Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
L'association requérante, qui est une association de producteurs de charbon au sens de l'article 48 du traité du 18 avril 1951, association de droit néerlandais, vous demande l'annulation, tant pour violation du traité que pour détournement de pouvoir (nous citons la requête) «de la décision de la Haute Autorité relative à la prime exempte d'impôt accordée aux mineurs de fond (appelée Bergmannsprämie ou aussi Schichtprämie), prime que les entreprises charbonnières de l'Allemagne occidentale paient à
leurs mineurs de fond depuis le 15 février 1956 et qui est financée sur les fonds publics de la république fédérale d'Allemagne. Cette décision, ajoute la requête, n'a pas été publiée par la Haute Autorité».
Outre l'annulation de la décision attaquée, les conclusions du recours tendent à ce qu'il plaise à la Cour :
«déclarer que la Haute Autorité doit constater par une décision que la république fédérale d'Allemagne n'a pas respecté ses engagements découlant du traité en finançant sur les fonds publics une prime exempte d'impôt accordée aux mineurs de fond et qu'elle doit donc annuler cette mesure».
La Haute Autorité, vous le savez, tout en s'expliquant subsidiairement sur le fond, oppose à cette requête diverses fins de non-recevoir, parmi lesquelles l'absence de décision. C'est cette question qu'il convient d'examiner en premier lieu.
Elle doit l'être successivement sur le terrain de l'article 33 (décisions positives) et sur le terrain de l'article 35 (recours en carence).
I
Tout d'abord, existe-t-il une décision, au sens de l'article 14 du traité, prise par la Haute Autorité et que la requérante attaquerait par un recours formé au titre de l'article 33?
Une telle décision n'est pas produite. Il s'agirait, en effet, d'après l'association requérante, nous l'avons vu, d'une décision non publiée. Son existence, toutefois, serait établie par la lettre que le vice-président de la Haute Autorité a adressée à cette association le 7 août 1957 en réponse à une demande du 11 juillet précédent, lettre qui devrait être considérée comme notification permettant de saisir la Cour en exécution du 3e alinéa de l'article 33. Quant au libellé même de la décision, il
n'a jamais été porté à la connaissance de la requérante, malgré la demande qu'elle a adressée à cet effet à la Haute Autorité le 22 août 1957, demande restée sans réponse. Cela prouve, entre parenthèses, qu'il n'y a pas eu notification, contrairement à ce que soutient la requérante; mais peu importe, puisque cette question n'aurait d'intérêt qu'au regard du délai de recours.
Donc, pour la requérante, il existe une décision, dont le sens est connu, mais dont, lorsqu'elle a déposé son recours, elle ignorait le texte comme la date. Toutefois, dans sa réplique, la requérante, ayant eu connaissance de la correspondance échangée entre le gouvernement allemand et la Haute Autorité, correspondance produite par cette dernière, voit la décision dans une lettre du 21 juin 1957 adressée par le président de la Haute Autorité au ministre des affaires économiques de la République
fédérale et dans laquelle la position de la Haute Autorité vis-à-vis de la légalité de la prime de poste est clairement exprimée.
Pour la Haute Autorité, aucune décision n'a jamais été prise. Ce point de vue est confirmé par une lettre du 7 octobre 1957 adressée par elle au gouvernement néerlandais, qui, lui aussi, avait demandé à la Haute Autorité «copie de la décision finale» prise au sujet de la prime de poste des mineurs de fond versée par le gouvernement fédéral : «A défaut d'une décision prise, est-il dit dans cette lettre, il n'est pas possible d'en faire parvenir une copie au gouvermenent néerlandais».
Messieurs, nous ne reviendrons pas sur les faits qui vous sont parfaitement connus et sur lesquels les parties sont d'accord. Ils sont, en effet, établis sans discussion possible par l'échange de correspondance qui figure au dossier entre le gouvernement fédéral et la Haute Autorité ainsi qu'entre celle-ci et la requérante. Il faut bien distinguer, à cet égard, d'une part, les prises de position en droit de chacun des intéressés, et, d'autre part, la procédure que chacune de ces positions devrait
entraîner conformément aux dispositions du traité.
