COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20
Date : 20060525
Dossier : 30580
Entre :
Ontario (Ministre des Finances)
Appelante
et
Placer Dome Canada Limited
Intimée
Traduction française officielle
Coram : Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 53)
Le juge LeBel (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron)
______________________________
Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20
Ontario (Ministre des Finances) Appelante
c.
Placer Dome Canada Limited Intimée
Répertorié : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances)
Référence neutre : 2006 CSC 20.
No du greffe : 30580.
2005 : 17 novembre; 2006 : 25 mai.
Présents : Les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Gillese, Armstrong et Blair) (2004), 190 O.A.C. 157, [2004] O.J. No. 3554 (QL), qui a annulé une décision du juge Cullity (2002), 61 O.R. (3d) 628, [2002] O.J. No. 3690 (QL). Pourvoi accueilli.
Anita C. Veiga et Leslie M. McIntosh, pour l’appelante.
Al Meghji, Mahmud Jamal et Jacqueline Code, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1 La question qui est au cœur du présent pourvoi est celle de l’interprétation qui doit être donnée au terme « couverture », figurant au par. 1(1) de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, L.R.O. 1990, ch. M.15, pour déterminer l’étendue de l’assiette fiscale prévue par la Loi. Le terme « couverture » désigne généralement les opérations destinées à compenser l’exposition au risque inhérent à d’autres opérations, tel le risque de prix ou de change. En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer si la définition de « couverture » dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière s’inspire de l’acception courante de ce terme ou si elle a une portée plus restreinte. Plus précisément, notre Cour doit décider si la définition légale vise uniquement les opérations donnant lieu à la livraison physique de la production d’une mine ontarienne ou si elle comprend également les bénéfices tirés de programmes de « couverture » concernant des activités d’exploitation minière.
2 Jusqu’en 1998, selon la pratique administrative suivie par le ministre des Finances, les opérations financières n’étaient pas visées par la définition légale du terme « couverture », sauf si elles donnaient lieu à la livraison de la production d’une mine ontarienne. En 1995 et 1996, Placer Dome Canada Limited (« PDC ») a effectué certaines opérations financières qui lui ont permis de réaliser des gains de 6 423 000 $ et de 11 440 000 $ respectivement. Conformément à la pratique administrative suivie par le ministre à l’époque, PDC a exclu ces gains du calcul de ses bénéfices sous le régime de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière pour le motif que les opérations en cause n’avaient donné lieu à aucune livraison d’or. Au moment où PDC a fait l’objet d’une nouvelle cotisation en 2000, la politique du ministre avait changé. Selon la nouvelle politique, des opérations constituaient des opérations de « couverture » pour autant qu’elles soient conclues avant la livraison de la production et que le volume de ces opérations ne dépasse pas la capacité de production de la mine ontarienne. Cela signifiait que la définition légale du terme « couverture » s’appliquerait à certaines opérations non spéculatives fixant le prix final de la production de la mine, même si ces opérations n’aboutissaient pas à la livraison physique de cette production. En conséquence, le ministre a cherché à inclure les gains dans les bénéfices de PDC pour les années d’imposition en question. PDC a appelé de cette nouvelle cotisation. Elle n’a pas eu gain de cause devant le juge Cullity de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, mais les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ont accueilli son appel.
3 Je conclus que la définition de « couverture » figurant dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière vise les opérations qui ne donnent pas lieu à la livraison physique de la production d’une mine ontarienne. Cette interprétation permet d’éviter la redondance que l’interprétation préconisée par PDC crée entre les définitions des termes « couverture » et « recettes » provenant d’activités d’exploitation minière. De plus, elle garantit que les ressources seront imposées en fonction de leur valeur « arrêtée » ou de leur « prix de réalisation ».
II. Contexte
4 PDC est une filiale en propriété exclusive de Placer Dome International (« PDI »). PDI compte, dans le monde, environ 50 filiales directes et indirectes avec lesquelles elle exerce des activités d’exploration de gisements aurifères ainsi que de production et de vente d’or à l’échelle internationale. En 1995 et en 1996, PDC, ou une société qu’elle a remplacée à la suite d’une fusion, exploitait trois mines en Ontario : la mine souterraine de Campbell Red Lake, la mine de Detour Lake et la mine Dome. Elle exploitait également la mine d’or Sigma au Québec et la mine de molybdène Endako en Colombie‑Britannique, en plus de détenir la totalité des actions d’une société exploitant la mine d’or Kiena au Québec.
5 Les parties ne contestent pas que tout l’or produit par PDC en 1995 et en 1996 a été vendu à des courtiers en lingots d’or au prix du marché au comptant ou à un prix s’en approchant et qu’aucune partie de l’or produit n’a fait l’objet d’une vente à terme ou d’un contrat à terme. Le présent litige porte sur une série d’opérations que PDI a conclues pour le compte de PDC dans le cadre d’un vaste programme destiné à gérer le risque lié aux fluctuations du prix au comptant de l’or. Ces opérations comprenaient des contrats à terme de gré à gré, des contrats à livraison différée, des contrats de vente à taux d’intérêt variable fixé à l’échéance, des options de vente et des options d’achat. Il est acquis qu’aucune de ces opérations ne s’est dénouée par une livraison physique d’or provenant de l’une des mines ontariennes de PDC.
6 Le 21 décembre 1993, PDC a, par convention, confié à PDI, sa société mère, le mandat exclusif d’effectuer des opérations de couverture. En 1995 et en 1996, PDI a, conformément à cette convention, effectué pour le compte de PDC des opérations de couverture visant à protéger le groupe PDI contre les fluctuations du prix au comptant de l’or. Aux termes de la convention, PDI recevait des directives de PDC au sujet des quantités de métaux précieux devant faire l’objet d’une opération de couverture, mais elle restait par ailleurs libre d’effectuer à son gré des opérations de couverture au nom de PDC. PDI attribuait ces opérations à PDC au moment où elle les effectuait ou peu de temps après les avoir effectuées. Dans sa comptabilité interne et ses états financiers, de même qu’en calculant le revenu tiré de sa production d’or pour demander une déduction relative aux ressources dans ses déclarations de revenus, PDC attribuait à son tour les opérations à ses différentes mines canadiennes proportionnellement à leur taux de production. La quantité d’or ainsi attribuée demeurait inférieure à la production réelle de ces mines. Les gains nets que PDC a tirés de ces opérations s’élevaient à 6 423 000 $ en 1995 et à 11 440 000 $ en 1996.
