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29/05/2015 | CANADA | N°2015_CSC_31

Canada | Canada (Procureur général) c. Barnaby


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Barnaby, 2015 CSC 31
Date : 20150529
Dossier : 35548

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Anthony Barnaby
Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 12)

La Cour
Appel entendu et jugement rendu : Le 23 avril 2015

Motifs déposés : Le 29 mai 2015

N

ote : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour su...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Canada (Procureur général) c. Barnaby, 2015 CSC 31
Date : 20150529
Dossier : 35548

Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Anthony Barnaby
Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 12)

La Cour
Appel entendu et jugement rendu : Le 23 avril 2015

Motifs déposés : Le 29 mai 2015

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



canada (procureur général) c. barnaby
Procureur général du Canada Appelant
c.
Anthony Barnaby Intimé
Répertorié : Canada ( Procureur général) c. Barnaby
2015 CSC 31
N o du greffe : 35548.
Audition et jugement : 23 avril 2015.
Motifs déposés : 29 mai 2015.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.
en appel de la cour d'appel du québec
Extradition — Arrêté d'extradition — Contrôle judiciaire — Extradition de l'accusé vers les États‑Unis ordonnée par le ministre de la Justice par suite d'accusations de meurtres — La décision du ministre était‑elle raisonnable? — Extrader l'accusé de manière à l'exposer à la possibilité d'un quatrième procès contrevient‑il aux principes de justice fondamentale?
Le ministre de la Justice a ordonné l'extradition de B et d'un coaccusé, C, vers les États‑Unis, où ils étaient accusés de meurtres aux premier et deuxième degrés. B a fait l'objet de trois procès pour ces accusations, en 1989 et en 1990. Chaque fois, le jury s'est retrouvé dans l'impasse. En 2010, les autorités de l'État du New Hampshire ont rouvert l'enquête sur les crimes allégués et, en 2011, des éléments de preuve recueillis sur la scène de crime ont été soumis à une analyse génétique à l'aide de techniques qui n'existaient pas lors de l'enquête initiale. Le profil génétique alors établi a permis d'identifier C, mais pas de relier directement B aux crimes. Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour d'appel du Québec a conclu qu'il n'y avait pas de preuve nouvelle contre B et qu'un quatrième procès serait contraire à la protection accordée par la Charte canadienne des droits et libertés . La décision du ministre de la Justice d'ordonner l'extradition de B n'était donc pas raisonnable dans les circonstances. La demande de contrôle judiciaire de B a été accueillie, et l'arrêté d'extradition a été annulé.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli, et la décision du ministre de la Justice est rétablie.
La décision du ministre de la Justice d'extrader B était raisonnable, et la Cour d'appel a eu tort de conclure le contraire. La Cour d'appel devait se demander si extrader B de manière à l'exposer à la possibilité d'un quatrième procès contrevenait aux principes de justice fondamentale garantis par l' art. 7 de la Charte , de sorte que la mesure « choqu[e] la conscience » ou soit par ailleurs « injuste ou tyrannique » au sens du par. 44(1) de la Loi sur l'extradition . La possibilité d'un quatrième procès si longtemps après la perpétration du crime allégué ne porte pas suffisamment atteinte à notre conception de la justice fondamentale pour que la balance penche contre l'extradition. Les tribunaux canadiens ont statué qu'un quatrième procès pouvait être envisagé dans certains cas, et les tribunaux américains ont grosso modo opiné dans le même sens. B pourra faire valoir tous ses arguments relatifs au caractère inéquitable d'un quatrième procès et ses motifs d'opposition à la preuve dite nouvelle devant le tribunal du New Hampshire. On ne peut raisonnablement considérer que le traitement donné qui attend B au New Hampshire heurte notre conception de la justice fondamentale au point de justifier le refus de l'extradition. Qui plus est, un refus d'extradition est foncièrement incompatible avec les principes de la collaboration internationale qui constituent le fondement d'un traité d'extradition. Le Canada est censé s'en remettre au tribunal étranger pour ce qui touche à l'application régulière de la loi. L'intervention judiciaire n'est pas justifiée en l'espèce.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : États‑Unis c. Burns , 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283; Lake c. Canada (Ministre de la Justice) , 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761; R. c. Badgerow , 2014 ONCA 272, 119 O.R. (3d) 399, autorisation d'appel refusée, [2014] 3 R.C.S. v; R. c. Anderson (2002), 57 O.R. (3d) 681; Caplin c. Canada (Justice) , 2015 CSC 32; Germany (Federal Republic) c. Schreiber (2006), 206 C.C.C. (3d) 339, autorisation d'appel refusée, [2007] 1 R.C.S. xiv; Canada (Justice) c. Fischbacher , 2009 CSC 46, [2009] 3 R.C.S. 170; R. c. Babos , 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 .
Constitution des États‑Unis d'Amérique.
Loi sur l'extradition , L.C. 1999, c. 18 , art. 44(1) .
New Hampshire Constitution, Part 1, Article 14.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et les juges Levesque et Savard), 2013 QCCA 1305, [2013] AZ‑50991418, [2013] Q.J. No. 8752 (QL), 2013 CarswellQue 7615 (WL Can.), qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire visant l'arrêté d'extradition pris par le ministre de la Justice. Pourvoi accueilli.
Marc Ribeiro et Ginette Gobeil , pour l'appelant.
Clemente Monterosso et Marie‑Philippe Tanguay , pour l'intimé.


