COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Banque de Montréal c. Innovation Credit Union,
2010 CSC 47, [2010] 3 R.C.S. 3
Date : 20101105
Dossier : 33153
Entre :
Banque de Montréal
Appelante
et
Innovation Credit Union
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 71)
La juge Charron (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell)
Banque de Montréal c. Innovation Credit Union, 2010 CSC 47, [2010] 3 R.C.S. 3
Banque de Montréal Appelante
c.
Innovation Credit Union Intimée
Répertorié : Banque de Montréal c. Innovation Credit Union
No du greffe : 33153.
2010 : 19 avril; 2010 : 5 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d'appel de la saskatchewan
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Sherstobitoff, Jackson et Smith), 2009 SKCA 35, 324 Sask. R. 160, 451 W.A.C. 160, 306 D.L.R. (4th) 407, [2009] 8 W.W.R. 473, 51 C.B.R. (5th) 163, 14 P.P.S.A.C. (3d) 149, [2009] S.J. No. 147 (QL), 2009 CarswellSask 156, qui a infirmé une décision du juge Zarzeczny, 2007 SKQB 471, 306 Sask. R. 227, [2008] 4 W.W.R. 143, 39 C.B.R. (5th) 260, 12 P.P.S.A.C. (3d) 223, [2007] S.J. No. 679 (QL), 2007 CarswellSask 748. Pourvoi rejeté.
Rick M. Van Beselaere et Peter T. Bergbusch, pour l’appelante.
Donald H. Layh, c.r., et Shawn M. Patenaude, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La juge Charron —
1. Aperçu
[1] Il est question, dans le présent pourvoi et dans l'affaire connexe, Banque Royale du Canada c. Radius Credit Union Ltd., 2010 CSC 48, [2010] 3 R.C.S. 38, de sûretés concurrentes prises en application de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46 (« LB »), et de The Personal Property Security Act, 1993 de la Saskatchewan, S.S. 1993, ch. P-6.2 (« PPSA »). Pour régler le litige, il faut examiner l'interaction entre, d'une part, le régime de garantie, vieux et quelque peu archaïque, établi par la LB et, d'autre part, le régime provincial moderne créé par la PPSA. Celle-ci, ainsi que d'autres lois provinciales en matière de sûretés mobilières, ont changé radicalement la manière dont on percevait les sûretés lorsque la LB a été adoptée, il y a plus d'un siècle. Comme il fallait s'y attendre, l'interaction entre les deux régimes a donné lieu à de multiples conflits, d'une grande diversité. En fait, il semble exister un large consensus sur l'impossibilité de résoudre entièrement les difficultés qui surgissent sans une réforme législative. Or, aucune mesure législative en ce sens ne semble imminente. La Cour doit donc trancher les deux affaires qui lui sont soumises et fournir quelques indications dans ce domaine nébuleux du droit.
[2] En l'espèce, le pourvoi porte sur un conflit de priorité entre une sûreté antérieure non enregistrée consentie en application de la PPSA sur du matériel agricole mobilier appartenant au débiteur et une garantie subséquente sur les mêmes biens, obtenue et enregistrée sous le régime de la LB. En première instance, le juge des requêtes a décidé que, comme la Coopérative de crédit n'avait pas parfait sa sûreté en l'enregistrant comme le prévoit la PPSA, la sûreté de la banque avait priorité. De l'avis du juge, la règle de priorité prévue par l'art. 428 de la Loi sur les banques, prévoyant qu'une garantie consentie en vertu de cette loi prime les droits subséquemment acquis sur le bien, donne aussi priorité à la garantie de la Banque sur les droits de priorité acquis subséquemment (2007 SKQB 471, 306 Sask. R. 227). La Cour d'appel de la Saskatchewan a accueilli l'appel, concluant que cette interprétation de l'art. 428 ne peut être étayée. Si l'on interprète bien les par. 427(2) et 435(2) de la LB, il faut appliquer le droit des biens provincial pour établir l'effet d'une sûreté antérieure. En l'occurrence, la première sûreté, régie par la PPSA, avait priorité sur la garantie relevant de la LB parce que l'intérêt acquis par la Banque n'était pas supérieur à celui que détenait le débiteur lui-même au moment où il lui a consenti cette garantie. La garantie de la Banque était donc subordonnée à la sûreté antérieure de la Coopérative de crédit, sans égard au fait que la sûreté de la Coopérative de crédit n'avait pas été parfaite (2009 SKCA 35, 324 Sask. R. 160).
[3] En appel devant la Cour, la Banque de Montréal fait valoir qu'aucun intérêt propriétal dans les biens n'a été conféré à la Coopérative de crédit par le contrat de sûreté conclu sous le régime de la PPSA et que, par conséquent, la Banque a acquis un intérêt non grevé sur les biens du débiteur quand elle a obtenu sa garantie sous le régime de la LB. Subsidiairement, la Banque de Montréal fait valoir que la règle de la priorité chronologique ne devrait pas s'appliquer de manière à donner priorité au premier contrat de sûreté conclu, car les banques n'ont aucun moyen de constater l'existence de sûretés consenties sous le régime de la PPSA qui ne sont ni révélées ni enregistrées. Puisque le fait de donner priorité à ces droits sur ceux acquis subséquemment en vertu de la LB exposerait les banques à des risques commerciaux déraisonnables, il faudrait modifier la règle de façon à donner priorité au premier contrat de sûreté enregistré.
[4] À mon avis, la prétention de la Banque qu'aucun intérêt affectant le titre du débiteur n'a été accordé à la Coopérative de crédit lorsqu'elle a obtenu sa sûreté antérieure, mais non parfaite, ne peut être étayée en droit. La Cour d'appel a interprété correctement la LB. Lorsque la Banque de Montréal a pris sa garantie en vertu de la LB, le débiteur avait déjà accordé une sûreté sur ce bien à la Coopérative de crédit sous le régime de la PPSA. Comme je vais l'expliquer ci-dessous, l'intérêt acquis par la Coopérative de crédit en application de la loi correspond à un droit propriétal en common law, de sorte que la garantie obtenue par la Banque lui est subordonnée. L'argument de la Banque selon lequel cette interprétation donne des résultats absurdes sur le plan commercial fait écho aux nombreuses demandes de réforme législative et n'est pas dénué de fondement. Toutefois, dans l'état actuel des choses, aucune interprétation acceptable du régime législatif actuel ne permettrait aux tribunaux d'établir une règle conférant priorité au premier enregistrement ou, subsidiairement, à la première sûreté parfaite, comme le propose la Banque.
[5] Je suis d'avis de rejeter l'appel.
2. Les faits et les décisions des juridictions inférieures
[6] James Buist, un agriculteur de la Saskatchewan, a contracté un prêt auprès de l'Innovation Credit Union (la « Coopérative de crédit »). Pour obtenir ce prêt, il a consenti à la Coopérative de crédit une sûreté sur tous ses biens actuels et futurs sous le régime de la PPSA en signant un contrat de sûreté daté du 7 octobre 1991. La Coopérative de crédit n'a enregistré cette sûreté que le 28 juin 2004.
[7] M. Buist a emprunté de l'argent à la Banque de Montréal après avoir contracté son emprunt auprès de la Coopérative de crédit. Pour garantir son prêt, la Banque a conclu des contrats de sûreté avec M. Buist entre 1998 et janvier 2004, obtenant ainsi une garantie valable en application de la LB sur une bonne partie des biens déjà visés par la sûreté de la Coopérative de crédit. Dans ses demandes de financement, M. Buist n'avait pas révélé à la Banque l'existence des prêts qu'il avait obtenus de la Coopérative de crédit et de la sûreté qu'il lui avait consentie. La Banque a fait des recherches dans les registres des sûretés établis sous le régime de la PPSA et de la LB, mais ces recherches n'ont révélé l'existence d'aucune sûreté antérieure, puisque la sûreté de la Coopérative de crédit n'avait pas été enregistrée.
[8] M. Buist a fini par cesser de rembourser ses prêts et, en décembre 2004, la Banque a saisi certains des biens de M. Buist visés par sa garantie régie par la LB. La Coopérative de crédit s'est adressée à la Cour du Banc de la Reine en application de l'art. 66 de la PPSA pour se faire reconnaître la priorité sur le produit de l'aliénation des biens.
