COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Fundy Settlement c. Canada, 2012 CSC 14
Date : 20120412
Dossier : 34056, 34057
Entre :
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire de Fundy Settlement
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Et entre :
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de fiduciaire de Summersby Settlement
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
Traduction française officielle
Coram : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement :
(par. 1 à 19)
La Cour
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
fundy settlement c. canada
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de
fiduciaire de Fundy Settlement Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
‑ et ‑
St. Michael Trust Corp., en sa qualité de
fiduciaire de Summersby Settlement Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : Fundy Settlement c. Canada
Nos du greffe : 34056, 34057.
2012 : 13 mars; 2012 : 12 avril.
Présents : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Nadon, Sharlow et Stratas), 2010 CAF 309, 411 N. R. 125, [2011] 2 C. T. C. 7, 2010 D. T. C. 5189, 61 E. T. R. (3d) 168, [2010] A. C. F. no 1457 (QL), 2010 CarswellNat 5521 (sub nom. St. Michael Trust Corp. c. Minister of National Revenue; Fiducie familiale Garon c. La Reine), qui a confirmé une décision de la juge Woods, 2009 CCI 450, [2010] 2 C. T. C. 2346; 2009 D. T. C. 1287; 50 E. T. R. (3d) 241, [2009] A. C. I. no 345 (QL), 2009 CarswellNat 5415 (sub nom. Fiducie familiale Garon c. La Reine). Pourvois rejetés.
Douglas H. Mathew, Matthew G. Williams et Mark A. Barbour, pour les appelantes.
Anne Turley et Daniel Bourgeois, pour l’intimée.
Version française du jugement rendu par
La Cour —
[1] St. Michael Trust Corp. (« St. Michael ») est fiduciaire de deux fiducies, Fundy Settlement et Summersby Settlement (les « fiducies en cause »). Ces dernières ont été constituées par un particulier résidant à Saint‑Vincent, dans les Antilles. Les bénéficiaires sont des résidents du Canada. Pour sa part, St. Michael est une société résidant à la Barbade.
[2] Lorsque les fiducies en cause ont disposé des actions qu’elles détenaient dans deux sociétés ontariennes, l’acheteur a versé quelque 152 millions de dollars au ministre du Revenu national au titre de l’impôt canadien retenu sur les gains en capital réalisés par les fiducies en cause à l’occasion de la vente des actions.
[3] St. Michael a demandé le remboursement de la somme ainsi retenue, invoquant l’exonération de l’impôt canadien sur les gains en capital prévue par l’Accord entre le Canada et la Barbade tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, R.T. Can. 1980 no 29 (incorporé au droit canadien par la Loi de 1980 sur l’Accord Canada — Barbade en matière d’impôt sur le revenu, L.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 44, art. 25). Selon le traité, l’impôt n’est payable que dans le pays où réside le vendeur. St. Michael a prétendu que, comme elle est un résident de la Barbade, les fiducies en cause y résident également. Par conséquent, rien ne justifierait une retenue d’impôt au Canada.
[4] De l’avis du ministre du Revenu national, les fiducies en cause sont des résidents du Canada et l’impôt retenu était à bon droit payable.
[5] Les appels interjetés par St. Michael contre la nouvelle cotisation du ministre à la Cour canadienne de l’impôt d’abord (2009 CC1 450, [2010] 2 C.T.C. 2346), puis à la Cour d’appel fédérale (2010 CAF 308, 411 N.R. 125), ont été rejetés. St. Michael a par la suite obtenu l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour.
[6] La question en litige est le lieu de résidence des fiducies en cause. St. Michael affirme que ces dernières résident au même endroit qu’elle, en l’occurrence la Barbade. Pour sa part, le ministre prétend que les fiducies en cause résident au Canada, parce que leur gestion centrale et leur contrôle sont exercés par les bénéficiaires principaux, qui sont des résidents du Canada. Suivant les faits constatés par la juge Woods de la Cour canadienne de l’impôt, St. Michael est résidente de la Barbade alors que la gestion centrale et le contrôle des fiducies en cause sont exercés au Canada par les bénéficiaires principaux de celles‑ci.
[7] Comme l’a expliqué la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale, le lieu de résidence constitue le fondement principal de l’imposition du revenu au Canada (par. 52). Dans The Fundamentals of Income Tax Law (2009), à la p. 85, le professeur V. Krishna souligne que la considération d’intérêt général à la base de ce principe est de faire en sorte que les personnes qui jouissent des avantages juridiques, politiques et économiques découlant de leur association avec le Canada paient leur juste part des coûts de cette association. Dans le cas des particuliers, un certain nombre de facteurs, entre autres la nationalité, la présence physique, le lieu du domicile familial et les relations sociales, sont pris en considération pour déterminer leur lieu de résidence. Quoique la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi ») contienne certaines présomptions quant au lieu de résidence, le lieu de résidence la détermination de celui‑ci demeure généralement une question de fait.