En ce qui concerne la position en droit vis-à-vis de la légalité de la prime de poste, elle est triple: pour le gouvernement fédéral (qui n'est d'ailleurs pas partie au présent litige, même comme intervenant), la question ne doit être envisagée qu'au regard de l'article 67 du traité (atteintes aux conditions de la concurrence) et non de l'article 4. Il ne s'agit pas, en effets, d'une aide interdite au titre de l'article 4, et, sur le terrain de l'article 67, les conditions d'une intervention de la
Haute Autorité ne sont pas remplies. C'est seulement dans un esprit de conciliation, sans abandonner sa thèse juridique, qu'à partir du 18 juin 1957, le gouvernement fédéral a accepté l'idée d'imposer à l'industrie minière une charge compensant l'avantage qui résulte pour elle du financement par les fonds publics de la prime de poste.
Pour la Haute Autorité, la prime de poste constitue une aide interdite en vertu de l'article 4 du traité, à moins qu'elle ne soit compensée par une charge équivalente et appropriée, supportée par l'industrie minière, auquel cas il n'y a plus infraction au traité.
Pour la requérante, enfin, la prime de poste est par elle-même illégale, sans qu'aucune compensation puisse la rendre compatible avec le traité.
Pour ce qui est de la procédure, il semble qu'il y ait un accord général: si la Haute Autorité estime que la situation est contraire au traité du fait des mesures prises par le gouvernement allemand, elle ne peut que recourir à la procédure de l'article 88.
Cette procédure a, d'ailleurs, été entamée. L'article 88 dispose :
«Si la Haute Autorité estime qu'un État a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité, elle constate ledit manquement par une décision motivée, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations…»
Cette dernière formalité a été accomplie le 2 mai 1956. Le délai imparti au gouvernement fédéral pour présenter ses observations, primitivement fixé à fin juin 1956, a été prorogé à plusieurs reprises ; puis il n'en a plus été question, tandis que l'échange de correspondance se poursuivait en vue de parvenir à une solution acceptée d'un commun accord. Et c'est ainsi qu'on en arrive aux deux documents essentiels :
1o La lettre du ministre fédéral de l'économie du 18 juin 1957 qui, sans abandonner la thèse juridique de son gouvernement quant à la légalité de la prime de poste, envisage pour la première fois, nous l'avons vu, une solution consistant dans l'imposition d'une charge correspondante à l'industrie minière, telle que la suppression du remboursement des cotisations patronales à l'assurance-pension des mineurs dont bénéficiaient les entreprises minières;
2o La lettre de la Haute Autorité du 21 juin 1957 qui, prenant position à cet égard, déclare que la suppression envisagée constitue, à son avis, une compensation permettant le maintien de la prime de poste, sous réserve, toutefois, d'une série de conditions sans lesquelles la prime de poste devrait continuer à être regardée comme illégale.
Depuis, vous le savez, l'échange de correspondance s'est poursuivi et nous n'en connaissons pas le terme.
Il est donc certain, et la requérante le reconnaît, que la procédure de l'article 88 en est restée à son premier stade, qui consiste à mettre l'État intéressé en mesure de présenter ses observations, et n'avait pas abouti, lorsque le recours a été formé, à une décision constatant le manquement; une telle décision n'a d'ailleurs pas encore été prise à l'heure actuelle.
Dès lors, la seule question est de savoir si la lettre de la Haute Autorité du 21 juin 1957 constitue une «décision» au sens de l'article 14 du traité, susceptible de recours en vertu de l'article 33.
La négative, Messieurs, nous parait s'imposer.
Non pas, sans doute, pour des raisons tenant à la forme. A cet égard, nous pensons qu'un excès de formalisme serait condamnable et nous partageons d'une manière générale l'opinion exprimée par plusieurs auteurs qui ont étudié cette question, notamment Steindorff, Die Nichtigkeitsklage im Recht der EGKS, 1952, pp. 20 et suiv.,Heinrich Matthies, La décision de la Haute Autorité en tant qu'objet du recours en annulation, communication faite au Congrès de Stresa. Les mesures de la Haute Autorité peuvent
prendre des formes multiples: règlements ou décisions générales, délibérées par le collège de la Haute Autorité et publiées au Journal officiel de la Communauté sous la signature du président, déclarant agir «par la Haute Autorité»; simples lettres adressées par le président de la Haute Autorité, au nom de celle-ci, à leur destinataire, mais publiées également au Journal officiel de la Communauté et dont le contenu, sinon la rédaction, doit avoir été délibéré également en collège; autorisations
individuelles simplement notifiées, etc. La terminologie du traité n'est elle-même pas toujours fixe, puisqu'on y trouve, par exemple, l'expression «délibération» à côté du terme «décision». Il y a, enfin, la question délicate des décisions prises par délégation ou en vertu d'attribution de compétences réglementaires, par exemple en matière de statut des fonctionnaires.