III. Cadre législatif et application de la Loi
7 Le présent pourvoi ne porte que sur une partie très précise et limitée du régime fiscal de l’industrie minière canadienne. Au fil des ans, cette industrie a vu naître et disparaître un certain nombre de règles et de politiques portant sur ses difficultés et besoins particuliers. On trouve plusieurs de ces règles et politiques dans la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), notamment dans les dispositions concernant la déductibilité des redevances à la Couronne ou des impôts miniers et, depuis longtemps, dans celles concernant les déductions pour épuisement.
8 Aux termes du par. 3(1) de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, l’impôt à payer des exploitants miniers est fonction des bénéfices qu’ils réalisent. Le paragraphe 3(5) définit les bénéfices comme étant les recettes moins les montants déductibles et le par. 1(1) donne la définition suivante du terme « recettes » :
« recettes » La contrepartie totale reçue ou recevable d’une ou de plusieurs autres personnes, en toutes devises, que ce soit en espèces ou sous une autre forme, provenant de la production de la mine, y compris les dérivés vendus, ou le montant déterminé de la manière prescrite, ainsi que toute contrepartie reçue ou recevable à la suite d’opérations de couverture et de ventes à terme de la production de la mine, convertie à la date de la réception de la contrepartie en l’équivalent en monnaie canadienne, si elle est recevable en monnaie d’un autre pays.
Cette définition comporte donc trois éléments : a) la contrepartie totale provenant de la production de la mine; b) toute contrepartie provenant d’opérations de couverture; c) toute contrepartie provenant de ventes à terme de la production de la mine.
9 Le terme « couverture » est défini ainsi au par. 1(1) :
« couverture » La fixation d’un prix pour la production d’une mine, avant livraison, au moyen d’une vente à terme ou d’un contrat à terme sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue, ou l’achat ou la vente à terme de devises étrangères reliées directement aux recettes tirées de la production d’une mine. La présente définition exclut toutefois la couverture du risque de change, sauf dans la mesure où l’opération de couverture détermine le prix final de la production et les recettes qui en sont tirées.
10 Il est bien établi qu’en cas de doute sur le sens d’une disposition fiscale la pratique administrative et l’interprétation adoptées par le ministre ont un certain poids, bien qu’elles ne soient pas des sources concluantes : voir Harel c. Sous‑ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, p. 859, le juge de Grandpré; Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, 2000 CSC 36, par. 66, le juge Binnie (dissident mais non sur ce point). Avant 1998, le ministre estimait qu’une opération de couverture n’était visée par la définition légale que si elle se dénouait par une livraison physique de la production de l’exploitant minier. En octobre 1998, la politique du ministre a changé. Désormais, les opérations n’aboutissant pas à une livraison physique seraient comprises dans la définition légale pour autant qu’elles aient été conclues avant la livraison de la production et que les quantités de matière faisant l’objet d’une opération de couverture n’excèdent pas la production de l’exploitant pour l’année d’imposition en cause.
11 Personne ne conteste qu’au moment où PDC a produit ses déclarations de revenus tirés de l’exploitation minière pour les années en question, elle l’a fait conformément à la pratique administrative alors en vigueur. Toutefois, lorsque les déclarations de PDC ont fait l’objet de nouvelles cotisations en 2000, cette politique avait changé. PDC souligne que ses déclarations étaient conformes à la pratique du ministre au moment de leur production, et elle ajoute qu’il faut accorder une grande importance à l’ancienne politique en interprétant la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. Le ministre, quant à lui, fait valoir qu’il n’était pas préclus de modifier sa pratique après avoir décidé que sa première interprétation était incorrecte.
12 Le ministre prétend que l’interprétation de PDC et, en fait, l’interprétation qu’il préconisait lui‑même dans son ancienne pratique administrative, créent une forte redondance entre les définitions légales des termes « couverture » et « recettes ». Selon lui, le terme « couverture » vise les opérations n’aboutissant pas à la livraison de la production pourvu qu’il existe un lien suffisant entre la production de la mine et le contrat de couverture.
13 PDC répond que la définition du terme « couverture » dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière ne vise que les opérations aboutissant à la livraison physique de la production d’une mine ontarienne. Toute redondance dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, soutient‑elle, ne saurait primer le texte clair de la disposition.
IV. Historique judiciaire
A. Cour supérieure de justice (2002), 61 O.R. (3d) 628
14 Le juge Cullity a rejeté l’appel de PDC contre la ratification des cotisations par le ministre. Il s’est appuyé en partie sur les principes exposés dans la décision Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707 (1re inst.), concernant l’objectif général, les caractéristiques et la forme des opérations de couverture, et il a conclu que ces principes devaient servir à préciser le sens de la définition du terme « couverture » figurant dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. À son avis, le texte de la définition légale montre clairement qu’il doit exister un lien entre la production de la mine et l’opération financière, mais considérer que cette définition ne vise que les opérations aboutissant à la livraison de la production de la mine créerait une forte redondance dans la Loi. Plus précisément si la couverture « au moyen d’une vente à terme » était limitée aux ventes se dénouant par une livraison de la production, cette partie de la définition légale n’ajouterait rien de plus à ce que signifie déjà l’expression « contrepartie totale [. . .] provenant de la production de la mine » qui est incluse dans la définition du terme « recettes ».
