Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Association du Barreau canadien et Criminal Lawyers’ Association
Intervenantes
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein[*], Cromwell, Karakatsanis, Wagner et Gascon
Motifs de jugement conjoints : Les juges Wagner et Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell et Karakatsanis)
Répertorié : Canada (Revenu national) c. Thompson
No du greffe : 35590.
2014 : 4 décembre; 2016 : 3 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein[†], Cromwell, Karakatsanis, Wagner et Gascon.
en appel de la cour d’appel fédérale
Droit fiscal — Impôt sur le revenu — Exécution — Secret professionnel de l’avocat — Obligation légale de communiquer des documents ou des renseignements aux fins de vérification ou d’exécution — Secret professionnel invoqué par un avocat pour refuser d’obtempérer à une demande de précisions sur ses comptes clients — Le législateur a‑t‑il voulu que, dans la Loi de l’impôt sur le revenu , la définition du « privilège des communications entre client et avocat » exclue les relevés comptables de l’avocat? — La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle eu raison de renvoyer le dossier du contribuable à la Cour fédérale? — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl .), art. 231.2(1) , 231.7(1) , 232(1) « privilège des communications entre client et avocat ».
L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a fait parvenir à T, en application du par. 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »), une demande péremptoire exigeant la communication de divers documents relatifs à ses finances personnelles, ainsi que la liste à jour de ses comptes clients. T a communiqué certains documents à l’ARC, mais a fait valoir que toute autre précision sur ses comptes clients, tels les noms de ses clients, était protégée par le secret professionnel de l’avocat. Le ministre du Revenu national a demandé à la Cour fédérale de prononcer une ordonnance en vertu de l’art. 231.7 de la LIR . T a contesté la démarche et demandé à la Cour fédérale de décider si le par. 231.2(1) de la LIR peut être interprété et appliqué de façon à supprimer le secret professionnel de l’avocat. T a soutenu en outre que la demande péremptoire de l’ARC contrevenait à l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés , lequel interdit les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Le juge de la Cour fédérale n’a pas convenu que les noms des clients pouvaient, sur le fondement du secret professionnel de l’avocat, être soustraits à la communication au Ministre. Il n’a pas non plus conclu au non‑respect de l’art. 8 de la Charte . La Cour d’appel fédérale a estimé que, dans certains cas rarissimes, les documents visés pouvaient renfermer des renseignements privilégiés. Le client dont l’identité est de fait protégée a le droit d’invoquer et de défendre ce privilège, et T devrait avoir la possibilité de l’invoquer pour le compte de son client. La Cour d’appel fédérale a donc renvoyé l’affaire à la Cour fédérale. Elle a par ailleurs rejeté la contestation de T fondée sur la Charte . La seule question que soulève le pourvoi du Ministre devant la Cour est celle de l’interprétation de l’exception que prévoit à l’égard des relevés comptables de l’avocat la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) de la LIR .
Arrêt : Le pourvoi est accueilli, mais seulement pour infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale. La demande d’ordonnance du Ministre est rejetée.
Le secret professionnel de l’avocat a évolué, passant d’abord d’une simple règle de preuve à une règle de fond puis, aujourd’hui, à un principe de justice fondamentale. L’atteinte au secret professionnel de l’avocat n’est permise que si elle est absolument nécessaire à la réalisation des objectifs de la loi habilitante. La Cour a écarté l’interprétation du secret professionnel de l’avocat qui s’appuie sur la distinction entre le fait et la communication pour déterminer l’objet de la protection. Sauf preuve contraire, toute l’information demandée en l’espèce est à première vue privilégiée.
Suivant l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, un tribunal ne peut conclure du libellé d’une disposition législative que le secret professionnel de l’avocat est supprimé que si ce libellé révèle l’intention claire du législateur d’arriver à ce résultat. La définition du « privilège des communications entre client et avocat » qui figure au par. 232(1) de la LIR est non équivoque compte tenu du libellé exprès de la disposition, de l’historique de celle‑ci et de l’objet du régime général dans lequel elle s’insère. Il ne saurait être plus manifeste que l’intention du législateur était de définir ce privilège de façon à soustraire à sa protection le relevé comptable de l’avocat.
