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28/06/2024 | CANADA | N°2024CSC24

Canada | Canada, Cour suprême, 28 juin 2024, Iris Technologies Inc. c. Canada, 2024 CSC 24


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Iris Technologies Inc. c. Canada (Procureur général), 2024 CSC 24

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2023
Jugement rendu : 28 juin 2024
Dossier : 40346


 
Entre :
 
Iris Technologies Inc.
Appelante
 
et
 
Procureur général du Canada
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 59)

Le juge Kasirer (avec l’accor

d des juges Martin, Jamal et O’Bonsawin)


 

 


Motifs concordants :
(par. 60 à 114)

La juge Côté (avec l’accord des juges Karakatsanis et Rowe)







 
 
Note : Ce document fera ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Iris Technologies Inc. c. Canada (Procureur général), 2024 CSC 24

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2023
Jugement rendu : 28 juin 2024
Dossier : 40346

 
Entre :
 
Iris Technologies Inc.
Appelante
 
et
 
Procureur général du Canada
Intimé
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 59)

Le juge Kasirer (avec l’accord des juges Martin, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

Motifs concordants :
(par. 60 à 114)

La juge Côté (avec l’accord des juges Karakatsanis et Rowe)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Iris Technologies Inc.                                                                                    Appelante
c.
Procureur général du Canada                                                                           Intimé
Répertorié : Iris Technologies Inc. c. Canada
2024 CSC 24
No du greffe : 40346.
2023 : 9 novembre; 2024 : 28 juin.
Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel fédérale
                    Tribunaux — Compétence — Droit fiscal — Taxe d’accise — Déclarations de TPS — Contribuable demandant le contrôle judiciaire en Cour fédérale et sollicitant des déclarations relatives aux cotisations rejetant les crédits de taxe sur les intrants et infligeant des pénalités — Demande radiée au motif que la contestation de la validité des cotisations relevait de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt — La demande de contrôle judiciaire a‑t‑elle été dûment radiée? — Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15, art. 302 — Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, art. 18.5.
                    Iris Technologies Inc. a produit des déclarations de TPS dans lesquelles elle réclamait des remboursements de taxe sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise (« LTA »). La Ministre a entrepris une vérification d’une période de déclaration, a établi une cotisation dans laquelle elle refusait les crédits de taxe sur les intrants et a infligé des pénalités. Iris a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et a sollicité des jugements déclaratoires selon lesquels la Ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale et n’a pas donné l’occasion de présenter des observations en réponse aux rajustements proposés, ce qui allait à l’encontre de la politique publiée à cet égard et d’une garantie particulière, selon lesquels les cotisations ont été établies sans fondement probatoire et de manière contraire aux conclusions de fait tirées par la Ministre et selon lesquels les cotisations ont été établies dans l’objectif illégitime de chercher à priver la Cour fédérale de sa compétence dans une demande connexe. Le procureur général a présenté une requête en vue de la radiation de la demande de contrôle judiciaire. Le protonotaire a rejeté la requête, concluant que la demande de contrôle judiciaire n’était pas dépourvue de chances d’être accueillie. La Cour fédérale a rejeté l’appel du procureur général, mais la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel subséquent interjeté par celui‑ci et a radié la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris parce qu’elle constituait, essentiellement, une contestation indirecte de la validité des cotisations, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    Les juges Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Malgré l’établissement d’une cotisation fiscale, la Cour fédérale a la compétence exclusive pour effectuer le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires que le Parlement délègue au ministre, y compris celles qui touchent directement à l’obligation fiscale. Toutefois, l’établissement par le ministre d’une cotisation de taxe nette conformément à la LTA ne relève pas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire; il s’agit plutôt d’un exercice non discrétionnaire dont le résultat, la cotisation, est dicté par la loi. La compétence à l’égard du bien‑fondé de la cotisation relève de la Cour de l’impôt conformément à l’art. 302 de la LTA. En l’espèce, deux des allégations formulées par Iris dans sa demande de contrôle judiciaire — celles faisant état d’un manquement à l’équité procédurale et d’une absence de fondement probatoire — relèvent à bon droit de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt puisqu’il convient de les considérer comme des contestations du bien‑fondé de la cotisation. La troisième allégation formulée par Iris, soit que la Ministre a agi dans un objectif illégitime, pourrait, dans certaines circonstances, constituer le fondement d’une demande de contrôle judiciaire, mais devrait être radiée, car, dans sa demande, Iris n’a pas allégué de faits qui, s’ils sont tenus pour avérés, appuieraient cette allégation. De plus, les jugements déclaratoires sollicités par Iris ne devraient pas être prononcés car ils n’auraient aucun effet concret.
                    Un inscrit sous le régime de la LTA est tenu de produire, pour chaque période de déclaration, une déclaration indiquant le montant de taxe nette devant être versé. Si le montant des crédits de taxe sur les intrants est supérieur au montant de TPS percevable, l’inscrit peut avoir droit à un remboursement de taxe nette. Le contribuable qui est insatisfait d’une cotisation après avoir présenté un avis d’opposition peut porter la cotisation en appel devant la Cour de l’impôt conformément à l’art. 302 de la LTA. Lorsque le Parlement indique expressément qu’un appel peut être interjeté devant la Cour de l’impôt, comme l’indication expresse qui se trouve à l’art. 302 de la LTA, l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales empêche la présentation d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Toutefois, la règle prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales qui écarte la compétence de la Cour fédérale au profit de la Cour de l’impôt ne s’applique pas lorsque le véritable but de la demande est de solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée en Cour fédérale si la décision du ministre ne fait pas partie de la cotisation et ne peut être contestée devant la Cour de l’impôt conformément à sa compétence exclusive à l’égard des questions liées au bien‑fondé de la cotisation.
                    Dans l’arrêt Okalta Oils Ltd. c. M.N.R., 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824, la Cour a conclu que l’établissement d’une cotisation n’est pas un acte discrétionnaire. L’arrêt Okalta Oils et d’autres affaires subséquentes qui se fondent sur une définition semblable du mot « cotisation » permettent d’affirmer que lorsque le ministre établit une cotisation sous le régime de la LTA, il n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire. Il exerce plutôt une obligation impérative imposée par la loi. L’exécution d’une responsabilité non discrétionnaire prévue par la loi ne saurait constituer un motif illégitime pour l’établissement d’une cotisation. Lorsque le véritable but de la demande n’est pas de solliciter une mesure de réparation à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de contester le bien‑fondé d’une cotisation, le Parlement a écarté la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire.
                    L’allégation d’Iris selon laquelle la Ministre a manqué à l’équité procédurale lors du processus de vérification et de cotisation repose sur le moment où cette dernière a établi la cotisation et sur l’omission qui en découle de donner à la contribuable l’occasion de produire des observations en réponse à tout rajustement qu’elle a proposé. Dans le cadre d’un appel devant la Cour de l’impôt, Iris aurait la possibilité de produire des observations en réponse. Un appel devant la Cour de l’impôt est donc un recours approprié et curatif. L’allégation d’Iris selon laquelle les cotisations ont été établies sans fondement probatoire relève précisément du mandat législatif de la Cour canadienne de l’impôt puisque cette cour peut remédier à tout vice de preuve dans la cotisation établie par la Ministre au moyen d’un examen de novo. Bien que la Cour fédérale ait compétence pour prononcer une déclaration selon laquelle les cotisations ont été établies dans un objectif illégitime, cette demande devrait être radiée parce que dans sa demande, Iris n’a pas allégué de faits ou avancé de motif particulier ou de conduite précise de la Ministre qui, s’ils sont véridiques, pourraient étayer son allégation selon laquelle cette dernière a agi dans un objectif illégitime.
                    L’établissement par la Ministre d’une cotisation concernant la taxe nette d’Iris n’était pas un exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Elle a rendu une décision non discrétionnaire dont le résultat, la cotisation, ne dépendait pas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et était dicté par les règles non discrétionnaires de la LTA. De plus, les jugements déclaratoires sollicités par Iris n’auront pas d’effet concret. Ils ne sont liés à aucun droit revendiqué. Il est bien établi en droit qu’un jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il règle un litige actuel entre les parties. Une demande sollicitant le prononcé de jugements déclaratoires qui n’ont aucune utilité pratique ne peut pas être accueillie.
                    Les juges Karakatsanis, Côté et Rowe : Bien que l’établissement des cotisations en soi ne prive pas la Cour fédérale de sa juridiction pour examiner la conduite du ministre, en l’espèce, Iris aurait dû contester les cotisations en interjetant appel à la Cour de l’impôt. De par sa nature essentielle, la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris est une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations. De plus, les déclarations sollicitées n’auraient aucun effet concret et n’auraient pas pu être prononcées. La Cour fédérale doit radier la demande de contrôle judiciaire si elle est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie; lue dans son ensemble, la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris relève des cas les plus manifestes où une requête en radiation sera accueillie.
                    Le Parlement a créé la Cour de l’impôt, un tribunal spécialisé pour les appels en matière fiscale, excluant expressément la juridiction de la Cour fédérale lorsqu’une cotisation est susceptible d’appel et lorsqu’un tel recours est adéquat et efficace et permet au contribuable d’obtenir le remède souhaité. Il convient donc de se demander si, d’un point de vue global, la nature essentielle ou le caractère véritable de la demande concerne le bien‑fondé ou la validité d’une cotisation. Étant donné que le contrôle judiciaire est un recours de dernier ressort, la Cour fédérale n’a pas juridiction pour connaître d’une demande de contrôle judiciaire lorsque la question est autrement susceptible d’appel à la Cour de l’impôt. Ce sera le cas lorsque l’appel devant la Cour de l’impôt est possible, approprié et efficace et permet au contribuable d’obtenir la mesure demandée.
                    Le tribunal de contrôle doit faire une appréciation réaliste de la nature de la demande et de la mesure administrative contestée. Pour déterminer la nature essentielle ou le caractère véritable de la demande, le tribunal doit aller au‑delà des mots employés, des faits allégués et de la réparation demandée afin d’établir si l’acte de procédure est une tentative déguisée visant l’obtention devant la Cour fédérale d’un résultat qui ne pourrait pas autrement être obtenu de cette cour. Si les actes de procédure, lus dans leur ensemble et d’un point de vue pratique, révèlent l’existence de motifs raisonnables d’intenter l’action, il n’y a pas lieu de radier la demande de contrôle judiciaire. Inversement, si, de par sa nature essentielle ou son caractère véritable, l’action comporte une question par ailleurs susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, la demande de contrôle judiciaire constituerait une contestation indirecte de la validité ou du bien‑fondé de la cotisation. Une telle demande est donc vouée à l’échec au stade préliminaire parce que la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, ou parce qu’un appel à la Cour de l’impôt est un recours adéquat et efficace.
