Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand
du 4 novembre 1965
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
C'est encore de l'article 52 du règlement no 3 sur la sécurité sociale des travailleurs migrants que la cour d'appel de Colmar vous demande l'interprétation dans le cadre de la procédure de l'article 177 du traité de Rome.
Les faits sont les suivants: le 24 septembre 1957, donc avant l'entrée en vigueur du règlement no 3, M. Gassner, mineur de fond, de nationalité allemande, a trouvé la mort dans un accident de la circulation, alors qu'il était en vacances en France. Il a été heurté par une bétaillère appartenant à la maison Singer et fils, conduite par le préposé de cette dernière, M. Stadelwieser. Ce chauffeur, poursuivi pour homicide par imprudence, a été acquitté en appel au bénéfice du doute. Par ailleurs, une
procédure engagée par les héritiers de M. Gassner contre le chauffeur et le tiers civilement responsable en réparation du préjudice subi s'est terminée par un arrangement amiable entre les héritiers et la compagnie qui assurait à la fois le chauffeur et son employeur. Mais la Hessische Knappschaft qui, en tant qu'organisme de sécurité sociale, avait versé aux ayants cause de la victime des prestations, et notamment des rentes, en vertu des dispositions en vigueur dans la république fédérale
d'Allemagne, en a réclamé le remboursement à la maison Singer et fils, au motif qu'elle était subrogée dans les droits des ayants cause tant en vertu de la législation allemande que de l'article 52 du règlement no 3.
Sa demande a été rejetée comme irrecevable par le tribunal de grande instance de Strasbourg qui a considéré le règlement no 3 comme inapplicable en l'espèce pour deux raisons: il était relatif aux travailleurs migrants, alors que la victime était en excursion en France quand l'accident est arrivé — cet accident s'est produit le 24 septembre 1957, alors que le règlement, dont les effets ne pouvaient être rétroactifs, n'est entré en vigueur que le 1er janvier 1959.
Sur appel de la Hessische Knappschaft, la Cour de Colmar vous a posé sur l'interprétation du règlement deux questions que nous examinerons successivement.
I
Première question
L'article 52 — qui prévoit la subrogation — s'applique-t-il exclusivement aux seuls travailleurs migrants qui ont, ou ont eu au moment de l'événement, un emploi dans un des six pays de la Communauté, ou concerne-t-il n'importe quel travailleur affilié à un régime de sécurité sociale de l'un quelconque des États membres, même s'il n'est pas travailleur migrant, et même si l'accident dont il a été victime et qui a donné lieu à versement d'indemnités de la sécurité sociale ne s'est produit ni pendant
le travail, ni à l'occasion du travail?
1. C'est donc le champ d'application ratione personae et ratione materiae de l'article 52, et plus généralement du règlement no 3, qui est mis ainsi en question. Sous ces deux aspects, votre jurisprudence a déjà pris parti, soit implicitement, soit explicitement. Aussi, la maison Singer, qui ne l'ignore pas, plutôt que de s'en prendre à l'interprétation que vous avez donnée de l'article 52, fait-elle valoir l'illégalité de cet article; en adoptant la disposition litigieuse, le Conseil de la C.E.E.
aurait excédé ses pouvoirs et outrepassé la compétence qu'il tient de l'article 51 du traité.
Vous connaissez sa thèse. Elle s'appuie sur l'article 184 du traité qui permet à toute partie, à l'occasion d'un litige mettant en cause un règlement du Conseil ou de la Commission, de se prévaloir, nonobstant l'expiration des délais prévus à l'article 173, alinéa 3, des moyens énumérés à l'alinéa 1 du même article pour invoquer devant vous l'inapplicabilité de ce règlement. Son exception étant à la fois recevable et fondée devrait entraîner pour conséquence que l'article 52 serait inapplicable
et que la demande d'interprétation formulée à son sujet serait désormais sans objet.
Mais l'exception invoquée sur la base de l'article 184 est-elle ici recevable? La réponse est certainement négative. Lorsque la maison Singer cherche à établir cette recevabilité en se référant uniquement aux conditions posées par cet article, elle méconnaît l'essentiel, à savoir qu'elle tente de greffer cette procédure sur une autre procédure engagée dans le cadre de l'article 177. C'est donc par rapport à ce dernier article que la recevabilité de son exception doit être examinée.
