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07/07/1970 | CJUE | N°6-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Gand présentées le 7 juillet 1970., Gilberto Borromeo Arese et autres contre Commission des Communautés européennes., 07/07/1970, 6-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,

PRÉSENTÉES LE 7 JUILLET 1970

Messieurs les Juges,

Messieurs les Juges

Vous avez à vous prononcer, conformément à l'article 91 du règlement de procédure, sur l'exception d'irrecevabilité opposée par la Commission des Communautés européennes au recours dont vous ont saisis les consorts Borromeo, propriétaires en Italie de fonds ruraux qu'ils donnent en location.

A la suite de l'adoption par le Sénat de la République italienne d'un projet de loi sur le mode de fixation des loyers de

s terrains agricoles, qui leur a paru à la fois menacer leurs intérêts de propriétaires et fair...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,

PRÉSENTÉES LE 7 JUILLET 1970

Messieurs les Juges,

Messieurs les Juges

Vous avez à vous prononcer, conformément à l'article 91 du règlement de procédure, sur l'exception d'irrecevabilité opposée par la Commission des Communautés européennes au recours dont vous ont saisis les consorts Borromeo, propriétaires en Italie de fonds ruraux qu'ils donnent en location.

A la suite de l'adoption par le Sénat de la République italienne d'un projet de loi sur le mode de fixation des loyers des terrains agricoles, qui leur a paru à la fois menacer leurs intérêts de propriétaires et faire naître un conflit entre le droit national et les règles communautaires, les requérants se sont adressés le 5 novembre 1969 à la Commission sur la base de l'article 175 du traité CEE. Il était demandé à cette institution, par l'intermédiaire de leur conseil :

— d'intervenir auprès de l'État italien pour qu'il applique les articles 101 et 102 du traité relatifs au rapprochement des législations;

— de présenter au Conseil un projet de directive en vue de réglementer de manière homogène les contrats de location des fonds ruraux dans les États membres;

— d'adopter à regard des requérants une décision qui fixe les termes et les modalités à suivre concrètement dans la passation des contrats de location de leurs fonds agricoles au moment où le projet en cours de discussion serait devenu loi de la République italienne.

Par une lettre du 22 décembre 1969, signée du directeur général du marché intérieur et du rapprochement des législations, et reprenant les termes de ces demandes, il fut répondu que les services de la Commission étudiaient le contenu du projet de loi en question. Il était ajouté que cette information était fournie sans la reconnaissance d'une obligation juridique quelconque, et que, d'après l'alinéa 3 de l'article 175 du traité, la possibilité de former un recours sur les demandes présentées restait
exclue.

1.  Ce recours ne vous a pas moins été adressé par les consorts Borromeo, et la première question est de savoir quelle est exactement la portée des conclusions dont vous êtes saisis.

Les requérants n'ignorent pas qu'ils ne peuvent agir devant vous pour reprocher à la Commission de s'être abstenue de faire respecter le traité par un État membre. Aussi leur recours en carence n'est-il pas dirigé contre les deux premiers chefs de demande contenus dans leur lettre du 5 novembre 1969, du moins pas directement. D'après les termes mêmes de leurs conclusions initiales, ils demandaient simplement qu'après avoir constaté la violation par l'Italie des règles contenues dans les
articles 101 et 102 du traité CEE et dans la décision du Conseil de la CEE du 4 décembre 1962 en ce qui concerne la procédure d'élaboration de la loi nationale, et des articles 3, d, 31, alinéa 1, 40, paragraphe 2, 44, 46, 92 du traité CEE en ce qui concerne le contenu de ladite loi (qui n'est encore qu'un projet de loi), vous déclariez qu'en s'abstenant de prendre à leur égard la décision sollicitée, la Commission a violé l'article 155, alinéa 3, du traité. Cette constatation préalable ou
incidente se justifiait, disaient-ils, par le fait que leur demande présupposait la preuve d'un conflit entre les dispositions de la loi nationale et celles du droit communautaire.

La Commission n'a pas manqué de leur opposer que la constatation de la violation par un État de ses obligations au regard du traité ne pouvait s'effectuer qu'à l'initiative de cette Institution ou d'un autre État membre. Leur demande n'était donc pas recevable, fût-elle présentée de façon incidente et par le biais d'un recours en carence. Aussi, dans leurs observations ultérieures, les requérants l'ont-ils abandonnée, au moins dans l'hypothèse où vous regarderiez cette constatation comme inutile
et de nature à rendre leur recours irrecevable. Si nous avons bien compris les observations de leur conseil lors de la procédure orale, ils y renoncent de façon formelle et sans réserve. Après cet abandon d'une partie des conclusions, auquel ne s'oppose aucune règle de procédure, vous n'avez à vous prononcer que sur la carence reprochée à la Commission pour avoir omis de prendre une décision à l'égard des requérants.

2.  La défenderesse oppose d'abord à ceux-ci qu'il n'y a pas carence au sens de l'article 175 du traité, car elle aurait «pris position» avant l'expiration du délai de deux mois. En effet — ici nous la citons — «la lettre du 22 décembre 1969 et, en particulier, l'exclusion de toute possibilité d'introduire un recours en carence ayant pour objet la demande présentée, constituait une réponse impliquant un refus d'agir au sens demandé et comporte une prise de position excluant le recours en carence».