[8] Bien qu’il existe peu de décisions judiciaires sur le lieu de résidence des fiducies, il a par contre été établi qu’une société réside là où s’exercent effectivement sa gestion centrale et son contrôle. Dans De Beers Consolidated Mines, Ltd. c. Howe, [1906] A.C. 455 (H.L.), lord Loreburn a dit ceci, à la p. 458 :
[traduction] En appliquant la notion de résidence à une société, nous devrions, à mon avis, procéder autant que possible par analogie avec un particulier. Une société ne peut manger ou dormir, mais elle peut avoir pignon sur rue et faire des affaires. Nous devrons donc nous demander où elle a réellement pignon sur rue et fait réellement des affaires. [. . .] [P]our les besoins de l’impôt sur le revenu, une société réside là où sont exercées ses activités véritables. [. . .] Je considère qu’il s’agit là de la vraie règle, et les activités véritables sont exercées là où s’exercent effectivement sa gestion centrale et son contrôle.
Le critère de la gestion centrale et du contrôle servant à déterminer le lieu de résidence d’une société a été adopté dans un certain nombre de décisions au Canada, et il y est bien établi (voir The King c. British Columbia Electric Railway Co., [1945] C.T.C. 162 (C. de l’É.); Crossley Carpets (Canada) Ltd. c. M.N.R. (1968), 67 D.T.C. 522 (C. de l’É.)).
[9] En règle générale, la gestion centrale et le contrôle d’une société sont exercés là où son conseil d’administration exerce ses responsabilités. Mais comme le souligne la juge Sharlow (au par. 56), dans les cas où la gestion centrale et le contrôle d’une société sont exercés par un actionnaire qui réside dans un autre pays et y prend les décisions relativement à celle‑ci, la société sera considérée comme résidant au même endroit que l’actionnaire (voir Unit Construction Co. c. Bullock, [1960] A.C. 351 (H.L.).)
[10] St. Michael s’appuie sur deux propositions fondamentales pour dire que le lieu de résidence de la fiducie doit être le même que celui du fiduciaire. Premièrement, comme une fiducie n’est pas une personne au même titre qu’une société, le critère de la gestion centrale et du contrôle ne s’applique pas aux fiducies. La juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a écarté sommairement ce premier argument de St. Michael, et nous faisons de même. Bien qu’une fiducie ne soit pas une personne en common law, elle est réputée être un particulier aux termes de la Loi. Le paragraphe 104(2) prévoit en effet ce qui suit :
Pour l’application de la présente loi, et sans que l’assujettissement du fiduciaire ou des représentants légaux à leur propre impôt sur le revenu en soit atteint, une fiducie est réputée être un particulier relativement aux biens de la fiducie . . .
À l’instar du ministre, nous sommes d’avis que le fait qu’une fiducie ne possède pas, en common law, une existence juridique autonome n’est pas pertinent pour l’application de la Loi.
[11] Deuxièmement, St. Michael soutient que, comme la Loi rattache la fiducie au fiduciaire, le lieu de résidence de la fiducie est nécessairement celui du fiduciaire. Elle fonde cet argument sur le passage suivant du par. 104(1) :
Dans la présente loi, la mention d’une fiducie ou d’une succession [. . .] vaut également, sauf indication contraire du contexte, du fiduciaire, de l’exécuteur testamentaire, de l’administrateur successoral, du liquidateur de succession, de l’héritier ou d’un autre représentant légal ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie . . . .
La Cour d’appel fédérale a conclu que le rattachement établi au par. 104(1) vise à résoudre « les problèmes fiscaux d’ordre pratique qui vont nécessairement survenir à partir du moment où l’on décide que les fiducies sont imposables bien qu’elles soient dénuées de personnalité juridique » (par. 64). Cela ne veut pas dire pour autant que le lieu de résidence de la fiducie correspond invariablement au lieu de résidence du fiduciaire.
[12] St. Michael prétend que le par. 104(1) rattache le fiduciaire à la fiducie pour tous les attributs de cette dernière, y compris le lieu de résidence. Toutefois, bien que ce paragraphe précise que la mention d’une fiducie dans la Loi vaut également mention du fiduciaire, St. Michael ne fait état d’aucune disposition qui rattacherait la fiducie au fiduciaire aux fins de détermination du lieu de résidence de la première. Le rattachement invoqué par St. Michael ne constitue pas un principe qui s’applique de façon générale aux fiducies, et ce, à tous égards; de plus, rien dans le contexte du par. 104(1) ne tend à indiquer l’existence d’une règle de droit exigeant que le lieu de résidence d’une fiducie soit celui du fiduciaire.