Or, l’intention du législateur de définir le privilège des communications entre client et avocat d’une certaine façon et son pouvoir de le faire sur le plan constitutionnel ne coïncident pas nécessairement. Puisque, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336, la Cour conclut à l’inconstitutionnalité de l’exception que prévoit la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au par. 232(1) , ainsi que du régime des demandes péremptoires de la LIR dans la mesure où il s’applique aux avocats et aux notaires, la demande adressée à T suivant ce régime est désormais sans objet. Il est donc inutile de renvoyer le dossier à la Cour fédérale.
Il convient d’ajouter que même si la Cour d’appel fédérale a eu raison de renvoyer le dossier de T à la Cour fédérale, son ordonnance n’aurait pas suffi à protéger les droits des clients de T. Le secret professionnel de l’avocat est un droit qui appartient au client et auquel seul ce dernier peut renoncer. C’est au client, non à l’avocat, qu’il faut permettre de faire valoir le privilège, et le tribunal doit faciliter la démarche du client en ce sens.
Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; arrêt appliqué : Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336; arrêts mentionnés : Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809; In re Income Tax Act, [1963] C.T.C. 1, autorisation de pourvoi refusée, [1965] R.C.S. 84; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 , 8 .
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl .), art. 231.2 , 231.7 , 232(1) « privilège des communications entre client et avocat ».
Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 126A(1), e) « privilège de client à procureur », (5)b).
Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1956, c. 39, art. 28.
Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, S.C. 1965, c. 18, art. 26.
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5, art. 12 [mod. 2010, c. 23, art. 83], 12.1 [aj. idem].
Doctrine et autres documents cités
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. III, 3e sess., 26e lég., 25 juin 1965, p. 2875.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Pelletier, Trudel et Mainville), 2013 CAF 197, 448 N.R. 339, 366 D.L.R. (4th) 169, 2013 DTC 5146, [2013] F.C.J. No. 939 (QL), 2013 CarswellNat 6948 (WL Can.), qui a infirmé en partie une ordonnance de la Cour fédérale, no T‑1180‑12, 31 octobre 2012, et ordonné la tenue d’une nouvelle audience. Pourvoi accueilli.
Christopher Rupar et Daniel Bourgeois, pour l’appelant.
Michael A. Feder et Emily MacKinnon, pour l’intimé.
John B. Laskin et Yael S. Bienenstock, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
Mahmud Jamal, Pooja Mihailovich (née Samtani) et W. David Rankin, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Michal Fairburn et Carlo Di Carlo, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Les juges Wagner et Gascon —
I. Aperçu
[1] Dans le cadre d’une mesure de vérification et d’exécution entreprise en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl .) (« LIR »), l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») est investie de vastes pouvoirs qui lui permettent de contraindre une personne à communiquer à l’appelant, le ministre du Revenu national (« Ministre »), des renseignements et des documents relatifs à un contribuable. Normalement, les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat n’ont pas à être communiqués. Toutefois, pour les besoins de la LIR , la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) exclut expressément son application au « relevé comptable d’un avocat ». Selon le Ministre, cette exclusion explicite soustrait le relevé comptable à la protection du secret professionnel de l’avocat, si bien que l’avocat peut être contraint de le communiquer. En l’espèce, le Ministre a pris des mesures afin d’obtenir de l’intimé, Duncan Thompson, des relevés comptables relatifs à l’exercice de sa profession d’avocat. M. Thompson soutient que ces relevés sont protégés par le secret professionnel.
[2] La Cour fédérale a conclu que la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) de la LIR supprime bel et bien le privilège à l’égard des relevés comptables de M. Thompson. Elle a donc ordonné à ce dernier d’acquiescer à la demande du Ministre. La Cour d’appel fédérale s’est dite d’un avis différent et a reconnu que, malgré le par. 232(1) , certains documents et les noms de clients qui y figurent peuvent être protégés par le secret professionnel de l’avocat. Elle a en conséquence renvoyé l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle décide si tel est le cas en l’espèce.
[3] Nous sommes d’avis que, au par. 232(1) , l’intention du législateur de soustraire le « relevé comptable d’un avocat » à la protection du secret professionnel est claire et non équivoque. La formulation de l’exception, l’historique législatif de la définition et le contexte du régime dans lequel s’inscrit cette exception nous amènent à conclure que le législateur, en définissant le « privilège des communications entre client et avocat » comme il le fait dans la LIR , entend permettre la communication au Ministre de renseignements par ailleurs confidentiels. De prime abord, M. Thompson ne peut donc pas refuser de communiquer ses relevés comptables en invoquant la possibilité que les renseignements qu’ils renferment soient protégés par le secret professionnel.
