités propres, ainsi que le permettent les articles 39 et suivants du traité. D'une façon générale, l'organisation de marché
est une réglementation de prix qui comporte, en faveur des producteurs communautaires, la fixation d'un prix («prix indicatif» ou «prix de référence») que l'on cherche à garantir contre les importations à des prix inférieurs en amenant les prix des produits importés au niveau des prix fixés. Le mécanisme employé à cet effet est le prélèvement.

Celui-ci trappe les produits importés des États tiers, mais aussi, dans une certaine mesure et temporairement, les échanges intracommunautaires. En effet, sous le régime du règlement 13/64, et jusqu'à l'intervention du règlement 804/68 du 27 juin 1968, chaque État membre, à l'intérieur des limites fixées par la Communauté, détermine pour les principaux produits laitiers ses propres prix de référence, qui peuvent donc varier suivant les États. Afin de protéger le prix plus élevé que fixe un État
membre contre des importations en provenance d'un autre État membre où le niveau de prix est inférieur, on fait intervenir ici encore le prélèvement; mais le montant de celui-ci est calculé de façon à accorder une préférence commerciale aux produits communautaires et se trouve ainsi inférieur au prélèvement «États tiers».

Sans doute ce système est-il provisoire, et les prélèvements intracommunautaires étaient appelés à disparaître progressivement. Toutefois, ils étaient le moyen nécessaire pour éviter la perturbation qu'aurait entraînée dans l'économie de la Communauté tout entière la suppression brutale et totale des entraves aux échanges. Contrairement à ce qu'ont soutenu MM. Craeynest et Vandewalle dans leurs observations écrites devant vous, on ne peut admettre qu'éluder les prélèvements constitue un acte
contraire aux seuls intérêts du pays dans lequel l'importation est effectuée. Il n'appartient pas aux opérateurs économiques d'anticiper sur les solutions que les instances communautaires ne jugent opportunes qu'à un terme plus ou moins éloigné.

La Commission souligne que ce mécanisme des prélèvements, les États membres l'appliquent dans une large mesure selon les modalités de leur réglementation interne. En effet, l'article 27 du traité ne les oblige d'une façon générale qu'à rapprocher, en tant que de besoin, leurs dispositions législatives ou réglementaires en matière douanière, et il en a été ainsi jusqu'à l'intervention du règlement 542/69 du Conseil du 18 mars 1969, fondé sur l'article 235 du traité; c'est donc la réglementation
interne qui définissait en principe les modalités pratiques d'application du régime préférentiel commun. Plus particulièrement, pour les produits agricoles faisant l'objet d'organisations communes de marchés, la création de mécanismes et de procédures communautaires n'a pas empêché les échanges les concernant de se faire selon les mêmes procédures douanières que les autres marchandises.

Mais — c'est le second aspect de la question — puisqu'il existe un régime préférentiel communautaire dont le bénéfice peut être revendiqué comme un droit pour les produits qui remplissent les conditions prévues à l'article 9, paragraphe 2, du traité, il se pose aussitôt un problème de preuve lorsqu'il s'agit d'établir que ces conditions sont effectivement remplies. L'article 10, paragraphe 2, du traité a entendu parer aux difficultés auxquelles pouvait se heurter l'application de ce régime du
fait de réglementations douanières nationales, volontiers particularistes et formalistes, sinon tatillonnes; à cette préoccupation a correspondu la création par les décisions de la Commission des 4 décembre 1958 et 5 décembre 1960 des certificats DD1 et DD3, par la décision du 17 juillet 1962 du certificat DD4.

Ce dernier — le seul qui nous occupe — adapte aux particularités des échanges de produits agricoles soumis à une organisation des marchés le système du certificat DD1. Il constitue un «titre justificatif» pour l'admission au régime des prélèvements intracommunautaires; il est délivré, à la demande de l'exportateur, par les autorités douanières de l'État membre d'exportation, et visé par ces autorités lors de l'exportation des produits agricoles auxquels il se rapporte. L'article 3 de la décision
précise que ce visa ne peut être apposé que dans les cas où le certificat est susceptible de constituer le titre justificatif prévu à l'article 1. Le document, tenu à la disposition de l'exportateur dès que l'exportation réelle a été effectuée, est présenté aux autorités douanières de l'État membre d'importation selon les modalités prévues par la réglementation de cet Etat. Ces mêmes autorités, d'après l'article 6, peuvent en outre exiger que la déclaration d'importation soit complétée par une
mention de l'importateur attestant que les marchandises remplissent les conditions requises pour l'application du prélèvement intracommunautaire.

2.  Après ce rappel du régime institué tant par le règlement 13/64 que par la décision du 17 juillet 1962, quelle réponse convient-il de donner à la question dont vous saisit la Cour de cassation de Belgique?

— Telle qu'elle est libellée, elle porte en réalité sur le point de savoir si cette décision impose aux États membres de refuser le bénéfice du taux réduit prévu pour le prélèvement intracommunautaire lorsqu'il n'est pas établi, au moyen du certificat DD4, que les produits concernés remplissent les conditions requises pour bénéficier du régime préférentiel.

Il n'y a pas, semble-t-il, grande difficulté à répondre par la négative.

Tout d'abord, l'article 10, paragraphe 2, du traité, sur lequel est fondée la décision oui institue le certificat, n'envisage pas l'institution d'un régime communautaire exhaustif se substituant à la réglementation interne, mais une coopération administrative entre États membres, et le titre justificatif nouveau est destiné à être intégré dans les pratiques douanières des administrations nationales. Ainsi que nous l'avons dit, il est produit dans l'État d'importation «selon les modalités
prévues par la réglementation de cet État membre».

