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22/12/2005 | CANADA | N°2005_CSC_82

Canada | May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 (22 décembre 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809, 2005 CSC 82

Date : 20051222

Dossier : 30083

Entre :

Terry Lee May

Appelant

et

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Mission,

Sous-commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada

Intimés

Et entre :

David Edward Owen

Appelant

et

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Étab

lissement de Matsqui,

Sous-commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada

Intimés

Et entre :

Maurice Yvon Roy, Gareth Wa...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809, 2005 CSC 82

Date : 20051222

Dossier : 30083

Entre :

Terry Lee May

Appelant

et

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Mission,

Sous-commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada

Intimés

Et entre :

David Edward Owen

Appelant

et

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Matsqui,

Sous-commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada

Intimés

Et entre :

Maurice Yvon Roy, Gareth Wayne Robinson et

Segen Uther Speer‑Senner

Appelants

et

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Mission,

Sous-commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada

Intimés

et

Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry,

Société John Howard du Canada et

British Columbia Civil Liberties Association

Intervenantes

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 121)

Motifs dissidents :

(par. 122 à 140):

Les juges LeBel et Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps et Abella)

La juge Charron (avec l’accord des juges Major et Bastarache)

______________________________

May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809, 2005 CSC 82

Terry Lee May Appelant

c.

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Mission,

Sous‑commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada Intimés

- et -

David Edward Owen Appelant

c.

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Matsqui,

Sous‑commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada Intimés

- et -

Maurice Yvon Roy, Gareth Wayne Robinson et

Segen Uther Speer‑Senner Appelants

c.

Directeur de l’Établissement Ferndale,

Directeur de l’Établissement de Mission,

Sous‑commissaire, région du Pacifique, Service

correctionnel du Canada et procureur général du Canada Intimés

- et -

Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry,

Société John Howard du Canada et

British Columbia Civil Liberties Association Intervenants

Répertorié : May c. Établissement Ferndale

Référence neutre : 2005 CSC 82.

No du greffe : 30083.

2005 : 17 mai; 2005 : 22 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Ryan, Mackenzie et Saunders) (2003), 188 B.C.A.C. 23, 308 W.A.C. 23, [2003] B.C.J. No. 2294 (QL), 2003 BCCA 536, qui a confirmé une décision du juge Bauman, [2001] B.C.J. No. 1939 (QL), 2001 BCSC 1335. Pourvoi accueilli, les juges Major, Bastarache et Charron sont dissidents.

Ann H. Pollak, pour les appelants Terry Lee May et David Edward Owen.

Donna M. Turko, pour les appelants Maurice Yvon Roy, Gareth Wayne Robinson et Segen Uther Speer‑Senner.

Roslyn J. Levine, c.r., et Donald A. MacIntosh, pour les intimés.

Elizabeth Thomas et Allan Manson, pour les intervenantes l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada.

Michael Jackson, c.r., pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella rendu par

Les juges LeBel et Fish —

I. Introduction

1 Les présentes affaires ont trait à des compétences concurrentes susceptibles d’entraîner un conflit juridictionnel entre les cours supérieures des provinces et la Cour fédérale. Elles mettent en cause le droit des prisonniers fédéraux de contester devant les cours supérieures provinciales la légalité de leur détention au moyen du recours en habeas corpus. Notre Cour doit déterminer en l’espèce si la Cour suprême de la Colombie‑Britannique aurait dû déférer à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire et décliner compétence pour délivrer un bref d’habeas corpus. Si ce tribunal a exercé correctement sa compétence, il nous faudra également déterminer si les appelants ont été illégalement privés de leur liberté.

2 Selon nous, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a correctement exercé sa compétence en matière d’habeas corpus. L’affaire ne présente pas les circonstances restreintes dans lesquelles une cour supérieure devrait décliner compétence : premièrement, elle ne concerne pas une loi habilitant une cour d’appel à corriger les erreurs d’un tribunal inférieur et à libérer le demandeur si nécessaire; deuxièmement, le législateur n’a pas établi de procédures d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions administratives.

3 Nous estimons en outre que les appelants ont été illégalement privés de leur liberté. Les intimés n’ont pas respecté leur obligation légale de fournir aux intéressés tous les renseignements pris en considération pour décider du transfèrement ou un sommaire de ces renseignements. Le pourvoi devrait donc être accueilli.

II. Faits et historique des procédures judiciaires

4 Les appelants sont tous des détenus qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre ou homicide involontaire coupable. Terry Lee May a été déclaré coupable de meurtre au premier degré pour avoir assassiné un adolescent afin de pouvoir en agresser sexuellement un autre sans être inquiété. David Edward Owen a été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré pour avoir battu à mort son ex‑épouse. Maurice Yvon Roy a lui aussi été déclaré coupable du meurtre au deuxième degré de sa conjointe de fait. Gareth Wayne Robinson a été condamné sous deux chefs d’homicide involontaire coupable pour avoir poignardé son amie puis, trois ans plus tard, pour avoir frappé sa femme à la tête avec un marteau. Segen Uther Speer‑Senner a été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré, mais le dossier qui nous a été soumis ne précise pas les circonstances de sa condamnation. Après différentes périodes d’emprisonnement, les appelants ont été incarcérés à l’Établissement Ferndale, un pénitencier fédéral à sécurité minimale situé en Colombie‑Britannique.

5 Entre les mois de novembre 2000 et février 2001, les cinq appelants ont été transférés contre leur gré de l’Établissement Ferndale à des établissements à sécurité moyenne. MM. May, Roy, Robinson et Speer‑Senner ont été amenés à l’Établissement de Mission, et M. Owen, à celui de Matsqui. Nul ne conteste que le transfèrement d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité moyenne comporte pour les détenus une importante privation de liberté. Les appelants ont donc déposé des griefs et ont également formé des recours en habeas corpus avec certiorari auxiliaire afin qu’il soit ordonné aux autorités correctionnelles compétentes de les ramener à l’Établissement Ferndale. Sans que leurs demandes soient réunies, les cinq appelants ont soumis la même argumentation devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

6 Les transfèrements découlaient d’une directive prise par le Service correctionnel du Canada (« SCC ») à la suite d’un crime sensationnel perpétré par un ancien détenu dans une autre province. Cette directive prescrivait la révision de la cote de sécurité de tous les détenus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité dans un établissement à sécurité minimale qui n’avaient pas suivi en totalité le programme de traitement des délinquants violents. Le SCC s’est servi de logiciels pour effectuer la révision des cotes. MM. Roy, Robinson, Speer‑Senner et Owen ont été informés qu’ils étaient transférés parce que l’échelle de réévaluation informatisée indiquait dans leur cas une cote de sécurité moyenne. M. May s’est fait dire que l’on modifiait sa cote de sécurité parce que l’instrument de classement de sécurité ne permettait pas de lui attribuer la cote de sécurité minimale, car il n’avait pas terminé son programme de traitement des délinquants violents. Aucune faute ou inconduite n’était alléguée.

7 Les appelants ont attaqué le processus décisionnel qui a conduit à leur transfèrement. Selon eux, leur transfèrement résultait seulement d’un changement de politique générale effectué par une directive prescrivant la révision, au moyen d’instruments de classement déterminés, de la cote de sécurité des délinquants purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité à l’Établissement Ferndale. Ils ont soutenu que les transfèrements étaient arbitraires et qu’ils avaient été décidés sans « nouvelle » inconduite de leur part et sans qu’il soit tenu compte des circonstances de chaque cas. Ils ont aussi plaidé que l’omission de leur communiquer la matrice de notation de l’un des instruments de classement avait porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale, en les empêchant de contester l’utilité de cet instrument dans le processus décisionnel.

8 La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande d’habeas corpus : [2001] B.C.J. No. 1939 (QL), 2001 BCSC 1335. Le juge Bauman s’est d’abord demandé si une cour supérieure provinciale avait compétence pour examiner, dans le cadre d’une demande d’habeas corpus (avec certiorari auxiliaire), le transfèrement non sollicité d’un prisonnier fédéral et, le cas échéant, si elle devait décliner compétence. Il s’est posé cette question parce que la Cour fédérale possède, aux termes de sa loi habilitante, la compétence exclusive en matière de certiorari visant les décisions de tribunaux administratifs fédéraux.

9 Le juge Bauman a conclu qu’il avait compétence à l’égard de la demande. Il s’est appuyé sur l’arrêt R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, dans lequel notre Cour a statué que les cours supérieures provinciales ont conservé une compétence concurrente avec la Cour fédérale pour délivrer un bref de certiorari auxiliaire à un bref d’habeas corpus, afin de vérifier la validité d’une détention autorisée ou imposée par un office fédéral au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (auparavant S.R.C. 1970, ch. 10 (2e suppl.)) (« LCF »).

10 Le juge Bauman a ensuite abordé les questions de fond qu’il a accepté d’examiner dans l’exercice de sa compétence en matière d’habeas corpus, mais il a débouté les appelants. Il a conclu qu’ils n’avaient pas prouvé leurs allégations relatives à l’omission de communiquer des renseignements pertinents, étant donné que la matrice de notation informatisée n’était pas disponible, et n’a pas reconnu le caractère arbitraire des transfèrements. Selon lui, bien que les transfèrements aient été provoqués par une directive générale donnée au SCC, les décisions avaient été prises après un examen individuel de tous les facteurs applicables. Ces services possédaient la compétence nécessaire pour prendre ces décisions et n’avaient pas dépassé les limites de celle‑ci. Il a donc rejeté les demandes de brefs d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire.

11 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel : (2003), 188 B.C.A.C. 23, 2003 BCCA 536. Au sujet de la compétence, elle avait obtenu des avocats des parties des observations écrites sur la question soulevée dans Spindler c. Millhaven Institution (2003), 15 C.R. (6th) 183 (C.A. Ont.).

12 Dans cette affaire, des prisonniers avaient été incarcérés dans un pénitencier à sécurité maximale conformément à une nouvelle politique applicable aux détenus condamnés pour meurtre. Les détenus avaient présenté des arguments semblables à ceux des appelants en l’espèce. La Cour d’appel de l’Ontario a statué que lorsque l’exercice d’un pouvoir conféré par une loi fédérale à une personne ou à un tribunal administratif donne ouverture à un recours devant la Cour fédérale, les cours supérieures provinciales devraient refuser de se saisir d’une demande d’habeas corpus, si le demandeur n’explique pas raisonnablement son défaut de recourir à la procédure de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Dans cette décision, la Cour d’appel de l’Ontario exprime son accord avec l’arrêt Hickey c. Kent Institution (Director) (2003), 176 B.C.A.C. 272, 2003 BCCA 23, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

13 Selon la juge Ryan, ce raisonnement convenait particulièrement en l’espèce. Bien que les questions en litige dans les présentes affaires ne soient pas identiques à celles que soulevait l’affaire Spindler, elles portent toutes sur des politiques et des procédures adoptées par le commissaire du Service correctionnel pour déterminer la cote de sécurité des appelants. À son avis, le tribunal « spécialisé » qu’est la Cour fédérale aurait dû entendre ces demandes. Comme les appelants n’avaient pas fourni d’explication raisonnable de leur défaut de demander le contrôle judiciaire des décisions devant la Cour fédérale, la juge Ryan a estimé que le juge Bauman aurait dû refuser d’entendre les demandes, même s’il est implicite dans ses motifs qu’il avait compétence pour les entendre. Elle a néanmoins décidé d’examiner les questions de fond mais elle a reconnu que le juge Bauman n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’aucun vice de procédure ne justifiait la délivrance d’une ordonnance d’habeas corpus en faveur des appelants.

14 Depuis l’audition des demandes par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, il appert au dossier que la situation de la plupart des appelants a changé. Le 30 juin 2002, M. May a été transféré d’un établissement à sécurité moyenne à l’Établissement Ferndale, un établissement à sécurité minimale. Le 6 février 2003, M. Speer‑Senner a lui aussi été renvoyé à l’Établissement Ferndale et, le 30 janvier 2005, M. Owen a obtenu une libération conditionnelle totale. Le dossier n’indique pas la situation actuelle de M. Roy, mais une avocate qui représentait les appelants, Mme Pollack, a informé la Cour à l’audience que seul M. Robinson demeurait incarcéré dans un établissement à sécurité moyenne.

III. Questions en litige et position des parties

15 Les présentes affaires soulèvent deux questions fondamentales. Il faut d’abord déterminer si la Cour suprême de la Colombie‑Britannique aurait dû décliner compétence en matière d’habeas corpus, puis si les appelants ont été illégalement privés de leur liberté.

16 Les appelants soutiennent que le fait que la détention illégale découle de la contravention d’une autorité fédérale aux dispositions législatives ou réglementaires applicables et aux principes de justice naturelle n’influe pas sur la compétence des cours supérieures provinciales en matière d’habeas corpus. Selon eux, le demandeur peut choisir le tribunal devant lequel il contestera les restrictions illégales à sa liberté en milieu carcéral. Ils affirment en outre que les décisions de transfert d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité moyenne étaient arbitraires et injustes.

17 Les intimés, pour leur part, répondent que la Cour d’appel a statué à bon droit que le tribunal inférieur aurait dû décliner compétence en matière d’habeas corpus. Ils soutiennent qu’une analyse téléologique de la compétence en matière d’habeas corpus s’impose, en raison de l’exhaustivité des régimes législatifs prévoyant des recours comparables efficaces. Ils ajoutent que, de toute manière, les décisions en matière de transfèrement avaient été validement prises.

IV. Analyse

A. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a‑t‑elle correctement exercé sa compétence en matière d’habeas corpus?

18 La Cour suprême de la Colombie‑Britannique aurait‑elle dû refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus et reconnaître celle de la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire? Cette question prend une importance particulière dans le contexte de la récente évolution jurisprudentielle et législative, qui a voulu assurer l’application du principe de la primauté du droit dans les prisons canadiennes. Le débat porté devant notre Cour nous demande alors d’examiner aussi dans quelle mesure le recours à l’habeas corpus demeure pertinent dans un contexte social et juridique en pleine mutation. En milieu carcéral, il est essentiel que les prisonniers disposent d’un recours de la nature de l’habeas corpus pour faire respecter leurs droits. Par conséquent, cinq sujets retiendront notre attention : (1) la nature de l’habeas corpus, (2) la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin (R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662) et la compétence concurrente des cours supérieures et de la Cour fédérale, (3) l’émergence d’un pouvoir discrétionnaire limité des cours supérieures de décliner compétence en matière d’habeas corpus, (4) l’élargissement par les cours d’appel provinciales de ce pouvoir en contexte carcéral, et (5) la nécessité, pour les détenus fédéraux, de l’accès au recours en habeas corpus et la protection de l’accès à ce recours.

