COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74
Date : 20051215
Dossier : 30467
Entre :
Mario Charlebois
Appelant
et
Ville de Saint John
Intimée
Et entre :
Association des juristes d’expression française du
Nouveau-Brunswick
Appelante
et
Ville de Saint John
Intimée
et
Procureur général du Canada, procureur général du
Nouveau-Brunswick, Union des municipalités du
Nouveau-Brunswick, Commissaire aux langues officielles
du Canada et Fédération des associations de juristes
d’expression française de common law inc.
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 25)
Motifs dissidents :
(par. 26 à 56)
La juge Charron (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Fish et Abella)
Le juge Bastarache (avec l’accord des juges Binnie, LeBel et Deschamps)
______________________________
Charlebois c. Saint John (Ville), [2005] 3 R.C.S. 563, 2005 CSC 74
Mario Charlebois Appelant
c.
Ville de Saint John Intimée
- et -
Association des juristes d’expression française du
Nouveau‑Brunswick Appelante
c.
Ville de Saint John Intimée
et
Procureur général du Canada, procureur général du
Nouveau‑Brunswick, Union des municipalités du
Nouveau‑Brunswick, Commissaire aux langues officielles
du Canada et Fédération des associations de juristes
d’expression française de common law inc. Intervenants
Répertorié : Charlebois c. Saint John (Ville)
Référence neutre : 2005 CSC 74.
No du greffe : 30467.
2005 : 20 octobre; 2005 : 15 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (les juges Daigle, Larlee et Deschênes) (2004), 275 R.N.‑B. (2e) 203, 722 A.P.R. 203, 48 M.P.L.R. (3d) 153, [2004] A.N.‑B. no 237 (QL), 2004 NBCA 49, qui a confirmé une décision du juge McLellan (2002), 255 R.N.‑B. (2e) 396, 668 A.P.R. 396, 35 M.P.L.R. (3d) 163, [2002] A.N.‑B. no 412 (QL), 2002 NBBR 382. Pourvoi rejeté, les juges Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents.
Mario Charlebois, en personne.
Michel Doucet et Mark C. Power, pour l’appelante l’Association des juristes d’expression française du Nouveau‑Brunswick.
Mélanie C. Tompkins et Marie‑France Major, pour l’intimée.
Alain Préfontaine, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.
Chantal A. Thibodeau, pour l’intervenante l’Union des municipalités du Nouveau‑Brunswick.
Johane Tremblay et Christine Ruest, pour l’intervenante la Commissaire aux langues officielles du Canada.
Antoine F. Hacault et Karine Pelletier, pour l’intervenante la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Fish, Abella et Charron rendu par
La juge Charron —
1. Introduction
1 Le présent pourvoi soulève la question de savoir si, dans l’action civile que l’appelant Mario Charlebois a intentée contre elle, la Ville de Saint John est tenue d’utiliser, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par M. Charlebois. L’article 22 de la Loi sur les langues officielles, L.N.‑B. 2002, ch. O‑0.5 (« LLO »), assujettit à cette obligation « Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou une institution » dans une affaire civile à laquelle elle est partie. Le litige porte sur la question de savoir si le mot « institution », utilisé à l’art. 22 et défini à l’art. 1 LLO, englobe les municipalités. Les deux tribunaux d’instance inférieure ont répondu par la négative et ont conclu que, par conséquent, l’art. 22 ne s’applique pas à la Ville de Saint John. Je souscris à cette conclusion et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
2. Les procédures et la question soulevée en appel
2 Dans une requête présentée contre la Ville de Saint John (« Ville »), M. Charlebois a sollicité une ordonnance enjoignant à celle‑ci d’offrir ses services de façon égale dans les deux langues officielles et a contesté la constitutionnalité d’un certain nombre de dispositions de la LLO. Sa requête était rédigée en français. La Ville et le procureur général du Nouveau‑Brunswick, en qualité d’intervenant, ont demandé par voie de motion la radiation de la requête. La question qui nous intéresse dans le présent pourvoi a été soulevée lors de l’audition de ces motions interlocutoires.
3 La motion présentée par la Ville était rédigée en anglais et son avocat a utilisé la langue anglaise pour ses plaidoiries. La documentation déposée à l’appui de la motion du procureur général du Nouveau‑Brunswick était en français. Cependant, l’avocat du procureur général a cité dans ses plaidoiries des extraits de jurisprudence en langue anglaise et, au moyen d’un affidavit (rédigé en français), il a présenté un document rédigé en anglais. Lors de l’audition des motions en radiation, M. Charlebois s’est opposé à l’utilisation de l’anglais dans la documentation déposée à l’appui de la motion pour le motif que cela contrevenait à l’art. 22 LLO. L’article 22 est rédigé ainsi :
22 Dans une affaire civile dont est saisi un tribunal et à laquelle est partie Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou une institution, Sa Majesté ou l’institution utilise, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile.
4 L’objection de M. Charlebois soulevait deux questions :
1. La Ville de Saint John est‑elle une « institution » au sens de l’art. 22 et, à ce titre, est‑elle tenue d’adopter la langue officielle choisie par M. Charlebois pour ses plaidoiries et pour les actes de procédure émanant du tribunal?
2. Quelle est la portée de l’obligation prévue à l’art. 22? La partie qui cite de la jurisprudence dans ses plaidoiries doit‑elle en fournir une traduction? Doit‑elle fournir une traduction de la preuve?
5 Le mot « institution » est défini de la façon suivante à l’art. 1 LLO :
« institution » désigne les institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant gouverneur en conseil, les ministères, les Sociétés de la Couronne créées sous le régime d’une loi provinciale et tout autre organisme désigné à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou placé sous le contrôle du lieutenant‑gouverneur en conseil ou d’un ministre provincial; (“institution”)
Les mots « cité » et « municipalité » sont également définis à l’art. 1 :
« cité » désigne une cité au sens de l’article 16 de la Loi sur les municipalités; (“city”)
. . .
« municipalité » désigne une municipalité au sens de l’article 1 de la Loi sur les municipalités; (“municipality”)
Les dispositions tirées de la Loi sur les municipalités, L.R.N.‑B. 1973, ch. M‑22, sont ainsi rédigées :
1 Dans la présente loi
. . .
« municipalité » désigne une cité, une ville et un village;
. . .
16 Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut constituer en cité une ville comptant au moins dix mille habitants.
6 Dans une décision interlocutoire, le juge saisi de la requête a conclu que le mot « institution » défini à l’art. 1 LLO n’inclut pas les municipalités et que, par conséquent, il ne s’applique pas à la Ville ((2002), 255 R.N.‑B. (2e) 396, 2002 NBBR 382). Il a donc statué que la Ville avait le droit d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles, ou les deux, dans l’action civile intentée par M. Charlebois. Il a aussi rejeté l’objection de M. Charlebois relative à l’utilisation de l’anglais dans la documentation déposée à l’appui de la motion du procureur général, concluant que l’art. 22 ne visait ni les extraits de jurisprudence ni les éléments de preuve. Dans les motifs unanimes qu’il a rédigés au nom de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, le juge Daigle a confirmé la décision du juge saisi de la requête ((2004), 275 R.N.‑B. (2e) 203, 2004 NBCA 49). M. Charlebois se pourvoit contre cette décision et soulève les deux mêmes questions devant notre Cour.
7 Il est facile de répondre à la deuxième question. Je suis d’accord avec le juge Bastarache pour dire que la Cour d’appel a eu raison de conclure que les « plaidoiries orales et écrites » n’incluent pas les éléments de preuve produits en cours d’instance. L’article 22 n’oblige pas non plus à traduire la jurisprudence citée ou incorporée dans un recueil de jurisprudence et de doctrine.
8 Avant de procéder à l’analyse de la première question, il importe de souligner ce qui n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Comme nous le verrons, en raison de la nature du droit revendiqué par M. Charlebois et du statut quasi constitutionnel de la LLO, cette question d’interprétation législative se situe dans un contexte constitutionnel pertinent et important. Néanmoins, dans la présente instance interlocutoire, la Cour est appelée seulement à déterminer le sens de l’art. 22 et non pas à statuer sur sa constitutionnalité. Je reviendrai sur cette distinction importante plus loin dans les présents motifs.
3. Analyse
9 Comme je l’ai indiqué au départ, je souscris à la conclusion des tribunaux d’instance inférieure selon laquelle les municipalités ne sont pas visées par la définition que l’art. 1 LLO donne du mot « institution ». Je souscris pour l’essentiel aux motifs détaillés et limpides que le juge Daigle a rédigés à l’appui de cette conclusion. Je m’attarderai donc simplement aux points les plus saillants de son analyse, en ajoutant au fur et à mesure mes propres commentaires.