Or, le principe qui domine le jugement par vous des questions préjudicielles est le respect mutuel des compétences respectives des deux ordres de juridiction: tribunaux nationaux des États membres — Cour de justice des Communautés. De même qu'il ne vous appartient, dans le cadre de l'article 177, ni d'appliquer le traité ou une autre règle de droit communautaire à une espèce déterminée, ni de statuer sur la validité d'une mesure de droit interne, de même vous ne vous reconnaissez le droit
d'apprécier ni les considérations qui ont pu guider le juge national dans le choix de ses questions, ni la pertinence qu'il entend attribuer à celles-ci dans le cadre du litige dont il est saisi.
Par suite, et sous la réserve que vous devez parfois «interpréter» les questions posées pour en dégager le problème de droit communautaire qui s'y trouve inclus, vous ne pouvez et ne devez statuer que sur les questions qui vous sont déférées par les juges nationaux, puisqu'il n'appartient qu'à ceux-ci, et non aux parties au litige principal, de vous saisir. Vous ne pourriez sortir de ce cadre sans vous immiscer dans l'appréciation des questions nécessaires à la solution du litige au fond et sans
empiéter sur la compétence propre du juge national.
Ce souci de respecter la compétence de ce juge et de prendre les questions dans l'état où elles vous sont posées vous a conduits par exemple à considérer que votre compétence est subordonnée à la seule existence d'une demande au sens de l'article 177, sans qu'il y ait lieu pour vous d'examiner si la décision du juge national a acquis force de chose jugée d'après les dispositions de son droit national (affaire 13-61, Bosch, 6 avril 1962, Recueil, VIII, p. 91). Il peut expliquer également que vous
n'ayez pas accepté d'intervention dans la procédure de l'article 177, parce que celle-ci ne se déroule qu'entre les parties à l'instance engagée devant la juridiction de qui émane la demande de décision préjudicielle (ordonnance du 3 juin 1964 dans l'affaire Costa contre E.N.E.L., Recueil, X, p. 1197).
A plus forte raison ne pouvez-vous, d'office ou sur la demande des parties au litige principal, répondre à des questions qui ne vous sont pas posées, ou — ce qui revient au même — modifier le sens ou la portée des questions dont vous êtes saisis. Or, c'est ce que vous feriez si, lorsqu'on vous demande comme en l'espèce d'interpréter un acte réglementaire d'une institution de la Communauté, vous vous prononciez sur la validité de cet acte. Certes, l'article 177, 1, b, du traité vous attribue
compétence également sur ce point, mais seulement, conformément au principe qui domine tout cet article, lorsque la juridiction nationale vous en saisit.
Sans doute, la maison Singer tente-t-elle aussi de justifier sa demande par l'économie de temps qu'elle permet, puisque la défenderesse au principal pourrait toujours soulever la question de la validité des dispositions litigieuses, soit en retournant devant la cour d'appel, soit à un stade ultérieur de la procédure devant la Cour de cassation, de sorte que vous en seriez nécessairement saisis à un moment quelconque. Mais, sans dire peut-être, comme l'avocat de la Commission, après Molière, que
«le temps ne fait rien à l'affaire», il faut affirmer cependant qu'une chose prime la rapidité, c'est le respect des principes juridiques, et en particulier de l'ordre des compétences. Il vous interdit de vous prononcer par le biais de l'article 184 sur la validité de l'article 52 du règlement no 3, lorsque la cour d'appel vous demande seulement de l'interpréter. La demande de la maison Singer n'est donc pas recevable et ses conclusions à fin de non lieu ne peuvent être accueillies.
2. S'il fallait cependant examiner le bien-fondé de cette exception, on rappellerait qu'elle s'appuie sur l'article 51 du traité, seul article de celui-ci qui concerne la sécurité sociale. Or, le pouvoir réglementaire qu'il attribue au Conseil est étroitement limité: il n'a pour objet que d'assurer la libre circulation des travailleurs, telle qu'elle est définie à l'article 48, c'est-à-dire envisagée sous l'angle de l'emploi, dans ses rapports avec celui-ci — il ne vise, comme le porte l'intitulé du
règlement no 3, que les travailleurs migrants, c'est-à-dire ceux que leur emploi amène à circuler — il ne permet enfin au Conseil de prendre que les mesures nécessaires aux fins que nous venons d'indiquer. En fait, le règlement no 3 serait entaché de contradiction interne et illégal dans la mesure où certaines de ses dispositions édicteraient des règles qui sortent du cadre ainsi défini; ce serait en particulier le cas de ses articles 4, alinéa 1, 19 et 52.
