Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
14 mai 1964
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Ce serait, croyons-nous, faire injure à la Cour que de relater, même sommairement, l'historique de l'organisation de la vente en commun des charbons de la Ruhr et des vicissitudes que cette organisation a subies depuis qu'elle se trouve soumise aux dispositions de l'article 65 du traité C.E.C.A. : la Cour s'est trouvée mêlée de trop près à cette histoire pour ne pas être à même d'aborder en pleine connaissance de cause la nouvelle péripétie que constituent les décisions 5 et 6-63 de la Haute
Autorité et le recours formé contre elles par le gouvernement du royaume des Pays-Bas. Ceci ne signifie pas d'ailleurs que le présent recours ne mérite pas un examen sérieux, comme les précédents, d'autant plus que c'est la première fois qu'un État membre attaque devant vous une décision d'autorisation, que les entreprises minières intéressées et les comptoirs paraissent au contraire accepter.
Rappelons seulement que le litige est nécessairement enfermé dans un cadre qui, du point de vue juridique, est constitué essentiellement par l'avis de la Cour 1-61 du 13 décembre 1961 et l'arrêt 13-60 du 18 mai 1962 et, du point de vue économique, par une situation concurrentielle profondément différente — c'est l'évidence même — de ce qu'elle était dans les premières années qui ont suivi la mise en vigueur du traité. Cela est très important, car il n'est pas interdit de penser qu'une autorisation
du type de celle qui résulte des décisions attaquées aurait pu avoir, si elle avait été prise au début du fonctionnement du marché commun du charbon, des effets fort différents de ceux qu'elle est susceptible de comporter dans la conjoncture actuelle et même (qui sait?) obtenir peut-être dès cette époque une organisation conforme aux règles du traité et satisfaisant à ses buts, ce qui, comme le gouvernement requérant le rappelle à juste titre, n'a pas été le cas.
Nous ne croyons pas nécessaire non plus d'analyser ici en détail les décisions attaquées. Vous savez qu'elles autorisent, sous diverses conditions, deux accords par chacun desquels la moitié environ des sociétés minières du bassin de la Ruhr se sont groupées pour réaliser la vente en commun des combustibles provenant de leurs exploitations respectives par l'intermédiaire d'un comptoir de vente, «Geitling», pour l'un des groupes, et «Präsident», pour l'autre. Il n'existe plus, comme cela avait été le
cas antérieurement, un «bureau commun» répartissant les commandes entre les comptoirs, ni une «commission des normes», ni des mécanismes financiers de compensation, ni une société d'exportation commune; d'autre part, en cas de Konzerne, toutes les sociétés d'un même groupe sont affiliées au même comptoir.
Il existe encore, cependant, des organismes communs, la «Ruhrkohle-Treuhand» et la «Ruhrkohlen-Beratung», travaillant pour les deux comptoirs, la première devant toutefois borner son activité «au traitement mécanique et électronique de données» sans avoir le droit d'intervenir dans la tenue de la comptabilité des comptoirs ni dans leur gestion financière (considérant 7), et la seconde ayant des missions d'études techniques, de «publicité en faveur du charbon de la Ruhr» et d'«études générales sur le
marché de l'énergie» (considérant 8)
A l'appui du recours sont invoqués les quatre moyens de l'article 33. Toutefois, le moyen de détournement de pouvoir n'est pas développé ni présenté d'une manière indépendante; nous pouvons donc le négliger. Nous ferons de même en ce qui concerne l'incompétence, bien que le requérant paraisse y attacher une certaine importance. En effet, comme il arrive généralement, les chefs d'incompétence soulevés se confondent avec des griefs tirés de la violation du traité: ce qui est reproché à la Haute
Autorité est d'avoir méconnu l'étendue de sa compétence dans l'exercice de pouvoirs qui ne lui sont cependant pas contestés. La question de savoir si de tels griefs relèvent ou non de l'incompétence n'aurait d'intérêt que s'il s'agissait pour la Cour de les soulever d'office, en raison du caractère d'ordre public que ce moyen présente par lui-même; mais, dès lors que le moyen est expressément soulevé, il importe peu qu'il soit examiné sous l'égide de l'incompétence ou de la violation du traité. En
général, c'est à ce dernier titre que la Cour se prononce en pareil cas, ce qui est normal, puisque aussi bien ce sont les dispositions du traité qui fixent les limites de compétence de la Haute Autorité.
Quant à la «violation des formes substantielles», en l'espèce le défaut ou l'insuffisance des motifs, elle est toujours, dans un pareil domaine, en partie liée au fond, c'est-à-dire à la légalité, puisque, comme vous avez eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler, les exigences de la motivation varient selon le caractère plus ou moins discrétionnaire du pouvoir exercé et doivent être telles qu'elles mettent la Cour en mesure d'exercer le contrôle de légalité qui lui appartient tout en respectant
les limites du pouvoir discrétionnaire qui résultent tant de la nature du recours en annulation que des restrictions de l'article 33 (arrêts 18-57, Nold, 20 mars 1959, Recueil, V, p. 114; 36-57, Nold et Comptoirs, 15 juillet 1960, Recueil, VI, p. 890). Dans cette dernière affaire, vous n'avez même examiné en détail les divers griefs soulevés qu'à l'occasion du moyen tiré de la violation des formes substantielles.