(1) La nature de l’habeas corpus

19 Le bref d’habeas corpus est aussi qualifié de « grand bref de la liberté ». Déjà en 1215, la Magna Carta garantissait le principe selon lequel [traduction] « [a]ucun homme libre ne sera arrêté ni emprisonné [. . .] sans un jugement loyal de ses pairs ou conformément à la loi du pays. » Au XIVe siècle, on avait recours à ce bref pour obliger qu’un prisonnier soit amené devant le tribunal pour qu’on explique la raison de sa détention : W. F. Duker, A Constitutional History of Habeas Corpus (1980), p. 25.

20 Du XVIIe au XXe siècle, diverses lois ont codifié le bref d’habeas corpus afin d’en clarifier et d’en uniformiser les principes et l’application. Une première codification se trouve dans l’Habeas Corpus Act, 1679 (Angl.), 31 Cha. 2, ch. 2. Cette loi faisait essentiellement en sorte que les prisonniers ayant droit à ce recours [traduction] « ne soient pas empêchés de l’exercer par des procédures inadéquates » : R. J. Sharpe, The Law of Habeas Corpus (2e éd. 1989), p. 19.

21 Selon le juge Black de la Cour suprême des États‑Unis, l’habeas corpus n’est pas [traduction] « maintenant ni n’a jamais été un recours statique, étroit et formaliste; sa portée s’est élargie afin qu’il puisse remplir son objet premier — la protection des individus contre l’érosion de leur droit de ne pas voir imposer de restrictions abusives à leur liberté » : Jones c. Cunningham, 371 U.S. 236 (1962), p. 243. Sharpe décrit ainsi à la p. 23 de son ouvrage la méthode d’intervention à laquelle le recours en habeas corpus donne généralement lieu :

[traduction] Le bref est adressé au geôlier ou à la personne ayant le demandeur sous sa garde ou son contrôle. Il enjoint à cette personne d’amener à la date fixée le demandeur devant le tribunal et d’expliquer la cause de sa détention. Le processus met l’accent sur la cause de la détention. Si la cause alléguée est légitime, le prisonnier est renvoyé en détention, mais si l’explication est insuffisante ou la cause illégitime, il est mis en liberté. L’objet direct de l’examen est simplement la raison ou la justification exposée par la partie qui exerce une contrainte sur le demandeur. [Nous soulignons.]

22 L’habeas corpus demeure un recours essentiel pour la protection de deux droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés : (1) le droit à la liberté et à ce qu’il n’y soit porté atteinte qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale (art. 7 de la Charte), et (2) le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire (art. 9 de la Charte). En conséquence, la Charte garantit le droit à l’habeas corpus :

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

. . .

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.

23 Toutefois, les prisonniers qui contestaient les décisions disciplinaires internes n’ont pas toujours joui du droit à un recours de la nature de l’habeas corpus. Pendant longtemps, en common law, la condamnation à l’emprisonnement pour un acte criminel grave emportait privation de droits. Les condamnés perdaient tous leurs droits civils et droits de propriété. Aux yeux du droit, ils étaient morts. Les tribunaux refusaient, pour cette raison, d’examiner les processus décisionnels internes des autorités carcérales : M. Jackson, Justice Behind the Walls : Human Rights in Canadian Prisons (2002), p. 47-50. Même si, à la fin du XIXe siècle, la notion de mort civile avait presque disparu, on continuait de voir les prisonniers comme des personnes dépourvues de droits : M. Jackson, Prisoners of Isolation : Solitary Confinement in Canada (1983), p. 82.

24 C’est cette conception qui, à l’origine, a fondé le refus des tribunaux canadiens d’examiner les décisions internes des autorités carcérales. Cette [traduction] « attitude non interventionniste a eu pour effet de soustraire les prisons à tout examen public par l’application du processus judiciaire et de placer les autorités carcérales en situation de quasi invulnérabilité et de pouvoir absolu sur les personnes dont elles avaient la garde » : Jackson, Prisoners of Isolation, p. 82.

25 Peu après de graves incidents dans les pénitenciers fédéraux dans les années 1970 et les examens de l’administration pénitentiaire qui ont suivi, notre Cour a abandonné la règle de la « non‑intervention » et a étendu le contrôle judiciaire au processus décisionnel des autorités carcérales, qui pouvait priver des détenus de leur liberté résiduelle. Dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a jeté les bases de la théorie et de la pratique modernes du contrôle judiciaire des décisions correctionnelles :

En l’espèce, le comité de discipline n’était ni expressément ni implicitement tenu de suivre une procédure de nature judiciaire, mais en rendant sa décision et en imposant la peine, il devait constater des faits touchant un citoyen et exercer un certain pouvoir discrétionnaire. De plus, la décision du comité avait pour effet de priver une personne de sa liberté en l’incarcérant dans une « prison au sein d’une prison ». Dans ces circonstances, la justice élémentaire exige une certaine protection dans la procédure. Le principe de la légalité doit régner à l’intérieur des murs d’un pénitencier. [Nous soulignons; p. 622.]

26 Le juge Dickson a affirmé clairement qu’« on peut recourir au certiorari chaque fois qu’un organisme public a le pouvoir de trancher une question touchant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d’une personne », y compris des détenus (p. 622‑623 (nous soulignons)). Toutefois, il n’a pas examiné précisément la question de savoir si les cours supérieures provinciales ont compétence pour délivrer un bref de certiorari auxiliaire au bref d’habeas corpus en vue de vérifier la validité d’une détention imposée par une autorité fédérale. Ce problème devait nécessairement se poser en l’espèce puisque l’art. 18 de la LCF confère à la Cour fédérale compétence exclusive pour décerner un bref de certiorari contre « tout office fédéral ». Quelques années plus tard, une trilogie d’arrêts a analysé cette importante question.

(2) La trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin et la compétence concurrente des cours supérieures et de la Cour fédérale

27 En 1985, dans la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin, notre Cour a élargi la portée de l’habeas corpus, en permettant son application pour soustraire des détenus à des formes de détention contraignantes sans pour autant les mettre en liberté. Le recours en habeas corpus pouvait donc libérer des détenus d’une « prison au sein d’une prison ». Chacune de ces affaires portait sur la contestation par un détenu de son incarcération en ségrégation administrative et de son transfèrement dans une unité spéciale de détention, une unité réservée aux détenus particulièrement dangereux où s’appliquaient des conditions de détention plus contraignantes.

28 Rendant jugement pour la Cour dans l’arrêt Miller, le juge Le Dain a reconnu que l’incarcération dans une unité spéciale de détention ou en ségrégation administrative constitue une forme de détention distincte de celle qui est imposée à la population carcérale générale, car elle entraîne une diminution importante de la liberté résiduelle du détenu. Selon lui, on peut recourir à l’habeas corpus « pour contester la validité d’une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral » (p. 641).

29 Il restait à déterminer, toutefois, si ce recours devait s’exercer devant une cour supérieure provinciale ou devant la Cour fédérale. Le juge Le Dain a souligné que le législateur avait délibérément choisi de ne pas inclure l’habeas corpus dans la liste des brefs de prérogative relevant de la compétence exclusive de la Cour fédérale. À son avis, la compétence relative à ce recours, qui constituait une mesure de protection essentielle de la liberté, ne pouvait être modifiée que par des termes explicites que l’on ne retrouve pas au par. 18(1) de la LCF (p. 624‑625). Par conséquent, l’habeas corpus a continué de relever de la compétence inhérente reconnue depuis longtemps aux juges des cours supérieures provinciales nommés en vertu de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour retirer cette compétence aux cours supérieures provinciales, il faudrait une disposition législative au libellé clair et direct, comme le par. 18(2) de la LCF, qui vise les membres des Forces canadiennes en poste à l’étranger.

30 Le juge Le Dain a précisément examiné la question qui se pose en l’espèce, si la compétence que l’art. 18 de la LCF confère à la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux prime sur la compétence des cours supérieures provinciales en matière d’habeas corpus. Il a conclu sans équivoque « qu’une cour supérieure provinciale a compétence pour délivrer un habeas corpus avec certiorari auxiliaire aux fins d’examiner la validité d’une détention autorisée ou ordonnée par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale » (p. 626 (nous soulignons)).

31 Tout au long de son analyse, le juge Le Dain a examiné avec soin comment identifier le tribunal le mieux en mesure de contrôler la légalité de la détention des prisonniers fédéraux, en tenant compte de l’art. 18 de la LCF, de l’importance de l’accessibilité à l’échelon local du recours en habeas corpus et des problèmes posés par le partage des compétences. Relativement au problème posé par la présence de juridictions concurrentes, il s’est exprimé ainsi :

Examen fait des deux façons d’aborder cette question, je suis d’avis que le point de vue à retenir est celui selon lequel il y a lieu à habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale. La portée du recours à l’habeas corpus doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L’importance générale de ce recours comme moyen traditionnel de contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflits de compétence. [Nous soulignons; p. 640‑641.]

32 La Cour a appliqué le même raisonnement dans les affaires connexes Cardinal et Morin. À notre avis, la trilogie appuie deux propositions distinctes. D’abord et avant tout, les cours supérieures provinciales ont compétence pour décerner un bref de certiorari accessoire à un bref d’habeas corpus, afin de protéger la liberté résiduelle d’un détenu incarcéré dans un pénitencier fédéral. Il s’agit d’un principe crucial en l’espèce. En contexte carcéral, le demandeur a donc le droit de choisir le tribunal devant lequel il attaquera la légalité d’une restriction de sa liberté. Suivant l’arrêt Miller, si le demandeur opte pour le recours en habeas corpus, sa demande devrait être examinée au fond, indépendamment de l’existence d’autres recours possibles devant la Cour fédérale. Selon la seconde proposition, qui ne s’applique pas en l’espèce, une demande d’habeas corpus permettra au tribunal de déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu en isolement préventif et, si cette forme d’incarcération est jugée illégale, d’ordonner qu’il réintègre la population carcérale générale.

(3) L’émergence d’un pouvoir discrétionnaire limité de décliner compétence

33 Comme on l’a vu, on reconnaît au départ qu’un prisonnier peut choisir de contester une restriction illégale de sa liberté en présentant une demande d’habeas corpus à une cour supérieure provinciale ou une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans le passé, le bref d’habeas corpus n’a jamais constitué un recours discrétionnaire. Il est délivré de plein droit, lorsque le demandeur conteste avec succès la légalité de sa détention :

[traduction] En principe, le recours en habeas corpus n’est pas discrétionnaire : le bref est délivré de plein droit lorsque le bien‑fondé en a été établi. Il s’agit toutefois d’un bref de plein droit et non d’un bref accordé d’office, et suivant la pratique établie depuis longtemps, une procédure préliminaire permet de déterminer si la demande est suffisamment fondée pour justifier la convocation des autres parties.

Cela signifie, simplement, qu’il ne s’agit pas d’un bref qu’on obtient sur demande, après paiement des frais judiciaires, mais d’un bref délivré uniquement lorsqu’il a été démontré que le recours est fondé. Bien que le tribunal ne puisse opposer un refus discrétionnaire à la demande, il doit quand même décider si le demandeur a établi des motifs valables à l’appui de sa demande. La règle selon laquelle le bref est délivré de plein droit signifie simplement que le tribunal ne peut le refuser que si la demande n’est pas fondée en droit et que le refus de l’habeas corpus ne peut reposer sur un motif discrétionnaire comme l’existence d’inconvénients. [Nous soulignons.]

(Sharpe, p. 58)

34 Ainsi, en principe, on ne devrait pas décliner compétence relativement à l’habeas corpus simplement en raison de l’existence d’un autre recours. Que cet autre recours demeure toujours ouvert ou que le demandeur ait perdu le droit de l’exercer, son existence ne devrait pas éteindre ou restreindre le droit de demander un bref d’habeas corpus à la cour supérieure de la province : Sharpe, p. 59.

35 Toutefois, vu qu’il existe souvent d’autres recours que l’habeas corpus et que diverses formes de contrôle judiciaire et de droits d’appel ont fait leur apparition dans la procédure civile et criminelle, on s’est interrogé sur la véritable portée du bref traditionnel d’habeas corpus et sur l’existence d’un pouvoir discrétionnaire des cours supérieures de décliner compétence. Des tribunaux ont parfois refusé de faire droit à une demande de la nature d’un habeas corpus parce qu’ils estimaient l’appel ou une autre voie de recours prévue par loi plus appropriés. La raison de principe fondant cette exception se retrouve manifestement dans la nécessité d’endiguer la multiplication des moyens indirects de contester des déclarations de culpabilité ou d’autres privations de la liberté : Sharpe, p. 59‑60. Jusqu’à présent, ces situations se sont présentées surtout dans deux contextes distincts.

36 À proprement parler, l’habeas corpus ne peut, en contexte criminel, servir à contester la légalité d’une déclaration de culpabilité. Pour le détenu, ce recours ne peut se substituer à l’exercice du droit d’appel : voir Re Trepanier (1885), 12 R.C.S. 111; Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140, p. 204; Goldhar c. The Queen, [1960] R.C.S. 431, p. 439; Morrison c. The Queen, [1966] R.C.S. 356; Karchesky c. The Queen, [1967] R.C.S. 547, p. 551; Korponay c. Kulik, [1980] 2 R.C.S. 265.

37 Notre Cour a réaffirmé ce principe dans R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, en examinant notamment la question de savoir si un juge d’une cour supérieure aurait dû décliner compétence en matière d’habeas corpus. L’appelant s’était vu alors refuser l’admissibilité à la libération conditionnelle en vertu de dispositions législatives antérieures à la Charte dont il prétendait l’application contraire à la Charte.