10 Le juge Daigle s’est d’abord rappelé les principes d’interprétation législative applicables, réitérant la méthode d’interprétation moderne, souvent citée, que E. A. Driedger formule dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
Il a analysé le sens ordinaire et grammatical des termes utilisés dans la définition du mot « institution » à l’art. 1, définition que je reproduis pour en faciliter la consultation :
« institution » désigne les institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant gouverneur en conseil, les ministères, les Sociétés de la Couronne créées sous le régime d’une loi provinciale et tout autre organisme désigné à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou placé sous le contrôle du lieutenant‑gouverneur en conseil ou d’un ministre provincial; (“institution”)
11 Le juge Daigle a noté la longue liste d’organismes expressément inclus dans la définition, ainsi que l’absence évidente des termes « municipalité » et « cité » dans cette liste. Or, selon lui, le fait que le législateur aurait pu aisément inclure ces termes s’il l’avait voulu ne pouvait pas être déterminant quant à la question soumise à la cour. La question était plutôt de savoir si les municipalités et les cités sont incluses dans la disposition descriptive en tant qu’autres organismes « créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant gouverneur en conseil ».
12 Se fondant sur le raisonnement suivi dans l’arrêt Charlebois c. Moncton (City) (2001), 242 R.N.‑B. (2e) 259, 2001 NBCA 117, où, dans des motifs qu’il avait lui‑même rédigés, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick avait conclu que les municipalités du Nouveau‑Brunswick sont des institutions du gouvernement pour l’application de la Charte canadienne des droits et libertés, le juge Daigle a estimé qu’il était « plausible », à première vue, que la définition du mot « institution » vise les municipalités et les cités. Comme je l’expliquerai plus loin, le poids à accorder à l’arrêt Charlebois c. Moncton est au c—ur de mon désaccord avec l’analyse du juge Bastarache. Pour sa part, le juge Daigle a conclu que cette interprétation, fondée sur la conclusion de l’arrêt Charlebois c. Moncton, « n’est pas déterminante et [que] cette analyse est incomplète » (par. 27). En conséquence, il s’est demandé « si cette interprétation plausible concord[ait] avec l’objet et l’économie de la Loi et avec l’intention du législateur » (par. 27). Pour les raisons que j’exposerai, il a conclu par la négative.
13 Dans son préambule, la LLO proclame que les objets de la Loi sont expressément liés aux garanties et aux obligations linguistiques consacrées dans la Constitution canadienne. Personne ne conteste que la LLO est la réponse législative de la province aux obligations que la Charte lui impose en matière de bilinguisme institutionnel au Nouveau‑Brunswick. Pour en faciliter la consultation, je reproduis ici les dispositions de la Charte relatives aux langues officielles qui visent expressément la province du Nouveau‑Brunswick :
16. . . .
(2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau‑Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick.
. . .
16.1 (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau‑Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.
17. . . .
(2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau‑Brunswick.
18. . . .
(2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès‑verbaux de la Législature du Nouveau‑Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
19. . . .
(2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau‑Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent.
20. . . .
(2) Le public a, au Nouveau‑Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.
14 Dans l’affaire Charlebois c. Moncton, M. Charlebois, le même justiciable qu’en l’espèce, contestait la validité d’un arrêté municipal pris en anglais seulement. La question soumise à la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick était de savoir si le par. 18(2) de la Charte visait les arrêtés municipaux. Conformément à une interprétation réparatrice et téléologique des garanties linguistiques de la Charte, la cour a décidé qu’il convenait d’appliquer aux arrêtés municipaux l’obligation constitutionnelle de la province du Nouveau‑Brunswick d’adopter ses lois en français et en anglais. En analysant cette question, la cour s’est également dite d’avis que les municipalités sont des « institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick » au sens du par. 16(2) de la Charte. À titre de réparation, la cour a déclaré invalides les arrêtés unilingues, mais a suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité pour une période d’un an afin de permettre à la Ville de Moncton et au gouvernement du Nouveau‑Brunswick de satisfaire aux obligations constitutionnelles énoncées dans ses motifs de jugement. Elle a aussi donné certaines indications sur la façon dont la province pouvait choisir de respecter ses obligations. Voici ce qu’elle a affirmé, aux par. 127‑128 :
Dans le contexte de la présente affaire, je crois qu’une déclaration d’invalidité assortie d’une suspension temporaire de l’effet de la déclaration laisse à la ville de Moncton et au gouvernement provincial la souplesse nécessaire pour élaborer une solution appropriée qui garantira que les droits de l’appelant prévus au par. 18(2) se concrétiseront. À cet égard, cette Cour doit se garder d’intervenir dans le domaine législatif et d’imposer des normes au législateur. Il est évident que le gouvernement dispose d’un choix de moyens institutionnels pour remplir ses obligations. Par exemple, l’enquête exhaustive du groupe d’étude sur les langues officielles au Nouveau‑Brunswick (le rapport Vers l’égalité des langues officielles au Nouveau‑Brunswick, aux pp. 337‑84) fait état de la composition démographique et linguistique des municipalités du Nouveau‑Brunswick. Ce rapport reconnaît qu’une approche possible qui respecterait l’obligation constitutionnelle du principe de l’égalité des langues officielles pourrait comprendre une politique linguistique où les services municipaux seraient accessibles dans les deux langues officielles seulement où le nombre le justifierait. Il s’agit d’une approche quantitative où certaines municipalités seraient déclarées bilingues en fonction d’un pourcentage de leur population qui compterait une minorité de l’une des deux langues officielles. Le pourcentage reste à être déterminé par le législateur.
Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’article premier de la Charte permet d’apporter des restrictions aux droits qui y sont garantis dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette limitation générale permet au législateur d’atteindre l’équilibre ou un compromis entre l’exercice d’un droit garanti et la sauvegarde d’un intérêt supérieur de la société. Par contre, même si certaines limites imposées à l’exercice du droit garanti au par. 18(2) pourraient être justifiées, cette disposition crée une obligation au bilinguisme législatif qui ne saurait être limitée en faveur d’un unilinguisme ou d’un bilinguisme laissé au choix des conseils municipaux. Cela reviendrait à nier le droit linguistique constitutionnel garanti au par. 18(2). Également l’obligation au bilinguisme s’étend implicitement au processus d’adoption des arrêtés municipaux.
15 Le juge Bastarache estime qu’il aurait été préférable, en l’espèce, que la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick « adopte une attitude positive et vérifie s’il était nécessaire de limiter la portée du terme nouvellement défini à la lumière des difficultés soulevées par la façon dont la LLO est rédigée » (par. 32 (je souligne)). Je ne suis pas d’accord. Premièrement, il convient de souligner que l’arrêt Charlebois c. Moncton portait sur le par. 18(2) de la Charte; partant, la conclusion de la cour selon laquelle les municipalités sont des « institutions » pour l’application du par. 16(2) est une opinion incidente. Notre Cour n’a jamais tranché la question de savoir si les municipalités sont des institutions au sens du par. 16(2), cette question n’est pas soulevée dans le présent pourvoi et je n’exprime aucune opinion sur la justesse de cette interprétation. Deuxièmement, il convient aussi de noter que les obligations constitutionnelles de la province, même selon la définition qu’en donne l’arrêt Charlebois c. Moncton, ne commandent pas une seule solution précise. Comme l’a si bien fait remarquer la cour dans l’extrait précité, la province dispose d’une marge de man—uvre. La LLO actuelle représente la réponse législative de la province à ses obligations constitutionnelles. Il n’y a pas lieu de court‑circuiter l’analyse au moyen d’une présomption générale de conformité à la Charte. Le juge Daigle a donc eu parfaitement raison de poursuivre l’analyse. Cela nous ramène à la question d’interprétation législative qui nous occupe : quelle approche la province du Nouveau‑Brunswick a‑t‑elle adoptée à l’égard de ses municipalités pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles?
16 La lecture de la LLO permet de constater deux principales caractéristiques structurelles. Premièrement, le mot « institution » défini à l’art. 1 sert d’article pivot pour désigner les organismes publics auxquels le législateur impose des obligations linguistiques particulières dans d’autres dispositions de la LLO. J’examinerai ces obligations sous peu. Deuxièmement, la LLO rassemble sous diverses rubriques différents secteurs d’activité ou de prestation de services qui relèvent de l’administration publique de la province, et prescrit des obligations linguistiques précises sous chacune de ces rubriques. La rubrique « Municipalités » (mot qui, par définition, inclut les cités, les villes et les villages) figure parmi ces dernières.