En l'espèce, toutefois, certains griefs n'ont trait qu'à la motivation: nous les examinerons séparément. Nous traiterons ensuite des autres griefs qui, ou bien ne relèvent que de la seule violation du traité, ou bien relèvent des deux catégories de moyens dans des conditions telles qu'un examen séparé serait quelque peu artificiel ou de nature à entraîner des répétitions. Cette méthode aura aussi l'avantage de suivre de plus près l'ordre des trois alinéas a, b et c, de l'article 65, paragraphe 2.
I
Griefs fondés exclusivement sur la violation des formes substantielles
Le premier est tiré de l'absence de publication «in extenso» des contrats et résolutions autorisés, d'où il résulterait que les motifs des décisions attaquées ne donnent qu'une idée incomplète du système approuvé par la Haute Autorité.
Ce grief ne peut être retenu. Il est évident que les exigences de la motivation d'une décision d'autorisation prise en vertu de l'article 65 paragraphe 2, ne s'étendent pas à la nécessité de publier l'intégralité des accords autorisés: il suffit que la décision en donne une analyse assez complète pour permettre d'en apprécier le caractère eu égard aux exigences du traité, ce qui est bien le cas.
Cela ne veut pas dire que, le cas échéant, la production (non la publication) des accords pourrait se révéler utile pour permettre aux parties de mieux étayer telle ou telle partie de leur argumentation et à la Cour d'être mieux éclairée, mais cela relève, comme dans tout litige, de l'instruction de l'affaire et non de la motivation. En fait, d'ailleurs, le requérant a reçu communication en cours de procédure de tous les documents et est ainsi parfaitement à même de comprendre la portée des
références au texte des accords que comportent certaines dispositions des décisions attaquées ou de leurs motifs.
Le deuxième grief n'ayant trait qu'à la violation des formes substantielles, concerne l'insuffisance de motivation des décisions attaquées eu égard à la première condition exigée par l'article 65, paragraphe 2, celle qui est énoncée au a. Les décisions attaquées ne feraient pas ressortir, ou ne le feraient qu'insuffisamment, en quoi les accords autorisés «contribueront à une amélioration notable dans la… distribution des produits visés».
Les motifs à cet égard se trouvent dans le considérant 26, alinéa 1. Il nous paraît suffisamment motivé par rapport aux exigences du a. En effet, les divers avantages de la vente en commun des produits charbonniers en général, et de ceux de la Ruhr en particulier, quant à l'amélioration de la distribution sont bien connus et n'ont jamais été contestés; ils ne le sont d'ailleurs pas par le gouvernement requérant. Il suffisait que les décisions attaquées les résument, ainsi qu'elles l'ont fait, à
notre avis, d'une manière claire et précise, au no 26 des considérants.
II
Autres griefs
A — Griefs relatifs à l'application de l'article 65, paragraphe 2, b
Ici, il ne s'agit plus seulement d'établir que «des accords» de spécialisation, d'achat ou de vente en commun «contribueront à une amélioration notable dans la production ou la distribution des produits visés», par rapport à la situation qui existerait en l'absence de tels accords: il faut encore vérifier que «l'accord en cause est essentiel pour obtenir ces effets sans qu'il soit d'un caractère plus restrictif que ne l'exige son objet», ce qui implique un véritable jugement portant sur toutes les
caractéristiques de l'accord et les effets qu'il est susceptible d'entraîner. Un tel jugement comporte nécessairement une large part d'appréciation de caractère principalement technique et commercial, puisqu'il s'agit en définitive de savoir si les restrictions à la liberté et à l'autonomie des entreprises, prévues à l'accord, sont à la fois nécessaires et suffisantes pour obtenir les améliorations recherchées dans le régime de production ou le système de distribution. Ensuite, mais ensuite
seulement, viendra la confrontation avec les exigences du c qui met surtout en jeu une appréciation anticipative de nature économique relative aux effets restrictifs que l'accord peut entraîner quant à la concurrence sur le marché, du fait de la position dominante qu'il est susceptible de donner aux entreprises intéressées: il s'agit alors d'un véritable arbitrage à rendre entre l'optimum technique et la nécessité de sauvegarder cette «dose de concurrence» qui doit toujours subsister même dans un
marché imparfait, selon la doctrine de votre arrêt 13-60. Permettez-nous de renvoyer à cet égard aux quelques observations que nous avions présentées dans nos conclusions sur les affaires Nold et Comptoirs, page 913 et suivantes du volume VI.