15 Le juge de première instance a affirmé que la détermination de l’existence d’un lien suffisant entre une opération de couverture et la production constitue une question de fait. Compte tenu d’un certain nombre de facteurs, dont a) l’objectif qui sous‑tend les opérations, b) l’existence et les modalités d’une convention de mandat entre PDI et PDC, c) l’attribution des opérations à PDC conformément à cette convention, et d) la façon dont PDC traite les gains et les pertes pour les besoins de sa comptabilité interne et de ses déclarations de revenus, le juge Cullity a conclu que les opérations étaient liées à la production des mines de PDC. Il a d’ailleurs fait remarquer que toute autre conclusion n’aurait été ni raisonnable ni réaliste dans les circonstances.
B. Cour d’appel de l’Ontario (2004), 190 O.A.C. 157
16 S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Armstrong a accueilli l’appel de PDC. Il a estimé que la définition du terme « couverture » dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière était claire, précise et sans ambiguïté, et qu’elle ne visait que les contrats se dénouant par une livraison physique d’or provenant d’une mine ontarienne. Selon cette interprétation, deux conclusions de fait du juge de première instance étaient déterminantes : a) toute la production d’or des mines ontariennes de PDC a été vendue à des courtiers en lingots d’or à un prix s’approchant de celui du marché au comptant; b) aucune partie de l’or produit n’a fait l’objet d’un contrat de vente à terme. À la lumière de ces faits, le juge Armstrong a décidé qu’il était impossible d’affirmer que ces opérations avaient fixé le prix de la production des mines ontariennes. Les principes énoncés dans la décision Echo Bay Mines ne s’appliquaient pas parce que celle‑ci portait sur l’interprétation d’une autre loi ne donnant aucune définition du terme « couverture ». De plus, utilisant la preuve d’expert présentée dans l’affaire Echo Bay Mines pour combler une lacune qu’il percevait dans le dossier dont il était saisi, le juge Armstrong a considéré que le juge Cullity avait dérogé aux principes déconseillant l’innovation judiciaire que notre Cour a établis dans l’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, 2001 CSC 62, par. 38.
17 Le juge Armstrong a conclu à l’absence de redondance fatale dans la Loi étant donné que la production d’une mine pouvait faire l’objet de contrats à terme ou de ventes à terme non visés par la définition du terme « couverture » figurant dans la Loi, [traduction] « soit parce qu’ils ne sont pas conclus sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue soit pour une autre raison » (par. 40). À titre subsidiaire, il a ajouté que toute redondance de cette nature ne pouvait pas supplanter le sens ordinaire des dispositions en cause. Sa conclusion était étayée par la remarque selon laquelle la contrepartie est forcément une valeur brute alors que les gains et les pertes résultant d’opérations de couverture sont nécessairement des valeurs nettes. L’inclusion d’un montant net dans le calcul de la contrepartie fausserait les principes comptables fondamentaux. Il estimait également que, compte tenu des principes énoncés dans les arrêts Harel et Will‑Kare Paving, la pratique administrative du ministre avait un certain poids. S’appuyant sur les motifs du juge Gonthier dans l’arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, il a souligné qu’il incombe au ministre d’établir que la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière impose une taxe sur les gains nets tirés de ces opérations. Le juge Armstrong était d’avis que, s’il avait tort de considérer que la définition légale du terme « couverture » n’est pas ambiguë, tout doute raisonnable devrait profiter aux contribuables conformément à la présomption résiduelle en faveur de ceux‑ci.
18 La juge Gillese aurait rejeté l’appel de PDC. Selon elle, la définition légale est ambiguë du fait qu’elle peut recevoir deux interprétations raisonnables. Suivant l’interprétation « restrictive », que reflétait l’ancienne pratique administrative du ministre, la « couverture » est limitée aux contrats portant sur la production d’une mine. L’interprétation « large » représentée par la nouvelle pratique administrative du ministre (et la position qu’il défend en l’espèce) vise les contrats qui portent sur autre chose que la production d’une mine, mais dont on peut néanmoins dire qu’ils fixent le prix de la production d’une mine. La juge Gillese estimait que l’interprétation restrictive créait une forte redondance entre les deuxième et troisième éléments de la définition légale du terme « recettes », c’est‑à‑dire les éléments « opérations de couverture » et « ventes à terme de la production de la mine » respectivement. Elle a conclu que l’interprétation large est préférable et que la définition légale vise les contrats portant sur autre chose que la production d’une mine pour autant que ces contrats soient a) conclus avant la livraison de la production, b) sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue, et c) qu’ils servent à fixer le prix de la production d’une mine ontarienne.
19 Quant aux arguments subsidiaires, la juge Gillese a décidé que le ministre n’était pas préclus de modifier sa pratique administrative et qu’en réalité la modification de la pratique administrative tendait à confirmer l’ambiguïté de la définition légale. Elle a fait remarquer que, dans les opérations de couverture, il est nécessairement question de valeur nette et que, par conséquent, la « contrepartie provenant d’une opération de couverture » doit être une valeur nette dans ces circonstances. Quant à savoir si les options pouvaient être considérées à juste titre comme des contrats de vente à terme, elle a souligné que la qualification des opérations par le juge de première instance constitue une question mixte de droit et de fait et que, pour cette raison, elle commande une certaine déférence.
V. Analyse
A. La question en litige
20 Comme je l’ai déjà indiqué, la question du calcul des bénéfices pour l’application de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière se situe au cœur du présent pourvoi. Il s’agit plus précisément de déterminer si la définition légale du terme « couverture » vise les opérations financières ne se dénouant pas par une livraison physique de la production d’une mine ontarienne. Je vais d’abord examiner les principes d’interprétation des lois fiscales. Ensuite, j’étudierai brièvement la nature et les mécanismes de la couverture au sens dans lequel ce terme est utilisé dans les principes comptables généralement reconnus (« PCGR »). Enfin, je procéderai à l’analyse de la disposition législative en cause dans le présent pourvoi.
B. Interprétation des lois fiscales
(1) Principes généraux
21 Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, notre Cour a rejeté l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d’interprétation moderne s’applique autant à ces lois qu’aux autres lois. En d’autres termes, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11. Les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires. Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.
22 Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada, par. 10. De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. » La Juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».
