COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : TransAlta Generation Partnership c. Alberta, 2024 CSC 37
Appel entendu : 25 avril 2024
Jugement rendu : 8 novembre 2024
Dossier : 40570
Entre :
TransAlta Generation Partnership et
TransAlta Generation (Keephills 3)
Appelantes
et
Sa Majesté le Roi du chef de la province d’Alberta et
Minister of Municipal Affairs for the Province of Alberta
Intimés
- et -
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec,
procureur général de la Colombie-Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
Trial Lawyers Association of British Columbia,
HIV & AIDS Legal Clinic Ontario,
Health Justice Program, Producteurs de poulet du Canada,
Producteurs d’œufs du Canada, Éleveurs de dindon du Canada,
Producteurs d’œufs d’incubation du Canada,
Workers’ Compensation Board of British Columbia,
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,
Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration,
Advocates for the Rule of Law et
Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
Motifs de jugement :
(par. 1 à 65)
La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
TransAlta Generation Partnership et
TransAlta Generation (Keephills 3) Appelantes
c.
Sa Majesté le Roi du chef de la province d’Alberta et
Minister of Municipal Affairs for the Province of Alberta Intimés
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec,
procureur général de la Colombie-Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
Trial Lawyers Association of British Columbia,
HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, Health Justice Program,
Producteurs de poulet du Canada, Producteurs d’œufs du Canada,
Éleveurs de dindon du Canada, Producteurs d’œufs d’incubation du Canada,
Workers’ Compensation Board of British Columbia,
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,
Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration,
Advocates for the Rule of Law et Association nationale
des organismes de réglementation de la pharmacie Intervenants
Répertorié : TransAlta Generation Partnership c. Alberta
2024 CSC 37
No du greffe : 40570.
2024 : 25 avril; 2024 : 8 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Texte législatif subordonné — Validité — Discrimination administrative — Contestation de lignes directrices sur l’évaluation foncière au motif qu’elles seraient ultra vires d’un ministre provincial — Norme de contrôle applicable au contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné — Les lignes directrices relèvent‑elles du pouvoir délégué au ministre par la loi habilitante? — Les lignes directrices violent-elles la règle de common law interdisant la discrimination administrative? — Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M‑26, art. 322, 322.1 — 2017 Alberta Linear Property Assessment Minister’s Guidelines, art. 1.003, 2.003.
TransAlta est propriétaire d’installations de production d’électricité à partir de charbon situées en Alberta. En 2016, TransAlta a conclu un accord d’élimination du charbon avec l’Alberta. Suivant cet accord, TransAlta a accepté de cesser de produire des émissions à partir du charbon d’ici au 31 décembre 2030 en contrepartie du versement par l’Alberta de paiements de transition substantiels pendant 14 ans, pour l’indemniser de la perte résultant de la durée de vie réduite de ses installations alimentées au charbon. Les installations alimentées au charbon de TransAlta sont évaluées en tant que biens‑fonds linéaires aux fins d’imposition municipale. Les articles 322 et 322.1 de la Municipal Government Act (« MGA ») de l’Alberta autorisent le ministre des Affaires municipales de la province à établir des lignes directrices pour la détermination de la valeur d’un bien‑fonds linéaire.
En 2017, le ministre a établi les 2017 Alberta Linear Property Assessment Minister’s Guidelines (« Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ») en vertu de la MGA. Les articles 1.003 et 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire privent TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle sur la base de la réduction de la durée de vie de ses installations découlant de l’accord d’élimination du charbon. TransAlta a contesté la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire pour deux raisons : (1) elles violent la règle de common law interdisant la discrimination administrative; et (2) elles sont incompatibles avec les objectifs de la MGA.
La juge en cabinet a confirmé la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire et a conclu que celles-ci ne discriminaient pas à l’encontre de TransAlta. La Cour d’appel a jugé que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne discriminaient pas à l’encontre de TransAlta, et a statué que la juge en cabinet n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’elles relevaient du champ d’application du pouvoir du ministre.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Comme il est mentionné dans le pourvoi connexe Auer c. Auer, 2024 CSC 36, la norme de la décision raisonnable énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. En outre, certains principes de l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810, continuent de guider le contrôle selon la décision raisonnable, mais le seuil établi dans cet arrêt pour décider si un texte législatif subordonné est ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’objet de la loi habilitante — c’est-à-dire qu’il soit sans importance, non pertinent ou complètement étranger à cet objectif législatif — ne s’applique plus à cette analyse. De plus, le régime statutaire applicable, les autres règles statutaires ou de common law qui s’appliquent et les principes d’interprétation statutaire sont des contraintes particulièrement pertinentes afin de décider si un texte législatif subordonné relève raisonnablement du champ d’application du pouvoir du délégataire. En l’espèce, aucune exception à la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable ne s’applique et, en conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire. Eu égard au régime statutaire applicable, aux principes d’interprétation statutaire et à la règle de common law interdisant la discrimination administrative, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont intra vires du ministre.
La discrimination administrative survient lorsqu’un texte législatif subordonné établit expressément des distinctions entre les personnes à qui s’applique sa loi habilitante. La discrimination administrative diffère de la discrimination dans le contexte de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la législation en matière de droits de la personne. Elle concerne l’établissement de distinctions entre des personnes ou des catégories de personnes qui sont discriminatoires suivant une acception non péjorative, en ce que, tout simplement, elles ne s’appliquent pas de la même façon à tous ceux qui s’adonnent à l’activité faisant l’objet du texte en question. Selon la règle de common law interdisant la discrimination administrative, le texte législatif subordonné qui discrimine au sens du droit administratif est invalide à moins que la discrimination ne soit autorisée — soit expressément, soit par implication nécessaire — par la loi habilitante. Elle vise à faire en sorte que les délégataires statutaires agissent à l’intérieur du champ d’application de leurs pouvoirs lorsqu’ils établissent des distinctions entre les personnes auxquelles s’applique la loi habilitante. La question de l’habilitation statutaire de discriminer relève du contrôle suivant la norme de la décision raisonnable devant être exécuté dans le cadre d’une contestation de la validité d’un texte législatif subordonné, sauf indication différente du législateur ou si se soulève une question liée à la primauté du droit qui devrait être contrôlée suivant la norme de la décision correcte.
Dans la présente affaire, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à l’encontre de TransAlta et des autres parties à des accords d’élimination du charbon en les désignant spécifiquement comme inadmissibles à réclamer une dépréciation additionnelle en raison des accords d’élimination du charbon. Le fait que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon ne signifie pas qu’elles ne sont pas discriminatoires; elles traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon discriminatoire, par comparaison avec les propriétaires de biens‑fonds linéaires qui ne sont pas parties à de tels accords, et elles établissent expressément une distinction entre les propriétaires de biens‑fonds linéaires qui sont parties à des accords d’élimination du charbon et ceux qui ne sont pas parties à de tels accords, bien que les deux groupes de propriétaires soient assujettis à la MGA.