38 La juge Wilson, au nom de la majorité, a conclu que si les cours supérieures détiennent le pouvoir discrétionnaire de refuser d’exercer leur compétence en matière d’habeas corpus, ce pouvoir discrétionnaire « devrait être exercé en tenant dûment compte de la nécessité imposée par la Constitution de donner promptement et efficacement effet aux droits conférés par la Charte » (p. 634‑635). À propos de l’argument selon lequel la compétence en matière d’habeas corpus devait céder le pas parce qu’il existe déjà un mécanisme parallèle en Cour fédérale, elle a écrit que la revendication de droits garantis par la Charte au moyen de l’habeas corpus ne crée pas de système parallèle et que la personne qui prétend qu’un tribunal devrait pour cette raison refuser d’exercer sa compétence « ne sert guère le système actuel quand elle cherche à placer des barrières de procédure sur le chemin de quelqu’un qui, à l’instar de l’appelante, cherche à faire valoir l’un des droits les plus fondamentaux du citoyen devant le tribunal traditionnellement compétent » (p. 635). À propos du processus criminel, toutefois, elle a finalement reconnu que :

Aux termes du par. 24(1) de la Charte, les tribunaux ne devraient pas permettre que les demandes d’habeas corpus servent à contourner la procédure d’appel appropriée, mais ils ne devraient pas non plus s’astreindre à des règles trop strictes concernant la possibilité de recourir à l’habeas corpus, qui pourraient avoir pour effet d’interdire à des requérants de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation en vertu de la Charte. [Nous soulignons; p. 642.]

39 Une deuxième restriction de la portée de l’habeas corpus s’est graduellement installée en droit de l’immigration. Il est maintenant bien établi que les tribunaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’entendre des demandes de bref de prérogative dans les affaires d’immigration : Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821; Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 69 O.R. (2d) 253 (C.A.) (autorisation d’appel refusée, [1989] 2 R.C.S. x). Le juge Catzman s’est exprimé ainsi dans Peiroo :

[traduction] Le législateur a établi dans la [Loi sur l’immigration], plus particulièrement dans les modifications récentes concernant précisément le traitement des revendications de personnes dans la situation de l’appelante, un régime exhaustif comportant des procédures de contrôle et d’appel, devant la Cour fédérale du Canada, des décisions et ordonnances prises en vertu de la Loi, procédures dont la portée est aussi large ou plus large que celle de l’habeas corpus assorti de certiorari. En l’absence de toute preuve que les procédures de contrôle et d’appel prévues par le législateur sont inadéquates ou moins avantageuses que la compétence de la Cour suprême de l’Ontario en matière d’habeas corpus, je suis d’avis que notre Cour devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser d’accorder la réparation demandée en l’espèce dans le cadre de la demande d’habeas corpus qui s’inscrit nettement dans le régime de contrôle et d’appel prévu par la Loi. [Nous soulignons; p. 261‑262.]

40 Dans Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, le juge de première instance a refusé d’entendre une contestation de la validité constitutionnelle de la Loi sur l’immigration présentée devant la cour supérieure de la province. Notre Cour a confirmé encore une fois que le juge avait « exercé correctement son pouvoir discrétionnaire pour le motif que le législateur avait créé un régime complet de contrôle en matière d’immigration et que la Cour fédérale était un tribunal efficace et approprié » (p. 405 (nous soulignons)). Ces arrêts indiquent donc qu’en droit de l’immigration, le recours de l’habeas corpus est écarté parce que le législateur a mis en place un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus.

41 De ces deux exceptions reconnues au recours à l’habeas corpus — les appels criminels et « l’exception établie par l’arrêt Peiroo » confirmée dans Reza — nous passons maintenant à l’examen de la décision de cette Cour dans Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385. On a parfois cru, à tort à notre avis, que l’arrêt Steele avait établi une règle d’application générale interdisant le recours à l’habeas corpus dès qu’il existe un autre recours possible. Compte tenu des faits inhabituels de cette affaire, nous estimons important d’en examiner de plus près la véritable portée.

42 Il ne s’agit pas ici d’examiner si la décision dans Steele était justifiée dans les circonstances — nous croyons qu’elle l’était — mais de vérifier si Steele a créé une nouvelle exception distincte à la possibilité de recourir à l’habeas corpus. À notre avis, ce n’est pas le cas. La conséquence d’un ensemble de faits inusités explique seule l’arrêt Steele. Il ne peut être analysé que dans cette optique. Sans aucun rappel des principes régissant le recours à l’habeas corpus, notre Cour dans Steele a accordé le redressement recherché, tout en se demandant si ce recours était ouvert au demandeur. Aucun obstacle judiciaire au droit vénérable à l’habeas corpus, que garantit maintenant notre Constitution, ne saurait reposer sur un fondement jurisprudentiel aussi fragile.

43 Il ne faudrait pas non plus affirmer que dans l’arrêt Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, notre Cour a conclu autrement. Dans cette affaire, notre Cour n’a pas fait de l’arrêt Steele une règle de principe interdisant le recours à l’habeas corpus dans les cas qui n’entrent pas dans les deux exceptions ci‑dessus. Dans Idziak, la question décisive était de savoir si le législateur avait établi à l’égard de l’extradition un régime législatif complet semblable à celui qu’il avait établi en matière d’immigration. La Cour a conclu que tel n’était pas le cas. Aucune raison ne permettait donc aux cours supérieures des provinces de refuser d’exercer leur compétence en matière d’habeas corpus lorsque la détention attaquée découlait des procédures d’extradition.

44 En résumé donc, la jurisprudence de notre Cour établit que les prisonniers peuvent décider de contester la légalité d’une décision touchant leur liberté résiduelle soit devant une cour supérieure provinciale par voie d’habeas corpus, soit devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. En principe, une cour supérieure provinciale devrait exercer sa compétence lorsqu’on le lui demande. Elle ne devrait pas refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus simplement parce qu’il existe une autre voie de recours qu’elle juge tout aussi ou même plus commode. Le choix appartient au demandeur. Une cour supérieure ne pourra à bon droit refuser d’exercer cette compétence que dans des circonstances limitées. Par exemple, en droit criminel, lorsqu’une loi confère à une cour d’appel le pouvoir de corriger les erreurs d’un tribunal inférieur et de mettre le demandeur en liberté au besoin, le recours en habeas corpus ne sera pas disponible (voir Gamble). Lorsqu’une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions administratives a été mise en place (voir Pringle et Peiroo) il convient également de décliner compétence.

(4) L’élargissement par les cours d’appel provinciales du pouvoir discrétionnaire limité de décliner compétence en matière d’habeas corpus en contexte carcéral

45 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans les présentes affaires et dans Hickey, et la Cour d’appel de l’Ontario dans Spindler, deux décisions dont il a été question précédemment, ont récemment restreint l’accès au recours en habeas corpus devant les cours supérieures provinciales. Les intimés font largement appel à ce courant jurisprudentiel à l’appui de leur argument voulant que les cours supérieures devraient généralement décliner compétence et déférer à la compétence en matière de contrôle judiciaire lorsque la loi prévoit une telle procédure. L’adoption de cet argument par notre Cour pourrait réduire substantiellement la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus, au point de le transformer en une compétence résiduelle discrétionnaire à laquelle on ne pourrait recourir que lorsque tous les autres moyens ont échoué. Un tel résultat contredirait la jurisprudence de notre Cour. Compte tenu de l’importance que leur accordent les tribunaux inférieurs, nous allons examiner et commenter les arrêts Hickey et Spindler.

46 Dans l’affaire Hickey, un détenu, qui purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité, avait été transféré dans une unité spéciale de détention. Il avait contesté son transfèrement par voie d’habeas corpus au lieu de recourir aux procédures internes de grief ou de présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire. La juge Ryan de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu en fin de compte que la juge de première instance avait compétence. Toutefois, se reportant à l’arrêt Steele, elle a ajouté ce qui suit :

[traduction] Il est bien établi que la cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’instruire une demande d’habeas corpus s’il existe un autre recours viable. En droit carcéral, l’existence d’une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions relatives à l’incarcération est un facteur qui milite contre l’instruction d’une demande d’habeas corpus. Mais il y a des exceptions.

. . .

En l’espèce, l’appelant n’a pas expliqué à la Cour suprême pourquoi il n’avait pas procédé par voie de grief ou par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La juge en chambre n’aurait pas dû entendre la demande d’habeas corpus sans savoir pourquoi ces procédures ne permettaient pas de régler le cas de M. Hickey. [Nous soulignons; par. 50 et 53.]

(Voir également l’arrêt connexe de l’affaire Hickey, Bernard c. Kent Institution, [2003] B.C.J. No. 62 (QL), 2003 BCCA 24, par. 6‑7.)

47 Dans Spindler, les détenus purgeaient une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre dans un établissement à sécurité maximale. Plaidant l’illégalité de leur détention, ils ont demandé un bref d’habeas corpus et une ordonnance prescrivant leur transfèrement dans [traduction] « un pénitencier d’un niveau de sécurité moindre ». Le juge des requêtes a affirmé avoir compétence pour entendre la demande d’habeas corpus mais a renoncé à l’exercer, concluant que la Cour fédérale était le tribunal le plus approprié. Le juge Doherty a rejeté l’appel. S’appuyant sur l’arrêt Steele et souscrivant à l’arrêt Hickey, il a fait le commentaire suivant :

[traduction] Selon mon interprétation de l’arrêt Steele, précité, une cour supérieure provinciale devrait, sauf dans des circonstances exceptionnelles, décliner compétence en matière d’habeas corpus lorsque la demande concerne essentiellement l’exercice d’un pouvoir conféré par une loi fédérale à une personne ou à un tribunal administratif nommé par le gouvernement fédéral. En vertu des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7, c’est à la Cour fédérale qu’il appartient spécifiquement de statuer sur de telles contestations. En assignant ces litiges à la Cour fédérale, le législateur a reconnu que les personnes ou tribunaux titulaires de pouvoirs d’origine fédérale doivent les exercer dans tout le pays. Il est important que l’interprétation judiciaire de la nature et de la portée de ces pouvoirs soit la plus uniforme et cohérente possible. Par l’octroi à la Cour fédérale de la compétence sur ces contestations, le législateur a voulu assurer l’uniformité et la cohérence tout en facilitant l’approfondissement de l’expertise de la Cour fédérale en cette matière. [Nous soulignons; par. 19.]

48 Enfin, la juge Ryan de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fondé, en l’espèce, sur les arrêts Hickey et Spindler sa conclusion selon laquelle le juge en chambre aurait dû refuser d’entendre la demande d’habeas corpus. Elle a ajouté ces observations :

[traduction] À mon avis, les observations du juge Doherty de la Cour d’appel sur l’importance de s’adresser à la Cour fédérale sont particulièrement appropriées en l’espèce. Les questions soulevées peuvent ne pas être identiques à celles de l’affaire Spindler, précitée, mais elles concernent toutes, comme dans cette dernière affaire, des politiques et procédures adoptées par le commissaire pour établir la cote de sécurité des appelants. Selon moi, ces instances devaient être entendues par ce tribunal spécialisé.

Les appelants n’ont pas fourni d’explication raisonnable pour ne pas avoir demandé un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Selon moi, le juge en chambre en l’espèce aurait dû refuser d’entendre les demandes. [Nous soulignons; par. 21‑22.]

49 On peut résumer ainsi la position des cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique. Premièrement, la cour dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser de statuer sur une demande d’habeas corpus s’il existe un autre recours viable. Deuxièmement, en droit carcéral, l’existence d’une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions relatives à l’incarcération des détenus constitue un facteur militant contre l’audition des demandes d’habeas corpus. Troisièmement, l’octroi à la Cour fédérale de la compétence d’entendre ces contestations est le moyen retenu par le législateur pour assurer l’uniformité et la cohérence tout en permettant à la Cour fédérale d’approfondir son expertise en ce domaine. Quatrièmement, une cour supérieure provinciale devrait, sauf dans des circonstances exceptionnelles, décliner compétence en matière d’habeas corpus lorsque la demande constitue essentiellement une contestation de l’exercice d’un pouvoir conféré par une loi fédérale à un tribunal administratif nommé par le gouvernement fédéral. Cinquièmement, le demandeur doit donner une explication raisonnable de sa décision de ne pas suivre les procédures de grief ou de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

50 L’importance historique de l’habeas corpus dans la protection de diverses formes de liberté justifie un examen soigneux de toute évolution jurisprudentielle restreignant la compétence en matière d’habeas corpus et ne permet pas de le laisser se développer sans contrôle. Il importe que les exceptions à la compétence en matière d’habeas corpus et les circonstances dans lesquelles une cour supérieure peut décliner compétence demeurent bien définies et circonscrites. À notre avis, les principes formulés par la cour d’appel en l’espèce et dans les décisions Hickey et Spindler limitent indûment la portée du recours en habeas corpus et la possibilité de s’en prévaloir. En effet, ils s’avèrent inconciliables avec la jurisprudence de notre Cour. Nous ne pouvons, en toute déférence, concilier une vision aussi étroite de la compétence des cours supérieures provinciales avec la perspective large adoptée dans la trilogie Miller et confirmée dans des arrêts subséquents. Selon la règle généralement applicable, les cours supérieures provinciales devraient exercer leur compétence. En application des décisions de notre Cour, les cours supérieures provinciales ne devraient décliner compétence en matière d’habeas corpus que (1) lorsqu’une loi comme le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, investit une cour d’appel de la compétence de corriger les erreurs d’un tribunal inférieur et de libérer le demandeur au besoin, ou (2) lorsque le législateur a mis en place une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé d’une décision administrative.

(5) La confirmation de l’accessibilité de l’habeas corpus pour les détenus fédéraux

51 En l’espèce, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a commis une erreur en refusant l’accès au recours en habeas corpus. Aucune des deux exceptions reconnues à la règle générale de l’exercice par les cours supérieures de leur compétence en matière d’habeas corpus ne s’applique en l’espèce. La première exception est inapplicable parce que les présentes affaires ne concernent pas une déclaration de culpabilité mais bien des décisions administratives en contexte carcéral. La deuxième exception ne s’applique pas non plus car, ainsi qu’on le verra plus loin, le législateur n’a pas établi des procédures d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions touchant l’incarcération des détenus. En outre, comme on le constatera également plus loin, une méthode téléologique pour aborder les questions qui se posent en l’espèce favorise clairement la reconnaissance de l’existence de compétences parallèles.

52 Selon les intimés, le raisonnement suivi en matière d’immigration devrait également trouver application en droit carcéral. Ils soutiennent que le législateur a établi, dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLC »), et son règlement d’application, un régime législatif exhaustif pour la résolution des griefs des détenus, notamment les griefs à l’encontre des décisions prévoyant le transfèrement, l’isolement ou d’autres mesures qui restreignent la liberté.

53 Les intimés affirment que ce régime concorde avec l’intention du législateur de confier de façon générale l’examen de ces décisions à la Cour fédérale. Le régime est spécialement conçu pour les détenus et pourvoit à la présentation de griefs ou d’appels internes à l’égard des décisions ayant des répercussions sur leur liberté. Un bon nombre des décisions prises par des agents de correction nécessitent l’application de politiques répondant à la situation particulière du système carcéral fédéral. Selon les intimés, la Cour fédérale a acquis une expertise substantielle en matière de contrôle des décisions des comités d’examen des griefs des détenus.

