COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Caplin c. Canada (Justice), 2015 CSC 32
Date : 20150529
Dossier : 35527
Entre :
David Caplin
Appelant
et
Ministre de la justice du Canada
Intimé
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté
Motifs de jugement :
(par. 1 à 4)
La Cour
Appel entendu et jugement rendu : Le 23 avril 2015
Motifs déposés : Le 29 mai 2015
Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .
caplin c. canada (justice)
David Caplin Appelant
c.
Ministre de la justice du Canada Intimé
Répertorié : Caplin c. Canada (J ustice)
2015 CSC 32
N o du greffe : 35527.
Audition et jugement : 23 avril 2015.
Motifs déposés : 29 mai 2015.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.
en appel de la cour d'appel du québec
Extradition — Arrêté d'extradition — Contrôle judiciaire — Extradition de l'accusé vers les États‑Unis ordonnée par le ministre de la Justice par suite d'accusations de meurtres — La décision du ministre était‑elle raisonnable?
Le ministre de la Justice a ordonné l'extradition de C et d'un coaccusé, B, vers les États-Unis, où ils étaient accusés de meurtres aux premier et deuxième degrés. C a fait l'objet de ces accusations en 1990, mais il n'a jamais subi de procès. En 2010, les autorités de l'État du New Hampshire ont rouvert l'enquête sur les crimes allégués puis, en 2011, des éléments de preuve recueillis sur la scène de crime ont été soumis à une analyse génétique à l'aide de techniques qui n'existaient pas lors de l'enquête initiale. Le profil génétique alors établi a permis d'identifier C. Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour d'appel du Québec a conclu qu'aucun motif ne la justifiait de revenir sur la décision du ministre d'ordonner l'extradition de C vers les États-Unis.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La Cour d'appel n'a pas eu tort de conclure que le ministre de la Justice pouvait raisonnablement ordonner l'extradition. Le ministre devait essentiellement se demander si le « traitement donné » qui attendait C s'il était extradé au New Hampshire contrevenait aux principes canadiens de justice fondamentale. Il a examiné toutes les circonstances pertinentes, dont l'importance de la collaboration internationale en matière d'extradition. Au vu de toutes ces considérations, il pouvait raisonnablement conclure qu'il n'était ni contraire aux principes canadiens de justice fondamentale, ni par ailleurs injuste ou tyrannique de laisser aux tribunaux du New Hampshire le soin de décider de tenir ou non un procès.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Canada (Procureur général) c. Barnaby , 2015 CSC 31; États‑Unis c. Burns , 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283; Argentine c. Mellino , [1987] 1 R.C.S. 536.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 .
Loi sur l'extradition , L.C. 1999, c. 18 , art. 44(1) .
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et les juges Levesque et Savard), 2013 QCCA 1305, [2013] AZ‑50991418, [2013] Q.J. No. 8752 (QL), 2013 CarswellQue 7615 (WL Can.), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant l'arrêté d'extradition pris par le ministre de la Justice. Pourvoi rejeté.
Véronique Courtecuisse et Patrick Cozannet , pour l'appelant.
Marc Ribeiro et Ginette Gobeil , pour l'intimé.
Version française du jugement rendu par
La Cour —
[1] Pour convaincre le ministre de refuser son extradition, M. Caplin doit démontrer que la mesure « choquerait la conscience » et contreviendrait ainsi à l' art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés , ou qu'elle serait « injuste ou tyrannique » au sens du par. 44(1) de la Loi sur l'extradition , L.C. 1999, c. 18 . À notre avis, la Cour d'appel n'a pas eu tort de conclure que le ministre pouvait raisonnablement ordonner l'extradition (2013 QCCA 1305). Comme nous l'expliquons dans le pourvoi connexe Canada (Procureur général) c. Barnaby , 2015 CSC 31, le ministre devait essentiellement se demander si le « traitement donné » qui attendait M. Caplin s'il était extradé au New Hampshire contrevenait aux principes canadiens de justice fondamentale ( États‑Unis c. Burns , 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, par. 69). Il appert des documents soumis que les tribunaux du New Hampshire détermineront si, eu égard à l'ensemble des circonstances, la tenue d'un procès est juste et équitable conformément à des principes qui sont foncièrement équivalents à ceux que les tribunaux canadiens appliqueraient si l'affaire avait pris naissance au Canada. Cette démarche n'est pas contraire, mais bien conforme, à la justice fondamentale telle que nous la concevons.
[2] Selon M. Caplin, il n'existe aucune preuve nouvelle. Il allègue certaines faiblesses de la preuve génétique et soutient que, dans les faits, la preuve testimoniale n'est pas nouvelle. Il ajoute que, de toute façon, la valeur probante de la preuve « nouvelle » est limitée en ce qu'elle n'établit pas sa culpabilité de manière concluante. De plus, le temps écoulé depuis la perpétration des crimes lui infligerait un préjudice qui justifie le refus de son extradition.
[3] Ces arguments ne nous convainquent pas. À notre avis, le ministre pouvait raisonnablement conclure que permettre aux tribunaux du New Hampshire de se prononcer sur ces points — au lieu de les en empêcher en refusant l'extradition — ne choquerait pas la conscience et ne serait pas par ailleurs injuste ou tyrannique. Il appartient généralement au tribunal étranger de statuer sur l'application régulière de la loi, y compris les prétentions relatives au temps écoulé. Comme l'a affirmé la Cour dans l'arrêt Argentine c. Mellino , [1987] 1 R.C.S. 536, à la p. 558 :
En règle générale, les questions touchant le caractère équitable des procédures [ou l'application régulière de la loi] doivent y être tranchées par les tribunaux à l'étape du procès, de la même manière qu'elles le seraient si le procès avait lieu ici. Toute tentative de préjuger de telles questions, que ce soit par suite d'un retard ou pour d'autres raisons, entrerait directement en conflit avec les principes de courtoisie qui sont à la base de l'extradition . . .
[4] Le ministre a examiné toutes les circonstances pertinentes, dont l'importance de la collaboration internationale en matière d'extradition. Au vu de toutes ces considérations, il pouvait raisonnablement conclure qu'il ne serait ni contraire aux principes canadiens de justice fondamentale, ni par ailleurs injuste ou tyrannique de laisser aux tribunaux du New Hampshire le soin de décider de tenir ou non un procès. Nous sommes donc d'avis de confirmer la décision de la Cour d'appel qui maintient l'arrêté d'extradition. Le pourvoi est rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant : Véronique Courtecuisse, Montréal; Patrick Cozannet, Longueuil.
Procureur de l'intimé : Procureur général du Canada, Montréal.