La MGA n’autorise pas expressément le ministre à discriminer à l’encontre de TransAlta; cependant, cette discrimination est par implication nécessaire autorisée par la loi. Pour faire en sorte que l’évaluation des installations alimentées au charbon de TransAlta soit à jour, exacte, juste et équitable conformément à l’objectif de la MGA, le fait de conclure que le ministre était autorisé à priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle constitue une interprétation raisonnable du pouvoir que lui confère la loi. Les paiements de transition versés en application de l’accord d’élimination du charbon tiennent compte d’une partie de la perte de valeur des installations alimentées au charbon de TransAlta imputable à leur durée de vie réduite, et l’existence de l’accord d’élimination du charbon constitue une spécification ou une caractéristique des installations alimentées au charbon de TransAlta que le ministre était autorisé à considérer dans l’établissement des normes d’évaluation applicables à ces installations. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont compatibles avec les objectifs de la MGA et ne violent pas la règle de common law interdisant la discrimination administrative; elles sont donc intra vires du ministre.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : Auer c. Auer, 2024 CSC 36; arrêts mentionnés : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23; Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635; La Rose c. Canada, 2023 CAF 241; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Fédération des producteurs de fruits et légumes du Québec c. Conserverie canadienne Ltée, [1990] R.J.Q. 2866; Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600; Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc., 1985 CanLII 97 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 368; Forget c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 51 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 90; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), 1994 CanLII 115 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 231; Edmonton (City) c. Army & Navy Department Stores Ltd., [2002] A.M.G.B.O. No. 126 (QL).
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Matters Relating to Assessment and Taxation Regulation, Alta. Reg. 220/2004, art. 8(2).
Ministerial Order No. MAG:021/17, 19 décembre 2017.
Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M‑26, art. 1(1)(n), 284(1)(c), (f.01), (k), 292(1), (2), 322, 322.1.
Doctrine et autres documents cités
Alberta. 2017 Alberta Linear Property Assessment Minister’s Guidelines, Edmonton, 2018.
Alberta Municipal Affairs. Guide to Property Assessment and Taxation in Alberta, Edmonton, 2018.
Keyes, John Mark. Executive Legislation, 3e éd., Toronto, LexisNexis, 2021.
Mancini, Mark P. « One Rule to Rule Them All : Subordinate Legislation and the Law of Judicial Review » (2024), 55 R.D. Ottawa 245.
Salembier, Paul. Regulatory Law and Practice, 3e éd., Toronto, LexisNexis, 2021.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Martin, Hughes et Kirker), 2022 ABCA 381, [2022] A.J. No. 1393 (Lexis), 2022 CarswellAlta 3387 (WL), qui a confirmé une décision de la juge Price, 2021 ABQB 37, [2021] A.J. No. 115 (Lexis), 2021 CarswellAlta 174 (WL). Pourvoi rejeté.
Michael J. Donaldson, c.r., Michael Sobkin, Andrea Sam et Katie Sykes, pour les appelantes.
Greg G. Plester, Rebecca L. Kos et Alvin R. Kosak, pour les intimés.
Judie Im et Michele Valentini, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Stéphane Rochette et Francesca Boucher, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Emily Lapper et Christine Bant, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Kyle McCreary et Jared Biden, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Aubin P. Calvert et Devin Eeg, pour l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia.
Mannu Chowdhury, pour les intervenants HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et Health Justice Program.
Alyssa Holland, David Wilson et Julie Mouris, pour les intervenants Producteurs de poulet du Canada, Producteurs d’œufs du Canada, Éleveurs de dindon du Canada et Producteurs d’œufs d’incubation du Canada.
Johanna Goosen, pour l’intervenante Workers’ Compensation Board of British Columbia.
Andrew J. Brouwer et Erin V. Simpson, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
Lawrence David et Gjergji Hasa, pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.
Ewa Krajewska, Peter Henein et Brandon Chung, pour l’intervenant Advocates for the Rule of Law.
William W. Shores, c.r., et Annabritt N. Chisholm, pour l’intervenante l’Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La juge Côté —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Aperçu
1
II. Faits
8
III. Historique judiciaire
9
A. Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2021 ABQB 37
9
B. Cour d’appel de l’Alberta, 2022 ABCA 381
11
IV. Questions en litige
13
V. Norme de contrôle
14
VI. Aperçu de l’Accord d’élimination du charbon, de la MGA et des Lignes directrices
19
A. L’Accord d’élimination du charbon
19
B. La Municipal Government Act
22
C. Les Lignes directrices
30
VII. Analyse
37
A. La règle de common law interdisant la discrimination administrative
40
B. Les Lignes directrices discriminent à l’encontre des parties à des accords d’élimination du charbon
45
C. Le ministre est autorisé par la loi à discriminer à l’encontre des parties à des accords d’élimination du charbon
50
D. Les Lignes directrices sont compatibles avec l’économie et les objets de la MGA
54
VIII. Conclusion
61
I. Aperçu
[1] TransAlta Generation Partnership et TransAlta Generation (Keephills 3) (collectivement, « TransAlta ») sont propriétaires d’installations de production d’électricité à partir de charbon situées en Alberta. En 2016, TransAlta a conclu avec la Couronne du chef de l’Alberta une entente intitulée « Off‑Coal Agreement » (« Accord d’élimination du charbon »). Suivant cet accord, TransAlta a accepté de cesser de produire des émissions à partir du charbon d’ici au 31 décembre 2030, en contrepartie du versement par l’Alberta de « paiements de transition » substantiels pendant 14 ans, pour l’indemniser de la perte résultant de la durée de vie réduite de ses installations alimentées au charbon.
[2] TransAlta conteste la validité des 2017 Alberta Linear Property Assessment Minister’s Guidelines (2018) (« Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ») établies par le ministre des Affaires municipales en vertu de la Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M‑26 (« MGA »). Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire prévoient les procédures d’évaluation de tous les « biens‑fonds linéaires » aux fins d’imposition municipale. Les installations alimentées au charbon de TransAlta sont considérées comme des « biens‑fonds linéaires ». Selon les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, TransAlta et les autres parties à des accords d’élimination du charbon ne sont pas admises à réclamer une dépréciation additionnelle pour tenir compte de la durée de vie réduite de leurs installations alimentées au charbon.