Il va de soi, cependant, que, même dans l'examen des conditions du b, la notion de concurrence reste sous-jacente, puisque l'obligation de rejeter les «restrictions» que n'exige pas l'objet de l'accord est déjà justifiée par l'atteinte à la concurrence que l'accord constitue par lui-même et qui, pour cette raison, entraîne en principe son interdiction en vertu du paragraphe premier de l'article 65. C'est pourquoi certains considérants des décisions attaquées tels que les considérants 27 à 33,
destinés à assurer l'indépendance des deux comptoirs l'un vis-à-vis de l'autre, relèvent aussi bien du c que du b.
Quelles sont donc les critiques formulées par la requête au regard des conditions du b?
1. Il en est d'abord une qui vise la structure et, en particulier, le nombre des comptoirs autorisés: il n'y avait aucune raison impérieuse, nous dit-on, pour n'établir que deux comptoirs de vente dans la Ruhr.
A cela, la défenderesse répond qu'elle n'a pas à se faire juge, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation, de la question de savoir si tel ou tel autre accord répondrait aussi, sinon mieux, aux conditions de l'article 65, paragraphe 2, mais seulement d'apprécier la conformité à ces conditions de l'accord qui lui est soumis; il en est ainsi de la «dimension» des organismes de vente: la Haute Autorité n'a pas à rechercher la «dimension optimale» que devraient présenter ces organismes.
Présentée sous cette forme, la thèse de la défense est sans doute trop absolue. Il n'est pas exact, en effet, que la Haute Autorité n'ait le choix qu'entre le rejet pur et simple ou l'acceptation sans conditions des demandes d'autorisation qui lui sont soumises. D'abord, en fait, tout le monde sait que les décisions sont précédées de longues et laborieuses discussions avec les intéressés et qu'en attendant la Ruhr continue à vivre sous le régime d'une organisation de cartel, qu'elle connaît
depuis fort longtemps et qui, légale ou non, a été maintenue depuis l'entrée en vigueur du traité: elle a été maintenue d'abord à la faveur d'une interprétation libérale des dispositions transitoires qui a fait l'objet d'une décision de la Haute Autorité (décision 37-53 du 11 juillet 1953) dont la légalité a été consacrée par la Cour (arrêts 6-54 du 21 mars 1955, Recueil, I, p. 222 et 1-58 du 4 février 1959, Recueil, V, p. 64 et s.), sans jamais avoir été contestée, du moins expressément, par
aucun des gouvernements des États membres; l'organisation cartellisée a été maintenue ensuite chaque fois qu'il est apparu nécessaire, au bénéfice de prorogations accordées par la Haute Autorité. Personne n'envisage que la Ruhr puisse être brusquement privée de toute organisation de vente en commun. D'autre part, la Haute Autorité à toujours le droit — et elle en a fréquemment usé — de subordonner son autorisation à certaines modifications à apporter à l'organisation qui lui est soumise. Ainsi,
au cas où elle aurait estimé que des accords se référant à une organisation limitée à deux comptoirs n'étaient pas «essentiels» pour obtenir une meilleure distribution des produits et avaient, du fait de cette limitation, un caractère «plus restrictif que ne l'exige» cet objet d'une meilleure distribution, elle eût été en droit (et même dans l'obligation) de refuser son autorisation, c'est-à-dire, pratiquement, de faire connaître en temps utile aux intéressés à quelles conditions touchant le
nombre des comptoirs elle aurait été disposée à subordonner l'autorisation.
Nous ne pensons pas, cependant, que le moyen doive être accueilli. En ce qui concerne la légalité, il s'agit d'une question d'appréciation relevant essentiellement du pouvoir discrétionnaire de la Haute Autorité. On peut penser qu'une organisation de vente en commun répartie en deux comptoirs de vente indépendants, même de structure à peu près identique, est de nature à assurer une meilleure distribution qu'une organisation plus émiettée; la question vraiment délicate — que nous examinerons le
moment venu — est bien plutôt celle de la compatibilité du système des deux comptoirs avec les dispositions de l'alinéa c.
Sous l'angle de l'insuffisance de motifs, on peut avoir un peu plus de doutes, car on ne trouve pas dans les considérants des décisions attaquées de justification particulière (sur cette question de la structure et notamment du nombre des comptoirs) en ce qui concerne les exigences de l'alinéa b. Cependant, nous pensons que les considérations exposées au no 26, rapprochées de l'ensemble des motifs de chacune des décisions, suffisent à cet égard. En effet, comme nous l'avons dit, il semble
difficilement contestable que l'amélioration des conditions de distribution des produits houillers, résultant d'une organisation de vente en commun (question sur laquelle s'explique la Haute Autorité au no 26) est d'autant plus grande que la concentration est plus forte, surtout s'agissant des produits d'un même bassin, comportant à peu près la même gamme et offerts à un grand nombre de clients; or, ce qui est évident n'a pas besoin d'être motivé, ainsi qu'on nous l'a fort justement rappelé à la
barre. Encore une fois, c'est par rapport à l'alinéa c que la question de la dimension des organismes de vente prend réellement son importance et, à cet égard, les décisions attaquées s'expliquent longuement.
