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14/03/2008 | CANADA | N°2008_CSC_10

Canada | R. c. Stirling, 2008 CSC 10 (14 mars 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Stirling, [2008] 1 R.C.S. 272, 2008 CSC 10

Date : 20080314

Dossier : 31795

Entre :

Beau Jake Stirling

Appelant

c.

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 17)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron

et Rothstein)

______________________________

R. c. Stirling, [2008] 1 R.C.S. 272, 2008 CSC 10

Beau Jake Stirling Appelant

c.

Sa Majest...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Stirling, [2008] 1 R.C.S. 272, 2008 CSC 10

Date : 20080314

Dossier : 31795

Entre :

Beau Jake Stirling

Appelant

c.

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 17)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

______________________________

R. c. Stirling, [2008] 1 R.C.S. 272, 2008 CSC 10

Beau Jake Stirling Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Stirling

Référence neutre : 2008 CSC 10.

No du greffe : 31795.

2007 : 10 décembre; 2008 : 14 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Levine et Chiasson) (2007), 234 B.C.A.C. 161, 387 W.A.C. 161, 215 C.C.C. (3d) 208, 41 M.V.R. (5th) 17, [2007] B.C.J. No. 3 (QL), 2007 CarswellBC 5, 2007 BCCA 4, qui a confirmé les déclarations de culpabilité inscrites par le juge Quantz, [2005] B.C.J. No. 1575 (QL) (sub nom. R. c. B.J.S.), 2005 BCPC 274. Pourvoi rejeté.

John Green, pour l’appelant.

Terrence L. Robertson, c.r., et Mandeep K. Gill, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] Le juge Bastarache — L’appelant, M. Stirling, en appelle de ses déclarations de culpabilité pour deux chefs de négligence criminelle ayant causé la mort et un chef de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles. Les déclarations de culpabilité découlaient d’un accident — impliquant un seul véhicule — qui a entraîné la mort de deux des occupants et causé de graves blessures aux deux autres, dont M. Stirling. La question principale dont était saisi le juge du procès était celle de savoir si le ministère public avait établi que l’appelant — et non pas l’autre survivant, M. Harding — conduisait le véhicule au moment de l’accident. En fin de compte, le juge du procès a conclu que c’était M. Stirling qui conduisait. Il a fondé sa conclusion sur plusieurs éléments de preuve, dont le témoignage de M. Harding qui a affirmé que M. Stirling était au volant du véhicule.

[2] En contre‑interrogatoire, l’avocat de l’appelant a interrogé M. Harding sur une poursuite civile en instance, qu’il avait intentée contre M. Stirling à titre de conducteur du véhicule, et sur plusieurs accusations relatives à des stupéfiants portées contre M. Harding, mais retirées depuis peu. Toutes les parties ont convenu que ces questions laissaient croire que M. Harding pouvait avoir eu des raisons de fabriquer son témoignage. À la suite d’un voir‑dire, le juge a admis plusieurs déclarations antérieures compatibles qui ont servi à réfuter cette hypothèse.

[3] Selon l’appelant, bien que le juge du procès ait eu raison d’admettre les déclarations antérieures compatibles pour réfuter l’hypothèse de la fabrication récente, il les a considérées à tort pour la véracité de leur contenu. Comme l’appelant estime que le témoignage de M. Harding a constitué une « condition préalable » à sa déclaration de culpabilité, il soutient que cette erreur est importante et que la Cour devrait ordonner la tenue d’un nouveau procès. Pour M. Stirling, les extraits suivants du jugement de première instance indiquent que le juge du procès a utilisé les déclarations antérieures compatibles à mauvais escient :

[traduction] En appréciant et en examinant l’ensemble de son témoignage à la lumière de ses nombreuses déclarations antérieures, je constate sa constance à ne pas se rappeler de nombreux détails concernant les faits qui ont précédé l’accident, mais à affirmer clairement qu’il était assis à l’arrière à côté de M. [Bateman], que M. [Hamilton] prenait place à l’avant et, à plusieurs reprises, que l’accusé était au volant. À mon avis, ses incohérences antérieures quant à d’autres détails sont compréhensibles compte tenu des circonstances dans lesquelles il a donné plusieurs de ses déclarations antérieures, y compris le fait que, à l’hôpital, il était sous l’influence de médicaments et souffrait de blessures graves, en plus de subir les autres répercussions d’un terrible accident, dont le décès de deux amis.

