Conclusions de l'avocat général
M. KARL ROEMER
10 juin 1964
Traduit de L'allemand
SOMMAIRE
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Introduction (exposé des faits, conclusions des parties)
Appréciation juridique
I — Les points 1 à 3 des conclusions
1. La recevabilité
a) Premier chef des conclusions
b) Troisième chef des conclusions
2. Le bien-fondé
a) Violation de l'article 110 du statut du personnel
b) Violation de l'article 5 du statut du personnel
c) Méthode d'établissement des rapports
d) La composition de la commission d'intégration
e) La procédure de la commission d'intégration
f) Les autres moyens
II — La demande de dommages-intérêts
III — Résumé et conclusion
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
La présente affaire, comme d'autres, a trait aux longs efforts de la Commission de la C.E.E., après l'entrée en vigueur du statut du personnel des Communautés, pour se faire un jugement sur ceux de ses agents qui peuvent être titularisés.
Pour M. Rémy Huber, qui est au service de la Commission depuis le 1er octobre 1958, sur la base d'un «contrat de Bruxelles», cette procédure d'intégration a été négative. La commission d'intégration de la Commission a émis un avis défavorable sur son compte le 18 juillet 1962. Son contrat a été ensuite résilié par le directeur général de l'administration, par lettre du 18 juin 1963, conformément à une décision de la Commission des présidents, compétente en qualité d'autorité investie du pouvoir de
nomination.
D'où l'introduction de ce recours qui conclut :
1o à l'annulation de la procédure d'intégration et de l'avis de la Commission sur la personne du requérant;
2o à l'annulation de la résiliation du contrat;
3o à faire dire et juger que la Commission est tenue de soumettre à nouveau le requérant à la procédure d'intégration ;
4o à la condamnation de la Communauté ou de la Commission de la C.E.E. à des dommages-intérêts.
Appréciation juridique
I. L'examen de cette affaire sera tout d'abord consacré aux points 1 à 3 des conclusions dans leur ensemble, parce qu'ils ont tous pour but de remettre le requérant dans le statu quo antérieur à l'introduction de la procédure d'intégration. Nous porterons ensuite notre attention sur le point 4) : la demande de dommages-intérêts.
1. En ce qui concerne la recevabilité que la Commission conteste en partie (pour les points 1 et 3 des conclusions), nous pouvons être relativement brefs.
a) Ce qui est important pour le premier point, c'est l'annulation de l'avis de la commission d'intégration. Selon la Commission, elle ne saurait être demandée, parce qu'elle ne constitue qu'un acte préparatoire et non pas une décision.
Il ne nous est pas possible d'admettre cette thèse. On sait qu'en cas d'avis défavorable définitif de la commission d'intégration, l'autorité investie du pouvoir de nomination est juridiquement empêchée de titulariser le fonctionnaire en question dans le grade et dans l'échelon qu'il avait jusqu'à l'octroi des avantages découlant du statut. Un avis défavorable a donc parfaitement des effets juridiques et ceux-ci sont tels qu'ils en font, au sens de l'article 91 du statut du personnel, un acte
faisant grief, dont la légalité peut donner lieu à un recours.
Par contre, l'opinion de la Commission que l'annulation d'une procédure ne peut être envisagée nous parait juste, parce qu'une procédure ne constitue pas un acte au sens de l'article 91 du statut du personnel. Mais cela n'exclut pas un contrôle de la légalité de la procédure d'intégration avec, le cas échéant, cette conséquence que la Cour constate l'illégalité de l'acte résultant de la procédure. C'est en ce sens que nous devrions comprendre le premier point des conclusions, et en conséquence
il faut éviter de rejeter comme irrecevable, dans le dispositif de l'arrêt, la demande d'annulation de la procédure d'intégration.
b) Sur le troisième point, la Commission pense qu'il est interdit à la Cour de constater que le requérant doit être soumis à nouveau à la procédure d'intégration.
Sur ce point aussi, nous ne partageons pas l'avis de la Commission. Selon nous, les agents qui, à l'entrée en vigueur du statut, occupaient un poste permanent auprès de l'une des institutions des Communautés ont un droit à être soumis à la procédure d'inté gration. S'il apparaît au cours de l'examen juridique que la procédure d'intégration a été viciée par des irrégularités qui pouvaient influencer le contenu de l'avis de la commission d'intégration, la conséquence juridique nécessaire est que
la procédure doit être recommencée. A notre avis, elle peut être constatée dans le dispositif de l'arrêt, à moins que la Cour ne dispose pas de tous les éléments d'appréciation pour reconnaître la légitimité de cette constatation, mais cela ne touche pas la recevabilité de la conclusion, tout au plus son bien-fondé.
2. Le bien-fondé des points 1 à 3
Pour fonder les points 1 à 3 de ses conclusions, le requérant a exposé une série d'arguments dont nous allons maintenant nous occuper.
Notre attention se portera en premier lieu sur les arguments purement juridiques que d'autres procès nous ont déjà en partie rendus familiers.
a) Selon le requérant, la Commission a violé l'article 110 du statut du personnel, en ne prenant pas de mesures d'exécution de la règle d'intégration de l'article 102 ou tout au moins en ne le faisant pas selon la procédure de l'article 110 (c'est-à-dire après avoir entendu le comité du personnel et le comité du statut) et en ne les communiquant pas au personnel.
Il est certain, d'après l'état des faits, que la Commission a déjà adopté le 13 décembre 1961 un «règlement» sur la composition et le mode de travail de la commission d'intégration et, le 9 mars 1962, le texte définitif d'un «règlement intérieur de la commission d'intégration».
Le directeur général de l'administration a porté ces textes à la connaissance du comité du personnel le 23 mars 1962, mais uniquement à titre d'information et non pas pour avis.
La question principale consiste donc à savoir si l'article 102 exige l'adoption de mesures d'exécution selon les règles de l'article 110. Toute une série de circonstances, il est vrai, plaident en faveur d'une réponse affirmative.
— Tout d'abord, il nous semble certain, et nous l'avons déjà fait remarquer dans l'affaire 27-63, que l'article 110 n'est pas seulement valable pour les dispositions qui se réfèrent expressément à lui. Ce qui est décisif, c'est de savoir si le contenu de fond d'une règle exige l'adoption de mesures d'exécution, c'est-à-dire si, dans le cas contraire, son application est impossible ou ne l'est pas dans une forme adéquate.
— En ce qui concerne l'article 102, la Commission, en adoptant des mesures d'exécution, a manifestement donné un sérieux argument en faveur de la thèse du requérant. Ces règlements déterminent la composition de la commission d'intégration (nombre des membres, nationalité et grade minimum des membres), la manière dont la commission forme son jugement (production de documents, audition des intéressés, de leurs supérieurs et d'autres agents), les personnes qui peuvent prendre part à ses séances, les
conditions de vote (nombre minimum et nationalité des membres présents, abstention si le membre a un intérêt dans l'affaire, décision en cas de partage des voix) etc. (cf. en outre les dispositions sur le secret, la rédaction des procès-verbaux, l'ordre des examens).
En fait, la lecture de l'article 102 donne l'impression qu'il est indispensable de le compléter à l'aide de dispositions d'exécution en fonction de l'objet de la réglementation. L'article 102 ne dit rien de plus que ceci: l'autorité investie du pouvoir de nomination crée dans chaque institution une commission d'intégration composée d'agents exerçant des fonctions de direction au sein de l'institution et, sur la base d'un rapport de leurs supérieurs hiérarchiques, cette commission fournit un avis
sur l'aptitude des agents à exercer les fonctions auxquelles ils sont affectés. Compte tenu de l'énorme importance de la procédure d'intégration pour les différents agents, ce n'est pas là, assurément, une règle très détaillée et très précise.
— A notre avis, on ne peut dire non plus que les dispositions transitoires des articles 102 à 109 ne font pas partie du statut et que, pour ce motif, l'article 110, qui parle des dispositions générales d'exécution du présent statut, ne lui est pas applicable. D'un point de vue formel, toutes les règles qui sont groupées sous le titre de «Statut des fonctionnaires de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique», sous les articles 1 à 110, sont des
parties du statut. Cela résulte du seul article du règlement du Conseil fixant le statut des fonctionnaires et qui dit que : «Le statut des fonctionnaires… de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique est déterminé par les dispositions figurant en annexe I.»
Cependant, nous croyons qu'en fin de compte, il n'y a pas de violation de l'article 110 dans le cas actuel. En effet, la thèse de la Commission selon laquelle l'article 110 ne vaut que pour les dispositions principales du statut qui sont destinées à une application permanente, et non pas pour les dispositions transitoires, dont l'effet s'épuise par une application unique, semble devoir être exacte. Deux arguments peuvent être invoqués à cet effet.
L'article 110 parle de dispositions générales d'exécution. Selon une conception correcte, l'adjectif «général» ne peut avoir à cet égard que le sens d'une référence au caractère normatif des dispositions d'exécution. Il doit donc s'agir de règles qui sont applicables dans l'avenir à un nombre indéterminé de cas. L'article 102, par contre, ne s'applique qu'à un nombre exactement déterminable d'agents, c'est-à-dire à ceux qui, lors de l'entrée en vigueur du statut, occupaient un emploi permanent
auprès de l'une des institutions des Communautés. — D'autre part, renvoi peut être fait à l'article 107 qui figure aussi parmi les dispositions transitoires et qui exige expressément l'avis du comité du statut pour l'adoption des dispositions d'exécution. Cette circonstance nous semble être la preuve qu'en principe l'article 110 ne vise pas les dispositions transitoires. En effet, s'il s'appliquait à elles, la participation du comité du statut n'aurait pas eu besoin d'être mentionnée à
l'article 107, précisément parce que l'article 110 prescrit l'avis du comité du statut en plus de l'audition du comité du personnel.
En conséquence, le grief que la Commission aurait violé l'article 110 en omettant d'entendre le comité du personnel et de publier le règlement avant d'adopter le règlement intérieur de la commission d'intégration n'est pas fondé.
b) Le requérant déduit un second grief de l'article 5 du statut du personnel. Il dit que les rapports des supérieurs hiérarchiques, prévus à l'article 102, ne pouvaient être établis qu'après la description des fonctions et attributions (article 5), laquelle était indispensable comme critère d'appréciation.
Ce grief nous semble également mal fondé. D'après le texte clair de l'article 102, la commission d'intégration ne devait prendre position que sur l'aptitude de l'agent à exercer les fonctions qui lui sont confiées, c'est-à-dire sur la manière dont un agent, jusqu'à la date de sa titularisation, a exécuté dans le passé ses obligations de service. A cet effet, l'organisation administrative existante, qui permettait de déterminer objectivement le domaine d'attribution et l'activité de chaque agent,
constituait un critère suffisant. Par contre, la commission d'intégration n'avait pas pour tâche de rendre un jugement sur les possibilités ultérieures d'utilisation de l'agent, donc d'agir en fonction de l'organisation administrative future de la Commission pour laquelle seules les descriptions de fonctions de l'article 5 sont déterminantes.
c) Tout proche du grief fondé sur l'article 5, il y a toute une série de griefs qui portent également sur le mode d'élaboration des rapports d'appréciation.
— De façon tout à fait générale, le requérant estime que la méthode d'appréciation était trop subjective. Selon lui, une plus grande objectivité aurait pu être obtenue si les rapports avaient fait état, tout au moins en partie, de faits au lieu d'appréciations. En outre, au nom du principe de l'égalité de traitement, il aurait fallu fixer préalablement, de manière générale et unitaire, des critères d'appréciation pour tous les agents occupant les mêmes fonctions.
Pour ces griefs aussi, nous devons renvoyer tout d'abord au texte de l'article 102 qui parle de rapports sur la compétence, le rendement et la conduite dans le service. Il s'agit là essentiellement d'une appréciation subjective, d'un jugement de valeur. C'est en ce sens que s'est prononcée la première chambre de la Cour dans l'arrêt Leroy lorsqu'elle a rejeté le grief du requérant sur la nature générale et subjective des remarques de ses supérieurs hiérarchiques, en notant que le rapport de
l'article 102 a pour but d'apprécier le comportement d'ensemble de l'agent. De ce fait, on ne pourrait exiger qu'il entre dans les détails et qu'il mentionne des faits particuliers. En fait, le rapport prendrait une ampleur démesurée s'il devait répondre à chacune des questions d'appréciation en indiquant des faits. En cas de doute ou en cas de litige, la suite de la procédure d'appréciation permettait d'entrer dans les détails de fait. La commission d'intégration n'était donc nullement forcée
d'appuyer son jugement exclusivement sur des appréciations étrangères et subjectives.
En ce qui concerne la fixation de critères d'appréciation, on peut naturellement s'imaginer, et toute personne qui en pratique a fait passer des examens le sait bien, que des examinateurs peuvent aboutir à des résultats différents dans l'application de la même échelle d'appréciations, notamment parce qu'ils ont des opinions différentes sur la rigueur des critères à appliquer. Mais on peut parer à ce danger non seulement par un système arithmétique d'appréciation, qui viserait la perfection,
mais aussi par le système d'une commission unique se prononçant sur l'ensemble des appréciations, ce qui est le cas pour la procédure d'intégration. Il peut empêcher une inégalité de traitement définitive des agents, en corrigeant des éléments subjectifs par le recours à d'autres éléments d'appréciation (audition d'autres agents et autres preuves).
— Dans le cas particulier du requérant, il a été encore allégué à cet égard que son supérieur hiérarchique lui était hostile.
Si l'on voulait ainsi soutenir qu'il n'aurait pas fallu tenir compte du rapport de ce supérieur, force est de noter que l'article 102 ne prévoit pas une exception à la régle (appréciation par le supérieur hiérarchique).
La commission d'intégration ne pouvait donc rejeter le rapport du supérieur hiérarchique sans violer le statut du personnel.
D'ailleurs, précisément dans de pareils cas, la suite de la procédure d'intégration a donné la possibilité d'assurer une très large objectivité en ayant recours à d'autres éléments d'appréciation. C'est ce qui a eu lieu dans le cas présent. D'autres supérieurs hiérarchiques ont aussi donné leur opinion sur la personne du requérant, des témoins ont été entendus et finalement l'avis de la commission d'intégration a été rendu à l'unanimité.
Dans son ensemble, la procédure d'appréciation sur la valeur professionnelle de l'intéressé dans les rapports des supérieurs hiérarchiques n'apparaît donc pas critiquable.
d) Le requérant a également énoncé des critiques sur la composition de la commission d'intégration.
Il critique la participation d'un membre du service juridique de la Commission qui, bien que classé au grade A 2, n'exerce pas des fonctions de direction au sens de l'article 102, et il estime illégale la présence aux réunions de la commission d'un haut fonctionnaire de l'administration qui ne faisait pas partie de la commission d'intégration.
Ces griefs ne nous paraissent pas davantage fondés. Certes, l'article 102 du statut du personnel prescrit que la commission d'intégration doit se composer «d'agents exerçant des fonctions de direction». Cependant, nous estimons que ce texte exige seulement la participation d'agents d'un rang élevé, disposant des connaissances voulues, d'expérience et d'autorité. Par contre, il ne nous semble pas nécessaire qu'il s'agisse de chefs de direction, donc d'agents qui soient à la tête d'un service
administratif. Vu la structure de fait de l'administration de la Commission, les membres du service juridique n'auraient pas pu appartenir à la commission d'intégration, résultat qui n'est certainement pas souhaitable, surtout pour celui qui exige le respect de certaines règles de procédure lors de la procédure d'intégration.
En ce qui concerne la présence de l'agent de la direction administration, on ne peut en fait écarter certaines objections. En principe, il faut reconnaître que le travail de la commission d'intégration, qui aboutit à des résultats importants, ne doit pas être influencé par des tiers ou être soumis aux risques d'une influence inadmissible.
Cependant, nous constatons à la lecture des procès-verbaux qui ont été produits que l'agent en question n'a pris part que comme observateur aux séances préparatoires, sans assister à la séance décisive au cours de laquelle une décision a été prise sur l'aptitude du requérant. De ce fait, cette circonstance également ne devrait pas permettre de considérer que la procédure de la commission d'intégration était entachée d'un vice.
e) Par contre, il y a fort à réfléchir sur le grief selon lequel la commission d'intégration n'a pu assurer les droits de la défense, parce que des témoins auraient été entendus en l'absence du requérant et parce que ce dernier n'a pas eu le dernier mot.
Ce faisant, à notre avis, peu importe que la procédure d'intégration, comme le requérant le pense, doive être considérée comme une procédure administrative contentieuse. Il suffit pour notre examen que nous nous rappelions la signification et les fonctions de la procédure d'intégration.
Jusqu'à l'adoption du statut du personnel, il n'existait à la Communauté économique européenne, selon l'article 246 du traité, que des contrats d'emploi du personnel limités dans le temps. En principe, ils ne donnaient aucun droit à un emploi permanent; mais, comme le dit la jurisprudence de la Cour (affaires 43, 45, 48-59, tome VI, p. 956), leur résiliation devait être justifiée «par des motifs tenant à des raisons de service», ce qui permet de penser à une certaine stabilité. L'entrée en
vigueur du nouveau statut du personnel a entraîné une modification dans cette situation juridique. Elle a renforcé la situation juridique des agents, en ce sens que tout agent qui occupait à ce moment un emploi permanent auprès d'une institution de la Communauté devait être soumis à une procédure d'examen pour savoir s'il y avait lieu de le titulariser. Si le résultat de la procédure d'examen était positif, en pratique il était nommé fonctionnaire titulaire, apparemment, et cela à juste titre, en
reconnaissance d'une sorte de vocation de ces agents dont un bon nombre avait travaillé depuis des années pour la Commission. Si le résultat de l'examen était négatif, d'après le statut le contrat d'emploi devait en règle générale être résilié.
La procédure d'examen avait donc une très grande importance juridique pour la carrière des agents. Il en résulte, à notre avis, qu'elle devait être conduite avec le plus grand soin possible et avec le but d'arriver à un examen extrêmement consciencieux et objectif de l'aptitude au service. Comme en outre l'objet de la procédure consistait à énoncer des jugements de valeur, qui, en tant que tels, ne sont pas soumis au contrôle juridictionnel, il devait y avoir la garantie qu'aucun élément
d'appréciation dont pouvait résulter une influence sur la formation du jugement de valeur ne serait négligé.
C'est en partant de cette base qu'il faut apprécier les griefs énoncés concrètement. Nous savons par la lecture des procès-verbaux qui ont été produits que la commission d'intégration a entendu dans le cas du requérant ses supérieurs hiérarchiques et un autre agent de la Commission. Nous ne savons rien sur la teneur de cette audition, car aucun procès-verbal n'a été rédigé. Le requérant a pu déclarer, sans être contredit, qu'il n'avait pas été tenu informé du contenu des dépositions; en
conséquence, il n'a pas pu présenter ses observations. Or, on ne peut exclure que la commission d'intégration ait pu être influencée dans son opinion générale par les observations du requérant qui aurait pu contredire ou compléter les témoignages. La non-audition du requérant constitue donc un vice de procédure que la Cour ne peut négliger.
Pour revenir sur une formule de l'arrêt Leroy qui se prononce également sur la procédure d'intégration: la commission d'intégration a omis à tort de mettre l'intéressé en mesure «de présenter ses observations sur les éléments susceptibles d'avoir une influence sur sa titularisation».
Ce vice de procédure ne peut avoir pour résultat que la Cour tente de se faire elle-même une idée de l'importance des dépositions des supérieurs hiérarchiques et des observations de l'intéressé à leur sujet. Si elle ne veut pas se mettre à la place de l'administration, à laquelle seule il appartient d'apprécier les qualités professionnelles de l'intéressé, il reste comme seule solution d'annuler les actes pris sans respecter les règles nécessaires de procédure et de renvoyer l'affaire à
l'exécutif pour décision à prendre.
Ce dernier grief suffit à tout le moins, à notre avis, pour annuler l'avis de la commission d'intégration et la décision de licenciement qui se fonde sur ce dernier.
f) L'examen des autres moyens du recours pourrait ainsi devenir inutile. Cependant, nous désirerions montrer encore en quelques mots que les autres griefs ne sont pas pertinents.
— Il en est tout d'abord ainsi pour le grief de défaut de motif.
Certes, l'avis de la commission d'intégration est très court. Il se réfère seulement au rapport du supérieur hiérarchique, à d'autres informations recueillies, à l'audition de l'intéressé, et il indique deux motifs qui font apparaître que le requérant n'est pas apte pour son emploi. Cependant, tout comme la première chambre l'a fait dans l'affaire Leroy (et d'ailleurs en maintenant la thèse que nous avons énoncée dans l'affaire 1-63 au sujet des motifs des décisions purement individuelles),
nous considérons qu'il suffit que l'acte attaqué se réfère à d'autres actes détaillés qui étaient connus du requérant, bien que certains doutes à l'égard de la formule générale et vague «d'autres informations» soient loin de paraître injustifiés.
En outre, une violation de l'article 25 du statut du personnel ne pourrait non plus résulter du fait que la commission d'intégration ne s'est pas prononcée sur les documents produits par le requérant lors de la procédure d'intégration, car il n'entre pas dans le cadre de l'obligation formelle de motiver de discuter tous les arguments énoncés par l'intéressé.
Cette obligation est remplie au contraire lorsque l'administration en question indique les motifs qui, à son avis, doivent motiver un acte.
— Il en est de même pour le grief selon lequel le droit du requérant de se défendre aurait été lésé du fait qu'il n'a pu avoir l'assistance d'un conseil lors de la procédure d'intégration. Nous ne voyons pas, d'après les procès-verbaux produits, qu'un tel droit ait été contesté au requérant, et nous devons plutôt nous en tenir aux indications de la Commission que jamais le requérant n'a tenté d'introduire un conseil dans la procédure.
— De même, le grief de fausse appréciation des faits ne peut, à notre avis, apporter un argument supplémentaire pour annuler la mesure attaquée. Il s'appuie sur la circonstance que le supérieur hiérarchique du requérant, dans son rapport d'appréciation, a qualifié de médiocres les connaissances écrites du requérant en allemand. De son côté, le requérant invoque son baccalauréat économique, passé en allemand à Strasbourg, et un examen d'allemand passé avec distinction à l'université de Liège. Mais
nous estimons que ce point peut être écarté, parce que l'avis de la commission d'intégration ne donne pas l'impression que le degré de non-connaissance de l'allemand ait joué un rôle décisif pour l'appréciation portée sur le requérant. Inversement, on peut tirer du refus de la commission d'intégration de faire usage des preuves de ses connaissances d'allemand, offertes par le requérant, la conclusion que cette question lui importait peu.
II. Finalement, il nous reste à nous occuper des conclusions tendant à des dommages-intérêts qui, au cours des débats oraux, sous l'effet de l'arrêt 18-63, ont été modifiées en ce sens que le requérant a réclamé les sommes qu'il aurait reçues à titre de traitement après son licenciement.
Il y a peu à dire sur ce chef des conclusions. Si en fait, ce que nous estimons juste, l'avis de la commission d'intégration, et par là la décision de licenciement de la Commission, doivent être annulés, il en résulte nécessairement que le requérant continue à être au service de la Commission et qu'il a droit à son traitement mensuel, comme cela résulte de son contrat d'engagement. Il n'existe en fait aucune raison de ne pas appliquer au cas d'espèce les principes que la Cour a énoncés dans
l'arrêt 18-63.
Mais nous nous demandons s'il y a lieu d'indiquer dans le dispositif de l'arrêt la condamnation à une somme donnée. On peut en effet penser qu'il y a lieu de déduire de la somme réclamée celles que le requérant a obtenues dans un autre emploi, après la date de son licenciement à la Commission. C'est pourquoi la Cour devrait se borner à prononcer dans l'arrêt le principe de l'obligation de verser des dommages-intérêts et à laisser à la Commission le soin d'exécuter l'arrêt, compte tenu de toutes
les circonstances de fait.
III. Résumé et conclusion
Nous en venons finalement au résultat suivant : la Cour devra faire droit à la requête et devra annuler l'avis de la commission d'intégration et, comme le licenciement n'aurait pas été prononcé sans cet avis, la décision de licenciement. Elle devra en outre constater que le requérant doit être soumis à nouveau à une procédure d'intégration, pour laquelle, selon les principes généraux du droit, la composition de la Commission doit être modifiée et elle devra constater que le requérant a droit au
paiement de son traitement, même après la date du licenciement.
La Commission devra supporter les dépens, car sur l'essentiel le recours a eu gain de cause.