Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand
du 4 février 1965
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Les recours 12-64 et 29-64 dont vous êtes saisis par M. Ley, administrateur principal de la Commission de la C.E.E., ne posent pas seulement de délicats problèmes de recevabilité et de procédure. Ils vous conduiront aussi à prendre parti sur l'interprétation et l'application de divers articles du statut des fonctionnaires de la C.E.E. qui ont trait aux modalités de recrutement et de promotion.
Aux termes de l'article 4 de ce statut, toute vacance d'emploi doit être portée à la connaissance du personnel de l'institution dès que l'autorité investie du pouvoir de nomination a décidé qu'il y a lieu de pourvoir à cet emploi. A cette fin, l'article 29 prévoit que cette autorité doit examiner les possibilités de promotion et de mutation, ainsi que les possibilités d'organisation de concours internes et les demandes de transfert de fonctionnaires d'autres institutions. Est également prévue par
cet article l'ouverture de concours externes qui peuvent revêtir différents aspects, et même le recours à une procédure de recrutement autre que le concours pour le choix des fonctionnaires des grades A 1 et A 2, ainsi que dans des cas exceptionnels pour des emplois nécessitant des qualifications spéciales.
Tout cela souligne que pourvoir une vacance d'emploi constitue une opération complexe qui part de la décision de combler la vacance ouverte pour aboutir à la décision nommant le nouveau titulaire. Entre ces deux termes extrêmes de la procédure viennent s'intercaler les différentes phases que nous avons indiquées, les divers procédés servant à choisir le titulaire de l'emploi. Quelle place faut-il faire respectivement à chacun de ces procédés? Les différentes phases doivent-elles se dérouler dans un
ordre rigoureux? L'administration est-elle tenue d'épuiser une possibilité avant de passer à la suivante? Autant de questions qui sont plus ou moins directement posées par les recours. Mais, avant de les examiner, rappelons d'abord les faits qui sont à l'origine du litige.
Le 29 octobre 1962 était publié dans le numéro 16 du bulletin «Informations au personnel de la Commission de la C.E.E.» un avis de vacance no 403 concernant un emploi de chef de division (A 3) à la direction «ententes, monopoles, dumping et discriminations privées» de la direction générale de la concurrence. Ce poste était accessible par voie de promotion aux administrateurs principaux qui détenaient le grade immédiatement inférieur.
Le bulletin qui contenait de nombreux autres avis de vacances faisait précéder ceux-ci d'une notification de portée générale invitant les fonctionnaires qui, sans remplir les conditions réglementaires pour être promus, seraient intéressés par les postes vacants à le faire connaître à l'administration en vue de prévoir l'ouverture éventuelle d'un concours interne. La notification se terminait ainsi: «Si aucun agent intéressé ne se fait connaître, il ne sera pas organisé de concours; dans le cas
contraire, la procédure de concours sera ouverte pour ce poste qui fera l'objet d'un nouvel avis de vacance».
M. Ley, qui assurait depuis plusieurs mois l'intérim du poste déclaré vacant, posa sa candidature ainsi que 12 de ses collègues. Mais, dans sa réunion du 26 février 1964 et après plusieurs délibérations, la Commission décida finalement de ne pas combler la vacance par voie de promotion (procédure prévue à l'article 29-1 a du statut), de ne pas organiser de concours interne (art. 29-1 b) et d'examiner les demandes de transfert de fonctionnaires d'autres institutions des Communautés (art. 29-1 c).
Disons tout de suite que le 28 juillet 1964, c'est-à-dire après l'introduction des recours, la Commission, renonçant à pourvoir le poste dans le cadre de la procédure de l'article 29-1 c, a organisé un concours général sur titre et sur épreuves écrites.
Dès le 9 mars 1964, M. Ley, se prévalant de l'article 90 du statut, adressait à la Commission une réclamation dans laquelle il demandait les raisons pour lesquelles sa candidature n'avait pas été retenue, contestait le droit pour l'administration, lorsqu'elle ne pourvoit pas un poste par voie de promotion, de passer à la procédure de transfert sans organiser de concours interne, enfin évoquait le bruit selon lequel le poste vacant aurait été, dès l'origine, réservé à une personne de nationalité
italienne, ce qui était contraire tant au texte qu'à l'esprit du statut.
