COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Calgary (Ville) c. Canada, 2012 CSC 20
Date : 20120426
Dossier : 33804
Entre :
Ville de Calgary
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement :
(par. 1 à 67):
Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
calgary (ville) c. canada
Ville de Calgary Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : Calgary (Ville) c. Canada
No du greffe : 33804.
2011 : 15 novembre; 2012 : 26 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (le juge en chef Blais et les juges Sharlow et Pelletier), 2010 CAF 127, 403 N.R. 41, 74 M.P.L.R. (4th) 93, [2010] G.S.T.C. 78, 2010 G.T.C. 1043, [2010] A.C.F. no 700 (QL), 2010 CarswellNat 3090, qui a infirmé une décision du juge en chef adjoint Rossiter, 2009 CCI 272, [2009] G.S.T.C. 85, 2009 G.T.C. 969, [2009] A.C.I. no 195 (QL), 2009 CarswellNat 1309. Pourvoi rejeté.
Ken S. Skingle, c.r., et D. Blair Nixon, c.r., pour l’appelante.
Gordon Bourgard et Michael Lema, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Rothstein —
I. Introduction
[1] La ville de Calgary a acquis et construit des infrastructures, des installations et du matériel de transport (les « installations ») devant être intégrés au réseau municipal de transport mis à la disposition de ses résidants, conformément à la City Transportation Act, R.S.A. 2000, ch. C‑14 (« CTA »). Sous le régime de la CTA, la province d’Alberta pouvait prendre à sa charge une partie du coût du réseau de transport et, à cette fin, elle a conclu avec la ville des accords de financement.
[2] La ville a acquitté la taxe sur les produits et services (« TPS ») exigible sur les achats faits dans le cadre de l’acquisition et de la construction des installations de transport. La fourniture d’un « service municipal de transport » est une fourniture exonérée suivant la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (« LTA »). Aucun crédit de taxe sur les intrants (« CTI ») ne peut être accordé pour un achat effectué aux fins d’une fourniture exonérée. La ville prétend toutefois que la construction des installations de transport (par opposition à leur exploitation) constitue une fourniture distincte et non exonérée à la province effectuée conformément aux obligations contractées vis‑à‑vis de celle‑ci dans les accords de financement, une fourniture pour laquelle il y a eu contrepartie. La ville a donc réclamé un CTI pour les achats liés à la construction des installations de transport. Le ministre du Revenu national a rejeté la prétention de la ville. La Cour canadienne de l’impôt a donné raison à la ville et a accueilli son appel. Elle a renvoyé l’affaire au ministre afin qu’il établisse une nouvelle cotisation. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du ministre.
[3] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Il n’y a eu qu’une seule fourniture : celle, exonérée, d’un réseau municipal de transport à la collectivité. Le fait que la ville s’est acquittée de ses obligations d’ordre comptable conformément aux accords de financement conclus avec la province ne saurait être assimilé à une fourniture distincte à cette dernière. L’acquisition et la construction des installations de transport constituaient un intrant dans la fourniture — la seule — du service municipal de transport aux résidants de Calgary. Conformément à la LTA, la ville avait demandé et obtenu le remboursement partiel de la TPS payée sur les installations dans le cadre de la fourniture du service municipal de transport. Elle n’avait pas droit à un CTI pour la TPS payée sur ces installations. Par conséquent, elle ne peut recouvrer la TPS versée en sus du remboursement obtenu.
II. Faits
[4] Le juge de la Cour de l’impôt expose les faits minutieusement et fidèlement, selon la preuve offerte, et le résumé qui suit reprend pour l’essentiel ses constatations. Personne morale constituée sous le régime de la Municipal Government Act, R.S.A. 2000, ch. M‑26, modifiée (« MGA »), l’appelante est une [traduction] « ville » pour l’application de cette loi. La MGA impose à la ville des obligations — les siennes et celles d’autres lois, dont la CTA, qui dispose que la ville prépare un rapport d’étude détaillé sur la mise en place d’un réseau de transport en commun puis, par voie de règlement, établit un tel réseau.
[5] Suivant l’al. 1i) de la CTA, « réseau de transport » s’entend d’un réseau d’installations de transport, y compris les rues, les routes, les voies de transport rapide et les installations de transport en tous genres assujetties à cette loi, au sol, au dessus du sol ou sous le sol. L’alinéa 1g) de la CTA définit « installation de transport » comme tout élément nécessaire au transport efficace de passagers ou de marchandises selon un mode particulier. La LTA précise que « service municipal de transport » s’entend d’un service public de transport de passagers fourni par une commission de transport. La définition de « réseau de transport » que renferme la CTA est plus large que celle de « service municipal de transport » prévue dans la LTA, puisque la première englobe les routes, lesquelles ne sont cependant pas en cause en l’espèce. Dans les présents motifs, « service municipal de transport » s’entend du service public de transport de passagers de Calgary.
[6] Sous le régime de la CTA, chaque ville, y compris Calgary, supporte le coût d’établissement et d’entretien des installations de transport qui relèvent d’elle. La ville peut cependant bénéficier d’une aide financière de la province si elle se conforme à la CTA. La ville a conclu avec la province des accords prévoyant le financement de projets admissibles en matière de transport. Suivant ces accords, les fonds ne devaient être affectés qu’aux dépenses liées à la construction ou à l’acquisition d’installations de transport dans le cadre de projets expressément approuvés par la province. Au nombre des projets ainsi approuvés mentionnons l’expansion du réseau de train léger sur rail (« TLR »), l’acquisition d’autobus, de véhicules TLR et de systèmes de communication TLR. La CTA prévoit que, sauf disposition contraire d’un accord ou d’une loi, la ville est propriétaire des installations de transport qui composent le réseau de transport. En l’espèce, il n’existe aucune disposition d’un accord ou d’une loi à l’effet contraire.