[3] TransAlta plaide que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont ultra vires du ministre pour deux raisons : (1) elles violent la règle de common law interdisant la discrimination administrative en traitant de façon discriminatoire, sans habilitation statutaire, les parties qui ont conclu des accords d’élimination du charbon avec l’Alberta; et (2) elles sont incompatibles avec les objectifs de la MGA.
[4] Dans le pourvoi connexe, Auer c. Auer, 2024 CSC 36, notre Cour conclut, tel qu’il a été établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer quand le tribunal contrôle la validité d’un texte législatif subordonné. Étant donné qu’aucune exception à cette présomption ne s’applique en l’espèce, le présent pourvoi donne à notre Cour l’occasion d’illustrer comment la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en cas de contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné, lorsque la partie qui conteste le texte invoque la règle de common law interdisant la discrimination administrative.
[5] Comme je vais l’expliquer, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à l’encontre de TransAlta et des autres parties à des accords d’élimination du charbon en les privant de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle reflétant la durée de vie réduite de leurs installations alimentées au charbon. Cependant, cette discrimination est autorisée par la loi par implication nécessaire. Pour faire en sorte que l’évaluation des installations alimentées au charbon de TransAlta soit [traduction] « à jour, exact[e], just[e] et équitabl[e] » conformément aux objectifs de la MGA (Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 46), constitue une interprétation raisonnable du pouvoir que lui confère la loi le fait de conclure que le ministre était autorisé à priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle. C’est le cas parce que les paiements de transition versés par l’Alberta à TransAlta en application de l’Accord d’élimination du charbon tiennent déjà compte d’au moins une partie de la perte de valeur des installations alimentées au charbon de TransAlta imputable à leur durée de vie réduite. De plus, l’existence de l’Accord d’élimination du charbon constitue une « spécification » ou une « caractéristique » des installations alimentées au charbon de TransAlta que le ministre était autorisé à considérer dans l’établissement des normes d’évaluation applicables à ces installations.
[6] Vu ma conclusion portant que constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré au ministre par la loi le fait de conclure que la discrimination est par implication nécessaire autorisée par la loi, il s’ensuit que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont compatibles avec les objectifs de la MGA. Encore une fois, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire servent à faire en sorte que les évaluations foncières soient « à jour, exactes, justes et équitables » conformément aux objectifs de la MGA.
[7] Par conséquent, eu égard au régime statutaire applicable, aux principes d’interprétation statutaire et à la règle de common law interdisant la discrimination administrative, je conclus que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont intra vires du ministre.
II. Faits
[8] Les installations alimentées au charbon de TransAlta sont évaluées en tant que « biens‑fonds linéaires » aux fins de l’imposition municipale. L’alinéa 284(1)(k) de la MGA définit ce qu’est un « bien‑fonds linéaire », et les art. 322 et 322.1 autorisent le ministre des Affaires municipales à établir des lignes directrices pour la détermination de la valeur d’un tel bien‑fonds. En 2017, le ministre a établi les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, lesquelles prévoient ce qui suit : [traduction] « Il n’y aura pas de reconnaissance ou d’ajustement [de la dépréciation] dans l’annexe C ou l’annexe D par suite de la cessation ou de la réduction des émissions à partir du charbon le ou avant le 31 décembre 2030 découlant soit d’un accord d’élimination du charbon, soit d’une loi provinciale ou fédérale » (al. 1.003(d)). TransAlta a présenté une demande de contrôle judiciaire contestant la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire pour plusieurs motifs, notamment parce qu’elles discriminent à l’encontre de TransAlta en la privant, sans habilitation statutaire, du droit de réclamer une forme de dépréciation ouverte à l’égard des biens‑fonds linéaires qui ne font pas l’objet d’un accord d’élimination du charbon.
III. Historique judiciaire
A. Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2021 ABQB 37
[9] La juge en cabinet a confirmé la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire. Elle a souligné que, à la suite de l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’applique pour apprécier la validité d’un texte législatif subordonné. Toutefois, l’application par la juge de la norme de la décision raisonnable reposait en grande partie sur l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810. À son avis, les Lignes directrices n’étaient pas « sans importance », « non pertinent[es] » ou « complètement étrang[ères] » aux objectifs de la MGA (par. 57, se référant à Katz Group, par. 28). La MGA a conféré au ministre un large pouvoir lui permettant d’établir des normes d’évaluation à l’égard des biens‑fonds réglementés, telles les installations alimentées au charbon de TransAlta. Le ministre n’était pas restreint à la norme fondée sur la valeur marchande dans l’adoption de la norme d’évaluation applicable.
[10] La juge en cabinet a conclu, pour deux raisons, que les Lignes directrices directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne discriminaient pas à l’encontre de TransAlta. Premièrement, elles ne privaient pas TransAlta d’une forme de dépréciation à laquelle elle avait droit auparavant. Deuxièmement, elles ne privaient pas TransAlta d’une forme de dépréciation applicable à d’autres types de biens‑fonds linéaires. Toutefois, la juge a expliqué que même si les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire étaient discriminatoires, le ministre était autorisé à discriminer à l’encontre de TransAlta étant donné que [traduction] « la création et la mise en œuvre d’un régime d’évaluation impliquent nécessairement l’établissement de distinctions entre divers types de biens‑fonds » (par. 73).
B. Cour d’appel de l’Alberta, 2022 ABCA 381
[11] La Cour d’appel a rejeté à l’unanimité l’appel de TransAlta. En ce qui concerne la norme de contrôle, la cour a conclu que les principes formulés dans l’arrêt Katz Group n’avaient pas été supplantés ou modifiés par l’arrêt Vavilov. Appliquant Katz Group, la cour a statué que la juge en cabinet n’avait pas commis d’erreur en concluant que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire relevaient du champ d’application du pouvoir du ministre.
[12] La cour a jugé que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne discriminaient pas à l’encontre de TransAlta, puisque les dispositions contestées s’appliquaient à toutes les installations alimentées au charbon faisant l’objet d’accords d’élimination du charbon, et non pas seulement à celles dont TransAlta est propriétaire. De l’avis de la cour, le ministre était autorisé à établir une distinction entre les installations alimentées au charbon et les autres types d’installations de production d’électricité, parce que ce dernier était généralement autorisé à prendre des règlements concernant [traduction] « toute [. . .] question jugée nécessaire pour réaliser l’objet » de la MGA, et que l’établissement de distinctions entre différentes catégories de bien‑fonds était un « aspect nécessaire » du pouvoir d’établir un régime d’évaluation foncière (par. 84‑85).
IV. Questions en litige
[13] Les questions en litige dans le présent pourvoi sont les suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné?