17 Les obligations imposées aux organismes inclus dans la définition du mot « institution » sont réparties sous diverses rubriques et sont notamment les suivantes :
Actes législatifs et autres
. . .
15 Les avis, pièces ou documents dont la présente loi ou toute autre loi exige la publication par la province ou ses institutions sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles.
L’administration de la Justice
. . .
22 Dans une affaire civile dont est saisi un tribunal et à laquelle est partie Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou une institution, Sa Majesté ou l’institution utilise, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile.
Communication avec le public
27 Le public a le droit de communiquer avec toute institution et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix.
28 Il incombe aux institutions de veiller à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans la langue officielle de son choix.
28.1 Il incombe aux institutions de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix.
29 Tout affichage public et autres publications et communications destinés au grand public et émanant d’une institution sont publiés dans les deux langues officielles.
30 Il incombe à la province et à ses institutions de veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour le compte de la province ou ses institutions le soient dans l’une et l’autre des langues officielles.
Comme l’a noté le juge Daigle, il est plausible que, à la suite de l’opinion exprimée dans l’arrêt Charlebois c. Moncton, le législateur ait voulu inclure les municipalités dans la définition du mot « institution » même si elles ne sont pas inscrites comme telles à l’art. 1. Selon le sens ordinaire des dispositions susmentionnées, on pourrait considérer que le législateur a voulu imposer ces obligations à toutes les municipalités sans égard à leur population de langue officielle minoritaire.
18 Par contre, les obligations linguistiques particulières figurant sous la rubrique « Municipalités » sont plus restreintes. Elles sont formulées ainsi :
Municipalités
35(1) Une municipalité dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 % de la population totale est tenue d’adopter et de publier ses arrêtés dans les deux langues officielles.
35(2) Les cités sont également tenues d’adopter et de publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles sans égard au pourcentage prévu au paragraphe (1).
35(3) Tout nouvel arrêté ou toute modification à un arrêté existant, adopté après le 31 décembre 2002 par une municipalité ou une cité auxquelles les paragraphes (1) et (2) s’appliquent, doit être adopté et publié dans les deux langues officielles.
35(4) Sauf en ce qui concerne un arrêté visé au paragraphe (3), les municipalités et les cités auxquelles s’appliquent les paragraphes (1) et (2), autre que Moncton, doivent adopter et publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles au plus tard le 31 décembre 2005.
35(5) Le paragraphe (3) s’applique, avec les modifications nécessaires, aux procès‑verbaux des séances du conseil municipal;
36 Les municipalités et les cités visées aux paragraphes 35(1), (2) ainsi qu’à l’article 37 sont tenues d’offrir, dans les deux langues officielles, les services et les communications prescrits par règlement.
37 Toute municipalité peut, par arrêté de son conseil municipal, se déclarer liée par les dispositions de la présente loi et rien à la présente loi ne porte atteinte ou ne limite le pouvoir des municipalités de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.
38 Les dispositions des paragraphes 35(3), (4) et (5) s’appliquent, avec les modifications nécessaires, à toute municipalité visée à l’article 37.
19 Si toutes les municipalités sont tenues, en tant qu’institutions, d’imprimer et de publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles en vertu de l’art. 29, pourquoi le pourcentage représentant la population de langue officielle minoritaire dans une municipalité donnée serait‑il pertinent? De même, quelle serait l’utilité de prescrire par règlement les services et communications à offrir dans les deux langues officielles si, en vertu des art. 27 à 30, toutes les municipalités, en tant qu’institutions, étaient tenues d’offrir tous ces services? À quoi une municipalité peut‑elle se déclarer liée en vertu de l’art. 37, si elle est déjà liée par les obligations générales imposées aux institutions? Ce sont là les « conséquences incohérentes et illogiques » que le juge Daigle a estimé déterminantes dans la recherche de l’intention du législateur. Je partage cette opinion, surtout parce que la cohérence interne est rétablie si l’interprétation contraire est retenue et que le mot « institution » est interprété comme n’incluant pas les municipalités. Le juge Bastarache interpréterait les obligations particulières énoncées sous la rubrique « Municipalités » comme des exceptions aux dispositions générales applicables aux institutions. En toute déférence, cette approche commanderait une mesure considérable d’interprétation large et d’interprétation atténuante qui ne sont ni l’une ni l’autre compatibles avec le rôle limité que les valeurs de la Charte peuvent jouer comme outil d’interprétation.
20 Examinons maintenant l’effet qu’une interprétation qui exclut les municipalités de la définition du mot « institution » a sur la disposition en cause dans la présente affaire, l’art. 22. L’article 22 s’inscrit dans un ensemble de dispositions (art. 16 à 26) figurant sous la rubrique « L’administration de la Justice ». Ces dispositions décrivent l’étendue du bilinguisme institutionnel devant les tribunaux du Nouveau‑Brunswick. Le juge Daigle fait l’historique des dispositions en commençant par une description du principe directeur qui les sous‑tend. Il dit ceci :
Bref, le principe directeur veut que toute personne, qu’elle soit partie ou témoin, a le droit de s’adresser à la Cour dans la langue officielle de son choix. Ce principe est énoncé à l’art. 17 de la Loi et reprend essentiellement le texte du par. 19(2) de la Charte, qui lui‑même reprend en matière de bilinguisme judiciaire, les dispositions de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. [par. 29]
Il relève ensuite les deux exceptions à la règle de l’usage facultatif des langues officielles par les justiciables qui ont été établies au fil du temps. La première, qui remonte à 1982, est actuellement incorporée au par. 20(1). Elle donne préséance à la langue officielle choisie par la partie demanderesse dans une affaire quasi criminelle :
20(1) Une personne accusée d’une infraction à une loi ou à un règlement de la province, ou à un arrêté municipal, a droit au déroulement des procédures dans la langue officielle de son choix, et elle doit être informée de ce droit par le juge qui préside avant d’enregistrer son plaidoyer.
La seconde, toute nouvelle, se trouve à l’art. 22. Comme le juge Daigle le fait judicieusement remarquer :
Sur le plan pratique, elle aura l’avantage de faciliter et favoriser, sous réserve du droit des témoins, la tenue de procès en matière civile dans la langue officielle du justiciable, et de cette façon, effectivement promouvoir l’efficacité du bilinguisme judiciaire. De plus, sur le plan juridique, elle s’inscrit dans le respect des garanties linguistiques consacrées par la Charte. [par. 30]
21 Il ressort clairement du libellé du par. 20(1) que la langue officielle choisie par la partie demanderesse dans une affaire quasi criminelle aura toujours préséance, quelle que soit l’identité de l’organisme poursuivant. De ce fait, toutes les municipalités sont liées par cette disposition dans les poursuites relatives à leurs arrêtés. La règle est différente en ce qui concerne les affaires civiles. La langue officielle choisie par le même défendeur dans le cadre d’une affaire civile n’aura pas nécessairement préséance. Conformément à la règle générale prescrite par la Constitution, chaque justiciable peut choisir la langue officielle qu’il préfère. C’est seulement lorsque la partie adverse est Sa Majesté ou une « institution » que la Loi accorde préséance au choix effectué par le justiciable. Deux interprétations opposées sont soumises à la Cour. D’une part, comme le font valoir les appelants, le législateur a‑t‑il voulu favoriser la progression du bilinguisme judiciaire en étendant l’application de l’art. 22 à toutes les municipalités sans égard à leur population de langue minoritaire? Bien sûr, il lui était loisible de faire ce choix. D’autre part, comme le prétend la Ville, le législateur a‑t‑il décidé d’en étendre l’application aux seuls organismes énumérés dans la définition du mot « institution » à l’art. 1, laissant aux municipalités le libre choix de se déclarer liées par cette disposition conformément à l’art. 37? Il lui était aussi loisible de faire ce choix. La constitutionnalité de ce dernier choix est une question distincte, et c’est précisément la question dont nous ne sommes pas saisis dans le présent pourvoi. Toutefois, sur le plan de l’interprétation législative, il est indubitable que le législateur pouvait choisir l’approche plus restrictive et, en l’espèce, c’est la seule interprétation qui n’engendre aucune conséquence illogique ou incohérente lorsque la disposition est lue dans le contexte de la Loi dans son ensemble.