[7] Les accords de financement intervenus entre la ville et la province visaient à la fois la construction des routes et les installations de transport public. Le présent pourvoi ne porte que sur les installations de transport étant donné qu’aucune question d’exonération de fourniture n’est soulevée relativement à la construction des routes. La ville et la province ont conclu quatre accords : l’accord de base de subvention d’investissement (« BSI »); l’accord de subvention d’investissement en matière de transport (« SIT »); l’accord sur le fonds de transport municipal (« FTM »); enfin, l’accord de subvention des raccordements des routes principales. Ce quatrième accord ne porte que sur la construction de routes. Ce sont les trois autres (collectivement, les « accords ») qui nous intéressent en l’espèce.
[8] Avant mars 2000, la province a versé des fonds à la ville en application des accords BSI et SIT, lesquels prévoyaient le financement de projets admissibles en matière de transport, sauf resserrement du budget de la province. Les accords BSI et SIT établissaient un processus de demande permettant de déterminer si un projet de la ville satisfaisait aux critères d’admissibilité au financement. La ville a présenté une demande de financement conformément à la procédure prévue et elle a transmis à la province des données financières et techniques détaillées sur ses projets. Une fois sa demande approuvée, la ville a accepté le financement de la province prévu dans les accords BSI et SIT et convenu de certaines conditions supplémentaires : la tenue d’une comptabilité distincte à l’égard des fonds, le respect de certaines obligations quant à l’affectation des fonds, le respect des délais et des restrictions applicables à l’utilisation des fonds, la soumission aux vérifications et aux enquêtes de la province et, dans l’exécution des travaux, l’observation des normes établies par les lois et l’industrie, ainsi que des normes de la CTA. La ville s’est acquittée de toutes ses obligations suivant les accords BSI et SIT.
[9] En mars 2000, la ville et la province ont conclu le troisième accord, l’accord FTM. Le financement qui y était prévu était assujetti à des conditions semblables à celles des accords BSI et SIT. Mais contrairement à ceux‑ci, l’accord FTM prévoyait un financement qui ne dépendait pas du budget annuel de la province, mais qui était fondé sur une taxe de 0,05$ le litre prélevée sur la livraison d’essence et de diesel dans la ville de Calgary pendant une période donnée. L’accord FTM élargissait également la portée des projets admissibles en matière de transport de manière à englober les ouvrages antibruit, l’aménagement paysager, l’amélioration de la sécurité, ainsi que les systèmes d’établissement d’horaires et de communication pour le TLR. L’accord FTM différait des accords BSI et SIT à plusieurs autres égards qui n’importent pas aux fins du présent pourvoi. La ville a respecté les conditions de l’accord FTM et elle s’est acquittée de ses obligations envers la province.
[10] Dans la mise en place des installations de transport visées par les trois accords, la ville a engagé des dépenses liées à leur acquisition et à leur construction, y compris l’expansion du réseau TLR, la remise à neuf du matériel, la remise en état des véhicules TLR et l’acquisition de systèmes de communication, de systèmes de signalisation, d’autobus, de navettes et de véhicules TLR. La ville était propriétaire de toutes les installations modernisées ou acquises dans le cadre de la réalisation des projets en matière de transport.
[11] La ville a acquitté la TPS sur les dépenses engagées pour la construction et l’acquisition des installations de transport. Jusqu’en 2003, elle a demandé et obtenu, à titre d’organisme de services publics au sens de l’art. 259 de la LTA, le remboursement de 57,14 % de la TPS payée. En janvier 2003, elle a produit pour la période se terminant le 31 décembre 2002 une déclaration de TPS dans laquelle elle demandait un CTI de 6 351 967 $, soit la différence entre la TPS payée sur les installations de transport et le remboursement obtenu précédemment. Dans une nouvelle cotisation, le ministre a refusé le CTI. La ville a fait opposition, puis elle a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt.
III. Historique judiciaire
A. Cour canadienne de l’impôt (le juge en chef adjoint Rossiter), 2009 CCI 272, [2009] G.S.T.C. 85
[12] Le juge en chef adjoint Rossiter de la Cour canadienne de l’impôt conclut au respect des trois conditions ouvrant droit au CTI : (1) la ville est un inscrit, (2) elle a payé la TPS lors de l’acquisition de biens et de services et (3) elle a acquis des biens et des services dans le cadre d’une « activité commerciale » au sens de la LTA. De ces trois conditions, seule l’observation de la troisième était alors contestée.
[13] Le juge en chef adjoint Rossiter estime que la définition d’« activité commerciale » figurant dans la LTA est suffisamment générale pour englober l’exécution par la ville de ses obligations envers la province suivant les accords. La définition exclut la réalisation d’une fourniture exonérée. Le juge se demande si la construction des installations de transport constitue une fourniture exonérée, ce qui dépend de l’identité de l’acquéreur de la fourniture — la province ou la population? Si la province est l’acquéreur, la fourniture des installations de transport n’est pas exonérée, et la ville a droit à un CTI pour ses dépenses au titre de la TPS.