[9] Le juge Zarzeczny, qui a instruit la demande, a tranché en faveur de la Banque de Montréal, statuant que la sûreté non enregistrée sous le régime de la PPSA était subordonnée à la garantie obtenue par la Banque en vertu de la LB. Le juge Zarzeczny a conclu que la règle de priorité établie par l'art. 428 de la LB — prévoyant qu'une garantie obtenue au titre de la LB prime « tous les droits subséquemment acquis sur [les] biens » — donne aussi priorité à la garantie d'une banque sur les droits de priorité acquis subséquemment. Pour ce motif, le juge Zarzeczny a décidé qu'une sûreté régie par la PPSA n'a priorité sur une garantie prise subséquemment en vertu de la LB qu'à condition d'avoir été parfaite avant que la banque n'obtienne sa garantie. Comme la Coopérative de crédit n'a obtenu priorité en enregistrant sa sûreté qu'après l'obtention par la Banque de sa garantie en vertu de la LB, le juge Zarzeczny a accordé priorité de rang à la Banque en application de l'art. 428.
[10] En plus de considérer raisonnable l'interprétation susmentionnée du texte de la LB, le juge Zarzeczny s'est dit d'avis qu'elle favorisait l'atteinte de deux objectifs de principe intégrés à la loi. Premièrement, elle permettait d'harmoniser la PPSA et la LB, et de régler les conflits éventuels entre ces deux lois. Deuxièmement, elle contribuait à l'efficacité et à la prévisibilité en matière de prêts commerciaux.
[11] La Cour d'appel de la Saskatchewan a infirmé à l'unanimité la décision du juge Zarzeczny. La juge Jackson, s'exprimant au nom de la cour, a fait une analyse approfondie de la jurisprudence et a décidé, en définitive, que l'art. 428 de la LB ne réglait pas le dossier, comme l'avait conclu le juge Zarzeczny. La Cour d'appel s'est plutôt fondée sur les par. 427(2) et 435(2) de la LB pour résoudre le conflit. La juge Jackson a déclaré que, selon ces dispositions, la Banque a seulement acquis les droit et titre que le débiteur pouvait lui transmettre lorsqu'elle a pris sa sûreté en vertu de la LB. À ce moment-là, le débiteur avait déjà accordé un intérêt sur les biens à la Coopérative de crédit en lui consentant une sûreté sous le régime de la PPSA. La garantie de la Banque sur les biens était donc subordonnée à la sûreté antérieure de la Coopérative de crédit, et celle-ci avait la priorité sur le produit de l'aliénation des biens.
[12] La Banque de Montréal interjette maintenant appel devant la Cour.
3. Analyse
[13] La LB et la PPSA permettent toutes deux aux créanciers de consentir des prêts garantis en prenant des sûretés sur les biens d'un débiteur, mais ces lois ont des origines et des cadres conceptuels radicalement différents. Je vais donc exposer brièvement l'historique et la structure de chacune pour situer l'analyse qui suit.
3.1 La Loi sur les banques
[14] Le régime législatif qui est aujourd'hui fondé sur l'art. 427 de la LB et qui permet aux banques, de compétence fédérale, de prendre des sûretés sur certaines catégories de biens des débiteurs afin d'obtenir des garanties, fait partie intégrante du secteur du crédit garanti au Canada essentiellement dans sa forme actuelle depuis l'adoption, en 1890, de l'art. 74 de l'Acte des banques, L.C. 1890, ch. 31 : voir W. D. Moull, « Security Under Sections 177 and 178 of the Bank Act » (1986), 65 R. du B. can. 242, p. 243. Pendant près d'un siècle avant l'adoption de lois comme la PPSA de la Saskatchewan, la LB a fourni aux banques, de compétence fédérale, un mécanisme leur permettant de consentir des prêts garantis qui était assurément supérieur aux mécanismes que leur offraient alors la common law et l'equity pour obtenir une sûreté. Ce mécanisme a eu pour effet de faciliter considérablement l'obtention de prêts par les entreprises canadiennes ayant besoin de capitaux. En fait, comme le juge La Forest l'a fait remarquer dans Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, à la p. 140, la garantie maintenant prévue par l'art. 427 a « joué un rôle primordial en permettant à plusieurs groupes qui jouent un rôle-clé dans l'économie nationale d'obtenir plus facilement des capitaux ».
[15] La structure générale du régime de garanties établi par la LB peut être résumée comme suit. Le paragraphe 427(1) autorise les banques à consentir des prêts à divers emprunteurs à différentes fins et à prendre une garantie sur des catégories particulières de biens lorsqu'elles consentent ces prêts. Selon le par. 427(2), la banque acquiert certains droits et pouvoirs sur les biens sur remise d'un document lui accordant une garantie à l'égard de ces biens. Plus précisément, en ce qui concerne le présent appel, l'al. 427(2)c) accorde à la banque qui obtient une garantie sous le régime de la LB « les mêmes droits que si la banque avait acquis un récépissé d'entrepôt ou un connaissement visant ces biens »; quant au par. 435(2), il précise que le récépissé ou le connaissement confère à la banque qui l'acquiert les droit et titre qu'avait le propriétaire des biens. Comme nous le verrons plus loin, l'al. 427(2)c) et le par. 435(2) revêtent une importance capitale pour la question qui nous occupe, car la banque ne peut acquérir sur le bien, aux termes de ceux-ci, un intérêt supérieur à celui que détenait le débiteur au moment pertinent. Le paragraphe 427(4) ajoute que la banque ne pourra pas opposer sa garantie aux tiers, à moins d'avoir enregistré un préavis auprès de l'autorité compétente. Enfin, le par. 427(3) fournit à la banque un moyen efficace de réaliser sa garantie en lui permettant de saisir les biens dans l'éventualité où un prêt ne lui serait pas remboursé.
[16] La LB contient relativement peu de dispositions traitant expressément de la question de savoir si une garantie obtenue sous le régime de cette loi a priorité sur d'autres sûretés sur le même bien. Quant à la question qui nous occupe, il importe particulièrement de noter que, même si l'art. 428 accorde explicitement la priorité à une garantie régie par la LB sur « tous les droits subséquemment acquis sur [les] biens », cette loi ne dit rien sur les intérêts concurrents acquis par des tiers avant que la garantie de la banque ne grève les biens. Par conséquent, la LB n'offre pas d'autre moyen de régler la plupart des conflits de priorité que l'examen de la question de savoir si, selon les principes applicables du droit des biens, les droits propriétaux conférés à la banque par le par. 427(2) l'emportent sur les intérêts propriétaux concurrents. On peut donc considérer la LB comme un régime de sûretés axé sur la propriété. Cette approche se distingue nettement de celle adoptée dans les lois provinciales modernes en matière de sûretés mobilières comme la PPSA, dont je vais parler maintenant.
3.2 The Personal Property Security Act
[17] Bien qu'elles existent depuis peu, les lois provinciales régissant les sûretés mobilières établissent le cadre juridique dominant du crédit garanti partout au Canada. S'inspirant en partie de l'art. 9 du Uniform Commercial Code (rév. 2000) des États-Unis, tous les territoires et toutes les provinces de common law ont adopté leur propre loi en matière de sûretés mobilières, à commencer par la Personal Property Security Act, 1967, S.O. 1967, ch. 73, de l'Ontario en 1967. Le Québec dispose de son propre régime de droit civil, qui a aussi subi des modifications relativement récentes à l'occasion de l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, en 1994 (maintenant L.R.Q., ch. C-1991). Bien que les différents ressorts qui ont édicté leur propre loi en matière de sûretés mobilières en aient modifié certaines dispositions afin de l'adapter à une situation particulière ou à des objectifs précis, la structure générale de chacune de ces lois est essentiellement la même. La Saskatchewan a adopté pour la première fois une loi de ce genre en 1980 en édictant The Personal Property Security Act, S.S. 1979-80, ch. P-6.1. Cette ancienne loi a été abrogée et remplacée par The Personal Property Security Act, 1993 en cause en l'espèce (art. 72).
[18] À l'instar de toutes les autres lois provinciales en matière de sûretés mobilières, la PPSA de la Saskatchewan a grandement clarifié, simplifié et rationalisé le droit du crédit garanti sur des biens personnels en enlevant essentiellement toute pertinence aux distinctions entre la vaste gamme d'instruments utilisés en common law et en equity pour la constitution d'une sûreté mobilière sur le bien d'autrui. Elle emploie à cette fin une approche fonctionnelle pour déterminer quelles sûretés tombent sous le coup de ses dispositions. L'alinéa 3(1)a) de la PPSA prévoit qu'elle s'applique [traduction] « aux opérations qui constituent essentiellement une sûreté, quelles que soient leur forme et la personne ayant un droit de propriété sur les biens grevés ». Selon la définition donnée à l'al. 2(1)qq), « tout intérêt dans des biens personnels qui garantit le paiement ou l'exécution d'une obligation » constitue une sûreté, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce. Selon ces dispositions, la PPSA s'applique à pratiquement tout ce qui joue le rôle d'une sûreté.
