Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
23 novembre 1961
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Cette affaire nous paraît fort simple.
M. Gorter, fonctionnaire néerlandais, a été engagé au secrétariat des Conseils des Communautés, sous le régime dit «de Bruxelles», par lettre du 4 octobre 1958, avec effet à compter du 1er novembre 1958. Il a été affecté au service juridique.
Le travail fourni par l'intéressé fut jugé insuffisant par le secrétariat et les chefs du service juridique, notamment par l'un d'eux, de nationalité française.
A la suite de démarches effectuées par le secrétaire général des Conseils, puis d'une demande faite par M. Gorter lui-même, en vue d'examiner la possibilité d'une réintégration de l'intéressé dans son administration nationale, un poste lui fut offert aux Pays-Bas au début de mars 1961. Le 30 mars 1961, le requérant informa le secrétaire général qu'il avait accepté l'offre d'emploi à lui faite par le gouvernement néerlandais et qu'il présentait sa démission pour le 1er mai. Le 22 avril, le secrétaire
général informait M. Gorter qu'il avait pris note de sa lettre de démission et prendrait toutes dispositions utiles pour liquider les sommes qui lui étaient dues aux termes de la réglementation en vigueur.
Les conclusions de la requête ne tendent pas à l'annulation d'une décision administrative, mais à l'allocation d'une indemnité de 1.348.230 frb. à la charge des Communautés.
Il semble que le fondement de la demande repose sur deux terrains juridiques: d'une part, sur la faute des Communautés qui résulterait d'une attitude contraire tant à la bonne foi qu'aux principes généraux d'une bonne administration; d'autre part, sur les droits que le requérant prétend tirer de l'application d'une disposition du statut des fonctionnaires de la C.E.C.A., l'article 42 relatif au retrait d'emploi dans l'intérêt du service, disposition que la Cour connaît bien.
Ces prétentions ne peuvent être accueillies.
Sur le premier point, le requérant raisonne comme s'il avait été l'objet d'un licenciement abusif. Or, il n'a pas été licencié; il a donné sa démission, laquelle a été acceptée. Il ne pouvait, dans ces conditions, prétendre à aucune allocation pécuniaire autre que celles qui lui étaient dues en vertu de son contrat pour la période d'accomplissement de son service: il n'est pas contesté que cela a été fait.
Il ne pourrait en être autrement que s'il était démontré que la démission a été donnée par contrainte, ou sous menaces ou dans des conditions telles qu'elle équivaudrait à un licenciement déguisé.
Messieurs, rien dans le dossier, ni dans les explications qui vous ont été données, ne permet de considérer que ce fut le cas. Le requérant était parfaitement libre de sa décision et, en donnant sa démission dans les conditions que vous connaissez, il a nécessairement accepté les conséquences de son geste.
Quant aux dispositions de l'article 42 du statut C.E.C.A., il n'est pas en droit d'en revendiquer le bénéfice, car, même en admettant (ce que nous ne pensons pas) que cette disposition soit applicable aux agents recrutés en vertu de l'article 246, paragraphe 3, du traité C.E.E. (article 214 du traité Euratom), c'est-à-dire sous le régime dit de Bruxelles, elle ne concerne que les fonctionnaires qui sont l'objet d'un retrait d'emploi dans l'intérêt du service, ce qui n'est pas le cas.
Nous concluons:
— au rejet de la requête
— et à ce que les dépens exposés par chacune des parties restent à sa charge, conformément à l'article 70 du règlement de procédure.