[14] Le juge en chef adjoint Rossiter statue que suivant le libellé des accords, le financement est une obligation juridique de la province et qu’il est directement lié à l’obligation de la ville de fournir à la province les installations de transport. Selon lui, la province a obtenu de la ville le service qui consiste à mettre les installations de transport à la disposition de ses citoyens, conformément aux conditions des accords.
B. Cour d’appel fédérale (le juge en chef Blais et les juges Sharlow et Pelletier) (2010 CAF 127, 403 N.R. 41)
[15] Au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Pelletier statue que la Cour de l’impôt a eu tort de conclure que les accords exigeaient de la ville qu’elle fournisse à la province un réseau municipal de transport pour desservir la population de Calgary. Il estime que la ville a l’obligation légale d’établir et d’entretenir le réseau de transport en commun décrit dans le rapport d’étude détaillé en matière de transport et mis en œuvre par son règlement, selon le projet approuvé par la province. Par contre, la Loi confère à la province le pouvoir de fournir à la ville une aide financière, mais elle ne l’y oblige pas. Les accords n’imposent pas à la ville l’obligation de fournir à la province un réseau de transport, mais prévoient seulement un mécanisme pour l’administration de l’aide financière et la gestion comptable des fonds publics. L’appel du ministre est accueilli.
IV. Analyse
[16] Dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445, la Cour explique bien la mécanique fondamentale de la TPS. S’agissant d’une taxe à la consommation, la LTA vise trois catégories de biens et de services : (1) les fournitures taxables, (2) les fournitures exonérées et (3) les fournitures détaxées. Une taxe sur les produits et services de 5 % frappe actuellement la vente de toute fourniture taxable (elle était alors de 7 %). L’acheteur d’une fourniture taxable qui utilise le bien ou le service pour produire une autre fourniture taxable, c’est‑à‑dire dans l’exercice d’une activité commerciale, a droit à un CTI et peut obtenir de l’État le remboursement de la taxe payée. Il en est ainsi pour empêcher les prélèvements successifs de TPS et permettre que l’obligation d’acquitter la TPS passe au consommateur final. En ce qui concerne les deux autres catégories de biens et de services, les fournitures exonérées et les fournitures détaxées, le consommateur final ne paie pas de TPS. Le vendeur de fournitures exonérées, bien qu’il paie la TPS sur ses achats, n’a pas droit au CTI, de sorte que la TPS est prélevée par l’État fédéral à l’avant‑dernière étape de la chaîne de production, et non auprès du consommateur final.
[17] Les gouvernements provinciaux ne sont pas tenus de payer la TPS sur leurs achats. Cependant, un certain nombre d’organismes subordonnés qu’ils ont créés, telles les municipalités, y sont tenus. Ces organismes ont droit au CTI lorsque leurs achats servent à produire des fournitures taxables et ils sont admissibles à titre d’organismes de services publics au remboursement de la TPS payée sur d’autres achats. Au moment considéré, les municipalités avaient droit à un remboursement de 57,14 % : Règlement sur les remboursements aux organismes de services publics (TPS/TVH), DORS/91-37, al. 5e). (Après 2004, le pourcentage du remboursement à un organisme municipal de services publics est passé à 100 % : L.C. 2004, ch. 22, par. 39(1), mod. le par. 259(1) de la LTA.) En l’espèce, la ville, qui y avait droit, a obtenu, à titre d’organisme de services publics, le remboursement de la TPS payée dans le cadre de la construction des installations de transport, conformément à l’art. 259 de la LTA.
[18] Les conditions d’obtention du CTI sont énoncées au par. 169(1) de la LTA, dont voici l’extrait pertinent :
169. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :
A × B
où :
A représente la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable;
B représente
. . .
c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l’a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.
[19] Pour les besoins du pourvoi, rappelons les conditions d’obtention du CTI : (1) le demandeur est un inscrit, (2) il a acquis les biens ou les services pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre d’une activité commerciale et (3) il a payé — ou il y est légalement tenu — la TPS (ou la TVH dans les provinces où s’applique une taxe de vente provinciale et fédérale harmonisée) lors de l’acquisition des biens ou des services. Nul ne conteste que la ville est un inscrit et qu’elle a payé la TPS (en Alberta, il n’y a pas de taxe de vente provinciale) sur les biens et les services dont elle a fait l’acquisition. La seule question en litige est celle de savoir si la ville a acquis les biens et les services, sur lesquels elle a acquitté la TPS, « pour consommation, utilisation ou fourniture » dans le cadre de ses activités commerciales.
[20] Pour l’application de la LTA, le par. 123(1) dispose que l’« activité commerciale » s’entend de :
a) l’exploitation d’une entreprise . . . sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation . . . de fournitures exonérées. . .
[21] La même disposition définit la « fourniture exonérée » comme suit :
[f]ourniture figurant à l’annexe V [de la LTA].
[22] La fourniture de services municipaux de transport est mentionnée à l’art. 24 de l’annexe V, partie VI, de la LTA :
1. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
. . .
« service municipal de transport » Service public de transport de passagers (sauf un service d’affrètement ou un service qui fait partie d’un voyage organisé) fourni par une commission de transport et dont la totalité, ou presque, des fournitures consistent en services publics de transport de passagers offerts dans une municipalité et ses environs.
. . .