[19] Les lois actuelles en matière de sûretés mobilières, comme la PPSA de la Saskatchewan en cause ici, emploient aussi un cadre conceptuel radicalement différent de celui de la LB et des mécanismes de crédit garanti qu'offre la common law. Contrairement au régime axé sur la propriété qui est établi par la LB, les lois actuelles en matière de sûretés mobilières peuvent être considérées comme axées sur la priorité de rang. La PPSA offre des solutions aux conflits de priorité qui ne reposent ni sur la notion de titre en common law, ni sur les concepts de droit bénéficiaire ou de droit de rachat reconnus par l'equity. Elle établit plutôt, dans les limites de son champ d'application, un code de règles établissant un ordre de priorité entre différentes sûretés ainsi qu'entre les sûretés et les autres intérêts sur les biens donnés en garantie, sans égard à l'identité du détenteur du titre sur les biens.
[20] Une sûreté constituée sous le régime de la PPSA est aussi opposable aux tiers. L'article 10 précise les critères auxquels une sûreté doit répondre pour être opposable aux tiers selon les biens en cause. Dans un cas comme celui-ci, où la sûreté vise du matériel tangible, l'al. 10(1)d) exige principalement l'existence d'un contrat de sûreté signé contenant une description des biens. La question de savoir si la sûreté a grevé les biens et à quel moment est un des concepts clés de la PPSA. Dans le cas de sûretés concurrentes prises sous le régime de la PPSA, cette question revêt une importance capitale, car elle détermine le moment où le créancier a acquis un intérêt dans un bien particulier. Lorsque le débiteur est propriétaire du bien lors de l'exécution du contrat de sûreté, le créancier obtient une sûreté sur le bien en consentant ou en promettant de consentir du crédit au débiteur, sauf si les parties ont convenu de reporter le moment où les biens seront grevés. Plus précisément, l'art. 12 de la PPSA prévoit qu'une sûreté grève les biens dans les circonstances suivantes :
[traduction]
12. (1) . . .
a) une prestation est fournie à son égard;
b) le débiteur a des droits sur les biens grevés ou le pouvoir de transférer ces droits à un créancier garanti;
c) sauf aux fins de l'exercice de droits entre les parties au contrat de sûreté, elle est opposable conformément à l'article 10;
à moins que les parties ne conviennent expressément de reporter la date à laquelle la sûreté prendra effet, auquel cas les biens ne deviennent grevés qu'à la date indiquée dans le contrat.
[21] Une sûreté grevant un bien peut être parfaite ou non. À l'instar du grèvement, la perfection est un concept clé de la PPSA. Si la perfection revêt de l'importance dans le régime de la PPSA, c'est qu'une sûreté parfaite a généralement priorité sur une sûreté non parfaite : al. 35(1)b). En effet, sous réserve de certaines exceptions, la sûreté qui a été parfaite en premier confère au créancier garanti les droits les plus étendus qu'il peut acquérir sous le régime de la PPSA. Il existe une foule de mécanismes de perfection d'une sûreté qui n'ont pas à être analysés en détail ici, mais il suffit de signaler que l'enregistrement d'un état de financement est l'un des plus importants : art. 25. Toutefois, contrairement aux conséquences prévues dans la LB, le défaut d'enregistrement d'une sûreté sous le régime de la PPSA n'emporte pas la nullité des droits du créancier garanti vis-à-vis des tiers.
[22] La PPSA prévoit un éventail détaillé de règles pour résoudre les conflits de priorité entre des sûretés concurrentes; la perfection et diverses règles de priorité chronologique déterminent le rang des sûretés à défaut d'une règle plus précise applicable à une situation donnée : par. 35(1). Bien que la sûreté confère au créancier garanti un intérêt opposable à la fois au débiteur et aux tiers, la PPSA reconnaît à d'autres personnes intéressées leurs intérêts dans les biens en subordonnant les droits des créanciers garantis à ceux de tiers dans certaines circonstances. Par exemple, les sûretés non parfaites sont subordonnées aux droits d'un syndic de faillite et, dans certaines situations, à ceux des acquéreurs à titre onéreux qui n'en connaissaient pas l'existence : par. 20(2) et (3). En conséquence, la PPSA prévoit, dans les limites de son champ d'application, un ensemble complet de règles déterminant l'ordre de priorité des droits des créanciers et des tiers sur un bien particulier.
[23] La PPSA ne constitue cependant pas un code tout à fait exhaustif. L'article 4 de la PPSA énumère un certain nombre de situations dans lesquelles cette loi ne s'applique pas. En l'espèce, l'al. 4k) est pertinent, car il prévoit que la PPSA ne s'applique pas à [traduction] « un contrat de sûreté régi par une loi du Parlement du Canada [. . .] y compris tout accord régi par les articles 425 à 436 de la Loi sur les banques ». Je parlerai davantage de cette disposition plus loin.
3.3 La relation difficile entre la Loi sur les banques et la PPSA
[24] Le régime applicable aux garanties relevant de la LB a fait l'objet de critiques. Des commentateurs ont souligné en particulier l'absence de cohérence entre les concepts archaïques qui sous-tendent la LB et les principes modernes consacrés dans les lois provinciales en matière de sûretés mobilières : voir, p. ex., M.‑A. Poirier, « Analysis of the Interaction between Security under Section 427 of the Bank Act and Provincial Law : A Bijural Perspective » (2003), 63 R. du B. 289, p. 395-400; Law Reform Commission of Saskatchewan, Tentative Proposals for a New Personal Property Security Act (1990); R. C. C. Cuming, « Case Comment : Innovation Credit Union v. Bank of Montreal — Interface between the PPSA and Section 427 of the Bank Act : Desirable Policy vs. Hard Legal Analysis » (2008), 71 Sask. L. Rev. 143.
[25] En fait, il semble exister un large consensus sur la nécessité de modifier le régime de la LB pour l'harmoniser avec ceux des lois provinciales en matière de sûretés mobilières, et certains commentateurs sont allés jusqu'à proposer son abrogation pure et simple, faisant valoir l'inutilité d'un tel régime au regard des lois provinciales en vigueur en matière de sûretés mobilières : voir J. S. Ziegel, « Interaction of Personal Property Security Legislation and Security Interests Under the Bank Act » (1986-87), 12 Rev. can. dr. comm. 73, p. 91-95; Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada — Stratégie du droit commercial (feuilles mobiles); Commission du droit du Canada, La Loi sur les banques et la modernisation du droit canadien des sûretés (2004), p. 29-32.
[26] Il n'y a aucun doute que les dispositions régissant les garanties prises sous le régime de la LB ont suscité des problèmes d'interprétation, comme le démontrent la présente affaire et l'affaire connexe. La LB fait toutefois encore partie intégrante du domaine du crédit garanti au Canada, et les tribunaux n'ont d'autre choix que de résoudre ces difficultés du mieux qu'ils peuvent en employant la méthode moderne d'interprétation des lois et en tenant compte des principes constitutionnels applicables : voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26.
3.4 La résolution des conflits de priorité entre la Loi sur les banques et la PPSA
[27] Dans Royal Bank of Canada c. Agricultural Credit Corp. of Saskatchewan (1994), 115 D.L.R. (4th) 569, p. 586-587, la Cour d'appel de la Saskatchewan a formulé trois règles de base pour résoudre les conflits de priorité de cette nature : [traduction] « (1) exclure la PPSA de l'analyse et établir la priorité comme si cette loi n'existait pas; (2) établir, dans la mesure du possible, la priorité selon les [dispositions applicables de la LB]; (3) appliquer, s'il y a lieu, la règle de priorité chronologique ». La Cour d'appel a approuvé et appliqué ce cadre d'analyse en l'espèce et, bien qu'il ne l'ait pas menée à un résultat incorrect dans la présente affaire, il faut souligner que les règles formulées, interprétées strictement, ne concordent pas parfaitement avec les principes constitutionnels en jeu. Il est exact de dire, conformément à l'étape (2), que la clé d'un conflit de priorité entre une garantie régie par la LB et une sûreté relevant d'une loi provinciale, telle la PPSA, se trouve dans la LB elle-même : Landry Pulpwood Co. c. Banque Canadienne Nationale, [1927] R.C.S. 605, p. 615. Il ne faut cependant pas écarter complètement la PPSA, comme le laisse peut-être entendre l'étape (1). En effet, cette étape signifie simplement que les règles de priorité internes de la PPSA n'ont aucune incidence sur la résolution d'un conflit de priorité entre une garantie relevant de la LB et une sûreté relevant de la PPSA. Toutefois, la PPSA demeure importante dans la résolution du conflit de priorité en cause ici. J'expliquerai pourquoi.