Ces questions, qui ont été développées de façon très brillante et très approfondie à l'audience par l'avocat de la maison Singer, ne sont pas nouvelles pour vous; vous les avez rencontrées dès que vous avez eu à interpréter le règlement no 3. Dans l'affaire 75-63 - Unger - du 19 mars 1964 (Recueil, X, p. 351), vous avez eu à vous préoccuper du fondement de ce règlement et de l'étendue de son champ d'application, en particulier de l'article 19, un de ceux dont la maison Singer conteste la
légalité. Vous avez relevé que l'article 51 était inclus dans le chapitre intitulé «les travailleurs» et placé au titre III (La libre circulation des personnes, des services et des capitaux) de la deuxième partie du traité (Les fondements de la Communauté). Vous avez ajouté que l'établissement d'une liberté aussi complète que possible de la circulation des travailleurs, s'inscrivant dès lors dans les «fondements de la Communauté», constituait ainsi le but principal de cet article, et, de ce fait,
conditionnait l'interprétation des règlements pris pour son application.
M. l'avocat général Lagrange avait d'ailleurs souligné dans cette même affaire que le domaine prévu par l'article 51 du traité n'était pas limité aux dispositions contenues sous le a et le b de cet article (totalisation des périodes prises en considération par les diverses législations nationales et paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres). Ces dispositions ne pouvaient avoir un caractère limitatif, puisqu'elles sont précédées de l'adverbe
«notamment», ainsi que le relève un des motifs de votre arrêt.
Ainsi, que votre interprétation du règlement no 3 soit large, voire extensive, nous sommes prêts à l'admettre, mais nous pensons que cette interprétation est parfaitement compatible avec l'article 51 du traité. La compétence du Conseil est déterminée par le but recherché : la libre circulation des travailleurs (et l'article 51 ne dit pas «des travailleurs migrants»), ce qui justifie que certaines mesures incluses dans le règlement no 3 concernent très évidemment des personnes qui n'ont pas la
qualité de travailleurs migrants. Aux dispositions citées par la maison Singer, nous pourrions ajouter celles de l'article 10 qui prévoit que les pensions acquises en vertu des législations de l'un ou de plusieurs Etats membres ne peuvent subir aucune réduction du fait que celui qui en bénéficie réside sur le territoire d'un État membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice. Ou celles de l'article 40 sur l'étendue du droit aux allocations familiales du salarié dont les enfants
résident sur le territoire d'un État membre autre que celui dans lequel il est lui-même occupé.
Une fois admis que le règlement no 3 ne concerne pas seulement les travailleurs migrants, mais d'une façon plus générale la circulation des travailleurs, on rencontre, il est vrai, une autre objection. Il ne pourrait viser que la circulation des travailleurs en tant que tels, c'est-à-dire dans la mesure où elle se trouve liée à l'exercice de leur emploi, et l'on rapproche à cette fin l'article 51 de l'article 49, alinéa 1, puis de l'article 48 qui énumère les mesures que comporte cette libre
circulation par rapport à l'emploi. L'exactitude de ce rapprochement n'est pas évidente, car les articles 51 et 48 ne recouvrent pas nécessairement le même domaine. Le premier de ces articles concerne la sécurité sociale; c'est dans le cadre de celle-ci et par rapport à celle-ci que doivent être appréciées les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre, circulation des travailleurs. Toute mesure, par exemple, qui assimile le territoire des divers États membres au territoire de l'État
d'origine pour le bénéfice des diverses prestations se trouve ainsi conforme à l'objet de l'article 51; est parfaitement compatible avec celui-ci la limitation de la territorialité des lois nationales en matière de sécurité sociale, lois qui ne sont pas limitées au strict domaine de l'emploi. Si brillamment qu'elle ait été soutenue, la thèse de l'illégalité du règlement no 3 dans celles des dispositions de celui-ci qui débordent la circulation des travailleurs migrants stricto sensu ne nous
paraît pas convaincante.
3. Il faut maintenant revenir de façon précise à la première question qui vous a été posée par la Cour de Colmar. Elle concerne l'article 52 qui prévoit, pour le cas où une personne qui bénéficie de prestations en vertu de la législation d'un État membre pour un dommage survenu sur le territoire d'un autre État a, sur le territoire de ce deuxième État, le droit de réclamer à un tiers la réparation de ce dommage, les droits éventuels de l'institution débitrice à l'encontre du tiers. L'article stipule
que, lorsque l'institution débitrice est subrogée, en vertu de la législation qui lui est applicable, dans les droits que le bénéficiaire détient à l'égard des tiers, chaque État membre reconnaît une telle subrogation.