24. La fourniture, effectuée au profit d’un membre du public, de services municipaux de transport ou de services publics de transport de passagers désignés par le ministre comme services municipaux de transport.
[23] Un inscrit peut demander un CTI s’il a payé la TPS sur un bien utilisé, consommé ou fourni dans le cadre de ses activités commerciales, lesquelles excluent par définition la réalisation d’une fourniture exonérée. Ainsi, pour établir son droit au CTI pour la TPS payée sur les installations de transport, la ville doit montrer qu’en acquérant, en construisant et en mettant à disposition les installations de transport, elle a exploité l’entreprise consistant à effectuer une fourniture distincte taxable au lieu ou en sus de la fourniture exonérée d’un service municipal de transport.
[24] Le terme « entreprise » est défini au par. 123(1) de la LTA :
Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois;
[25] Le juge de la Cour de l’impôt conclut que les activités exercées par la ville en application des accords, à savoir l’acquisition et la construction des installations de transport et leur mise à la disposition des citoyens de Calgary, constituent une « entreprise » suivant la définition large figurant au par. 123(1), car elles peuvent être assimilées à « toutes affaires quelconques ». Je suis d’accord. Je ne vois pas pourquoi ces mots ne viseraient pas la construction d’une installation de transport public. Par conséquent, l’activité de la ville consistant à construire les installations de transport répond à la définition d’« activité commerciale », sauf lorsqu’il s’agit de réaliser une fourniture exonérée.
[26] Il nous faut déterminer en l’espèce si l’acquisition et la construction des installations de transport constituaient seulement une fourniture exonérée ou si elles constituaient également — ou constituaient plutôt — une fourniture taxable. La ville prétend qu’il y a eu deux fournitures. La première — celle de « services de transport en commun » — consiste dans l’exploitation de ses installations de transport, ce qui, elle le reconnaît, correspond à la définition de « service municipal de transport », dont la fourniture est exonérée suivant la LTA. L’acquéreur de cette fourniture serait, selon elle, la population de Calgary. La deuxième fourniture qu’elle prétend avoir effectuée — celle de « services liés aux installations de transport » — consiste dans [traduction] « l’acquisition et la construction des installations de transport et leur mise à la disposition des citoyens de Calgary ». La ville soutient que ses « services liés aux installations de transport » constituent une fourniture distincte et taxable dont l’acquéreur est la province.
[27] Suivant le par. 123(1) de la LTA, « fourniture » s’entend de :
. . . la livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.
[28] La même disposition définit le terme « service » comme suit :
Tout ce qui n’est ni un bien, ni de l’argent . . .
[29] Le juge de la Cour de l’impôt a estimé que suivant ces définitions générales, la ville était à l’origine d’une fourniture. Dans son analyse, il s’est attaché à déterminer si la fourniture avait pour destinataire la population ou la province, car selon lui, la question de savoir si l’acquisition et la construction des installations de transport constituaient ou non une fourniture exonérée tenait à l’identité de l’acquéreur de la fourniture, à savoir la province ou la population. Or, cet élément ne règle pas nécessairement la question. Une fois déterminée l’identité de l’acquéreur, il faut encore savoir si la fourniture est taxable ou exonérée suivant les définitions en cause de la LTA. En outre, le juge ne s’est pas demandé s’il n’y avait qu’une seule fourniture ou s’il y en avait deux. La Cour doit aujourd’hui déterminer la nature de la ou des fournitures effectuées par la ville et s’il y a ou non assujettissement à la TPS de la ou des fournitures.
A. Les fournitures réalisées
[30] La ville établit une distinction entre (1) l’exploitation des installations de transport et (2) leur construction, leur acquisition et leur mise à disposition. Elle fait valoir que la province est l’unique acquéreur de la seconde fourniture, à l’exclusion de la population de Calgary. Si la prétention est juste, la seconde fourniture échappe à l’application de l’art. 24 de l’annexe V, partie VI, de la LTA, elle est taxable et la ville a droit au CTI. Si la prétention est infondée et qu’il y a seulement fourniture d’un service municipal de transport à la population, cette fourniture est exonérée et ne donne pas droit au CTI.
[31] Bien que les décisions judiciaires sur la question de savoir si un fournisseur a effectué une fourniture unique comportant un certain nombre d’éléments ou des fournitures multiples de biens ou de services distincts ne portent pas précisément sur la question en litige dans la présente affaire, on peut s’inspirer de la manière dont les tribunaux y statuent pour déterminer s’il y a eu une ou deux fournitures en l’espèce.
[32] Dans O.A. Brown Ltd. c. Canada, [1995] G.S.T.C. 40 (C.C.I.), appelé à déterminer si un fournisseur était à l’origine d’une fourniture unique ou de fournitures multiples, le juge Rip (maintenant Juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt) a résumé les principes applicables. Son analyse a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Hidden Valley Golf Resort Assn. c. R., [2000] G.S.T.C. 42.
[33] L’appelante O.A. Brown Ltd. (« OAB ») achetait du bétail pour ses clients, mais à son nom et à ses risques, et non à titre de mandataire. Ses clients communiquaient avec un représentant pour passer commande et précisaient alors le type de bovins recherchés. Outre le coût du bétail, OAB facturait à ses clients les frais engagés, notamment pour le marquage et les inoculations, ainsi qu’une commission. Le bétail est une fourniture détaxée aux fins de la TPS, de sorte que le vendeur ne paie pas de TPS sur l’acquisition du bétail, ni n’en perçoit du client. Le ministre a établi une cotisation au titre de la TPS sur la commission et les frais. L’appel interjeté portait principalement sur la question de savoir si OAB offrait un service d’acquisition de bétail selon les exigences de ses clients ou si elle fournissait du bétail et autre chose, auquel cas elle devait percevoir et verser la TPS sur l’autre fourniture.