54 Il nous faut donc examiner le cadre législatif et réglementaire de la classification des détenus dans le système carcéral fédéral afin de déterminer si le législateur a bien mis en place un code complet pour le traitement et l’examen des griefs des détenus. Le point de départ de l’analyse réside dans la décision administrative présidant au classement de sécurité des détenus. Selon le par. 30(1) de la LSCMLC, le SCC « assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu ». Les cotes de sécurité sont établies en fonction des facteurs énumérés aux art. 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (« Règlement »).

55 En principe, le SCC doit avoir recours aux mesures de « protection du public, des agents et des délinquants [. . .] le moins restrictives possible » : al. 4d) de la LSCMLC. Lorsqu’une personne doit être incarcérée, le SCC est tenu de lui offrir « le milieu le moins restrictif possible », compte tenu de facteurs déterminés : art. 28 de la LSCMLC. Le paragraphe 30(2) de la LSCMLC prévoit en outre que le SCC « doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’assignation d’une cote de sécurité ou du changement de celle‑ci ». Bien sûr, les décisions correctionnelles, dont l’attribution des cotes de sécurité, doivent « être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs » : al. 4g) de la LSCMLC.

56 Les détenus mécontents de décisions en matière de transfèrement peuvent les contester à l’intérieur du système correctionnel. Les articles 90 et 91 de la LSCMLC établissent le cadre général de la procédure de grief. La LSCMLC exige que les détenus aient accès à une procédure de règlement juste et expéditif des griefs, laquelle doit être établie par règlement et par les directives du commissaire : al. 96u) et art. 97 et 98. Les articles 74 à 82 du Règlement prévoient les détails de la procédure. La procédure permet aux détenus de présenter un grief aux paliers administratifs successifs du SCC, afin que les supérieurs révisent les décisions prises par leurs subordonnés. Aux termes du par. 74(1) du Règlement, le détenu mécontent d’une action ou d’une décision d’un agent peut présenter une plainte au superviseur de cet agent. Les plaintes écrites doivent être traitées sans formalisme si c’est possible. Si le détenu demeure insatisfait de la décision relative à sa plainte, il peut recourir à la procédure de grief.

57 La procédure de grief comporte essentiellement trois paliers. Au premier palier, le détenu mécontent du règlement de sa plainte par le superviseur peut présenter un grief au directeur de l’établissement : al. 75a) du Règlement. Au deuxième palier, si le détenu est insatisfait de la décision du directeur ou si le directeur est en cause dans le grief, le détenu présente le grief au responsable de la région : al. 75b) et par. 80(1) du Règlement. Au troisième palier, le détenu déçu par la réponse du responsable de la région a droit de soumettre son grief directement au commissaire du Service correctionnel : par. 80(2) du Règlement. Le commissaire a délégué son pouvoir de rendre les décisions finales en matière de griefs au commissaire adjoint : art. 18 et 19 de la Directive du commissaire 081 : « Plaintes et griefs des délinquants », 4 mars 2002 (« DC 081 »). Enfin, aux termes des art. 2 et 18 de la LCF, le détenu peut contester l’équité ou la conformité à la Charte de la décision rendue au troisième palier par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

58 Comme nous l’avons déjà mentionné, la loi exige que les détenus aient accès à une procédure de règlement efficace, juste et expéditif des griefs. Par conséquent, le détenu a droit à des décisions écrites aux trois paliers de la procédure de grief : par. 74(3), 74(5), 77(3), 79(3) et 80(3) du Règlement. Naturellement, le détenu doit participer au processus de règlement, et la DC 081 exige que la confidentialité des plaintes et des griefs soit protégée « [d]ans la mesure du possible » (al. 6c) et e)). Le Règlement prévoit aussi que les décisions relatives aux plaintes et aux griefs doivent être rendues « aussitôt que possible » : par. 74(3), 74(5), 77(3), 79(3) et 80(3); voir également l’al. 6d) et les art. 7 et 8 de la DC 081 pour un calendrier plus précis. Enfin, lorsqu’un grief est accueilli, l’établissement doit démontrer que les mesures correctives nécessaires ont été prises : art. 10 de la DC 081.

59 Notre Cour doit ainsi déterminer si la procédure de grief constitue une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé de la classification de sécurité des détenus. Dans l’arrêt Pringle, le juge Laskin (plus tard Juge en chef), rendant jugement au nom de la Cour, a conclu :

Je suis convaincu que, dans le contexte du programme général de l’administration des politiques en matière d’immigration, les termes de l’art. 22 (« compétence exclusive pour entendre et décider toutes questions de fait ou de droit, y compris les questions de compétence ») suffisent non seulement à revêtir la Commission de l’autorité déclarée mais encore à empêcher toute autre cour ou tout autre tribunal d’être saisis de tout genre de procédures, que ce soit par voie de certiorari ou autrement, relativement aux matières ainsi réservées exclusivement à la Commission. [Nous soulignons; p. 826.]

60 Pour le juge Laskin, le point déterminant était donc l’intention du législateur d’octroyer une compétence exclusive à la Commission. Toutefois, ni la LSCMLC ni le Règlement ne renferment des termes en ce sens. En fait, il est clair que le gouverneur en conseil, l’autorité de réglementation, n’avait pas l’intention de donner à la procédure de grief préséance sur la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus. Le paragraphe 81(1) du Règlement prévoit ce qui suit :

81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.

61 Cette disposition indique clairement que l’autorité de réglementation a envisagé la possibilité qu’un détenu choisisse d’intenter un recours judiciaire, comme un recours en habeas corpus, en plus de déposer un grief en vertu du Règlement. Le recours judiciaire supplante la procédure de grief. L’autorité de réglementation n’a pas voulu interdire aux prisonniers l’accès à l’habeas corpus. Mais ce n’est pas tout.

62 À notre avis, la procédure de grief peut et doit être distinguée du processus applicable en matière d’immigration pour plusieurs autres raisons. Le régime d’examen qui faisait obstacle à l’exercice de la compétence relative à l’habeas corpus dans les affaires Pringle et Peiroo diffère substantiellement de la procédure de grief établie par la LSCMLC. La Loi sur l’immigration applicable à l’époque de l’affaire Peiroo prévoyait l’appel des décisions des autorités de l’immigration devant un tribunal administratif indépendant, la Section d’appel de l’immigration, qui était investi de tous les pouvoirs d’une cour supérieure d’archives, notamment ceux d’enjoindre à toute personne de comparaître, de faire prêter serment et de veiller à l’exécution de ses ordonnances : S.C. 1976-77, ch. 52 (mod. L.C. 1988, ch. 35), par. 71.4(2). Il s’agissait d’un processus où la loi assurait l’impartialité des décideurs, énumérait les motifs de révision et établissait clairement le processus de révision : art. 63, 64 et 71.4 à 78. La procédure de demande et d’appel devant la Cour fédérale était également détaillée : art. 83.1 à 85.2.

63 À l’opposé, la procédure interne de grief prévue par la LSCMLC prescrit l’examen de décisions d’autorités carcérales par d’autres autorités carcérales. Ainsi, dans le cas de contestation de la légalité d’une politique établie par le commissaire, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le décideur, un subordonné du commissaire, rende une décision juste et impartiale. Il convient également de signaler que ni la LSCMLC ni son règlement d’application ne prévoient de recours, pas plus qu’ils n’énoncent des motifs d’examen des griefs. Enfin, les décisions rendues sur les griefs n’ont pas force exécutoire. Par contre, dans Peiroo, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que le législateur avait mis en place un régime d’examen complet, exhaustif et spécialisé d’une portée au moins aussi large que la procédure d’habeas corpus et tout aussi avantageux. De toute évidence, il n’en va pas de même en l’espèce.

64 Par conséquent, la faiblesse intrinsèque de la procédure de grief ne justifie nullement ici de transposer le raisonnement adopté en droit de l’immigration. Le législateur n’a pas encore élaboré pour le contexte carcéral un régime d’examen et d’appel exhaustif comparable à celui qui s’applique en matière d’immigration. Notre Cour avait déjà formulé une telle conclusion dans l’affaire Idziak en matière d’extradition (p. 652‑653).

65 Comme nous l’avons vu, la présente espèce n’entre pas dans les exceptions reconnues en application desquelles une cour supérieure provinciale devrait décliner compétence en matière d’habeas corpus. Les intimés invitent quand même la Cour à aborder de façon téléologique l’analyse de la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus, pour reconnaître que le régime établi par la loi prévoit des recours analogues efficaces. Toutefois, la démarche téléologique oblige également à l’examen de l’ensemble du contexte. Selon nous, les cinq facteurs énumérés ci‑après nous incitent à reconnaître l’existence de compétences concurrentes et renforcent aussi l’argument selon lequel les cours supérieures provinciales devraient instruire les demandes d’habeas corpus émanant de détenus dans des établissements fédéraux : (1) le choix du recours et du tribunal, (2) l’expertise des cours supérieures provinciales, (3) la célérité avec laquelle le recours est entendu, (4) l’accessibilité du tribunal à l’échelon local et (5) la nature du recours et la charge de la preuve.

66 Premièrement, en contexte carcéral, le demandeur peut choisir de s’adresser à la cour supérieure provinciale ou à la Cour fédérale. Notre Cour a signalé dans Idziak que dans la trilogie Miller, Cardinal et Morin, chacun des demandeurs disposait de la possibilité d’intenter son recours devant la cour supérieure provinciale ou devant la Cour fédérale. Leur décision de s’adresser à la cour supérieure a été acceptée (p. 651‑652).

67 En outre, comme nous l’avons déjà indiqué, notre Cour a reconnu dans Miller que la portée du recours en habeas corpus « doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L’importance générale de ce recours comme moyen traditionnel de contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflits de compétence » (p. 641).

68 Deuxièmement, l’expertise supérieure de la Cour fédérale en matière correctionnelle n’est pas incontestablement établie. Cette cour connaît certainement à fond le droit administratif fédéral et sa procédure et jouit d’une réputation bien méritée en ce domaine et dans d’autres domaines de droit fédéral. Cependant, le droit carcéral fait intervenir l’application des principes de la Charte, que les cours supérieures provinciales connaissent aussi très bien. De plus, le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l’administration de la justice criminelle, à l’égard de laquelle les cours supérieures jouent quotidiennement un rôle essentiel. En conséquence, il n’existe pas, selon nous, de motifs convaincants d’adopter le principe de la déférence à l’égard de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire.

69 Troisièmement, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique peut instruire une demande d’habeas corpus plus rapidement que la Cour fédérale peut instruire une demande de contrôle judiciaire. La règle 4 des Règles de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en matière pénale, TR/97‑140, prévoit l’audition d’une telle demande à six jours d’avis. Par contre, en tenant compte de tous les délais maximaux prévus, la demande d’audition d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est déposée le cent soixantième jour qui suit la date de la décision attaquée : par. 18.1(2) de la LCF et règles 301 à 314 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106. Ce facteur revêt une grande importance pour les prisonniers privés illégalement de leur liberté. Il représente aussi un facteur à considérer lorsque les avocats agissent bénévolement ou sont rémunérés au tarif restreint de l’aide juridique, ou si le détenu se représente lui‑même. L’importance des intérêts en jeu milite alors en faveur d’un règlement rapide des questions litigieuses.

70 Quatrièmement, les détenus ont accès dans leur région au recours en habeas corpus devant une cour supérieure provinciale. L’accessibilité à la justice est étroitement liée à la célérité avec laquelle le redressement est accordé. En outre, il serait injuste que les prisonniers incarcérés dans des établissements fédéraux ne jouissent pas du même accès au recours en habeas corpus que les détenus des établissements provinciaux. L’alinéa 10c) de la Charte ne permet pas une telle distinction. Dans l’arrêt Gamble, la juge Wilson a reconnu l’importance de l’accès des prisonniers fédéraux à la cour supérieure de la province où ils sont incarcérés :

Cette Cour a déjà reconnu « l’importance de voir à ce qu’il soit possible d’obtenir ce recours [de l’habeas corpus] à l’échelon local », en raison du rôle traditionnel de la cour, qui est d’assurer la « protection de la liberté individuelle » : R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, à la p. 625. Le redressement sous la forme d’un habeas corpus ne devrait pas être refusé pour de simples raisons de commodité. [Nous soulignons; p. 635.]

71 Enfin, un bref d’habeas corpus est délivré de plein droit lorsque le demandeur démontre l’existence de raisons de mettre en doute la légalité de sa détention : Sharpe, p. 58. À l’inverse, la Cour fédérale peut rejeter une demande de contrôle judiciaire pour des motifs discrétionnaires : D. J. Mullan, Administrative Law (2001), p. 481. Également, dès lors que le prisonnier qui demande un bref d’habeas corpus a valablement soulevé un doute quant à la légalité de la restriction à sa liberté, il incombe au défendeur de justifier de la licéité de la détention : Sharpe, p. 86‑88, tandis que dans une demande de contrôle judiciaire, le demandeur a la charge de démontrer qu’un « office fédéral » a commis une erreur : par. 18.1(4) de la LCF.

72 Notre examen des facteurs pertinents favorise la reconnaissance de la compétence concurrente. Cette méthode reconnaît à juste titre qu’il importe, pour la protection des libertés des prisonniers — une valeur inscrite dans la Charte — de leur assurer un accès véritable et tangible à la justice. La prompte attention judiciaire, dans laquelle les cours supérieures provinciales doivent tenir un rôle concurrent sinon prédominant, demeure nécessaire pour la protection des droits de la personne et des libertés civiles des prisonniers et pour le maintien de la primauté du droit en milieu carcéral.

B. Les appelants ont‑ils été illégalement privés de leur liberté?

73 Puisque nous sommes d’avis que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu à tort que le juge en chambre aurait dû décliner compétence en matière d’habeas corpus, il nous faut maintenant examiner si le juge en chambre a commis une erreur en rejetant au fond la demande d’habeas corpus des appelants.

74 Deux éléments doivent se rencontrer pour justifier la réception d’une demande d’habeas corpus : (1) une privation de liberté et (2) l’illégalité de cette privation. Il incombe au demandeur d’établir la privation de liberté, mais l’autorité qui détient le demandeur doit prouver la légalité de cette privation.

75 Relativement au premier élément, les appelants soutiennent que le transfèrement dans un établissement plus restrictif les prive de leur liberté résiduelle. À propos du second élément, ils plaident que cette atteinte à leur liberté résiduelle est illégale en raison de son caractère arbitraire et parce que le SCC a manqué à l’obligation de communication que lui impose le par. 27(1) de la LSCMLC.