[28] Comme l'a affirmé la Cour dans Hall, les dispositions de la LB régissant les garanties sont des dispositions législatives fédérales valides qui ne peuvent être subordonnées à l'application de dispositions édictées par une province en matière de priorité (Hall, p. 154-155). Comme les provinces ne peuvent adopter des dispositions qui influeraient sur la priorité d'une sûreté valable créée sous un régime fédéral, le cadre conceptuel applicable à la résolution d'un conflit entre une sûreté relevant de la PPSA et une garantie régie par la LB est forcément celui établi par la LB.
[29] Par conséquent, dans les cas où la LB contient une disposition expresse applicable à un conflit de priorité donné, c'est cette disposition qui prime. Par exemple, selon le par. 428(1), une sûreté relevant de la LB prime les droits subséquemment acquis sur les biens, de même que les droits des vendeurs impayés. En pareil cas, le par. 428(1) fournit habituellement une solution complète et l'analyse peut se terminer à ce stade. Dans le cas d'un conflit de priorité opposant une garantie régie par la LB à une sûreté concurrente acquise avant que la banque ne prenne sa garantie sur les biens, la LB ne contient aucune disposition particulière à appliquer pour déterminer laquelle a priorité. Il demeure toutefois que le conflit de priorité doit être résolu par l'application des dispositions de la LB. Pour ce faire, il faut déterminer quels droits propriétaux ont été conférés à la banque en application du par. 427(2) de la LB. Comme je l'ai déjà mentionné et comme je l'expliquerai plus en détail ci-dessous, l'effet conjugué des par. 427(2) et 435(2) ne permet pas à la banque d'acquérir sur le bien un intérêt supérieur à celui que détenait le débiteur lui-même au moment pertinent.
[30] Or, pour déterminer quel intérêt le débiteur a peut-être déjà transmis à un autre créancier et, le cas échéant, quel intérêt il peut encore céder à la banque au moment de la conclusion du contrat de garantie régi par la LB, il faut se reporter aux règles du droit des biens provincial, qu'elles soient issues de la common law ou d'origine législative. C'est à ce stade que le recours à la PPSA devient pertinent. Certes, il n'est pas possible de résoudre le conflit en appliquant les règles de priorité internes établies par la PPSA. Il ne s'ensuit toutefois pas que la sûreté provinciale créée en application de la PPSA n'existe pas au-delà de ces règles de priorité. De plus, en établissant la nature du droit concurrent antérieur, on ne peut faire abstraction des modifications fondamentales apportées par la PPSA. Loin d'être dénué de pertinence sous le régime de la LB, le droit provincial des biens joue un rôle complémentaire dans la définition des droits conférés par la LB : voir Agricultural Credit Corp.; R. C. C. Cuming et R. J. Wood, « Compatibility of Federal and Provincial Personal Property Security Law » (1986), 65 R. du B. can. 267, p. 274; R. C. C. Cuming, C. Walsh et R. J. Wood, Personal Property Security Law (2005), p. 589.
[31] Les législatures provinciales ne peuvent pas écarter les droits de la banque, mais elles peuvent modifier les règles de droit applicables dans leur province respective en matière de propriété et de droits civils. C'est ce que les provinces de common law ont fait lorsqu'elles ont édicté leurs lois en matière de sûretés mobilières, et le Québec a fait de même en 1994 quand il a promulgué le Code civil du Québec, Livre sixième. À l'instar des anciennes règles du Code civil du Bas Canada concernant les sûretés qui ne s'appliquent plus, les anciennes règles de la common law ont été considérablement modifiées par voie législative. Ainsi, pour établir la nature d'une sûreté provinciale concurrente, il faut tenir compte de la loi provinciale applicable et interpréter la LB en harmonie avec cette loi provinciale. Cette méthode est conforme au préambule de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4 (« Loi d'harmonisation ») :
Attendu :
. . .
qu'une interaction harmonieuse de la législation fédérale et de la législation provinciale s'impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec la tradition de droit civil ou de common law, selon le cas;
. . .
que, sauf règle de droit s'y opposant, le droit provincial en matière de propriété et de droits civils est le droit supplétif pour ce qui est de l'application de la législation fédérale dans les provinces;
L'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, modifié par l'art. 8 de la Loi d'harmonisation, prévoit explicitement le recours aux « règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte ».
[32] À vrai dire, la relation entre la LB et le droit provincial des biens est à bien des égards analogue à la relation entre le droit fédéral de la faillite et le droit provincial telle que la Cour l'a décrite dans Giffen (Re), [1998] 1 R.C.S. 91, au par. 64 :
Bien que la faillite soit clairement une matière fédérale et bien qu'il ait été établi que seul le législateur fédéral pouvait arrêter l'ordre de priorité en matière de distribution, il faut nécessairement se référer aux lois provinciales en matière de propriété et de droits civils pour définir les termes utilisés dans la LFI et les droits des parties impliquées dans la faillite.
Il faut, pour des raisons essentiellement semblables, se référer au droit provincial des biens pour établir le contenu des dispositions de la LB et déterminer avec précision les droits des parties à un conflit de priorité concernant une garantie régie par la LB.
4. Application en l'espèce
[33] Le sort du pourvoi ne tient en rien au libellé respectif des deux contrats de sûreté, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'en reproduire les extraits pertinents. Il suffit de dire que les parties conviennent que la Coopérative de crédit a obtenu de M. Buist, en application de la PPSA, une sûreté valide qui a grevé les biens en cause le 7 octobre 1991, soit avant que la Banque n'acquière sa sûreté en vertu de la LB. Le juge des requêtes a néanmoins estimé que, comme la Coopérative de crédit n'a parfait sa sûreté pour acquérir son droit de priorité que plusieurs années après l'obtention par la Banque de sa garantie en application de la LB, le par. 428(1) de cette loi donnait priorité à la Banque sur les droits subséquemment acquis par la Coopérative de crédit. Le juge a donc conclu que le par. 428(1) permettait de trancher le conflit de priorité.
[34] Je conviens avec la Cour d'appel que le raisonnement du juge des requêtes ne saurait tenir. Premièrement, sa conclusion selon laquelle le par. 428(1) permettait de trancher la question de la priorité ne prend pas en considération le fait qu'une sûreté valable sur les biens existait en faveur de la Coopérative de crédit, même si cette sûreté n'avait pas été parfaite lorsque la Banque a obtenu sa garantie. Or, la question de savoir si la garantie de la Banque l'emporte sur cette sûreté non parfaite antérieure prise au titre de la PPSA ne relève manifestement pas de l'application du par. 428(1). Deuxièmement, le juge des requêtes a peut-être eu raison de décider que le par. 428(1) donnerait priorité à la Banque sur tout droit supplémentaire éventuellement acquis par la Coopérative de crédit du fait de la perfection de sa sûreté. Toutefois, sous le régime de la PPSA, ni le moment de la perfection de la sûreté, ni le défaut de perfection n'ont une incidence sur la nature ou la validité de la sûreté. La notion de perfection joue plutôt lorsqu'il s'agit de déterminer laquelle de plusieurs sûretés concurrentes l'emporte sur les autres en application de la PPSA. On ne peut recourir à ce régime de priorité pour régler le conflit en l'espèce. Il faut plutôt à cette fin analyser les droits que la Banque a acquis quand elle a pris sa garantie et décider si ces droits étaient subordonnés à la sûreté prise antérieurement par la Coopérative de crédit sous le régime de la PPSA. Cette analyse suppose un examen plus détaillé de la nature de la garantie prise par la banque en vertu du par. 427(2) de la LB.