Pour notre part, nous serions tenté d'admettre l'opinion de Steindorff (op. cit. p. 25), d'après laquelle :
«Après exclusion nécessaire des actes purement matériels de la catégorie des mesures attaquables, il apparaît que toute mesure de la Haute Autorité ayant des effets juridiques à l'extérieur et qui implique l'exercice d'une prérogative de puissance publique peut faire l'objet d'un recours en annulation. Pareille mesure doit valoir comme décision ou recommandation au sens du traité.»
Il faut bien voir, en effet, que la décision et la recommandation constituent le mode légal institué par le traité pour permettre à la Haute Autorité d'exercer les compétences qui lui sont attribuées par ce même traité. Ces compétences doivent être exercées suivant certaines formes, qui sont autant de garanties pour les intéressés et pour les tiers (avis préalable du Comité consultatif ou du Conseil, motivation, publication dans certains cas, etc.), et elles doivent aussi être exercées selon des
conditions de fond, c'est-à-dire dans les cas et sous les limites fixés par les dispositions du traité.
Il en est ainsi, notamment, lorsque, comme dans l'espèce, on se trouve dans le domaine des interventions de la Haute Autorité. L'une des missions de celle-ci consiste à veiller d'une manière permanente au respect des interdictions édictées par le traité, telles que celles de l'article 4. Une autre consiste dans le pouvoir qui lui est attribué d'intervenir en matière économique pour modifier les conditions du marché: elle jouit alors d'un pouvoir d'appréciation, souvent discrétionnaire, quoique
contenu dans certaines limites. Dans la présente affaire, nous sommes dans le premier cas: la situation créée par les mesures du gouvernement fédéral est-elle ou non contraire au traité, notamment au regard des interdictions de l'article 4? Voilà la question qui doit retenir l'attention de la Haute Autorité. Si elle estime que cet examen conduit à la négative, elle s'abstient; peut-être a-t-elle tort, et c'est alors le mécanisme du recours en carence qui doit jouer: nous examinerons ce point dans un
instant. Dans le cas contraire, elle intervient pour mettre fin à la situation jugée par elle illégale, mais elle ne peut le faire que dans les conditions prévues par le traité, c'est-à-dire par une décision ou une recommandation basée sur un pouvoir expressément attribué et selon les formes fixées par une disposition du traité; et si jamais un tel pouvoir n'existait pas, il faudrait le créer selon la procédure de l'article 95, alinéa 1. Il n'y a donc en définitive en pareil cas que deux
alternatives: l'abstention ou l'intervention.
Il est évident, dès lors, qu'une simple prise de position, qu'elle soit manifestée par une lettre, une déclaration à l'Assemblée Commune ou de toute manière, et par laquelle la Haute Autorité est amenée à expliquer les raisons pour lesquelles elle estime que telle situation, sous telles conditions, n'est pas selon elle contraire au traité, n'est pas une «mesure ayant des effets juridiques à l'extérieur et impliquant l'exercice d'une prérogative de puissance publique», pour reprendre les expressions
de Steindorff : ce n'est pas une décision au sens des articles 14 et 33.
A titre d'analogie dans les droits nationaux, nous citerons deux arrêts du Conseil d'État français : Merveilleux,26 mai 1944, Rec. p. 155, et Cerciat,27 avril 1953, Rec. p. 195.
Qui ne voit, au surplus, les inconvénients qu'entraînerait une conception plus large: les questions soulevées par l'application du traité sont souvent fort délicates et les répercussions d'une mesure éventuelle d'intervention peuvent être fort graves (le présent litige en est un exemple). Il n'est pas bon que toute manifestation quelconque d'un point de vue juridique par la Haute Autorité puisse permettre de porter la question devant la Cour à n'importe quel moment, au hasard d'une lettre non
publiée et à l'égard de laquelle, en conséquence, aucun délai ne court. Une telle menace perpétuelle d'ouverture d'un contentieux pèserait gravement sur des échanges de vues parfois difficiles: la protection judiciaire due aux intéressés ne l'exige pas.