23 Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation. Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [traduction] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.
24 Bien qu’il existe une présomption résiduelle en faveur du contribuable, elle demeure seulement résiduelle et ne s’applique donc que dans le cas exceptionnel où les principes d’interprétation ordinaires ne permettent pas de régler la question en litige : Notre‑Dame de Bon‑Secours, p. 19. Tout doute concernant le sens d’une loi fiscale doit être raisonnable et la présomption ne peut être invoquée que si l’application des règles d’interprétation habituelles n’a pas permis de déterminer le sens de la disposition en cause. J’estime qu’en l’espèce la présomption résiduelle n’est d’aucune utilité à PDC puisque l’application des règles ordinaires d’interprétation législative permet de dissiper l’ambiguïté de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. Je reviendrai sur cette question plus loin.
(2) Le fardeau de la preuve
25 Les parties ne s’entendent pas sur la question de l’attribution du fardeau de la preuve en l’espèce. Le fardeau de la preuve que dicte la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière est décrit au par. 8(7). Ce paragraphe incorpore par renvoi le par. 80(18) de la Loi sur l’imposition des corporations, L.R.O. 1990, ch. C.40 (devenue la Loi sur l’imposition des sociétés), qui prévoit que
sous réserve des modifications qui y sont apportées ou d’une annulation prononcée à la suite d’une opposition ou d’un appel et sous réserve d’une nouvelle cotisation, la cotisation est réputée valide et lie les parties malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute instance à ce sujet introduite aux termes de la présente loi.
Il incombe donc au contribuable d’établir que les conclusions de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir la cotisation sont erronées. Ce fardeau de la preuve est identique à celui qui s’applique en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, par. 152(8) : voir V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (8e éd. 2004), p. 35; Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486.
26 PDC et les juges majoritaires de la Cour d’appel citent l’arrêt Notre‑Dame de Bon‑Secours à l’appui de la thèse selon laquelle il appartient à la partie qui invoque une disposition législative de démontrer qu’elle peut s’en prévaloir. Plus particulièrement, le juge Gonthier conclut, à la p. 15 :
Le fardeau de preuve repose donc sur le fisc lorsqu’on est en présence d’une disposition qui impose une charge fiscale et sur le contribuable dans le cas d’une disposition qui porte exemption de taxe.
Il s’agissait là d’une remarque incidente que le juge Gonthier a formulée en expliquant la règle traditionnelle selon laquelle une mesure législative fiscale doit recevoir une interprétation stricte. Il voulait simplement dire que la présomption résiduelle en faveur du contribuable — qui découle de la règle de l’interprétation stricte — était un concept différent de celui du fardeau de la preuve. Il n’était pas question du fardeau de la preuve dans l’affaire dont le juge Gonthier était saisi et celui‑ci a fait sa remarque de manière incidente sans mentionner les arrêts de principe sur le fardeau de la preuve en matière fiscale. Les règles fondamentales de l’attribution du fardeau de la preuve dans ce domaine demeurent valides. Je ne puis admettre qu’en faisant cette remarque le juge Gonthier a voulu renverser la jurisprudence établie. Il appartient au contribuable de réfuter les présomptions de fait du ministre, mais le concept du fardeau de la preuve ne s’applique pas à l’interprétation d’une loi, qui constitue nécessairement une question de droit : Johnston.
27 Avant de passer à un autre point, je tiens à examiner l’observation similaire que la Cour a formulée, aux par. 64 et 65 de l’arrêt Trustco Canada, en expliquant la méthode analytique applicable à la règle générale anti‑évitement (« RGAÉ »). Dans cette affaire, la Cour a fait remarquer qu’en pratique le contribuable n’était pas tenu de prouver qu’il n’avait pas contrevenu à l’objet ou à l’esprit de la disposition en cause. Il appartenait plutôt au ministre — qui se trouve mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l’intention du législateur qui sous‑tend certaines dispositions fiscales — de décrire l’objet des dispositions et de démontrer de quelle façon les mesures du contribuable contrecarreraient cet objet.
28 L’énoncé de l’arrêt Trustco Canada peut être distingué, car il ne vise que les cas où le contribuable a respecté la lettre de la loi et o— le ministre cherche à invoquer la RGAÉ pour néanmoins rejeter la demande du contribuable pour cause d’incompatibilité avec l’objet et l’esprit de la disposition en cause. Il serait à la fois irréaliste et trop lourd d’obliger un contribuable, dont l’opération respecte en tous points une disposition fiscale, à prouver en outre qu’il n’a pas contrevenu à l’objet ou à l’esprit de cette disposition. Le même raisonnement ne s’applique pas dans le cas qui nous occupe o— le sens de la disposition en cause est ambigu. Dans un cas comme la présente affaire, le sens de la disposition applicable reste une question de droit et aucune des parties n’assume un fardeau quelconque à l’égard de cette question — il appartient à la cour de déterminer la bonne interprétation.
C. Couverture
29 Afin de situer dans son contexte l’analyse de la définition légale du terme « couverture », je vais d’abord donner un bref aperçu de ce qu’est la couverture au sens qu’on lui donne généralement dans les PCGR. Les opérations en cause dans la présente affaire sont des instruments financiers dérivés. De façon générale, les instruments financiers dérivés sont des contrats dont la valeur devient fonction de celle d’un actif, d’un taux de référence ou d’un indice qui lui est sous‑jacent. Comme l’expliquent les professeurs Grottenthaler et Henderson, il y a essentiellement deux raisons de conclure un contrat de cette nature : soit la spéculation sur les fluctuations de la valeur de l’actif, du taux de référence ou de l’indice sous‑jacent, soit la volonté de couvrir une position exposée à un risque financier particulier, comme celui que présente la volatilité des prix des marchandises : voir M. E. Grottenthaler et P. J. Henderson, The Law of Financial Derivatives in Canada (feuilles mobiles), p. 1‑8. Cette distinction entre la spéculation et l’opération de couverture est importante. Il y a opération de couverture lorsque des éléments d’actif ou de passif de la partie qui l’effectue sont véritablement exposés aux fluctuations du marché, alors que la spéculation est [traduction] « la mesure dans laquelle l’opérateur en couverture effectue des opérations dérivées dont la valeur nominale excède le risque couru » : voir B. W. Kraus, « The Use and Regulation of Derivative Financial Products in Canada » (1999), 9 W.R.L.S.I. 31, p. 38. Étant donné que l’or affecté aux opérations en cause dans la présente affaire n’excédait pas la production réelle des mines respectives, les opérations n’étaient pas spéculatives au sens ordinaire de ce terme.