22 Le juge Bastarache estime que, si la définition du mot « institution » ne visait pas les municipalités, il en résulterait une incongruité du fait qu’une ville bilingue comme Moncton ou une ville comme Saint John, qui est assujettie à des obligations particulières en matière de prestation de services dans les deux langues officielles, serait tenue, aux termes du par. 20(1), d’adopter la langue choisie par toute personne poursuivie en vertu d’un arrêté municipal, mais qu’elle serait libre d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles dans toute instance civile à laquelle elle serait partie. En toute déférence, s’il est incongru qu’une municipalité puisse avoir des obligations linguistiques différentes selon qu’elle engage des poursuites relatives à un arrêté ou qu’elle est partie à une instance civile, cette situation existe depuis 1982, alors que le législateur du Nouveau‑Brunswick a, pour la première fois, accordé une reconnaissance spéciale à la langue officielle choisie par une partie demanderesse dans une instance quasi criminelle, sans adopter une disposition semblable en matière civile. Cependant, j’estime que la nature différente des instances élimine toute incongruité. Les impératifs de justice naturelle ne sont pas nécessairement les mêmes dans les instances quasi criminelles et dans les instances civiles. Je ne trouve rien d’incongru dans le fait de choisir une disposition générale, telle que le par. 20(1), pour satisfaire aux impératifs de justice dans un contexte quasi criminel, et de laisser la justice être rendue au moyen d’une application ponctuelle de l’art. 18 dans les instances civiles mettant en cause des municipalités qui n’ont pas choisi de se déclarer liées conformément à l’art. 37. L’article 18 prévoit que « [n]ul ne peut être défavorisé » en raison de la langue officielle qu’il choisit.
23 À mon avis, l’interprétation préconisée par M. Charlebois et l’AJEFNB, et retenue par le juge Bastarache, excède la portée de l’arrêt de notre Cour R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768. Dans cet arrêt, la Cour a statué qu’il y a lieu d’adopter, dans tous les cas, une interprétation libérale et téléologique des garanties linguistiques constitutionnelles et des droits linguistiques d’origine législative. Je ne conteste pas ce principe, mais, comme le juge Bastarache le reconnaît (par. 40), cela ne signifie pas que les règles ordinaires d’interprétation législative n’ont pas leur place. En l’espèce, il est particulièrement important de se rappeler les limites que doivent avoir les valeurs de la Charte comme outil d’interprétation. Dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour à l’unanimité, a fermement rappelé que
dans la mesure où notre Cour a reconnu un principe d’interprétation fondé sur le respect des « valeurs de la Charte », ce principe ne s’applique uniquement qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est‑à‑dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre. [Souligné dans l’original; par. 62.]
24 Dans le contexte de la présente affaire, le recours à cet outil illustre bien comment son utilisation abusive peut effectivement court‑circuiter l’examen judiciaire de la constitutionnalité de la disposition législative. Elle risque de fausser l’intention du législateur et de le priver de la possibilité de justifier une éventuelle atteinte aux droits garantis par la Charte comme étant une limite raisonnable au sens de l’article premier. À cet égard, le juge Daigle s’est fondé sur les bonnes règles de droit et a conclu à juste titre, au par. 58, que l’analyse contextuelle et téléologique de la LLO « a dissipé toute ambiguïté quant au sens de l’expression “institution” ». En l’absence de toute autre ambiguïté, les valeurs de la Charte n’ont aucun rôle à jouer.
25 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps rendus par
Le juge Bastarache (dissident) —
1. Introduction
26 Dans une requête présentée en français contre la Ville de Saint John (« Ville »), l’appelant Mario Charlebois a décidé de contester la validité d’un certain nombre de dispositions de la Loi sur les langues officielles, L.N.‑B. 2002, ch. O‑0.5 (« LLO »). La Ville et le procureur général du Nouveau‑Brunswick, en qualité d’intervenant, ont demandé par voie de motion la radiation de la requête. La Ville a présenté ses plaidoiries en anglais seulement. Quant au procureur général, il a présenté ses plaidoiries en français, mais certaines citations figurant dans son mémoire ainsi qu’un document étaient exclusivement en anglais. M. Charlebois s’est opposé à la réception des plaidoiries en anglais pour le motif que l’art. 22 LLO s’appliquait à la Ville de Saint John et l’obligeait à adopter la langue qu’il avait choisie pour l’instance. L’objection de M. Charlebois est à l’origine des décisions de la Cour du Banc de la Reine et de la Cour d’appel, ainsi que de l’audience devant notre Cour.
27 Le présent pourvoi ne porte pas sur la constitutionnalité de la LLO. Il ne concerne que l’interprétation de l’art. 22 LLO et la question de savoir si, dans le contexte de la LLO, le mot « institution » figurant dans cet article vise les municipalités et les cités. Notre Cour ne peut accepter l’invitation de certains intervenants à réexaminer la question de la portée des droits garantis par le par. 19(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
28 Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu que l’art. 22 ne s’applique pas aux municipalités et aux cités parce qu’il en résulterait une incohérence interne de la LLO; les art. 27 et 36 LLO, qui portent sur les communications avec le public et les services au public, entreraient notamment en conflit. Une autre incohérence résulterait des art. 15 et 35 qui portent sur la langue des arrêtés municipaux.
29 Le contexte dans lequel s’inscrit le présent pourvoi devant notre Cour revêt une importance particulière. Il faut préciser que la LLO de 2002 a été adoptée après que le gouvernement du Nouveau‑Brunswick eut décidé de donner suite à l’arrêt Charlebois c. Moncton (City) (2001), 242 R.N.‑B. (2e) 259, 2001 NBCA 117, dans lequel la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick avait statué que l’al. 32(1)b) de la Charte vise les municipalités et cités du Nouveau‑Brunswick. Appliquant l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, la Cour d’appel a conclu, dans cette affaire, que les municipalités et les cités sont des créatures de la province, qu’elles exercent des fonctions gouvernementales attribuées par la Législature ou le gouvernement, et qu’elles tirent leurs pouvoirs des lois provinciales. Elles sont donc des « institutions de la Législature et du gouvernement ». Après avoir appliqué les mêmes critères au par. 16(2) de la Charte, la Cour d’appel a décidé que cette disposition visait également les municipalités et cités du Nouveau‑Brunswick.
2. Questions en litige
30 Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à déterminer si les mots « institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick » au sens de l’al. 32(1)b) de la Charte et utilisés dans l’article des définitions de la LLO, c’est‑à‑dire l’art. 1, doivent avoir le même sens. Le contexte dans lequel doit s’inscrire cette détermination est extrêmement important : la LLO de 2002 est une loi quasi constitutionnelle qui doit être interprétée selon les principes clairs exposés par notre Cour dans les arrêts R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, et Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, 2000 CSC 1.
31 La difficulté, en l’espèce, tient à l’imprécision de l’article des définitions et à la structure de la LLO. En ce qui concerne l’imprécision, il est étonnant que le mot « institution » renvoie aux termes mêmes que la Cour d’appel définit dans sa décision de 2001, alors que la LLO donne une autre définition du mot « municipalité », dans laquelle ne figure pas le terme « institution ». L’ennui, en ce qui concerne la structure de la LLO, c’est que les dispositions générales, qui imposent des obligations en matière de publication des lois et règlements, de communications avec le public et de services au public, s’appliquent à toutes les « institutions », alors que d’autres parties de la LLO traitent de certaines institutions sans que, dans certains cas, les obligations qu’elles décrivent soient assujetties aux dispositions générales ou s’appliquent par dérogation à ces dispositions. Il est donc difficile de faire des inférences claires sur l’intention du législateur car, bien que certaines dispositions semblent se recouper, notamment celles relatives aux communications avec le public et aux municipalités, d’autres dispositions, comme l’art. 4 qui porte sur les institutions d’enseignement et les institutions culturelles, restreignent la portée du mot « institution ». Il convient de noter que les art. 39 à 41 assujettissent les commissions d’aménagement et les commissions de gestion des déchets solides à certaines obligations alors que les commissions sont expressément incluses dans la définition du mot « institution » à l’art. 1. D’autres dispositions élargissent le sens du terme « institution », notamment le par. 33(1) qui traite des installations et établissements de santé. Certaines dispositions, notamment celle concernant l’administration de la justice, qui nous occupe en l’espèce, ne génèrent aucun conflit et pourraient être considérées comme indépendantes, ainsi que l’a soutenu l’Association des juristes d’expression française du Nouveau‑Brunswick (« AJEFNB »).
3. Analyse
32 Dans la présente affaire, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a appliqué les règles d’interprétation législative définies par notre Cour. Elle a d’abord examiné le sens ordinaire des mots employés dans la LLO et a conclu qu’il était plausible que les municipalités soient visées par le mot « institution ». Dans le contexte particulier de la présente affaire, il y a plutôt lieu de présumer que le législateur n’aurait pas choisi de faire part indirectement de sa décision de ne pas tenir compte de la définition donnée dans l’arrêt Charlebois, l’arrêt même qui l’avait obligé à modifier la LLO. À mon avis, il aurait été préférable que la Cour d’appel adopte une attitude positive et vérifie s’il était nécessaire de limiter la portée du terme nouvellement défini à la lumière des difficultés soulevées par la façon dont la LLO est rédigée. Je reviendrai sur les conséquences de cette démarche erronée.