Avant d'en terminer sur ce point, nous voudrions répondre à l'argument tiré par la requérante d'un passage de l'arrêt de la Cour de Justice de la C.E.C.A. 8-55, du 16 juillet 1956, «Fédération charbonnière de Belgique», passage ( 1 ) dans lequel a été considérée comme décision susceptible de recours la déclaration contenue dans une lettre de la Haute Autorité au gouvernement belge et qui avait trait à une menace de retirer le bénéfice de la péréquation si certaines conditions venaient à ne pas être
remplies. La différence essentielle entre cette affaire et le présent litige est que, dans l'affaire Fedechar, l'intervention de la Haute Autorité existait; elle résultait à la fois d'une décision en forme et de toute une série de passages d'une lettre faisant en réalité corps avec la décision et que, peu formaliste malgré les inconvénients juridiques d'un tel procédé, la Cour a estimé avoir aussi le caractère de décision. Le passage incriminé visait l'une des modalités de l'intervention décidée par
la Haute Autorité dans le cadre des pouvoirs qu'elle tenait de la Convention pour aménager la péréquation du charbon belge.
Dans l'espèce actuelle, au contraire, nous l'avons vu, il n'y a pas intervention, donc pas de décision positive.
II
Mais — et ceci nous amène à la seconde question — n'y a-t-il pas refus d'intervention dans des conditions telles que le recours puisse être considéré comme un recours en carence relevant de l'article 35?
Dans la présente affaire, la disposition applicable serait le premier alinéa de l'article 35, qui vise «le cas où la Haute Autorité, tenue par une disposition du présent traité ou des règlements d'application de prendre une décision ou de formuler une recommandation, ne se conforme pas à cette obligation…». En effet, selon la requérante, l'institution de la prime de poste, ou, plus exactement, son financement sur les fonds publics de la République fédérale constituant une aide ou une subvention
interdite en vertu de l'article 4 du traité, la Haute Autorité est tenue de prendre une décision pour mettre fin à cette situation, ce qui, nous l'avons vu, ne peut se faire que selon la procédure de l'article 88. C'est donc une décision au titre de l'article 88 que la Haute Autorité serait tenue de prendre.
A cet égard, le litige se présente dans des conditions comparables avec les affaires 7 et 9-54, «Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises», qui ont donné lieu à l'arrêt du 23 avril 1956. Là aussi le requérant soutenait qu'une certaine situation, créée en l'espèce par l'activité d'un établissement public luxembourgeois, était contraire au traité et que la Haute Autorité était tenue d'y mettre fin en constatant, par une décision motivée prise en vertu de l'article 88, que le
gouvernement luxembourgeois, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour faire cesser cette activité illégale, avait manqué à une des obligations découlant du traité. La seule différence en fait est que, dans l'espèce actuelle, le manquement allégué résulterait d'une mesure prise par le gouvernement lui-même.
Cet arrêt du 23 avril 1956 est très intéressant, car il confirme bien la thèse que nous défendons au sujet de ce qu'il faut entendre par décision susceptible de recours au sens du traité. Vous savez que, dans cette affaire, un premier recours avait été formé, par application du troisième alinéa de l'article 35, contre une décision implicite résultant du silence gardé pendant deux mois par la Haute Autorité sur la demande que lui avait adressée le groupement requérant tendant à faire cesser la
situation estimée par lui illégale; mais la Haute Autorité, après l'introduction du recours, avait, expressément cette fois, refusé, sur un des points en litige, de prendre la décision demandée par le requérant. La Cour a jugé que ce refus explicite ne modifiait pas la situation juridique résultant de l'existence d'une décision implicite de refus déjà acquise à l'expiration du délai de deux mois suivant la mise en demeure et qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le deuxième recours qu'à toutes
fins utiles le requérant avait formé contre le refus explicite. Le passage essentiel de l'arrêt à cet égard est le suivant (Rec., p. 89) :
«Considérant au surplus que l'objet du recours n'est pas le silence de la Haute Aurorité, mais le refus par elle de prendre la décision — au sens de l'article 14 du traité — que, aux yeux du requérant, elle était tenue de prendre.»