[4] Dans le pourvoi connexe Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336, nous concluons toutefois que cette exception est inconstitutionnelle, car elle contrevient à l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés . La demande du Ministre adressée à M. Thompson en vue d’obtenir des documents est dès lors sans objet. Au final, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi uniquement pour infirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et, dans les circonstances, de rejeter la demande du Ministre.
II. Les faits
[5] M. Thompson exerce la profession d’avocat dans une petite ville de l’Alberta. Il a fait l’objet d’une mesure d’exécution prise par le Ministre en vertu de la LIR .
[6] Le régime de perception fiscale établi par la LIR dépend essentiellement de l’exactitude avec laquelle les contribuables déclarent leurs revenus et déterminent l’impôt qu’ils doivent au fisc. Afin que le Ministre puisse s’assurer de cette exactitude et prendre des mesures de perception, la LIR confère à l’ARC des pouvoirs assez étendus pour contraindre une personne, qu’il s’agisse de celle qui fait l’objet d’une vérification ou d’une mesure d’exécution, ou d’un tiers, à communiquer au Ministre « tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire », ou à produire « des documents » que le Ministre juge nécessaires pour atteindre les objectifs de la LIR (par. 231.2(1) ). La gamme des documents et des renseignements dont l’ARC peut exiger la communication est très vaste.
[7] Le détail du régime en vertu duquel l’ARC peut demander de tels renseignements à un contribuable ou à un tiers figure aux art. 231.2 et 231.7 de la LIR . Dans le pourvoi connexe Chambre des notaires, nous décrivons de manière exhaustive la procédure qui permet à l’ARC d’obtenir des renseignements ou des documents d’une personne par l’envoi d’une demande péremptoire de communication. Dans le présent arrêt, nous nous en tenons au régime général des demandes péremptoires et au sort qu’il réserve aux documents et aux renseignements qui sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.
[8] Suivant le par. 231.7(1) de la LIR , lorsqu’un contribuable ou un tiers n’obtempère pas à une demande péremptoire de communication de documents que l’ARC lui a transmise, le Ministre peut, par procédure sommaire, demander à un juge de la Cour fédérale de lui ordonner de communiquer les documents en cause. L’alinéa 231.7(1) b) précise que le juge ne peut rendre une telle ordonnance que s’il est convaincu que, « s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1) , ne peut être invoqué à leur égard ».
[9] Le paragraphe 232(1) de la LIR dispose :
232 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
. . .
privilège des communications entre client et avocat Droit qu’une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle‑ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature.
En conséquence, lorsque le Ministre sollicite une ordonnance en application du par. 231.7(1) , la personne visée doit, afin de soustraire les documents en cause à la communication, prouver au juge saisi de la demande qu’ils sont protégés par le « privilège des communications entre client et avocat » ainsi défini.
[10] Dans le cadre de la mesure d’exécution qu’elle a prise contre M. Thompson, l’ARC a fait parvenir au contribuable, en application du par. 231.2(1) de la LIR , une demande péremptoire exigeant la communication de divers documents relatifs à ses finances personnelles, ainsi que la liste à jour de ses comptes clients. M. Thompson a communiqué certains documents, mais l’ARC a estimé qu’il n’obtempérait que partiellement à la demande péremptoire et, surtout, qu’il ne donnait aucune précision sur ses comptes clients, si ce n’est une indication générale du solde dû. M. Thompson a fait valoir que toute autre précision sur ses comptes clients, tels les noms de ses clients, était protégée par le secret professionnel de l’avocat et donc soustraite à la communication.