                    Il est bien établi que les demandes de contrôle judiciaire en matière fiscale doivent être radiées lorsque des vices fondamentaux sont constatés. Il y a deux vices fondamentaux qui découlent de la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris. Premièrement, selon une lecture globale, il s’agit d’une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations fiscales. Les deux premières déclarations sollicitées se rapportent à des vices dans le processus de cotisation — un manquement à l’équité procédurale et des problèmes de preuve — auxquelles un appel à la Cour de l’impôt peut remédier, et la troisième déclaration sollicitée concerne la raison ayant motivé l’établissement des cotisations et est fondée sur des allégations qui ne peuvent pas être dissociées du bien‑fondé des cotisations. Un appel à la Cour de l’impôt permettra aux parties de présenter des preuves documentaires et des observations sur la question de savoir si les cotisations étaient bien fondées en fait et en droit, notamment sur la question de savoir si elles étaient appuyées par la preuve et ont été établies par le ministre conformément à ses obligations statutaires. Une conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle Iris est tenue de payer la taxe tranchera de manière définitive les trois allégations d’Iris. Le contrôle judiciaire ne devrait pas être utilisé pour créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système de cotisations et d’appels en matière fiscale établi par le Parlement.
                    Deuxièmement, les déclarations sollicitées n’ont aucun effet concret. Les trois déclarations seraient purement théoriques et ne pouvaient pas être accordées. Il n’y a plus de litige actuel entre les parties à part celui concernant le bien‑fondé des cotisations de la Ministre. La Cour fédérale n’a pas le pouvoir de modifier ou d’annuler une cotisation, et prononcer des déclarations qui ne modifient ni n’annulent les cotisations aurait peu d’utilité, voire aucune.
Jurisprudence
Citée par le juge Kasirer
                    Arrêt appliqué : Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824; arrêts mentionnés : Dow Chemical Canada ULC c. Sa Majesté le Roi, 2024 CSC 23, conf. 2022 CAF 70; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26; Harris c. Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 C.F. 37; Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60; Fiducie St. Benedict Catholic Secondary School c. Canada, 2022 CAF 125; Canada c. 984274 Alberta Inc., 2020 CAF 125, [2020] 4 R.C.F. 384; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140; Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99.
Citée par la juge Côté
                    Arrêts appliqués: JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824; arrêts mentionnés : Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140; Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199; Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286; Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117; Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Abou‑Rached c. Canada (Procureur général), 2019 CF 750; Ford c. Canada (Agence du revenu), 2022 CF 1077; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Walker c. Canada, 2005 CAF 393; Johnson c. Canada, 2015 CAF 51; Libicz c. Canada (Procureur général), 2021 CF 693; Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559; Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266; Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860; Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388; Newave Consulting Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 1203; Chad c. Canada (Revenu national), 2023 CF 1481; Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486; Hickman Motors Ltd. c. Canada, 1997 CanLII 357 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 336; Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26; Harris c. Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 C.F. 37; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20; Johnson c. Canada, 2015 CAF 52; 9162‑4676 Québec Inc. c. Canada, 2016 CAF 112; 744185 Ontario Inc. c. Canada, 2020 CAF 1; McCain Foods Limited c. J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4; Ministre du Revenu national c. Parsons, 1984 CanLII 5322 (CAF), [1984] 2 C.F. 331; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99; S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99.
Lois et règlements cités
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 152(4.2), 169, 220(3.1), 247(2), (10).
Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2, art. 12.
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15, art. 225(1), 228(1), 229(1), 238, 275, 278, 296, 299(2), (3), 301(1.1), 302.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, art. 18.1, 18.5.
Doctrine et autres documents cités
Vincent, François, et Michel Ranger. Transfer Pricing in Canada, Toronto, Thomson Reuters, 2018.
Sandler, Daniel, et Lisa Watzinger, « Disputing Denied Downward Transfer‑Pricing Adjustments » (2019), 67 Can. Tax J. 281.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Stratas, Rennie et Laskin), 2022 CAF 101, [2022] 1 R.C.F. 401, [2022] G.S.T.C. 39, 2022 DTC 5064, [2022] F.C.J. No. 777 (Lexis), 2022 CarswellNat 5768 (WL), qui a infirmé une décision de la juge McDonald, 2021 CF 597, [2022] 1 R.C.F. 383, [2021] G.S.T.C. 42, 2021 DTC 5063, [2021] A.C.F. no 602 (Lexis), 2021 CarswellNat 3804 (WL), qui avait confirmé une décision qui rejetant une requête en radiation d’une demande en contrôle judiciaire. Pourvoi rejeté.
                    Leigh Somerville Taylor et Mireille Dahab, pour l’appelante.
                    Daniel Bourgeois, Christa Akey et Justine Malone, pour l’intimé.
                  Version française du jugement des juges Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  Le juge Kasirer —
I.               Aperçu
[1]                              Le présent pourvoi, tout comme le pourvoi Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23, instruit par notre Cour le même jour, met en lumière la compétence partagée que la loi confère à la Cour canadienne de l’impôt et à la Cour fédérale du Canada en matière fiscale.
[2]                              Il fait clairement ressortir la ligne de démarcation entre la compétence exclusive de la Cour de l’impôt pour entendre les « appels » portant sur le bien‑fondé[1] des cotisations fiscales et la compétence exclusive de la Cour fédérale pour effectuer le contrôle judiciaire de décisions en matière fiscale. Le présent pourvoi aide à expliquer pourquoi le pourvoi Dow devrait — comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale — donner lieu à une issue différente, en raison d’une interprétation raisonnée des fondements législatifs distincts qui sont l’assise de la compétence exclusive de ces deux cours créées par le Parlement.
[3]                              Au bout du compte, je partage la conclusion de ma collègue la juge Côté selon laquelle il y a lieu de rejeter le pourvoi interjeté par la contribuable devant notre Cour. Cependant, soit dit avec égards, ma conclusion repose sur des motifs différents.
[4]                              À mon avis, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale est tout à fait fondé, y compris sa déclaration selon laquelle la Cour de l’impôt n’a pas compétence lorsque le but véritable de la demande de contrôle judiciaire est de « solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » par le Ministre du Revenu national (2022 CAF 101, [2022] 1 C.F. 401, par. 13). Comme l’a fait remarquer le juge Rennie, dans le cas d’un pouvoir discrétionnaire ministériel, la règle d’origine législative qui écarte la compétence de la Cour fédérale à l’égard du contrôle judiciaire au profit de la Cour de l’impôt ne s’applique pas. Cela explique, comme l’a affirmé le juge Rennie au nom de la Cour d’appel fédérale, pourquoi cette dernière s’est prononcée en faveur de la compétence de la Cour fédérale dans l’arrêt Canada c. Dow Chemical Canada ULC, 2022 CAF 70, [2022] 5 C.T.C. 1 (« Dow CAF »), où la décision discrétionnaire ministérielle prise en vertu du par. 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »), se trouvait au cœur du débat sur la compétence.
[5]                              Autrement dit, dans la présente affaire, la Cour d’appel fédérale a confirmé sa décision dans l’affaire connexe Dow CAF, où elle a reconnu la compétence exclusive de la Cour fédérale à l’égard d’une décision discrétionnaire ministérielle prévue par la LIR. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a reconnu la compétence exclusive de la Cour de l’impôt pour instruire les appels visant les cotisations à l’égard desquelles aucun pouvoir discrétionnaire ministériel de la sorte n’était en jeu. Fait important, le juge Rennie a affirmé, au par. 13 de ses motifs, que les décisions de la Cour d’appel fédérale dans les deux pourvois connexes, dont les issues semblent opposées, sont tout à fait compatibles.
[6]                              Je suis d’accord avec le juge Rennie.
[7]                              De manière significative, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale que je propose d’adopter sur ce point explique, d’un point de vue jurisprudentiel, les contours appropriés de la ligne de démarcation entre la compétence exclusive de la Cour de l’impôt pour instruire un appel de novo sur le bien‑fondé d’une cotisation fiscale et la compétence de la Cour fédérale en matière fiscale. Malgré l’établissement d’une cotisation fiscale, la Cour fédérale a la compétence exclusive pour effectuer le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires que le Parlement délègue au Ministre, y compris celles qui touchent directement à l’obligation fiscale. L’établissement par le Ministre d’une cotisation de taxe nette conformément à la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15 (« LTA »), ne relève pas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il s’agit plutôt d’un exercice non discrétionnaire dont le résultat, la cotisation, est dicté par la loi. La compétence à l’égard du bien‑fondé de la cotisation relève de la Cour de l’impôt conformément à l’art. 302 de la LTA.
[8]                              J’estime qu’il est très important de souligner cette distinction entre les décisions discrétionnaires ministérielles et l’établissement de la cotisation fiscale en tant que telle, qui est non discrétionnaire, pour expliquer le débat sur la compétence qui occupe notre Cour dans le pourvoi Dow et le présent pourvoi. Cela permet également d’expliquer pourquoi le procureur général du Canada a défendu la compétence de la Cour fédérale dans l’affaire Dow, malgré l’établissement d’une cotisation, et pourquoi, le même jour devant notre Cour dans la présente affaire, il a contesté la compétence de la Cour fédérale en soutenant qu’elle empiétait sur la compétence exclusive de la Cour de l’impôt à l’égard du bien‑fondé de la cotisation de la contribuable.
[9]                              Lorsqu’elle est juxtaposée au pourvoi Dow, comme le juge Rennie a cherché à le faire au par. 13 de ses motifs, la présente affaire offre une autre occasion de confirmer le point de vue selon lequel l’intention du Parlement est que la compétence en matière fiscale soit partagée entre les deux cours et que la Cour de l’impôt ne soit pas un guichet unique pour la résolution des litiges fiscaux.
[10]                          En ce qui concerne les aspects précis de la requête présentée par le procureur général du Canada en vue de la radiation de la demande de contrôle judiciaire déposée par la contribuable, je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour dire que deux des allégations formulées par l’appelante, Iris Technologies Inc., dans sa demande — celles faisant état d’un manquement à l’équité procédurale et d’une absence de fondement probatoire — relèvent à bon droit de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt. Il convient de les considérer comme des contestations du bien‑fondé de la cotisation, qui se prête à un appel devant la Cour de l’impôt conformément à la compétence expresse que lui confère la LTA. Comme la Cour de l’impôt a compétence exclusive sur les contestations du bien‑fondé des cotisations, la limitation de compétence prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7 (« LCF »), s’applique à ces deux aspects de la demande. Par conséquent, la Cour fédérale n’a aucune compétence sur eux. Il en est ainsi parce que l’art. 302 de la LTA confère expressément compétence à la Cour de l’impôt à l’égard des cotisations, et non, comme l’a proposé l’appelante dans le pourvoi Dow, parce que la compétence de la Cour de l’impôt a été élargie par « implication nécessaire ».
[11]                          La troisième allégation formulée par Iris, soit que la Ministre a agi dans un objectif illégitime, pourrait, dans certaines circonstances, constituer le fondement d’une demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’allégation d’objectif illégitime devrait tout de même être radiée en l’espèce, car, dans sa demande, Iris n’a pas allégué de faits qui, s’ils sont tenus pour avérés, appuieraient cette allégation.
[12]                          Je suis également d’accord avec la Cour d’appel fédérale que les jugements déclaratoires sollicités dans la demande n’auraient aucun effet concret et que la demande devrait aussi être radiée pour ce motif.
II.            Contexte
[13]                          Il est utile d’examiner brièvement l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé par Iris et la requête en radiation présentée par le procureur général.
[14]                          Iris a produit des déclarations de taxe sur les produits et services (« TPS ») dans lesquelles elle réclamait des remboursements de taxe importants sous le régime de la LTA pour une période se terminant en 2020. La Ministre a entrepris une vérification des périodes de déclaration visées et a refusé de verser les remboursements réclamés jusqu’à l’issue de la vérification.
[15]                          La Ministre a ensuite établi des cotisations dans lesquelles elle refusait les crédits de taxe sur les intrants et infligeait des pénalités à Iris.