. . .

Depuis l’accident, M. [Harding] a toujours affirmé que les deux victimes occupaient ces sièges. Ce témoignage extrajudiciaire, même s’il ne constitue pas un élément de preuve, étaye la crédibilité de son témoignage livré à l’audience sur ce point. Fait important, M. [Harding] soutenait cette thèse bien avant que les experts ne procèdent à leur analyse.

([2005] B.C.J. No. 1575 (QL) (sub nom. R. c. B.J.S.), 2005 BCPC 274, par. 59 et 95)

[4] À mon avis, le pourvoi doit être rejeté. Même si les passages qui précèdent comportent certaines remarques ambiguës quant à la façon dont le juge du procès a utilisé les déclarations antérieures compatibles, il faut interpréter ces remarques dans le contexte de l’ensemble des motifs. Il ressort de son jugement que le juge du procès était parfaitement conscient de l’utilisation limitée qu’il pouvait faire des déclarations antérieures compatibles, et il a énoncé correctement, à plusieurs reprises, la démarche à adopter à cet égard.

Analyse

[5] Il est bien établi que les déclarations antérieures compatibles sont généralement inadmissibles (R. c. Evans, [1993] 2 R.C.S. 629; R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3; R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398). Il en est ainsi parce que, règle générale, on considère que ces déclarations n’ont pas de force probante et qu’il s’agit de déclarations intéressées (Evans, p. 643). Toutefois, il existe plusieurs exceptions à cette règle générale d’exclusion, dont celle voulant que les déclarations antérieures compatibles soient admissibles lorsque la fabrication récente de certains segments d’un témoignage est évoquée (Evans, p. 643; Simpson, p. 22‑23). Il n’est pas nécessaire que la fabrication récente soit alléguée expressément pour que les déclarations soient admissibles par application de cette exception — il suffit qu’il ressorte des circonstances de l’affaire que « la position apparente de la partie adverse [est] qu’il y a eu invention » (Evans, p. 643). Il n’est pas non plus nécessaire que la fabrication soit particulièrement « récente », puisque ce n’est pas son caractère récent qui importe, mais plutôt la question de savoir si le témoin a inventé une histoire à un moment quelconque, après l’événement au sujet duquel il témoigne (R. c. O’Connor (1995), 100 C.C.C. (3d) 285 (C.A. Ont.), p. 294‑295). Les déclarations antérieures compatibles ont une valeur probante dans ce contexte, lorsqu’elles peuvent démontrer que le témoin a donné une version identique des faits même avant d’avoir une raison d’inventer une histoire.

[6] En l’espèce, les parties ne contestent pas que le juge du procès a eu raison d’admettre les déclarations antérieures compatibles de M. Harding. Le contre‑interrogatoire de ce témoin comportait des questions se rapportant tant à une poursuite civile qu’il avait intentée contre M. Stirling à titre de conducteur du véhicule, qu’au lien entre son témoignage et les accusations criminelles portées contre lui qui avaient été retirées depuis peu. Vu ces questions, le juge a eu raison d’admettre les déclarations faites par M. Harding avant l’introduction de la poursuite civile et avant le retrait des accusations, car ces déclarations, si elles étaient compatibles avec sa déposition à l’audience, pouvaient démontrer que son témoignage n’était motivé par aucun de ces facteurs.