Nous avons à ce sujet les doutes les plus sérieux. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, la lettre à laquelle se réfère la Commission se borne à informer les requérants que le projet de loi est à l'étude dans ses services; c'est donc, sous ce rapport, une réponse d'attente qui ne comporte aucune prise de position. Sur le point précis de la décision à adresser aux requérants, il n'y a aucune réponse d'aucune sorte: la Commission ne dit pas qu'elle adressera cette décision après examen, ou
qu'elle se refuse à l'adresser. Quant à l'indication que la possibilité de former un recours sur les demandes présentées est exclue, elle n'est que l'énoncé d'une thèse sur la recevabilité d'un recours éventuel ultérieur, mais non une prise de position en réponse à la demande (celle-ci sollicitait une décision à adresser aux requérants et non la reconnaissance du droit de ceux-ci d'agir en justice). On notera d'ailleurs que, d'après la défenderesse, la formule employée dans la lettre litigieuse
impliquait un refus d'agir dans le sens demandé; mais un refus implicite ne constitue pas une prise de position au sens de l'article 175 du traité, c'est même le cas type pour lequel est prévu le recours institué par cet article.

La Commission invoque, a est vrai, votre arrêt Lütticke du 1er mars 1966 (48-65, Recueil XII-1966, p. 39), mais à tort, selon nous. Dans cette affaire, les requérants avaient demandé à la Commission de déclarer irrégulières les conditions de perception par la République fédérale de la taxe compensatoire de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation du lait en poudre, de décider l'ouverture de la procédure de l'article 169 et de les informer des décisions adoptées. A la suite de la lettre
par laquelle la Commission leur déclarait ne pas partager leur opinion selon laquelle la taxe compensatoire constituait une violation de l'article 95 et ne pas juger nécessaire une intervention de sa part, ils avaient formé, d'ailleurs à titre subsidiaire, un recours en carence. Vous avez rejeté ce recours comme irrecevable, parce que vous avez jugé constant que l'Institution avait pris position; mais, à la différence du cas présent, cette prise de position portait bien sur l'objet même de la
demande et sur le fond de l'affaire.

Il faut enfin signaler que, le 12 mars 1970, un vice-président de la Commission a fait connaître à la requérante, pour éviter tout malentendu, que la lettre du 22 décembre 1969 reproduisait exactement la position adoptée par l'Institution à la suite de la demande et qu'il n'y avait pas lieu d'attendre une autre réponse. Cette lettre, d'ailleurs postérieure à l'introduction du recours, ne nous paraît pas constituer non plus une prise de position; elle est sans portée quant à l'appréciation de la
recevabilité des conclusions des consorts Borromeo et ne peut non plus vous conduire à estimer qu'il n'y a plus lieu de statuer (voir, pour une hypothèse différente, 2 juillet 1963, Société Rhenania — 103-63 — Recueil, X-1964, p. 849).

3.  Nous vous proposerons cependant de déclarer le recours irrecevable, mais pour une autre raison qu'oppose également la Commission. Le recours en carence de la part d'une personne physique ou morale suppose en effet qu'en violation du traité la Commission ait omis d'adresser au requérant un acte autre qu'une recommandation ou un avis. Il faut donc prouver l'omission d'un acte obligatoire de l'Institution. Or, aucune disposition de droit communautaire n'oblige la défenderesse à prendre à l'égard
des requérants la décision qu'ils sollicitent. Ceux-ci invoquent bien l'article 155 du traité, duquel il résulterait que la Commission doit veiller sur le comportement de tous les justiciables, les particuliers comme les États, mais on conviendra que cette attribution de compétence est un peu trop générale pour servir de fondement à la demande formée par les consorts Borromeo.

Au surplus, qu'attendaient donc ceux-ci de la Commission? D'après leur observations écrites, qu'elle prit une décision, assortie de la réserve expresse qu'elle ne serait applicable qu'au cas où le projet aurait été définitivement adopté, qui aurait fixé les modalités de forme et de fond par lesquelles les requérants auraient pu éviter de violer la règle communautaire et la règle nationale, qui aurait précisé par quels moyens de procédure ou par quels actes matériels ils auraient eu la
possibilité de respecter substantiellement les deux règles. Il vous a même été indiqué à l'audience que cette réponse aurait été valable, non seulement pour les requérants, mais pour tous les propriétaires d'Italie, sinon même du Marché commun, et il en aurait été en effet nécessairement ainsi. Mais n'est-ce pas reconnaître alors que l'acte réclamé aurait eu tous les caractères d'un règlement «applicable non à des destinataires limités, désignés ou identifiables, mais à des catégories envisagées
abstraitement et dans leur ensemble» (14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, 16 et 17-62, Recueil VIII-1962, p. 918), c'est-à-dire d'un acte qui n'a pas, en tout cas, à être adressé à un particulier?

Nous estimons en conséquence que l'exception opposée par la Commission doit être accueillie.

Nous concluons :

— au rejet comme irrecevable du recours des consorts Borromeo,

— à ce que les dépens de l'affaire soient mis à leur charge.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6-70
Date de la décision : 07/07/1970
Type de recours : Recours en carence - irrecevable

Analyses

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Gilberto Borromeo Arese et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Gand
Rapporteur ?: Strauss

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:64

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