33 L’analyse attentive de la Cour d’appel offre un aperçu complet de l’historique législatif de l’art. 22 LLO. Il n’est pas nécessaire que je le reprenne ici. La détermination des deux principales incohérences internes de la LLO est au c—ur de la décision de la Cour d’appel. Les dispositions pertinentes de la Charte et de la LLO sont reproduites dans l’annexe des présents motifs.
3.1 Les incohérences internes de la LLO
34 La principale incohérence relevée par la Cour d’appel est celle qui existe entre l’art. 27 et l’art. 36. L’article 27 prévoit que le public a le droit de communiquer avec une institution et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. Les obligations correspondantes des institutions publiques sont définies aux art. 28 et 28.1, qui précisent que ces institutions doivent veiller à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans la langue voulue, et à ce qu’il soit informé que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix. Par contre, l’art. 36 prévoit que toutes les municipalités dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 p. 100 de la population totale et toutes les cités sont tenues d’offrir, dans les deux langues officielles, les services et les communications prescrits par règlement.
35 Dans l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, le juge Beetz, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a comparé le droit d’employer une langue dans une instance judiciaire à celui de communiquer avec les bureaux du gouvernement, que garantissent respectivement le par. 19(2) et l’art. 20 de la Charte. Ce dernier droit « suppose aussi le droit d’être entendu ou compris dans ces langues » (p. 575). La juge Wilson, qui a souscrit au résultat, a souligné l’existence d’une incohérence manifeste entre le droit à l’égalité et le droit à des services limités, garantis respectivement par les par. 16(1) et 20(1) de la Charte. Selon elle, pour éliminer cette incohérence, il fallait non pas limiter la portée du par. 16(1), mais considérer que le par. 16(1) « constitutionnalise un engagement social à favoriser ce développement » (p. 620). Les paragraphes 16(1) et 20(1) devaient recevoir une interprétation libérale et téléologique (p. 621). La juge Wilson a également examiné une autre incohérence manifeste entre l’art. 27 de la Charte (la disposition d’interprétation favorisant le multiculturalisme) et le par. 16(3) de la Charte (la disposition d’interprétation favorisant la progression des langues officielles du Canada). Là encore, la solution consistait non pas à neutraliser le principe de développement énoncé au par. 16(3), mais à interpréter les deux dispositions en fonction du statut particulier des langues officielles. La méthode d’interprétation de la juge Wilson doit être opposée à celle adoptée par le juge Beetz, qui estimait que les droits linguistiques avaient une justification politique et devaient recevoir une interprétation restrictive. Cette dernière méthode a formellement été rejetée dans l’arrêt Beaulac où la Cour a insisté sur l’importance de l’art. 16 de la Charte dans l’interprétation des lois conférant des droits linguistiques :
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850. Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent. . . [Souligné dans l’original; par. 25.]
À l’instar de la juge Wilson, la Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que le par. 16(3) de la Charte constitue un facteur important pour déterminer les règles d’interprétation applicables aux droits quasi constitutionnels (voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577, par. 129‑130).
36 Cette approche n’est pas nouvelle. Elle sert maintenant de modèle pour l’interprétation des droits linguistiques, spécialement, comme je viens de le démontrer, en cas de conflit et d’ambiguïté manifestes. Selon cette approche, la première étape consiste non pas à interpréter les garanties de manière atténuante afin d’éliminer les incohérences, mais à donner un sens logique au régime global en tenant compte de l’impératif constitutionnel d’interpréter de manière téléologique les droits linguistiques de manière à promouvoir les principes d’égalité et de protection des minorités. Il y a bilinguisme institutionnel lorsque des droits sont accordés au public et que des obligations correspondantes sont imposées aux institutions (voir l’arrêt Beaulac, par. 20‑22). Aucun droit n’est accordé comme tel aux institutions. Toute interprétation de la LLO doit tenir compte de ce fait. La véritable question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’incohérence manifeste entre les art. 27 et 36 est telle que les obligations institutionnelles reconnues a priori à l’art. 22 doivent nécessairement recevoir une interprétation atténuante.
37 Dans le contexte particulier de la présente affaire, je considère tout à fait incongru qu’une ville bilingue comme Moncton ou une ville comme Saint John, qui est assujettie à des obligations particulières en matière de prestation de services dans les deux langues officielles, soit tenue, aux termes du par. 20(1), d’adopter la langue choisie par la personne accusée d’avoir commis une infraction à un arrêté municipal, et que, selon l’interprétation donnée par la Cour d’appel, elle doive avoir le droit d’adopter une autre langue que celle qu’une partie à une action civile intentée contre elle a choisie conformément à l’art. 22. L’intervenante, l’Union des municipalités du Nouveau‑Brunswick, a soutenu qu’il serait plus onéreux pour les municipalités de se conformer à l’art. 22 que de respecter le par. 20(1) du fait que, souvent, les administrations municipales omettent de faire appel aux services d’un avocat dans les affaires civiles, et que la différence entre les infractions réglementaires et les actions civiles est déterminante quant à l’intention du législateur. Je ne juge pas cet argument convaincant; même s’il l’était, il est difficile de comprendre pourquoi le législateur imposerait à une cité ou à une municipalité la tâche beaucoup plus lourde d’offrir des services bilingues pour ensuite la dispenser des obligations prévues à l’art. 22 pour le motif qu’elles sont plus onéreuses que celles prévues au par. 20(1). Qui plus est, je ne crois pas que la position de l’intervenante reflète une méthode d’interprétation libérale qui soit compatible avec l’intention d’assurer l’égalité d’accès aux tribunaux, et notamment avec le principe énoncé à l’art. 18 LLO, qui se lit ainsi :
18 Nul ne peut être défavorisé en raison du choix fait en vertu de l’article 17.
En fait, la Cour d’appel a elle‑même expliqué que l’art. 22 était censé accorder les droits garantis par le par. 19(1) de la Charte et améliorer la qualité des services judiciaires, et qu’il était lié à l’objectif de respect des garanties linguistiques (par. 30).
38 Comme nous l’avons vu, les principes d’interprétation applicables en l’espèce sont clairement énoncés dans l’arrêt Beaulac, lequel portait expressément sur l’interprétation d’une loi créant des droits linguistiques plus étendus que ceux prescrits par la Constitution. À mon avis, lorsque le législateur élargit la protection des droits des minorités, la Cour ne doit pas recourir à une interprétation restrictive pour éliminer les incohérences manifestes de la loi. Elle doit plutôt chercher un sens qui soit compatible avec la protection des minorités et l’égalité des droits entre les deux langues officielles et les communautés linguistiques, et qui soit autant que possible conciliable avec le libellé de la mesure législative. Les propos que la Cour tient aux par. 20 et 24 de l’arrêt Beaulac sont plutôt pertinents dans une province où l’égalité des communautés linguistiques est consacrée dans la Constitution (voir l’art. 16.1 de la Charte).
L’objectif de protéger les minorités de langue officielle, exprimé à l’art. 2 de la Loi sur les langues officielles, est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l’existence de la collectivité. Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques; voir J. E. Oestreich, « Liberal Theory and Minority Group Rights » (1999), 21 Hum. Rts. Q. 108, à la p. 112; P. Jones, « Human Rights, Group Rights, and Peoples’ Rights » (1999), 21 Hum. Rts. Q. 80, à la p. 83 : [traduction] « [U]n droit . . . est conceptuellement lié à un devoir » ; et R. Cholewinski, « State Duty Towards Ethnic Minorities : Positive or Negative? » (1988), 10 Hum. Rts. Q. 344.
. . .
L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en —uvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État; voir McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. . .
39 Cette approche nous incite à la prudence dans l’interprétation d’une loi telle que la LLO. R. Sullivan résume bien cette idée dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 368 :
[traduction] Bien qu’il existe, de toute évidence, un chevauchement important entre le respect des limites juridictionnelles et le respect des normes consacrées dans la Constitution, les présomptions liées à ces deux formes de respect reposent sur des préoccupations et des postulats différents. Dans l’arrêt Zundel et dans de nombreux autres jugements, la cour exprime l’idée que des documents constitutionnels comme la Charte établissent les normes les plus prisées dans notre culture et jouent donc un rôle légitimant. C’est pour cette raison que, indépendamment des questions de validité ou de déférence envers le législateur, il est opportun que les tribunaux privilégient les interprétations qui tendent à promouvoir ces principes et ces normes plutôt que celles qui n’ont pas cet effet. C’est pour cette raison également que la présomption de respect des valeurs constitutionnelles peut être invoquée même si la validité de la mesure législative n’est pas en cause. [Renvois omis.]