30 Les deux types fondamentaux d’opérations dérivées sont les contrats à terme de gré à gré et les options : voir Grottenthaler et Henderson, p. 1‑4 et suiv. Un contrat à terme de gré à gré est un contrat qui oblige une partie à acheter, et une autre à vendre, une certaine quantité d’éléments d’actif à un prix et à une date fixés d’avance. Ce contrat crée une obligation bilatérale en ce sens que les deux parties sont tenues de l’exécuter. Par contre, l’option crée une obligation unilatérale en ce sens que l’acheteur ayant versé une prime a seulement le droit, et non l’obligation, d’acheter (« option d’achat ») ou de vendre (« option de vente ») un actif à une date déterminée. Les deux sont néanmoins des instruments de couverture.
31 Les opérations dérivées peuvent avoir différents dénouements : la livraison physique de l’actif sous‑jacent, le règlement en espèces ou la conclusion d’un contrat symétrique. Toutefois, la plupart des contrats dérivés ne se dénouent pas par une livraison physique. Ce qui importe le plus à cet égard, c’est que, tout au moins pour l’application des PCGR, le contrat dérivé demeure un instrument de « couverture » quel qu’en soit le dénouement.
32 À ce stade, il peut être utile de donner un exemple pour illustrer le fonctionnement des opérations de couverture et pour comprendre ce qui les différencie de la spéculation. Supposons que, le 1er janvier 2006, le prix de l’once d’or est de 200 $. La société A est un producteur d’or qui souhaite effectuer une opération de couverture pour se protéger contre les fluctuations du prix de ce métal. Le 21 janvier, la société A conclut un contrat de vente à terme de 100 onces d’or à 200 $ l’once. Si le prix de l’or chute, la valeur du contrat de couverture augmente. À l’inverse, si le prix de l’or augmente, la valeur de ce contrat diminue. C’est ce qui différencie l’opération de couverture d’une opération purement spéculative. Le producteur qui est véritablement exposé à des fluctuations de prix renonce, dans une certaine mesure, à la possibilité de gain qui accompagnerait une hausse du prix de l’or pour se prémunir contre une baisse du prix de ce métal. Ce lien apparaît très évident lorsque les opérations dérivées se dénouent par un règlement en espèces (comme c’est le cas le plus souvent). Si, le 31 juillet, le prix de l’or baisse à 100 $ l’once, le contrat peut être dénoué au moyen d’un règlement en espèces consistant à verser la différence entre le prix d’exercice convenu (20 000 $) et le prix du marché au comptant à la date du règlement (10 000 $). Ainsi, l’autre partie au contrat de vente à terme ferait un chèque de 10 000 $ à la société A. Plus la baisse du prix de l’or est marquée, plus le bénéfice réalisé sur l’opération de couverture est important.
33 Dans la décision Echo Bay Mines, la Section de première instance de la Cour fédérale a examiné les règles applicables aux opérations de couverture selon les PCGR. Dans cette affaire, le contribuable était un producteur d’argent qui avait conclu des contrats de vente à terme pour se protéger contre le risque de chute du prix de ce métal. Lorsque le prix de l’argent baissait, le contribuable réalisait des gains sur ces contrats en les liquidant ou en les convertissant en d’autres contrats. Aucun des contrats n’avait donné lieu à une livraison d’argent. Le contribuable considérait néanmoins que ces gains représentaient des « bénéfices relatifs à des ressources » parce qu’ils constituaient un revenu tiré de la production de minéraux au Canada. Ce faisant, le contribuable pouvait bénéficier de la déduction relative aux ressources prévue à l’al. 20(1)v.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au par. 1204(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu. Le juge MacKay a reconnu que
selon les principes comptables généralement reconnus, le bénéfice réalisé ou la perte subie par le producteur à la liquidation du contrat de vente à terme peut être considéré comme une « couverture » et par conséquent mis sur le compte de la marchandise effectivement produite, si quatre conditions sont réunies. . .
[traduction]
1. La marchandise à couvrir expose l’entreprise au risque de fluctuation du prix (ou du taux d’intérêt).
2. Le contrat de vente à terme réduit ce risque et est considéré comme une couverture.
3. Les caractéristiques importantes et les stipulations de l’opération prévue sont précisées.
4. Il est probable que l’opération prévue aura lieu. [p. 715‑716]
Il a conclu, à la p. 733, que le prix reçu pour l’argent produit comprenait la somme des montants reçus à la livraison de l’argent effectivement produit et à la liquidation des contrats de vente à terme.
34 La décision Echo Bay Mines indique comment une opération financière, qui ne se dénoue pas nécessairement par une livraison physique de la production d’une mine ontarienne, peut néanmoins être considérée comme « fixant le prix » de cette production. Je souscris à ce commentaire favorable à la décision Echo Bay Mines :
[traduction] Cette conclusion est nettement raisonnable. Si ces opérations avaient donné lieu à une livraison physique, le gain ou la perte en découlant aurait constitué le revenu ou la perte provenant réellement de la vente de l’argent et aurait figuré au compte de produits. Traiter différemment les gains et les pertes résultant des contrats à terme de gré à gré ayant le même résultat économique aurait créé une distinction injustifiée et artificielle.
(Grottenthaler et Henderson, p. 11‑8 et 11‑9)
Eu égard à ce qui constitue une opération de couverture selon les PCGR, la distinction entre les contrats se dénouant par un règlement en espèces et ceux se dénouant par la livraison du sous‑jacent reste arbitraire.