C'est assez dire que les décisions de la Haute Autorité, en pareille matière, ne peuvent être que des décisions positives d'intervention (art. 33) ou des décisions négatives refusant d'intervenir (art. 35) : peu importe, dans ce dernier cas, que le refus soit explicite ou implicite.
En revanche, il doit être régulièrement constaté selon la procédure instituée à l'article 35, c'est-à-dire après une demande adressée à la Haute Autorité. A cet égard, les termes de l'article 35 sont formels :
«Dans le cas où la Haute Autorité, tenue par une disposition du présent traité ou des règlements d'application de prendre une décision ou de formuler une recommandation, ne se conforme pas à cette obligation, il appartient, selon le cas, aux États, au Conseil ou aux entreprises et associations de la saisir.»
Cette formalité est de première importance, non seulement parce que la demande adressée à la Haute Autorité constitue le point de départ du délai de trois mois imparti à l'intéressé pour saisir la Cour au cas où la Haute Autorité ne prendrait pas de décision, mais aussi en raison de la gravité d'une démarche qui, mettant en cause l'inaction de la Haute Autorité, la contraint à prendre parti dans un délai relativement court sur la légalité de cette inaction, en lui faisant savoir que la phase
contentieuse est appelée à s'ouvrir aussitôt après. La procédure de l'article 35 a pour objet de sauvegarder dans ce cas particulier la règle générale du préalable administratif.
Or, en l'espèce, cette formalité essentielle n'a pas été accomplie.
Elle ne l'a évidemment pas été par la lettre du 11 juillet 1957 adressée par la requérante à la Haute Autorité et qui se termine par la phrase suivante :
«Afin de pouvoir fixer notre position à l'égard de ce problème, nous vous saurions gré de bien vouloir nous communiquer la décision que vous avez prise en la matière.»
Cela n'a rien à voir avec une demande adressée à la Haute Autorité de prendre à l'égard du gouvernement de la République fédérale une décision par application de l'article 88 destinée à faire cesser une situation jugée illégale. La requérante ne dit même pas qu'à son sens la situation est illégale.
Quant à sa lettre du 22 août 1957, la requérante y déclare «envisager» de former un recours devant la Cour de Justice contre la décision qu'elle croit avoir été prise par la Haute Autorité relativement à la prime de poste. Mais, Messieurs, si vous nous suivez dans nos explications précédentes, vous constaterez qu'il n'y avait pas de décision de la Haute Autorité susceptible de recours. D'autre part, cette lettre, pas plus que la précédente, n'a le caractère d'une demande mettant la Haute Autorité en
demeure d'intervenir au titre de l'article 88.
C'est seulement dans son recours que la requérante pourrait être considérée comme formulant pour la première fois une telle demande. C'est le passage des conclusions que nous avons déjà cité :
«qu'il plaise à la Cour :
annuler la décision attaquée;
déclarer que la Haute Autorité doit constater par une décision que la république fédérale d'Allemagne n'a pas respecté ses engagements découlant du traité, etc.»
Mais il s'agit là de conclusions déposées devant la Cour et qui, à notre avis, et pour les raisons que nous venons d'exposer, ne peuvent suppléer à la formalité essentielle du «préalable» imposée par l'article 35.
Sans doute, Messieurs, ces considérations qui aboutissent à déclarer la requête irrecevable, peuvent-elles apparaître un peu formalistes. Nous pensons néanmoins qu'une décision claire de la Cour à cet égard rendra service aux justiciables à l'avenir, et, en ce qui concerne la requérante, elle n'apparaît pas choquante en équité, puisque aucune décision au titre de l'article 88 n'étant encore intervenue et aucun délai n'ayant couru, la procédure de l'article 35 peut encore être régulièrement engagée.
Peut-être ce retard permettra-t-il de trouver une solution amiable de nature à satisfaire les divers intérêts en cause.
Nous concluons :
— au rejet de la requête,
— et à ce que les dépens soient supportés par la requérante.
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( 1 ) Recueil de la jurisprudence, vol. II, p. 225.