40 Cela ne signifie pas que les règles ordinaires d’interprétation législative n’ont pas leur place. L’approche énoncée dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21‑22, continue de guider la Cour, mais le contexte législatif et la présomption de respect de la Charte revêtent une importance particulière. En l’espèce, le législateur donne suite à une décision qui assujettit les municipalités aux obligations linguistiques prévues par une loi quasi constitutionnelle destinée à promouvoir l’égalité des langues officielles et des communautés linguistiques officielles du Nouveau‑Brunswick. Il n’est pas facile d’écarter cette intention à cause d’une qualité de rédaction imparfaite. En fait, notre Cour a établi un certain nombre de règles pour remédier aux incohérences auxquelles elle se heurte très souvent, mais il est clair qu’il ne sera pas toujours possible de donner un sens logique à la loi et d’en éliminer du même coup toutes les incohérences internes (voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 59 (la juge McLachlin, dissidente); 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 158‑159; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 48).
41 Dans l’arrêt Beaulac, la Cour a clairement dit que, dans le contexte du bilinguisme institutionnel, les dispositions linguistiques doivent être considérées non pas comme une source d’accommodements ou de privilèges, mais comme créant des droits positifs qui génèrent un devoir d’offrir les moyens de les exercer (par. 24). La Cour a dit, au par. 22 : « Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada. » De toute évidence, cela ne vaut qu’une fois que les droits sont reconnus, mais la règle d’interprétation est, de par sa nature même, incompatible avec l’approche préconisée par l’Union des municipalités du Nouveau‑Brunswick et la Ville de Saint John. La Cour doit être guidée par la nécessité de donner un sens au bilinguisme institutionnel.
42 Si l’on présume qu’une municipalité est une « institution », cette présomption peut‑elle être réfutée en raison des incohérences internes manifestes de la LLO? La Cour d’appel a répondu à cette question par l’affirmative. En toute déférence, j’estime que, ce faisant, la Cour d’appel semble avoir délaissé la méthode dictée par l’arrêt Beaulac et avoir simplement adopté l’interprétation la plus susceptible d’éliminer les incohérences, résultat auquel elle est parvenue en appliquant la règle de l’uniformité d’expression sans dûment tenir compte de la nature de la LLO. Cette interprétation est inappropriée pour un certain nombre de raisons : premièrement, parce que le contexte législatif est toujours un facteur important pour interpréter une loi; deuxièmement, parce que cette interprétation limite la règle de la cohérence interne au besoin d’uniformité d’expression; troisièmement, parce qu’elle surestime cette règle, qui ne constitue qu’une présomption, une présomption [traduction] « qui n’a pas beaucoup de poids », selon le juge Fauteux dans l’arrêt Sommers c. The Queen, [1959] R.C.S. 678, p. 685. Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 421, P.‑A. Côté explique ce qui suit :
Cette présomption est faible d’abord parce qu’elle présuppose un niveau de qualité dans la rédaction qui, de toute évidence, n’est pas toujours atteint. [. . .] Le sentiment que le texte examiné a été rédigé avec plus ou moins de soin contribuera donc à donner plus ou moins d’autorité au principe. [Renvois omis.]
Et il ajoute par la suite (p. 422) :
Cette présomption a donc pour principale utilité d’attirer l’attention sur une probabilité de sens : comme dans tous les cas, c’est le contexte global qui devra être pris en considération pour établir le sens véritable . . .
Cela dit, je démontrerai plus loin qu’une meilleure interprétation était possible.
43 Pendant l’audience, la Cour a demandé aux avocats si les art. 27 et 36 entraient nécessairement en conflit, c’est‑à‑dire s’ils renvoyaient à des obligations et à des droits identiques. J’ai demandé aux avocats des deux parties s’il était possible de considérer que l’art. 27 crée un droit d’exiger un service dans la langue de son choix et d’obtenir une réponse et un service dans cette langue, alors que l’art. 36 imposait aux municipalités, indépendamment de toute demande, l’obligation d’offrir activement dans les deux langues officielles un certain nombre de services prescrits par règlement. L’AJEFNB n’était pas convaincue de cette possibilité parce qu’elle considérait que l’art. 28 exige que les services soient offerts activement dans la langue choisie; elle a également fait observer que le recoupement à l’art. 29, qui traite de l’affichage public et des autres publications et communications destinées au public, continuerait d’exister. La meilleure solution serait de considérer que, bien qu’elles ne mentionnent pas toutes directement le sens du mot « institution », les dispositions particulières touchant les municipalités, les services de police, les services de santé et les commissions d’aménagement et commissions de gestion des déchets solides constituent des exceptions aux dispositions générales relatives à la communication avec le public.
44 Les services de police ont déjà été décrits comme étant des institutions du gouvernement dans la décision R. c. Gautreau (1989), 101 R.N.‑B. (2e) 1 (B.R.), infirmée pour d’autres motifs à (1990), 109 R.N.‑B. (2e) 54 (C.A.), et l’arrêt R. c. Haché (1993), 139 R.N.‑B. (2e) 81 (C.A.). Pour appliquer l’art. 31 LLO, il ne semble pas nécessaire non plus d’interpréter de manière atténuante les obligations résultant de cette interprétation; en réalité, c’est ce que confirme l’art. 32. Les services de santé sont visés par l’art. 33. Le paragraphe 33(1) élargit la définition du mot « institution » dans ce cas. Comme je l’ai déjà souligné, l’art. 4 restreint le sens du mot « institution » en ce qui concerne les institutions d’enseignement et les institutions culturelles, et ce, conformément à l’art. 16.1 de la Charte. À mon avis, les dispositions susmentionnées indiquent clairement que la définition du mot « institution » à l’art. 1 doit être large et exhaustive. Rien ne permet clairement de croire que cette définition devrait être plus restrictive que celle donnée, en 2001, par la Cour d’appel dans l’arrêt Charlebois. L’intimée a évoqué le fait que la loi des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut exclut expressément les municipalités; l’Ontario aussi exclut expressément les municipalités. Selon moi, cela démontre simplement que le mot « institution » viserait normalement les municipalités.
45 La difficulté tient évidemment au fait que la disposition touchant les municipalités (cela vaut aussi pour la disposition concernant les commissions d’aménagement et les commissions de gestion des déchets solides) ne précise pas que le sens du mot « institution » doit être modifié afin d’éviter un conflit entre les art. 27 à 29, qui sont d’application générale, et l’art. 36, qui porte sur les municipalités et cités. Il en va de même pour les art. 15 et 35 qui traitent de la publication des instruments législatifs.
3.2 Remédier aux incohérences
46 La question à laquelle nous devons répondre est donc de savoir si la disposition concernant les municipalités peut simplement être considérée comme établissant une exception aux dispositions générales qui créent des obligations incompatibles. Cette inférence découlerait du contexte législatif général. Suivant cette interprétation, on reconnaîtrait que la définition du mot « institution » correspond à celle donnée en 2001 par la Cour d’appel, laquelle reflète les obligations constitutionnelles du Nouveau‑Brunswick et l’intention déclarée dans le préambule de la LLO, mais que les obligations générales et les droits prévus dans la LLO sont subordonnés aux droits distincts énoncés dans les dispositions touchant certaines institutions. Ce n’est qu’en cas de conflit entre la disposition générale et la disposition particulière que les obligations générales seraient écartées. Telle est l’interprétation que préconise notamment l’AJEFNB. J’estime que ce point de vue est juste pour un certain nombre de raisons. Premièrement, les expressions générales doivent recevoir une interprétation contextuelle. Côté écrit ceci, à la p. 392 :
Les expressions générales sont particulièrement sensibles à l’influence de leur environnement légal. Premièrement, quelque généraux que soient les termes employés par le législateur, les exigences de cohérence et d’harmonie interne du texte pourront justifier la restriction de la portée de ces expressions.
Il ajoute, aux p. 393‑394 :
Pour donner un effet à des dispositions spéciales d’une loi, il faut souvent interpréter une disposition générale comme excluant les cas couverts par les textes spécifiques. . .
Une disposition spéciale qui entre en conflit avec une disposition générale sera interprétée comme une exception à la disposition générale : specialia generalibus derogant. En cas de conflit, c’est la disposition spécifique qui l’emporte.