2. Le deuxième grief relatif à l'alinéa b est tiré de ce que la Haute Autorité n'a pas suffisamment motivé, et n'a pas légalement justifié, ses décisions en tant qu'elles admettent que les accords ne «sont pas d'un caractère plus restrictif que ne l'exige leur objet» ; la question n'aurait été examinée qu'à l'égard d'une partie des clauses accords.
Sur le terrain de l'insuffisance des motifs, ce grief ne nous paraît pas devoir être retenu. La Haute Autorité a passé au crible toutes les clauses des accords qui lui ont paru précisément être «plus restrictives que ne l'exigeait leur objet» : elle s'explique à cet égard dans les considérants 27 à 33 (et aussi dans les considérants 34 à 36 relatifs à la réglementation commerciale), en restreignant ou en soumettant à certaines conditions l'application des accords sur les points en cause. Elle
pouvait, dans ces conditions, se borner à constater, au deuxième alinéa du considérant 26, que «abstraction faite de certaines exceptions qui restent à examiner, (les accords) ne sont pas d'un caractère plus restrictif que ne l'exige leur objet».
Sur le terrain de la légalité, le requérant n'indique pas, ou n'indique pas de manière précise, quelles sont les clauses autorisées des accords qui comporteraient des restrictions contraires à l'alinéa b ni pour quels motifs elles devraient être considérées comme entachées d'illégalité. Le grief, dans son ensemble, nous paraît devoir être écarté.
B — Griefs relatifs aux modalités de contrôle institués par la Haute Autorité
Le requérant répartit ces griefs entre le moyen d'incompétence et le moyen de violation du traité (il n'est pas question, ici, de violation des formes substantielles). Nous préférons les examiner ensemble, pour les motifs exposés au début de ces observations, et aussi pour les deux raisons suivantes :
1o Les deux moyens ont trait à des dispositions des décisions attaquées liées entre elles et bien distinctes des autres à savoir les articles 15 et 16;
2o La source des pouvoirs que détient en la matière la Haute Autorité se trouve essentiellement dans des textes (article 65, paragraphe 2, alinéas 3 et 4; article 65, paragraphe 3, et article 47 du traité) qu'il y a lieu de considérer ensemble au regard des deux moyens soulevés.
Il peut sembler étrange, à première vue, que le gouvernement requérant, qui considère les accords autorisés comme ne remplissant pas les conditions légales, critique également les dispositions arrêtées pour en surveiller aussi étroitement que possible l'application. Jusqu'à présent, ce sont les comptoirs qui s'étaient montrés réticents dans ce domaine. En réalité, la critique essentielle du gouvernement requérant porte sur le fait que la Haute Autorité aurait substitué à l'énonciation de conditions
précises et objectives inscrites dans les décisions d'autorisation un simple contrôle ultérieur de l'activité réelle des comptoirs dans l'exécution d'accords soumis à des conditions trop lâches: en somme, aurait pensé la Haute Autorité, faisons confiance aux intéressés et nous verrons bien comment ils se comportent! Une telle attitude serait contraire au traité.
Le système d'«intervention préventive et répressive» qu'on reproche à la Haute Autorité d'avoir institué est critiqué en ce qui concerne les dispositions de l'article 15, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 1, 2e partie des décisions attaquées. Rappelons les termes de ces textes :
Article 15, Paragraphe 3 :
«L'application des contrats, résolutions et décisions énumérés à l'alinéa (1) a, b et c (c'est-à-dire des actes sociaux considérés comme les plus importants) est subordonnée à la constatation, par la Haute Autorité ou ses services, qu'ils sont couverts par l'autorisation accordée par la présente décision, ou à leur autorisation par la Haute Autorité au titre du paragraphe 2 de l'article 65 du traité.»
Article 16, paragraphe 1 :
«Dans la mesure qu'elle jugera nécessaire, la Haute Autorité contrôlera de manière permanente, au titre de l'article 47 et du paragraphe 3 de l'article 65 du traité… si l'ensemble des mesures adoptées par les intéressés dans le cadre de (l') organisation est essentiel pour atteindre l'objectif fixé par le paragraphe 2, a, de l'article 65 du traité, sans contrevenir aux dispositions du traité, ni revêtir un caractère plus restrictif que ne l'exige leur objet.»
On peut, semble-t-il, ramener à deux les critiques formées à l'encontre de ces dispositions :
1. La première a trait à ce que le droit d'approbation, expresse ou tacite, de certains actes sociaux, reconnu par les décisions attaquées au profit de la Haute Autorité, aurait pour effet de remplacer la compétence d'autorisation attribuée à la Haute Autorité par l'article 65, paragraphe 2, et dont elle ne peut user que dans les conditions prévues à cet article, par un pouvoir discrétionnaire exercé sans contrôle ni garanties juridictionnelles au profit, notamment, des États membres. Il s'agirait
même d'un pouvoir «nouveau» dont le principe a été condamné par l'avis de la Cour 1-61 et aussi par les arrêts du 15 juillet 1960 sur les transports routiers. On invoque également l'avis 1-61 en tant qu'il condamne la substitution d'un contrôle subjectif a posteriori à l'examen objectif a priori de la compatibilité d'un accord avec le traité.