[11] Le Ministre a demandé à la Cour fédérale de prononcer une ordonnance en vertu de l’art. 231.7 de la LIR . M. Thompson a contesté cette demande à l’égard de ses comptes clients en invoquant encore une fois le secret professionnel de l’avocat. Il a déposé un avis de question constitutionnelle demandant à la Cour fédérale de se prononcer sur la question de savoir si la LIR — en particulier son par. 231.2(1) — peut être interprétée et appliquée de façon à contraindre l’avocat auquel l’ARC signifie une demande péremptoire à communiquer des renseignements privilégiés sur ses clients. Il a fait valoir que la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) ne peut être interprétée de manière à supprimer ce privilège pour une catégorie de documents en particulier, en l’occurrence les « relevé[s] comptable[s] d’un avocat ». Il a soutenu en outre que la demande péremptoire de l’ARC contrevenait à l’art. 8 de la Charte , lequel interdit les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
III. Historique judiciaire
A. Cour fédérale (le juge Russell)
[12] Le juge Russell a conclu que la loi n’étaye pas la thèse selon laquelle on peut, sur le fondement du secret professionnel de l’avocat, soustraire à la communication au Ministre les noms des clients et les données financières se rapportant à ces derniers (no T‑1180‑12, 31 octobre 2012). Il a expliqué que l’objectif de l’ARC n’était pas de connaître la teneur des communications entre l’avocat et ses clients, mais d’obtenir les documents financiers portant sur les comptes fournisseurs et les comptes clients de M. Thompson. Or, chacun de ces documents constitue un « relevé comptable » à l’égard duquel le par. 232(1) de la LIR exclut l’application du privilège des communications entre client et avocat. Bien que les noms de clients que renferment ces documents puissent être privilégiés dans certaines situations, M. Thompson n’a pas établi que c’était effectivement le cas et qu’ils devaient être soustraits à la communication. Il n’a pas non plus établi une contravention à l’art. 8 de la Charte .
B. Cour d’appel fédérale (les juges Pelletier, Trudel et Mainville)
[13] La Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel de M. Thompson (2013 CAF 197, 448 N.R. 339). Selon elle, même si un relevé comptable constitue généralement la preuve d’une opération ou d’un acte, plutôt que d’une communication privilégiée, et n’est donc pas normalement susceptible de révéler l’historique d’un dossier, dans de rares cas, un tel document peut renfermer des renseignements privilégiés, notamment sur l’identité de clients. En pareil cas, il incombe au tribunal saisi de la demande d’ordonnance fondée sur l’art. 231.7 de la LIR d’examiner les documents en cause avant d’ordonner à quiconque de communiquer des renseignements.
[14] La Cour d’appel fédérale a décidé que même si le juge de la Cour fédérale conclut à raison que tout relevé comptable ne bénéficie pas de l’exception, il omet par contre de se demander si le secret professionnel de l’avocat peut protéger les noms de clients individuels qui figurent sur la liste des comptes clients. Si tel est le cas, le client dont l’identité est protégée a le droit d’invoquer et de défendre ce privilège et M. Thompson devrait avoir la possibilité de l’invoquer pour le compte de son client à l’audition de la demande d’ordonnance. La Cour d’appel fédérale renvoie donc l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle tienne une nouvelle audience afin d’établir si certains noms figurant dans la liste des comptes clients de M. Thompson sont protégés ou non par le secret professionnel de l’avocat. Elle rejette par ailleurs la thèse de M. Thompson fondée sur la Charte et conclut à l’inexistence d’une contravention à l’art. 8 puisque nul privilège générique ne s’applique aux relevés comptables et aux noms de clients.
IV. Les questions en litige
[15] Le Ministre a demandé l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour contre l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Il n’a pas invoqué l’art. 8 de la Charte comme motif d’appel, s’en tenant plutôt à la juste interprétation du par. 232(1) de la LIR . M. Thompson a demandé la formulation d’une question constitutionnelle, mais sa requête a été rejetée. Son argument constitutionnel ne constitue donc pas un motif d’appel devant notre Cour, de sorte que seul le pourvoi connexe, Chambre des notaires, porte sur la constitutionnalité des art. 231.2 et 231.7 de la LIR , et de son par. 232(1) . Le litige ne porte en l’espèce que sur l’interprétation de l’exception que prévoit à l’égard des relevés comptables de l’avocat la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) .
V. Analyse
A. Le secret professionnel de l’avocat
[16] Puisque nous devons décider de l’interprétation d’une disposition législative qui définit le secret professionnel de l’avocat d’une certaine manière pour l’application de la LIR , quelques remarques préliminaires s’imposent sur la nature de ce privilège, compte tenu de l’évolution de la jurisprudence.
[17] Le secret professionnel de l’avocat a évolué, passant d’abord d’une simple règle de preuve à une règle de fond puis, aujourd’hui, à un principe de justice fondamentale (Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, par. 34; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 49; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193, par. 11; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 839; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 875; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401, par. 8 et 84). L’obligation de confidentialité qui découle du droit au secret professionnel de l’avocat est nécessaire à la préservation d’une relation avocat‑client fondée sur la confiance, laquelle est à son tour
indispensable à la vie et au bon fonctionnement du système juridique canadien. Elle assure la représentation effective des clients et la communication franche et complète de l’information juridique nécessaire à ceux‑ci (R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, p. 289 . . .).