D'autre part, à la différence de ce qui est prévu par le règlement 542/69, aucune disposition de la décision n'impose expressément aux États membres d'adopter le certificat DD4 comme seul moyen de preuve ou ne leur interdit d'admettre une autre forme de preuve. Aucune disposition ne conduit non plus à adopter une interprétation aussi rigide.

Ainsi ne sommes-nous pas convaincu par l'argumentation contenue dans les observations écrites du gouvernement belge. Pour celui-ci, l'absence de certificat ferait supposer que les conditions requises pour qu'il puisse être délivré ne sont pas remplies et qu'en conséquence les marchandises en cause ne se trouvent pas en libre pratique. C'est une supposition qui sans doute est fondée, mais encore faudrait-il que la décision du 17 juillet 1962 oblige les États membres à la considérer comme
correspondant nécessairement à la réalité, et c'est ce que ce texte ne nous paraît pas impliquer.

— Il faut cependant aller plus loin et se demander si la décision interdit aux États membres de considérer le certificat DD4 comme seule preuve possible de l'applicabilité du statut communautaire, ce qui se justifierait notamment par le fait que le respect par les opérateurs économiques de la formalité que constitue la production de ce titre justificatif dépend, dans une large mesure, des conséquences qu'entraîne l'absence de ce titre. On doit constater ici que la décision n'interdit pas aux
États membres d'adopter une telle position. Mais, pour qu'elle puisse être raisonnablement prise, encore faut-il que l'opérateur ait la faculté de se faire délivrer et d'utiliser un certificat en toutes circonstances; c'est ce que prévoit l'article 3 de la décision de 1962, qui dispose que ce document peut être visé après l'exportation des marchandises au cas où il ne serait pas produit lors de l'exportation par suite d'une erreur ou d'une omission involontaire, et doit alors être présenté
dans un mois à compter de ce visa au bureau de douane de l'État membre d'importation.

Reste le cas, qui est celui visé par la Cour de cassation, où le certificat n'a pas été produit par suite d'une omission volontaire, c'est-à-dire le cas de l'importation frauduleuse. Il n'y a, pensons-nous, aucune raison de permettre au fraudeur, qui s'est mis de son plein gré dans une situation l'empêchant d'utiliser le titre de circulation, de prouver par d'autres moyens que les produits importés remplissent les conditions pour bénéficier du régime des prélèvements intracommunautaires. Au
surplus, si l'État, en conférant au certificat DD4 le caractère d'un moyen de preuve exclusif, refuse au fraudeur la faculté de prouver par d'autres moyens que les marchandises importées sont des produits communautaires, c'est avant tout le fraudeur lui-même qui a volontairement abandonné les moyens qui lui étaient offerts pour faire valoir ses droits. Avec la Commission, nous pensons donc que, si la décision du 17 juillet 1962 n'oblige pas les États membres à refuser le régime préférentiel
lorsque la preuve du «statut communautaire» des produits n'est pas apportée à l'aide du certificat DD4, elle ne le leur interdit pas non plus.

On dira peut-être que, si les États membres ont le droit et même le devoir de prendre les mesures nécessaires pour empêcher les opérations frauduleuses, ils ne doivent agir que dans le cadre et sur la base de leur législation propre, et qu'appliquer le régime «pays tiers» à des importations dont il est établi qu'elles sont en provenance d'un État membre constitue une sorte de détournement de procédure. L'argument ne nous paraît pas déterminant, compte tenu de l'imbrication étroite dans ce
domaine des dispositions communautaires et de la réglementation douanière nationale.

Dernière remarque: vous vous souvenez qu'à l'audience l'avocat des demandeurs en cassation s'est déclaré d'accord sur la thèse soutenue par la Commission et avec la rédaction proposée par cette dernière sous réserve de certaines adjonctions. Il souhaitait voir préciser que la faculté de percevoir, en cas de fraude, le prélèvement d'après les taux applicables aux importations en provenance des États tiers devait être décidée par les autorités compétentes des États membres. Nous ne croyons pas
nous tromper en pensant que cette formule est destinée à préparer et à appuyer une argumentation qui, devant la Cour de cassation, ne se fonderait plus sur le droit communautaire, mais sur le droit belge; aussi serait-ce déborder de votre compétence que d'entrer dans la voie qu'on vous suggère.

Nous concluons en définitive à ce qu'il soit répondu à la juridiction qui vous a saisis que le règlement 13/64 du Conseil du 5 février 1964 et la décision du 17 juillet 1962 de la Commission doivent être interprétés en ce sens que les États membres n'ont pas l'obligation, mais ont la faculté de refuser le bénéfice du régime des prélèvements intracommunautaires en l'absence du certificat DD4, et peuvent donc, en cas d'importation frauduleuse, même s'il est matériellement possible d'établir par
d'autres modes de preuve que les produits importés en provenance d'un État membre remplissent les conditions de ce régime, établir le montant des prélèvements éludés sur la base des taux applicables aux importations des États tiers.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12-70
Date de la décision : 17/09/1970
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique.

Agriculture et Pêche

Produits laitiers


Parties
Demandeurs : Paul Craeynest et Michel Vandewalle
Défendeurs : État belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Gand
Rapporteur ?: Strauss

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:77

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