2. Les Lignes directrices sont‑elles ultra vires du ministre au regard de la MGA?
V. Norme de contrôle
[14] Comme il est mentionné dans le pourvoi connexe, Auer, la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. Aucune exception à la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. De fait, la législature n’a pas indiqué que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire doivent être contrôlées suivant une norme différente, et la primauté du droit ne requiert pas l’application de la norme de la décision correcte. En conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.
[15] Comme il est expliqué dans Auer, l’arrêt Katz Group continue de fournir des indications utiles et guide le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En particulier, les principes suivants de Katz Group continuent de s’appliquer :
• Le texte législatif subordonné « doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle‑ci » (Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175 (« LTPGES »), par. 87; voir aussi Vavilov, par. 108 et 110; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 283, les juges Karakatsanis et Jamal, dissidents en partie, mais non sur ce point).
• Les textes législatifs subordonnés continuent de jouir d’une présomption de validité (Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17, par. 54).
• Le texte législatif subordonné contesté et la loi habilitante doivent être interprétés au moyen d’une méthode d’interprétation législative large et téléologique (voir Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360, par. 28; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635, par. 12).
• Le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné n’implique pas l’appréciation du bien‑fondé des considérations d’intérêt général. Les tribunaux doivent contrôler uniquement la légalité ou la validité du texte législatif subordonné (West Fraser Mills, par. 59, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point; La Rose c. Canada, 2023 CAF 241, par. 28).
[16] Parallèlement, pour qu’un texte législatif subordonné soit ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’objet de la loi habilitante, il n’est plus nécessaire qu’il soit « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger » à cet objectif législatif (voir Auer, par. 4, 41 et 49; voir aussi Katz Group, par. 28). Le maintien de ce seuil établi dans Katz Group serait incompatible avec le contrôle vigoureux selon la norme de la décision raisonnable introduit par l’arrêt Vavilov et compromettrait la concrétisation de la promesse de simplicité, prévisibilité et cohérence de cet arrêt.
[17] Le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné constitue fondamentalement une opération d’interprétation législative qui vise à s’assurer que le délégataire a agi dans les limites du pouvoir légitime qu’il détient en vertu de la loi habilitante (Vavilov, par. 108; M. P. Mancini, « One Rule to Rule Them All : Subordinate Legislation and the Law of Judicial Review » (2024), 55 R.D. Ottawa 245, p. 274-275; voir, p. ex., West Fraser Mills, par. 23). Cette opération doit être réalisée conformément au principe moderne d’interprétation législative (Vavilov, par. 120‑121; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Le régime statutaire applicable, les autres règles statutaires ou de common law qui s’appliquent et les principes d’interprétation statutaire sont des contraintes particulièrement pertinentes afin de décider si le texte législatif subordonné en cause relève raisonnablement du champ d’application du pouvoir du délégataire (J. M. Keyes, Executive Legislation (3e éd. 2021), p. 175).
[18] Avant d’amorcer l’analyse en question, j’effectue un survol de l’Accord d’élimination du charbon et de la législation pertinente.
VI. Survol de l’Accord d’élimination du charbon, de la MGA et des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire
A. L’Accord d’élimination du charbon
[19] TransAlta a conclu l’Accord d’élimination du charbon avec l’Alberta le 24 novembre 2016. TransAlta a accepté de cesser de produire des émissions à partir du charbon d’ici le 31 décembre 2030 (Accord d’élimination du charbon, art. 2, reproduit au d.a., p. 151). En contrepartie, l’Alberta a accepté de verser 14 paiements de transition annuels de 39 851 704,60 $ à TransAlta (al. 3(a)).
[20] L’Accord d’élimination du charbon ne fait pas expressément état des taxes foncières ou de la dépréciation. Toutefois, le montant des paiements de transition a été calculé à partir de la valeur comptable nette des installations au charbon fournie par TransAlta, [traduction] « [r]épartie proportionnellement en fonction du pourcentage de la durée de vie restante après 2030 à titre d’approximation de la [valeur comptable nette] de 2030 : divisée par les années restantes sous le régime fédéral de fin de vie en date de novembre 2016, puis multipliée par le nombre d’années où les installations sont inactives » (ann. A). Cette formule démontre que les paiements de transition tiennent compte d’au moins une partie de la perte de valeur des installations alimentées au charbon de TransAlta découlant de leur durée de vie réduite en raison de l’Accord d’élimination du charbon. Comme l’a noté la Cour d’appel, [traduction] « [i]l est évident à la lecture des Accords d’élimination du charbon que la Province a cherché à tenir compte d’une partie de la perte de valeur découlant de la durée de vie réduite des centrales électriques alimentées au charbon des appelantes et à traiter de façon équivalente les entreprises touchées » (par. 23).
[21] De plus, il convient de signaler que l’Accord d’élimination du charbon précise qu’il suit les installations. En effet, TransAlta peut céder son titre ou sa participation dans ses installations avec le consentement de l’Alberta, mais seulement si le nouveau propriétaire accepte d’être lié par les conditions de l’Accord d’élimination du charbon (al. 11(n)).
B. La Municipal Government Act
[22] La MGA régit l’évaluation et l’imposition foncières en Alberta (Capilano, par. 9; Alberta Municipal Affairs, Guide to Property Assessment and Taxation in Alberta (2018) (« Guide »), p. 2). L’évaluation foncière est le processus qui consiste à estimer la valeur financière d’un bien‑fonds aux fins d’imposition (Guide, p. 3). Dans la MGA, le mot [traduction] « évaluation » s’entend de « la valeur d’un bien‑fonds déterminée conformément à la présente partie [(c.‑à‑d. la partie 9, “Évaluation d’un bien‑fonds”)] et aux règlements » (al. 284(1)(c)). L’imposition foncière est le processus qui consiste à appliquer un taux d’imposition à la valeur estimée du bien‑fonds afin de déterminer l’impôt payable (Guide, p. 3).
[23] La MGA fait état de deux normes d’évaluation : la valeur marchande et la valeur réglementée (Guide, p. 3). La plupart des biens‑fonds sont évalués en fonction de la valeur marchande. La valeur marchande d’un bien‑fonds est [traduction] « le prix auquel il serait raisonnablement permis de s’attendre qu’un bien‑fonds serait vendu par un vendeur consentant à un acheteur consentant après une période de mise en vente appropriée sur un marché libre » (p. 5; voir aussi la MGA, al. 1(1)(n)).