(Foster Wheeler, par. 34)
[18] Dans Descôteaux, l’un des premiers arrêts dans lesquels notre Cour reconnaît que le secret professionnel de l’avocat participe d’une règle de fond, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) précise ce qui suit sur ses divers aspects :
1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d’être dévoilées sans le consentement du client.
2. À moins que la loi n’en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l’exercice légitime d’un droit porterait atteinte au droit d’un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité.
3. Lorsque la loi confère à quelqu’un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l’espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d’exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d’un souci de n’y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante.
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement. [p. 875]
Suivant l’interprétation des troisième et quatrième éléments de cette règle de fond considérés ensemble, l’atteinte au secret professionnel de l’avocat n’est permise que si elle est absolument nécessaire à la réalisation des objectifs de la loi habilitante (Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32, par. 24).
[19] Même si, dans l’arrêt Descôteaux, elle paraît limiter l’application du privilège aux communications entre l’avocat et son client, la Cour écarte désormais l’interprétation du secret professionnel de l’avocat qui se fonde sur la distinction entre le fait et la communication pour déterminer l’objet de la protection (Maranda, par. 30). Tous les éléments de la relation entre le client et l’avocat ne constituent pas des communications privilégiées, mais il faut présumer que, sauf preuve contraire, les faits liés à cette relation (tels les comptes d’honoraires en cause dans l’affaire Maranda) bénéficient de l’application du privilège (Maranda, par. 33‑34; voir aussi Foster Wheeler, par. 42). Cette règle est applicable quel que soit le contexte dans lequel elle est invoquée (Foster Wheeler, par. 34; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, p. 289).
[20] En l’espèce, nous ne pouvons donc conclure d’emblée que les communications de M. Thompson avec ses clients sont distinctes des documents financiers qui révèlent divers aspects de leurs relations pour décider si le secret professionnel de l’avocat s’applique ou non à ces faits. Sauf preuve contraire, toute cette information est à première vue privilégiée et donc confidentielle.
[21] Au vu de ces principes généraux, nous passons à l’interprétation de l’exception au « privilège des communications entre client et avocat » que prévoit la définition de ce terme au par. 232(1) de la LIR .
B. Les critères d’interprétation législative issus de l’arrêt Blood Tribe
[22] Le Ministre soutient que le par. 232(1) de la LIR , surtout lorsqu’il est considéré de pair avec les art. 231.2 et 231.7 , traduit l’intention claire et non équivoque du législateur de supprimer le privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne l’information qui se trouve dans le « relevé comptable d’un avocat ». M. Thompson conteste cette thèse. Le désaccord des parties porte principalement sur la question de savoir si une interprétation suffisamment restrictive de la définition en cause, comme celle préconisée par la Cour dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, permet de conclure que le législateur entendait définir le privilège des communications entre client et avocat de manière à soustraire une catégorie de documents à sa protection.
[23] L’arrêt Blood Tribe porte sur l’interprétation d’une disposition législative. La question en litige était celle de savoir si l’art. 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (« LPRPDE »), peut être interprété de manière à permettre au Commissaire à la protection de la vie privée d’avoir accès à des renseignements qui sont par ailleurs protégés par le secret professionnel de l’avocat afin de veiller au respect de la LPRPDE . L’article 12 (aujourd’hui l’art. 12.1 ) attribue expressément au Commissaire le pouvoir d’obliger une personne à produire les documents qu’il juge nécessaires pour examiner une plainte dont il est saisi, « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives », « indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». La Commissaire a soutenu qu’il fallait conclure de ce libellé qu’elle pouvait avoir accès à des documents qui sont par ailleurs confidentiels parce que privilégiés.
[24] Au nom de la Cour, le juge Binnie décide que l’art. 12 ne peut être interprété ainsi puisque le secret professionnel de l’avocat est passé d’une simple règle de preuve à une règle de fond (Blood Tribe, par. 2). Il rappelle que
les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive. Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat : Lavallee, par. 18; Pritchard, par. 33. Ce principe s’applique parfaitement à la présente affaire. [Italique omis; par. 11.]
Cette conclusion cadre parfaitement avec l’arrêt antérieur Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809, dans lequel la Cour conclut qu’« [u]n texte législatif visant à limiter ou à écarter l’application du privilège avocat-client sera interprété restrictivement » et que ce privilège ne peut être supprimé par inférence (par. 33).