[34] Le juge Rip a conclu que de nombreuses dispositions de la Value Added Tax du Royaume‑Uni s’apparentaient aux dispositions canadiennes sur la TPS (Value Added Tax Act (UK), 1983, ch. 55). La jurisprudence anglaise formulait la question comme suit : la fourniture en cause est‑elle mixte ou multiple? Une fourniture mixte est une fourniture unique constituée de plusieurs éléments dont certains, s’ils étaient fournis séparément, seraient taxés et d’autres pas. Les fournitures multiples sont effectuées et taxées séparément.
[35] Le critère suivant se dégage de la décision O.A. Brown pour déterminer si un ensemble de faits donné révèle l’existence d’une fourniture unique ou de fournitures multiples pour les besoins de la LTA :
Le critère qui ressort de la jurisprudence anglaise est de savoir si, au fond et en réalité, la [prétendue] fourniture séparée fait partie intégrante ou est un élément constitutif de la fourniture globale. Il faut examiner la nature véritable de l’opération pour en déterminer les attributs fiscaux. [p. 40‑6]
[36] Pour arriver à sa conclusion, le juge Rip a fait observer ce qui suit :
[I]l faudrait se demander dans quelle mesure les services qui constitueraient une fourniture unique sont liés les uns aux autres, quelle est l’étendue de leur interdépendance et de leur enchevêtrement, et si chaque service fait partie intégrante d’un ensemble [composite]. [p. 40‑6]
(Citant Mercantile Contracts Ltd. c. Customs & Excise Commissioners, dossier LON/88/786, R.-U., non publié)
[37] Le juge Rip a également relevé l’importance de s’en remettre au bon sens pour trancher. Dans Gin Max Enterprises Inc. c. R., 2007 CCI 223, [2007] G.S.T.C. 56, le juge McArthur, également de la Cour de l’impôt, a opiné dans le même sens (au par. 18) :
L’examen de la jurisprudence révèle que la question de savoir si deux éléments forment une fourniture unique ou deux ou de multiples fournitures exige une analyse de la nature véritable des opérations, et il s’agit d’une question de fait tranchée avec une généreuse dose de bon sens.
[38] Au regard du critère, le juge Rip a conclu que les frais et la commission n’avaient pas été exigés pour des services qui constituaient des « fournitures distinctes, indépendantes de l’activité dans son ensemble » (p. 40‑8). Les activités d’achat, de marquage, d’inoculation et autres ne formaient un service utile que si elles étaient considérées ensemble. Il a conclu :
Au fond et en réalité, la [prétendue] fourniture séparée, soit un service d’achat, fait partie intégrante de la fourniture globale, à savoir la fourniture de bétail. Il n’est pas possible, en réalité, d’enlever de la fourniture globale les [prétendues] fournitures séparées car celles‑ci constituent en fait l’essence de cette fourniture. Les [prétendues] fournitures séparées sont liées à la fourniture de bétail à un point tel qu’elles font partie intégrante de l’ensemble au complet . . . L’appelante effectue une fourniture unique de bétail, et la commission et les [frais] exigés font partie intégrante de la contrepartie y afférente. Ils n’équivalent pas à des fournitures séparées. [p. 40‑8 et 40‑9]
[39] Dans O.A. Brown, le juge Rip a considéré que la commission et les frais d’inoculation, de marquage et de transport n’étaient pas exigés pour des services distincts, mais qu’ils constituaient des intrants du bétail et faisaient partie de ce qu’il en coûtait pour fournir le bétail. Si l’on adhère à la même démarche en l’espèce, les installations de transport en commun constituent non pas une fourniture distincte, mais bien un intrant — ou un élément essentiel — de la fourniture du service municipal de transport à la population de Calgary.
[40] L’arrêt Maritime Life Assurance Co. c. La Reine, [2000] G.S.T.C. 89 (C.A.F.) étaye également la thèse selon laquelle les travaux préparatoires ou nécessaires à la fourniture ne deviennent pas un service distinct assujetti à la TPS. Dans cette affaire, Maritime Life délivrait différentes sortes de police d’assurance, dont un certain nombre de contrats de rente différée. Le titulaire d’un tel contrat versait périodiquement une prime à l’entreprise en contrepartie du droit de toucher, à une date ultérieure précise, une somme d’argent ou une rente de valeur équivalente.
[41] Le juge de la Cour de l’impôt a estimé que des services de deux sortes étaient fournis aux titulaires de police de Maritime Life : un service d’assurance lié à la délivrance et à l’administration des polices, et un service de gestion des fonds réservés. La Cour d’appel fédérale a conclu que seule la délivrance des polices constituait une fourniture par Maritime Life aux titulaires de police. Maritime Life administrait les polices et gérait les placements qui garantissaient ses obligations d’assureur, mais elle devait le faire pour pouvoir continuer à s’acquitter de ses obligations suivant les polices. La Cour d’appel fédérale a estimé que tout comme les mesures prises par un service d’entretien pour garder son matériel en bon état ne pouvaient constituer un service fourni à ses clients, l’exercice de ces fonctions par Maritime Life ne devait pas être assimilé à un service de sa part aux titulaires de police. Si l’on applique le même raisonnement en l’espèce, l’acquisition et la construction des installations de transport, à savoir les travaux entrepris par la ville pour mettre en place un service municipal de transport répondant aux besoins de la population de Calgary, ne seraient pas considérées comme une fourniture distincte de celle du service municipal de transport lui‑même.