(1) Privation de liberté

76 La décision de transférer un détenu dans un établissement plus restrictif constitue une privation de liberté résiduelle : Miller, p. 637; Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459, p. 464. Il ne fait donc aucun doute que les appelants se sont acquittés de leur fardeau de prouver une privation de liberté. Il faut alors examiner si cette privation était légale.

(2) Légalité de la privation de liberté

77 La privation de liberté n’est légale que si elle relève de la compétence du décideur. En l’absence d’une disposition expresse au contraire, les décisions administratives doivent être conformes à la Charte. Les décisions administratives prises en violation de la Charte sont nulles pour défaut de compétence : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078. L’article 7 de la Charte énonce qu’il ne peut être porté atteinte à la liberté qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les décisions administratives doivent également être rendues dans le respect de l’obligation d’équité procédurale de la common law et des obligations légales applicables. Les décisions relatives au transfèrement qui ont des incidences sur la liberté des détenus doivent donc respecter toutes ces exigences.

78 Les appelants présentent deux arguments au sujet de la légalité de la privation de liberté en l’espèce. D’abord, ils affirment que les décisions de les transférer ont été prises arbitrairement, en raison d’une modification de la politique et en l’absence de toute « nouvelle » inconduite de leur part. Ensuite, ils allèguent que les intimés n’ont pas respecté leur obligation de communiquer l’information en retenant la matrice de notation pertinente. Nous allons examiner chacun de ces arguments.

a) Légalité de la privation de liberté consécutive à une modification de la politique

79 Les appelants soutiennent que leur cote de sécurité a été modifiée en application d’une nouvelle politique du SCC exigeant des détenus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité qu’ils suivent un programme de traitement des délinquants violents en vue d’obtenir une cote de sécurité minimale. Ils affirment que la décision de les transférer fondée uniquement sur un changement de politique est arbitraire et, par conséquent, contraire aux principes de justice fondamentale.

80 Ils invoquent la décision Hay c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1985] A.C.F. no 610 (QL) (1re inst.), dans laquelle le juge Muldoon a statué que la décision de transférer un détenu en l’absence de toute faute ou inconduite de sa part est arbitraire et injuste, qu’elle ait ou non été prise de bonne foi (p. 8).

81 Selon les intimés, toutefois, bien que la révision de la cote de sécurité des appelants ait pu faire suite à une modification de politique, chaque détenu a été évalué individuellement. Selon eux, les décisions n’étaient pas arbitraires puisqu’elles ont été prises en fonction de la situation et des caractéristiques propres à chaque détenu.

82 Nous partageons l’avis des intimés. Dans Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, notre Cour a statué que les autorités carcérales peuvent modifier la façon dont une peine est purgée, notamment en transférant un détenu dans un établissement à sécurité plus élevée, sans nécessairement porter atteinte aux principes de justice fondamentale. La juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a signalé qu’« [u]ne modification de la façon dont une peine est purgée, qu’elle soit favorable ou défavorable à l’endroit du détenu, n’est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale » (p. 152). Elle a justifié cette position principalement par la nécessité de procéder à des réformes ponctuelles en droit correctionnel :

[N]otre système de justice a toujours permis aux autorités correctionnelles d’apporter des modifications appropriées à la manière dont une peine doit être purgée, en ce qui a trait au lieu, aux conditions, aux installations de formation ou au traitement. Un grand nombre de modifications des conditions dans lesquelles les peines sont purgées sont apportées de façon administrative pour répondre aux besoins immédiats ou au comportement du détenu. D’autres modifications sont d’ordre plus général. Par exemple, à l’occasion, une loi ou un règlement introduit de nouvelles méthodes en droit correctionnel. Ces initiatives modifient la manière dont certains détenus dans le système purgent leurs peines. [p. 152‑153]

83 Par conséquent, le SCC conservait le pouvoir de transférer les appelants en raison d’une modification de politique dès lors que les décisions de transfèrement ne sont pas arbitraires. Une décision de transférer provoquée par un simple changement de politique ne devient pas arbitraire pour autant. On affaiblirait la capacité du SCC de faire appliquer correctement la LSCMLC en retenant les arguments des appelants. Il faut trouver un juste équilibre entre l’intérêt des détenus privés de leur liberté résiduelle et l’intérêt de l’État dans la protection du public (p. 151‑152).

84 À notre avis, la nouvelle politique établit un juste équilibre entre ces deux intérêts. Elle vise à protéger la société. La protection du public constitue un facteur important dont le SCC doit tenir compte lorsqu’il prend des décisions en matière de placement et de transfèrement des détenus : art. 28 de la LSCMLC. Il importe également de signaler que cette politique exige que le transfèrement de détenus dans des établissements à sécurité plus élevée ne s’effectue qu’après examen individualisé du dossier.

85 En l’espèce, les agents qui ont procédé à l’examen ont conclu que chacun des appelants présentait un risque pour la sécurité du public et qu’on ne devait donc pas les incarcérer dans un établissement à sécurité minimale. Pour chacun des appelants, le fait de ne pas avoir terminé le programme de traitement des délinquants violents a pesé dans la conclusion que l’Établissement Ferndale ne pouvait gérer le risque présenté. Ainsi, le droit à la liberté de chaque détenu n’a été limité en application de la politique que dans la mesure où l’on a démontré que la privation de liberté était nécessaire pour protéger le public.

86 Pour ces raisons, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande d’habeas corpus en raison du caractère arbitraire de la décision. Les appelants n’ont pas démontré qu’une application sans nuance de la politique conférait un caractère arbitraire au processus.

b) Légalité de la privation de liberté sans communication de la matrice de notation

87 Cependant, les appelants soutiennent que le SCC ne leur a pas communiqué tous les renseignements qui ont servi à leur reclassification. Le SCC s’est servi d’un instrument informatique dans le processus de reclassification, et il n’a pas communiqué la « matrice de notation » de cet instrument. Les appelants font valoir que cette omission contrevient aux exigences que prescrivent la Charte et la LSCMLC elle‑même et rend la décision illégale.

88 La prétention des appelants soulève la question de l’équité procédurale. Nous commencerons par examiner si les exigences de communication en matière criminelle imposées par la Charte et reconnues dans R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, s’appliquent en l’espèce. Nous examinerons ensuite si l’obligation d’équité procédurale reconnue en common law, mentionnée et précisée dans les exigences de communication de la LSCMLC, exige la communication de la matrice de notation.

(i) Le principe de communication établi dans Stinchcombe s’applique‑t‑il?

89 Les appelants affirment que les exigences de communication énoncées dans Stinchcombe s’appliquent en l’espèce parce que les décisions relatives au transfèrement entraînent une perte de liberté. Les intimés font valoir, pour leur part, que les transfèrements non sollicités relèvent du droit administratif et non du droit criminel. À leur avis, la norme de communication établie par Stinchcombe est équitable et justifiée lorsque l’innocence est en jeu, mais non dans une situation comme celle qui se présente en l’espèce.

90 Nous souscrivons au raisonnement des intimés. Il faut toujours examiner les exigences de l’équité procédurale en contexte : Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75, par. 39; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 743; Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35, par. 82.

91 Il importe de se rappeler que les principes de l’arrêt Stinchcombe ont été énoncés dans le contexte particulier d’une instance criminelle mettant en jeu l’innocence de l’accusé. La gravité des conséquences possibles d’une poursuite criminelle explique l’application d’une obligation de communication assez intense. En l’espèce, les décisions attaquées demeurent de nature purement administrative. On ne trouve pas ici de procès criminel et l’innocence des intéressés n’est pas en jeu. Les principes de l’arrêt Stinchcombe ne s’appliquent pas dans ce contexte administratif.

92 Par ailleurs, l’obligation d’équité procédurale exige généralement, en matière administrative, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. Elle exige que l’administré connaisse les faits qu’on entend lui opposer. Si le décideur ne lui fournit pas l’information suffisante, sa décision est frappée de nullité pour défaut de compétence. Comme la juge Arbour l’a conclu dans Ruby, par. 40 :

En règle générale, le droit d’une partie à une audience équitable emporte celui de prendre connaissance de la preuve de la partie adverse afin de pouvoir répondre à tout élément préjudiciable à sa cause et apporter des éléments de preuve au soutien de celle‑ci . . .

93 Ainsi, l’inapplicabilité de l’arrêt Stinchcombe ne signifie pas que les intimés ont satisfait à leur obligation de communication. Comme on l’a vu dans le contexte du droit administratif, les obligations légales et les règles d’équité procédurale peuvent imposer aux intimés un devoir d’information.

(ii) L’obligation légale de communication applicable

94 Toute autorité publique qui rend des décisions touchant les droits, privilèges ou biens d’une personne est assujettie à une obligation d’équité procédurale : Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Cardinal; Baker, par. 20. Les exigences en matière de communication imposées par la LSCMLC reflètent et renforcent ces privilèges.

95 Afin d’assurer l’équité des décisions touchant les détenus, le par. 27(1) de la LSCMLC impose au SCC une lourde obligation de communication. Cette disposition exige que le SCC communique au délinquant, dans un délai raisonnable avant la prise de la décision, « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci ».

96 Le fait que le législateur a précisé les circonstances dans lesquelles le SCC peut refuser de communiquer des renseignements confirme l’ampleur de l’exigence de communication prévue au par. 27(1) :

27. . . .

(3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

97 Le Règlement pris sous le régime de la LSCMLC précise les obligations imposées aux autorités carcérales. L’article 13 du Règlement, qui s’applique aux transfèrements non sollicités, en cas d’urgence, donne aux détenus le droit d’être informés après leur transfèrement à un autre établissement. Le directeur de l’établissement où est transféré le détenu doit rencontrer ce dernier dans les deux jours suivant le transfèrement pour lui en expliquer les raisons. Le détenu doit avoir la possibilité de présenter des observations. Enfin, le directeur doit informer par écrit le détenu de la décision définitive.

98 D’autres dispositions particulières des Instructions permanentes (« IP ») précisent l’obligation de communication. Les instructions relatives à la cote de sécurité des délinquants, IP 700‑14, énoncent le processus d’établissement de la cote de sécurité des détenus. Toutes les fois qu’une cote de sécurité est assignée ou modifiée, le délinquant doit en être avisé par écrit. L’avis comprend les motifs à l’appui de la décision ainsi que toute autre information considérée dans la prise de décision (par. 26).

99 Les instructions relatives au transfèrement de délinquants, IP 700‑15, énoncent les critères applicables au transfèrement et précisent l’étendue de l’obligation de communication. Le plus tôt possible mais, au plus tard, deux jours suivant un transfèrement d’urgence, il faut remplir le formulaire d’évaluation en vue d’une décision. Il faut remettre au délinquant l’avis écrit de recommandation de transfèrement. Les instructions sont très précises à cet égard :

L’Avis de recommandation d’un transfèrement non sollicité [. . .] doit contenir suffisamment de renseignements pour lui permettre de savoir ce qu’on lui reproche. Le délinquant doit être en mesure de faire connaître son point de vue sur la recommandation. Pour respecter cette norme, il faut lui communiquer le plus de précisions possible sur le ou les incidents à l’origine de la recommandation de transfèrement. Ces précisions peuvent comprendre notamment : l’endroit et le moment où l’incident s’est produit, la ou les personnes qui en ont subi les conséquences, l’ampleur des blessures ou des dégâts, les éléments de preuve confirmant qu’il a bien eu lieu, et tout autre renseignement pertinent pouvant apporter des précisions sur l’incident. S’il existe des renseignements de nature délicate qui ne peuvent être divulgués intégralement au délinquant, il faut lui en communiquer l’essentiel.

100 Après avoir établi que l’obligation légale de communication relative aux décisions de transfèrement est substantielle et de grande portée, il nous faut examiner si elle a été respectée en l’espèce. Dans la négative, il faudra conclure à l’illégalité des décisions de transfèrement.

(iii) L’obligation de communication applicable a‑t‑elle été respectée?

101 Selon les appelants, le refus des intimés de communiquer la matrice de notation afférente au logiciel d’établissement des cotes de sécurité contrevient au par. 27(1) de la LSCMLC. Nous sommes de cet avis. Compte tenu du régime législatif, de la nature de l’information non communiquée et de l’importance de la décision pour les appelants, il y a clairement eu violation de l’obligation de communiquer « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans [. . .] [la décision], ou un sommaire de ceux‑ci ».

102 L’échelle de réévaluation de la cote de sécurité (« ÉRCS ») est un logiciel qui établit une cote de sécurité à partir des données saisies en rapport avec divers facteurs d’évaluation du risque : (1) la gravité de l’infraction commise par le délinquant, (2) toute accusation en instance portée contre lui, (3) son rendement et son comportement durant sa période d’incarcération, (4) ses antécédents sociaux et criminels, y compris en tant que jeune contrevenant, (5) toute maladie ou trouble physique ou mental dont il est atteint, (6) la propension à un comportement violent, et (7) la participation continue du délinquant à des activités criminelles. Cet outil a été mis au point pour aider les agents à déterminer le niveau de sécurité le plus approprié à des moments clés tout au long de la peine du délinquant : IP 700‑14, par. 18‑19.

103 On utilise l’ÉRCS en attribuant des points à divers facteurs d’évaluation du risque présenté par le délinquant et de son rendement durant l’incarcération. L’ÉRCS comporte des « seuils d’inclusion » numériques qui servent à déterminer la cote de sécurité. Si l’agent procédant à l’examen n’est pas satisfait des résultats fournis par l’ÉRCS, il peut y déroger et attribuer une cote de sécurité différente. Les dispositions relatives aux dérogations sont incorporées dans l’ÉRCS afin de permettre de traiter les facteurs susceptibles d’obliger le transfèrement d’un délinquant vers un établissement d’un niveau de sécurité non conforme au résultat obtenu au moyen de l’outil informatique : IP 700‑14, par. 20.

104 Les appelants ont promptement demandé un supplément d’information au sujet de l’ÉRCS et de sa matrice de notation, qui renferme des renseignements qui leur permettraient de comprendre la façon de parvenir aux résultats numériques obtenus. Cet outil est nécessaire pour établir si l’attribution des points aux divers facteurs était entachée d’erreur et pour vérifier l’exactitude du résultat final généré informatiquement.