[25] Les deux parties reconnaissent donc qu’un tribunal ne peut conclure du libellé d’une disposition législative que le secret professionnel de l’avocat est supprimé à l’égard de certains renseignements que si ce libellé révèle l’intention claire du législateur d’arriver à ce résultat. Une telle intention ne peut simplement être inférée de la nature du régime législatif ou de son historique, bien que ceux‑ci puissent offrir un contexte à l’appui lorsque le texte de la disposition est déjà suffisamment clair. Cependant, lorsque la disposition n’est pas claire, il ne faut pas considérer qu’elle vise à soustraire à la protection du secret professionnel de l’avocat des communications ou des documents qui en bénéficieraient normalement.
[26] À la différence de l’art. 12 de la LPRPDE , qui ne conférait pas explicitement au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’obtenir et d’examiner des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat était revendiqué, la définition du « privilège des communications entre client et avocat » qui figure au par. 232(1) de la LIR est non équivoque. Elle précise ce qui est protégé lorsque le privilège est invoqué à l’encontre d’une ordonnance prononcée selon l’art. 231.7 . Elle emploie les mots « sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque, ne peut être considéré comme une communication » protégée par le privilège des communications entre client et avocat, si bien que le relevé comptable est explicitement soustrait à l’application du privilège pour les besoins de la LIR .
[27] En conséquence, dès le moment où le tribunal décide que le document à l’égard duquel le privilège est invoqué constitue un « relevé comptable d’un avocat », le par. 232(1) écarte clairement la protection habituellement conférée par le secret professionnel de l’avocat, de sorte que le document peut être saisi puis examiné par le Ministre. Nous nous abstenons pour le moment de décider si cette définition du privilège correspond ou non à l’interprétation généreuse de ce droit retenue par les tribunaux depuis la modification du par. 232(1) (qui correspondait alors au par. 126A(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148) en 1965 (Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, S.C. 1965, c. 18, art. 26). Nous reviendrons sur la question distincte de savoir si, en raison de l’évolution de ce droit et de son importance accrue, le législateur peut définir l’objet du privilège de manière générale.
[28] L’historique législatif du par. 232(1) appuie par ailleurs l’interprétation qui reconnaît l’intention du législateur de soustraire le « relevé comptable de l’avocat » à la protection du privilège des communications entre client et avocat. En 1956, le législateur intégrait à la LIR , par l’adjonction du par. 126A(1) (aujourd’hui le par. 232(1) ), une définition générale du « privilège des communications entre client et avocat » (Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1956, c. 39, art. 28). À l’époque, cette définition était essentiellement la même que celle qui figure actuellement au par. 232(1) , mais elle ne comportait pas l’exception relative au relevé comptable :
e) « privilège de client à procureur » désigne le droit, s’il en est, qu’une personne possède, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle‑ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle.
[29] Toutefois, dans la décision In re Income Tax Act, [1963] C.T.C. 1 (« Brown »), rendue en 1962, autorisation de pourvoi refusée, [1965] R.C.S. 84, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique concluait que, dans la mesure où les registres comptables de l’avocat, y compris ceux de ses comptes en fidéicommis, sont susceptibles de renfermer des renseignements privilégiés, le Ministre ne pouvait solliciter du tribunal une ordonnance de communication en vertu de l’al. 126A(5)b) de l’époque (p. 5‑7). Le juge Sullivan signalait d’ailleurs que [traduction] « si le législateur avait voulu permettre aux autorités fiscales d’examiner tous les documents d’un procureur, il lui aurait été facile de le faire expressément » (p. 5).
[30] Peu après, en 1965, le législateur modifiait la définition du « privilège de client à procureur » de manière à prévoir l’exception actuelle visant le relevé comptable. Invité à justifier cet ajout, le ministre des Finances a déclaré que « par suite du jugement par les tribunaux [sic], il était clair que la définition des privilèges de client à procureur laissait à désirer » (Débats de la Chambre des communes, vol. III, 3e sess., 26e lég., 25 juin 1965, p. 2875). Il est donc difficile de voir dans cette modification autre chose que l’intention du législateur de pallier le refus du tribunal, dans Brown, d’ordonner la communication des renseignements privilégiés en cause, et ce, par l’adoption d’une disposition permettant expressément une telle communication.
