Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand
du 19 octobre 1965
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
La procédure engagée par la Commission de la C.E.E. contre la République italienne au titre de l'article 169 du traité de Rome est l'aboutissement du long différend qui l'oppose à cet État quant à la conformité à l'article 96 de ce traité du remboursement des droits de douane et de certaines impositions indirectes lors de l'exportation des produits de l'industrie mécanique.
Rappelons les faits dans la mesure où le nécessite l'examen des fins de non-recevoir opposées par le gouvernement italien au recours de la Commission ainsi que de l'argumentation développée par les deux parties.
La loi italienne no 103 du 10 mars 1955, prorogée jusqu'au 31 décembre 1963 par la loi du 18 mars 1958, prévoyait en faveur des produits de l'industrie mécanique le remboursement, au moment de l'exportation, «du droit de douane et des autres droits douaniers» grevant les produits sidérurgiques utilisés lors de leur transformation.
Il n'est ni contestable, ni sérieusement contesté qu'en fait le remboursement portait également sur certains impôts indirects perçus sur des matières premières ou des produits demi-finis. Par ailleurs, son montant était, pour chaque position, fixé à un taux unitaire: tant de lires par kilo. Le remboursement était donc forfaitaire.
Diverses plaintes adressées à la Commission contestaient qu'un tel régime fût conforme à l'article 96 du traité ainsi libellé: «Les produits exportés vers le territoire d'un des États membres ne peuvent bénéficier d'aucune ristourne d'impositions intérieures supérieure aux impositions dont ils ont été frappés directement ou indirectement.» Aussi la Commission demanda-t-elle à plusieurs reprises dès 1961 des éléments d'information au gouvernement italien. Celui-ci lui fit connaître, le 1er février
1962, qu'eu égard à la réduction des droits de douane intervenue entre les États membres il avait décidé de diminuer de 35 % le montant des remboursements à l'égard des produits exportés vers les autres pays de la Communauté, et qu'il était disposé à entamer rapidement un examen en vue de déterminer la partie du remboursement afférente aux impôts autres que la taxe sur le chiffre d'affaires (I .G.E.), ainsi qu'à convenir d'un calendrier pour l'élimination progressive de cet élément. Des notes furent
échangées sans résultat, puis le gouvernement italien transmit, le 3 mai 1963, un document indiquant les impôts admis au remboursement et chiffrant à titre d'exemple l'incidence de ces impôts sur le prix de revient de certains produits ou groupes de produits. Confirmée par ce document dans l'idée que le régime appliqué n'était pas conforme au traité, la Commission ouvrit la procédure prévue à l'article 169; le gouvernement italien, invité à fournir ses observations, et tout en justifiant au fond sa
position, fit savoir qu'un nouveau texte de loi était en préparation pour remplacer la loi no 103 qui devait cesser de s'appliquer à la fin de l'année.
Aussi, en émettant le 11 décembre 1963 l'avis motivé par lequel elle invitait la République italienne à mettre fin, pour le 31 décembre 1963 au plus tard, aux ristournes jugées incompatibles avec l'article 96, la Commission soulignait qu'elle devait s'opposer à ce que l'infraction prétendue fût perpétuée notamment par l'adoption de dispositions législatives nouvelles mais d'effet analogue.
C'est parce qu'elle estimait que tel était le cas de la loi no 639 du 5 juillet 1964, qui prenait effet, rétroactivement au 1er janvier 1964, qu'elle vous a saisis le 13 octobre 1964. La loi nouvelle, plus large sur certains points que la précédente, admet le remboursement, toujours selon un taux unitaire par position, des droits de douane et des impositions indirectes internes autres que l'impôt général sur les recettes; mais, poursuivant l'évolution déjà amorcée, elle prévoit pour les produits
exportés vers les États membres la réduction progressive du montant du remboursement jusqu'à 80 % à compter du 1er janvier 1966. Pour la Commission, il n'y aurait aucune différence substantielle entre ce système et celui de la loi précédente qui avait donné lieu à l'avis motivé; il n'y aurait non plus aucune solution de continuité puisque la loi nouvelle prend effet rétroactivement à l'expiration de la précédente. Elle vous demande donc de dire que ce système est contraire à l'article 96 du traité,
parce qu'il implique le remboursement de certains droits, tels que les droits d'enregistrement, de timbre et d'hypothèque, les taxes sur les licences et permis délivrés par l'État sur les voitures automobiles et sur la publicité, qui ne rentreraient pas dans les prévisions dudit article — parce qu'il détermine le montant de l'impôt à rembourser selon un système de forfaits, comportant la fixation d'un taux moyen par produit ou groupe de produits, ce que ne permettrait pas non plus ce même article.
I — Recevabilité
A ce recours, la République italienne oppose deux fins de non-recevoir tirées toutes deux de la violation des formes prévues à l'article 169 du traité, qui se lit comme suit:
«Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.
Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice.»
1. En premier lieu, l'objet de la phase administrative précontentieuse et de la phase proprement contentieuse devant vous ne serait pas identique, puisque la première visait la loi no 103 du 10 mars 1955, et la seconde la loi no 639 du 5 juillet 1964. Or, cette dernière n'a pas fait l'objet d'un avis motivé de la part de la Commission.
Mais il est bien certain que la Commission, dans son avis motivé du 11 décembre 1963, a dénoncé — à tort ou à raison, cela concerne le fond et non la recevabilité — une violation identique de l'article 96 du traité, sur lequel elle s'est appuyée dès l'origine de cette longue procédure. Elle a reproché à son interlocuteur de ristourner des taxes qui ne grevaient pas le produit mais l'entreprise, et d'employer une méthode forfaitaire qui ne permettait pas d'assurer l'équivalence entre le montant
remboursé et la charge effectivement supportée; elle a contesté d'autre part que les réductions, déjà apportées sous l'empire de la loi du 10 mars 1955, fussent de nature à remédier à l'illégalité prétendue du système.
Il est certain également que si la loi du 5 juillet 1964 n'est pas une simple prorogation de la loi précédente (auquel cas il n'y aurait pas de problème), elle est identique dans sa substance: les produits qui bénéficient du remboursement sont les mêmes — les taux prévus pour les ristournes sont les mêmes, bien que l'éventail des taxes expressément mentionnées par les deux textes soit différent — enfin, si les réductions de ristourne sont plus importantes, elles ne sont pas une innovation par
rapport au système antérieur qui les connaissait déjà. La seule modification entre l'état de fait à la date de l'avis motivé et celui qui existait au moment où vous avez été saisis consistait en une réduction de 10 % du montant de ces ristournes pour les produits exportés à destination des États membres.
Pour le gouvernement italien, la phase précontentieuse prévue à l'article 169 constituerait une procédure substantielle, tant quant à sa forme qu'à son contenu concret, et la Commission ne saurait, lorsque cette phase a eu pour objet une situation créée par un acte législatif, déférer directement à la Cour la situation résultant d'une loi nouvelle comportant par rapport à la précédente des modifications fondamentales. La thèse est certainement exacte en droit; mais il nous paraît justement qu'il
n'y a eu ici aucune modification fondamentale, ni dans les textes, ni moins encore dans la pratique, que la Commission a considérée comme contraire au traité. Nous ajouterons que la procédure de l'article 169 perdrait beaucoup de sa force si un État membre pouvait, après l'expiration du délai qui lui est imparti pour mettre fin à une violation prétendue du traité, rétablir la même situation par une disposition législative ultérieure, ou même maintenir cette situation en donnant, comme en
l'espèce, à la disposition législative nouvelle un caractère rétroactif. Aussi, nous vous proposerons d'écarter cette première exception.
2. La défenderesse oppose à la recevabilité du recours une seconde fin de non-recevoir tirée des modifications qu'aurait subies la thèse de la Commission au cours de la procédure administrative. Après avoir affirmé que certains droits ne pouvaient donner lieu à remboursement sur la base de l'article 96 parce qu'ils équivalaient à des impôts directs, la Commission aurait ensuite soutenu qu'ils ne pouvaient bénéficier d'aucune ristourne du fait que l'on ne pouvait calculer de façon précise leur
incidence sur les coûts de production. Le gouvernement défendeur aurait été ainsi privé de la faculté de présenter ses observations, comme le prescrit l'article 169, 1er alinéa, sur les motifs mêmes de l'avis motivé.
Cette objection ne paraît pas pouvoir vous arrêter. La lettre par laquelle s'engage la procédure constitue un acte préliminaire qui indique à l'État membre l'action ou l'omission qui lui est imputée, ainsi que les règles communautaires que la Commission estime être violées par cet État; elle n'a pour but que d'ouvrir un dialogue. Les observations présentées par l'État membre pourront infirmer la conviction de la Commission, ou la confirmer, ou amener cette dernière à préciser, voire à modifier
les motifs sur lesquels se fondait sa conviction primitive; c'est alors seulement qu'interviendra l'avis motivé fixant la position définitive de l'institution, et sur la base duquel interviendra votre arrêt. Mais cette procédure préalable ne doit pas être enfermée dans un cadre rigide, comme le voudrait la défenderesse. Dans votre arrêt no 7-61, vous avez jugé suffisant un avis motivé qui contenait «un exposé cohérent des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a
manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité» (Recueil, VII, p. 654) . Il suffit de se reporter à l'avis motivé figurant au dossier de la présente affaire pour voir que tel est le cas de l'espèce. C'est donc sur la base de cet avis que nous examinerons maintenant la question beaucoup plus délicate du bien-fondé du recours.
II — Bien-fondé
1. Il convient d'abord de préciser la situation de fait et de droit telle qu'elle se présentait tant au 31 décembre 1963, date à laquelle expirait la mise en demeure adressée par la Commission, qu'au 13 octobre 1964, date à laquelle cette dernière vous a saisis. Nous nous fonderons pour cela sur les divers documents échangés entre les parties au cours de la phase «précontentieuse» et lors de la procédure écrite, y compris en particulier le document no 16 émanant de l'administration italienne et
contenant une méthode de calcul pour déterminer l'incidence des impositions sur les produits de l'industrie mécanique. A ces éléments d'information s'ajoutent les quelques précisions données à l'audience en réponse aux questions que vous avez posées aux parties.
Deux points paraissent acquis:
a) Quant aux impôts pris en compte pour le calcul du remboursement. Conformément à ce qui était la pratique sous l'empire de la loi n° 103, la loi n° 639 du 5 juillet 1964 prévoit le remboursement, outre des droits douaniers, des impositions indirectes internes autres que l'I.G.E. (Impôt général sur les recettes). Le gouvernement italien a admis dès l'origine du litige que la ristourne comprenait « des impôts divers, au nombre desquels figurent principalement les impôts de fabrication et les
taxes de consommation perçues par le trésor et grevant la production de l'industrie mécanique » (lettre du 20 février 1961 — document n° 3). Plus précisément, le remboursement est étendu aux droits d'enregistrement, de timbre et d'hypothèque, aux taxes sur les licences et permis délivrés par l'État, sur les voitures automobiles et sur la publicité. S'agissant de ces derniers droits et taxes, la Commission considère que, grevant essentiellement l'entreprise et la production dans son ensemble —
et non le produit exporté — ils ne peuvent être pris en considération pour la ristourne prévue au titre de l'article 96.
b) Quant au mode de calcul de la ristourne, on sait qu'il résulte de la combinaison de deux éléments: le tableau annexé à la loi n° 639 (ou le décret prévu à la loi n° 103) fixe un taux unitaire par produit ou groupe de produits, qui varie de 15 à 800 lires au kilo suivant les cas. Mais, pour les exportations à destination des autres États membres, le montant global de la restitution est réduit d'un pourcentage qui va en s'accroissant: de 55 % au 1er juillet 1963, à 60 % au 1er janvier 1964, à
65 % au 1er juillet 1964, pour aboutir à 80 % à compter du 1er janvier 1966.
C'est donc un système forfaitaire, sur les bases duquel le document no 16 et les 4 tableaux qu'il comporte donnent quelques indications. A défaut de pouvoir déterminer l'incidence exacte des impôts ayant effectivement grevé les produits en question, on procède «par échantillon». Pour une entreprise choisie comme type, d'une part on calcule les impôts payés directement par elle d'après sa comptabilité en les rapportant au montant de la production de la période considérée; d'autre part, et
suivant une méthode assez complexe, on détermine pour la même entreprise les impôts indirectement payés par elle du fait qu'ils sont incorporés dans le prix des matériels et des produits achetés et destinés à la fabrication des produits représentatifs, les fournisseurs des industries mécaniques étant à cette fin classés en diverses catégories. Enfin, on détermine l'incidence totale en la rapportant au prix et au poids du produit considéré de l'industrie mécanique. Même si cette méthode a été
donnée à titre indicatif, elle est le seul élément qui permette de justifier le calcul et le taux adopté pour les ristournes accordées pour les différents produits.
Il faut noter ici que le tableau no 1 mentionne explicitement les différents impôts que la Commission prétend exclure du remboursement. Le juge rapporteur a posé à l'audience la question de savoir quelle était la situation respective, du point de vue de la ristourne, de deux sociétés produisant le même produit, mais dont l'une seulement contracte une hypothèque ou fait de la publicité, et supporte ainsi les taxes afférentes à ces opérations. Vous vous souvenez de la réponse de l'avocat du
gouvernement italien: «Le résultat est exactement le même.»
2. Un tel régime que nous croyons avoir décrit de façon aussi précise que le permet l'état du dossier est-il ou non conforme aux prescriptions de l'article 96? Cet article doit être replacé dans le cadre du chapitre II «Dispositions fiscales». Il est la contrepartie exacte de l'article précédent qui limite la faculté pour un État de frapper d'impositions intérieures les produits des autres États membres. Dans les deux cas, il s'agit d'empêcher que, par le biais de l'impôt, on n'accorde un traitement
différentiel et préférentiel aux entreprises nationales. Encore faut-il signaler — ce qui est au moins l'indication d'une tendance — que le chapitre, et en particulier l'article qui nous occupe, met l'accent moins sur les entreprises que sur les produits.
Le premier point sur lequel porte le litige est de savoir quels sont les impôts dont l'article 96 permet la ristourne. Tous les impôts indirects, quelle que soit leur nature, dit la défenderesse, qui tire argument des termes de l'article 98, lequel soumet à un régime plus strict le remboursement en ce qui concerne «les impositions autres que les taxes sur le chiffre d'affaires, les droits d'accise et les autres impôts indirects». L'argument n'est pas déterminant, si l'on se réfère tant au texte
de l'article 96 qu'à l'objet auquel il répond: en mentionnant les impositions dont les produits exportés ont été frappés directement ou indirectement, il vise les impôts qui ont atteint soit le produit fini, soit les matières premières et les produits demi-finis incorporés aux stades antérieurs de la fabrication. Or, il est certain que, en dépit de leur nature d'impôts indirects, ne présentent pas ce caractère les droits d'enregistrement, de timbre et d'hypothèque, les taxes sur les permis et
licences délivrés par l'État, sur les voitures automobiles et sur la publicité, qui ne frappent pas les produits en tant que tels, à quelque stade de la fabrication que l'on se place, mais bien plutôt l'entreprise. Leur incidence varie suivant les caractéristiques de cette dernière et non suivant les produits. On ne voit pas dans ces conditions comment pourrait être respecté en ce qui les concerne le principe de l'article 96 suivant lequel le remboursement trouve sa limite dans le montant de
l'imposition effectivement subie. Nous considérons donc que les impôts que nous avons énumérés ne sont pas au nombre de ceux que vise l'article 96.
L'autre aspect du litige concerne le mode de calcul adopté pour fixer le remboursement, et ici, contrairement à ce qu'a paru croire un moment la défenderesse, la critique porte sur l'ensemble des impositions, y compris celles dont il n'est pas contesté qu'elles peuvent en principe donner lieu à ristourne. Celle-ci est fixée forfaitairement, pour chaque produit ou groupe de produits, à tant de lires par kilo. La Commission considère que le recours à la pratique des forfaits sur la base de taux
moyens est en contradiction avec les dispositions de l'article 96, du fait que le montant de certaines ristournes est inévitablement supérieur à celui des charges fiscales réellement supportées. Peu importe, ajoute-t-elle, qu'en revanche d'autres remboursements n'atteignent pas ce qui pourrait être obtenu en vertu de cet article; cette circonstance ne compenserait pas le caractère illicite du procédé.
A quoi la défenderesse objecte que d'autres dispositions du traité, en particulier l'article 97, prévoient des systèmes forfaitaires qui sont parfaitement compatibles avec les objectifs communautaires; que, l'article 96 lui-même n'imposant pas que les ristournes s'effectuent obligatoirement suivant des modalités déterminées, tous les procédés sont permis, y compris le système forfaitaire.
Cette thèse est des plus douteuses. L'article 97 est le seul qui, en matière fiscale, autorise la fixation de taux moyens; encore précise-t-il que cette fixation ne peut «porter atteinte aux principes qui sont énoncés aux article 95 et 96». Il ne l'admet que pour les États qui perçoivent la taxe sur le chiffre d'affaires d'après le système de la taxe cumulative à cascade, et compte tenu des particularités de ce système. Certains commentateurs ont cependant soutenu que le recours aux taux moyens
pouvait être employé pour toutes les autres impositions auxquelles s'applique la règle de la taxation dans le pays de consommation, le traité s'étant borné à établir des règles de caractère général sans se préoccuper des modalités d'application. Interprétation qui nous paraît hasardeuse, compte tenu des termes de l'article 96, puisque la méthode forfaitaire entraîne nécessairement dans certains cas des remboursements supérieurs aux impositions effectives.
A la vérité, l'argument le plus fort en faveur de cette méthode est sa simplicité, sinon même, comme la défenderesse l'a soutenu autrefois, sa nécessité si l'on ne veut pas procéder à une évaluation de l'incidence «ex post» qui est non seulement difficile mais incertaine. La chose est possible; nous ne voyons pas cependant comment ce système peut être justifié sur le terrain du droit; aussi le recours à la méthode forfaitaire nous paraît-il constituer, en principe, une violation de l'article 96
du traité.
Mais nous avons fait abstraction jusqu'à présent de la disposition du décret du 18 janvier 1962 puis de la loi du 5 juillet 1964 qui réduit dans des proportions toujours plus importantes le montant global de la ristourne accordée pour tenir compte de la réduction des droits de douane entre les États membres. C'est peut-être le point le plus délicat de l'affaire.
L'article 96, dit le gouvernement italien, se réfère à une situation concrète et non à une règle formelle. La seule limite aux remboursements qu'il autorise est que ceux-ci ne dépassent pas les impôts appliqués directement ou indirectement. Peu importe que dans le passé les ristournes aient porté irrégulièrement sur certaines impositions; la réduction du montant global de la ristourne qui affecte par hypothèse la composante fiscale — et non seulement douanière — de celle-ci a pour conséquence
nécessaire d'absorber la fraction concernant les impositions litigieuses. A supposer que celles-ci aient été jadis remboursées, elles ne l'étaient déjà plus au moment où a été émis l'avis motivé, et il ne pouvait y avoir à cette époque d'infraction. En tout cas, et la défenderesse a insisté à plusieurs reprises sur ce point, il incomberait à la Commission d'apporter la preuve que, malgré les réductions, les ristournes sont supérieures à celles qu'autorise le traité. Leur limitation pour des
raisons de politique budgétaire est un problème intérieur qui ne concerne pas la Commission. Celle-ci ne peut que prendre acte du résultat, quitte à le vérifier, si elle l'estime nécessaire, pour s'assurer qu'il n'est pas supérieur à ce que permet le traité.
Aucune solution sur ce point ne nous paraît pleinement satisfaisante. Il n'est pas exclu en effet que, comme le soutient la défenderesse, la part du remboursement qui touchait aux impositions litigieuses se soit en fait trouvée «absorbée» par les réductions successives, mais comment le prouver? et à qui incombe cette preuve? Et le fait, à le supposer admis, suffit-il à écarter toute violation de l'article 96? Nous rappelons que sur le terrain des textes ni, le remboursement des taxes que nous
avons énumérées, ni le recours à une méthode forfaitaire ne pouvaient trouver de justification; or, il ne paraît guère contestable que sur ces deux points la pratique suivie par la défenderesse a constitué une infraction à l'article 96 que la Commission était en droit de relever. Lorsque cette dernière a engagé la discussion, le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a été répondu qu'avec beaucoup de réticence aux demandes d'explication qu'elle a présentées. En particulier, les seules indications
chiffrées — celles du document no 16 — tendaient à confirmer le caractère contraire au traité du mode de remboursement utilisé et de certaines de ses composantes. Sans doute est-ce à la Commission d'établir que l'utilisation d'une méthode donnée par un État membre constitue de la part de celui-ci un manquement à ses obligations; mais nous ne pensons pas qu'on puisse manifester la même exigence à l'égard de cette institution, lorsqu'il s'agit de procéder à une opération arithmétique et que l'État
intéressé s'est abstenu de fournir les chiffres nécessaires à cette opération qu'il est seul à détenir. Tel nous paraît être le cas de l'espèce où le vice originaire dont était entachée la pratique aurait disparu par suite des limitations apportées au remboursement; c'est possible, mais le fait ne pourra être établi dans un sens ou dans l'autre que sur la base de précisions chiffrées fournies par la défenderesse, et logiquement la preuve devrait être faite qu'en aucun cas, pour aucun produit, la
ristourne n'était, à la date considérée, supérieure aux impositions perçues et pouvant donner lieu à remboursement au titre de l'article 96.
Dès lors, deux solutions peuvent être envisagées. L'une, que nous ne mentionnons que pour l'écarter: vous considérez qu'éclairés sur les principes vous ne l'êtes pas suffisamment sur les faits, et vous invitez l'État défendeur à vous fournir les précisions chiffrées qui appuieraient sa thèse, et au vu desquelles vous vous prononcerez sur le recours.
Ou bien, c'est la solution que nous vous proposerons, vous considérez qu'en pratiquant un régime de ristourne forfaitaire et portant notamment sur certains impôts qui ne rentrent pas dans le champ d'application de l'article 96, sans qu'il puisse être établi que les réductions apportées à la date du recours au taux de remboursement aient fait disparaître les vices dont ce régime était entaché, la République italienne a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité.
C'est en ce sens que nous concluons et à ce que les dépens soient supportés par le gouvernement de la République italienne.