105 Les intimés ont soutenu devant les juridictions inférieures que la matrice de notation n’était pas disponible. Le juge en chambre a accepté cette affirmation. Les intimés ont ajouté que l’ÉRCS n’était qu’un instrument d’évaluation préliminaire, dont les résultats ne déterminaient pas entièrement la cote de sécurité puisque les agents pouvaient y déroger. Dans les décisions relatives au transfèrement remises aux appelants figuraient les questions et réponses utilisées dans l’ÉRCS ainsi que le résultat informatique et la cote. Une fois l’ÉRCS appliquée, le SCC effectue un examen individuel pour s’assurer que la réévaluation est justifiée. Selon les intimés, les décisions de transfèrement restent indépendantes de l’ÉRCS. Ils ont donc argumenté que les appelants ont reçu tous les renseignements disponibles ayant servi à prendre les décisions de transfèrement.

106 Avant l’audience, les appelants ont demandé la permission de produire de nouveaux éléments de preuve. Ces éléments de preuve consistent en deux documents. Le premier est la page couverture d’une copie d’une évaluation faite au moyen de l’ÉRCS. Le second est intitulé Échelle de réévaluation de la cote de sécurité : Spécifications fonctionnelles, Version 4.0.3 (« ÉRCSSF »), produit par le SCC et mis à jour en juin 2001, qui explique la notation de chaque facteur et la façon d’appliquer chaque facteur dans le calcul du résultat donné par l’ÉRCS. À proprement parler, les spécifications fonctionnelles de l’ÉRCS constituent la « matrice de notation » demandée par les appelants.

107 Le pouvoir discrétionnaire de recevoir de nouveaux éléments de preuve doit être exercé en fonction des critères de la diligence raisonnable, de la pertinence, de la crédibilité et de l’influence sur le résultat : Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759. Ces critères s’appliquent dans des affaires non criminelles comme la présente espèce : États‑Unis d’Amérique c. Shulman, [2001] 1 R.C.S. 616, 2001 CSC 21, par. 44; Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44, 2000 CSC 2.

108 Après examen de l’argumentation des parties, nous croyons qu’il y a lieu d’accueillir la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve. Nous sommes d’avis que les éléments de preuve satisfont à toutes les exigences du critère de l’arrêt Palmer. Le fait que les appelants aient cherché à maintes reprises à obtenir cette information et qu’elle n’ait été découverte qu’après la décision de la Cour d’appel démontre que les appelants ont fait preuve de diligence raisonnable. En outre, les nouveaux éléments de preuve concernent directement une question fondamentale en l’espèce, celle de l’équité procédurale. Les intimés ne contestent pas la crédibilité de l’information. De plus, ils sont loin de s’être empressés, devant les instances inférieures et même devant notre Cour, à fournir des explications et de l’information au sujet de l’existence et de la fonction de la matrice de notation. Enfin, l’information aurait probablement influé sur la décision du juge en chambre parce qu’elle démontre clairement la disponibilité de la matrice de notation.

109 Les décisions relatives aux transfèrements ont été prises entre les mois de novembre 2000 et février 2001. Toutefois, la page couverture de la matrice de notation (« ÉRCSSF ») déposée comme nouvel élément de preuve par les appelants indique qu’il s’agit de la version 4.0.3, et elle porte les mentions « Dernière mise à jour : Juin 2001 » et « Comprend les améliorations apportées à la version 4 ». Par conséquent, alors que les décisions relatives aux transfèrements sont antérieures à la version 4.0.3 de l’ÉRCSSF, cet élément de preuve laisse aussi croire que des versions antérieures de la matrice ainsi que l’information demandée existaient au moment de ces décisions. Son contenu n’est pas en cause. La seule question qui nous préoccupe est de savoir si la matrice de notation était disponible à l’époque pertinente.

110 À notre avis, les intimés ont donné des renseignements trompeurs aux tribunaux inférieurs à propos de la nature et du rôle de la matrice. Devant notre Cour, l’avocat des intimés a mentionné qu’au moment des réévaluations, la matrice de notation n’était pas disponible parce que la règle était de ne pas la produire. Il a expliqué qu’on considérait qu’elle faisait double emploi avec les renseignements déjà communiqués.

111 Les nouveaux éléments de preuve fournissent clairement des renseignements sur la pondération de chaque facteur et sur la façon dont le programme informatique génère le résultat final. Comme les appelants ont à maintes reprises demandé ces renseignements — et non uniquement les facteurs qui ont servi à établir leur cote de sécurité — il serait fallacieux d’affirmer que l’information était considérée comme redondante. Une telle façon d’agir est extrêmement déplorable. En effet, on a faussement fait croire au juge en chambre que la matrice de notation n’était pas disponible alors qu’elle l’était.

112 Les nouveaux éléments de preuve confirment que la matrice de notation existait. Compte tenu de l’importance de l’obligation de communiquer les renseignements ayant servi aux décisions relatives au transfèrement, si le pointage généré par le programme informatique a joué un rôle dans ces décisions, sa matrice de notation aurait dû être communiquée. En fait, il appert que ce pointage a joué un rôle important. Par conséquent, les décisions de transfèrement étaient illégales.

113 L’analyse des IP révèle qu’une cote présomptive a été attribuée aux détenus par application de l’ÉRCS. Selon l’IP 700‑14, la réévaluation de la cote de sécurité doit être faite principalement au moyen de l’ÉRCS (par. 1-18). La cote obtenue par application de l’ÉRCS ne peut être modifiée que dans des circonstances restreintes. Un pouvoir de modification discrétionnaire peut être exercé lorsque la cote obtenue se situe dans un écart de 5 p. 100 des seuils d’inclusion établis : SRSFS, p. 10‑11. Dans les autres cas, aucun pouvoir discrétionnaire n’est accordé. La cote de sécurité obtenue par application de l’ÉRCS ne peut être modifiée que si l’on peut invoquer un motif de dérogation.

114 La procédure en matière de dérogation confirme, plutôt qu’elle ne l’infirme, la nature présomptive de l’ÉRCS. L’IP 700‑14 énonce clairement que la dérogation aux résultats obtenus n’est pas une occurrence normale et qu’elle exige une justification détaillée :

En temps normal, on ne dérogera pas de la cote déterminée par l’Échelle de classement par niveau de sécurité ou l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité. Dans les cas où l’agent estime qu’il y a lieu de déroger aux résultats obtenus à l’Échelle de classement par niveau de sécurité ou l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité, une justification détaillée doit être consignée dans l’Évaluation en vue d’une décision, conformément à l’article 18 du Règlement, en s’assurant que l’analyse se retrouve sous les catégories suivantes : adaptation à l’établissement, risque d’évasion et risque pour la sécurité du public. [par. 23]

115 En outre, un surveillant ou, dans certains cas, le commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, doit approuver la dérogation (par. 25). Il faut signaler que la procédure de dérogation n’a pas été employée en l’espèce, ce qui donne à penser que la cote de sécurité de chaque appelant a en définitive été établie informatiquement.

116 Compte tenu de la preuve, nous ne pouvons retenir l’argument des intimés voulant que l’ÉRCS ne représente qu’un instrument d’évaluation préliminaire. Même si une évaluation individuelle de la cote de sécurité de chaque détenu suit l’application de l’ÉRCS, à notre avis, cette dernière établit une cote présomptive et tient une place importante dans le processus d’évaluation de la cote de sécurité.

117 Compte tenu de la nature de la matrice de notation et de son rôle dans l’application de l’ÉRCS, l’omission d’en fournir une copie constituait un manquement grave à l’obligation de communication inhérente à l’exigence d’équité procédurale. Les appelants n’ont pas eu accès à des renseignements essentiels pour leur permettre de comprendre le système informatique ayant généré leurs résultats. Ils n’ont pas obtenu la formule de pondération des facteurs pertinents, ni les documents à partir desquels les questions et réponses étaient évaluées. Ils connaissaient les facteurs pris en considération, mais ils ignoraient comment ils étaient pondérés ou comment la pondération intervenait dans le résultat final.

118 Comment peut‑on contester utilement une modification de la cote de sécurité sans disposer des renseignements expliquant la façon dont cette cote est établie? Il tombe sous le sens que le barème et la méthodologie de pointage afférents au résultat donné par l’ÉRCS devraient être accessibles. L’accessibilité de cette information importe parce que les détenus peuvent vouloir réfuter les éléments de preuve fondant les résultats et la cote de sécurité établie au moyen de l’ÉRCS. Ces renseignements peuvent être critiques lorsque la cote de sécurité dépend de l’importance attribuée à un facteur en particulier.

119 Par conséquent, étant donné l’importance des renseignements contenus dans la matrice de notation, la présomption de validité du résultat de son application et ses effets potentiels sur l’établissement de la cote de sécurité, l’information aurait dû être communiquée. Le paragraphe 27(1) de la LSCMLC imposait aux intimés l’obligation de le faire.

120 En conclusion, les intimés n’ont pas communiqué tous les renseignements utilisés pour prendre les décisions de transfèrement ou un résumé de ceux‑ci, malgré les demandes répétées des appelants. Ils ont dissimulé des renseignements cruciaux. Ils ont ainsi contrevenu à leur obligation légale. Les décisions de transfèrement ont été prises irrégulièrement et, par conséquent, elles sont invalides pour défaut de compétence. Il s’ensuit que les appelants ont été illégalement privés de leur liberté.

V. Conclusion

121 Pour ces motifs, il y a lieu d’accueillir le présent pourvoi. Les demandes d’habeas corpus et la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve sont accordées. Les décisions relatives aux transfèrements sont déclarées invalides pour défaut de compétence. L’appelant qui est encore incarcéré dans un établissement à sécurité moyenne conformément à la décision attaquée doit donc être renvoyé dans un établissement à sécurité minimale.

Version française des motifs des juges Major, Bastarache et Charron rendus par

La juge Charron (dissidente) —

I. Introduction

122 J’ai pris connaissance des motifs des juges LeBel et Fish et je suis d’avis, comme eux, que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a correctement exercé sa compétence en matière d’habeas corpus en l’espèce. Je souscris également à leur analyse relative aux circonstances restreintes dans lesquelles il y a lieu qu’une cour supérieure décline compétence en matière d’habeas corpus. Toutefois, je ne puis faire mienne leur conclusion que les appelants ont été illégalement privés de leur liberté et en conséquence, je n’interviendrais pas dans le rejet, par le juge en chambre, des demandes d’habeas corpus des appelants.

123 Les appelants soulèvent deux moyens à l’appui de leur prétention selon laquelle ils ont été illégalement privés de leur liberté résiduelle. Premièrement, ils soutiennent que les décisions de les transférer étaient arbitraires. Deuxièmement, ils affirment que les intimés ont manqué à leur obligation d’équité procédurale en ne leur communiquant pas la « matrice de notation » expliquant la façon de calculer le résultat obtenu au moyen de l’échelle de réévaluation de la cote de sécurité (« ÉRCS ») utilisée dans chacun des cas.

124 Pour les raisons exposées par les juges LeBel et Fish, j’estime comme eux que le premier moyen d’appel doit être rejeté. Il ressort clairement de la preuve que les décisions de les transférer ne résultaient pas d’une application arbitraire et « sans nuance » d’un changement de politique. Chaque décision reposait plutôt sur une évaluation individuelle du dossier de chaque détenu.

125 Relativement à la question de l’équité procédurale, c’est avec raison que mes collègues rejettent la prétention des appelants que les exigences de communication énoncées à l’arrêt Stinchcombe s’appliquent (R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326). Je souscris à leur analyse de l’obligation légale de communication applicable dans ce contexte administratif. Je partage aussi leur avis, dans les circonstances en cause, selon lequel la « matrice de notation » utilisée dans le calcul du résultat de l’ÉRCS aurait dû être communiquée aux appelants. Toutefois, je ne puis accepter leur conclusion selon laquelle le défaut de fournir ce renseignement constituait un manquement à une obligation légale entraînant la nullité des décisions de transfèrement pour absence de compétence. Tous les cas de non‑communication ne dépouillent pas le décideur de sa compétence. Comme je l’expliquerai, en l’espèce, chacun des appelants avait reçu l’information suffisante pour savoir ce qu’il devait réfuter. En conséquence, l’équité procédurale a été respectée. Relativement à la requête pour permission de produire la matrice de notation comme nouvel élément de preuve, je conclus que cet élément de preuve n’aurait eu aucune incidence sur la décision de rejeter les demandes d’habeas corpus. Je rejetterais donc cette requête de même que le pourvoi.

II. Exigences de communication

126 Comme l’indiquent les juges LeBel et Fish, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLC »), le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (« Règlement »), et les Instructions permanentes (« IP ») énoncent l’obligation de communication applicable. Aux termes du par. 27(1) de la LSCMLC, le Service correctionnel du Canada doit fournir au prisonnier « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci [la décision], ou un sommaire de ceux‑ci ». Mes collègues examinent en détail les dispositions réglementaires et les IP pertinentes et il n’est pas nécessaire de reprendre ici cet examen. Aucune de ces dispositions ne traite directement de la matrice de notation en cause, et il faut évaluer la suffisance de la communication en fonction des principes généraux de l’équité procédurale. Le décideur est tenu de communiquer les renseignements sur lesquels il s’est appuyé afin que le détenu soit au courant de ce qu’on lui reproche. S’il ne fournit pas l’information suffisante à cette fin, le décideur enfreint les règles de l’équité procédurale. Comme on le verra, je suis d’avis que chacun des appelants a obtenu des renseignements suffisants pour savoir ce qu’on lui reprochait.

III. Contenu de la communication

127 Chaque appelant a reçu un Avis de recommandation de transfèrement non sollicité l’informant qu’il y aurait examen de son cas en vue d’un transfèrement non sollicité dans un établissement à sécurité moyenne et faisant état du fondement de la recommandation. Dans le cas de M. May, l’avis indiquait la nécessité de terminer un programme de traitement déterminé. Dans le cas de chacun des autres appelants, l’avis indiquait que la recommandation reposait sur les résultats donnés par deux instruments d’évaluation de la cote de sécurité :

(1) l’échelle de réévaluation de la cote de sécurité, qui avait donné la cote de sécurité moyenne,

(2) l’instrument d’établissement de la cote de sécurité du délinquant, qui donnait lui aussi une cote de sécurité moyenne.