Messieurs, nous écarterons tout de suite l'avis 1-61. En effet, comme vous le savez, celui-ci a été émis dans une toute autre perspective, à savoir les limites d'une éventuelle «petite révision» au regard des dispositions de l'article 95, alinéas 3 et 4. La Cour a fondé essentiellement son avis négatif sur une interprétation de l'alinéa c de l'article 65, paragraphe 2, en estimant, d'une part, que les modifications projetées dépassaient le cadre d'une simple «adaptation» des pouvoirs de la Haute
Autorité au regard des exigences de cet alinéa, envisagé en soi, et, d'autre part, que ce même alinéa, ne faisant que confirmer l'interdiction générale édictée à l'article 4, d, n'était, pour cette raison, susceptible d'aucune modification au titre de l'article 95. En l'espèce, il n'est évidemment pas question d'écarter l'application de l'article 65, paragraphe 2, c: il s'agit, au contraire, de savoir s'il a été observé, ce que nous examinerons dans un instant.
La question ne se pose donc qu'au regard des principes généraux qui sont à la base du traité et que la Cour a plusieurs fois rappelés ou définis et qui, en effet, interdisent à la Haute Autorité aussi bien d'abdiquer sa compétence que de s'attribuer un pouvoir non prévu par le traité!
Nous pensons que ce n'est pas le cas.
Tout d'abord, en effet, il nous paraît difficile de soutenir, à la lecture des décisions attaquées et de leurs considérants, que la Haute Autorité n'a pas «objectivement» examiné la nature et la portée des accords qui lui ont été soumis au regard des différentes conditions de l'article 65, paragraphe 2. Mais il ne faut pas oublier que cet examen, si objectif soit-il, comporte, comme nous l'avons déjà fait observer, une large part d'«appréciation» sur les effets que les accords paraissent
susceptibles de produire à l'avenir. C'est pourquoi, et la Haute Autorité le souligne à juste titre, il est tout à fait normal, sinon indispensable, d'instituer à l'avance certaines procédures destinées à permettre un contrôle ultérieur efficace de l'activité des intéressés pour s'assurer qu'ils respectent à la fois les dispositions du traité et les conditions de l'autorisation. On peut même se demander si le gouvernement requérant, ou tout autre, n'aurait pas été légitimement en droit de se
plaindre si la Haute Autorité s'était abstenue de prévoir de telles modalités de contrôle.
D'autre part, on trouve dans le traité même les dispositions nécessaires pour donner un support juridique parfaitement régulier aussi bien au principe qu'à l'organisation de ce contrôle.
Le principe d'un contrôle permanent des autorisations résulte de la manière la plus claire des alinéas 3 et 4 de l'article 65, paragraphe 2: l'alinéa 3 permet de n'accorder les autorisations qu'«à des conditions déterminées et pour une période limitée» et de les renouveler si la Haute Autorité «constate qu'au moment du renouvellement, les conditions prévues aux alinéas a et c ci-dessus continuent d'être remplies». L'alinéa 4 dispose, au contraire, que «la Haute Autorité révoque l'autorisation ou
en modifie les termes si elle reconnaît que, par l'effet d'un changement dans les circonstances, l'accord ne répond plus aux conditions prévues ci-dessus, ou que les conséquences effectives de cet accord ou de son application sont contraires aux conditions requises pour son approbation». La Haute Autorité a donc, non seulement le droit, mais le devoir d'exercer une surveillance permanente de l'application de l'accord qu'elle a autorisé, et cela aussi bien pour pouvoir renouveler l'autorisation en
toute connaissance de cause lorsqu'elle vient à expiration que pour la révoquer éventuellement avant même l'échéance du terme. Pour exercer un tel contrôle, elle a à sa disposition les pouvoirs d'information et de vérification prévue à l'article 47, auquel se réfère d'ailleurs expressément l'article 65 lui-même dans son paragraphe 3. Nous pensons qu'eu égard aux exigences qu'implique une surveillance efficace d'organisations de cartel telles que celles de la Ruhr, les pouvoirs de contrôle que
s'est reconnu la Haute Autorité dans les décisions attaquées n'ont rien d'illégal; de tels pouvoirs n'offrent aucune analogie avec l'institution d'un pouvoir réglementaire non prévu au traité, qui a été condamnée par votre arrêt du 15 juillet 1960.
Quant à l'objection d'après laquelle le système critiqué serait susceptible de mettre les intéressés, et notamment les États membres, dans l'impossibilité d'exercer leur droit d'agir en justice en cas d'approbation tacite des actes soumis au contrôle, il suffit, pour y répondre, de faire observer, avec la défenderesse, que l'inaction de la Haute Autorité peut toujours être l'objet d'un recours en carence en vertu de l'article 35. On peut même ajouter qu'un tel recours est toujours possible sur la
base du quatrième alinéa de l'article 65, paragraphe 2, indépendamment de toute question relative à l'approbation d'un acte social au titre de l'article 15, paragraphe 3, des décisions attaquées. On ne voit pas, enfin, quel délai pourrait courir à l'encontre d'un gouvernement, s'agissant d'un recours en carence ayant pour objet l'inaction de la Haute Autorité et étant donné qu'il n'est évidemment pas question d'un recours direct devant la Cour contre les décisions des organes sociaux des
comptoirs.