[7] Toutefois, les déclarations antérieures compatibles admises pour réfuter une allégation de fabrication récente n’ont pas plus de valeur probante pour autant, sauf pour établir que le témoin n’a pas modifié son récit parce qu’il avait un nouveau motif d’inventer une histoire. Fait important, il n’est pas permis de présumer qu’un témoin est plus susceptible de dire la vérité parce qu’il a déjà fait la même déclaration, et une déclaration antérieure compatible ne devrait pas être considérée pour la véracité de son contenu. Comme le souligne l’arrêt R. c. Divitaris (2004), 188 C.C.C. (3d) 390 (C.A. Ont.), par. 28, [traduction] « même répétée à plusieurs reprises, une déclaration inventée demeure inventée »; voir aussi J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 313. La présente affaire illustre l’importance de ce point. Le fait que la déclaration de M. Harding — selon laquelle l’appelant conduisait la nuit de l’accident — ait précédé l’introduction de la poursuite civile et le retrait des accusations portées contre lui ne prouve absolument pas que ce témoignage n’a pas été fabriqué. Tout ce qu’il nous révèle, c’est que ce témoignage n’a pas été inventé par suite de la poursuite civile ou du retrait des accusations criminelles. Il est donc toujours parfaitement plausible qu’il ait été fabriqué immédiatement après l’accident, au moment où, comme l’a conclu le juge du procès, [traduction] « toute personne raisonnable reconnaîtrait que le conducteur encourait une énorme responsabilité » (décision sur le voir‑dire, 21 juin 2005, par. 24). En réalité, lorsque M. Harding a fait ses tout premiers commentaires à propos de la personne qui conduisait au moment de l’accident, il avait déjà un motif évident d’inventer une histoire — échapper aux conséquences claires que devait assumer le conducteur du véhicule — , et ce motif potentiel n’est aucunement réfuté par la constance de son récit. Le juge du procès devait donc se garder d’utiliser les déclarations antérieures de M. Harding pour la véracité de leur contenu.

[8] Il ressort clairement des motifs du juge du procès qu’il était conscient de la valeur limitée des déclarations antérieures de M. Harding. Non seulement il a reconnu que ce témoin avait un motif d’inventer une histoire immédiatement après l’accident (et, par conséquent, avant de faire quelque déclaration que ce soit à propos du conducteur), mais il a dit explicitement, à plusieurs reprises, qu’il n’avait pas pris les déclarations en considération pour la véracité de leur contenu :

[traduction] Les déclarations antérieures incompatibles et une déclaration antérieure compatible admise pour réfuter une allégation de fabrication récente et de partialité ne font pas foi de la véracité de leur contenu.

. . .

J’ai également accepté d’entendre de consentement une déclaration antérieure compatible au motif qu’elle pouvait aussi être prise en compte dans l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage de ce témoin. J’ai pris ces déclarations antérieures en considération à cette seule fin.

. . .

Depuis l’accident, M. [Harding] a toujours affirmé que les deux victimes occupaient ces sièges. Ce témoignage extrajudiciaire, même s’il ne constitue pas un élément de preuve, étaye la crédibilité de son témoignage livré à l’audience sur ce point.

(B.J.S., par. 38, 53 et 95)

Bien que toutes ces déclarations extrajudiciaires soient admises de consentement uniquement aux fins de l’appréciation de la crédibilité [. . .] Je suis convaincu que ces déclarations sont aussi admissibles aux fins de réfuter les allégations de partialité soulevées en contre‑interrogatoire.

. . .

J’ai toujours la possibilité de retenir la preuve offerte par M. Harding en totalité ou en partie, ou de la rejeter en entier. Toutefois, à ce stade de la procédure, je ne suis pas convaincu de pouvoir écarter toute possibilité qu’il y ait eu invention ou distorsion et, pour cette raison, je n’admets pas la déclaration faite à M. Smith pour la véracité de son contenu.

Comme toutes les autres déclarations faites par M. Harding au personnel des services d’urgence, elle est admissible aux fins de m’aider à apprécier la crédibilité du témoignage de M. Harding à la fin du procès.