[24] Il existe trois méthodes servant à déterminer la valeur marchande d’un bien‑fonds : la méthode des ventes comparables, la méthode du coût et la méthode du revenu (Guide, p. 6). Suivant la méthode des ventes comparables, la valeur marchande d’un bien‑fonds est déterminée en examinant le prix de vente de biens‑fonds semblables. Suivant la méthode du coût, la valeur marchande d’un bien‑fonds est déterminée par l’agrégation de la valeur marchande du terrain et du coût net des améliorations. Cette méthode repose sur l’hypothèse qu’un acheteur ne paierait pas plus cher pour acheter un bien‑fonds que ce qu’il lui en coûterait pour acheter le terrain et reconstruire les mêmes améliorations. Suivant la méthode du revenu, la valeur marchande d’un bien‑fonds est déterminée en fonction de son potentiel de production de revenus. Cette méthode est utilisée pour estimer la valeur de biens‑fonds locatifs (p. 7).
[25] La valeur réglementée est une norme d’évaluation foncière fondée sur des procédures et des taux prescrits par le ministère des Affaires municipales (Guide, p. 29). Elle est utilisée pour évaluer des biens‑fonds qui sont difficiles à évaluer au moyen de la norme de la valeur marchande parce que ceux‑ci sont rarement mis en vente sur le marché, parce qu’ils traversent les municipalités et les limites de celles‑ci ou parce qu’ils sont d’une nature particulière (p. 7).
[26] Aux termes de l’al. 284(1)(k) de la MGA, les installations alimentées au charbon de TransAlta sont considérées comme des [traduction] « biens‑fonds linéaires », lesquels constituent un sous‑ensemble de « biens‑fonds industriels désignés » au sens de l’al. 284(1)(f.01). Les articles 322 et 322.1 de la MGA autorisent le ministre à établir des lignes directrices pour estimer la valeur de bien‑fonds linéaires. Ainsi, les installations de TransAlta sont évaluées en utilisant la valeur réglementée. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, [traduction] « la valeur marchande n’est pas censée être la norme pour déterminer la valeur des biens‑fonds linéaires de [TransAlta]. [. . .] [I]l n’est fait mention de la “valeur marchande” dans aucune des dispositions de la MGA relatives à l’évaluation des biens‑fonds linéaires » (par. 59).
[27] Les évaluations de biens‑fonds linéaires doivent être établies par l’évaluateur provincial (MGA, par. 292(1)). Chaque évaluation doit être basée sur la norme d’évaluation ainsi que sur les spécifications et caractéristiques du bien‑fonds linéaire précisées dans les règlements (par. 292(2)). Dans la préparation de l’évaluation d’un bien‑fonds linéaire, l’évaluateur doit suivre les procédures énoncées dans les lignes directrices du ministre (Matters Relating to Assessment and Taxation Regulation, Alta. Reg. 220/2004, par. 8(2)).
[28] Le paragraphe 322(1) de la MGA délègue au ministre le pouvoir de prendre des règlements. Plus précisément, il autorise le ministre à prendre des règlements [traduction] « établissant des normes d’évaluation pour les biens‑fonds », « concernant l’évaluation de biens‑fonds linéaires », « concernant les biens‑fonds industriels désignés, y compris, sans restriction, des règlements relatifs aux spécifications et caractéristiques des biens‑fonds industriels désignés », « concernant les processus et procédures de préparation des évaluations » et « concernant toute autre question jugée nécessaire pour réaliser l’objet de [la MGA] ». Aux termes du par. 322(2), le ministre peut prendre un arrêté établissant des lignes directrices relatives à toute question à l’égard de laquelle il peut prendre un règlement en vertu du par. 322(1). Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont réputées être des lignes directrices établies en application du par. 322(2) (par. 322.1(1) et (3)).
[29] Comme l’a reconnu la Cour d’appel, [traduction] « [l]e langage employé au par. 322(1) pour décrire le pouvoir de réglementation du ministre en matière d’évaluation foncière est incontestablement large » (par. 57). Il s’agit de déterminer si les art. 1.003 et 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire relèvent raisonnablement du champ d’application du pouvoir du ministre.
C. Les lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire
[30] Le 19 décembre 2017, le ministre a pris l’arrêté ministériel no MAG:021/17 établissant les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire. Celles‑ci ont pris effet pour les années d’imposition 2018 et suivantes.
[31] Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire énoncent les procédures de calcul de toutes les évaluations de biens‑fonds linéaires. Elles obligent les évaluateurs à multiplier les valeurs déterminées suivant quatre annexes. La contestation de TransAlta s’attache aux art. 1.003 et 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.
[32] L’article 1.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire décrit les annexes utilisées dans l’évaluation des biens‑fonds linéaires. Les annexes C et D sont les annexes pertinentes dans le cadre du présent pourvoi.
[33] L’annexe C établit le processus de détermination de la dépréciation ou énumère les facteurs de dépréciation applicables. Aux termes de l’al. 1.003(c), [traduction] « [l]es facteurs de dépréciation prescrits à l’annexe C sont fixes et certains, et doivent être appliqués tels qu’énumérés dans la table de dépréciation applicable de l’annexe C, sans ajustement ou modification » (caractères gras omis).
[34] L’annexe D énonce le processus de détermination de la dépréciation additionnelle ou énumère les facteurs de dépréciation additionnels applicables. Suivant l’ann. D, [traduction] « l’évaluateur peut autoriser une dépréciation additionnelle (annexe D) au cas par cas et uniquement si l’exploitant lui fournit une preuve acceptable » (al. 2.004(e)). Toutefois, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire précisent ce qui suit : « Il n’y aura pas de reconnaissance ou d’ajustement dans l’annexe C ou l’annexe D par suite de la cessation ou de la réduction des émissions à partir du charbon le ou avant le 31 décembre 2030 découlant soit d’un accord d’élimination du charbon, soit d’une loi provinciale ou fédérale » (al. 1.003(d)).
[35] L’article 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traite de la dépréciation visée aux ann. C et D telle qu’elle s’applique à TransAlta. Il énonce lui aussi la précision suivante : [traduction] « Il n’y aura pas de reconnaissance ou d’ajustement dans l’annexe C ou l’annexe D par suite de la cessation ou de la réduction des émissions à partir du charbon le ou avant le 31 décembre 2030 découlant soit d’un accord d’élimination du charbon, soit d’une loi provinciale ou fédérale »
[36] En pratique, ces dispositions font en sorte qu’un évaluateur ne peut pas accorder à TransAlta une dépréciation additionnelle pour ses installations alimentées au charbon au motif que ces installations font l’objet de l’Accord d’élimination du charbon (voir les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, al. 1.003(d) et 2.004(e)).