[31] Il convient d’ajouter que le refus de voir dans le par. 232(1) de la LIR l’intention claire du législateur de soustraire certains documents à la protection du secret professionnel de l’avocat prive de toute utilité la définition du privilège des communications entre client et avocat. La LIR crée un régime d’autodéclaration « [dont le] succès dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable dans la préparation de sa déclaration. Bien qu’il ne fasse pas de doute que la plupart des contribuables respectent le régime et s’y conforment, c’est un fait que certaines personnes tentent d’en tirer profit et d’échapper en partie au fisc » (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, p. 648). L’existence d’un système qui permet au Ministre d’avoir accès aux registres se rapportant aux activités personnelles et commerciales du contribuable est donc essentielle afin que le Ministre puisse s’assurer de la justesse de l’autocotisation (Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, par. 20). Pourtant, comme le souligne le Ministre, soustraire certains de ces documents à l’examen du Ministre peut effectivement permettre à un avocat et à son client d’invoquer le secret professionnel de l’avocat pour dissimuler une déclaration inexacte ou une fraude fiscale. Il ajoute que l’accès aux documents, y compris les noms des clients, est nécessaire dans les faits à la détermination de leur dette envers le contribuable aux fins de perception de l’impôt.
[32] Il nous apparaît donc clair que si, en définissant le « privilège des communications entre client et avocat » comme il le fait au par. 232(1) de la LIR , le législateur n’entend pas soustraire le relevé comptable à la protection de ce privilège, cette définition et l’exception manifeste qu’elle renferme n’ont essentiellement aucune utilité. Un tel résultat irait à l’encontre de la présomption d’absence de tautologie suivant laquelle [traduction] « [l]e législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 211, citant Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, p. 838). Au contraire, chaque mot « joue un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » (Sullivan, p. 211). Puisqu’une loi doit être interprétée dans son contexte global et eu égard à son objet et à son économie générale (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578), il importe à tout le moins de veiller à ce que la qualification de l’intention du législateur qui sous‑tend la définition du privilège des communications entre client et avocat au par. 232(1) soit compatible avec l’objet des pouvoirs de vérification et d’exécution que la LIR confère au Ministre.
[33] Lorsque l’on considère le libellé de la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au par. 232(1) de pair avec son historique législatif, il ne saurait être plus manifeste que l’intention du législateur est de définir ce privilège de façon à soustraire à sa protection les relevés comptables de l’avocat. Même l’interprétation la plus restrictive de cette disposition mène forcément à cette conclusion, puisque la définition du par. 232(1) doit être interprétée de concert avec les autres dispositions de la LIR relatives à la production de documents. À cet égard, signalons que, contrairement à ce que fait valoir l’intervenante l’Association du Barreau canadien, il serait inopportun d’interpréter la définition de façon tellement restrictive qu’il faille conclure qu’elle ne peut s’appliquer qu’aux documents qui, déjà. ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat. Rappelons qu’une telle interprétation ferait abstraction de l’intention du législateur qui sous-tend la définition et la rendrait inutile.
[34] En bref, contrairement à la disposition législative en cause dans l’affaire Blood Tribe, la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) ne se prête qu’à une seule interprétation qui prend en compte l’historique de la disposition et l’objet du régime général dans lequel elle s’insère, à savoir que le Ministre est censé avoir accès aux relevés comptables de l’avocat, y compris ceux qui renferment des renseignements par ailleurs privilégiés.
C. La nature de la réparation
[35] Cela dit, la présente affaire se présente dans des circonstances inhabituelles. Alors que M. Thompson conteste le pouvoir du Ministre d’exiger la communication pour le seul motif que la définition du « privilège des communications entre client et avocat » figurant au par. 232(1) ne satisfait pas aux critères de l’arrêt Blood Tribe, dans le pourvoi connexe, Chambre des notaires, la validité de cette définition est contestée pour des motifs d’ordre constitutionnel. Rappelons que l’intention du législateur de définir le privilège des communications entre client et avocat d’une certaine façon aux fins de l’administration de la LIR et son pouvoir de le faire sur le plan constitutionnel ne coïncident pas nécessairement. L’arrêt Blood Tribe ne permet pas à lui seul de trancher la question de savoir si le législateur peut, au moyen d’un libellé clair et non équivoque, soustraire une catégorie de documents à l’application du privilège dans le cadre d’un régime qui permet leur saisie. En effet, lorsqu’il est question de saisie, l’art. 8 de la Charte entre en jeu. Ainsi, dans l’arrêt Chambre des notaires, nous concluons à l’inconstitutionnalité de la suppression que prévoit le par. 232(1) parce qu’elle fait en sorte que l’État puisse obtenir des renseignements par ailleurs privilégiés beaucoup plus que cela n’est absolument nécessaire pour l’administration de la LIR .