128 Chaque appelant a aussi reçu un document intitulé Évaluation en vue d’une décision décrivant de façon bien détaillée le fondement de la recommandation. Dans chaque cas (y compris celui de M. May), ce document indiquait notamment, relativement à l’ÉRCS, les renseignements au sujet du détenu ayant servi à l’évaluation de chacun des facteurs de l’échelle (facteurs dont l’art. 17 du Règlement exige la prise en considération) et donnait le résultat total ainsi que la cote qui en découlait. L’Évaluation en vue d’une décision fournissait ensuite des renseignements détaillés, propres à chacun, indiquant les sujets de préoccupation particuliers — comme l’adaptation à l’établissement, le risque d’évasion et la sécurité du public — ayant servi pour lui assigner la cote de sécurité moyenne. Personne n’a laissé entendre que les renseignements de cette dernière catégorie étaient insuffisants. Les appelants s’en prennent uniquement à la communication relative au résultat donné par l’ÉRCS.

129 Comme la communication relative à l’ÉRCS est au cœur du présent pourvoi, je reproduis ici, à titre d’exemple, l’information fournie à M. Roy au sujet du calcul du résultat donné par l’application de cet outil :

[traduction]

Numéro SED : 572727A

Nom : ROY, MAURICE YVON

Date du calcul de l’ÉR : 2000‑11‑15

Rempli par : FORTIER, DANIELLE

Bureau concerné : ÉTABLISSEMENT FERNDALE

Numéro de décision au SGD : 22

Question no 1 Infractions disciplinaires graves

Réponse : Aucune

Question no 2 Infractions disciplinaires mineures

Réponse : Aucune

Question no 3 Incidents notés au dossier

Réponse : Aucun

Question no 4 Niveau de rémunération

Réponse : Niveau A

Question no 5 Périodes d’isolement

Réponse : Aucune

Question no 6 Renvoi pour maintien en incarcération

Réponse : Emprisonnement à perpétuité ou pour une durée indéterminée

Question no 7 Progrès en rapport au plan correctionnel

Réponse : Facteurs partiellement abordés

Question no 8 Motivation face au plan correctionnel

Réponse : Motivation partielle, participe aux programmes concernant des facteurs contributifs et autres facteurs du P.C.

Question no 9 Drogue et alcool

Réponse : Inscrit comme facteur contributif, mais aucune preuve de consommation durant la période d’évaluation

Question no 10 Permissions de sortir avec surveillance réussies

Réponse : Trois PSA ou plus

Question no 11 Permissions de sortir et placements à l’extérieur réussis

Réponse : Aucune

Question no 12 Âge au moment de l’examen

Réponse : 36 ans et plus

Question no 13 Problèmes psychologiques

Réponse : Préoccupations d’ordre psychologique inscrites

Question no 14 Antécédents d’évasion ‑ ECNS

Réponse : 0

Question no 15 Antécédents d’incidents en établissement

Réponse : 0

Cote informatisée de l’ÉR : 17.5

Cote de sécurité informatisée : MOYENNE

130 M. Roy a soutenu, comme chacun des autres appelants, que la communication de ces renseignements était insuffisante. Les appelants affirment que sans renseignements supplémentaires expliquant le système d’évaluation numérique — ce que les appelants appellent la « matrice de notation » semble‑t‑il — il leur était impossible de réfuter la preuve contre eux pour deux raisons. Premièrement, ils n’étaient pas en mesure de vérifier l’exactitude du résultat total. Deuxièmement, ils ne pouvaient juger de l’équité ou du caractère arbitraire du nouveau processus d’évaluation de la cote de sécurité sans connaître le nombre de points correspondant à chaque facteur.

131 Les appelants ont demandé la matrice de notation aux autorités carcérales et se sont fait répondre qu’elle n’était [traduction] « pas disponible ». Encore à titre d’exemple, voici ce que Diane Knopf, directrice adjointe de l’Établissement Ferndale, a indiqué dans une lettre en date du 21 décembre 2000 adressée à l’avocat de M. May :

[traduction] Je me suis renseignée auprès du bureau régional du SCC à Abbotsford (C.‑B.) et, par l’intermédiaire de Mme Anne Kelly, auprès de l’administration centrale à Ottawa. On m’a dit que le CIJP est un outil informatique et qu’une matrice de notation n’est pas disponible.

Dans une autre lettre datée du 9 février 2001, elle a exposé ainsi la position des intimés :

[traduction] Votre deuxième question concerne la façon de calculer les résultats de la RCS. Il importe de signaler que l’échelle de classement par niveau de sécurité est un instrument évolutif utilisé uniquement comme outil. Il n’a jamais été question qu’elle remplace le jugement professionnel du personnel chargé du dossier du délinquant et du processus décisionnel. Cet outil ne vise qu’à fournir des balises à partir des renseignements personnels du délinquant ayant un rapport avec le risque. Le programme calcule automatiquement le « résultat » auquel se rattache une analyse de ce qu’il signifie en termes de cote de sécurité. La décision relative à la cote de sécurité elle‑même attribuée à un délinquant est prise par le directeur de l’établissement ou la personne qu’il désigne.

132 Les appelants ont contesté leur transfèrement dans un établissement à sécurité moyenne sans disposer de la matrice de notation, et ils n’ont pas obtenu gain de cause. Ils ont de nouveau soulevé la question de la non‑communication devant le juge en chambre dans le cadre de leurs demandes d’habeas corpus. Les avocats des intimés ont informé le juge que la matrice de notation n’était « pas disponible ». Le juge a accepté cette affirmation et statué comme suit : [traduction] « il n’y a pas eu non‑communication de renseignements existants susceptibles d’étayer les arguments des demandeurs » : [2001] B.C.J. no 1939 (QL), 2001 BCSC 1335, par. 17 (je souligne). Comme je vais l’expliquer, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

IV. La requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve

133 Les appelants ont présenté une requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve devant notre Cour et nous invitent à conclure, sur le fondement de ces nouveaux éléments, qu’il existait bien une matrice de notation et que les intimés ont tout simplement refusé de la produire. Les appelants ajoutent que cette non‑communication a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Les juges LeBel et Fish estiment que les nouveaux éléments de preuve satisfont à toutes les exigences du critère de l’arrêt Palmer (Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759) et, se fondant sur ces éléments de preuve, ils acceptent l’argument des appelants et concluent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas de cet avis.

134 Comme je l’ai indiqué, ce que les appelants appellent la « matrice de notation » demeure vague. Dans les pièces déposées à l’appui de leur requête, ils font mention de deux imprimés d’ordinateur qui seraient la matrice de notation. Toutefois, ces documents ne sont pas expliqués, ils ne font aucunement mention de l’ÉRCS et ils ne paraissent renfermer aucun renseignement utile. Même si elle n’est pas identifiée comme telle, comme le concluent mes collègues au par. 106 de leurs motifs, il semble plutôt que la « matrice de notation » en question soit un deuxième document, intitulé Échelle de réévaluation de la cote de sécurité : Spécifications fonctionnelles, qui explique la notation de chaque facteur et la façon d’appliquer les facteurs dans le calcul du résultat donné par l’ÉRCS. C’est donc cet ensemble d’instructions sur la façon de calculer le résultat de l’ÉRCS que j’appellerai la « matrice de notation ».

135 Je conclus sans aucune difficulté qu’il existait une matrice de notation, sous une forme ou une autre, au moment de la réévaluation. À mon avis, il est possible de tirer cette conclusion à partir des documents communiqués eux‑mêmes et sans égard aux nouveaux éléments de preuve. Il ressort clairement du résumé figurant dans l’Évaluation en vue d’une décision que le résultat numérique produit par l’application de l’ÉRCS reposait sur une évaluation des facteurs énumérés. Comme les appelants l’ont toujours soutenu, je dois inéluctablement conclure que l’agent chargé d’évaluer la cote de sécurité devait disposer d’un ensemble d’instructions sur la façon de calculer le résultat. Quelle que soit la façon de désigner les instructions, je comprends que c’est cet ensemble d’instructions que les appelants cherchaient à obtenir par leur demande de communication de documents additionnels. Je suis également disposée à conclure que la matrice de notation employée dans la réévaluation de la cote de sécurité des appelants était une version antérieure de l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité présentée avec la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve. Elle énumère les mêmes facteurs que le document Évaluation en vue d’une décision, elle indique le résultat numérique de chaque valeur attribuée à chaque facteur et donne certaines indications quant à la sélection de la valeur appropriée. À titre d’exemple, je reproduis les instructions se rapportant aux deux premiers facteurs :

INFRACTIONS DISCIPLINAIRES GRAVES

Valeur

Résultat

Aucune

0.5

Une

1

Deux

1.5

Trois ou plus

2

· Compter seulement les infractions disciplinaires survenues en établissement pendant la période d’examen et ayant entraîné une condamnation pour une infraction grave au sens du tribunal disciplinaire.

· Compter toutes les « accusations portées en établissement » (Accusations_Établissement) pour lesquelles la « date de l’infraction » (date_infraction_accusation_établ.) se trouve dans la période d’examen, la « décision du tribunal » (code_décision_tribunal) est condamné (code 0001) et la « catégorie de l’infraction » (code_catégorie_accusation) est grave (code 0001).

· Le résultat de ce champ est calculé automatiquement par l’application et ne peut pas être modifié par l’utilisateur.

INFRACTIONS DISCIPLINAIRES MINEURES

Valeur

Résultat

Aucune

0.5

Une

0.5

Deux

0.5

Trois ou plus

1

· Compter seulement les infractions disciplinaires survenues en établissement pendant la période d’examen et ayant entraîné une condamnation pour une infraction mineure au sens du tribunal disciplinaire.

· Compter toutes les « accusations portées en établissement » (Accusations_Établissement) pour lesquelles la « date de l’infraction » (date_infraction_accusation_établ.) se trouve dans la période d'examen, la « décision du tribunal » (code_décision_tribunal) est condamné (code 0001) et la « catégorie de l’infraction » (code_catégorie_accusation) est mineure (code 0002).

· Le résultat de ce champ est calculé automatiquement par l’application et ne peut pas être modifié par l’utilisateur.

136 Comme on peut le constater, les valeurs numériques indiquées dans l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité correspondent aux résultats totaux indiqués sur l’Évaluation en vue d’une décision de chaque appelant. C’est pourquoi il n’est pas difficile de conclure que ce document, quoique peut‑être dans une version antérieure, était la matrice de notation employée pour calculer le résultat donné par l’ÉRCS. J’en déduis donc, comme les juges LeBel et Fish, que la matrice de notation était disponible. C’est sur ce fondement que mes collègues ont jugé déterminants les nouveaux éléments de preuve et ont déclaré : « [e]nfin, l’information aurait probablement influé sur la décision du juge en chambre parce qu’elle démontre clairement la disponibilité de la matrice de notation » (par. 108). En toute déférence, l’examen ne doit pas s’arrêter là. Il faut se demander en fait si le juge en chambre, sachant que la matrice de notation était disponible, aurait statué différemment sur les demandes d’habeas corpus. À mon avis, sa décision aurait été la même.

137 Comme je l’ai signalé précédemment, les demandes d’habeas corpus des appelants reposaient sur deux moyens : le caractère arbitraire et le manquement à l’équité procédurale. En ce qui concerne le premier moyen, les appelants voulaient obtenir la matrice de notation pour étayer, à l’aide du nombre de points correspondant à chaque facteur, leur argument que le nouveau processus d’évaluation de la cote de sécurité était arbitraire. Selon moi, la matrice de notation n’influe aucunement sur la question du caractère arbitraire. Indépendamment du nombre de points correspondant à chaque facteur, comme mes collègues le font judicieusement remarquer : « [le Service correctionnel du Canada] conservait le pouvoir de transférer les appelants en raison d’une modification de politique dès lors que les décisions de transfèrement ne sont pas arbitraires » (par. 83). Mes collègues concluent, comme toutes les juridictions inférieures, que « [l]es appelants n’ont pas démontré qu’une application sans nuance de la politique conférait un caractère arbitraire au processus » (par. 86). Je souscris à cette conclusion. Dans chaque cas, il est clair que la décision de transférer a été prise en tenant compte de la situation personnelle et des caractéristiques de chaque appelant, non en fonction d’une attribution quelconque des points aux facteurs de l’ÉRCS.

138 Relativement au deuxième moyen, il faut déterminer si l’omission de communiquer la matrice de notation a privé les appelants de leur droit de savoir ce qu’on leur reprochait. Il n’y aura manquement à l’équité procédurale que si les appelants ont effectivement été privés de ce droit. À mon avis, ils ne l’ont pas été. Ils ont été informés que le résultat donné par l’ÉRCS entrait en ligne de compte dans la recommandation de transfèrement. L’Évaluation en vue d’une décision leur fournissait la liste des facteurs pris en considération pour parvenir au résultat. Ils ont également obtenu les renseignements personnels qui avaient servi à l’évaluation de chaque facteur, et il leur était loisible de contester l’exactitude de ces renseignements. On leur a fourni le résultat qu’ils avaient obtenu à l’issue de la réévaluation de la cote de sécurité. Il est vrai, comme ils le font valoir, que sans la matrice de notation, ils ne pouvaient vérifier l’exactitude du résultat total. C’est pour cela que je conclus qu’il aurait fallu leur remettre cette matrice. Même si la communication répondait aux exigences du par. 27(1) de la LSCMLC, soit que le prisonnier doit recevoir « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci [la décision], ou un sommaire de ceux‑ci », une demande de renseignements plus précis qu’un sommaire avait été expressément formulée, et les intimés n’ont soumis aucune raison justifiant la non‑communication. Toutefois, je ne conclurais pas que l’omission de communiquer a entraîné un manquement à l’équité procédurale dans le présent contexte. Les appelants avaient suffisamment de renseignements pour savoir ce qu’on leur reprochait.

V. Conclusion

139 Je conclus donc que les nouveaux éléments de preuve n’auraient eu aucune incidence sur l’issue des demandes d’habeas corpus et ne devraient pas être admis. Comme je l’ai déjà dit, ces renseignements supplémentaires n’auraient pas été utiles aux appelants relativement à la principale raison pour laquelle ils voulaient les obtenir, soit pour démontrer le caractère arbitraire de la décision. En outre, les nouveaux éléments de preuve établissent clairement que la matrice de notation n’aurait pas été utile aux appelants pour contester l’exactitude du résultat total, l’autre raison pour laquelle ils demandaient les renseignements. Quoi qu’il en soit, même s’il y avait eu une erreur de calcul, le résultat donné par l’ÉRCS n’était qu’un des éléments fondant la réévaluation de la cote de sécurité des appelants. Les décisions de transfèrement elles‑mêmes reposaient sur l’évaluation individuelle de la situation de chacun.

140 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve de même que le pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges Major, Bastarache et Charron sont dissidents.

Procureur des appelants Terry Lee May et David Edward Owen : Ann H. Pollak, Vancouver.

Procureur des appelants Maurice Yvon Roy, Gareth Wayne Robinson et Segen Uther Speer‑Senner : Donna M. Turko, Vancouver.