[16]                          Après l’établissement des cotisations, Iris a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale [traduction] « à l’égard des cotisations établies par la Ministre du Revenu national [. . .] dans lesquelles elle refusait les crédits de taxe sur les intrants réclamés et infligeait des pénalités pour négligence grave » (avis de demande, reproduit au d.a., p. 40). Iris a sollicité trois jugements déclaratoires concernant la conduite de la Ministre dans l’établissement des cotisations :
                  [traduction]
a.      la Ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale lors de sa vérification de la demanderesse, a fait défaut de donner un avis des rajustements proposés ou de donner l’occasion de présenter des observations en réponse à ces rajustements, ce qui allait à l’encontre de la politique publiée par la Ministre à cet égard et de la garantie particulière du sous‑commissaire de la Ministre;
b.      les cotisations ont été établies sans fondement probatoire et de manière contraire aux conclusions de fait tirées par la Ministre à la date de ces cotisations;
c.      les cotisations ont été établies dans l’objectif illégitime de chercher à priver la Cour fédérale de sa compétence dans la demande de redressement présentée par la demanderesse dans le dossier T‑425‑20.
                           (d.a., p. 40)
[17]                          Le procureur général a présenté une requête en vue de la radiation de la demande de contrôle judiciaire d’Iris. En somme, la requête indique que la demande d’Iris est essentiellement une contestation du bien‑fondé des cotisations établies par la Ministre sous le régime de la LTA. Conformément à l’art. 18.5 de la LCF, la Cour fédérale n’a pas compétence pour contrôler le bien‑fondé des cotisations fiscales établies sous le régime de la LTA. De plus, les jugements déclaratoires sollicités par Iris ne seraient d’aucune utilité. Ils ramènent inévitablement à une contestation des cotisations. Quoi qu’il en soit, le procureur général du Canada affirme qu’Iris sollicite des déclarations factuelles qui ne sauraient faire l’objet d’un jugement déclaratoire de la Cour fédérale.
III.         Historique judiciaire
[18]                          Le protonotaire de la Cour fédérale a rejeté la requête en radiation. Il a reconnu qu’un appel d’une cotisation relève de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt. Or, à son avis, la demande met en jeu des principes de droit administratif et [traduction] « la Cour fédérale peut exercer une compétence en matière de droit administratif dans les litiges fiscaux » (par. 26, reproduite au d.a., p. 8-9). Le protonotaire a écrit que [traduction] « [l]’objet de la demande est la conduite de la Ministre en ce qui a trait à l’établissement de la cotisation, et non la cotisation en tant que telle » (par. 30). Compte tenu de la compétence en matière de droit administratif de la Cour fédérale dans les litiges fiscaux et du fait que les jugements déclaratoires sollicités mettent tous en jeu des principes de droit administratif, le protonotaire a conclu que la demande n’était pas dépourvue de chances d’être accueillie.
[19]                          L’appel interjeté par le procureur général du Canada devant une juge de la Cour fédérale a été rejeté. La juge partageait l’opinion du protonotaire que la demande ne constituait « pas [. . .] une contestation de la cotisation, mais plutôt du respect de l’équité procédurale lors de l’établissement de la cotisation » (2021 CF 597, [2022] 1 R.C.F. 383, par. 32). À ce titre, elle relève de la compétence de la Cour fédérale. Notant que le critère applicable à une requête en radiation est strict, la juge a conclu qu’il n’est pas évident et manifeste que la demande n’a aucune chance d’être accueillie.
[20]                          Dans un jugement prononcé à l’audience, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel.
[21]                          Le juge Rennie (avec l’accord des juges Stratas et Laskin) a fait remarquer que, lorsqu’ils évaluent une requête en radiation, les tribunaux doivent aller au‑delà des termes de droit administratif utilisés dans la demande de contrôle judiciaire. Cela est particulièrement vrai pour les contestations de cotisations au titre de la LTA « où le législateur a établi une cour de justice et un système spécialisés pour les appels en matière fiscale et a expressément exclu la compétence de contrôle judiciaire de la Cour fédérale lorsqu’une cotisation fait l’objet d’un appel » (par. 3, citant l’art. 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2, et l’art. 18.5 de la LCF).
[22]                          Le juge Rennie s’est penché sur la nature véritable de la demande de contrôle judiciaire d’Iris. Il a conclu que « [l]orsque les motifs de contrôle invoqués dans la présente demande se situent dans le contexte du mandat législatif que la LTA confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour fédérale, [. . .] l’avis de demande est, dans les faits, une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la LTA, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt » (par. 6). Il a ajouté que la demande sollicite également des jugements déclaratoires qui n’ont pas d’effet concret. De ce fait, le juge Rennie a conclu au nom de la Cour d’appel fédérale que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie. L’appel du procureur général du Canada a été accueilli et la demande a été radiée.
IV.         Questions en litige
[23]                          Iris soulève deux questions à l’appui de sa position selon laquelle sa demande de contrôle judiciaire n’aurait pas dû être radiée du fait qu’elle n’avait aucune chance d’être accueillie.
[24]                          Premièrement, Iris affirme que sa demande vise essentiellement à contester la conduite de la Ministre sur le fondement de principes de droit administratif et que cette demande relève donc à juste titre de la compétence de la Cour fédérale. Selon elle, il est erroné de conclure qu’elle conteste le bien‑fondé de la cotisation alors qu’en fait, elle cherche à contester la conduite de la Ministre et non le produit de la cotisation.
[25]                          Deuxièmement, Iris affirme que la réparation sous forme de jugement déclaratoire qu’elle cherche à obtenir est appropriée dans le contexte de sa demande de contrôle judiciaire. Le jugement déclaratoire est un recours puissant et autonome prévu par la LCF et qui ne nécessite aucune ordonnance coercitive. Contrairement à ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale, l’ordonnance sollicitée est d’une utilité incontestable.
V.           Analyse
[26]                          Les parties ne contestent pas le critère qu’il convient d’appliquer à l’égard d’une requête en radiation dans ce contexte. Un tribunal saisi d’une requête en radiation tient pour avérées les allégations de fait énoncées dans la demande et une demande de contrôle judiciaire sera radiée si elle n’a aucune chance d’être accueillie (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 47). Il est entendu qu’il s’agit d’un critère exigeant et que la requête en radiation ne sera accueillie que dans les « cas les plus clairs » (Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860, par. 10 (CanLII)).
[27]                          Je propose d’examiner la demande d’Iris à la lumière de ses deux principaux arguments : A) que la Cour de l’impôt n’a pas compétence à l’égard des allégations formulées dans la demande; et B) que les jugements déclaratoires sollicités ont une utilité pratique et peuvent donc être rendus par la Cour fédérale.
A.           La Cour de l’impôt a‑t‑elle compétence exclusive sur la question compte tenu de la nature essentielle de la demande de contrôle judiciaire d’Iris?
[28]                          Je suis d’accord avec le procureur général du Canada pour dire que la demande d’Iris est essentiellement une contestation de la cotisation qui rejetait les remboursements de taxe réclamés.
[29]                          Le juge Rennie a expliqué de façon utile que les motifs de contrôle invoqués dans la demande doivent se situer dans le contexte du « mandat législatif que la LTA confère au ministre et dans les compétences respectives de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour fédérale » (par. 6).
[30]                          Quel est le mandat du Ministre en vertu de la LTA en ce qui a trait à la demande d’Iris?
[31]                          En tant qu’inscrite sous le régime de la LTA, Iris est tenue de produire, pour chaque période de déclaration, une déclaration indiquant le montant de taxe nette devant être versé au gouvernement (par. 225(1) et 228(1) et art. 238 et 278 de la LTA). Si le montant des crédits de taxe sur les intrants réclamé par l’inscrit est supérieur au montant de TPS percevable, l’inscrit peut avoir droit à un remboursement de taxe nette (par. 225(1) et 229(1) de la LTA).
[32]                          En vertu du par. 296(1), le Ministre peut établir une cotisation pour déterminer la taxe nette payable ainsi que les pénalités et intérêts. L’obligation de payer la taxe nette découle de la LTA, et non de la cotisation (par. 299(2) de la LTA). La cotisation en tant que telle ne donne pas lieu à une obligation fiscale, mais elle est réputée valide et exécutoire sous réserve d’une annulation prononcée par suite d’une opposition ou d’un appel (par. 299(3) de la LTA).
[33]                          Le contribuable qui, comme Iris, est insatisfait d’une cotisation après avoir présenté au Ministre un avis d’opposition peut porter la cotisation en appel devant la Cour de l’impôt (par. 301(1.1) et art. 302 de la LTA).
[34]                          Lorsque le Parlement indique expressément qu’un appel peut être interjeté devant la Cour de l’impôt, l’art. 18.5 de la LCF empêche la présentation d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale :
                    18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.
[35]                          En l’espèce, cette indication expresse se trouve à l’art. 302 de la LTA :
                    302 La personne, ayant présenté un avis d’opposition à une cotisation, à qui le ministre a envoyé un avis de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire concernant l’objet de l’avis d’opposition peut, dans les 90 jours suivant cet envoi :
                        a) interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt;
                    b) si un appel a déjà été interjeté, modifier cet appel en y joignant un appel concernant la nouvelle cotisation ou la cotisation supplémentaire, en la forme et selon les modalités fixées par cette cour.
[36]                          L’allégation selon laquelle la Ministre a manqué à l’équité procédurale lors du processus de vérification et de cotisation signifie‑t‑elle que la demande d’Iris est, de par sa nature véritable, une demande de contrôle judiciaire plutôt qu’une contestation du bien‑fondé de la cotisation?
[37]                          À l’instar du juge Rennie, j’estime que ce n’est pas le cas. L’allégation de manquement à l’équité procédurale formulée par Iris repose sur le moment où la Ministre a établi la cotisation et sur l’omission qui en découle de donner à la contribuable l’occasion de produire des observations en réponse à tout rajustement que la Ministre a proposé. Iris aurait la possibilité de produire des observations en réponse dans le cadre d’un appel de la cotisation interjeté devant la Cour de l’impôt en vertu de l’art. 302 de la LTA. Compte tenu des allégations formulées en l’espèce, un appel devant la Cour de l’impôt est donc un « recours approprié et curatif » (JP Morgan, par. 82; voir aussi les motifs de la C.A., par. 8‑10).
[38]                          Je suis également d’accord avec le juge Rennie pour dire que l’allégation d’Iris selon laquelle les cotisations ont été établies sans fondement probatoire « relève précisément du mandat législatif de la Cour canadienne de l’impôt » (par. 11). Là encore, un appel devant la Cour de l’impôt interjeté en vertu de l’art. 302 de la LTA constitue un recours approprié et curatif puisque la cour peut remédier à tout vice de preuve dans la cotisation établie par le Ministre dans le cadre de l’appel.
[39]                          Qu’en est‑il de l’allégation d’Iris selon laquelle les cotisations ont été établies dans un « objectif illégitime », plus précisément celui de faire échec à la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris à la Cour fédérale visant l’obtention d’une réparation fondée sur des motifs de droit administratif?
[40]                          Iris soutient que la conduite de la Ministre n’a rien à voir avec le bien‑fondé de la cotisation fiscale. S’appuyant plus particulièrement sur l’arrêt Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, par. 8 (CanLII), Iris établit une distinction entre le bien‑fondé de la cotisation, qui est du ressort de la Cour de l’impôt, et le processus par lequel cette cotisation a été établie, qui est susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Dans les circonstances, l’allégation d’objectif illégitime ne relève pas de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt sur la cotisation en tant que telle et ne peut donc pas être considérée comme n’ayant aucune chance d’être retenue.
[41]                          Il est vrai qu’une allégation d’objectif illégitime peut, dans certaines circonstances, fonder une demande de contrôle judiciaire en matière fiscale. Par exemple, comme l’a écrit le juge Stratas dans l’arrêt JP Morgan, la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour annuler une cotisation « établie sur la base d’une conduite fautive du ministre, tel un abus de pouvoir ou un manquement à l’équité, ayant donné lieu à la cotisation » (par. 83). Il appartiendrait plutôt à la Cour fédérale d’accorder une mesure de réparation à l’égard de la conduite fautive du Ministre dans l’exercice de la compétence exclusive que lui confère l’art. 18.1 de la LCF en matière de contrôle judiciaire.