VII. Analyse
[37] TransAlta conteste la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire pour deux raisons. Premièrement, elle invoque le principe de common law selon lequel un délégataire statutaire n’a pas le pouvoir d’établir de distinctions discriminatoires, sauf si la loi lui confère expressément ou par implication nécessaire un tel pouvoir. TransAlta plaide que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à son encontre en la privant de la capacité de demander une dépréciation additionnelle pour ses installations alimentées au charbon, et que le ministre n’était pas législativement habilité à établir des lignes directrices qui discriminent de cette manière. Deuxièmement, elle affirme que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont incompatibles avec les objectifs prépondérants du régime d’évaluation et d’imposition de la MGA.
[38] Dans les pages qui suivent, je vais déterminer si les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire relèvent raisonnablement du champ d’application du pouvoir que la MGA confère au ministre, eu égard aux contraintes pertinentes : (1) la règle de common law interdisant la discrimination administrative; (2) la MGA, qui est le régime statutaire applicable; et (3) les principes d’interprétation statutaire. Je commence par définir la règle de common law interdisant la discrimination administrative. Puis j’examine si les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire violent cette règle.
[39] Comme je l’explique, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne violent pas la règle de common law interdisant la discrimination administrative. Elles ne la violent pas parce que la MGA autorise le ministre, par implication nécessaire, à discriminer à l’encontre de TransAlta et des autres parties à des accords d’élimination du charbon en les privant de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle. Il s’ensuit que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont compatibles avec les objectifs de la MGA. Comme cela ressortira clairement, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire servent à faire en sorte que les évaluations foncières soient « à jour, exactes, justes et équitables » conformément aux objectifs de la MGA.
A. La règle de common law interdisant la discrimination administrative
[40] La discrimination administrative [traduction] « survient lorsqu’un texte législatif [subordonné] établit expressément des distinctions entre les personnes à qui s’applique sa loi habilitante » (Keyes, p. 370‑371, citant L.‑P. Pigeon, Drafting and Interpreting Legislation (1988), p. 42; Fédération des producteurs de fruits et légumes du Québec c. Conserverie canadienne Ltée, [1990] R.J.Q. 2866 (C.S.), p. 2871; Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600, par. 13).
[41] La discrimination administrative diffère de la discrimination dans le contexte de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la législation en matière de droits de la personne : [traduction] « Lorsqu’on parle de discrimination administrative, il n’est pas question de discrimination fondée sur des caractéristiques personnelles, comme le sexe, la race ou la religion, qui est interdite par de nombreuses lois sur les droits de la personne » (P. Salembier, Regulatory Law and Practice (3e éd. 2021), p. 303). La discrimination administrative concerne plutôt [traduction] « l’établissement de distinctions entre des personnes ou des catégories de personnes qui sont discriminatoires “suivant l’acception non pas péjorative mais la plus neutre du terme ”, en ce que, tout simplement, elles “ ne s’appliquent pas de la même façon à tous ceux qui s’adonnent à l’activité faisant l’objet du texte en question ” » (p. 303, citant Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc., 1985 CanLII 97 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 368, p. 406, et Sunshine Village Corp., par. 13, citant D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), par. 15:3212).
[42] Selon la règle de common law interdisant la discrimination administrative, un texte législatif subordonné qui discrimine au sens du droit administratif est invalide à moins que la discrimination ne soit autorisée par la loi habilitante (Arcade Amusements, p. 404; Forget c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 51 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 90, p. 105‑106; Katz Group, par. 47; Keyes, p. 371; Salembier, p. 307-308). La loi habilitante peut autoriser la discrimination administrative soit expressément, soit par implication nécessaire (Arcade Amusements, p. 413; Forget, p. 105‑106; Katz Group, par. 47).
[43] Comme l’a expliqué la juge McLachlin (plus tard juge en chef), dissidente, mais non sur ce point, dans le cadre du contrôle de la validité d’un règlement municipal dans l’arrêt Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), 1994 CanLII 115 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 259, la règle interdisant la discrimination vise à faire en sorte que les délégataires statutaires agissent à l’intérieur du champ d’application de leurs pouvoirs lorsqu’ils établissent des distinctions entre les personnes auxquelles s’applique la loi habilitante :
La règle relative à la discrimination par une municipalité concerne essentiellement les pouvoirs qu’elle possède. Les municipalités sont tenues de fonctionner dans les limites des pouvoirs que leur attribue leur loi constitutive et habilitante. La discrimination n’est pas interdite en soi. Ce qui est interdit, c’est la discrimination qui excède les pouvoirs de la municipalité définis par sa loi habilitante. La discrimination dans ce contexte municipal est donc un concept différent de la notion de discrimination dans le contexte des droits de la personne; pour les fins de la règle applicable en matière municipale, la discrimination ne porte que sur l’étendue d’une délégation de pouvoir.
[44] Gardant cette règle à l’esprit, je passe à la question de savoir si les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent TransAlta de façon discriminatoire.
B. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à l’encontre des parties à des accords d’élimination du charbon
[45] La juge en cabinet a conclu que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne discriminent pas à l’encontre de TransAlta, étant donné qu’elles ne l’ont pas privée d’une forme de dépréciation à laquelle elle avait droit auparavant, ou qui s’appliquait à d’autres types de biens‑fonds linéaires (par. 72). La Cour d’appel a elle aussi jugé que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne discriminaient pas à l’encontre de TransAlta. Elle a conclu ainsi au motif que les dispositions contestées s’appliquent à toutes les installations alimentées au charbon faisant l’objet d’accords d’élimination du charbon, et non pas seulement à celles dont TransAlta est propriétaire (par. 86).
[46] Je suis en désaccord avec les juridictions inférieures. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à l’encontre de TransAlta et des autres parties à des accords d’élimination du charbon en les désignant spécifiquement comme inadmissibles à réclamer une dépréciation additionnelle en raison des accords d’élimination du charbon et à faire examiner cette réclamation par l’évaluateur (voir les al. 1.003(d) et 2.004(e)). Les propriétaires de biens‑fonds linéaires qui ne sont pas parties à des accords d’élimination du charbon sont admissibles, sans exclusion, à réclamer une dépréciation additionnelle et à faire examiner ces réclamations par l’évaluateur.