4.1 La nature de la garantie consentie en application de la Loi sur les banques
[35] Le paragraphe 427(2) indique en ces termes quels droits et pouvoirs sont conférés à la banque quand elle prend une garantie en vertu de la LB :
427. . . .
(2) La remise à la banque d'un document lui accordant, en vertu du présent article, une garantie sur des biens dont le donneur de garantie :
a) soit est propriétaire au moment de la remise du document,
b) soit devient propriétaire avant l'abandon de la garantie par la banque, que ces biens existent ou non au moment de cette remise,
confère à la banque, en ce qui concerne les biens visés, les droits et pouvoirs suivants . . .
[36] Les « droits et pouvoirs » conférés à la banque varient selon la nature des biens en cause. Lorsqu'elle prend une garantie sur les types de biens énumérés à l'al. 427(2)c), la banque acquiert « les mêmes droits que si la banque avait acquis un récépissé d'entrepôt ou un connaissement visant ces biens ». Lorsqu'elle prend une garantie sur les types de biens énumérés à l'al. 427(2)d), la banque acquiert, en sus des droits qui lui sont accordés par l'al. 427(2)c), « un gage ou privilège de premier rang sur ces biens pour la somme garantie avec les intérêts y afférents ». Pour les besoins de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de décider quels droits acquiert une banque lorsqu'elle reçoit un « gage ou privilège de premier rang », car aucun des biens en litige dans la présente affaire n'est visé par l'al. 427(2)d). Tous les biens consistent en du « matériel agricole mobilier », au sens du par. 425(1) de la LB, qui tombe sous le coup de l'al. 427(2)c). En revanche, les biens consistant en du « matériel agricole immobilier » qui, selon la définition donnée à ce terme au par. 425(1), est « habituellement fix[é] à des biens immeubles » tombent sous le coup de l'al. 427(2)d). D'après le dossier, aucun des biens saisis par la Banque n'appartiendrait à la catégorie des biens « habituellement fixés à des biens immeubles ». Quoi qu'il en soit, je suis d'accord avec la Cour d'appel que la mention de la création d'un gage ou privilège de premier rang n'accroît pas la priorité d'une banque. La juge Jackson a expliqué cela comme suit au par. 42 :
[traduction] La mention de la création d'un « gage ou privilège de premier rang » n'accroît pas la priorité d'une banque vis-à-vis d'un autre créancier détenant une sûreté sur les biens personnels pour la raison suivante : cela va à l'encontre des autres règles de priorité, explicites, qui figurent dans la Loi sur les banques. Par conséquent, cet élément du par. 427(2) a été interprété, non pas comme une règle de priorité en soi, mais comme une description de la nature du droit acquis, et aux fins du règlement des conflits entre une banque et le titulaire d'un droit sous-jacent sur un bien immobilier auquel sont fixés, par exemple, du matériel agricole ou des récoltes.
(Voir Moull, p. 252-253; Poirier, p. 314.)
[37] Il faut alors établir quels droits acquiert une banque quand elle se voit accorder « les mêmes droits que si la banque avait acquis un récépissé d'entrepôt ou un connaissement visant [l]es biens ». Cette question trouve réponse dans le par. 435(2) de la LB, lequel précise qu'un récépissé d'entrepôt ou un connaissement a pour effet d'accorder à la banque les droit et titre du propriétaire des biens. Ce paragraphe prévoit ce qui suit :
435. . . .
(2) Tout récépissé d'entrepôt ou connaissement confère à la banque qui l'a acquis, en vertu du paragraphe (1), à compter de la date de l'acquisition :
a) les droit et titre de propriété que le précédent détenteur ou propriétaire avait sur le récépissé d'entrepôt ou le connaissement et sur des effets, denrées ou marchandises qu'il vise;
b) les droit et titre qu'avait la personne, qui les a cédés à la banque, sur les effets, denrées ou marchandises qui y sont mentionnés, si le récépissé d'entrepôt ou le connaissement est fait directement en faveur de la banque, au lieu de l'être en faveur de leur précédent détenteur ou propriétaire.
[38] La nature précise des droits et pouvoirs conférés à la banque en application des dispositions précitées a fait l'objet de certaines discussions, qui ont été réglées par la Cour dans Hall. Le juge La Forest, s'exprimant au nom de la Cour, a décrit ainsi l'effet conjugué de ces dispositions :
La nature des droits conférés à la banque par la remise du document accordant la sûreté a fait l'objet de certaines discussions. [. . .] J'estime que la description la plus précise de cette sûreté est celle que donne le professeur Moull dans son article intitulé « Security Under Sections 177 and 178 of the Bank Act » (1986), 65 R. du B. can. 242, à la p. 251. Le professeur Moull souligne, à juste titre à mon avis, que l'effet de la sûreté est de conférer à la banque le titre de propriété sur le bien en question lorsque la sûreté est [consentie]. [Je souligne; p. 133-134.]
Le juge La Forest a fait sienne l'explication qui suit, offerte par le professeur Moull :
[traduction] Il en résulte donc que la banque qui prend une sûreté en vertu de l'art. 178 acquiert effectivement le titre en common law sur l'intérêt de l'emprunteur dans les biens présents et à venir offerts en garantie. Le droit de la banque grève ces biens dès que la sûreté est consentie ou dès que l'emprunteur les acquiert et les biens demeurent grevés jusqu'à ce que la banque accorde mainlevée, sans égard aux changements survenus dans leurs attributs ou leurs éléments. L'emprunteur conserve évidemment un droit de rachat en equity, mais la banque acquiert effectivement le titre en common law sur tous les droits que l'emprunteur détient, à un moment ou à un autre, sur les biens offerts en garantie. [Je souligne; p. 251.]
[39] Dans le présent appel, le débiteur était propriétaire des biens visés au moment où il a consenti la garantie à la Banque, et il ne fait aucun doute que la Banque a acquis l'intérêt du débiteur sur les biens et que cet intérêt lui a été conféré à la conclusion du contrat de sûreté. J'analyse, dans l'arrêt connexe, la nature de l'intérêt qui est dévolu à la banque lorsque le document qui lui est remis lui accorde une garantie sur des biens à venir.
[40] Comme la Banque a effectivement acquis le titre en common law sur les droits du débiteur dans les biens affectés à la garantie, il faut établir la nature de l'intérêt propriétal que détenait le débiteur dans les biens lorsque la Banque a pris sa garantie en vertu de l'art. 427. M. Buist était propriétaire des biens, mais il avait déjà consenti à la Coopérative de crédit une sûreté régie par la PPSA sur les biens en question. Il ne pouvait pas conférer à la Banque un intérêt supérieur à celui qu'il conservait lui-même dans le bien. Il faut donc déterminer quelle est la nature du droit que M. Buist avait déjà conféré à la Coopérative de crédit en application de la PPSA.
4.2 La nature de la sûreté relevant de la PPSA
[41] Aucune disposition de la PPSA ne précise la nature d'une sûreté créée au titre de cette loi sous l'angle de la propriété. Il en est ainsi parce que, comme je l'ai déjà signalé, la PPSA règle les conflits de priorité entre des sûretés créées sous son régime au moyen d'un ensemble détaillé de règles de priorité plutôt qu'en fonction du titre ou de la forme d'une opération. Cependant, puisque les dispositions internes de la PPSA ne s'appliquent pas à une garantie relevant de la LB, et que le régime de garantie établi par la LB est axé sur la propriété, il faut considérer la sûreté régie par la PPSA sous l'angle de la propriété pour trancher le conflit de priorité en l'espèce : voir Cuming et Wood, p. 274.
[42] Deux caractéristiques de la PPSA sont pertinentes en l'espèce. En premier lieu, il est clair qu'une sûreté régie par la PPSA, tout comme une garantie régie par la LB, est une sûreté d'origine législative et, à ce titre, une sûreté reconnue en droit. Bien que certaines des anciennes formes de sûreté aient eu pour effet de conférer des intérêts en equity plutôt que des intérêts en common law, l'approche fonctionnelle adoptée dans la PPSA englobe toutes les sûretés qui existaient autrefois et les traite sur un pied d'égalité, comme des « sûretés » au sens de cette loi. Cette conclusion fait aussi consensus chez les auteurs de doctrine et je ne vois aucune raison de m'en écarter : voir Cuming et Wood, p. 275; Poirier, p. 360.