(Décision sur le voir‑dire, par. 13, 27 et 28)

[9] La juge Levine, dissidente en Cour d’appel, a conclu que, malgré ces passages et le fait que les motifs en l’espèce [traduction] « soient, dans l’ensemble, pratiquement un modèle d’examen approfondi et minutieux des règles de preuve et de droit » ((2007), 234 B.C.A.C. 161, 2007 BCCA 4, par. 103), le juge du procès a commis une erreur en utilisant les déclarations antérieures compatibles pour renforcer la crédibilité « générale » de M. Harding et en utilisant ses déclarations extrajudiciaires pour la véracité de leur contenu. L’appelant exhorte la Cour à souscrire à ces conclusions.

[10] À mon avis, la prétention selon laquelle le juge du procès a utilisé à tort les déclarations antérieures compatibles pour renforcer la crédibilité « générale » de M. Harding doit être rejetée. Comme nous l’avons vu, les déclarations antérieures compatibles ont pour effet d’éliminer une raison potentielle de mentir et le juge du procès a le droit de prendre en considération l’élimination de cette raison lorsqu’il apprécie la crédibilité du témoin.

[11] On trouve dans la jurisprudence et la doctrine canadiennes toute une gamme d’expressions pour décrire l’effet, sur la crédibilité d’un témoin, de déclarations antérieures compatibles réfutant une allégation de motif illégitime. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse et celle de l’Alberta parlent du « bolstering » (renforcement) de la crédibilité du témoin (R. c. Schofield (1996), 148 N.S.R. (2d) 175, par. 23; R. c. R. (J.) (2000), 84 Alta. L.R. (3d) 92, 2000 ABCA 196, par. 8), un terme aussi utilisé dans l’ouvrage de référence de Sopinka, Lederman et Bryant, à la p. 314. La Cour d’appel de l’Ontario a récemment utilisé le mot « strengthening » pour affirmer que ces déclarations peuvent rehausser la crédibilité (R. c. Zebedee (2006), 211 C.C.C. (3d) 199, par. 117), tandis que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a parlé de leur capacité de « rehabilitate » (rétablir ) la crédibilité (R. c. Aksidan (2006) 209 C.C.C. (3d) 423, 2006 BCCA 258, par. 21). Notre Cour est arrivée à la conclusion que ces déclarations sont recevables « à l’appui de » la crédibilité d’un témoin (Evans, p. 643). Quoi qu’il en soit, toutes ces sources illustrent clairement que l’admission de déclarations antérieures compatibles qui éliminent un motif de fabrication a nécessairement un effet — positif — sur la crédibilité. Il serait certes manifestement erroné de conclure que l’élimination de ce motif mène à la conclusion que le témoin dit la vérité, mais ce facteur peut être pris en considération dans l’appréciation générale de la crédibilité.

[12] Par conséquent, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer, comme le fait l’appelant, que les déclarations antérieures compatibles ne peuvent pas être utilisées pour « renforcer » ou « appuyer » la crédibilité d’un témoin en général. Cet argument tente d’isoler l’effet des déclarations antérieures compatibles du reste de l’analyse de la crédibilité et laisse croire que la crédibilité « générale » peut, d’une façon ou d’une autre, être séparée de la question de crédibilité spécifique à laquelle se rapportent les déclarations. Un décorticage aussi subtil de la notion de crédibilité serait artificiel et difficile à effectuer en pratique. En outre, même s’il serait clairement erroné de conclure que la probabilité qu’un témoignage soit véridique est plus grande quand son auteur a fait le même récit à plusieurs reprises, ce n’est pas une erreur de conclure que la probabilité qu’un témoignage soit honnête est plus grande lorsqu’aucune preuve n’indique que le témoin avait une raison de mentir.