Version française du jugement rendu par

La Cour —
[1] La décision du ministre de la Justice d'extrader M. Barnaby était raisonnable. À notre avis, la Cour d'appel a eu tort de conclure le contraire.
[2] Premièrement, la Cour d'appel n'applique pas le bon critère juridique. Elle était appelée à déterminer si la décision du ministre d'extrader M. Barnaby était raisonnable. Dans son analyse, elle affirme que [ traduction ] « la seule question à trancher est celle de savoir si un quatrième procès constituerait un abus de procédure dans son cas » (2013 QCCA 1305, par. 9 (CanLII)). Or, la question n'était pas de savoir si le fait de soumettre M. Barnaby à un quatrième procès constituerait ou non un abus de procédure, que ce soit au Canada ou aux États‑Unis. Il fallait plutôt se demander si extrader M. Barnaby de manière à l'exposer à la possibilité d'un quatrième procès contreviendrait aux principes de justice fondamentale garantis par l' art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés , de sorte que la mesure « choquerait la conscience » ou serait par ailleurs « injuste ou tyrannique » au sens du par. 44(1) de la Loi sur l'extradition , L.C. 1999, c. 18 . Suivant une juste analyse, le ministre doit se livrer à une mise en balance qui reconnaît que les principes de justice fondamentale militent généralement en faveur de l'extradition ( États‑Unis c. Burns , 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, par. 69; Lake c. Canada (Ministre de la Justice) , 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, par. 32). Ce n'est que lorsqu'un « traitement donné » dans l'État requérant — en l'espèce, la possibilité d'un quatrième procès si longtemps après la perpétration du crime allégué — porte suffisamment atteinte à notre conception de la justice fondamentale que la mise en balance sera défavorable à l'extradition ( Burns , par. 69).
[3] Pour déterminer si la conclusion du ministre était raisonnable, la Cour d'appel devait revoir son appréciation des divers éléments en cause, ce qu'elle n'a pas fait. Pour conclure au caractère déraisonnable de l'arrêté d'extradition, elle omet de considérer les éléments clés qui militent en faveur du caractère raisonnable de l'arrêté. Un critère important consiste à déterminer si soumettre l'accusé à un quatrième procès dans des circonstances comparables au Canada contreviendrait ou non aux principes de justice fondamentale. De toute évidence, il n'existe pas de règle per se en ce sens. Les parties invoquent des précédents canadiens suivant lesquels un quatrième procès peut être envisagé dans certains cas (voir p. ex. R. c. Badgerow , 2014 ONCA 272, 119 O.R. (3d) 399, autorisation d'appel refusée, [2014] 3 R.C.S. v; R. c. Anderson (2002), 57 O.R. (3d) 681 (C.A.)). Dès lors, on ne peut manifestement pas considérer que la tenue d'un quatrième procès emporte nécessairement la violation de l' art. 7 . Il faut apprécier l'ensemble des circonstances.
[4] Selon les éléments dont nous disposons, la démarche des tribunaux américains est grosso modo la même que celle des tribunaux canadiens. Le dossier révèle en effet que, selon les autorités américaines, M. Barnaby pourra faire valoir au New Hampshire tous ses arguments relatifs au caractère inéquitable d'un quatrième procès; ses droits à l'application régulière de la loi y seront protégés par l'art. 14 de la partie 1 de la constitution de l'État, ainsi que par la Constitution des États‑Unis. Le tribunal du New Hampshire disposera de toute la preuve et pourra entendre tous les témoins; il sera donc mieux placé pour déterminer s'il est abusif ou non de tenir un quatrième procès.
[5] Pour paraphraser l'arrêt Burns , on ne peut raisonnablement considérer que le « traitement donné » qui attend M. Barnaby au New Hampshire heurte notre conception de la justice fondamentale au point de justifier le refus de l'extradition. En fait, il appert que les tribunaux du New Hampshire appliqueront grosso modo les même principes que ceux qu'appliqueraient les tribunaux canadiens pour décider si la tenue d'un quatrième procès est juste et équitable eu égard à l'ensemble des circonstances.
[6] La Cour d'appel ne tient pas compte non plus du principe de la courtoisie et des obligations internationales du Canada. Un refus d'extradition est foncièrement incompatible avec les principes de la collaboration internationale qui constituent le fondement d'un traité d'extradition. Le ministre devait accorder de l'importance à ces principes, et la Cour d'appel a eu tort de ne pas le reconnaître.