La question qui vous est posée se subdivise en réalité en deux. Elle concerne à la fois le champ d'application ratione personae de cet article: s'applique-t-il à un travailleur affilié à un régime de sécurité sociale mais qui n'est pas travailleur migrant stricto sensu? et son champ d'application ratione materiae: s'applique-t-il même si l'accident qui a donné lieu au versement d'indemnités de la sécurité sociale ne s'est produit ni pendant le travail, ni à l'occasion du travail?
Il suffira de rappeler que sous ces deux aspects vous avez déjà donné à la question une réponse affirmative.
Le premier point avait été résolu, au moins implicitement, par l'arrêt Unger (75-63, Recueil, X, p. 367), lorsque vous aviez reconnu le droit au bénéfice de l'article 19 du règlement no 3 à une personne qui, affiliée au régime de sécurité sociale d'un État membre, s'était rendue dans un autre État membre pour séjourner chez des parents et y était devenue malade. Vous avez dit que les travailleurs se trouvant dans la situation visée à l'article 19, alinéa 1, bénéficiaient des droits prévus par
cette disposition, quel que soit le motif de leur séjour à l'étranger.
La solution ainsi admise avait une portée générale. Vous en avez fait application à l'article 52 par les arrêts Bertholet et Van Dijk (affaires 31 et 33-64, 11 mars 1965, Recueil, XI, p. 112 et 132).
Quant au second point, vous y avez également répondu en précisant par l'arrêt Van Dijk précité que l'article 52 peut recevoir application, que le dommage ait ou non un rapport avec le travail de la victime de l'accident.
Ainsi l'interprétation avait déjà été donnée avant même que la Cour de Colmar ne vous ait saisis. Ni les circonstances de l'affaire, dans la mesure où elles peuvent éclairer la question posée, ni les arguments de droit invoqués quant à l'illégalité prétendue du règlement no 3 et en particulier de l'article 52, ne constituent des éléments nouveaux par rapport à vos précédentes décisions préjudicielles de nature à modifier l'interprétation que vous avez donnée et sur laquelle il vous est toujours
loisible de revenir. Dans ces conditions, nous pensons qu'il y a lieu de faire application de la méthode adoptée par l'arrêt Da Costa (affaires 28 à 30-62, 27 mars 1963, Recueil, IX, p. 63) et de renvoyer la Cour de Colmar à vos arrêts Bertholet et Van Dijk, sans qu'il y ait lieu à nouvelle interprétation sur les deux points de l'article 52.
II
Deuxième question
Elle n'est posée que dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la première. Elle porte sur le point de savoir si les organismes de sécurité sociale de chacun des États membres peuvent poursuivre dans les autres États membres, à partir du 1er janvier 1959, date d'entrée en vigueur du règlement no 3, le remboursement des prestations qu'ils ont accordées à un de leurs assurés victime sur le territoire de cet autre État d'un accident dont il peut réclamer la réparation à un tiers, conformément au
droit civil de cet État, même si l'accident est antérieur au 1er janvier 1959.
C'est donc le problème du champ d'application dans le temps de l'article 52 (à partir de quand et à quelles situations) qui se trouve posé, et il est assurément délicat. Bien évidemment, l'article 56, tel qu'il résulte de l'article 88 du règlement no 4, qui dispose que le règlement no 3 entre en vigueur le 1er janvier 1959, ne peut régler la question de l'ensemble des effets dans le temps de ce texte. Il faut chercher la solution, soit dans l'article 52 lui-même, soit dans son rapprochement avec le
titre V relatif aux dispositions transitoires.
Si d'abord l'article 52 emploie le temps présent («chaque État membre reconnaît une telle subrogation»), nous ne croyons pas qu'il faille attacher une signification quelconque à cette particularité qui, au moins dans la langue française, est utilisée avant tout pour signifier que la loi établit une obligation. Mais on relèvera que la rédaction de cet article n'implique aucune limitation dans le temps de son champ d'application. Il suffit que l'intéressé bénéficie de prestations en vertu de la
législation d'un État membre pour un dommage survenu sur le territoire d'un autre État et ait sur le territoire de ce deuxième État le droit de réclamer à un tiers la réparation de ce dommage. Si aucune condition supplémentaire n'est exigée quant à la date à laquelle ces prestations ont été versées, ou celle à laquelle est né le droit de réclamer au tiers la réparation du dommage, cela encore ne règle pas la question précise qui vous est posée.