[13] Je ne crois pas non plus que les par. 59 et 95 des motifs du juge du procès indiquent clairement qu’il a utilisé les déclarations antérieures compatibles de M. Harding à mauvais escient. Le sens précis de ces passages est ambigu et cette ambiguïté doit être résolue en tenant compte du reste du jugement. Comme l’a conclu notre Cour dans R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759, par. 103, il ne convient pas qu’une cour d’appel interprète un passage isolé hors contexte. Il faut considérer l’ensemble des motifs pour déterminer si une erreur a été commise :

Interprétés hors contexte, ces commentaires semblent indiquer que le juge du procès peut avoir inversé le fardeau de la preuve. Toutefois, à mon avis, interpréter ces commentaires hors contexte équivaut simplement à extraire quelques éléments imprécis du langage courant de motifs par ailleurs étoffés du juge du procès. Je suis d’accord avec le juge Green qui a dit à la p. 316 :

[traduction] Il ne suffit pas de choisir aléatoirement certaines phrases ou expressions malheureuses sans chercher à savoir si leur sens littéral a été effectivement neutralisé par d’autres passages. C’est particulièrement vrai dans le cas d’un juge siégeant seul lorsque d’autres commentaires qu’il a faits peuvent faire clairement ressortir qu’il ne s’est pas mépris sur la signification des principes juridiques en cause. Comme l’a dit le juge McLachlin dans l’arrêt [R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717, à la p. 737] : « [l]e fait que le juge du procès s’exprime incorrectement à un moment donné ne devrait pas entacher de nullité sa décision si l’essentiel de ses propos indique que le bon critère a été appliqué et si la preuve peut justifier la décision. »

Voir aussi R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17, par. 19‑20.

[14] En l’espèce, l’ensemble des motifs démontre que le juge du procès était conscient de l’utilisation limitée qu’il pouvait faire des déclarations antérieures compatibles de M. Harding, et je ne suis pas convaincu que les par. 59 et 95, lorsqu’ils sont interprétés dans le contexte du reste du jugement, révèlent qu’une erreur a été commise.

[15] Bien que j’estime, comme l’appelant, que le témoignage de M. Harding a joué un rôle important dans les déclarations de culpabilité, je trouve significatif que, malgré les souvenirs fragmentaires de ce témoin, le juge du procès ait douté seulement de la fiabilité de son témoignage, et non de sa crédibilité. Au paragraphe 60 de ses motifs, le juge a dit : [traduction] « Je suis convaincu qu’à l’audience [M. Harding] a décrit son souvenir des événements honnêtement, du mieux qu’il a pu. Ma préoccupation ne porte pas sur sa crédibilité, mais sur la fiabilité de son témoignage. » Cette affirmation semble indiquer que la conclusion du juge du procès sur la crédibilité de M. Harding n’était pas tributaire d’une utilisation erronée des déclarations antérieures compatibles.

[16] Je suis également d’accord avec l’intimée pour dire que la déclaration de culpabilité ne reposait pas uniquement sur le témoignage de M. Harding et j’estime pertinent que le juge du procès ait recensé plusieurs autres éléments de preuve pour étayer sa conclusion que l’appelant conduisait le véhicule la nuit de l’accident. Il a notamment mentionné que M. Stirling était le propriétaire enregistré du véhicule; que M. Stirling avait dit à Shayla Richdale qu’il avait tué ses deux meilleurs amis; et que, selon le témoignage d’expert offert par M. Harper, les blessures de M. Stirling étaient compatibles avec le fait qu’il se trouvait au volant, alors que celles de M. Harding concordaient avec le fait qu’il prenait place à l’arrière de la voiture. En fait, à l’occasion de la reconstitution de l’accident, l’expert du ministère public et celui de la défense ont tiré les mêmes conclusions quant aux places qu’occupaient les passagers décédés. À mon avis, ces éléments de preuve supplémentaires indiquent qu’il ne s’agit pas d’une affaire dont l’issue se rattache uniquement à une conclusion sur la crédibilité.

Conclusion

[17] Pour les motifs que j’ai exposés, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : Green & Helme, Victoria.