Il est vrai que les actes dont il s'agit ne sont normalement ni publiés ni portés à la connaissance des gouvernements (nous n'entendons ici faire aucune allusion à la rédaction de l'article 70, alinéa 3, sur les transports…); dès lors, un gouvernement peut demeurer dans l'ignorance d'une décision des comptoirs implicitement approuvée par la Haute Autorité. Mais si l'on admet, comme nous le croyons, que le système des décisions attaquées n'outrepasse pas les pouvoirs de contrôle que le traité
reconnaît à la Haute Autorité, il en résulte que les gouvernements des États membres ne sont pas en droit d'exiger d'avoir connaissance des décisions qui relèvent de l'activité interne des comptoirs: ce serait reconnaître à ces États une part de responsabilité dans la surveillance des organismes, alors que cette responsabilité n'incombe qu'à la Haute Autorité.
2. La deuxième critique a trait à l'illégalité que constituerait la délégation aux services de la Haute Autorité de pouvoirs que, en tout état de cause, l'Institution ne peut exercer qu'en collège, le gouvernement requérant ne manquant pas d'invoquer à cet égard les nombreux arrêts que vous avez rendus dans ce domaine, ainsi que la décision 22-60.
Il a été fait allusion à cet égard, au cours de la procédure orale, à une «résolution» de la Haute Autorité du 8 janvier 1964, «concernant la procédure à appliquer à l'examen des notifications des deux comptoirs de vente des charbons de la Ruhr et du Comptoir belge des charbons (Cobechar)». Cependant, ce document n'a pas été publié ni produit devant la Cour et, en conséquence, doit être réputé inconnu de la partie requérante. Aussi croyons-nous de notre devoir de nous abstenir d'en faire état.
Nous nous bornerons à faire observer, sur le seul terrain des décisions attaquées, c'est-à-dire de l'article 15, paragraphe 3, que si une «constatation de conformité» au titre de cette disposition était faite par «les services» de la Haute Autorité sans intervention du collège, un tel procédé ne porterait aucune atteinte au droit de recours des États membres. En effet, de deux choses l'une: ou bien «les services» prendraient une décision expresse, en la faisant publier, et en ce cas, cette
décision serait manifestement illégale comme contraire aussi bien à la décision 22-60 qu'à votre propre jurisprudence; ou bien elle ne ferait l'objet d'aucune publication, auquel cas un recours en carence resterait ouvert contre l'inaction de la Haute Autorité dans les conditions que nous avons rappelées il y a un instant.
C — Griefs relatifs à l'application de l'article 65, paragraphe 2, c.
C'est la troisième catégorie de griefs, celle qui soulève, de toute évidence, les problèmes les plus graves. Ici, nous ne trouvons plus le moyen d'incompétence, mais, de nouveau, le défaut ou l'insuffisance de motifs et la violation du traité. Malgré l'importance de ces griefs, nous ne consacrerons à leur examen que des développements aussi limités que possible, car il s'agit là de l'aspect le plus connu du problème sur lequel chacun d'entre vous a déjà certainement une opinion. Nous nous bornerons
à faire connaître la nôtre, en nous efforçant de demeurer sur le terrain juridique et dans le cadre relativement étroit tracé par votre avis 1-61 et votre arrêt 13-60, dans le cadre aussi, bien entendu, de l'argumentation présentée par le gouvernement requérant.
Celui-ci, pour tenter d'établir que les accords autorisés sont «susceptibles de donner aux entreprises intéressées le pouvoir de déterminer les prix, contrôler ou limiter la production ou les débouchés, d'une partie substantielle des produits en cause dans le marché commun», se fonde essentiellement sur deux ordres de considérations: les premières relatives à la structure des organisations, qui n'assurerait pas l'indépendance de chaque comptoir à l'égard de l'autre, les secondes, de caractère
économique, fondées sur la théorie du «duopole».
1. En ce qui concerne la structure, le gouvernement requérant se plaint d'abord de l'identité de structure des deux comptoirs aussi bien quant à l'importance de la production, de la vente et des sortes de produits qu'à l'organisation interne et à la réglementation de la vente. Il dénonce, en second lieu, la collaboration qui s'opère entre les deux comptoirs au sein des organismes communs, «Ruhrkohle-Treuhand» et «Ruhkohlen-Beratung». Il s'en prend, enfin, à la répartition entre les deux comptoirs
des sociétés minières contrôlées par l'État. Reprenons ces trois points :
a) Identité de structure. A cet égard, une double controverse se développe entre les parties. En fait, tout d'abord, la Haute Autorité souligne certaines différences entre la situation respective des deux comptoirs en ce qui concerne, d'une part, la proportion des diverses catégories de charbon produites (nette prédominance de «Geitling» pour le charbon domestique, le coke sidérurgique et le coke de fonderie) et, d'autre part, la distribution géographique, qui fait apparaître chez Geitling un
plus grand nombre de mines situées sur les voies d'eau que chez Präsident.