35 Tout en étant conscient que la décision Echo Bay Mines porte sur une loi différente qui ne définit pas le terme « couverture », je conclus que les principes généraux qui y sont énoncés ont une certaine pertinence en l’espèce. En effet, la principale question posée dans Echo Bay Mines était de savoir si les gains et pertes résultant des opérations de couverture avaient avec les opérations sous‑jacentes, à savoir la production et la vente d’argent, un lien suffisant pour constituer des « bénéfices relatifs à des ressources » au sens du Règlement pris en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Essentiellement, dans Echo Bay Mines la Cour fédérale était saisie de la même question qui est soulevée en l’espèce : Peut‑on affirmer que les opérations synthétiques dérivées « fixent le prix » de la marchandise sous‑jacente même lorsque ces opérations ne donnent pas lieu à la livraison de cette marchandise?
D. L’inclusion des bénéfices tirés d’une opération de couverture
36 Les parties conviennent que les opérations en cause dans la présente affaire sont des opérations de « couverture » au sens ordinaire du terme. Toutefois, bien que le vocabulaire particulier de l’industrie utilise l’expression « prix de réalisation » pour désigner l’ensemble des recettes provenant des ventes au comptant et des gains et pertes résultant des opérations de couverture, PDC a soutenu devant notre Cour que, pour l’application de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, le prix de la production d’une mine ontarienne ne pouvait être « fixé » qu’au moyen d’une opération aboutissant à la livraison physique de cette production. Je vais donc examiner le sens de la définition légale du terme « couverture ».
37 La définition du terme « couverture » est apparue pour la première fois en 1975 dans le règlement d’application de la Mining Tax Act, 1972, S.O. 1972, ch. 140 : O. Reg. 126/75, al. 1f). À cette époque, le bénéfice était calculé conformément au par. 3(3) de la Loi en utilisant a) le montant des recettes brutes tirées de la production de la mine pendant l’année d’imposition, b) lorsque la production n’était pas vendue, mais qu’elle était traitée par le producteur de la mine ou pour son compte, la valeur marchande effective de la production à l’entrée de la mine, ou c) s’il n’y avait aucun moyen d’établir la valeur effective de la production à l’entrée de la mine, prévue à l’alinéa b), sa valeur telle que prisée par l’évaluateur minier. La méthode que l’évaluateur devait employer pour évaluer la production en application de l’alinéa c) était décrite au par. 4(1) du Règlement. La définition du terme « couverture » n’entrait en jeu que dans ce dernier contexte. En 1987, la définition de « couverture » a été insérée dans la Loi elle‑même et incorporée dans la définition du terme « recettes » : Mining Tax Amendment Act, 1987, S.O. 1987, ch. 11, al. 1(4)cb) et 1(7)j).
38 PDC avance, au sujet du sens qu’avait le mot « couverture » lorsqu’il a été incorporé pour la première fois dans le Règlement, plusieurs arguments fondés sur les limites légales et constitutionnelles auxquelles était alors assujetti le pouvoir du lieutenant-gouverneur en conseil. Elle soutient, plus précisément, que le lieutenant-gouverneur en conseil n’avait pas le pouvoir de prendre des règlements créant une nouvelle taxe ou élargissant l’assiette fiscale existante, et que toute tentative en ce sens aurait contrevenu à l’art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige que les projets de loi créant une taxe émanent de la Chambre des communes. Ces deux arguments supposent que le Règlement de 1975 créait une nouvelle taxe ou élargissait l’assiette fiscale. Je ne suis pas convaincu que le Règlement de 1975 puisse recevoir une telle interprétation — il n’a pas modifié la définition fondamentale du terme « recettes brutes » dans la Loi, mais il a simplement clarifié le mode de cotisation applicable à une somme accessoire discrétionnaire. J’estime que cela ne constitue pas un changement aussi radical que le laisse entendre PDC.
39 De toute façon, quel que soit l’effet précis du Règlement de 1975 — qui n’a pas à être déterminé en l’espèce — , il est clair que la décision d’incorporer la définition du terme « couverture » dans la Loi elle‑même en 1987 a modifié le cadre légal du calcul des bénéfices. Les gains tirés d’une opération de couverture n’étaient plus inclus dans le revenu uniquement s’il se révélait par ailleurs impossible d’établir la valeur marchande de la production d’une mine avant son traitement. La Loi inclut désormais ces gains dans tous les cas en tant que partie intégrante de la définition qu’elle donne du mot « recettes ». Il n’existait, en 1987, aucun obstacle constitutionnel ou autre à l’adoption d’une telle disposition, en ce qui concernait l’une ou l’autre des définitions proposées. Puisque les définitions des termes « couverture » et « recettes » demeurent inchangées dans la Loi actuelle, il nous faut en l’espèce décrire la nature et la portée exactes des modifications de 1987. Bien que les parties s’appuient sur la transcription des débats parlementaires concernant le passage du Règlement à la Loi de la disposition relative aux opérations de couverture, je considère cette preuve comme ambiguë et peu utile en l’espèce. En conséquence, toute analyse des modifications de 1987 doit reposer sur un examen de l’économie et du contexte de la Loi révisée.
40 D’emblée, je souligne que je ne considère pas utiles en l’espèce les arguments fondés sur la pratique administrative du ministre. On se trouve, en réalité, devant deux pratiques administratives, dont chacune correspond à l’une des interprétations proposées. La modification de la pratique du ministre témoigne de l’ambiguïté intrinsèque de la Loi elle‑même et ne peut servir d’outil d’interprétation, si ce n’est pour appuyer le point de vue selon lequel la définition légale n’est pas vraiment claire, précise et sans ambiguïté. Une pratique administrative n’est pas déterminante quoiqu’elle puisse constituer un « facteur important » en cas de doute sur le sens d’un texte législatif : Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, p. 37. Dans un cas comme la présente affaire, où une disposition législative peut avoir plus d’un sens, le ministre n’est pas préclus de modifier sa pratique après avoir conclu que son interprétation antérieure était incorrecte.