Procureurs de l’intimée : Harper Grey, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2008 CSC 10 ?
Date de la décision : 14/03/2008
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Déclarations antérieures compatibles - Témoin - Accusé déclaré coupable de négligence criminelle ayant causé la mort et de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles - Occupant du véhicule témoignant que l’accusé était au volant au moment de l’accident - Déclarations antérieures compatibles du témoin admises en preuve aux fins de réfuter une allégation de fabrication récente - Le juge du procès a‑t‑il utilisé les déclarations pour la véracité de leur contenu et à l’appui de la crédibilité du témoin?.

À la suite d’un accident impliquant un seul véhicule, qui a causé la mort de deux des occupants et de graves blessures à l’accusé et à H, l’accusé a été déclaré coupable de négligence criminelle ayant causé la mort et de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles. Le juge du procès devait principalement décider si l’accusé, et non H, conduisait le véhicule au moment de l’accident. Certaines questions posées à H en contre‑interrogatoire laissaient croire que H pouvait avoir eu des raisons de fabriquer son témoignage. À la suite d’un voir‑dire, le juge a admis plusieurs déclarations antérieures compatibles de H aux fins de réfuter cette hypothèse. La Cour d’appel, à la majorité, a confirmé les déclarations de culpabilité; la juge dissidente était d’avis d’ordonner la tenue d’un nouveau procès parce que le juge du procès avait utilisé les déclarations antérieures compatibles pour rehausser la crédibilité générale du témoin et pour la véracité de leur contenu.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

À titre d’exception à la règle générale d’exclusion, les déclarations antérieures compatibles sont admissibles lorsque, comme en l’espèce, la fabrication récente de segments d’un témoignage est évoquée. Bien qu’elles aient une valeur probante lorsqu’elles peuvent démontrer que le témoin a donné une version identique des faits avant d’avoir une raison d’inventer une histoire, les déclarations antérieures admises ne doivent pas être considérées pour la véracité de leur contenu. Il n’est pas permis de présumer qu’un témoin est plus susceptible de dire la vérité parce qu’il a déjà fait la même déclaration. Toutefois, les déclarations antérieures compatibles peuvent avoir un effet positif sur la crédibilité du témoin lorsque leur admission élimine un motif de fabrication. Ce facteur peut être pris en considération dans l’appréciation générale de la crédibilité. [5] [7] [11]

En l’espèce, les déclarations antérieures compatibles de H n’ont pas été utilisées à mauvais escient. Bien que la décision du juge du procès comporte certaines remarques ambiguës quant à la façon dont il a utilisé ces déclarations, lorsque ces remarques sont envisagées dans le contexte de l’ensemble des motifs, il est clair que le juge du procès était conscient de l’utilisation limitée qu’il pouvait faire des déclarations antérieures de H. Même si le témoignage de H a joué un rôle important dans les déclarations de culpabilité, celles‑ci ne se rattachaient pas uniquement à une conclusion sur la crédibilité. Le juge du procès a recensé plusieurs autres éléments de preuve pour étayer sa conclusion que l’appelant conduisait le véhicule la nuit de l’accident. [4] [13] [16]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Stirling

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Evans, [1993] 2 R.C.S. 629
R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3
R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398
R. c. O’Connor (1995), 100 C.C.C. (3d) 285
R. c. Divitaris (2004), 188 C.C.C. (3d) 390
R. c. Schofield (1996), 148 N.S.R. (2d) 175
R. c. R. (J.) (2000), 84 Alta. L.R. (3d) 92, 2000 ABCA 196
R. c. Zebedee (2006), 211 C.C.C. (3d) 199
R. c. Aksidan (2006), 209 C.C.C. (3d) 423, 2006 BCCA 258
R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759
R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17.
Doctrine citée
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Markham, Ontario : Butterworths, 1999.

Proposition de citation de la décision: R. c. Stirling, 2008 CSC 10 (14 mars 2008)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-03-14;2008.csc.10 ?
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