[42]                          Cependant, je partage l’avis du juge Rennie que cette allégation d’objectif illégitime devrait néanmoins être radiée. Dans sa demande, Iris n’a pas allégué de faits qui, s’ils sont véridiques, pourraient étayer son allégation selon laquelle la Ministre a agi dans un objectif illégitime en l’espèce. Comme l’a indiqué le juge Rennie, « Iris n’a pas avancé de motif particulier ou de conduite précise du ministre, si ce n’est de déclarer que le ministre a établi les cotisations pour priver la Cour fédérale de sa compétence dans l’instance connexe introduite devant la Cour fédérale » (par. 14).
[43]                          Alors qu’elle décidait que l’allégation d’Iris selon laquelle la Ministre avait agi dans un objectif illégitime n’avait pas de fondement en droit, la Cour d’appel fédérale a expliqué les circonstances dans lesquelles un contribuable pourrait exercer un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Au paragraphe 13 de ses motifs, où il renvoie à l’arrêt Dow CAF de la Cour d’appel fédérale, le juge Rennie explique :
                        Le simple fait que le ministre ait établi une cotisation n’écarte pas la compétence de la Cour fédérale. L’interdiction prévue à l’article 18.5 ne s’applique pas lorsque la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour statuer sur la conduite du ministre ou lorsque le véritable but de la demande est de solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. C’est ce qui s’est produit dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, où un contrôle judiciaire a été accueilli à l’égard des pénalités imposées lors d’une nouvelle cotisation : voir aussi l’arrêt Canada c. Dow Chemical Canada ULC, 2022 CAF 70.
[44]                          Cette explication, à laquelle je souscris, permet de distinguer le présent pourvoi de celui de l’affaire Dow. Comme l’a expliqué le juge Rennie, la règle prévue à l’art. 18.5 de la LCF qui écarte la compétence de la Cour fédérale au profit de la Cour de l’impôt ne s’applique pas « lorsque le véritable but de la demande est de solliciter une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ». Comme il l’a indiqué, c’était exactement le cas dans l’affaire Dow.
[45]                          Dans l’affaire Dow, la contribuable cherchait à contester le refus, par la Ministre, d’une demande de redressement à la baisse du prix de transfert. Ce pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser un redressement à la baisse du prix de transfert est conféré au Ministre par le par. 247(10) de la LIR et équivaut à une exception à la règle non discrétionnaire applicable par défaut prévue au par. 247(2) (F. Vincent et M. Ranger, Transfer Pricing in Canada (2018), p. 320). Puisqu’il s’agit d’une exception à cette règle applicable par défaut, le Ministre peut prendre sa décision en vertu du par. 247(10) avant ou après l’établissement de la cotisation. Parfois, lorsque le Ministre décide de refuser la demande de redressement à la baisse d’un contribuable, aucune nouvelle cotisation n’est établie et la décision du Ministre est simplement communiquée au contribuable au moyen d’une lettre (voir D. Sandler et L. Watzinger, « Disputing Denied Downward Transfer‑Pricing Adjustments » (2019), 67 Can. Tax J. 281, p. 285). La Cour d’appel fédérale a conclu que la contestation de cette décision discrétionnaire devait être portée devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. La décision du Ministre ne fait pas partie de la cotisation et ne peut être contestée devant la Cour de l’impôt conformément à sa compétence exclusive à l’égard des questions liées au bien‑fondé de la cotisation prévue à l’art. 169 de la LIR.
[46]                          La démarche employée par le juge Rennie pour établir une distinction entre la compétence exclusive de la Cour de l’impôt pour entendre l’appel sur le bien‑fondé de la cotisation fiscale dans la présente affaire et l’absence de compétence de la Cour de l’impôt en appel dans l’affaire Dow est instructive. Je rappelle que le juge Rennie a fait partie de la formation de juges de la Cour d’appel fédérale dans les deux affaires.
[47]                          Dans la présente affaire, l’établissement par le Ministre d’une cotisation concernant la taxe nette conformément à la LTA n’est pas un exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le Ministre rend plutôt une décision non discrétionnaire dont le résultat, la cotisation, est dicté par la loi et ne dépend pas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (voir en particulier l’art. 296 de la LTA). Si le Ministre détermine qu’un inscrit comme Iris n’a pas déclaré ou versé le montant total de taxe nette en application de la LTA, la cotisation qu’il établit n’est pas une décision discrétionnaire. Le mot « peut » au par. 296(1) n’y change rien (voir JP Morgan, par. 109).
[48]                          Dans le cas d’Iris, le Ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour déterminer l’obligation fiscale, car le résultat est dicté par les règles non discrétionnaires de la LTA. Comme l’a expliqué le juge Brown au nom des juges majoritaires de notre Cour dans un contexte comparable, « [a]ucun pouvoir discrétionnaire n’est conféré au ministre ou à ses mandataires : “Ils sont tenus de [. . .] suivre [la Loi] d’une manière absolue comme d’ailleurs les contribuables sont obligés d’y obéir telle qu’elle est” » (Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26, par. 25, citant Harris c. Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), par. 36; voir aussi JP Morgan, par. 77‑78). Cela rappelle le précédent de notre Cour établi depuis longtemps Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824, où il a été conclu que l’établissement d’une cotisation n’est pas un acte discrétionnaire :
                        [traduction] L’intimé prétend qu’interprété comme il se doit, le mot « cotisation » que l’on trouve aux alinéas 69a et 69b [de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97] s’entend du montant d’impôt que le contribuable est appelé à payer suivant la décision du Ministre, et non de la méthode employée pour établir la cotisation fiscale; cela veut dire que, si aucun montant d’impôt n’est réclamé, il n’y a aucune cotisation au sens des alinéas, et il n’y a donc pas de droit d’appel de la décision du Ministre à la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu.
                        Dans l’arrêt Commissioners for General Purposes of Income Tax for City of London and Gibbs and Others, [[1942] A.C. 402 (H.L.),] le vicomte Simon, lord chancelier, a dit à la p. 406 en parlant du mot « cotisation » : —
                           Le mot « cotisation » a plus d’un sens dans notre code de l’impôt sur le revenu. Parfois, « cotisation » s’entend du fait de fixer la somme considérée comme représentant le profit en vue de son assujettissement à l’impôt, mais dans un autre contexte, la « cotisation » peut signifier la somme d’impôt qu’est tenu de payer le contribuable sur ses profits.
                    Le dernier sens donné au mot « cotisation » dans la Loi en vigueur avant la constitution de la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu et l’adoption de la partie VIIIA — où se trouvent les dispositions susmentionnées — en remplacement de la partie VIII, ressort clairement du libellé du paragraphe 58(1) de la dernière partie : —
                        58(1). Quiconque objecte au montant auquel il a été cotisé . . .
                    Suivant ces dispositions, il n’y avait pas de cotisation s’il n’y avait pas d’impôt réclamé. Toute autre opposition que celle liée en fin de compte à un montant réclamé n’avait pas l’objet à l’origine du droit d’interjeter appel de la décision du Ministre à la Commission. [Je souligne; p. 825‑826.]
[49]                          L’arrêt Okalta Oils — comme d’autres affaires qui se fondent sur une définition semblable du mot « cotisation » — permet d’affirmer qu’une cotisation fiscale est une décision non discrétionnaire du Ministre concernant [traduction] « la somme d’impôt qu’est tenu de payer le contribuable » (p. 825; voir aussi Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, [2008] 1 R.C.F. 839, par. 32‑33; Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60, p. 67; Fiducie St. Benedict Catholic Secondary School c. Canada, 2022 CAF 125, par. 45 (CanLII); Canada c. 984274 Alberta Inc., 2020 CAF 125, [2020] 4 R.C.F. 384, par. 59). Lorsque le Ministre établit une cotisation sous le régime de la LTA, il n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire susceptible de faire l’objet d’un abus. Pour le Ministre, l’établissement d’une cotisation est non pas une décision discrétionnaire, mais une obligation impérative imposée par la loi, plus précisément par les art. 275 et 296 de la LTA. Il s’agit du principe même que la Cour a récemment rappelé dans l’arrêt Collins Family Trust, par. 25 (voir aussi JP Morgan, par. 77‑78). Appliquant ce même raisonnement dont l’origine remonte à l’arrêt Okalta Oils, le juge Rennie a affirmé à bon droit, au par. 17 de ses motifs, que « l’exécution [d’une] responsabilité [non discrétionnaire] prévue par la loi ne saurait constituer un motif illégitime du ministre d’établir une cotisation ».
[50]                          Il est possible de recourir au contrôle judiciaire devant la Cour fédérale pour faire contrôler une décision prise par le Ministre dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi, comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dow CAF relativement à la décision discrétionnaire prise en vertu du par. 247(10) de la LIR. Cependant, les plaintes concernant l’établissement d’une cotisation — qui est en soi un acte non discrétionnaire — sont réglées au moyen d’un appel à la Cour de l’impôt, exerçant sa compétence exclusive sur le bien‑fondé de la cotisation. Comme l’a expliqué le juge Rennie au par. 13 de ses motifs dans la présente affaire, précité, lorsque le véritable but de la demande n’est pas de solliciter une mesure de réparation à l’encontre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de contester le bien‑fondé de la cotisation, le Parlement a écarté la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, comme le permet l’art. 18.5 de la LCF.
[51]                          Le juge Rennie a cité utilement l’arrêt Sifto Canada Corp. c. Canada (Revenu national), 2014 CAF 140, pour étayer son opinion qui expose clairement les mêmes principes. L’affaire Sifto portait sur une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du Ministre de renoncer à une pénalité infligée sous le régime de la LIR. S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, la juge Sharlow a expliqué que certains aspects de l’imposition d’une pénalité sont considérés à juste titre comme relevant de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt sur le bien‑fondé de la cotisation, comme la question non discrétionnaire de savoir si toutes les conditions prévues par la loi pour l’imposition d’une pénalité sont réunies. « Il est toutefois tout aussi clair », a‑t‑elle écrit, « que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour décider si le ministre a bien exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour décider s’il y [a] lieu de renoncer à une pénalité ou de l’annuler. Il s’agit d’une décision qui ne peut être contestée qu’en présentant à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire » (par. 23 (CanLII)).
[52]                          Pour revenir à la présente affaire, le juge Rennie a également fait remarquer que, en raison de son contenu, l’allégation d’objectif illégitime formulée dans la demande était privée de toute chance d’être accueillie. Il ne sert à rien d’essayer de distinguer la « raison sous‑tendant une décision d’établir une cotisation [et le] bien‑fondé de la cotisation en tant que telle. C’est un exercice inutile puisque les cotisations en tant que telles ne dépendent pas d’un pouvoir discrétionnaire » (par. 17).
[53]                          Ici encore, cela contraste nettement avec la contestation d’une décision prise par le Ministre en vertu d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi qui, comme l’a expliqué le juge Webb dans l’arrêt Dow CAF, se distingue de l’exercice du pouvoir non discrétionnaire d’établir la cotisation et qui, par conséquent, échappe à la compétence exclusive de la Cour de l’impôt. La position prise par la Cour d’appel fédérale dans les deux appels est tout à fait cohérente et suit à la lettre le précédent établi dans l’arrêt JP Morgan. Je souligne au passage que le juge Stratas, qui a rédigé les motifs de la cour dans l’arrêt JP Morgan, a fait partie de la formation de juges de la Cour d’appel fédérale qui ont entendu l’appel dans la présente affaire. Cela reflète également ce que la Cour d’appel fédérale a écrit dans un arrêt antérieur lié au présent litige : « . . . la Cour fédérale reste compétente pour examiner l’application des principes et des obligations fondés sur le droit administratif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans l’application de la LTA » (2020 CAF 117, par. 51 (CanLII)).
[54]                          En l’espèce, seul un des jugements déclaratoires sollicités relève de la compétence exclusive de la Cour fédérale et Iris n’a pas allégué dans sa demande des faits qui, s’ils sont véridiques, pourraient justifier le prononcé d’un tel jugement déclaratoire. La demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale n’a aucune chance d’être accueillie.