On cite souvent, à ce sujet, l’extrait suivant du jugement du juge Romilly dans Pretty c. Solly [(1859) 26 Beav. 606, p. 610, 53 E.R. 1032, p. 1034] :
« Les règles générales qui s’appliquent aux rapports entre les dispositions spéciales et les dispositions générales d’une loi sont très claires, la seule difficulté se trouve dans leur application. Selon la règle, si une loi contient une disposition spéciale et une disposition générale et que cette dernière, entendue dans son sens le plus large, contrecarre la première, il faut que la disposition spéciale produise ses effets, et la disposition générale doit être considérée comme limitée aux autres parties de la loi auxquelles elle peut s’appliquer convenablement. »
47 Suivant cette approche, les tribunaux devraient privilégier la restriction de toutes les obligations incombant aux municipalités et aux cités en matière de communication et de services au public, ainsi que de publication d’arrêtés municipaux, à celles prévues aux art. 35 et 36 LLO. L’interprétation atténuante de la disposition générale elle‑même, par la réduction de la portée de son terme définitoire, n’est pas du tout considérée comme une solution valable. Cependant, telle n’est pas la solution préconisée par l’intimée. Son approche repose sur le fait que les municipalités sont définies séparément des « institutions » à l’art. 1, ce qui tend à démontrer que le législateur n’avait pas l’intention d’adopter la définition du mot « institution » prescrite par la Cour d’appel en 2001. La deuxième raison pour laquelle il conviendrait d’adopter cette approche est que les art. 35 et 36 constituent un code complet de règles parallèles applicables aux municipalités et aux cités. Un problème que pose ce dernier argument réside dans le fait que les municipalités et les cités sont clairement tenues d’adopter la langue choisie par la personne accusée dans une instance fondée sur le par. 20(1).
48 Il importe également de souligner que tout argument reposant sur le fait qu’une disposition de la LLO constitue un code complet se heurterait à l’argument selon lequel les art. 17 à 23 relatifs à l’administration de la justice sont également censés constituer un tel code et que le libellé de ces dispositions n’indique pas que le mot « institution » doit recevoir une interprétation atténuante pour qu’elles puissent s’appliquer. L’application de l’art. 22 aux municipalités et aux cités n’engendrerait aucun conflit avec les autres dispositions de la LLO.
49 De toute évidence, cette réalité n’aurait pas pu échapper à l’analyse attentive de la Cour d’appel. Cette dernière a simplement refusé d’adopter l’approche décrite plus haut parce qu’elle se sentait obligée de donner plein effet à la règle de la cohérence interne qui exigeait, selon elle, que le mot « institution » ait le même sens partout dans la LLO, et notamment aux art. 27 et 36. En toute déférence, je crois que cette approche est, comme je viens de le démontrer, trop formaliste et qu’elle entre assurément en conflit avec les règles d’interprétation applicables aux droits linguistiques. Je crois également que la Cour d’appel n’a pas tenu compte du fait que les commissions sont expressément définies comme étant des institutions à l’art. 1 de la LLO, mais qu’elles sont néanmoins abordées séparément aux art. 39 à 41. Cela tend à démontrer que rien ne permet de conclure que les municipalités ne peuvent pas être incluses dans la définition du mot « institution » du fait que leurs obligations sont traitées dans une autre partie de la LLO.
50 Les règles normales d’interprétation législative prescrivent une méthode contextuelle. Un élément important à considérer dans le présent pourvoi est la proposition selon laquelle le législateur entend mettre en —uvre les droits prévus par la Charte, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour d’appel en 2001, et élargir les garanties constitutionnelles minimales conformément à l’esprit du par. 16(3) de la Charte. La Cour doit donc favoriser l’élargissement des droits et obligations et reconnaître qu’en ce qui concerne certaines institutions les obligations générales ne doivent être limitées que si ces limites sont clairement prescrites, comme à l’art. 4, ou si elles sont implicites, comme dans le cas où il y a conflit entre une disposition générale et une disposition particulière, notamment entre les art. 27 à 29 et l’art. 36. Toutefois, il n’y a aucune raison valable de limiter les obligations prévues à l’art. 22 en interprétant de manière atténuante la définition du mot « institution » alors qu’il n’y a aucun conflit direct entre les art. 22 et 36. En réalité, une interprétation restrictive fondée uniquement sur une application mécanique de la règle de l’uniformité d’expression ne tient compte ni de l’intention du législateur qui ressort du préambule de la LLO, ni du simple fait que le gouvernement a décidé de donner suite à la décision Charlebois de 2001 qui définit le mot « institution », au lieu de se pourvoir devant notre Cour. Non seulement il n’est pas nécessaire d’interpréter de façon atténuante la définition du mot « institution », mais encore il serait contraire aux principes de le faire. Selon l’AJEFNB, il est possible de lire ensemble les art. 27, 28 et 36 de telle sorte que toutes les municipalités soient tenues de répondre à une communication, cette obligation n’étant pas prévue à l’art. 36, mais que seules les municipalités tenues d’offrir les services prévus à l’art. 36 soient assujetties à l’obligation relative aux services imposée par les art. 27 et 28. L’AJEFNB affirme que c’est le meilleur moyen d’appliquer la règle de la cohérence interne. Je suis d’accord. La cohérence interne ne se limite pas à l’uniformité d’expression; cette règle vise surtout à garantir la cohérence des objets et des effets de la LLO.
51 Je tiens à examiner une dernière question, celle de l’art. 37 et du pouvoir d’une municipalité de se déclarer liée par les dispositions de la LLO. L’intimée a soutenu qu’en mentionnant d’autres dispositions de la LLO et non l’art. 36, le législateur a décidé implicitement que l’art. 22 ne s’appliquait pas aux municipalités. Cet argument est insoutenable compte tenu du fait que l’art. 37 mentionne les municipalités, mais non les cités comme le font les art. 35 et 36. La seule inférence réaliste veut que les cités soient exclues de l’art. 37 parce qu’elles sont déjà liées par les art. 35 et 36. Les derniers mots de l’art. 37 font également état de la nécessité d’interpréter la disposition à la lumière de l’objectif de promotion de l’égalité des langues officielles.
3.3 Conclusion
52 Pour conclure à ce sujet, je dirais simplement que le bilinguisme institutionnel était nettement censé s’appliquer à toutes les « institutions » et qu’une restriction des droits généraux mentionnés dans la LLO ne doit être reconnue que si elle est nécessaire pour bien appliquer la LLO. Dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire de limiter la portée de l’art. 22 qui traite de l’administration de la justice. Les difficultés découlant de l’application d’autres parties de la LLO peuvent être résolues parce qu’il y a, dans tous les cas de conflit, des éléments qui indiquent directement ou indirectement l’intention du législateur de restreindre l’application de certaines dispositions générales afin de respecter l’article premier de la Charte ou en raison d’une décision politique de limiter l’élargissement des droits au‑delà du minimum constitutionnellement prescrit.
4. La portée de l’art. 22
53 Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, la Cour est également appelée à délimiter la portée des droits conférés par l’art. 22. La question précise qui lui a été posée est de savoir si les expressions « plaidoiries orales et écrites » et « actes de procédure » visent les éléments de preuve ainsi que la jurisprudence et la doctrine citées. Je conviens avec la Cour d’appel que les expressions susmentionnées n’incluent pas les éléments de preuve produits en cours d’instance, que ce soit ou non sous la forme d’un affidavit. De même, rien n’oblige à traduire la jurisprudence citée ou incorporée dans un recueil de jurisprudence et de doctrine.
54 Bien que le statut quasi constitutionnel de la LLO commande une interprétation téléologique et libérale, rien ne justifie de prêter au législateur l’intention d’élargir la définition des termes utilisés afin de respecter le par. 16(3) de la Charte. Au contraire, tout porte à croire que le législateur était conscient de la différence entre les droits linguistiques et le droit à un procès équitable, et de celle, mentionnée plus haut dans les présents motifs, entre l’emploi de la langue officielle d’une personne dans les plaidoiries, d’une part, et dans les communications avec les bureaux du gouvernement visées au par. 20(1) de la Charte, d’autre part. Un autre facteur important est le fait que les termes « plaidoirie » et « acte de procédure » sont clairement définis dans les dictionnaires (voir H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (3e éd. 2004), p. 433; Black’s Law Dictionary (8e éd. 2004), p. 1191 et 1241‑1242 (« pleadings », « process »)) et la jurisprudence (MacDonald c. Montréal (Ville), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 514 (la juge Wilson, dissidente mais sur un autre point)). Toute intention de s’écarter de ces définitions devrait être clairement exprimée.