[43] En deuxième lieu, il est évident qu'une sûreté relevant de la PPSA ne confère pas au créancier les droit et titre absolus sur les biens en cause. Une sûreté de ce genre accorde plutôt au créancier un intérêt dans le bien dont la portée correspond à celle de l'obligation du débiteur. En cas de défaut du débiteur, le créancier garanti n'a aucun intérêt dans le bien au-delà de l'exécution de l'obligation du débiteur et des frais raisonnables de saisie et d'aliénation des biens engagés pour l'exécution de cette obligation : art. 59 et 60.
[44] À ce que je comprends, l'argument de la Banque sur la nature de l'intérêt conféré à la Coopérative de crédit en application de la PPSA et sur ce qui advient en conséquence de l'intérêt de M. Buist en tant que propriétaire semble comporter deux volets. Premièrement, la Banque fait valoir qu'étant donné que le créancier garanti au titre de la PPSA n'acquiert pas les droits et titre du débiteur sur le bien, M. Buist ne perd pas son intérêt de propriétaire des biens en consentant une sûreté et demeure ainsi libre de transmettre ce plein intérêt à la Banque en vertu de l'art. 427 de la LB. Comme la Banque l'affirme dans son mémoire : [traduction] « Un débiteur conserve les droit et titre sur les biens, mais grève les biens offerts en garantie en consentant une sûreté. La sûreté entrave ou grève les droit et titre du débiteur, mais n'a pas pour effet de les transmettre » (par. 49). Deuxièmement, la Banque admet que « [c]ela ne veut pas dire que la concession d'une sûreté n'a aucune incidence sur les droit et titre d'un débiteur et qu'elle n'a ni conséquence ni force obligatoire pour une banque qui obtiendrait une garantie sous le régime de la Loi sur les banques. » La Banque exhorte la Cour à conclure que l'effet et la validité de la sûreté régie par la PPSA pour la banque qui acquiert une garantie sous le régime de la LB doivent être établis en fonction du principe du premier enregistrement (mémoire, par. 53).
[45] Je traiterai d'abord de la prétention de la Banque qu'aucun intérêt propriétal n'a été transmis à la Coopérative de crédit par son contrat de sûreté antérieur étant donné que ce contrat n'a pas été enregistré. Je ne puis retenir cette prétention. La thèse voulant qu'aucun intérêt propriétal ne soit transmis avant qu'un évènement quelconque ne survienne (p. ex. l'enregistrement), ce qui permettrait que d'autres sûretés grèvent les biens et aient priorité, établirait en fait une analogie entre la sûreté relevant de la PPSA et une charge flottante, analogie que la Cour a rejetée dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411. Je vais analyser les conclusions pertinentes tirées par la Cour dans cet arrêt.
[46] Dans l'affaire Sparrow Electric, la Banque Royale avait garanti un prêt consenti à Sparrow Electric, d'une part, au moyen d'une convention de sûreté générale lui accordant une sûreté, sous le régime de la Personal Property Security Act de l'Alberta, S.A. 1988, ch. P-4.05 (la « loi albertaine »), sur les biens que Sparrow possédait alors ou qu'elle acquerrait par la suite et, d'autre part, au moyen d'une cession de biens figurant dans un inventaire lui accordant une garantie sur les mêmes biens en vertu de l'art. 427 de la LB. La question s'est posée de savoir si les sûretés de la Banque Royale avaient priorité sur une fiducie légale réputée applicable aux retenues salariales effectuées par Sparrow, mais non versées à la Couronne. Une bonne partie de l'analyse de la Cour est hors de propos en l'espèce; plus particulièrement, il n'est pas nécessaire d'étudier ici la nature du droit concurrent de la Couronne et l'effet d'un accord de licence conclu entre les parties (la question au sujet de laquelle la Cour était divisée en fin de compte). L'arrêt Sparrow Electric est cependant digne d'intérêt parce que, pour régler le conflit de priorité, la Cour a dû établir la nature de la garantie prise par la Banque Royale en vertu de la LB et de sa sûreté relevant de la loi albertaine. La question de savoir si la sûreté prise par la Banque en application de chacune des lois devait être qualifiée de charge flottante ou de charge fixe et spécifique a été amplement débattue. Le juge Gonthier (dissident, mais non sur ce point) a expliqué comme suit, au par. 46, l'importance de la distinction entre une charge fixe et une charge flottante :
L'importance cruciale de qualifier un droit de fixe ou de flottant réside, évidemment, dans le fait que cette qualification décrit la mesure dans laquelle on peut dire qu'un créancier possède un droit de propriété sur le bien donné en garantie. Plus particulièrement, pendant la période où un privilège sur les biens figurant dans un inventaire est flottant, le créancier ne possède aucun droit de propriété sur ces biens donnés en garantie. C'est pour cette raison que, si une fiducie ou un privilège légal grève ces biens pendant cette période, cette fiducie ou ce privilège légal grèvera le droit du débiteur et aura priorité de rang sur le privilège flottant subséquemment cristallisé. Cependant, si une garantie est qualifiée de privilège fixe et spécifique, elle aura priorité de rang sur un privilège légal subséquent; dans ce cas, tout ce que le privilège peut grever, c'est le droit de rachat que le débiteur possède sur le bien donné en garantie . . . [Je souligne.]
[47] Comme nous pouvons le constater, la prétention de la Banque en l'espèce selon laquelle le créancier bénéficiant d'une sûreté en vertu de la PPSA n'acquiert aucun intérêt qui affecterait le titre des biens donnés en garantie fait écho à l'argument avancé dans Sparrow Electric. Dans cet arrêt, on a fait valoir que la sûreté ne s'est « cristallisée » que lorsque le débiteur a acquis le bien en question. Dans le même ordre d'idées, on fait valoir en l'espèce que le créancier bénéficiant d'une sûreté en vertu de la PPSA n'a pas obtenu d'intérêt affectant le titre sur les biens avant l'enregistrement effectué plus tard. La Cour a rejeté sans équivoque la thèse selon laquelle la sûreté prise par la Banque Royale en vertu de la loi albertaine en matière de sûretés mobilières ne s'est cristallisée que lorsqu'un événement à venir est survenu. Après avoir analysé la jurisprudence pertinente et la doctrine, le juge Gonthier a conclu que la sûreté générale prise en application de la loi albertaine devait impérativement être qualifiée de charge fixe. (Comme nous le verrons dans l'appel connexe, la Cour est arrivée à la même conclusion à l'égard de la garantie sur les biens actuels et à venir obtenue en vertu de la LB.) Il a appuyé cette conclusion sur l'avis unanime des auteurs de doctrine que la loi en matière de sûretés mobilières traite toutes les charges, y compris les sûretés flottantes, comme des charges fixes. La sûreté consentie en vertu de la loi en matière de sûretés mobilières sur tous les biens actuels ou à venir de l'inventaire du débiteur a été considérée comme « correspond[ant] à la notion d'un créancier qui a les droits de propriété sur le bien donné en garantie » (par. 60), un droit qui « représente un droit de propriété sur un ensemble dynamique d'éléments d'actif présents et futurs » (par. 63 (je souligne; soulignement dans l'original omis)). Il a ajouté que la création par la loi d'une charge fixe sur des éléments d'actif présents et futurs mettait en question notre conception traditionnelle d'une charge fixe. Le caractère particulier d'une sûreté créée au titre de la PPSA sur les biens à venir est analysé plus à fond dans l'affaire connexe Banque Royale.
[48] À mon avis, la Banque ne peut pas faire valoir maintenant dans le présent appel que l'intérêt légal transmis à la Coopérative de crédit n'est pas analogue à un droit propriétal. Lorsque M. Buist a consenti à la Banque de Montréal sa garantie en application de la LB, la Coopérative de crédit détenait déjà une sûreté valide de la nature d'une charge fixe. Cela veut dire que toute sûreté subséquente ne pouvait être prise que sur le droit de rachat de M. Buist relativement aux biens.
[49] Je ne puis retenir non plus l'argument que le défaut de parfaire la sûreté influe sur cette qualification. Sous le régime de la PPSA, le moment où la sûreté a été parfaite, ou le défaut de la parfaire, détermine laquelle de deux sûretés concurrentes prend rang avant l'autre, mais ce facteur n'a pas d'incidence sur la nature ou la validité de la sûreté. Depuis l'adoption de la PPSA, le défaut d'enregistrement n'emporte plus la nullité de la sûreté. L'article 10 de la PPSA indique à quels critères une sûreté doit répondre pour être opposable aux tiers. La Banque admet ce qui suit au par. 22 de son mémoire : [traduction] « Dans une situation comme celle-ci, où les biens constituent du matériel tangible, la principale exigence, suivant l'al. 10(1)d), est l'existence d'un contrat de sûreté signé qui contient une description des biens. » Il n'est pas contesté que cette règle est respectée en l'espèce.