41 PDC prétend que la modification de la pratique administrative du ministre est arbitraire et inéquitable, faisant remarquer que le ministre a, au cours du même mois, plaidé en faveur de l’application de la nouvelle politique administrative devant le juge Cullity dans le cadre de la présente affaire, et en faveur de l’application de l’ancienne politique administrative dans l’affaire Inco Ltd. c. Ontario (Minister of Finance), [2002] O.J. No. 3150 (QL) (C.S.J.). Inco avait subi d’importantes pertes résultant de ses opérations de couverture au cours de ses années d’imposition 1988 à 1990 et elle cherchait à déduire ses pertes en invoquant la décision Echo Bay Mines. Toutefois, la distinction cruciale entre le cas qui nous occupe et l’affaire Inco se trouve dans le fait que, dans cette dernière affaire, le délai de prescription applicable à l’établissement d’une nouvelle cotisation avait expiré pendant que l’ancienne politique administrative était encore en vigueur. Dans tous les cas où le ministre modifie sa pratique administrative, il est inévitable que des contribuables soient imposés de façon différente en vertu de la même disposition, selon que leur cotisation a été établie avant ou après ce changement de politique. Il faut d’une manière ou d’une autre distinguer les contribuables visés par la politique administrative de ceux qui ne le sont pas, et il devient alors rationnel et pratique de le faire en se demandant si l’année d’imposition d’un contribuable est terminée ou non selon la Loi.
42 Comme je l’ai déjà signalé, la définition du terme « recettes » au par. 1(1) de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière comporte trois éléments : a) la contrepartie provenant de la production de la mine; b) la contrepartie provenant d’opérations de couverture; c) la contrepartie provenant de ventes à terme de la production de la mine.
43 La définition du terme « couverture » comprend elle aussi un certain nombre d’éléments. Bien qu’un seul de ceux‑ci soit en cause en l’espèce, il vaut la peine d’analyser la définition au complet afin de mieux saisir le contexte et l’économie dans lesquels s’inscrit l’expression controversée. Plus précisément, le terme « couverture » désigne ceci :
a) la fixation d’un prix pour la production d’une mine, avant livraison, au moyen
(i) d’une vente à terme ou
(ii) d’un contrat à terme sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue;
b) l’achat ou la vente à terme de devises étrangères reliées directement aux recettes tirées de la production d’une mine;
c) la couverture du risque de change, dans la mesure où l’opération de couverture détermine le prix final de la production et les recettes qui en sont tirées.
Seule « la fixation d’un prix pour la production d’une mine, avant livraison, au moyen d’une vente à terme » est en cause dans la présente affaire. Je note, à ce stade, que mon analyse de la définition du terme « couverture » diffère de celle qui a été effectuée dans les motifs majoritaires et les motifs dissidents de la Cour d’appel. Les juges Armstrong et Gillese ont indiqué que les ventes à terme et les contrats à terme, au sens dans lequel ces expressions sont utilisées dans la définition de « couverture », doivent être conclus sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue. Toutefois, ce point de vue ne s’accorde pas avec le sens ordinaire de ces expressions. Par définition, la « vente à terme » est un produit « hors cote », alors que le « contrat à terme » est négocié sur un marché organisé. De fait, le contrat à terme représente simplement une forme de contrat de vente à terme qui se négocie sur un marché organisé : C. W. Smithson, « A Building Block Approach to Financial Engineering : An Introduction to Forwards, Futures, Swaps and Options » (1997), 1017 PLI/Corp 9. Cette remarque est importante en ce sens qu’il n’est pas possible de distinguer la « vente à terme » visée par la définition du terme « couverture » de la « vente à terme » dont fait état le troisième élément de la définition du terme « recettes », en faisant valoir que seule la vente à terme dont il est question dans le premier cas se conclut sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue. Je reviendrai sur cette question plus loin.
44 Il est difficile de donner une interprétation plausible à cette disposition parce que la Loi ne précise pas ce que signifie « fixer le prix » de la production d’une mine au moyen d’une vente à terme. Il pourrait sembler, à première vue, que fixer un prix signifie simplement établir le prix qui sera payé lors de la livraison de la production. En fait, c’est l’interprétation que préconise PDC (l’interprétation restrictive). Or, si tel était le cas, le législateur n’aurait pas eu besoin d’inclure cet élément dans la définition légale du terme « couverture » étant donné que le prix reçu à la livraison de la production serait clairement visé par « [toute] contrepartie [. . .] provenant de la production de la mine » (le premier élément de la définition du terme « recettes ») ainsi que par « toute contrepartie reçue [. . .] à la suite [. . .] de ventes à terme de la production de la mine » (le troisième élément de la définition).
45 Selon la présomption d’absence de tautologie, [traduction] « [c]haque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » : voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 159. Dans la mesure du possible, les tribunaux devraient éviter d’adopter des interprétations qui dépouillent une partie d’une loi de tout son sens ou qui la rendent redondante : Hill c. William Hill (Park Lane) Ld., [1949] A.C. 530 (H.L.), p. 546, le vicomte Simon.
46 Bien que la présomption soit réfutable lorsqu’on peut démontrer que les mots en question possèdent une utilité quelconque ou qu’ils ont été ajoutés par souci de précision, j’estime qu’aucun de ces arguments ne peut être retenu dans le présent pourvoi. En l’espèce, on a inséré dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière la définition d’un terme qui n’est utilisé qu’à un seul autre endroit dans la Loi. De plus, la valeur d’un contrat de vente à terme dénoué par une livraison de la production n’équivaut, à toutes fins pratiques, qu’au prix reçu pour la production. Il ne fait pas de doute que cette somme serait visée par la définition de « recettes » et qu’il n’aurait pas été nécessaire que le législateur inclue cet élément dans une définition légale du terme « couverture ». Dans les circonstances, la présomption d’absence de tautologie revêt une importance considérable.