[47] La juge en cabinet a eu raison de dire que TransAlta n’avait pas droit à une dépréciation additionnelle. Toutefois, n’eût été les dispositions contestées des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, TransAlta aurait été admissible à réclamer une dépréciation additionnelle et à faire examiner cette réclamation par l’évaluateur. Aux termes de l’al. 2.004(e) des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, [traduction] « [s]ous réserve des alinéas 1.003(d) et 2.003(b), l’évaluateur peut autoriser une dépréciation additionnelle (annexe D) au cas par cas et uniquement si l’exploitant fournit à l’évaluateur une preuve acceptable. » TransAlta n’est pas admise à soumettre à l’examen de l’évaluateur une réclamation de dépréciation additionnelle basée sur la réduction de la durée de vie de ses installations découlant de l’Accord d’élimination du charbon, car aux termes de l’al. 1.003(d) : [traduction] « Il n’y aura pas de reconnaissance ou d’ajustement dans l’annexe C ou l’annexe D par suite de la cessation ou de la réduction des émissions à partir du charbon [. . .] découlant soit d’un accord d’élimination du charbon . . . »
[48] Le fait que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon ne signifie pas qu’elles ne sont pas discriminatoires. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon discriminatoire, par comparaison avec les propriétaires de biens‑fonds linéaires qui ne sont pas parties à de tels accords. Comme il a été expliqué, il y a discrimination administrative lorsqu’un texte législatif subordonné établit expressément des distinctions entre les personnes à qui s’applique sa loi habilitante (Keyes, p. 370‑371). Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire établissent expressément une distinction entre les propriétaires de biens‑fonds linéaires qui sont parties à des accords d’élimination du charbon et ceux qui ne sont pas parties à de tels accords, bien que les deux groupes de propriétaires soient assujettis à la MGA.
[49] La prochaine question consiste à déterminer si la MGA autorise le ministre à discriminer à l’encontre de TransAlta sur la base de l’Accord d’élimination du charbon, eu égard aux objectifs de la MGA et aux principes d’interprétation statutaire. Si la MGA autorise la discrimination, soit expressément soit par implication nécessaire, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire ne seront pas invalides du fait qu’elles sont discriminatoires.
C. Le ministre est autorisé par la loi à discriminer à l’encontre des parties à des accords d’élimination du charbon
[50] La question de l’habilitation statutaire de discriminer relève du contrôle suivant la norme de la décision raisonnable devant être exécuté dans le cadre d’une contestation de la validité d’un texte législatif subordonné, sauf indication différente du législateur ou si se soulève une question liée à la primauté du droit qui devrait être contrôlée suivant la norme de la décision correcte. (Vavilov, par. 53).
[51] La MGA n’autorise pas expressément le ministre à discriminer à l’encontre de TransAlta en établissant une distinction entre les parties qui ont conclu avec l’Alberta des accords d’élimination du charbon et celles qui ne l’ont pas fait. Toutefois, par implication nécessaire, la MGA autorise le ministre à établir cette distinction.
[52] Lorsqu’un tribunal contrôle la validité d’un texte législatif subordonné, le texte législatif contesté et la loi habilitante doivent être interprétés au moyen d’une méthode d’interprétation législative large et téléologique (Katz Group, par. 26). Les installations alimentées au charbon de TransAlta sont réputées être des biens‑fonds linéaires (MGA, al. 284(1)(k)). Le ministre dispose d’un vaste pouvoir lui permettant de prendre des règlements établissant des normes d’évaluation pour les biens‑fonds linéaires, concernant l’évaluation de biens‑fonds linéaires, concernant les processus et procédures de préparation des évaluations et concernant toute question jugée nécessaire pour réaliser l’objet de la MGA (al. 322(1)(c.1), (d), (e) et (i)). La loi est claire : la norme d’évaluation applicable à l’égard des biens‑fonds linéaires est celle établie par le ministre (art. 322 et 322.1; Matters Relating to Assessment and Taxation Regulation, par. 8(2)).
[53] Dans l’établissement d’une norme d’évaluation pour les biens‑fonds linéaires, le ministre est autorisé à prendre des règlements [traduction] « concernant les biens‑fonds industriels désignés, notamment des règlements concernant les spécifications et caractéristiques des biens‑fonds industriels désignés » (MGA, al. 322(1)(d.3)). Les « spécifications et caractéristiques » énoncées par le ministre doivent être prises en compte par l’évaluateur dans la détermination de la valeur du bien‑fonds aux fins d’imposition (al. 292(2)(b)). Cette attribution de pouvoir est formulée en termes très larges — « sans restriction » — et habilite explicitement le ministre à identifier les « spécifications et caractéristiques » des biens‑fonds industriels et à prendre des règlements à cet égard. Il n’est pas possible d’interpréter l’al. 322(1)(d.3) sans envisager l’établissement de distinctions entre les types de biens‑fonds sur le fondement de leurs spécifications et caractéristiques.
[54] De plus, il découle de l’objectif de la MGA qui consiste à faire en sorte « que les évaluations soient “à jour, exactes, justes et équitables” » (Capilano, par. 46, citant Edmonton (City) c. Army & Navy Department Stores Ltd., [2002] A.M.G.B.O. No. 126 (QL), par. 114), que le ministre a le pouvoir d’établir des distinctions sur la base des spécifications et caractéristiques des biens‑fonds dans les cas où les ignorer risquerait de donner lieu à des évaluations inappropriées. L’inverse est également vrai : lorsque cela est approprié, le ministre doit avoir le pouvoir de déclarer que certaines spécifications et caractéristiques ne sont pas pertinentes à l’égard d’une évaluation, comme il l’a fait en l’espèce. La loi, par implication nécessaire, confère au ministre le pouvoir de discriminer de la manière qu’il l’a fait.
D. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont compatibles avec l’économie et les objectifs de la MGA
[55] Comme j’ai conclu que le ministre avait le pouvoir d’établir des distinctions entre différents types de biens‑fonds, la prochaine question consiste à se demander s’il a exercé ce pouvoir d’une manière compatible avec l’économie et les objectifs de la MGA. La MGA comporte deux objectifs : (1) [traduction] « établir et maintenir un système d’évaluation foncière qui répartit les impôts de manière juste et équitable et favorise la transparence, la prévisibilité et la stabilité pour les municipalités et les contribuables » (Guide, p. 2); et (2) « faire en sorte que les évaluations soient “à jour, exactes, justes et équitables” » (Capilano, par. 46, citant Army & Navy, par. 114).
[56] TransAlta prétend que la discrimination à son égard a entraîné une évaluation de ses installations alimentées au charbon qui était à la fois inexacte et injuste (m.a., par. 49, 68, 77 et 85; transcription, p. 57, 67, 70‑71 et 159). Elle soutient que l’Accord d’élimination du charbon ne tient pas compte de la dépréciation, facteur qui est essentiel à une évaluation exacte de son bien‑fonds. À son avis, les paiements de transition ne l’indemnisent que de la perte de profits (transcription, p. 57). TransAlta prétend également que le ministre n’avait pas le droit d’établir de distinctions entre les parties à des accords d’élimination du charbon et les propriétaires d’autres types de biens‑fonds, puisque le fait d’être partie à un tel accord est une caractéristique du propriétaire, et non du bien‑fonds lui‑même. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une « spécification » ou d’une « caractéristique » du bien‑fonds linéaire visée aux al. 292(2)(b) et 322(1)(d.3) de la MGA (m.a., par. 68).