[36] Il importe également de signaler que, dans l’arrêt Chambre des notaires, nous décidons que le régime des demandes péremptoires, dans la mesure où il s’applique aux avocats et aux notaires, contrevient à l’art. 8 de la Charte et que l’atteinte ne peut être justifiée en vertu de l’article premier. Puisque le régime est invalidé dans cette mesure, la demande du Ministre adressée à M. Thompson est désormais sans objet.
[37] Le législateur pourrait modifier les art. 231.2 et 231.7 afin de remédier aux vices constitutionnels du régime des demandes péremptoires. Cependant, même s’il ne le fait pas, il existe d’autres situations où un tribunal pourrait être appelé à décider si certains renseignements bénéficient ou non du secret professionnel de l’avocat et, s’il répondait par la négative, à ordonner leur communication. En conséquence, nous estimons utile d’examiner en l’espèce le caractère convenable de la réparation que la Cour d’appel fédérale a accordée à M. Thompson.
[38] Puisque, dans l’arrêt Chambre des notaires, nous concluons à l’inconstitutionnalité de l’exception que prévoit la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au par. 232(1) de la LIR et sommes d’avis qu’une ordonnance de communication de documents ne saurait viser des renseignements privilégiés, la Cour d’appel fédérale a selon nous eu raison de renvoyer le dossier de M. Thompson à la Cour fédérale pour qu’elle tranche la question de savoir si certains renseignements contenus dans les relevés comptables demandés par l’ARC sont privilégiés et donc soustraits à la communication.
[39] Néanmoins, le secret professionnel de l’avocat est un droit qui appartient au client et auquel seul ce dernier peut renoncer (Lavallee, par. 39; Chambre des notaires, par. 45). Dans Lavallee, par. 40, et Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, par. 48-49, notre Cour indique que l’avocat n’est pas l’alter ego de son client, de sorte que c’est au client, et non à l’avocat, qu’il faut permettre de faire valoir le privilège à l’égard des renseignements sollicités par l’État. Le tribunal doit faciliter la démarche du client en ce sens.
[40] L’ordonnance de la Cour d’appel fédérale n’aurait donc pas protégé les droits des clients de M. Thompson. Pour qu’ils aient véritablement la possibilité d’invoquer le droit au secret professionnel de l’avocat, les clients doivent être informés de l’intention du tribunal d’ordonner la communication de renseignements qui pourraient être privilégiés. Ils doivent également pouvoir décider de contester ou non la demande d’une ordonnance de communication des renseignements sollicités par l’État et, s’ils le font, ils doivent se voir accorder la possibilité de défendre eux-mêmes leur point de vue. En conséquence, si le législateur choisit de modifier le régime actuel de communication de la LIR pour remédier à ses carences constitutionnelles, le tribunal saisi d’une demande d’accès à des renseignements tenus pour privilégiés devra veiller à ce que les clients auxquels se rapportent les renseignements puissent participer au processus de revendication de la protection à laquelle ils ont droit.
VI. Conclusion
[41] En raison de la conclusion d’inconstitutionnalité à laquelle nous arrivons dans l’arrêt Chambre des notaires concernant l’exception que prévoit la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au par. 232(1) de la LIR , la demande du Ministre pour contraindre M. Thompson à communiquer les documents en cause doit être rejetée. Les renseignements contenus dans ces documents sont présumés privilégiés et ne peuvent être communiqués que si un tribunal décide au préalable que le privilège des communications entre client et avocat ne s’applique pas. Puisque, dans Chambre des notaires, nous concluons à l’inconstitutionnalité du régime des demandes péremptoires de la LIR dans la mesure où il s’applique à un avocat comme M. Thompson, il est inutile de renvoyer le dossier à la Cour fédérale.
[42] Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, mais seulement pour infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale, et de rejeter la demande du Ministre. Vu ce résultat, M. Thompson a droit aux dépens dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intimé : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Torys, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association : Stockwoods, Toronto.
[*] Le juge Rothstein n’a pas participé au jugement.
[†] Le juge Rothstein n’a pas participé au jugement.