[50] J'examinerai maintenant la prétention de la Banque que le conflit doit être tranché selon la règle de priorité du premier enregistrement.
4.3 La résolution du conflit de priorité
[51] Comme je l'ai déjà indiqué, le conflit en l'espèce oppose deux sûretés concurrentes valides visant les mêmes biens. Selon les règles de la common law, la solution à un conflit de priorité entre deux intérêts en common law dans le même bien tient à la maxime nemo dat quod non habet : voir B. Ziff, Principles of Property Law (4e éd. 2006), p. 432-434. En termes simples, cette règle prévoit que, si A cède le titre en common law sur un bien à B, et ensuite à C, le titre est dévolu à B. Puisque A n'a plus de titre en common law à donner à C, il ne peut pas lui transmettre pareil titre. Ainsi, en présence de deux intérêts en common law concurrents dans un bien, la règle nemo dat accorde priorité de rang à la première partie à acquérir un intérêt en common law dans le bien. L'application de la règle de la common law dans le présent dossier a pour effet de donner priorité de rang à l'intérêt de la Coopérative de crédit. Comme nous l'avons constaté, la LB établit un régime de sûreté axé sur la propriété selon lequel, par suite de l'effet conjugué des par. 427(2) et 435(2), la Banque ne peut recevoir dans les biens un intérêt supérieur à celui que détenait le débiteur lui-même. Ces dispositions s'appliquent donc de la même manière que la règle nemo dat de la common law. Lorsque la Banque a pris sa sûreté en vertu de la LB, la Coopérative de crédit avait déjà acquis sur le même bien un intérêt légal qui, sous l'angle de la propriété, correspondait à une charge fixe. En conséquence, la Banque ne pouvait prendre sa sûreté que sous réserve de cette sûreté antérieure.
[52] La Banque de Montréal soutient que l'application de la règle nemo dat doit être écartée dans les circonstances, car elle donne des résultats déraisonnables sur le plan commercial. Puisque les banques prenant une garantie sous le régime de la LB n'ont aucun moyen de découvrir l'existence de sûretés relevant de la PPSA qui n'ont été ni révélées, ni enregistrées, le fait d'accorder la priorité aux sûretés de ce genre sur les garanties subséquentes régies par la LB exposerait les banques à des risques commerciaux déraisonnables. La Banque presse donc la Cour d'adopter une règle conférant priorité à la première sûreté enregistrée.
[53] L'argument de la Banque fait écho aux demandes de réforme législative de nombreux commentateurs. Bien entendu, le législateur peut décider de modifier la LB et d'ajouter expressément une règle de priorité qui aurait pour effet de subordonner une sûreté antérieure non parfaite prise au titre de la PPSA à une garantie subséquente régie par la LB. Toutefois, les tribunaux ne peuvent pour leur part établir une telle règle que si elle ne va pas à l'encontre des dispositions actuelles de la LB. À mon avis, l'adoption d'une règle conférant priorité au premier enregistrement irait à l'encontre des par. 427(2) et 435(2). Le défaut d'enregistrement n'affecte en rien la nature et la validité de la sûreté antérieure de la Coopérative de crédit. Comme l'ont fait remarquer les professeurs Cuming, Walsh et Wood à la p. 590 de leur ouvrage intitulé Personal Property Security Law, le cadre axé sur la propriété qui est établi par la LB ne permet pas vraiment de faire une distinction entre les sûretés parfaites et les sûretés non parfaites prises au titre de la PPSA, et il n'existe pas non plus de règle de priorité prévoyant explicitement un traitement distinct :
[traduction] Par application du [par. 427(2)], une banque obtient le bien du débiteur sous réserve de toute sûreté préexistante détenue par un tiers. Ainsi, une sûreté antérieure relevant de la PPSA aura priorité sur une garantie subséquente régie par la Loi sur les banques. Cela vaut même si la sûreté antérieure relevant de la PPSA n'a pas été parfaite. Rien dans la Loi sur les banques n'abaisse le rang de priorité d'une sûreté antérieure non parfaite sous le régime de la PPSA.
[54] La Cour ne peut donc passer outre les dispositions de la LB. Pour ce seul motif, il est impossible d'acquiescer au plaidoyer de la Banque en faveur d'une règle conférant priorité au premier enregistrement. Cette règle pose toutefois problème à d'autres égards.
[55] Une règle conférant priorité au premier enregistrement a pour prémisse que l'enregistrement constitue « un avis à tous », un concept qui a été aboli sous le régime de la PPSA. Comme la juge Jackson l'a expliqué au par. 31 :
[traduction] L'enregistrement dans le contexte de la PPSA ne sert pas cet objectif. Bien qu'il ait accessoirement pour objectif de permettre à des créanciers éventuels de faire une recherche sur un débiteur à partir de son nom, et sur certains types de biens personnels à partir de leur numéro de série, l'enregistrement a pour effet fondamental d'établir l'ordre de priorité en fonction du moment de l'enregistrement, et ce, seulement pour l'application de la PPSA. L'enregistrement ne constitue plus un avis réel ou présumé dans le contexte de la PPSA. L'article 47 de la PPSA abolit ce concept.
[56] Je suis d'accord pour dire que la thèse selon laquelle l'enregistrement constitue un avis à tous va à l'encontre du libellé exprès de l'art. 47 de la PPSA. Cet article prévoit ce qui suit : [traduction] « Les tiers ne sont pas réputés avoir connaissance de l'existence ou du contenu d'un état de financement du seul fait de son enregistrement au Bureau d'enregistrement. » Il n'est pas obligatoire de déposer les documents relatifs à la sûreté en application de la PPSA ni de les soumettre pour examen. En fait, l'art. 25 de la PPSA permet d'enregistrer un état de financement avant la signature du contrat de sûreté. Donc, l'existence d'un état de financement enregistré ne signifie pas qu'une sûreté relevant de la PPSA existe nécessairement, mais indique seulement qu'il est possible qu'une sûreté de ce genre existe ou soit obtenue plus tard. Le système d'enregistrement de la PPSA diffère de ceux qui l'ont précédé et des autres registres des titres fournissant une preuve prima facie de l'existence de la sûreté.
[57] On peut soutenir que cette caractéristique de la PPSA ne poserait pas d'obstacles insurmontables à l'application d'une règle conférant priorité au premier enregistrement, vu que l'art. 18 de la PPSA permet à certaines personnes, dont les créanciers, d'exiger du créancier garanti qu'il leur transmette une copie du contrat de sûreté et des renseignements à jour sur l'état de la dette. L'existence de ces dispositions relatives à la communication ne règle cependant pas la difficulté attribuable au fait que c'est la notion de perfection, et non d'enregistrement, qui est la clé du régime de priorité établi par la PPSA. L'enregistrement est un mécanisme important de perfection d'une sûreté, mais il en existe bien d'autres. Par conséquent, si la règle proposée conférant priorité au premier enregistrement a pour but d'établir une priorité sur toutes les sûretés non parfaites au titre de la PPSA, elle n'atteint pas son objectif, car certaines sûretés non enregistrées relevant de la PPSA seront néanmoins parfaites. Une règle conférant priorité à la première sûreté parfaite règlerait peut-être ce problème précis, mais il faudrait se reporter à l'ensemble du régime de perfection de la PPSA pour résoudre le conflit sur cette base. Personne ne soutient qu'il est possible d'invoquer les règles internes de priorité de la PPSA afin de résoudre le conflit. Les raisons pour lesquelles il est impossible de le faire sont évidentes.
[58] Songeons à la manière dont la règle conférant priorité au premier enregistrement s'appliquerait pour régler un conflit entre une sûreté provinciale antérieure et une sûreté subséquente prise au titre de la LB. Dans un premier scénario, la sûreté provinciale antérieure l'emporterait parce qu'elle a été enregistrée en premier sous le régime de la PPSA. Le problème qui se pose ici est que la province n'a pas le pouvoir de restreindre les droits conférés à la banque en vertu de la LB. En conséquence, si la sûreté doit avoir la priorité du fait de son enregistrement ou d'une autre forme de perfection, ce ne peut être en application d'une règle de priorité quelconque établie par le législateur provincial. Dans un deuxième scénario, la garantie prise au titre de la LB l'emporterait sur la sûreté provinciale antérieure parce qu'elle a été enregistrée en premier sous le régime de cette loi. Il s'agit essentiellement du raisonnement adopté par le juge saisi de la demande en l'espèce. Comme je l'ai déjà expliqué, ce raisonnement ne tient pas compte de l'effet des par. 427(2) et 435(2) de la LB.