[57] Je ne suis pas de cet avis. Comme je vais l’expliquer, les art. 1.003 et 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, qui privent TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle sur la base de la réduction de la durée de vie de ses installations découlant de l’Accord d’élimination du charbon, sont compatibles avec l’objectif consistant à assurer des évaluations « à jour, exactes, justes et équitables » et s’accordent avec le libellé des al. 292(2)(b) et 322(1)(d.3) de la MGA.
[58] La formule employée pour calculer les paiements de transition dans l’Accord d’élimination du charbon tient compte d’au moins une partie de la perte de valeur découlant de la durée de vie réduite des installations alimentées au charbon de TransAlta. Elle le fait en répartissant proportionnellement la valeur comptable nette des installations en fonction du pourcentage de la durée de vie restante après 2030 (Accord d’élimination du charbon, ann. A). Même si l’on qualifie les paiements d’indemnisation pour la perte de profits, parce qu’ils promettent des revenus additionnels qui suivent les biens, ils ont pour effet de compenser la diminution de valeur causée par la durée de vie réduite des installations. Pour être à jour et exacte, une évaluation des installations alimentées au charbon de TransAlta doit tenir compte du fait que les paiements de transition atténuent au moins une partie de la dépréciation qui résulterait autrement de la mise hors service hâtive des installations. Par conséquent, à la lumière de l’objectif de la MGA qui consiste à faire en sorte que les évaluations soient à jour et exactes, il était raisonnable pour le ministre d’interpréter le pouvoir qui lui est accordé par la loi comme l’autorisant à priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle en vertu des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.
[59] Le fait de priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle est également compatible avec l’objectif de la MGA consistant à faire en sorte que les évaluations soient justes et équitables. Étant donné que les paiements de transition tiennent déjà compte d’au moins une partie de la perte de valeur résultant de la durée de vie réduite des installations alimentées au charbon de TransAlta, il y aurait un véritable risque de « cumul d’indemisations » si TransAlta était en mesure de profiter d’une dépréciation additionnelle pour cette même perte de valeur en vertu des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire. Cela ne serait ni juste ni équitable.
[60] L’affirmation de TransAlta suivant laquelle l’existence de l’Accord d’élimination du charbon est une caractéristique du propriétaire — et non du bien‑fonds lui‑même — est inexacte. L’Accord d’élimination du charbon suit les installations. Un transfert de titre ou d’intérêt propriétal dans les installations nécessite le consentement de l’Alberta et requiert que le nouveau propriétaire accepte d’être lié par les conditions de l’Accord d’élimination du charbon :
[traduction] Transfert de la propriété des Centrales. La Compagnie ou les Propriétaires des Centrales peuvent transférer le titre ou un intérêt propriétal dans toutes les Centrales avec le consentement de la Province, qui ne peut être refusé de manière déraisonnable, pourvu que le nouveau propriétaire accepte d’être lié par les conditions du présent Accord, auquel cas la Compagnie et les Propriétaires des centrales sont libérés des obligations qui leur incombent en vertu des présentes. [al. 11(n)]
[61] Bien que TransAlta, en tant que propriétaire, ait conclu l’Accord d’élimination du charbon, le fait d’être visé par cet accord n’est pas simplement une « caractéristique » de TransAlta. Mais, parce que tout propriétaire subséquent des installations alimentées au charbon de TransAlta doit accepter d’être lié par les conditions de l’Accord d’élimination du charbon, le fait d’être visé par celui-ci peut également être considéré à juste titre comme une « spécification » ou une « caractéristique » de ces installations. Aux termes de l’al. 322(1)(d.3) de la MGA, le ministre peut prendre des règlements « concernant les biens‑fonds industriels désignés, y compris, sans restriction, des règlements concernant les spécifications et les caractéristiques des biens‑fonds industriels désignés ». Étant donné que les installations alimentées au charbon de TransAlta sont réputées être des « biens‑fonds industriels désignés » visés au sous‑al. 284(1)(f.01)(ii) de la MGA, le ministre était autorisé à prendre des règlements désignant un accord d’élimination du charbon comme une « spécification » ou une « caractéristique » de ces installations pour faire en sorte que les évaluations de celles-ci soient « à jour, exactes, justes et équitables ».
VIII. Conclusion
[62] TransAlta ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire sont ultra vires du ministre (Vavilov, par. 100; Katz Group, par. 25; Conseil canadien pour les réfugiés, par. 54).
[63] La MGA autorise le ministre, par implication nécessaire, à discriminer à l’encontre de TransAlta. Le ministre dispose d’un pouvoir incontestablement large lui permettant d’établir des normes d’évaluation pour les biens‑fonds linéaires en vertu du par. 322(1) de la MGA. Ce pouvoir comprend celui de déterminer les « spécifications et caractéristiques » du bien‑fonds que doit refléter une évaluation pour être « à jour, exacte, juste et équitable » (Capilano, par. 46). Pour être en mesure de prendre adéquatement des règlements concernant les « spécifications et caractéristiques », le ministre doit par conséquent être habilité à envisager l’établissement de distinctions entre les types de biens‑fonds.
[64] En conséquence, les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire représentent une interprétation raisonnable de la loi habilitante eu égard aux contraintes pertinentes, et elles sont intra vires du ministre. Elles sont « conforme[s] à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle‑ci » (LTPGES, par. 87). De plus, elles ne contreviennent pas à la règle de common law interdisant la discrimination administrative.
[65] Le pourvoi est rejeté avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes : Lawson Lundell, Calgary; Michael Sobkin, Ottawa; TransAlta Corporation, Calgary.
Procureurs des intimés : Brownlee, Edmonton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Ministère de la Justice du Québec, Québec.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Ministry of Attorney General of British Columbia, Legal Services Branch, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Ministère de la Justice et du Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureurs de l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.
Procureurs des intervenants HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et Health Justice Program : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.
Procureurs des intervenants Producteurs de poulet du Canada, Producteurs d’œufs du Canada, Éleveurs de dindon du Canada et Producteurs d’œufs d’incubation du Canada : Conway Baxter Wilson, Ottawa.
Procureur de l’intervenante Workers’ Compensation Board of British Columbia : Workers’ Compensation Board of British Columbia, Richmond.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Refugee Law Office, Toronto; Landings, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration : Hasa Avocats Inc., Montréal.
Procureurs de l’intervenant Advocates for the Rule of Law : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie : Shores Jardine, Edmonton.
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