A cela le requérant répond en soulignant la contradiction qu'à son avis révélerait l'argumentation de la défenderesse, laquelle, après avoir nié que les deux groupes ont une structure identique, affirme qu'une dose minimum de concurrence entre les deux comptoirs et avec les autres unités sur le marché commun n'est susceptible de se développer que si les comptoirs peuvent offrir à peu près les mêmes catégories et sortes de charbon sur le marché.
Messieurs, nous n'apercevons pas, quant à nous, cette contradiction: en effet, il ne s'agit que d'une prédominance de l'un des comptoirs pour certaines catégories et sortes, mais celle-ci laisse subsister, pour chacune de ces catégories et sortes, et aussi en ce qui concerne la distribution géographique par rapport aux voies d'eau, une proportion très substantielle (un tiers grosso modo), au profit de «Präsident».
Il s'agit donc de savoir, et c'est le deuxième élément de la controverse, si l'identité ou, du moins, la comparabilité des structures quant à la gamme des produits offerts sur le marché est ou non de nature à favoriser la concurrence. Or, sans être économiste, il semble assez naturel d'admettre que la concurrence sera plus forte entre deux organismes disposant chacun des mêmes gammes de produits que si chacun se spécialise plus ou moins dans la production et l'écoulement de produits
différents, ce qui ressemblerait fort à une «répartition des marchés, produits, clients ou sources d'approvisionnement» visée à l'article 85. paragraphe 1.
b) Les organismes communs. Tout en reconnaissant que les tâches de «Treuhand» et de «Beratung» ont été réduites par rapport à ce qu'elles étaient antérieurement, le requérant craint que les activités de ces deux organismes ne facilitent encore l'harmonisation de la gestion des comptoirs, alors surtout que leurs services sont établis dans le même immeuble que ceux des comptoirs, constituant ainsi un lieu de rencontre tout indiqué entre les dirigeants des deux groupes.
Il s'agit là, sans doute, de considérations de fait qui sont loin d'être négligeables. Justifient-elles, à elles seules, l'annulation des décisions attaquées? Nous ne le pensons pas. Les avantages de la mécanisation et de la mise en commun des études générales dans le domaine technique, dans le domaine des études de marché et de la publicité sont évidemment de ceux dont il est légitime de faire état au regard des conditions de l'article 65, paragraphe 2, a et b, c'est-à-dire l'amélioration de
la distribution des produits, sans que, pour autant, on puisse admettre, a priori, que cette mise en commun produira des effets contraires aux dispositions de l'alinéa c. Nous sommes ici dans un domaine qui ressortit largement à l'appréciation discrétionnaire de la Haute Autorité et les abus qui pourraient se produire relèvent de son contrôle.
c) Répartition entre les deux comptoirs des mines contrôlées par l'État. — Sur ce point, la Haute Autorité fait remarquer que la plus importante des sociétés contrôlées par l'État, Hibernia, rattachée à Geitling, écoule la plus grande partie de sa production sur le marché, tandis que les deux autres, Ewald-Kohle et Märkische, rattachées à Präsident, sont contrôlées à 100 % par la Salzgitter, entreprise sidérurgique dont le capital est aux mains de l'État fédéral et à laquelle elles livrent la
majeure partie de leur production. Il semble ainsi que les intérêts de Hibernia et des deux autres sociétés soient assez divergents pour justifier leur affiliation à des comptoirs différents. Cette solution était-elle la meilleure du point de vue de l'indépendance des comptoirs l'un vis-à-vis de l'autre? Nous avouons ne pas avoir d'opinion personnelle sur ce point, qui relève essentiellement, lui aussi, du pouvoir d'appréciation de la Haute Autorité.
Voilà, Messieurs, les quelques considérations qui nous ont paru les plus importantes au sujet de la question de l'indépendance des comptoirs eu égard à leur structure. Bien d'autres aspects ont encore été abordés au cours de la procédure, mais nous avons cru devoir limiter nos explications à ce qui nous a paru être l'essentiel.
2. Nous en arrivons maintenant à l'examen de l'aspect purement économique de la discussion, qui a trait au duopole.
A cet égard, la thèse du gouvernement requérant consiste essentiellement à soutenir que le duopole, forme extrême de l'oligopole, est de nature, dans les circonstances de l'espèce, à réduire à néant, ou à peu près, cette «dose de concurrence» qui, selon l'arrêt 13-60, doit être maintenue pour que l'accord demeure conforme aux exigences de l'alinéa c) de l'article 65, paragraphe 2.
Messieurs, nous n'entrerons pas dans les discussions doctrinales auxquelles donne lieu la théorie de l'oligopole. Nous ferons seulement remarquer que, d'après les quelques recherches que nous avons pu faire, nous n'avons pas trouvé dans la doctrine de thèse opposant le duopole aux autres formes d'oligopole quant aux effets économiques qu'il est susceptible de produire. Pour le surplus, nous entendons rester dans le cadre des considérations exposées dans votre arrêt 13-60.
De cet arrêt, nous retenons d'abord qu'il fait sienne la doctrine de la «concurrence imparfaite» caractéristique de l'oligopole et qu'il admet que le marché du charbon, et même le marché de l'énergie, constituent des exemples types d'une telle concurrence. Il fait sienne également «la doctrine qui voit dans l'oligopole un régime où chaque vendeur tient compte, dans ses calculs économiques, du comportement probable que ses concurrents adopteront en réponse à ses propres décisions, pour la très
simple raison que ce qu'ils font est un résultat direct de ce qu'il fait «(Recueil, VIII, p. 211). Il en résulte que l'oligopole, dans un régime de concurrence imparfaite, détient normalement un certain pouvoir de déterminer les prix, c'est-à-dire d'avoir une véritable politique de prix qui n'est pas influencée uniquement, ni même principalement, par la loi de l'offre et de la demande telle qu'elle produirait ses effets sur un marché «atomistique», mais par bien d'autres considérations faisant
intervenir des objectifs à plus ou moins long terme. Cependant, toujours d'après votre arrêt, une certaine «dose de concurrence» peut être sauvegardée dans un régime oligopolistique, et elle doit l'être dans le marché commun du charbon si l'on veut respecter les «exigences fondamentales énumérées aux articles 2, 3, 4 et 5 du traité, et notamment» la nécessité d'assurer «le maintien et le respect de conditions normales de concurrence».
Enfin, le «pouvoir de déterminer les prix» ne peut être accepté que si ce pouvoir ne s'applique pas «à une partie substantielle des produits en cause dans le marché commun». A cet égard (et c'est sur ce point que l'arrêt 13-60 est le plus souvent critiqué), la Cour s'en réfère à un critère quantitatif, fondé sur l'ordre de grandeur de la production comparée des grands bassins de la Communauté. S'appuyant, par analogie, sur certaines dispositions de l'article 66, elle admet que le cartel unique de
la Ruhr (auquel la Haute Autorité avait refusé son autorisation) dirigeant une production de houille «environ quatre fois plus importante que celle de tout autre bassin du marché commun et (qui) s'élève à plus du double de la production globale des charbonnages de France, seule organisation comparable par son importance», comportait, de ce seul fait, le pouvoir de déterminer les prix d'une partie substantielle des produits en cause dans le marché commun.
De cette analyse de l'arrêt 13-60 semble bien résulter qu'une répartition des entreprises de la Ruhr en deux organismes dont chacun écoule environ la moitié de la production de ce bassin et est ainsi comparable avec les charbonnages de France, répond aux critères admis par l'arrêt au point de vue d'une «dimension» satisfaisant aux conditions de l'article 65, paragraphe 2, c, et qu'en autorisant les deux comptoirs la Haute Autorité a fait usage de son pouvoir discrétionnaire dans les limites de
l'article 33.
Pour terminer, nous voudrions répondre à l'argument, développé surtout dans la procédure orale, tiré de ce que l'expérience de l'application des nouveaux accords aurait confirmé les craintes que le gouvernement requérant éprouvait quant à l'institution d'une concurrence réelle, même imparfaite, entre les deux comptoirs: rien, à la lumière de cette expérience, et notamment dans la fixation des prix, ne ferait apparaître le moindre signe de l'existence d'une telle concurrence, ce qui prouverait à
la fois la vanité des espoirs de la Haute Autorité à cet égard et l'illégalité des décisions attaquées responsables de cet état de choses.
La réponse nous paraît devoir être que, sur le terrain de la théorie économique, il est de l'essence de l'oligopole que les décisions des oligopolistes quant aux prix, comme dans d'autres domaines, soient semblables: cela résulte de ce que le comportement de chacun d'entre eux est fonction du comportement supposé de l'autre; donc, le seul fait que les prix soient les mêmes n'est pas, par lui-même, la preuve d'une entente.
Ajoutons que, dans la mesure où cette identité de comportement ne serait pas le résultat d'une entente ayant pour objet l'exploitation d'une position dominante, mais serait commandée par les nécessités d'une politique de rationalisation poursuivie dans l'intérêt convergent de l'industrie en cause et de la Communauté elle-même, et se tiendrait dans les limites d'une concurrence largement influencée par le marché de l'énergie, l'attitude commune n'apparaîtrait pas nécessairement comme contraire au
traité.
Nous pensons, en définitive, que les accords autorisés par la Haute Autorité, compte tenu des conditions mises à leur approbation, sont de nature à permettre un fonctionnement satisfaisant des organisations de vente en commun du charbon de la Ruhr dans toute la mesure compatible avec les dispositions actuelles du traité, telles qu'elles ont été interprétées nar la Cour.
Aucun des moyens soulevés ne nous paraissant fondé, nous concluons :
— au rejet de la requête,
— et à ce que les dépens soient supportes par le gouvernement du royaume des Pays-Bas.