[42] Au regard du critère établi dans O.A. Brown, il faut se demander si, au fond et en réalité, la fourniture de « services liés aux installations de transport » que la ville prétend distincte fait partie intégrante de la fourniture globale des « services de transport en commun ». Il appert de la jurisprudence que lorsqu’une fourniture est préparatoire à une autre (un « intrant » de cette autre fourniture), elle fait partie de la fourniture unique globale.
[43] À mon avis, le bon sens veut que, de par leur nature véritable, les « services liés aux installations de transport » fournis par la ville soient préparatoires à la fourniture d’un service municipal de transport à la population. Les installations de transport ont été construites, acquises et mises à disposition en vue de la fourniture d’un service municipal de transport aux résidants de Calgary. J’en conclus que les « services liés aux installations de transport » que l’on prétend distincts sont en fait un élément de la fourniture globale de « services de transport en commun » aux citoyens de Calgary.
[44] De plus, il appert que pour recourir à l’analyse opposant fourniture unique et fournitures multiples, il faut pouvoir distinguer les différents éléments ou composants d’une fourniture. Or, en l’espèce, les fournitures que l’on prétend distinctes sont si liées les unes aux autres qu’il serait difficile d’en distinguer les différents éléments ou composants.
[45] L’achat d’un véhicule TLR (dans le cadre des prétendus « services liés aux installations de transport » fournis à la province) et son exploitation aux fins d’un service municipal de transport (dans le cadre des « services de transport en commun » offerts à la population de Calgary) sont des activités distinctes. Toutefois, il est plus juste de considérer ces activités comme des mesures prises en vue d’établir un service municipal de transport que d’y voir des éléments ou des composants distincts de ce service de transport. L’acquisition et la construction des installations de transport par la ville visaient à permettre à celle-ci d’offrir à ses citoyens un service de transport. Au final, ces activités ont permis l’exploitation d’un service municipal de transport, lequel a fait l’objet de plusieurs expansions et améliorations. Rien d’autre n’a résulté de ces activités. À cet égard, la présente espèce s’apparente à l’affaire O.A. Brown, où tous les frais et services facturés aux clients permettaient finalement à OAB de livrer le bétail commandé. En outre, les installations de transport n’ont d’utilité et ne fournissent un service que dans la mesure où elles sont intégrées au service municipal de transport de Calgary. L’interdépendance et l’interconnexion des « services liés aux installations de transport » et des « services de transport en commun » sont évidentes.
[46] L’application du critère permettant d’établir le caractère distinct d’une fourniture mène à la conclusion qu’il n’y a eu en l’espèce qu’une seule fourniture. Cependant, les décisions de principe sur le sujet résultent d’affaires où les fournitures que l’on prétendait distinctes n’avaient qu’un seul acquéreur. Elles ne visent pas le cas où il y aurait deux acquéreurs d’une ou de plusieurs fournitures. Outre le critère établi dans O.A. Brown, d’autres considérations pertinentes doivent être prises en compte. En l’espèce, on prétend que les « services liés aux installations de transport » qui, au final, profitent à la population de Calgary, procurent un avantage distinct à la province. Pour déterminer si la province a obtenu un service ou un avantage de la ville, il faut analyser la nature des obligations qui incombent respectivement à la ville et à la province suivant les accords, compte tenu du contexte législatif.
B. Le contexte législatif
[47] Si la province a l’obligation légale de fournir à la population des services municipaux de transport dans les villes qui se trouvent sur son territoire, les mesures prises par la ville pour établir ces services, y compris l’acquisition et la construction des installations de transport, profitent à la province en ce qu’elles lui permettent de s’acquitter de cette obligation. L’absence d’une telle obligation indiquerait qu’il ne s’agit pas d’un service à la province.
[48] Rappelons que la CTA régit la ville et lui impose plusieurs obligations. L’article 3 prévoit qu’elle doit préparer un rapport d’étude détaillé en matière de transport en vue de la mise en place d’un réseau de transport intégré. Le paragraphe 4(1) l’oblige à établir, par règlement, le réseau de transport décrit dans son rapport. Suivant le par. 4(6), le règlement doit être soumis à l’approbation du lieutenant‑gouverneur en conseil et il entre en vigueur dans sa version approuvée, le cas échéant.
[49] L’article 2 dispose que le coût d’établissement et d’entretien du réseau de transport incombe à la ville, mais que cette dernière peut être admissible à une aide financière de la province. Le paragraphe 6(1) prévoit que lorsqu’elle est d’avis que la construction d’une installation de transport intégrée au réseau de transport s’impose, la ville en fait la proposition au ministre responsable. Cette disposition rend l’approbation de la province nécessaire à la construction ou à l’acquisition de toute installation de transport. De plus, suivant le par. 6(2), l’approbation de la province est une condition préalable à la conclusion d’un accord de financement entre la ville et la province. Le même paragraphe confère à la province le pouvoir discrétionnaire de prendre à sa charge une partie du coût des installations de transport dont elle a approuvé la construction en application du par. 6(1).