55 On a donné une portée plus large à l’art. 20 qu’à l’art. 19. Je suis d’accord avec l’intervenant, le procureur général du Canada, lorsqu’il affirme, au par. 26 de son mémoire : « Puisque le par. 19(2) de la Charte prévoit le droit constitutionnel du procureur représentant la partie gouvernementale de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, l’obligation institutionnelle qu’impose l’article 22 de la [LLO] à la partie gouvernementale ne peut être considérée comme l’expression du par. 19(2) de la Charte. » Cette affirmation est compatible avec les termes employés dans les Règles de procédure du Nouveau‑Brunswick (voir Règl. du N.‑B. 82‑73, par. 27.06(1)) et dans les décisions relatives au régime applicable en matière criminelle (voir les arrêts R. c. Potvin (2004), 69 O.R. (3d) 654 (C.A.), par. 38‑39, et R. c. Simard (1995), 27 O.R. (3d) 97 (C.A.), p. 113).
5. Dispositif
56 Pour les motifs susmentionnés, le pourvoi est accueilli en partie. L’article 22 LLO est déclaré applicable aux municipalités et aux cités. La décision de la Cour d’appel concernant la portée de l’art. 22 est confirmée. L’appelant Mario Charlebois a droit à ses dépens dans toutes les cours. L’AJEFNB a également droit à ses dépens devant notre Cour.
ANNEXE
Dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes
Charte canadienne des droits et libertés
16. . . .
(2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau‑Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick.
(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.
16.1 (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau‑Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.
17. . . .
(2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau‑Brunswick.
18. . . .
(2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès‑verbaux de la Législature du Nouveau‑Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
19. . . .
(2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau‑Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent.
20. . . .
(2) Le public a, au Nouveau‑Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.
Loi sur les langues officielles, L.N.‑B. 2002, ch. O‑0.5
ATTENDU QUE la Constitution canadienne dispose que le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau‑Brunswick et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans toutes les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick;
Qu’elle confère au public, au Nouveau‑Brunswick, le droit à l’usage du français et de l’anglais à la Législature et devant les tribunaux au Nouveau‑Brunswick ainsi que l’accès aux lois de la province dans les langues officielles;
Qu’elle prévoit, en outre, que le public a droit à l’emploi de l’une ou l’autre des langues officielles pour communiquer avec tout bureau des institutions de la Législature ou du gouvernement du Nouveau‑Brunswick ou pour en recevoir les services;
Qu’elle reconnaît également que la communauté linguistique française et que la communauté linguistique anglaise du Nouveau‑Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux dont notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion;
Qu’elle confirme, en matière de langues officielles, le pouvoir de la Législature et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick de favoriser la progression vers l’égalité du statut, des droits et des privilèges qui y sont énoncés;
Il convient donc que le Nouveau‑Brunswick adopte une Loi sur les langues officielles qui respecte les droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés et qui permet à la Législature et au gouvernement de réaliser leurs obligations au sens de la Charte;
À CES CAUSES, Sa Majesté, de l’avis et du consentement de l’Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick, décrète:
Définitions
1 Dans la présente loi
. . .
« cité » désigne une cité au sens de l’article 16 de la Loi sur les municipalités; (“city”)
. . .
« institution » désigne les institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau‑Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant gouverneur en conseil, les ministères, les Sociétés de la Couronne créées sous le régime d’une loi provinciale et tout autre organisme désigné à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou placé sous le contrôle du lieutenant‑gouverneur en conseil ou d’un ministre provincial; (“institution”)
. . .
« municipalité » désigne une municipalité au sens de l’article 1 de la Loi sur les municipalités; (“municipality”)
. . .
Interprétation
. . .
3(1) Toute loi ou ses règlements d’application, autre que la présente loi, ne peuvent être interprétés de manière à supprimer, restreindre ou enfreindre une disposition de la présente loi et, en cas de conflit, la présente loi l’emporte.
. . .
Actes législatifs et autres
. . .
15 Les avis, pièces ou documents dont la présente loi ou toute autre loi exige la publication par la province ou ses institutions sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles.
L’administration de la Justice
. . .
22 Dans une affaire civile dont est saisi un tribunal et à laquelle est partie Sa Majesté du chef du Nouveau‑Brunswick ou une institution, Sa Majesté ou l’institution utilise, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile.
. . .
Communication avec le public
27 Le public a le droit de communiquer avec toute institution et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix.
28 Il incombe aux institutions de veiller à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans la langue officielle de son choix.
28.1 Il incombe aux institutions de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix.
29 Tout affichage public et autres publications et communications destinés au grand public et émanant d’une institution sont publiés dans les deux langues officielles.
. . .
Municipalités
35(1) Une municipalité dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 % de la population totale est tenue d’adopter et de publier ses arrêtés dans les deux langues officielles.
35(2) Les cités sont également tenues d’adopter et de publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles sans égard au pourcentage prévu au paragraphe (1).
35(3) Tout nouvel arrêté ou toute modification à un arrêté existant, adopté après le 31 décembre 2002 par une municipalité ou une cité auxquelles les paragraphes (1) et (2) s’appliquent, doit être adopté et publié dans les deux langues officielles.
35(4) Sauf en ce qui concerne un arrêté visé au paragraphe (3), les municipalités et les cités auxquelles s’appliquent les paragraphes (1) et (2), autre que Moncton, doivent adopter et publier leurs arrêtés dans les deux langues officielles au plus tard le 31 décembre 2005.
35(5) Le paragraphe (3) s’applique, avec les modifications nécessaires, aux procès‑verbaux des séances du conseil municipal;
36 Les municipalités et les cités visées aux paragraphes 35(1), (2) ainsi qu’à l’article 37 sont tenues d’offrir, dans les deux langues officielles, les services et les communications prescrits par règlement.
37 Toute municipalité peut, par arrêté de son conseil municipal, se déclarer liée par les dispositions de la présente loi et rien à la présente loi ne porte atteinte ou ne limite le pouvoir des municipalités de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.
Règlement sur les services et communications — Loi sur les langues officielles, Règl. du N.‑B. 2002‑63
Municipalités
3(1) Les services et communications énumérés à la colonne I de l’annexe A sont prescrits aux fins de l’article 36 de la Loi.
3(2) Toute municipalité, à laquelle s’applique l’article 36 de la Loi, qui offre un service ou une communication énuméré à la colonne I de l’annexe A, doit le faire dans les deux langues officielles au plus tard à la date limite fixée qui figure à la colonne II de l’annexe A correspondant au service ou communication de la colonne I de cette annexe.
. . .
ANNEXE A
MUNICIPALITÉS - SERVICES ET COMMUNICATIONS
Colonne I
Colonne II
1 Sous réserve des articles 2 à 10,
a) avis publics de nature générale, incluant les avis de soumission, annonces, documents d’information publique et ordres du jour du conseil
31 décembre 2002
b) nouveaux sites Web électroniques
31 décembre 2002
c) sites Web électroniques existants
31 décembre 2003
d) nouvelles affiches pour les édifices et installations
31 décembre 2002
e) affiches existantes des édifices et installations
31 décembre 2003
f) nouveaux panneaux de circulation
31 décembre 2002
g) panneaux de circulations existants
31 décembre 2005
h) réponses aux demandes de renseignements du public, qu’elles soient écrites, orales ou électroniques, incluant les plaintes, incidents signalés et services de réception
31 décembre 2003
i) factures et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de facturation
31 décembre 2003
2 Billets de contravention, avertissements et avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services d’exécution des arrêtés municipaux
31 décembre 2003
3 Avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services récréatifs, culturels et de loisirs
31 décembre 2003
4 Permis, demandes de permis et avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de permis municipaux
31 décembre 2003
5 Avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services des travaux et services publics
31 décembre 2003
6 Avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de transport en commun
31 décembre 2003
7 Services d’inspection, permis, demandes de permis et avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services d’inspection des bâtiments
31 décembre 2003
8 Avis publics, informations, programmes éducatifs et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de prévention du crime
31 décembre 2005
9 Avis publics, informations et réponses aux demandes de renseignements concernant les services d’aménagement et de développement communautaire et les services relatifs à l’application de la Loi sur l’urbanisme
31 décembre 2005
10 Avis publics, informations, programmes éducatifs et réponses aux demandes de renseignements concernant les services de prévention d’incendies
31 décembre 2005
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents.
Procureur de l’appelante l’Association des juristes d’expression française du Nouveau‑Brunswick : Université de Moncton, Moncton.
Procureur de l’intimée : Mélanie C. Tompkins, Saint John.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Sous‑procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureurs de l’intervenante l’Union des municipalités du Nouveau‑Brunswick : Barry Spalding, Saint John.
Procureur de l’intervenante la Commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. : Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg.