Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
21 janvier 1964
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
M. Maudet, administrateur civil de classe exceptionnelle au ministère français des finances, est entré au service de la Communauté économique européenne en vertu d'une lettre d'engagement du 24 novembre 1958 sous le régime des contrats dits «de Bruxelles», que vous connaissez bien; ce document, signé par le directeur général de l'administration, indiquait qu'au cours de sa séance du 19 novembre 1958 la Commission l'avait désigné «pour exercer, dans le cadre de la direction générale de
l'administration, la fonction de chef de la division «immeubles et matériel».
Par lettre du 25 février 1959, le requérant a été avisé de ce que la Commission lui avait «attribué le grade A 4, échelon 2 traitement de base de 26.750 FB)». Une décision du 4 mai 1960 lui a attribué l'échelon 5 du même grade, avec effet au 1er mars 1960 et, le 20 décembre 1980, il recevait le bénéfice d'un échelon supplémentaire, toujours dans le grade A 4, avec effet au 1er décembre 1960. Telle était la situation à la date du 1er janvier 1982, date d'entrée en vigueur du statut du personnel.
Par application de l'article 102 de ce statut, une décision du 14 décembre 1962 le titularise dans le grade A 4, échelon 6, de la nouvelle grille et déclare qu'il est «affecté à un emploi relevant de la direction générale de l'administration», direction “affaires intérieures”, division “immeubles, matériel et conférences”. La décision ajoute que “la présente nomination prend effet à compter du 1er janvier 1962”.
C'est la décision attaquée par le recours 20-63, en tant qu'elle titularise le requérant au grade A 4 et non au grade A 3 comme il prétend y avoir droit.
Un second recours, 21-83, est dirigé contre une décision du président de la Commission rejetant la réclamation qu'il avait formée dans le même sens contre la décision d'intégration.
Une fin de non-recevoir est opposée par la Commission à ce second recours qui, selon la défenderesse, ferait double emploi avec le premier comme ayant le même objet.
Nous préférons nous expliquer sur cette fin de non-recevoir après l'examen du premier recours. En effet, contrairement à ce que paraissent croire les deux parties, il n'est pas certain a priori que les deux recours aient exactement le même objet; cela dépend pour partie, à notre avis, de la manière dont sera résolu le premier litige, que nous abordons donc immédiatement.
I — Recours 20-61
Vous connaissez, Messieurs, la thèse de chacune des parties: le requérant soutient qu'exerçant depuis son engagement, et encore à la date du 1er janvier 1962, les fonctions de “chef de division” (de la division “immeubles, matériel et conférences”), il avait un droit à être titularisé dans le grade A 3, puisque c'est à une carrière de ce grade que correspond l'“emploi type” de chef de division selon l'annexe I du statut. La Commission estime, au contraire, que la titularisation ne pouvait être
prononcée que dans le grade que le requérant “avait obtenu explicitement ou implicitement avant son admission au bénéfice du statut”, selon les termes de l'article 102, c'est-à-dire, en la circonstance, dans le grade A 4 explicitement obtenu.
A — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Ainsi le litige porte essentiellement sur l'interprétation des dispositions de l'article 102 du statut, et notamment, d'une part, sur ce qu'il faut entendre par l'expression “grade et échelon obtenus explicitement ou implicitement”, et, d'autre part, sur le sens et la portée du membre de phrase final: “sous réserve de l'application des décisions éventuelles prises d'un commun accord par les Conseils de la C.E.E. et de la C.E.E.A. en ce qui concerne l'harmonisation des carrières et des critères de
classement dans les grades”.
De ce texte résulte une première constatation: c'est qu'il ne règle que l'un des deux problèmes qui se posent en cas de mise en vigueur d'un nouveau statut au sujet de l'intégration du personnel déjà en service, à savoir les conditions de l'admission au bénéfice du statut, c'est-à-dire la titularisation, et le classement des agents dans les nouveaux cadres. Seul le premier problème est ici résolu, le second n'étant l'objet que d'une simple allusion (“sous réserve de l'application…”). Or, il est
évident qu'en l'absence de toute précision à cet égard, un classement ou un reclassement définitif de chaque agent dans les emplois de la nouvelle grille, compte tenu de la nature des emplois et des qualifications exigées, ne peut être réalisé que lorsque les mesures préparatoires nécessaires ont été prises: constitution des cadres, description des fonctions afférentes aux diverses catégories d'emplois. A ce moment, une opération d'ensemble peut être effectuée (qui est souvent confiée à une
commission dotée de larges pouvoirs) pour “remplir” les cadres ainsi organisés et pourvoir chaque agent d'un emploi de son grade en conformité des exigences du statut et au bénéfice de dispositions transitoires spéciales dispensant par exemple les agents en fonction des conditions exigées pour l'accès aux nouveaux cadres ou l'avancement de grade ou d'échelon; dès lors, la titularisation (si l'agent n'a pas déjà auparavant la qualité de fonctionnaire titulaire), l'intégration dans les nouveaux cadres
et la nomination à un grade déterminé correspondant à la nature des emplois de ce grade se traduisent par un seul et même acte qui règle définitivement la situation de l'intéressé. Tel est le schéma classique d'un mécanisme d'intégration.
Mais les dispositions transitoires du statut n'ont pas prévu, ou en tout cas n'ont pas imposé une opération d'ensemble de ce genre; d'autre part, elles ne contiennent, en faveur des agents déjà en fonction, aucune norme particulière, dérogeant aux conditions normales de recrutement et d'avancement prévues par le statut, en vue de permettre un classement tenant compte de la nature des fonctions exercées antérieurement. L'objet de l'article 102 est seulement de maintenir les situations acquises et
c'est ainsi qu'il prévoit la titularisation de l'agent dans le grade et l'échelon du nouveau régime “qui correspondent au grade et à l'échelon qu'il avait obtenus explicitement ou implicitement avant son admission au bénéfice du statut”; le “sous réserve…” qui suit, et sur lequel nous aurons à nous expliquer, ne se réfère qu'à une éventualité et n'a certainement pas pour objet de “bloquer” le mécanisme d'intégration tel qu'il est prévu par la première partie de la phrase. Or, ce mécanisme prévoit de
la manière la plus claire une référence au passé et non à l'avenir: l'intégration a lieu dans le grade qu'avait obtenu l'intéressé avant son admission au bénéfice du statut, et non à celui auquel il pourrait prétendre en vertu de ce statut. Dans ces conditions, à moins d'attendre (comme l'a fait, vous le savez, la Cour de justice) que ce que nous avons appelé les “mesures préparatoires” aient été accomplies, et de les avoir réalisées, avant d'admettre les agents au bénéfice du statut (ce qui permet
alors de traduire par un seul acte la titularisation et un reclassement éventuel conforme aux exigences du statut), l'institution, si elle préfère prendre immédiatement des décisions en faveur des agents, ne peut, dans un premier temps, que procéder à la titularisation dans les conditions prévues à l'article 102. C'est ce qu'a fait la Commission. Il est constant, en effet, que, le 14 décembre 1962, les “mesures préparatoires” n'avaient pas encore été prises. La “job description”, notamment, prévue à
l'article 5, paragraphe 4, préalable indispensable de tout classement ou reclassement, n'est intervenue que le 29 juillet 1963.
B — LES TERMES “EXPLICITEMENT ET IMPLICITEMENT”
Il convient maintenant d'examiner quel est le sens de l'expression… “qu'il avait obtenus explicitement ou implicitement”. La première interprétation, qui vient naturellement à l'esprit et qui a été défendue par la Commission au cours de l'instance actuelle, consiste à soutenir que le grade et l'échelon “obtenus explicitement” sont ceux qui ont été expressément attribués par la Commission à un agent pendant la période préstatutaire; l'obtention seulement “implicite” viserait le cas où aucune décision
n'aurait comporté expressément l'attribution d'un grade et d'un échelon: il faudrait alors rechercher à quels grade et échelon de la grille C.E.C.A. (la seule qui existait à l'époque) correspondait en fait la situation de l'agent, compte tenu du traitement accordé et des fonctions exercées. Dans l'espèce, nous le savons, il y a eu attribution expresse d'un grade, le grade A 4.
Une autre interprétation qui, d'après ce que nous croyons savoir, est celle de l'administration de la Cour de justice, considère que, seuls, les fonctionnaires titulaires de la C.E. C.A. peuvent se prévaloir d'un grade et d'un échelon “explicitement obtenus” puisque en effet ils étaient seuls à bénéficier d'un statut comportant classement dans des grades et des échelons formellement prévus par ce statut. Ce n'est que par référence aux règles du statut C.E.C.A. et par la volonté de leur
administration que les agents des Communautés de Bruxelles ont pu bénéficier du régime des fonctionnaires de la C.E.C.A., mais il ne pouvait s'agir là que d'une application par analogie ou par référence, qui laissait intégralement subsister le caractère contractuel du lien de service: c'est une situation de ce genre que l'article 102 aurait visée par l'emploi de l'adverbe “implicitement”. Il est vrai qu'on peut se demander, alors, pourquoi on aurait utilisé aussi l'adverbe “explicitement”
puisqu'aucun agent de Bruxelles, à moins de provenir de la C.E.C.A. par voie de mutation ou autre, ne pouvait avoir la qualité de titulaire: la réponse est dans la nécessité absolue où l'on se trouvait, en raison du problème des institutions communes, de faire coïncider rigoureusement la rédaction des deux statuts, en l'espèce l'annexe X du statut C.E.C.A. et l'article 102 du statut unique des deux nouvelles Communautés. Telle est la deuxième interprétation.
Messieurs, il est certain que les agents recrutés par la Commission avant l'entrée en vigueur du statut étaient tous contractuels, même ceux qui bénéficiaient du contrat dit “de Bruxelles”. Votre jurisprudence a eu souvent l'occasion de l'affirmer. Il en résulte évidemment que ces agents n'ont jamais, et n'auraient jamais pu légalement, bénéficier pleinement du régime statutaire des fonctionnaires titulaires de la C.E.C.A., quelles qu'aient pu être les références, expresses ou non, faites dans leur
contrat à certaines règles du statut C.E.C.A.
Que conclure alors de la référence expresse faite à un grade et à un échelon déterminés (en l'espèce grade A 4, échelon 2, puis échelon 5, puis échelon supplémentaire), grade et échelons qui, bien évidemment, ne pouvaient être que ceux de la grille C.E.C.A.?
On pourrait être tenté de répondre de la manière suivante: une telle référence, par simple voie d'analogie, ne pouvait avoir qu'un seul effet juridique, celui de conférer à l'intéressé le traitement correspondant à celui qui était attribué dans le statut C.E.C.A. aux fonctionnaires titulaires du grade et de l'échelon auxquels il était fait référence; le montant du traitement, en l'espèce, était d'ailleurs mentionné entre parenthèses dans la lettre du 25 février 1959. D'où il suivrait qu'à la date
d'entrée en vigueur du nouveau statut, le 1er janvier 1962, l'intéressé, qui devrait être considéré comme n'ayant obtenu qu'“implicitement” un grade et un échelon, serait en droit de prétendre à un classement dans la nouvelle grille au grade et à l'échelon comportant le traitement qui lui avait été attribué.
Un tel procédé pourrait conduire à l'éventualité d'un classement à un grade supérieur à celui dont l'intéressé bénéficiait “implicitement” avant l'entrée en vigueur du statut. En effet, comme vous le savez, il existe un certain chevauchement des traitements entre les grades, si bien qu'un même traitement peut correspondre à des échelons différents de deux grades. En l'espèce, si, comme il conviendrait de le faire, on ajoute au traitement C.E.C.A. l'indemnité de résidence (laquelle, accordée à tous
les agents, avait le caractère d'un véritable supplément de traitement et a été purement et simplement incorporée au traitement de base dans le nouveau statut), on constate que M. Maudet bénéficiait le 3 décembre 1961 d'un traitement supérieur au minimum de celui prévu pour le grade A 3. Un choix devrait alors être fait par l'institution entre les deux grades. Il va de soi qu'en l'espèce, un tel choix permettrait de résoudre le cas Maudet en accordant le droit et l'équité.
Ce système, Messieurs, est séduisant. Cependant, après réflexion, nous ne pensons pas qu'il puisse être admis. En effet, il s'éloigne par trop du texte précis de l'article 102, comme de l'annexe X du statut C.E.C.A., lesquels font expressément référenceau grade et à l'échelon obtenus (explicitement ou implicitement), et non au traitement. Au surplus, cette solution entraînerait des conséquenes aussi paradoxales qu'inéquitables en ce qui concerne les fonctionnaires titulaires de la C.E.C.A.,
tributaires du même texte, et qui, quant à eux, étaient toujours titulaires d'un grade déterminé accordé “explicitement”: un tel fonctionnaire, même si, le 31 décembre 1961, il était parvenu aux échelons supérieurs de son grade, ne pourrait prétendre à être intégré dans le grade supérieur sous prétexte que les échelons inférieurs de celui-ci comportent un traitement moins élevé que celui dont ce fonctionnaire bénéficiait. Or, il n'est pas concevable que les titulaires du statut C.E.C.A. soient
défavorisés quant à leurs droits à l'intégration par rapport aux simples contractuels des nouvelles Communautés.
La vérité, à notre avis, est que l'article 102 a voulu consacrer la situation résultant de la pratique de la Commission, c'est-à-dire tenir compte de ce que, en fait, celle-ci avait, en attendant l'entrée en vigueur du statut, largement appliqué par analogie les règles du statut C.E.C.A. et, notamment, consenti des attributions de grade et d'échelon qui étaient ceux de la grille C.E.C.A. Qu'on considère ces attributions, même lorsqu'elles ont été expresses, comme n'ayant été faites
qu'“implicitement”, ou au contraire “explicitement”, peu importe: il faut rechercher dans tous les cas quel a été le grade ou l'échelon réellement obtenu. Cette manière de voir doit d'autant plus être admise que la Commission ne se bornait pas, pendant la période préstatutaire, à fixer une fois pour toutes le grade d'analogie, mais n'hésitait pas à accorder le bénéfice d'un grade supérieur, tout comme s'il s'agissait d'une véritable promotion. Et cela était bien normal: les mois et les années
s'écoulaient sans que ce statut, toujours promis et toujours remis, vît le jour; la Commission a tout naturellement eu tendance, peu à peu, à appliquer de plus en plus le statut C.E.C.A. par voie d'analogie, y compris ce qui correspondait à des règles d'avancement justifiées par l'allongement de la période préstatutaire. Or, bien qu'il soit considéré comme “regrettable” par le président de la Commission lui-même, c'est un fait que le grade A 3 n'avait pas encore été accordé à M. Maudet le
31 décembre 1961.
C — LE MEMBRE DE PHRASE: “SOUS RÉSERVE…”
Mais, dans cette interprétation de l'article 102, que signifie la dernière partie de la phrase: «sous réserve de l'application des décisions éventuelles prises d'un commun accord par les Conseils de la C.E.E. et de la C.E.E.A. en ce qui concerne l'harmonisation des carrières et des critères de classement dans -les grades» ? Le requérant y voit une référence aux critères de classement fixés à l'annexe I du statut, qui, en ce qui concerne l'emploi de chef de division, règle la question sans la moindre
équivoque en classant cet emploi au grade A 3.
Cette interprétation est difficile à soutenir, du moins littéralement. En effet, référence est faite à des décisions éventuelles, et à des décisions prises par les Conseils, alors que l'annexe I est une partie du statut et que son «application» est confiée à l'institution, compétente en vertu de l'article 5 pour arrêter la description des emplois sans aucune approbation des Conseils.
En réalité, la réserve insérée à l'article 102 vise le cas où un défaut d'harmonie existerait entre les «job descriptions» établies par les diverses institutions ou dans leur interprétation, si bien qu'un emploi correspondant à des fonctions identiques et exercées dans les mêmes conditions viendrait à être classé différemment dans deux institutions; c'est le fameux problème de l'harmonisation, déjà bien connu sous le régime de la C.E.C.A. En pareil cas, le manque de concordance provenant de deux
institutions ayant exercé chacune sa compétence, il est nécessaire de prévoir l'intervention d'une instance d'arbitrage, en l'espèce les Conseils. C'est ainsi, du moins, que doit Être compris, à notre avis, le membre de phrase litigieux, bien que la défenderesse ait été fort discrète à ce sujet au cours de la procédure, tant écrite qu'orale.
S'il en est ainsi, il est évident que le «sous réserve…» ne joue pas de rôle dans ce litige: aucun problème d'harmonisation inter-institutions de nature à provoquer l'intervention d'une décision des Conseils n'est posé ici.
Il n'en reste pas moins — et c'est là, à n'en pas douter, un argument en faveur de la thèse du recours — que, contrairement à la première partie de son texte, l'article 102 vient ici faire allusion à un classement dans les grades du statut qui soit conforme à la nature des nouveaux emplois. Or, il va de soi que, si l'on doit tenir compte de ces considérations dans le cas, malgré tout exceptionnel, où il apparaît nécessaire d'harmoniser la description des emplois, on doit le faire a fortiori dans
l'hypothèse normale, celle où il y a lieu purement et simplement à l'application de l'annexe I et de la «job description» arrêtée par l'institution conformément à l'article 5, paragraphe 4.
Ce raisonnement nous paraît parfaitement exact: il est certain que la titularisation, dans la situation acquise au 1er janvier 1962, ne dispense pas d'un reclassement éventuel dans les grilles du nouveau statut, qu'il y ait eu ou non une opération d'harmonisation, inter-institutions. Mais, en résulte-t-il qu'un lien juridique d'interdépendance ait été établi par l'article 102 entre la titularisation et le reclassement, du seul fait de cette allusion, à la fin de la phrase, à un cas particulier de
reclassement? La question reste entière. Nous pensons, pour notre part, qu'en l'absence de tout mécanisme expressément prévu à cet effet, les deux opérations sont distinctes, et nous pensons aussi qu'en l'absence au titre IX de toute disposition transitoire expresse dérogeant aux règles normales du statut, le classement ou le reclassement dans les nouvelles grilles des agents titularisés ne peut se faire que selon ces règles normales et, toujours en l'absence de disposition expresse, sans effet
rétroactif.
Il en résulte que la décision attaquée, titularisant M. Maudet dans le grade A 4 qu'il avait réellement obtenu (explicitement ou implicitement, peu importe) et sans tenir compte de l'éventualité d'un reclassement ultérieur, est légale.
II — Recours 21-63
Arrivons- en maintenant à l'examen du recours 21-63. Il est exact que ce recours fait en partie double emploi avec le premier recours, mais, à notre avis, en partie seulement. Son objet principal est bien, par la voie d'un recours gracieux adressé au président de la Commission, de demander la révision de la décision de titularisation; cependant, nous voyons que, dans les conclusions de sa réclamation, l'intéressé présente une demande alternative. Voici, en effet, comment il s'exprime:
«Pour ces raisons, ayant le sentiment de subir un dommage moral et financier, et usant de la faculté prévue à l'article 90 du statut, j'ai l'honneur de demander que ma décision d'intégration soit révisée, ou complétée par une décision de promotion, de façon que le grade A 3 me soit conféré à compter du 1er janvier 1962.»
Ainsi, en demandant, à titre d'alternative, que, si la décision n'est pas «révisée», elle soit «complétée par une décision de promotion», le requérant a nettement fait lui-même la distinction entre la titularisation et un classement ou reclassement ultérieur tenant compte de la nature de l'emploi. Sans doute, si vous suivez notre raisonnement, n'admettrez-vous pas l'effet rétroactif au 1er janvier 1962 d'une telle mesure, mais le requérant n'en a pas moins formellement demandé que la mesure
elle-même soit prise. Dans ces limites, le recours a un objet distinct du premier, ainsi d'ailleurs que le reconnaît implicitement le président de la Commission dans sa réponse, en notant la «différence essentielle» entre les deux problèmes.
Voici, en effet, cette réponse:
«Le problème de la titularisation dans un grade et un échelon et celui de la correspondance de ce grade aux fonctions effectivement occupées sont essentiellement différents.»
Et, après une allusion à «l'importance des tâches» confiées à l'intéressé et à «la manière excellente» dont il s'en acquitte, la lettre se termine ainsi:
«Aussi ai-je prescrit à la direction générale de l'administration de rechercher le plus tôt qu'il lui sera possible une solution permettant de mettre fin à une situation que comme vous je juge regrettable.»
Quel est le caractère juridique de cette réponse? L'hésitation est permise. On peut considérer qu'il s'agit seulement de ce qu'on appelle une «réponse d'attente» ne comportant pas de décision, auquel cas le recours 21-63 devrait être considéré comme un recours contre la décision implicite de rejet de la réclamation, ce qui est prévu à l'article 91, paragraphe 2, alinéa 2, du statut; les délais à cet égard ont été observés. Ou bien — et nous aurions tendance à préférer cette deuxième manière de voir
— on interprète la réponse comme une décision explicite refusant, au moins en l'état, d'accorder la promotion demandée, ce qui paraît bien correspondre à la réalité.
Au fond, il va de soi que M. Maudet ne pouvait avoir un droit à promotion, même au titre d'un reclassement. Mais il appartenait à l'administration de donner un motif juridique à l'appui de son refus. La question est, en effet, une question de droit qui soulève des problèmes extrêmement délicats, dont vous avez eu quelques échos lors de la procédure orale: existait-il des emplois budgétairement disponibles? Si oui (et on nous a dit qu'il en existait, quoiqu'en nombre insuffisant pour permettre le
reclassement de tous les fonctionnaires susceptibles d'y prétendre), est-ce que, et dans quelle mesure, l'institution dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour répartir les emplois d'un même grade et correspondant à une même carrière entre des services différents? Peut-elle, et dans quelle mesure, lorsqu'elle est appelée à déclarer une vacance d'emploi, limiter le champ de la promotion en fixant certaines conditions? Lorsqu'il existe plusieurs candidats ayant vocation à la promotion, ceux qui
attendent leur reclassement n'ont-ils pas priorité sur les autres? D'une manière plus générale, se pose le problème des pouvoirs — et des devoirs — respectifs de l'institution, appelée à proposer, et de l'autorité budgétaire, appelée à fixer le nombre des emplois par grade, problème nécessairement affecté par les opérations de reclassement.
Il va de soi que la Cour n'est pas à même de trancher toutes ces questions à l'occasion du présent litige, bien que certaines d'entre elles aient été abordées au cours de la procédure orale. Il eût fallu en premier lieu, encore une fois, un motif juridique, si brièvement formulé qu'il ait pu être, pour lier le débat contentieux sous cet aspect, ce que la réponse du 8 mars 1963 ne comporte pas. Bien entendu, il serait indispensable également de connaître sur ces questions le point de vue du Conseil,
ce qui pourrait être aisément obtenu par application de l'article 21, alinéa 2, du protocole C.E.E. sur le statut de la Cour de justice.
Nous vous proposons donc de vous borner à annuler pour défaut de motifs la décision attaquée par le recours 21-63, en tant qu'elle refuse d'accueillir la demande faite par M. Maudet tendant à obtenir son reclassement par voie de promotion.
C'est en ce sens que nous concluons, ainsi qu'au rejet de la requête 20-63 et du surplus des conclusions de la requête 21-63.
Nous concluons, en outre, à ce que les dépens du recours 21-63 soient supportés par la Commission.