[59] Finalement, bien que la province ait le pouvoir de reconnaître que les garanties prises au titre de la LB tombent sous le coup de la PPSA et d'autoriser l'enregistrement de ces sûretés en vertu du régime provincial, la Saskatchewan ne l'a pas fait. Au contraire, elle a expressément exclu les garanties visées par la LB de la portée de sa loi. L'alinéa 4k) de la PPSA prévoit ce qui suit :
[traduction]
4 Sauf disposition contraire de la présente loi ou du règlement, la présente loi ne s'applique pas :
. . .
k) à un contrat de sûreté régi par une loi du Parlement du Canada qui traite des droits des parties au contrat ou des droits des tiers que touche une sûreté créée par le contrat, y compris tout accord régi par les articles 425 à 436 de la Loi sur les banques (Canada).
[60] Comme la juge Jackson, de la Cour d'appel, l'a expliqué, l'alinéa 4k) a été adopté en 1993 pour empêcher les banques d'enregistrer leurs garanties prises au titre de la LB sous le régime de la PPSA et d'obtenir ainsi le bénéfice de la loi provinciale sans pour autant être liées par elle. À mon avis, l'adoption d'une règle conférant priorité au premier enregistrement qui ferait primer une garantie prise au titre de la LB sur une sûreté antérieure non enregistrée régie par la PPSA permettrait effectivement à la Banque de bénéficier des règles de priorité de la PPSA, contrairement à l'intention manifeste de la législature de la Saskatchewan.
[61] J'estime qu'on ne peut attribuer aux régimes législatifs, tels qu'ils existent actuellement, une interprétation acceptable qui permettrait aux tribunaux d'établir une règle conférant priorité au premier enregistrement ou à la première sûreté parfaite, comme le demande la Banque. C'est au législateur qu'il reviendrait d'édicter pareille règle, s'il le jugeait à propos.
[62] La Banque présente un autre argument qui repose, non pas sur l'interprétation de la LB, mais sur l'effet conjugué de l'al. 4k) et du par. 20(3) de la PPSA. Je passe maintenant à cet argument subsidiaire.
4.4 Le paragraphe 20(3) de la PPSA
[63] La Banque de Montréal a avancé un argument subsidiaire pour la première fois dans son mémoire adressé à la Cour. Plus précisément, elle fait valoir que, dans le contexte factuel du présent pourvoi, le par. 20(3) de la PPSA a pour effet de subordonner une sûreté non parfaite à une garantie régie par la LB.
[64] Comme je l'ai déjà mentionné, la PPSA reconnaît les intérêts d'autres personnes sur les biens donnés en garantie en subordonnant les intérêts des créanciers garantis à ceux de certains tiers. Le paragraphe 20(3) établit ainsi une règle qui, dans certaines circonstances, subordonne les droits du détenteur d'une sûreté non parfaite au titre de la PPSA à ceux d'une personne qui acquiert les biens à titre onéreux sans connaître l'existence de la sûreté. Voici ce que disait ce paragraphe à l'époque pertinente :
[traduction]
20 . . .
(3) Une sûreté dont des objets, un acte mobilier, un titre, un instrument, un bien immatériel ou de l'argent sont grevés est subordonnée à l'intérêt du destinataire d'un transfert si les conditions suivantes sont réunies :
a) le destinataire du transfert acquiert son intérêt aux termes d'une opération qui n'est pas un contrat de sûreté,
b) il fournit une prestation,
c) il acquiert son intérêt sans connaître l'existence de la sûreté avant que celle-ci ne soit parfaite.
[65] La Banque soutient que les al. 20(3)b) et c) sont manifestement respectés, car elle a fourni une prestation en consentant le prêt, et elle a obtenu sa garantie au titre de la LB sans connaître l'existence de la sûreté antérieure de la Coopérative de crédit. Jusqu'à présent, je suis d'accord.
[66] Comme l'admet la Banque, l'obstacle le plus important qui l'empêche de tirer profit de cette disposition est l'al. 20(3)a), qui l'oblige à acquérir son [traduction] « intérêt aux termes d'une opération qui n'est pas un contrat de sûreté ». Selon les définitions incluses aux al. 2(1)pp) et qq) de la PPSA, qui précisent ce qui constitue une sûreté et un contrat de sûreté, un contrat créant une garantie sous le régime de la LB serait manifestement un contrat de sûreté au sens de la PPSA. La Banque de Montréal fait toutefois valoir que, par application de l'al. 4k) de la PPSA, qui comme nous l'avons vu soustrait une garantie créée en vertu de la LB de l'application de la PPSA, une telle garantie ne constitue pas une sûreté au sens de la PPSA. D'après la Banque, cela signifie que la condition établie à l'al. 20(3)a) est respectée, ce qui lui permet de tirer profit de cette disposition de subordination.
[67] À mon avis, l'argument de la Banque n'est pas compatible avec le libellé clair de la disposition ni avec l'intention sous-jacente du législateur. Aux termes de l'al. 4k), la PPSA [traduction] « ne s'applique pas à » une garantie régie par la LB. Il me semble que le libellé clair de cet alinéa ne peut logiquement recevoir qu'une interprétation : une garantie régie par la LB constitue bel et bien une sûreté au sens de la PPSA, mais l'al. 4k) déclare les dispositions de la PPSA inapplicables à ce type de garantie.
[68] Les considérations liées à l'intention du législateur militent aussi contre l'interprétation du par. 20(3) et de l'al. 4k) préconisée par la Banque. La PPSA de la Saskatchewan contient une disposition essentiellement semblable à l'actuel par. 20(3) depuis son entrée en vigueur en 1980, mais son al. 4k), qui soustrait expressément la garantie régie par la LB à l'application de la PPSA, n'a été ajouté qu'en 1993. Lorsque le par. 20(3), ou son ancêtre, a été adopté initialement, il ne fait aucun doute qu'il ne s'appliquait pas et n'était pas censé s'appliquer à une garantie régie par la LB, puisque le libellé de cette disposition en limitait expressément l'application aux intérêts qui n'étaient pas acquis aux termes d'un contrat de sûreté et qu'il ne faisait aucun doute qu'une garantie régie par la LB constituait une sûreté au sens de la PPSA. Puisque l'al. 4k) avait pour objet d'exclure la garantie créée en vertu de la LB du régime de priorité établi par la PPSA, il semble contraire à l'intention du législateur d'interpréter cet alinéa comme ayant pour effet d'appliquer à une garantie régie par la LB une règle de priorité qui lui était inapplicable auparavant. Or, c'est exactement la conclusion que la Cour devrait tirer selon l'interprétation proposée par la Banque de Montréal. Le paragraphe 9(2), également adopté en 1993, démontre aussi l'intention de la législature provinciale d'empêcher les banques qui prennent une garantie au titre de la LB de prendre une sûreté en vertu de la PPSA sur le même bien et de tirer ainsi parti des deux lois. Le paragraphe 9(2) prévoit ce qui suit :
[traduction]
9 . . .
(2) Une sûreté sur un bien cesse d'être valide à l'égard de ce bien dans la mesure où elle garantit l'exécution d'une obligation dont l'exécution est aussi garantie par une sûreté sur le même bien créée en faveur du même créancier en vertu des articles 425 à 436 de la Loi sur les banques (Canada).
[69] Je conclus donc que le par. 20(3) n'a pas pour effet de subordonner la sûreté prise par la Coopérative de crédit en vertu de la PPSA à la garantie obtenue par la Banque au titre de la LB.
5. Conclusion
[70] En résumé, la LB, correctement interprétée, donne à une sûreté antérieure non parfaite relevant de la PPSA priorité sur une garantie subséquente régie par la LB, et aucune disposition de la PPSA ne subordonne une sûreté non parfaite visée par cette loi à une garantie consentie en application de la Loi sur les banques.
[71] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens en faveur de la Coopérative de crédit devant toutes les cours.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Balfour Moss, Regina.
Procureurs de l’intimée : Layh & Associates, Langenburg, Saskatchewan.