Reportons-nous alors à l'article 53 qui ouvre les dispositions transitoires. Dans son paragraphe 1, il dispose que le règlement n'ouvre aucun droit au paiement de prestations pour une période antérieure à son entrée en vigueur, mais le paragraphe 3 précise au contraire qu'une prestation est due même si elle se rapporte à un événement antérieur à la date de cette entrée en vigueur. On rencontre ici l'objection faite par la maison Singer. L'article 53 vise les droits des assurés aux prestations,
c'est-à-dire leurs rapports avec les institutions débitrices, et non le cas prévu par l'article 52 des rapports entre les institutions débitrices et les tiers auteurs d'accidents survenus à des assurés sociaux. Invoquant les règles qui seraient applicables en matière de conflits de lois dans le temps, la défenderesse au principal admet que les rapports de l'assuré avec l'institution de sécurité sociale s'analysent, quant aux prestations dues pour un risque social réalisé, comme une situation en
cours depuis la réalisation de ce risque, sur laquelle la loi nouvelle a un effet immédiat. Au contraire, les rapports des tiers auteurs de l'accident avec les institutions de sécurité sociale se rattachent à la responsabilité civile de ces auteurs; or, ici ce serait la loi du jour où le dommage a été causé qui fixerait les conditions de cette responsabilité, qui dirait si une dette est née ou non vis-à-vis de la victime du dommage, et qui fixerait l'étendue du droit à réparation. D'où il
résulterait qu'une subrogation établie par un règlement qui entre en vigueur au 1er janvier 1959 ne peut s'appliquer à un accident survenu avant cette date.
Malheureusement, il y a autant de systèmes de conflits de lois qu'il y a d'États, si bien que la recherche d'une doctrine qui serait commune à tous est trop aléatoire pour qu'on puisse s'y aventurer. Est-ce bien nécessaire d'ailleurs, et quelle est la portée de l'article 52? Il ne modifie pas les législations nationales antérieures; il en coordonne l'application. Il pose une règle en vertu de laquelle les États membres sont tenus de reconnaître, en plus des subrogations résultant de leur propre
législation, celles qui sont fondées sur les législations des autres États membres, et dans la seule mesure où ces dernières les prévoient. Mais, si la subrogation implique ici la substitution de l'institution allemande dans les droits de la victime, elle ne touche pas à l'existence et à l'étendue de la responsabilité civile de l'auteur du dommage qui reste soumise à la législation française.
Sur quelle base alors peut-on reconnaître en droit communautaire le bénéfice de la subrogation pour des faits dommageables antérieurs à l'entrée en vigueur du règlement no 3? La réponse nous paraît résulter d'un passage de votre arrêt Van Dijk. De même que, avez-vous dit, le règlement a pu étendre les obligations des institutions nationales de sécurité sociale, en ce qui concerne les événements antérieurs au 1er janvier 1959, aux accidents survenus sur le territoire d'un État membre autre que celui
de l'institution débitrice, de même le droit de réclamer à un tiers la réparation du dommage en vertu d'une subrogation dans les droits de la victime doit leur être reconnu comme un «complément logique et équitable» de l'extension de leurs obligations. Vous avez ajouté que l'article 52, alinéa 1, devait être appliqué au même titre et dans les mêmes conditions que les dispositions nouvelles du règlement. C'est donc admettre nécessairement par ce biais que la subrogation peut jouer pour un accident
antérieur au 1er janvier 1959. La réponse à la deuxième question nous paraît devoir être affirmative.
En définitive, nous concluons à ce qu'il soit répondu dans les termes suivants :
— à la première question, que, compte tenu de vos arrêts Bertholet et Van Dijk, il n'y a pas lieu à nouvelle interprétation de l'article 52 du règlement no 3 sur les points soulevés par cette question;
— à la deuxième question, que la subrogation prévue à l'article 52, alinéa 1, doit être reconnue, même si l'accident dont la victime peut réclamer la réparation à un tiers est survenu avant le 1er janvier 1959.
Nous concluons enfin à ce qu'il soit statué par la cour d'appel de Colmar sur les dépens de la présente instance.