B.            Les jugements déclaratoires sollicités par Iris
[55]                          Enfin, je suis d’accord avec le juge Rennie pour dire que, « [e]n l’espèce, les jugements déclaratoires n’auront pas d’effet concret » (par. 18). Le procureur général du Canada a raison d’affirmer que les jugements déclaratoires sollicités par Iris ne sont liés à aucun droit revendiqué.
[56]                          Certes, comme le soutient Iris, un jugement déclaratoire peut constituer une réparation appropriée dans les litiges en matière fiscale devant la Cour fédérale. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, « s’il est vrai que la Cour fédérale ne peut annuler une cotisation [. . .], elle peut déclarer, sur le fondement des principes de droit administratif, que le ministre a agi de manière déraisonnable » (Sifto, par. 25).
[57]                          En l’espèce, toutefois, rien dans l’avis de demande d’Iris ne permet de conclure que les jugements déclaratoires sollicités pourraient avoir une quelconque utilité pratique. L’avis de demande indique simplement que [traduction] « [l]e jugement déclaratoire sollicité aura une incidence sur les mesures que prend la Ministre concernant la demanderesse, notamment à l’égard de sa demande de subvention salariale d’urgence » (d.a., p. 43).
[58]                          Il est bien établi en droit qu’un « jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique, c’est‑à‑dire s’il règle un “litige actuel” entre les parties » (Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, par. 11). Aucun litige actuel de ce genre n’a été démontré dans la présente affaire. Le juge Rennie a fait remarquer qu’en l’espèce, « [r]endre un jugement déclaratoire ne pouvant pas invalider les cotisations aurait peu ou n’aurait pas d’utilité » (par. 18). Il a ajouté qu’aucun jugement déclaratoire ne sera rendu « s’il existe un recours subsidiaire adéquat » (ibid.). Les jugements déclaratoires sans effet concret ne seront pas rendus, et une demande sollicitant le prononcé de tels jugements ne peut donc pas être accueillie. C’est un autre motif pour lequel la Cour d’appel fédérale a radié à juste titre la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris.
VI.         Dispositif
[59]                          Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, le tout avec dépens.
                  Version française des motifs des juges Karakatsanis, Côté et Rowe rendus par
                  La juge Côté —
I.               Introduction
[60]                        Le présent pourvoi a été entendu en même temps que l’affaire Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23. Dans ces deux dossiers, notre Cour est appelée à examiner attentivement les limites aux juridictions respectives de la Cour fédérale du Canada et de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard des litiges fiscaux, telles que définies par leur loi habilitante.
[61]                        Dans le présent pourvoi, une société canadienne de télécommunications, Iris Technologies Inc., a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la Ministre du Revenu national (« Ministre ») dans laquelle elle allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lors du processus de vérification et de cotisation et que les cotisations ont été établies sans preuve et dans un objectif illégitime. En réponse, la Ministre a présenté une requête en radiation de la demande au stade préliminaire, au motif qu’il était manifeste et évident qu’Iris ne pouvait pas obtenir la réparation sollicitée et que sa demande de contrôle judiciaire en l’espèce constituait une tentative de contourner le système complet d’appels en matière fiscale établi par le Parlement.
[62]                        Il est bien établi que la Cour fédérale doit radier la demande de contrôle judiciaire qui est « manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), p. 600; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 47; Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, par. 17 (CanLII); Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199, par. 33 (CanLII)). Bien que le critère à satisfaire soit exigeant, il ne fait aucun doute que si la Cour fédérale n’a pas juridiction pour connaître d’une demande, ou ne devrait pas connaître d’une demande au vu des faits de l’affaire, la demande fait alors partie de la catégorie des cas les plus manifestes où la requête en radiation sera accueillie.
[63]                        Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si la demande d’Iris, introduite sous forme de demande de contrôle judiciaire, constitue un recours recevable en droit administratif ou s’il s’agit plutôt d’une contestation indirecte du bien‑fondé[2] des cotisations établies contre elle. Dans ce dernier cas, la demande de contrôle judiciaire doit être radiée au stade préliminaire, car elle n’aurait aucune chance d’être accueillie.
[64]                        En fait, comme je l’ai conclu dans le pourvoi connexe, le Parlement a créé la Cour de l’impôt, un tribunal spécialisé pour les appels en matière fiscale, excluant expressément la juridiction de la Cour fédérale lorsqu’une cotisation est susceptible d’appel et lorsqu’un tel recours est adéquat et efficace et permet au contribuable d’obtenir le remède souhaité. Dans l’arrêt Okalta Oils Ltd. c. Minister of National Revenue, 1955 CanLII 70 (SCC), [1955] R.C.S. 824, p. 826, notre Cour a déterminé que toute opposition autre que celle [traduction] « liée en fin de compte à un montant réclamé » dans le cadre d’une cotisation n’a pas l’objet donnant naissance au droit d’appel devant la Commission d’appel de l’impôt sur le revenu — le tribunal ayant précédé la Cour de l’impôt. Cette affirmation a pour corollaire que lorsqu’une opposition est liée en fin de compte à une somme réclamée, il n’y a pas de recours devant la Cour fédérale. Il convient donc de se demander si, d’un point de vue global, la nature essentielle ou le caractère véritable de la demande concerne le bien‑fondé ou la validité de la cotisation. Les tribunaux doivent veiller à ne pas contrecarrer l’intention du Parlement voulant que les cotisations soient traitées exclusivement par la Cour de l’impôt conformément à sa juridiction d’appel.
[65]                        Mon collègue est d’avis que la Cour d’appel fédérale, en statuant comme elle l’a fait en l’espèce, a cherché à confirmer sa décision précédente dans l’affaire Dow Chemical et à concilier des conclusions en apparence divergentes. Avec égards, je ne puis souscrire à cette interprétation. Dans la présente affaire, la Cour d’appel fédérale a simplement mentionné l’arrêt Dow Chemical au passage comme un exemple d’une affaire qui appuyait sa position, sans l’examiner en détail. Pour déterminer si la Cour de l’impôt ou la Cour fédérale a juridiction à l’égard d’une affaire, l’analyse doit toujours se faire en partant du principe que le Parlement a voulu donner préséance à la Cour de l’impôt lorsqu’un appel est possible. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire en Cour fédérale est un recours de dernier ressort. Le contraste entre le raisonnement de mon collègue dans le présent pourvoi et son raisonnement dans l’arrêt Dow Chemical est plutôt surprenant. Dans le présent pourvoi, mon collègue est d’avis que la contestation d’un contribuable concernant la conduite du Ministre lors du processus de vérification et de cotisation peut faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt, mais dans l’arrêt Dow Chemical, il rejette cette même possibilité.
[66]                        Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale que la demande de l’appelante, de par sa nature essentielle ou son caractère véritable, est une contestation du bien‑fondé des cotisations. Comme Iris dispose d’un recours approprié et efficace auprès de la Cour de l’impôt, sa demande doit être radiée à ce stade préliminaire.
II.            Contexte
[67]                        Les inscrits sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15 (« LTA »), sont chargés de la perception de la taxe sur les produits et services et de la production, pour chaque période de déclaration, d’un rapport indiquant la taxe nette à verser (voir Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286, par. 10). Dans certains cas, le montant des crédits de taxe sur les intrants peut être supérieur à la taxe devenue percevable sur les fournitures taxables, de sorte que l’inscrit peut avoir droit à un remboursement de taxe nette (LTA, par. 225(1) et 229(1)).
[68]                        Le 28 octobre 2019, la Ministre a effectué une vérification d’Iris et a établi sa cotisation au titre de la LTA pour ses périodes de déclaration de 2017 et de 2018. La Ministre a d’abord retenu les remboursements de taxe d’Iris en attendant la fin de la vérification, mais a par la suite accepté de les verser en raison de l’incidence de la retenue sur la situation financière d’Iris. La vérification n’a donné lieu à aucun rajustement des remboursements de taxe nette d’Iris.
[69]                        Le surlendemain, le 30 octobre 2019, la Ministre a avisé Iris qu’elle ferait l’objet d’une deuxième vérification, visant certaines périodes de déclaration de 2019; la portée de la vérification a ensuite été étendue pour englober toutes les périodes de déclaration comprises entre le 1er janvier 2019 et le 29 février 2020. La Ministre a de nouveau retenu les remboursements de taxe. Iris a demandé à deux reprises que les fonds connexes soient débloqués pour lui permettre de maintenir et de préserver ses activités commerciales, mais la Ministre a rejeté les deux demandes. À la suite des refus de la Ministre, Iris a sollicité un bref de mandamus afin de contraindre celle‑ci à débloquer les fonds et a déposé une requête visant l’obtention de mesures provisoires.
[70]                        Le 9 avril 2020, avant l’instruction de la requête visant l’obtention de mesures provisoires, la Ministre a établi une nouvelle cotisation pour les périodes de déclaration d’Iris allant de janvier à août 2019 et a établi une cotisation pour les périodes de déclaration de septembre à décembre 2019. Dans ces cotisations, la Ministre refusait d’accorder à Iris les crédits de taxe sur les intrants d’un montant de 98 000 000 $ qu’elle réclamait et lui infligeait des pénalités avec intérêts pour négligence grave de plus de 24 000 000 $.
[71]                        Le 17 avril 2020, la Cour fédérale a rejeté la requête en mesures provisoires au motif qu’elle était prématurée parce que le délai raisonnable de rétention des remboursements n’avait pas encore expiré (2020 CF 532). La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision le 8 juillet 2020 (2020 CAF 117).
[72]                        En réponse, le 16 juillet 2020, Iris a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire et lui a demandé de prononcer les trois jugements déclaratoires suivants :
                    [traduction]
a.      la Ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale lors de sa vérification d[’Iris], a fait défaut de donner un avis des rajustements proposés ou de donner l’occasion de présenter des observations en réponse à ces rajustements, ce qui allait à l’encontre de la politique publiée par la Ministre à cet égard et de la garantie particulière du sous‑commissaire de la Ministre;
b.      les cotisations [de la Ministre] ont été établies sans fondement probatoire et de manière contraire aux conclusions de fait tirées par la Ministre à la date de ces cotisations;
c.      les cotisations ont été établies dans l’objectif illégitime de chercher à priver la Cour fédérale de sa compétence dans la demande de redressement présentée par [Iris] dans le dossier T‑425‑20.
                    (Avis de demande, reproduit au d.a., p. 40.)
[73]                        Le 11 août 2020, la Ministre a présenté une requête en vue de la radiation de la demande d’Iris au stade préliminaire au motif qu’il était manifeste et évident que la demande de contrôle judiciaire constituait une tentative de contourner le système complet d’appels en matière fiscale et qu’Iris ne pouvait pas obtenir la réparation demandée (d.a., p. 13‑14).
III.         Historique judiciaire
[74]                        Le protonotaire a rejeté la requête en radiation de la demande, estimant qu’on ne pouvait pas dire que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie.
[75]                        Saisie de l’appel de la décision du protonotaire, la Cour fédérale était d’accord avec celui‑ci pour dire qu’Iris sollicitait essentiellement des réparations de droit administratif (2021 CF 597, [2022] 1 R.C.F. 383). Elle a souligné qu’un tribunal ne radiera un avis de demande que s’il est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Rien ne justifiait que la Cour fédérale intervienne puisque le protonotaire n’avait commis aucune erreur en appliquant la loi.
[76]                        La Cour fédérale a conclu que la contestation d’Iris concernant l’équité procédurale des cotisations relevait de sa juridiction, au motif que la conduite de la Ministre, et non l’établissement des cotisations elles‑mêmes, était au cœur du débat. De l’avis de la Cour, les allégations mises de l’avant dans l’avis de demande faisaient intervenir des principes de droit administratif, à l’égard desquels la Cour fédérale conservait juridiction.
[77]                        Le procureur général du Canada a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale en invoquant trois moyens : (1) la Cour fédérale n’a pas reconnu que l’essence véritable de la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris est une contestation de la validité des cotisations; (2) la Cour fédérale n’a pas reconnu que le Ministre n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à l’égard des cotisations de taxe nette au titre de la LTA; et (3) les déclarations sollicitées par Iris ne sont pas des réparations recevables en droit administratif.