[7] Pour ce qui est des circonstances propres à l'espèce, la Cour d'appel a également tort de conclure à l'absence d'une [ traduction ] « véritable preuve nouvelle » contre M. Barnaby (par. 13). Les autorités étrangères attestent l'existence d'une telle preuve. Le ministre souligne que M. Barnaby n'a pas donné les motifs pour lesquels, selon lui, la preuve invoquée n'est pas nouvelle. Il est clair, au vu du dossier, que certains témoignages se rapportent à des faits et à des conversations qui n'ont eu lieu que ces dernières années. En outre, la preuve génétique nouvelle, si elle était admise, incriminerait M. Caplin directement (voir Caplin c. Canada (Justice) , 2015 CSC 32) et M. Barnaby, par ricochet. On peut voir dans cette preuve la confirmation des déclarations antérieures de M. Barnaby selon lesquelles les deux hommes ont commis les meurtres ensemble. Comme M. Barnaby n'a pas précisé en quoi cette preuve n'était pas nouvelle à son avis, le ministre pouvait, pour les besoins de son analyse, ajouter foi aux dires des autorités américaines selon lesquels il s'agissait d'une preuve nouvelle.
[8] Il appartient au juge d'extradition — non au ministre ou au tribunal appelé à contrôler la décision du ministre — de déterminer si suffisamment d'éléments de preuve justifient l'incarcération de l'intéressé en vue de son extradition. Une fois ce dernier incarcéré, [ traduction ] « l'appréciation de la preuve ou de sa fiabilité relève du tribunal étranger. Le ministre n'a pas à se prononcer sur [ce point] lorsqu'il est appelé à décider s'il y a lieu d'extrader [la personne] ou non » ( Germany (Federal Republic) c. Schreiber (2006), 206 C.C.C. (3d) 339 (C.A. Ont.), par. 64, autorisation d'appel refusée, [2007] 1 R.C.S. xiv). Comme l'explique la Cour dans l'arrêt Canada (Justice) c. Fischbacher , 2009 CSC 46, [2009] 3 R.C.S. 170, par. 52 :
. . . ce n'est pas aux autorités canadiennes, judiciaires ou exécutives, d'évaluer la décision d'un État étranger de poursuivre un intéressé pour une infraction précise, ni d'évaluer la suffisance de la preuve présentée à l'audience relative à l'incarcération par rapport aux éléments de l'infraction punissable à l'étranger. Cela irait à l'encontre du principe sous-jacent de la courtoisie et risquerait d'ébranler les fondements de la pratique efficace en matière d'extradition.
[9] Rappelons que, à l'instar d'un accusé dont on demanderait qu'il subisse un nouveau procès dans des circonstances semblables au Canada, M. Barnaby pourra faire valoir ses motifs d'opposition à la preuve devant le tribunal du New Hampshire. Informé de tous les faits, le tribunal du New Hampshire est mieux placé pour apprécier ces arguments et soupeser les considérations pertinentes à la lumière de toutes les circonstances. Cette procédure est compatible avec notre conception de la justice et ne la met pas à mal.
[10] Avant de statuer sur le pourvoi, examinons la prétention de M. Barnaby selon laquelle le ministre n'applique pas le bon critère pour déterminer s'il y a abus de procédure ou non. Le ministre affirme que la mauvaise foi ou le motif illégitime des autorités étrangères doit être établi pour pouvoir conclure à l'abus de procédure. Nous convenons avec M. Barnaby qu'il s'agit d'un énoncé erroné du droit applicable. Comme le dit la Cour dans l'arrêt R. c. Babos , 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, l'abus de procédure s'entend également de la conduite qui, même lorsqu'elle n'est pas empreinte de mauvaise foi, risque néanmoins de miner l'intégrité du système de justice.
[11] Malgré cette erreur, nous concluons que la formulation erronée du critère juridique permettant de conclure ou non à l'abus de procédure ne rend pas la décision du ministre déraisonnable. Ce dernier devait déterminer si l'extradition de M. Barnaby choquerait la conscience des Canadiens ou serait par ailleurs injuste ou tyrannique. Étant donné les nombreux éléments que le ministre doit mettre en balance lorsqu'il est saisi d'une demande d'extradition, on ne peut d'emblée faire équivaloir la doctrine canadienne de l'abus de procédure au critère du « choc de la conscience ». Que le Canada voie ou non dans les circonstances de l'espèce un abus de procédure n'est donc pas déterminant quant à la question que le ministre devait trancher. Au vu de l'ensemble de ses motifs, le ministre a manifestement pris en considération tous les éléments pertinents.
[12] La décision du ministre était raisonnable. Il ne peut y avoir intervention judiciaire que dans « les cas exceptionnels où cela “s'impose réellement” » ( Lake , par. 34). Sauf en pareils cas, le Canada est censé s'en remettre au tribunal étranger pour ce qui touche à l'application régulière de la loi. À notre avis, l'intervention judiciaire n'est pas justifiée en l'espèce. Nous sommes donc d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'arrêté d'extradition du ministre.



Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelant : Procureur général du Canada, Montréal.
Procureurs de l'intimé : Clemente Monterosso, Montréal; Marie‑Philippe Tanguay, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 31 ?
Date de la décision : 29/05/2015
Proposition de citation de la décision: Canada (Procureur général) c. Barnaby


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-05-29;2015.csc.31 ?

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