[13] Au contraire, le par. 2(1) est la principale disposition de la Loi qui établit l’assujettissement à l’impôt, et le mot « personne » y figurant doit s’entendre du contribuable dont le revenu imposable est assujetti à l’impôt sur le revenu. Ce contribuable c’est la fiducie, non le fiduciaire. Cette conclusion découle du texte du par. 104(2), qui distingue la fiducie du fiduciaire pour ce qui est des biens de la fiducie.
[14] Par contre, les fiducies et les sociétés partagent de nombreuses similitudes qui, à notre avis, justifieraient que l’on applique le critère de la gestion centrale et du contrôle pour déterminer le lieu de résidence d’une fiducie, tout comme il est utilisé pour établir le lieu de résidence d’une société. Voici certaines de ces similitudes :
1) les deux détiennent des éléments d’actif à gérer;
2) les deux impliquent l’acquisition et la disposition d’éléments d’actif;
3) les deux exigent dans certains cas la gestion d’une entreprise;
4) les deux exigent la prise d’arrangements bancaires et financiers;
5) les deux peuvent avoir besoin des instructions ou conseils d’avocats, de comptables et d’autres conseillers;
6) les deux peuvent répartir leur revenu, les sociétés par voie de dividendes et les fiducies par voie d’attributions.
Comme l’a souligné la juge Woods : « La fonction de chacune consiste fondamentalement à gérer les biens » (par. 159).
[15] Tout comme dans le cas des sociétés, il faut déterminer le lieu de résidence d’une fiducie sur la base du principe selon lequel, pour l’application de la Loi, une fiducie réside là où [traduction] « sont exercées ses activités véritables » (De Beers, p. 458), c’est‑à‑dire l’endroit où s’exercent effectivement sa gestion centrale et son contrôle. Comme il a été indiqué précédemment, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu, en fait, que les bénéficiaires principaux exerçaient la gestion centrale et le contrôle des fiducies en cause au Canada. Elle a jugé que St. Michael ne jouait qu’un rôle limité — prestation de services administratifs — et n’assumait que peu ou pas d’autres responsabilités (par. 189 et 190). Par conséquent, suivant ce critère, les fiducies en cause doivent être considérées comme des résidents du Canada. Cela ne signifie pas que le lieu de résidence d’une fiducie ne peut jamais correspondre à celui du fiduciaire. Dans les cas où le fiduciaire exerce la gestion centrale et le contrôle de la fiducie, le lieu de résidence du fiduciaire sera également celui de la fiducie. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.
[16] Nous sommes d’accord avec la juge Woods pour dire que l’adoption d’un critère de résidence similaire à la fois pour les fiducies et les sociétés favorise le respect « des principes importants d’uniformité, de prévisibilité et d’équité dans l’application du droit fiscal » (par. 160). Comme l’a signalé la juge, il faudrait de bonnes raisons pour justifier l’application aux fiducies d’un critère entièrement différent de celui applicable aux sociétés. Or, aucune raison de la sorte n’a été présentée en l’espèce.
[17] Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter les pourvois avec dépens.
[18] Le ministre a également soutenu que les fiducies sont réputées être des résidents du Canada par l’effet de l’art. 94, qui instaure un régime permettant d’imposer les fiducies non résidentes. Même si, a prétendu le ministre, les fiducies en cause ne sont pas jugées être des résidents du Canada suivant les principes de la common law, les cotisations qui ont été établies à leur égard sont justifiées car, en vertu de l’art. 94, les fiducies en cause sont réputées être des résidents du Canada pour l’application de la Loi et, en conséquence, des résidents du Canada pour l’application de l’exonération fiscale prévue par le traité. Enfin, au cas où cet argument supplémentaire ne serait pas retenu, le ministre a plaidé que l’avantage fiscal devrait être refusé conformément à la règle générale anti‑évitement prévue à l’art. 245 de la Loi, parce que le fait d’accorder cet avantage ferait obstacle à la réalisation de l’objet de certains éléments pertinents du traité.
[19] Vu notre conclusion que les fiducies en cause sont des résidents du Canada suivant les principes de la common law, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments fondés sur les art. 94 et 245 de la Loi. Il ne faut toutefois pas considérer que nous souscrivons aux motifs de la Cour d’appel fédérale sur ces points.
Pourvois rejetés avec dépens.
Procureurs des appelantes : Thorsteinssons, Toronto.
Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.