[78]                        La Cour d’appel fédérale a noté que le fait de formuler des griefs en employant des termes de droit administratif et de demander des réparations propres à ce domaine du droit n’en fait pas pour autant des griefs relevant du droit administratif (2022 CAF 101, [2022] 1 R.C.F. 401, par. 3). Rédigeant l’arrêt unanime de la cour, le juge Rennie a conclu que la demande de contrôle judiciaire en l’espèce constitue essentiellement une contestation indirecte de la validité des cotisations, une matière qui relève de la juridiction de la Cour de l’impôt. Les déclarations sollicitées n’auraient aucun effet concret puisqu’elles n’auraient aucune incidence sur la validité des cotisations. La demande d’Iris n’avait donc aucune chance d’être accueillie.
[79]                        En ce qui concerne la juridiction de la Cour fédérale à l’égard des décisions discrétionnaires du Ministre, le juge Rennie a souligné que l’établissement par le Ministre d’une cotisation n’écarte pas la juridiction de la Cour fédérale. Lorsque la Cour de l’impôt n’a pas juridiction pour statuer sur la conduite du Ministre ou lorsque l’objectif véritable de la demande est l’obtention d’une mesure de réparation concrète à l’encontre de la façon dont un pouvoir discrétionnaire a été exercé, la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7 (« LCF »), ne s’applique pas.
IV.         Questions en litige
[80]                        La seule question à trancher dans le présent pourvoi est celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris n’a aucune chance d’être accueillie, de sorte qu’elle devait être radiée au stade préliminaire.
[81]                        Le procureur général du Canada soutient que cette analyse doit être effectuée à la lumière de deux questions. Premièrement, quelle est la nature essentielle de la demande d’Iris? Deuxièmement, la réparation sous forme de jugement déclaratoire que sollicite Iris est‑elle appropriée dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire?
V.           Analyse
[82]                        Il est bien établi, comme l’a écrit le juge Stratas dans l’arrêt JP Morgan, au par. 66, que les demandes de contrôle judiciaire en matière fiscale doivent être radiées lorsque l’un ou l’autre des vices fondamentaux et manifestes suivants est constaté :
1)                 l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;
2)                 l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif;
3)                 la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.
[83]                        Je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale a eu raison d’intervenir pour radier la demande d’Iris. Il y a deux vices fondamentaux et manifestes qui infirment à la base la juridiction de la Cour fédérale à instruire cette demande (JP Morgan, par. 47, citant David Bull Laboratories, p. 600; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, par. 6 (CanLII); Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, par. 7 (CanLII); Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959). Il en est ainsi même si les faits allégués sont tenus pour avérés (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 17; voir aussi Wenham, par. 32‑33).
[84]                        Premièrement, selon une lecture globale de la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris, j’estime qu’il s’agit d’une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations. Un appel devant la Cour de l’impôt est possible, approprié et efficace et permet à Iris d’obtenir la réparation demandée concernant ses deux premières allégations (manquement à l’équité procédurale et absence de preuve). Pour ce qui est de la troisième allégation d’Iris (objectif illégitime dans l’établissement des cotisations), elle n’énonce pas d’allégation recevable en droit administratif et est en tout état de cause prématurée. Faire valoir une telle demande à la Cour fédérale avant de le faire à la Cour de l’impôt serait prématuré, puisqu’une telle demande ne pourrait être accueillie par la Cour fédérale que si Iris avait d’abord réussi à établir que la cotisation était mal fondée. Deuxièmement, les déclarations sollicitées par Iris n’ont aucun effet concret. La Cour fédérale ne pourrait pas accorder la réparation demandée. Par conséquent, je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour dire que cette demande n’avait aucune chance d’être accueillie et qu’elle devait être radiée au stade préliminaire.
[85]                        J’examine chacun de ces points tour à tour.
A.           La demande, de par sa nature essentielle ou son caractère véritable, est une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations
[86]                        Ainsi que je l’ai souligné dans l’arrêt Dow Chemical, le Parlement a voulu donner préséance à la juridiction de la Cour de l’impôt en matière fiscale lorsqu’un droit d’appel est expressément prévu par la loi. Dans cette affaire, j’ai conclu que l’art. 18.5 de la LCF empêche la Cour fédérale d’avoir juridiction à l’égard des décisions discrétionnaires prises par le Ministre en vertu du par. 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »). D’ailleurs, les par. 247(2) et (10) de la LIR exigent que le Ministre se prononce sur le caractère opportun d’un rajustement à la baisse lorsqu’un tel rajustement est sollicité et/ou établi. L’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre en vertu du par. 247(10) est inextricablement lié au bien‑fondé de la cotisation qui en découle. La portée du droit d’appel d’une cotisation prévu à l’art. 169 de la LIR s’étend à cette décision discrétionnaire lorsque la contestation vise le montant de taxe dû.
[87]                        Cependant, rien dans le pourvoi connexe ne doit être interprété comme excluant la possibilité que la Cour fédérale ait juridiction lorsque la conduite du Ministre ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire ne s’inscrit pas dans la portée d’un appel à l’égard d’une cotisation devant la Cour de l’impôt.
[88]                        Il n’est ni nécessaire ni utile de passer en revue les circonstances dans lesquelles un contrôle judiciaire peut être exercé devant la Cour fédérale en matière fiscale. Je suis d’accord avec le juge Stratas lorsqu’il affirme, au par. 97 de l’arrêt JP Morgan, qu’une approche au cas par cas est préférable. Par exemple, la jurisprudence a établi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire que possède le Ministre en vertu des dispositions d’équité, soit les par. 152(4.2) et 220(3.1) de la LIR, peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Abou‑Rached c. Canada (Procureur général), 2019 CF 750; Ford c. Canada (Agence du revenu), 2022 CF 1077). De même, il est possible de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire afin de contester la légalité des mesures prises par le Ministre pour percevoir des taxes qui lui seraient dues (Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Walker c. Canada, 2005 CAF 393, par. 14‑15 (CanLII); Johnson c. Canada, 2015 CAF 51, par. 48 (CanLII); Libicz c. Canada (Procureur général), 2021 CF 693). De toute évidence, lorsque la Cour de l’impôt ne peut pas connaître de la conduite fautive reprochée au Ministre dans le cadre d’un appel d’une cotisation, la Cour fédérale peut être le tribunal approprié (JP Morgan, par. 83). Dans de tels cas, la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la LCF ne s’applique pas.
[89]                        Il faut garder à l’esprit que le contrôle judiciaire est un recours de dernier ressort lorsqu’un appel de la cotisation devant la Cour de l’impôt est possible. Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, au par. 11, cela évite de contrecarrer l’intention du Parlement que les cotisations relèvent exclusivement de la Cour de l’impôt, un tribunal spécialisé :
                    Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort. [Je souligne.]
[90]                        Lorsque la question est « autrement susceptible d’appel » à la Cour de l’impôt (Addison & Leyen, par. 8), la Cour fédérale n’a pas juridiction pour connaître d’une demande de contrôle judiciaire. Ce sera le cas lorsque « l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt est possible, approprié et efficace et permet au contribuable d’obtenir la mesure demandée » (JP Morgan, par. 82). Par conséquent, une façon de déterminer si la demande devant la Cour fédérale n’a aucune chance de succès est de se demander si un recours recevable en droit administratif pourrait tout de même être intenté dans le cas où le contribuable était débouté en appel devant la Cour de l’impôt. Si un tel recours ne peut pas être intenté, la demande de contrôle judiciaire est forcément une contestation indirecte de la cotisation.
[91]                        Dans le contexte d’une requête en radiation d’une demande, le tribunal doit toujours déterminer la nature essentielle ou le caractère véritable de la demande (voir Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, par. 25; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559, par. 36‑37). Il est particulièrement important d’examiner attentivement l’avis de demande de contrôle judiciaire à la lumière de cet objectif lorsqu’il est possible d’interjeter appel de la cotisation devant la Cour de l’impôt. Comme l’a écrit le juge Stratas dans l’arrêt JP Morgan, au par. 49, « [f]orts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé, les plaideurs habiles peuvent faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien. »
[92]                          Le tribunal de contrôle doit faire « une appréciation réaliste » de la nature de la demande et de la mesure administrative contestée (voir Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, par. 28 (CanLII)). Le tribunal doit s’employer à en faire une lecture « globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (JP Morgan, par. 50; Sifto, par. 25; Wenham, par. 34). Pour déterminer la nature essentielle ou le caractère véritable de la demande, le tribunal doit aller au‑delà des mots employés, des faits allégués et de la réparation demandée afin d’établir si la déclaration est une « tentative déguisée » visant l’obtention devant la Cour fédérale d’un résultat qui ne pourrait pas par ailleurs être obtenu de cette cour (Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, par. 16 (CanLII)).
[93]                          S’il est vrai qu’une « déclaration ne doit pas être prise au pied de la lettre » (Roitman, par. 16), « de véritables choix stratégiques ne devraient pas être dénigrés sous prétexte qu’ils constituent d’astucieux arguments » (Windsor (City), par. 27). Si les actes de procédure, lus dans leur ensemble, révèlent l’existence de motifs raisonnables de faire valoir la demande, il n’y a pas lieu de radier la demande de contrôle judiciaire (British Columbia Investment Management Corp., par. 36). Inversement, si, de par sa nature essentielle ou son caractère véritable, la demande comporte une question par ailleurs susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, la demande de contrôle judiciaire constituerait une contestation indirecte de la validité ou du bien‑fondé de la cotisation. Une telle demande est « voué[e] à l’échec » au stade préliminaire parce que la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la LCF s’applique, ou parce qu’un appel à la Cour de l’impôt est un recours adéquat et efficace (Wenham, par. 33).
[94]                        Je passe maintenant à la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire présentée par Iris, lue dans son ensemble, relève des cas les plus manifestes où une requête en radiation sera accueillie au stade préliminaire. Je rappelle les remèdes que sollicite Iris dans ses actes de procédure :
1.         Une déclaration portant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans le processus de vérification et de cotisation, ce qui allait à l’encontre de la politique antérieure;
2.         Une déclaration portant qu’aucune preuve ne permettait l’établissement de cotisations au titre de la LTA;
3.         Une déclaration portant que les cotisations ont été établies dans l’objectif illégitime de priver la Cour fédérale de sa juridiction d’instruire les griefs en matière de droit administratif soulevés par Iris dans sa demande connexe.
[95]                          Selon moi, la demande n’avait aucune chance d’être accueillie parce que de par sa nature essentielle, elle constitue une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations. Les deux premières déclarations sollicitées par Iris se rapportent à des vices dans le processus sous‑jacent de cotisation — un manquement à l’équité procédurale et des problèmes de preuve — auxquelles un appel des cotisations peut remédier. La troisième déclaration sollicitée concerne la raison ayant motivé l’établissement des cotisations et est fondée sur des allégations qui ne peuvent pas être dissociées de la question du bien‑fondé des cotisations.
[96]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour affirmer que le simple fait que le Ministre ait établi un avis de cotisation ne prive pas la Cour fédérale de sa juridiction pour examiner la conduite de celui‑ci (par. 13). Encore une fois, lorsque la Cour de l’impôt ne peut statuer sur la conduite fautive reprochée au Ministre dans le cadre d’un appel d’une cotisation, la Cour fédérale peut être le tribunal approprié et la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la LCF ne s’applique pas (voir JP Morgan, par. 83).