[50] Les dispositions pertinentes de la CTA sont les suivantes :
[traduction]
2 Chaque ville acquitte les coûts d’établissement et d’entretien de toutes les installations de transport qui relèvent d’elle, mais elle peut devenir admissible à une aide financière du gouvernement en se conformant à la présente loi.
3 La ville produit un rapport d’étude détaillé en matière de transport en vue de la mise en place d’un réseau de transport intégré conçu pour desservir tout son territoire.
4(1) Le conseil municipal établit par règlement un réseau de transport conformément au rapport d’étude en matière de transport, et le règlement désigne le réseau de transport.
. . .
(6) Le conseil municipal soumet le règlement au ministre pour approbation par le lieutenant‑gouverneur en conseil, qui peut modifier ou approuver le règlement, en totalité ou en partie. Lorsque le règlement est modifié ou approuvé en partie seulement, il est appliqué et entre en vigueur dans sa version approuvée.
6(1) Lorsqu’elle est d’avis que la construction d’une installation de transport intégrée au réseau de transport s’impose, la ville en fait la proposition au ministre.
(2) Lorsqu’il approuve le projet, le ministre peut conclure avec la ville un accord de partage du coût d’établissement de l’installation de transport.
. . .
7 Sauf disposition contraire d’une autre loi ou d’un accord, la ville est propriétaire des installations qui composent le réseau de transport.
[51] Puisque la CTA n’impose aucune obligation à la province en ce qui concerne l’établissement ou l’exploitation de services municipaux de transport, le contexte législatif n’étaye pas la prétention que la ville a procuré un avantage ou un service à la province en s’acquittant pour elle d’une obligation légale.
[52] Si une disposition de la loi prévoyait le transfert de la propriété des installations de transport de la ville à la province, la thèse selon laquelle il y a eu fourniture par la ville à la province en serait étayée. Or, ce n’est pas le cas. L’article 7 de la CTA dispose que la ville est propriétaire de l’ensemble des installations construites.
[53] Aucune disposition de la CTA ne prévoit la fourniture, par la ville, d’un bien, d’un service ou d’un autre avantage à la province.
C. Les accords
[54] Il s’agit maintenant de déterminer si la ville a procuré un service ou un avantage à la province en se conformant aux conditions des accords. Le juge de la Cour de l’impôt conclut que suivant les accords, la ville devait fournir à la province un service municipal de transport pour desservir la population de Calgary. La Cour d’appel fédérale statue toutefois qu’il commet une erreur d’interprétation. Selon le juge Pelletier, les accords constituent seulement un mécanisme pour l’administration de l’aide financière accordée par la province et la gestion comptable de ces fonds publics (par. 57).
[55] La Cour d’appel fédérale estime que le préambule de l’accord BSI et celui de l’accord SIT constatent l’engagement antérieur de la province à verser 75 % du coût des projets approuvés conformément au programme de subvention en cause et l’accord de la ville à l’affectation des fonds à ces projets. Pour sa part, la ville convient d’accepter les fonds accordés par la province aux conditions énoncées dans les accords (par. 38).
[56] La Cour d’appel fédérale reconnaît que l’art. 2 de l’accord BSI énonce les conditions que la ville convient de respecter pour obtenir le financement de la province. Les conditions stipulées dans l’accord SIT sont identiques, sauf certains éléments qui n’importent pas en l’espèce. Ces conditions portent généralement sur des questions de nature administrative, dont l’utilisation des fonds, leur gestion comptable, l’utilisation de l’intérêt qu’ils produisent et l’affectation de toute portion non dépensée. La seule condition liée à la construction figure à l’al. h), qui stipule que toute construction financée grâce au programme de subvention doit être conforme aux normes légales et aux pratiques exemplaires qui ont cours (par. 39 à 40).
[57] La Cour d’appel fédérale estime en outre que l’art. 5 de l’accord BSI et l’art. 4 de l’accord SIT font en sorte que les travaux financés en application des accords doivent être exécutés conformément à la CTA et à son règlement (par. 41 à 43). Enfin, les autres dispositions des accords BSI et SIT obligent la ville à communiquer de l’information financière et à rendre compte des fonds non utilisés (par. 45). La Cour d’appel fédérale conclut qu’il s’agit de deux accords‑cadres de financement qui régissent la manière dont les fonds accordés pour les projets approuvés doivent être déboursés et administrés (par. 46).
[58] L’accord FTM diffère des deux autres en ce qu’il établit un fonds dédié financé par le versement à la ville de Calgary de 0,05 $ le litre d’essence ou de carburant diesel taxable vendu sur son territoire. Ses autres stipulations portent sur l’administration du fonds. La Cour d’appel fédérale conclut que, comme pour les accords BTI et SIT, aucune disposition n’oblige la ville à construire quoi que ce soit. Nulle disposition ne confère un caractère contractuel aux obligations légales de la ville en ce qui a trait à l’établissement d’un réseau de transport (par. 52).
[59] La province a versé les fonds prévus dans les accords afin d’appuyer la ville dans l’exercice de ses propres activités. Elle n’a pas accordé ce financement pour obtenir de la ville la fourniture de mesures d’ordre comptable. Les fonds versés ont seulement aidé la ville à investir dans l’amélioration de son réseau municipal de transport. Je conviens avec la Cour d’appel fédérale que l’observation par la ville de ses obligations de nature comptable ne peut être assimilée à la fourniture d’un bien, d’un service ou d’un avantage à la province.