47 Il s’ensuit que « [l]a fixation d’un prix pour la production d’une mine » ne peut pas viser uniquement les opérations qui se dénouent par une livraison de la production. J’estime que cette interprétation s’inscrit dans le contexte de la définition légale. En plus de mentionner « [l]a fixation d’un prix [. . .] au moyen d’une vente à terme », la définition du terme « couverture » parle de « [l]a fixation d’un prix [. . .] au moyen [. . .] d’un contrat à terme sur le parquet d’une Bourse de commerce reconnue » et de « l’achat ou la vente à terme de devises étrangères reliées directement aux recettes tirées de la production d’une mine », mais elle « exclut toutefois la couverture du risque de change ». Fait révélateur, les contrats à terme se dénouent rarement par une livraison physique. De même, l’achat ou la vente à terme de devises étrangères est une opération distincte de la vente d’une marchandise sous‑jacente et ne se dénouerait pas par la livraison physique de la marchandise. Bref, les autres éléments de la définition légale du terme « couverture » s’accordent avec l’interprétation large.
48 Selon PDC, le fait que, sous le régime de l’ancienne politique administrative, le ministre ait réussi à appliquer la disposition relative à la « couverture », figurant dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, pour imposer et percevoir des taxes payables par les sociétés minières démontre que l’interprétation restrictive du terme « couverture » ne crée aucune redondance dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. Cet argument ne convainc pas. Une redondance ne fait pas nécessairement obstacle à l’application cohérente ou efficace d’une disposition législative. Au contraire, l’interprétation qui crée une redondance ne donne tout simplement pas plein effet à tous les éléments de la disposition législative.
49 Selon moi, compte tenu de l’économie et du contexte de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, la définition légale du terme « couverture » doit viser plus que les opérations qui se dénouent par une livraison de la production. Le critère de « l’existence d’un lien » appliqué par le juge Cullity constitue un bon moyen de combler le vide que la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière a laissé en ne clarifiant pas davantage ce qu’est la « fixation d’un prix » pour la production d’une mine. De plus, il s’accorde avec les pratiques comptables générales. Les principes commerciaux et comptables reconnus ne sont certes pas des règles de droit. En effet, ils ne doivent pas servir à écarter des règles de droit, car ils ne lient pas le législateur qui peut leur apporter les modifications jugées appropriées à des fins fiscales. Ils doivent donc jouer un rôle secondaire par rapport à des règles de droit claires. Toutefois, notre Cour a déjà reconnu que, en l’absence de définition légale ou en présence d’une définition légale incomplète, « il ne serait pas sage que le droit renonce aux indications précieuses qu’offrent des principes commerciaux bien établis » : voir l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, par. 35.
50 PDC a soutenu, devant notre Cour, que l’interprétation préconisée par le ministre créerait une incertitude intolérable dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. Faute d’une délimitation claire des opérations de couverture pour l’application de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière en établissant, par exemple, une exigence de livraison, les contribuables seraient incapables de prévoir quelle sera leur situation fiscale et d’organiser intelligemment leurs affaires. Cet argument n’est pas convaincant. L’argument de la prévisibilité avancé par PDC est contredit par le fait que les contribuables peuvent décider et qu’ils décident effectivement, vraisemblablement d’une manière rationnelle, si les bénéfices tirés d’une opération de couverture ont un lien direct avec la production d’une mine, en vue de demander la déduction relative aux ressources prévue dans la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur l’imposition des corporations de l’Ontario. Dans le même ordre d’idées, je souligne que PDC s’est fondée sur les mêmes renseignements financiers qu’elle avait joints à sa déclaration de revenus produite en vertu de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière pour demander que les gains qu’elle avait tirés de ses opérations de couverture soient considérés comme des « bénéfices relatifs à des ressources » lui donnant droit à la déduction relative aux ressources prévue dans la Loi sur l’imposition des corporations.
51 Les dispositions législatives en cause dans la présente affaire sont loin d’être parfaites. Quoiqu’elle règle presque entièrement le problème de redondance, l’interprétation large que j’ai retenue entraîne elle‑même des conséquences inattendues. Cela étant dit, je ne crois pas que l’une ou l’autre de ces conséquences soit suffisamment grave pour l’emporter sur la forte redondance qui résulte de l’interprétation restrictive du terme « couverture ». Bien que, comme l’a fait remarquer PDC, la « contrepartie » soit généralement une valeur brute, dans le contexte de la définition de « recettes », « toute contrepartie provenant d’opérations de couverture » doit nécessairement être une valeur nette. Toute entorse à l’utilisation commerciale normale de la « contrepartie » découle nécessairement de la Loi elle‑même. De même, bien qu’elles fassent l’objet d’une distinction fondée sur la façon particulière dont elles protègent contre le risque de prix, les ventes à terme et les options sont utilisées de manière assez semblable pour « fixer le prix » de la production. L’argument de PDC au sujet de la grave entorse aux principes inhérente au fait de traiter les options comme une sous‑catégorie de ventes à terme est contredit par ses propres rapports annuels relatifs aux années d’imposition en cause. Ces rapports précisent que [traduction] « [l]a société a recours à des contrats de vente à terme y compris des contrats à livraison différée et des options pour se prémunir contre les prix des ventes d’or prévues » (je souligne).
52 La Loi de l’impôt sur l’exploitation minière définit le mot « couverture » comme étant la fixation d’un prix pour la production d’une mine, avant livraison, au moyen notamment d’une vente à terme. Comme le souligne le juge Cullity, les options ne sont que des ventes à terme éventuelles et elles fixent le prix de la production à peu près de la même manière que le font les contrats à terme de gré à gré. Attacher, dans le contexte d’une disposition qui impose les « recettes provenant d’opérations de couverture », des conséquences fiscales très différentes à deux formes d’opération qui jouent le même rôle que des instruments de couverture serait une absurdité que le législateur ne peut avoir souhaitée. Je suis donc incapable de conclure que l’un ou l’autre des arguments subsidiaires avancés par PDC l’emporte sur la forte redondance créée par l’interprétation qu’elle préconise.
VI. Dispositif
53 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureur de l’appelante : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intimée : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.