[97]                          Toutefois, et avec égards, j’estime que la situation dans l’affaire Dow Chemical, où une décision prise en vertu du par. 247(10) de la LIR est inextricablement liée au bien‑fondé de la cotisation, en est une où un appel à la Cour de l’impôt serait adéquat et efficace et permettrait au contribuable d’obtenir la réparation demandée. Dans un tel cas, le contribuable ne cherche pas à obtenir une mesure de réparation concrète à l’encontre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, mais conteste plutôt le bien‑fondé d’une cotisation. Il s’agit d’une opposition [traduction] « liée en fin de compte à un montant réclamé » au titre de la cotisation (Okalta Oils, p. 826).
[98]                          Dans la présente affaire, Iris cherche à obtenir des déclarations relatives à la conduite de la Ministre concernant le moment de l’établissement de la cotisation et les fondements de preuve sous‑jacents, de même que la communication de documents. Un appel à la Cour de l’impôt permettrait aux parties de découvrir et de présenter des preuves documentaires et testimoniales, ainsi que de faire des observations sur la question de savoir si les cotisations étaient bien fondées en fait et en droit, notamment sur la question de savoir si les cotisations étaient appuyées par la preuve et ont été établies par la Ministre conformément à ses obligations statutaires. Si la Cour de l’impôt conclut qu’Iris est tenue de payer la taxe établie par la Ministre, cette conclusion trancherait de manière définitive les trois allégations. Je m’explique.
[99]                        Premièrement, pour ce qui est des allégations de manquement à l’équité procédurale, il faut garder à l’esprit que le droit d’appel prévu par la LTA (et la LIR) fait intervenir des droits procéduraux pouvant remédier aux vices dans le processus suivi par le Ministre (JP Morgan, par. 82). Dans un tel contexte, si la cotisation est mal fondée en fait et en droit, le fait que le processus suivi pour l’établir était vicié n’est pas pertinent. Si la cotisation est bien fondée en fait et en droit, elle doit être maintenue, même si le processus suivi pour l’établir était vicié. Comme l’a indiqué la juge Gagné dans l’arrêt Ghazi c. Canada (Revenu national), 2019 CF 860, au par. 32 (CanLII), « [m]ême si la Cour de l’impôt ne peut pas remédier à un manquement à l’équité procédurale, il ne s’ensuit pas que la Cour fédérale ait ce pouvoir. Dans les affaires de dette fiscale, soit que la taxe est payable, soit elle ne l’est pas, selon les faits et le droit » (voir aussi Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388, par. 21 (CanLII); Newave Consulting Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 1203, par. 139 (CanLII); Chad c. Canada (Revenu national), 2023 CF 1481, par. 28 (CanLII)).
[100]                     Iris invoque un manquement à l’équité procédurale en ce que la Ministre n’a pas respecté la garantie qu’elle lui avait donnée selon laquelle elle l’aviserait de tout rajustement proposé et lui donnerait l’occasion d’y répondre au cours du processus de vérification (m.a., par. 19‑20). Iris n’a peut‑être pas eu l’occasion de répondre au rajustement proposé avant que les cotisations soient établies, mais elle peut contester le rajustement au moyen d’un appel à l’encontre des cotisations établies conformément à l’art. 302 de la LTA.
[101]                     Deuxièmement, la question de savoir si la preuve appuie la cotisation est précisément l’objet d’un recours pouvant être exercé par un contribuable devant la Cour de l’impôt. Selon l’art. 302 de la LTA, la Cour de l’impôt est appelée à déterminer de novo la responsabilité fiscale du contribuable sur la base d’un dossier de preuve complet (Johnston c. Minister of National Revenue, 1948 CanLII 1 (SCC), [1948] R.C.S. 486, cité dans Hickman Motors Ltd. c. Canada, 1997 CanLII 357 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 336, par. 92). L’allégation d’Iris selon laquelle les cotisations ont été établies sans preuve et de façon contraire aux conclusions de fait de la Ministre relève dûment du mandat législatif de la Cour de l’impôt et la Cour fédérale ne peut connaître de celle‑ci.
[102]                     Troisièmement, la question de savoir si une allégation d’objectif illégitime dans l’établissement d’une cotisation est recevable en droit administratif commande une analyse factuelle qui est fondée sur l’allégation formulée par le contribuable. De fait, les demandes de ce genre ne sont pas normalement instruites par la Cour fédérale, car le Ministre n’a généralement aucun pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de ses responsabilités statutaires (voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26, par. 25, citant Harris c. Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), par. 36). Le juge Stratas l’a bien souligné dans l’arrêt JP Morgan, aux par. 77‑78 :
                        À certaines occasions en matière fiscale, des parties ont soutenu que le ministre avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en établissant la cotisation. Jusqu’à maintenant, ces allégations ont toutes été rejetées au motif qu’elles étaient irrecevables puisqu’aux fins de la détermination de l’impôt à payer par un contribuable, le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et partant, aucun pouvoir discrétionnaire dont il puisse abuser. Lorsqu’il ressort des faits et de la loi qu’il doit y avoir assujettissement à l’impôt, le ministre doit établir une cotisation : Galway c. Le ministre du Revenu national, 1974 CanLII 2465 (CAF), [1974] 1 C.F. 600 (C.A.), à la page 602 (« le ministre a l’obligation, aux termes de la loi, de fixer le montant de l’impôt exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi »).
                        À cet égard, en ce qui a trait à l’établissement des cotisations par suite de l’assujettissement du contribuable à l’impôt, « [n]i le ministre du Revenu ni ses préposés n’ont quelque discrétion que ce soit dans l’application qu’ils doivent faire de la Loi de l’impôt sur le revenu »; ils sont tenus de « la suivre de manière absolue » : Ludmer c. Canada, 1994 CanLII 3547 (CAF), [1995] 2 C.F. 3 (C.A.), à la page 17; Harris c. Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 36. Notre Cour ne peut empêcher le ministre de remplir ses fonctions : Canada Agence du revenu c. Société Télé‑Mobile, 2011 CAF 89, au paragraphe 5 (dans le contexte de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15); Ludmer, précité, à la page 9.
[103]                     Lorsque la Cour de l’impôt détermine qu’un montant de taxe est dû, le Ministre a rempli son devoir et l’objectif qui sous‑tend l’établissement de la cotisation ne saurait être illégitime. Il « ne sert à rien d’essayer d’analyser la raison sous‑tendant une décision d’établir une cotisation ou de distinguer cette raison du bien‑fondé de la cotisation en tant que telle » (motifs de la C.A., par. 17). Quoi qu’il en soit, une telle demande ne pourrait être accueillie en Cour fédérale que si le contribuable démontre d’abord que la cotisation était mal fondée devant la Cour de l’impôt. Il serait forcément prématuré de faire valoir une demande devant la Cour fédérale avant d’avoir interjeté appel devant la Cour de l’impôt.
[104]                     Dans la présente affaire, Iris soutient que les cotisations ont été établies dans l’objectif illégitime de priver la Cour fédérale de juridiction dans une demande connexe. Je suis d’accord avec le juge Rennie qu’une telle allégation n’indique pas un motif particulier ou une conduite précise distincte de l’obligation du Ministre d’établir une cotisation selon les faits et la loi sous le régime de la LTA (par. 14). Il s’agit d’une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations.
[105]                     Il est vrai qu’une partie ne peut contester le processus ou la raison qui sous‑tend l’établissement d’une cotisation dans le cadre d’un appel devant la Cour de l’impôt (voir Canada c. Consumers’ Gas Co., 1986 CanLII 6796 (CAF), [1987] 2 C.F. 60 (C.A.); Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, par. 6‑8 (CanLII); Roitman, par. 21; Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20; Johnson c. Canada, 2015 CAF 52, par. 4 (CanLII); 9162‑4676 Québec Inc. c. Canada, 2016 CAF 112, par. 2 (CanLII)). Toutefois, il est également vrai qu’une telle objection ne sera normalement pas retenue par la Cour fédérale lorsqu’un appel à la Cour de l’impôt est possible, approprié et efficace et permet au contribuable d’obtenir la réparation demandée. Il s’agit d’une caractéristique, et non d’un défaut, du système de cotisations et d’appels en matière fiscale établi par le Parlement.
[106]                     Je rappelle que notre Cour a mis en garde contre l’utilisation du contrôle judiciaire pour créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système de cotisations et d’appels en matière fiscale établi par le Parlement (Addison & Leyen, par. 11).
[107]                     Dans le cas qui nous occupe, le protonotaire a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des juridictions respectives de la Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, telles qu’elles sont définies par leur loi habilitante respective. Cette erreur a amené le protonotaire à établir à tort que la demande d’Iris, de par sa nature essentielle, était une demande recevable en droit administratif (voir 744185 Ontario Inc. c. Canada, 2020 CAF 1, par. 49 (CanLII); McCain Foods Limited c. J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4, par. 65 (CanLII)). La Cour d’appel fédérale a dûment décidé que la nature essentielle ou le caractère véritable des trois motifs, lorsque mis dans le contexte de la LTA, est une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations en tant que telles (par. 6). La cotisation relève de la juridiction exclusive de la Cour de l’impôt, un tribunal spécialisé créé expressément pour connaître des litiges en matière fiscale.
[108]                     Je conclus donc que dans la présente affaire, un appel devant la Cour de l’impôt serait un recours approprié et efficace pour Iris et, par conséquent, que la demande de contrôle judiciaire était vouée à l’échec devant la Cour fédérale.
B.            La réparation sous forme de jugement déclaratoire que sollicite Iris n’aurait aucun effet concret
[109]                     Une demande n’a aucune chance d’être accueillie si elle vise l’obtention d’un jugement déclaratoire qui n’a pas d’effet concret. La Cour fédérale n’a pas le pouvoir de rendre un tel jugement déclaratoire. Je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale que les trois déclarations en l’espèce seraient purement théoriques et ne pouvaient pas être accordées (par. 18).
[110]                     Il n’y a plus de litige actuel entre les parties à part celui concernant le bien‑fondé des cotisations de la Ministre. Il va sans dire qu’en raison de la limitation de juridiction prévue à l’art. 18.5 de la LCF, la Cour fédérale n’a pas le pouvoir de modifier ou d’annuler la cotisation en soi (Ministre du Revenu national c. Parsons, 1984 CanLII 5322 (CAF), [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, par. 28). Dans les circonstances de l’espèce, prononcer des déclarations qui ne modifient ni n’annulent les cotisations aurait peu d’utilité, voire aucune (voir Johnson (2015 CAF 51), par. 41). La seule question qui subsiste est celle de savoir si la taxe est due, ou non, au regard des faits et du droit. Iris devrait encore intenter un appel devant la Cour de l’impôt même si les trois déclarations étaient prononcées, et rien ne garantit que les cotisations seraient annulées ou modifiées.
[111]                     Toute déclaration dans ce contexte serait forcément sans lien avec les droits des parties ou avec un litige actuel, et ne pourrait donc pas être prononcée. Dans l’arrêt Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, par. 11, notre Cour a déclaré qu’un « jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique, c’est‑à‑dire s’il règle un “litige actuel” entre les parties » (voir aussi S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99, par. 60).
[112]                     À mon avis, la Cour d’appel fédérale pouvait conclure que le protonotaire et la Cour fédérale avaient commis une erreur de fait et de droit en ne concluant pas que les déclarations sollicitées étaient purement factuelles et ne seraient d’aucune utilité (motifs de la C.A., par. 15‑16 et 18).
VI.         Conclusion
[113]                     Bien que l’établissement des cotisations en soi ne prive pas la Cour fédérale de sa juridiction pour examiner la conduite du Ministre, j’estime qu’en l’espèce, Iris aurait dû contester les cotisations en interjetant appel à la Cour de l’impôt. La demande, de par sa nature essentielle, est une contestation indirecte du bien‑fondé des cotisations. En tout état de cause, les déclarations sollicitées auprès de la Cour fédérale n’auraient eu aucun effet concret et ne pouvaient pas être prononcées. Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire n’avait aucune chance d’être accueillie.
[114]                     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi d’Iris, avec dépens.
                    Pourvoi rejeté avec dépens.
                    Procureurs de l’appelante : Leigh Somerville Taylor Professional Corporation, Toronto; Dahab Law, Richmond Hill (Ont.).
                    Procureur de l’intimé : Ministère de la Justice Canada, Bureau régional de la Colombie‑Britannique — Section du litige fiscal, Vancouver.