[60] Selon la jurisprudence relative à l’existence d’une fourniture unique ou de fournitures multiples, la construction et l’acquisition des installations de transport constituent des intrants dans la fourniture du « service municipal de transport » à la population. En outre, ni les dispositions législatives applicables ni les accords intervenus ne permettent de conclure à l’existence de la fourniture distincte, par la ville à la province, de services liés aux installations de transport. Pour ces motifs, la ville n’a effectué qu’une seule fourniture en l’espèce, celle d’un service municipal de transport.
D. L’acquéreur de la fourniture
[61] La ville exhorte la Cour à faire sienne l’approche de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Commission scolaire Des Chênes c. Ministre du Revenu national, 2001 CAF 264, 286 N.R. 264 (« Des Chênes »). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a statué que la commission scolaire Des Chênes avait touché une subvention de la province de Québec, de sorte que ses services de transport d’élèves constituaient une fourniture taxable à la province et qu’elle avait droit au CTI.
[62] Dans le présent dossier, la ville reconnaît que les citoyens de Calgary sont les acquéreurs de sa fourniture du « service de transport en commun », ce qui est en accord avec le par. 123(1) de la LTA selon lequel « acquéreur » s’entend de la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture. Les usagers du service municipal de transport paient un droit de passage en contrepartie de la fourniture, de sorte qu’ils en sont les acquéreurs pour l’application de la LTA. Nulle disposition de celle-ci n’exige qu’une fourniture n’ait qu’un seul acquéreur.
[63] À mon sens, l’arrêt Des Chênes n’étaye pas la thèse de la ville. Même si notre Cour devait conclure en s’en inspirant que la province, parce qu’elle a accordé des fonds à la ville, est un acquéreur de la fourniture du service municipal de transport, la population demeurerait un acquéreur de la fourniture. Dans la décision Corporation de loisirs de Neufchâtel c. La Reine, [2008] G.S.T.C. 153 (C.C.I.), la juge Lamarre Proulx de la Cour de l’impôt a conclu à l’existence de deux acquéreurs de la fourniture de services de loisirs communautaires : la collectivité, qui bénéficiait des services de loisirs et payait une portion de la contrepartie versée, et la municipalité, qui assumait l’autre portion de la contrepartie.
[64] Comme je le fais observer précédemment, l’identité de l’acquéreur n’est pas nécessairement déterminante quant à savoir si la fourniture est taxable ou exonérée. Dans l’affaire Des Chênes, elle n’a permis de déterminer la nature de la fourniture que parce que les parties avaient convenu que si la subvention versée par la province ne constituait pas une contrepartie à la fourniture des services de transport, les élèves étaient l’acquéreur de la fourniture et celle-ci était exonérée. Par contre, si la subvention constituait une contrepartie, la province était l’acquéreur de la fourniture des services de transport, de sorte que cette dernière était taxable. La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que la question de savoir si la fourniture était exonérée ou non était en litige, mais au vu de l’accord intervenu entre les parties, elle n’a fait porter son analyse que sur la question de savoir si la subvention équivalait à une « contrepartie ». Comme elle a répondu par l’affirmative, la province devenait l’acquéreur, de sorte que la fourniture était taxable et la commission scolaire avait droit au CTI.
[65] L’article 24 de l’annexe V, partie VI, de la LTA dispose qu’une fourniture est exonérée lorsqu’elle a pour objet un service municipal de transport et qu’elle bénéficie au public. Il ne précise pas que seul ce dernier doit bénéficier de la fourniture. Nous avons vu que la ville n’a effectué qu’une seule fourniture, celle d’un service municipal de transport. La construction, l’acquisition et la mise à disposition des installations de transport étaient des intrants de cette fourniture. Peu importe que la province en soit ou non l’acquéreur de pair avec la population, il y a fourniture d’un service municipal de transport au public, de sorte qu’il y a exonération. Par conséquent, l’activité de la ville consistant à acquérir et à construire les installations de transport en commun, ainsi qu’à les mettre à la disposition de la population de Calgary ne constitue pas une « activité commerciale » au sens du par. 123(1) de la LTA, car elle participe à la réalisation d’une fourniture exonérée. La ville n’a pas droit au CTI pour la TPS acquittée à l’occasion de l’acquisition et de la construction des installations de transport devant être intégrées au service municipal de transport fourni à ses citoyens. Il n’y a pas lieu de suivre l’arrêt Des Chênes dans la mesure où il est en rupture avec ce raisonnement.
V. Conclusion
[66] Il n’y a eu qu’une seule fourniture en l’espèce, soit la fourniture exonérée d’un service municipal de transport à la population de Calgary. Il ressort de la LTA que le législateur a voulu qu’un organisme de services publics se voit rembourser, selon un pourcentage établi, la TPS payée dans le cadre de la réalisation d’une fourniture exonérée. Il n’y a pas eu de fourniture distincte et non exonérée à la province. La ville n’a donc pas droit au CTI pour la TPS qu’elle a payée lors de l’acquisition et de la construction des installations municipales de transport.
[67] Je suis d’avis de confirmer les conclusions de la Cour d’appel fédérale et de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Felesky Flynn, Calgary.
Procureur de l’intimée : Sous-procureur général du Canada, Ottawa.