Procureur des intimés : Justice Canada, Toronto.

Procureur des intervenantes l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada : Elizabeth Thomas, Kingston.

Procureur de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Michael Jackson, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 82 ?
Date de la décision : 22/12/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. Les demandes d’habeas corpus et la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve sont accordées. Les décisions relatives aux transfèrements sont déclarées invalides pour défaut de compétence

Analyses

Tribunaux - Compétence - Habeas corpus - Transfèrement de détenus fédéraux d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité moyenne - La cour supérieure provinciale avait‑elle compétence pour examiner le transfèrement de détenus fédéraux dans le cadre d’une demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire? - Le cas échéant, aurait‑elle dû refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus et reconnaître celle de la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire?.

Prisons - Transfèrement de détenus - Privation de la liberté résiduelle - Habeas corpus - Transfèrement de détenus fédéraux d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité moyenne - Les détenus ont‑ils été privés illégalement de leur liberté résiduelle? - Les demandes d’habeas corpus des détenus doivent‑elles être accordées?.

Preuve - Nouveaux éléments de preuve - Requête pour permission de présenter de nouveaux éléments de preuve devant la Cour suprême du Canada - Les nouveaux éléments de preuve doivent‑ils être admis?.

Droit administratif - Décisions arbitraires - Service correctionnel du Canada - Transfèrement de détenus à un établissement à sécurité plus élevée - Les décisions de transférer provoquées par un changement de politique étaient‑elles arbitraires? - Les détenus ont‑ils été illégalement privés de leur liberté?.

Droit administratif - Équité procédurale - Obligation de communication - Service correctionnel du Canada - Transfèrement de détenus à un établissement à sécurité plus élevée - Refus du Service correctionnel de communiquer tous les renseignements qui ont servi à la reclassification des détenus - Les détenus ont‑ils été illégalement privés de leur liberté? - Les principes de l’arrêt Stinchcombe s’appliquent‑ils en contexte administratif? - Le Service correctionnel a‑t‑il respecté l’obligation de communiquer que lui impose la loi? - Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 27(1).

Les détenus appelants purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité. Comme une échelle de réévaluation informatisée indiquait dans leur cas une cote de sécurité moyenne, ils ont tous été transférés contre leur gré d’un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité moyenne. Aucune faute ou inconduite de ces détenus n’était alléguée. Les transfèrements découlaient d’une directive prise par le Service correctionnel du Canada (« SCC ») prescrivant la révision de la cote de sécurité de tous les détenus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité dans un établissement à sécurité minimale qui n’avaient pas suivi en totalité le programme de traitement des délinquants violents. Le SCC s’est servi d’un logiciel pour effectuer la révision des cotes de sécurité. Ce logiciel, l’échelle de réévaluation de la cote de sécurité (« ÉRCS »), a été mis au point pour aider les agents à déterminer le niveau de sécurité le plus approprié à des moments clés tout au long de la peine du délinquant. Il établit une cote de sécurité à partir des données saisies en rapport avec divers facteurs d’évaluation du risque.

Les détenus ont demandé à la cour supérieure provinciale, par voie de recours en habeas corpus avec certiorari auxiliaire, d’ordonner aux autorités correctionnelles de les ramener à un établissement à sécurité minimale. Dès le début, ils ont demandé la matrice de notation de l’ÉRCS, mais on leur a dit qu’elle n’était pas disponible. Le juge en chambre a conclu qu’une cour supérieure provinciale avait compétence pour examiner le transfèrement non sollicité d’un détenu fédéral dans le cadre d’une demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, mais que les demandes devaient être rejetées parce que les transfèrements des détenus n’étaient pas arbitraires et que le SCC n’avait pas excédé sa compétence. La Cour d’appel a rejeté l’appel des détenus et a conclu que le juge en chambre aurait dû refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus parce que les détenus n’avaient pas fourni d’explication raisonnable de leur défaut de demander le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Avant l’audience devant la Cour, les détenus ont demandé la permission de produire comme nouveaux éléments de preuve la page couverture d’une copie d’une évaluation complétée ainsi qu’une version à jour de la matrice de notation.

Arrêt (les juges Major, Bastarache et Charron sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli. Les demandes d’habeas corpus et la requête pour permission de produire de nouveaux éléments de preuve sont accordées. Les décisions relatives aux transfèrements sont déclarées invalides pour défaut de compétence.

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella : Les détenus peuvent décider de contester la légalité d’une décision touchant leur liberté résiduelle soit devant une cour supérieure provinciale par voie d’habeas corpus, soit devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. En principe, une cour supérieure provinciale devrait exercer sa compétence lorsqu’on le lui demande. Elle ne devrait pas refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus simplement parce qu’il existe une autre voie de recours qu’elle juge plus commode. Les cours supérieures provinciales ne devraient décliner compétence en matière d’habeas corpus que (1) lorsqu’une loi, comme le Code criminel, investit une cour d’appel de la compétence de corriger les erreurs d’un tribunal inférieur et de libérer le demandeur au besoin, ou (2) lorsque le législateur a mis en place une procédure d’examen complet, exhaustif et spécialisé d’une décision administrative, comme le régime établi par le législateur en matière d’immigration. [44‑50]

En l’espèce, la Cour d’appel a commis une erreur en refusant l’accès au recours en habeas corpus puisque aucune des deux exceptions reconnues ne s’applique. D’abord, les présentes affaires concernent des décisions administratives en contexte carcéral, non des déclarations de culpabilité. Ensuite, le législateur n’a pas établi des procédures d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions touchant l’incarcération des détenus. Les termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (« LSCMLC ») et de son règlement d’application indiquent clairement que le législateur n’a pas voulu interdire aux détenus fédéraux l’accès à l’habeas corpus. Le régime d’examen et d’appel qui fait obstacle à l’exercice de la compétence relative à l’habeas corpus dans le contexte de l’immigration diffère substantiellement de la procédure de grief établie par la LSCMLC. De plus, selon une analyse téléologique de la compétence en matière d’habeas corpus des cours supérieures provinciales, les facteurs pertinents favorisent la reconnaissance de la compétence concurrente. Cette méthode reconnaît à juste titre qu’il importe, pour la protection des libertés des détenus, de leur assurer un accès véritable et tangible à la justice. La prompte attention judiciaire, dans laquelle les cours supérieures provinciales doivent tenir un rôle concurrent sinon prédominant, demeure nécessaire pour la protection des droits de la personne et des libertés civiles des détenus et pour le maintien de la primauté du droit en milieu carcéral. [51‑72]

Dans ces affaires, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande d’habeas corpus en raison du caractère arbitraire de la décision. Une décision de transférer provoquée par un simple changement de politique ne devient pas arbitraire pour autant. La nouvelle politique appliquée en l’espèce établit un juste équilibre entre les intérêts des détenus privés de leur liberté résiduelle et l’intérêt de l’État dans la protection du public. Elle exige aussi que le transfèrement de détenus dans des établissements à sécurité plus élevée ne s’effectue qu’après examen individualisé. Dans chaque cas, le fait que le détenu n’ait pas terminé le programme de traitement des délinquants violents a posé problème, et l’on a veillé à ce que le droit à la liberté de chaque détenu ne soit limité en application de la politique que dans la mesure nécessaire pour protéger le public. [83‑86]

Toutefois, il y a lieu d’accorder l’habeas corpus parce que le refus du SCC de communiquer la matrice de notation afférente au logiciel d’établissement des cotes de sécurité a privé illégalement les détenus de leur liberté résiduelle. Alors que la norme de communication de l’arrêt Stinchcombe ne s’applique pas dans le contexte administratif, l’équité procédurale exige généralement, dans ce contexte, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. L’administré doit connaître les faits qu’on entend lui opposer. Si le décideur ne lui fournit pas l’information suffisante, sa décision est frappée de nullité pour défaut de compétence. Afin d’assurer l’équité des décisions touchant les détenus, le par. 27(1) de la LSCMLC exige que le SCC communique au détenu, dans un délai raisonnable avant la prise de la décision, « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci ». En l’espèce, le refus du SCC de communiquer la matrice de notation qui était disponible à l’époque, malgré les demandes répétées des détenus, constituait clairement une violation de l’équité procédurale et de l’obligation de communication du SCC. Ces renseignements ne faisaient pas double emploi avec les renseignements déjà communiqués. Sans la matrice de notation qui fournit des renseignements sur la pondération de chaque facteur et sur la façon dont le programme informatique génère le résultat final, les détenus n’ont pas eu accès à des renseignements essentiels pour leur permettre de comprendre le système informatique ayant généré leurs résultats et ont été empêchés de contester utilement une modification de la cote de sécurité. Les détenus connaissaient les facteurs pris en considération, mais ils ignoraient comment ils étaient pondérés ou comment la pondération intervenait dans le résultat final. Puisque le SCC a dissimulé des renseignements cruciaux et a ainsi contrevenu à son obligation légale de communication, les décisions de transfèrement ont été prises irrégulièrement. Elles sont par conséquent invalides pour défaut de compétence. Il y a lieu d’accorder la requête des détenus pour permission de produire la « matrice de notation » comme nouvel élément de preuve puisque cet élément de preuve satisfait à toutes les exigences du critère de l’arrêt Palmer. [91‑120]

Les juges Major, Bastarache et Charron (dissidents) : La cour supérieure provinciale a correctement exercé sa compétence en matière d’habeas corpus et son rejet des demandes d’habeas corpus doit être maintenu puisque les détenus n’ont pas été illégalement privés de leur liberté. Premièrement, les décisions de les transférer n’étaient pas arbitraires. Chaque décision reposait sur une évaluation individuelle du dossier de chaque détenu. Deuxièmement, même s’il aurait fallu remettre aux détenus la matrice de notation qu’ils avaient expressément demandée pour vérifier l’exactitude du résultat total donné par l’ÉRCS, tous les cas de non‑communication n’entraînent pas un manquement à l’équité procédurale et ne dépouillent pas le décideur de sa compétence. En l’espèce, l’obligation prévue au par. 27(1) de la LSCMLC de fournir un « sommaire » des renseignements a été respectée. De plus, l’équité procédurale a été respectée puisque chacun des détenus a obtenu des renseignements suffisants pour savoir ce qu’on lui reprochait. Les détenus ont été informés que le résultat donné par l’ÉRCS entrait en ligne de compte dans la recommandation de transfèrement, et on leur a fourni la liste des facteurs pris en considération pour parvenir au résultat, les renseignements personnels qui avaient servi à l’évaluation de chaque facteur ainsi que le résultat qu’ils avaient obtenu à l’issue de la réévaluation de la cote de sécurité. [122-125] [138]

Les nouveaux éléments de preuve ne satisfont pas aux exigences du critère de l’arrêt Palmer. Même s’il est clair que les instructions sur la façon de calculer le résultat de l’ÉRCS existaient au moment de la réévaluation, la matrice de notation n’aurait pas démontré le caractère arbitraire de la réévaluation ou l’inexactitude du résultat total. En outre, le résultat donné par l’ÉRCS n’était qu’un des éléments fondant la réévaluation de la cote de sécurité des détenus; les décisions de transfèrement elles‑mêmes reposaient sur l’évaluation individuelle de la situation de chacun. Rien ne justifiait d’accorder les demandes d’habeas corpus avec ou sans ces renseignements supplémentaires. [133-139]


Parties
Demandeurs : May
Défendeurs : Établissement Ferndale

Références :

Jurisprudence
Citée par les juges LeBel et Fish
Arrêts appliqués : R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613
Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643
Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662
arrêts critiqués : Spindler c. Millhaven Institution (2003), 15 C.R. (6th) 183
Hickey c. Kent Institution (Director) (2003), 176 B.C.A.C. 272, 2003 BCCA 23
distinction d’avec les arrêts : Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821
Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 69 O.R. (2d) 253, autorisation de pourvoi refusée, [1989] 2 R.C.S. x
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
arrêts mentionnés : Jones c. Cunningham, 371 U.S. 236 (1962)
Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602
Re Trepanier (1885), 12 R.C.S. 111
Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140
Goldhar c. The Queen, [1960] R.C.S. 431
Morrison c. The Queen, [1966] R.C.S. 356
Karchesky c. The Queen, [1967] R.C.S. 547
Korponay c. Kulik, [1980] 2 R.C.S. 265
R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595
Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394
Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385
Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631
Bernard c. Kent Institution, [2003] B.C.J. No. 62 (QL), 2003 BCCA 24
Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Hay c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1985] A.C.F. no 610 (QL)
Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143
Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, 2002 CSC 75
Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817
Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711
Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35
Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
États‑Unis d’Amérique c. Shulman, [2001] 1 R.C.S. 616, 2001 CSC 21
Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44, 2000 CSC 2.
Citée par la juge Charron (dissidente)
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 9, 10c).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.
Habeas Corpus Act, 1679 (Angl.), 31 Cha. 2, ch. 2.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 96.
Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52 [devenue plus tard Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2], art. 63 [aj. 1988, ch. 35, art. 18], 64 [idem], 71.4 à 78 [idem], 83.1 à 85.2 [idem, art. 19].
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7 [auparavant S.R.C. 1970, ch. 10 (2e suppl.)], art. 2, 18, 18.1(2), (4).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 4d), g), 27(1), (3), 28, 30(1), (2), 90, 91, 96u), 97, 98.
Magna Carta (1215).
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, art. 13, 17, 18, 74 à 82, 74(1), (3), (5), 75, 77(3), 79(3), 80, 81.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106, art. 301 à 314.
Règles de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en matière pénale, TR/97-140, règle 4.
Doctrine citée
Canada. Service correctionnel. Cote de sécurité des délinquants : Instructions permanentes, 700-14, 2001.
Canada. Service correctionnel. Directive du commissaire 081, « Plaintes et griefs des délinquants », 2002.
Canada. Service correctionnel. Transfèrement de délinquants : Instructions permanentes, 700-15, 1999.
Duker, William F. A Constitutional History of Habeas Corpus. Westport, Conn. : Greenwood Press, 1980.
Jackson, Michael. Justice Behind the Walls : Human Rights in Canadian Prisons. Vancouver : Douglas & McIntyre, 2002.
Jackson, Michael. Prisoners of Isolation : Solitary Confinement in Canada. Toronto : University of Toronto Press, 1983.
Mullan, David J. Administrative Law. Toronto : Irwin Law, 2001.
Sharpe, Robert J. The Law of Habeas Corpus, 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989.

Proposition de citation de la décision: May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 (22 décembre 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-12-22;2005.csc.82 ?
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