[1]  Trois termes différents sont utilisés comme synonymes en français dans les décisions des juridictions inférieures pour rendre le mot anglais « correctness » dans l’expression « correctness of the assessment » et autres formulations similaires : « bien-fondé », « exactitude » et « justesse ». Dans les présents motifs, par souci d’uniformité, nous utiliserons uniquement le terme « bien-fondé », sauf lorsqu’il s’agit de citations.
[2]  Trois termes différents sont utilisés comme synonymes en français dans les décisions des juridictions inférieures pour rendre le mot anglais « correctness » dans l’expression « correctness of the assessment » et autres formulations similaires : « bien-fondé », « exactitude » et « justesse ». Dans les présents motifs, par souci d’uniformité, nous utiliserons uniquement le terme « bien‑fondé », sauf lorsqu’il s’agit de citations.

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC24 ?
Date de la décision : 28/06/2024

Analyses

contrôle judiciaire — cotisations — impôt — ministre — bien-fondé — pouvoir discrétionnaire — déclarations sollicitées — matière fiscale — juridictions — Cours fédérales — droit administratif — compétence exclusive — établies — illégitime — recours — jugements déclaratoires


Parties
Demandeurs : Iris Technologies Inc.
Défendeurs : Canada
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 28 juin 2024, Iris Technologies Inc. c. Canada, 2024 CSC 24


Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-06-28;2024csc24 ?

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