Sans attendre qu'il ait été répondu à sa réclamation, M. Ley vous a saisis, le 6 avril 1964, du recours 12-64. Il vous demande de dire nuls et de nul effet l'avis de vacance no 403, la notification des postes vacants qui l'accompagnait, ainsi qu'en tant que de besoin les décisions de la Commission qui servaient de supports à ces publications; de dire également nulle la délibération du 26 février 1964 par laquelle la Commission a décidé de ne pas pourvoir au poste considéré par promotion ou mutation,
de ne pas organiser de concours interne et de susciter des candidatures en vue d'un transfert.
Puis, sous le no 29-64, M. Ley vous saisit, le 9 juillet 1964, d'un nouveau recours présenté comme ampliatif du précédent et qui comporte exactement les mêmes conclusions que celui-ci. Il n'en diffère que dans la mesure où il comporte un moyen nouveau qui n'avait été clairement invoqué que dans la réplique au recours 12-64.
Enfin, le requérant avait, par voie de référé, sollicité le sursis au recrutement engagé au titre de l'article 29-1 c). Sur ce point, une ordonnance du Président de la Cour du 4 mai 1964 a rejeté sa demande et l'a condamné à supporter ses propres dépens. Il invite maintenant à statuer à nouveau sur ce dernier point et à mettre à la charge de la Commission tous les dépens, y compris ceux du référé.
Recours 12-64 — Recours 29-64 — Dépens du référé. C''est dans cet ordre que, pour ne pas compliquer encore un dossier déjà complexe, nous examinerons l'affaire qui vous est soumise.
Recours 12 - 64
I — Pas de discussion sur la recevabilité des conclusions dirigées contre les décisions de la Commission du 26 février 1964 relatives aux procédures visées à l'article 29-1 a, b et c. En revanche, la Commission soutient que les conclusions dirigées contre l'avis de vacance et la notification qui y était jointe seraient irrecevables comme tardives, du fait qu'elles ont été présentées 17 mois après la publication des actes qu'elle visent. En outre, le requérant ne justifierait pas d'un intérêt à
attaquer ces actes. Si un avis de vacance peut parfois faire grief en raison des conditions dont il est assorti (voir votre arrêt Lassalle du 4 mars 1964), tel ne serait pas lecas de l'espèce; quant à la notification, elle ne comporte aucun élément décisoire, et ne lie pas l'autorité investie du pouvoir de nomination dans l'exercice de ses attributions: l'absence de candidatures déclarées n'aurait pas empêché cette autorité d'ouvrir un concours interne si elle avait eu des raisons de croire
qu'il était susceptible d'un résultat utile.
Le caractère complexe de l'opération de recrutement que nous avons souligné, l'intérêt qui s'attache à ne pas laisser se poursuivre jusqu'à son terme une procédure qui serait viciée à l'origine justifient que les requérants puissent attaquer directement l'acte préliminaire, par exemple la décision déclarant la vacance de l'emploi, dans le délai de trois mois de l'article 91, mais seulement dans ce délai. La Commission admet que l'on puisse plus tard, par la voie d'une exception, contester la
légalité de cet acte à l'appui d'un recours formé contre l'acte final de la procédure, c'est-à-dire la nomination d'un fonctionnaire ou la décision de ne pas pourvoir la vacance de l'emploi en cause qui serait seule susceptible d'annihiler d'une manière définitive les chances du requérant. Elle n'admet pas en revanche cette même faculté lorsque sont contestés ces actes intermédiaires que sont la décision de ne pas ouvrir de concours interne ou de faire appel aux demandes de transfert.
Une telle solution nous paraît trop rigide, peu logique et peu opportune. Pourquoi attendre la fin d'une procédure si longue et si lourde (ici plus de deux ans se sont écoulés sans que le poste ait été pourvu) pour en vérifier la légalité? Si l'on admet, comme le fait la Commission, la recevabilité des conclusions dirigées contre ces actes intermédiaires, pourquoi ne pas permettre d'invoquer à cette occasion les vices dont seraient entachés les actes précédents? Et puisque les parties se sont
l'une et l'autre référées au droit administratif français, nous dirons que celui-ci permet dans le cas d'opérations complexes de critiquer la légalité des actes antérieurs à l'occasion d'un recours formé contre des actes postérieurs sans qu'il soit nécessaire d'attendre le dernier acte de la procédure.
En l'espèce, quel que soit le caractère du bulletin «Informations au personnel de la Commission de la C.E.E.», la publication dans ce recueil — dont le titre indique les destinataires — de l'avis de vacance et de la notification jointe a suffi à faire courir le délai contre ces deux actes. Les conclusions qui les concernent sont donc tardives; mais le requérant n'en conserve pas moins, pensons-nous, le droit d'attaquer les décisions du 26 février 1964 en se fondant notamment sur les vices dont
seraient entachés ces actes de 1962, en invoquant les moyens par lesquels il prétendait obtenir tardivement leur annulation.
D'autre part, si M. Ley a intérêt à demander l'annulation des décisions de 1964 — ce que la Commission ne conteste pas —, il peut le faire à l'aide de tous les moyens régulièrement exposés dans sa requête conformément à l'article 38 du règlement de procédure, sans qu'il y ait lieu d'examiner s'il aurait par ailleurs intérêt à obtenir l'annulation de certains des actes antérieurs dont les moyens qu'il invoque prétendent établir l'irrégularité.
II — Ces observations étant faites, nous examinerons successivement les différents moyens invoqués dans le recours 12-64.
1. Le premier est tiré de la violation de l'article 110 du statut, en ce que, contrairement aux dispositions de cet article, la procédure d'avis de vacance et celle de recrutement visées respectivement aux articles 4 et 29 n'ont pas fait au préalable l'objet de dispositions générales d'exécution arrêtées après consultation du comité du personnel et avis du comité du statut, et qu'à supposer que ces dispositions générales aient été prises, elles n'ont pas été en tout cas portées à la connaissance du
personnel.
C'est un moyen que vous connaissez bien pour l'avoir souvent rencontré. Votre jurisprudence (notamment vos arrêts Pistoj et Huber) est fixée en ce sens que l'intervention de ces dispositions générales n'est obligatoire que si leur absence rend impossible l'application d'une règle du statut ou ne l'assure pas dans une forme adéquate. Tel ne paraît pas être le cas ici, ni pour l'article 4 qui prévoit la publication de l'avis de vacance, ni pour l'article 29 qui a trait au recrutement, si on
rapproche cet article de l'annexe III fixant la procédure de concours. Et il ne suffit pas de tirer argument de l'existence du présent recours pour affirmer la nécessité de dispositions générales au sens de l'article 110. Si précises et si détaillées que soient des règles juridiques, elles ne prévaudront jamais contre l'ardeur des requérants et l'ingéniosité de leurs conseils. Sans doute la Commission a-t-elle établi à l'usage de ses services des directives, notamment pour les concours. Mais il
s'agit là de mesures d'ordre intérieur, dépourvues de force réglementaire, dont la méconnaissance ne constituerait pas une irrégularité et qui se situent hors du champ d'application de l'article 110. — Le premier moyen nous paraît ainsi devoir être écarté.
2. et 3. M. Ley soutient en second lieu et sans plus de raison que la «notification» jointe à l'avis de vacance violerait également l'article 110. Il ajoute, par un troisième moyen beaucoup plus délicat, que cette notification est entachée de détournement de pouvoir, la Commission ayant ainsi empêché les fonctionnaires susceptibles d'être promus, et en particulier lui-même, de poser leur candidature pour un concours interne, alors que rien dans le statut n'interdit à cette catégorie de
fonctionnaires de participer à un tel concours.
La Commission fait à ce moyen une double réponse; c'est en premier lieu qu'il méconnaîtrait la véritable portée de l'acte contesté, lequel aurait eu pour unique objet de faciliter l'examen par l'administration des possibilités d'organisation d'un concours interne; si, à la suite de cet examen, la décision avait été prise d'organiser un tel concours, celui-ci aurait fait l'objet d'un nouvel avis et rien n'aurait empêché le requérant de faire acte de candidature. Mais cette réponse se
concilie assez mal avec les termes de la notification destinée, on le rappelle, aux seuls agents non susceptibles de prétendre à une promotion, et qui se termine par l'indication que si aucun agent intéressé ne se fait connaître, il ne sera pas organisé de concours. On pourrait donc se demander si la décision effectivement prise en l'espèce de ne pas ouvrir celui-ci n'a pas reposé — en partie au moins — sur l'idée que les fonctionnaires «promouvables» n'ont pas accès au concours interne, ce
qui constituerait, sinon un détournement de pouvoir, du moins une erreur de droit viciant cette décision. Cette hypothèse pourrait trouver un appui dans certains passages des propositions présentées à la Commission par le Commissaire responsable. Il y est dit que la Direction générale intéressée, après avoir écarté à ce stade l'idée de promouvoir un administrateur principal, a examiné, pour l'écarter, l'opportunité d'organiser un concours interne, constatant qu'aucun fonctionnaire n'avait
manifesté d'intérêt à participer à un tel concours. Et il s'agit, semble-t-il, des seuls fonctionnaires des grades inférieurs. Quant au Commissaire responsable, il déclare partager le point de vue de la Direction générale. Il ne résulte pas cependant des nombreux procès-verbaux de la Commission que celle-ci, qui a pris en définitive la décision sur ce point, ait été déterminée par une appréciation erronée en droit ou en fait de la situation des fonctionnaires pouvant prétendre à une
promotion, appréciation qui serait la conséquence de la rédaction au moins malheureuse de la «notification». Le moyen ne nous paraît donc pas devoir être retenu.
La Commission ajoute que les fonctionnaires susceptibles d'être promus n'ayant pas un droit à voir s'ouvrir un concours interne, ils ne sont pas fondés à contester l'acte qui subordonnerait l'organisation de celui-ci à la candidature de fonctionnaires non promouvables. Mais nous retrouverons plus loin ce point qui touche à l'étendue du pouvoir d'appréciation de l'autorité investie du pouvoir de nomination.
4. Le quatrième moyen est dirigé directement contre les décisions du 26 février 1964 dont M. Ley est recevable à demander l'annulation. Elles consistent dans le fait de ne pas nommer le requérant au poste vacant (29-1 a), de ne pas procéder à un concours interne (29-1 b), de mettre en œuvre la procédure de transfert (29-1 c).
Lisons à ce sujet la requête: «De toute manière, les décisions prises par la Commission… (celles que nous venons de citer) doivent être annulées pour détournement de pouvoir, la Commission ne poursuivant d'autre but que d'attribuer ce poste à une personne de nationalité italienne, même extérieure aux Communautés.»
Dans le mémoire en réplique le requérant ajoute que ces mêmes décisions sont entachées d'une violation du statut des fonctionnaires qui tiendrait à ce que, contrairement à ce que soutient la Commission, celle-ci, après avoir dépassé la phase de la promotion, aurait été tenue d'ouvrir un concours interne avant de passer à la phase de transfert.
Sous cette seconde forme, le moyen est-il recevable à l'appui du recours 12-64? Nous ne le pensons pas. D'après l'article 38 du règlement de procédure, la requête doit contenir l'exposé sommaire des moyens invoqués, et l'article 42 paragraphe 2 interdit la production de moyens nouveaux en cours d'instance «à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure écrite». Et, pour écarter tout argument d'analogie que tente d'invoquer M.
Ley, nous préciserons ici que la formule du règlement est beaucoup plus restrictive que celle retenue par la juridiction administrative française.
Comme on l'a vu, la requête ne faisait pas la moindre allusion à une quelconque violation de la loi ou du statut. Sans doute celle-ci était-elle mentionnée dans la réclamation administrative présentée au titre de l'article 90, mais cette réclamation ne fait pas partie intégrante de la requête et cette dernière n'est pas présentée contre une décision implicite de rejet qui n'était pas encore intervenue, elle attaque directement les décisions de la Commission.
En second lieu, la violation du statut ne peut être regardée comme une argumentation nouvelle destinée à appuyer le moyen antérieurement tiré du détournement de pouvoir. Il s'agit de deux moyens distincts qui ont trait à des vices différents de la décision critiquée. Le détournement de pouvoir consiste à user de ses pouvoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été conférés; l'acte serait légal s'il n'était pas affecté par le mobile qui pousse à agir. La violation de la loi au
contraire implique nécessairement une illégalité objective, indépendante des intentions, bonnes ou mauvaises, de celui qui agit.
Enfin, s'il est nouveau, le moyen tiré de la violation du statut ne peut bénéficier de l'exception figurant à l'article 42 paragraphe 2 du règlement. Peu importe que la Commission ait affirmé dans ses observations en défense son pouvoir d'appréciation quant à l'ouverture d'un concours interne; il était constant dès l'origine que la Commission avait «sauté» la phase du concours interne, pour passer directement à celle du transfert. Cela impliquait nécessairement que, contrairement à
l'interprétation que M. Ley donne de l'article 29, elle ne s'estimait pas tenue d'ouvrir ce concours. La violation du statut, à supposer qu'elle ait existé, pouvait — et donc devait — être invoquée dès le dépôt de la requête. Elle n'est liée à aucun élément de droit ou de fait qui se soit révélé au cours de la procédure écrite.
Comme il ne nous paraît pas non plus d'ordre public, le moyen n'est pas recevable et nous l'abandonnons ici avant de le retrouver dans le recours 29-64.
Aucun doute n'existe au contraire sur la possibilité d'invoquer le détournement de pouvoir tenant au fait que les décisions attaquées auraient pour but d'attribuer le poste vacant à une personne de nationalité italienne n'appartenant même pas aux Communautés. Or, si l'article 27 du statut prévoit que le recrutement s'opère sur une base géographique aussi large que possible, cela ne concerne que le recrutement à la base, à l'entrée au service; l'article 7 dispose au contraire que nomination et
mutation se font sans considération de nationalité, et celle-ci ne peut en aucun cas entrer en ligne de compte quand il s'agit d'une promotion. Et M. Ley se réfère à la doctrine que vous avez dégagée dans l'arrêt Lassalle contre Parlement européen.
A l'appui de son moyen, le requérant invoque un certain nombre d'éléments de fait ou d'allégations de valeur très inégale. Rien ne prouve d'abord — ce qui est le postulat de départ — que la Commission ait eu, au sein de la Direction générale de la concurrence, une politique constante de «répartition géographique» telle que, compte tenu de la nationalité des cadres de cette direction au moment des décisions attaquées, elle devait nécessairement entraîner le choix d'une personne de nationalité
italienne. La défense a produit d'autre part les extraits des procès-verbaux des nombreuses séances au cours desquelles la Commission a discuté les décisions à prendre pour pourvoir le poste déclaré vacant. Ils révèlent certaines hésitations juridiques, un désir peut-être excessif de trouver pour l'emploi un homme de premier plan, désir qui ne se satisfait pas des éléments qu'on a «sous la main» ; nous n'y avons rien trouvé de très probant, car nous ne pouvons considérer comme tel le fait que le
Commissaire responsable ait communiqué à la Commission sur la demande de celle-ci des indications portant sur la répartition des postes à l'intérieur de la Direction générale, l'utilisation des postes vacants, l'équilibre géographique, etc… Et la thèse de M. Ley se trouve un peu affaiblie par le fait que deux candidats de nationalité italienne à la promotion se sont trouvés écartés au même titre que lui, car il ne nous paraît pas certain, contrairement à ce qu'il prétend, que ces candidats ne
remplissaient pas les conditions exigées par l'avis de vacance.
En réalité, le seul élément qui vienne à l'appui de sa thèse, ce sont les démarches effectuées par le Commissaire responsable auprès des professeurs ou d'autorités italiennes pour susciter des candidatures émanant de ce pays. Le fait ne semble pas contestable, encore qu'il soit déplaisant pour l'établir de se référer, comme le requérant, aux archives de la Direction, auxquelles les fonctionnaires ont accès pour les besoins du service et non de leurs recours. Il ne nous paraît pas cependant
suffisant à lui seul pour établir que les décisions de la Commission aient été entachées de détournement de pouvoir; celui-ci peut, certes, être prouvé par tous moyens, mais encore faut-il qu'il le soit. Ici, il ne l'est pas. Vous ne pouvez vous contenter de présomptions assez vagues, et vous rejetterez le moyen.
5. Reste un dernier moyen, tiré de ce que les décisions du 26 février 1964 seraient, dit la requête, «nulles pour violation de l'article 25 du statut, pour motivation insuffisante ou inexacte».
En réalité, comme le relève la Commission dans sa défense, ce moyen se présente sous deux aspects très différents.
L'article 25 prévoit que toute décision individuelle prise en application du statut doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé, et que toute décision faisant grief doit être motivée. Il s'agit là d'une exigence formelle. Mais les décisions attaquées sont relatives au choix du mode de recrutement que l'autorité entend utiliser; à ce titre, elles ne nous paraissent pas rentrer dans le cadre de l'article 25 qui vise en réalité les décisions individuelles faisant grief à
leurs destinataires. Il en est ainsi même si la décision litigieuse consiste à renoncer à prononcer une nomination au titre de l'article 29-1 a. Nous croyons que votre arrêt Raponi qui juge qu'une décision de nomination ne doit être motivée ni à l'égard du fonctionnaire nommé, ni à l'égard des autres candidats peut être transposé ici: il n'y a pas plus de raison de motiver lorsque l'autorité décide de ne nommer personne.
Mais M. Ley conteste également l'exactitude des motifs sur lesquels la Commission a fondé ses décisions, et qui, s'ils n'ont pas été explicités, n'en existent pas moins. Il s'agit donc ici d'un moyen touchant tant à la procédure qu'à la légalité interne qui avait à peine été ébauché dans la requête.
S'agissant d'abord de la décision de ne pas pourvoir le poste vacant dans le cadre de la procédure de promotion, le procès-verbal relève qu'elle a été prise après examen comparatif des mérites des candidats et des rapports de notation dont ils ont fait l'objet, ce sont les termes qu'emploie l'article 45 sur la promotion. M. Ley estime qu'il n'apparaît pas que cet examen comparatif ait été complet et qu'il ait été fait en connaissance de cause. Notamment, il ne semble pas que la Commission ait
examiné les dossiers personnels des intéressés, ni tenu compte du fait que le requérant avait exercé l'intérim.
Mais le fait que, ne nommant personne, la Commission n'avait pas à classer un premier et un second ne l'a pas nécessairement empêchée de procéder à cet examen comparatif dont parle l'article 45. Et rien ne permet de croire que cet examen n'ait pas été sérieux et complet. La consultation des dossiers personnels n'est pas obligatoire à peine de nullité, et les services du requérant étaient exposés par lui-même dans une note au formulaire officiel de candidature.
Reste enfin la décision de ne pas ouvrir de concours interne. La Commission a eu connaissance de ce qu'aucun fonctionnaire d'un grade inférieur à ceux susceptibles d'être promus n'avait envisagé de poser sa candidature. Elle a pu librement apprécier si, dans ces conditions, il y avait lieu d'ouvrir un concours où n'auraient figuré que les promouvables. Sur le terrain du motif insuffisant ou erroné nous ne voyons pas en quoi cette décision est criticable.
Aucun des moyens invoqués à l'appui du recours 12-64 ne nous paraît ainsi pouvoir être retenu, et nous en venons au recours 29-64 qui nous retiendra moins longtemps.
Recours 29 - 64
Ce recours, enregistre le 10 juillet 1964, est dirige contre les mêmes décisions que celles qui avaient donné lieu au recours précédent; il formule les mêmes conclusions, il est fondé sur les mêmes moyens que ceux exposés dans la requête 12-64, auxquels s'ajoute simplement un moyen contenu dans la réplique et tiré de la violation de la loi dont serait entachée la décision de ne pas organiser de concours interne. C'est son unique raison d'être, pour l'hypothèse où, comme nous vous l'avons proposé, ce
moyen serait considéré comme tardif au regard du recours 12-64.
La recevabilité du recours est contestée par la défenderesse qui relève, non sans raison, certains flottements, certaines variations dans le fondement que M. Ley entend lui donner. Après l'avoir fondé d'abord sur le rejet implicite le 9 mai 1964 de la réclamation adressée au titre de l'article 90 du statut, il le présente ensuite comme introduit indépendamment de cette réclamation et il est de fait que les conclusions sont dirigées, non contre le rejet de la réclamation, mais contre les décisions
attaquées dans l'instance 12-64.
Quoi qu'il en soit, la Commission considère le recours comme irrecevable, qu'il dépende ou non de la réclamation formée au titre de l'article 90. Dans le premier cas, certains des actes attaqués n'avaient pas été visés par cette réclamation, et le rejet implicite de cette dernière, dans la mesure où il concernait les autres actes, était purement confirmatif des décisions anciennes et n'avait pas ouvert un nouveau délai de recours. Si l'on regarde au contraire le recours 29-64 comme se situant en
dehors du cadre de l'article 90 du statut, il est alors irrecevable comme formé après le délai de trois mois prévu à l'article 91.
Nous pensons que le recours est effectivement sans lien avec la réclamation puisque ce sont toujours les décisions anciennes qui sont attaquées, mais les conséquences qu'en tire la Commission du point de vue de la recevabilité ne sont pas évidentes, au moins en ce qui concerne les décisions du 26 février 1964 qui n'ont été ni publiées, ni notifiées. M. Ley en a certainement eu connaissance au plus tard le 9 mars 1964, quand il a formulé sa réclamation, mais la connaissance acquise peut-elle dans ce
domaine faire courir le délai de recours? C'est ce qui est douteux. L'avocat du requérant a très clairement rappelé dans la procédure orale que la chose est expressément prévue par l'article 173 du traité de Rome, s'agissant d'une façon générale des recours formés devant vous. Pour les litiges entre la Communauté et ses agents, l'article 179 se borne à dire que la Cour est compétente «dans les limites et conditions déterminées au statut». Or, l'article 91 de ce dernier texte, en même temps qu'il
fixe un délai de trois mois — différent par conséquent du délai de droit commun — dispose que ce délai court du jour de la publication de l'acte de l'autorité compétente ou de la notification de la décision à l'intéressé, selon qu'il s'agit d'une mesure de caractère général ou individuel, sans faire la moindre allusion à la connaissance acquise comme point de départ possible du délai. On peut donc soutenir qu'il n'y a pas de forclusion possible tant que trois mois ne se sont pas écoulés depuis la
notification ou la publication suivant le cas.
Deux objections peuvent être faites a cette solution. La première est que le recours serait prématuré tant que la formalité qui fait courir le délai n'est pas intervenue, mais qu'adviendrait-il alors au cas où l'acte aurait déjà été appliqué? On ne peut cependant paralyser le recours en n'accomplissant pas une formalité. L'autre objection est que cette solution qui permet dans le cas présent d'intenter successivement deux recours contre le même acte est peu conforme à l'esprit du règlement de
procédure; c'est un moyen commode pour tourner l'interdiction de produire des moyens nouveaux en cours d'instance. L'inconvénient peut être sérieux dans certains cas, nous doutons qu'il puisse conduire à ajouter à l'article 91 du statut une règle qu'il ne comporte pas. Non sans hésitation, et en tout cas sans enthousiasme, nous sommes ainsi conduits à admettre la recevabilité du recours 29-64 en tant qu'il est dirigé contre les décisions du 26 février 1964.
Cela nous permettra en tout cas de revenir sur le moyen écarte plus haut comme tardif et tiré de ce qu'en n'ouvrant pas un concours interne avant de passer à la phase du transfert, la Commission aurait violé l'article 29 du statut. On a analysé à la barre cet article dans ses diverses versions linguistiques qui ne diffèrent entre elles que par des nuances infimes, et si le requérant admet que l'autorité investie du pouvoir de nomination apprécie discrétionnairement en principe les possibilités de
promotion et de mutation, il lui refuse ce même pouvoir pour la phase suivante du recrutement: le concours interne. Ce dernier serait obligatoire car l'intervention qu'il prévoit d'un jury dans lequel doit figurer notamment un représentant du personnel comporterait pour les fonctionnaires plus d'avantages que la procédure de promotion. D'autres institutions considèrent d'ailleurs la phase du concours interne comme obligatoire et font appel régulièrement à ce mode de recrutement; d'une façon générale
enfin, l'esprit du statut consiste dans la préférence interne.
Nous sommes bien d'accord sur le principe, mais il nous apparaît malheureusement qu'il ne se traduit dans le texte de l'article 29 que sous une forme très atténuée. Relisons le début de cet article dans sa version française:
«En vue de pourvoir aux vacances d'emploi dans une institution, l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avoir examiné:
a) les possibilités de promotion et de mutation au sein de l'institution ;
b) les possibilités d'organisation de concours internes à l'institution…»
Il nous paraît difficilement concevable que le même terme de «possibilités» employé à deux lignes successives du même article puisse avoir une acception différente dans les deux cas, qu'il ne donne pas à l'autorité investie du pouvoir de nomination des facultés aussi étendues dans un cas que dans l'autre. Par ailleurs, l'obligation imposée à cette autorité n'est pas une obligation de «faire», mais seulement d'examiner. De même qu'elle est tenue d'examiner d'abord les possibilités de promotion, elle
doit ensuite, avant de passer à la procédure de transfert, examiner les possibilités d'organiser un concours interne, mais le fait que des candidats soient disposés à s'y présenter ne suffit pas à obliger l'administration à l'ouvrir. Nous sommes bien d'accord que ce système aboutit à conférer à l'autorité compétente un certain pouvoir d'appréciation portant même sur l'opportunité d'ouvrir un concours, mais il ne nous paraît aucunement contraire au texte de l'article 29. Le moyen doit donc être
écarté, et le recours 29-64 rejeté.
Restent enfin les conclusions jointes au recours 12-64 et tendant à ce que la part des dépens du référé mise à la charge du requérant par l'ordonnance du Président de la Cour du 4 mai 1964 soit supportée par la Commission. Disons tout de suite que le rejet des deux recours, si vous nous suivez, suffirait à justifier au fond le maintien de la décision attaquée. Mais la question préalable est celle de la recevabilité de ces conclusions. Quelle que soit la portée de l'argumentation du requérant tirée
du caractère provisoire des ordonnances de référé qui devrait conduire à réserver les dépens jusqu'à la solution de l'instance, il suffit pour l'écarter de se reporter à l'article 86 du règlement de procédure qui précise que l'ordonnance de référé n'est pas susceptible de recours. La charge des dépens ayant été réglée par l'ordonnance, demander que soit modifiée la répartition de ces dépens, c'est demander la réformation de l'ordonnance. De telles conclusions ne sont pas recevables.
Nous concluons en définitive:
1o Au rejet comme irrecevables des conclusions des requête 12-64 et 29-64 dirigées contre l'avis de vacance no 403, la notifis cation des postes vacants auprès de la Commission de la C.E.E- et contre la disposition de l'ordonnance du président de la Cour du 4 mai 1964 statuant sur les dépens du référé;
2o Au rejet comme non fondées des autres conclusions de ces requêtes;
3o A ce que chaque partie supporte ses propres dépens conformément à l'article 70 du règlement de procédure.