Nova Scotia Power Inc. c. Canada, [2004] 3 R.C.S. 53, 2004 CSC 51
Nova Scotia Power Inc. Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : Nova Scotia Power Inc. c. Canada
Référence neutre : 2004 CSC 51.
No du greffe : 29649.
Audition et jugement : 11 juin 2004.
Motifs déposés : 16 juillet 2004.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [2003] 2 C.T.C. 180, 2003 D.T.C. 5090, 299 N.R. 374, [2003] A.C.F. no 79 (QL), 2003 CAF 33, qui a infirmé une décision de la Cour canadienne de l’impôt, [2002] 1 C.T.C. 2276, 2002 D.T.C. 1432, [2002] A.C.I. no 53 (QL). Pourvoi rejeté.
Warren J. A. Mitchell, c.r., et Douglas H. Mathew, pour l’appelante.
Urszula Kaczmarczyk et Michael J. Lema, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Major — Le refus de déductions fiscales est à l’origine du présent litige. Or, comme l’a souligné avec justesse l’avocat de l’appelante, Me Mitchell, le litige porte maintenant sur le statut de mandataire de l’État. Ainsi, la déductibilité fiscale n’est pas l’objet du présent pourvoi.
2 La question est de savoir si la Nova Scotia Power Corporation (« NSPC »), constituée par la Nouvelle‑Écosse, était un mandataire de la province et bénéficiait de ce fait de l’immunité prévue à l’art. 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, à l’égard de l’application des lois.
3 La Cour d’appel fédérale a conclu que les dispositions de la loi provinciale désignant expressément la NSPC mandataire de la province réglaient la question. Nous partageons cet avis et rejetons le pourvoi avec dépens.
I. Faits
4 La présente affaire a commencé par un renvoi à la Cour canadienne de l’impôt. Les parties se sont fondées sur l’exposé conjoint des faits reproduit dans les décisions des tribunaux inférieurs. Voici le résumé des faits importants.
5 En 1973, par l’adoption de la Power Corporation Act, S.N.S. 1973, ch. 47, le gouvernement de la Nouvelle‑Écosse a constitué la NSPC pour la production et la distribution d’électricité dans la province. En 1992, le gouvernement a privatisé la NSPC en adoptant la Nova Scotia Power Privatization Act, S.N.S. 1992, ch. 8, qui prévoyait la vente des éléments d’actif de la NSPC à l’appelante, la Nova Scotia Power Incorporated.
6 Suivant la Nova Scotia Power Privatization Act, le coût en capital des biens acquis par l’appelante équivalait à leur coût d’origine pour la NSPC. Avant 1992, cette dernière n’avait ni produit de déclarations de revenus ni déduit l’amortissement de ses éléments d’actif ni imputé à leur coût en capital les intérêts payés sur les sommes empruntées pour les acquérir.
7 Après leur achat, l’appelante a déduit l’amortissement des éléments d’actif qu’elle avait acquis. Afin d’accroître le montant de la déduction, l’appelante désirait maximiser le coût en capital initial des biens et entendait y parvenir en faisant en sorte que la NSPC produise des déclarations de revenus pour les années 1980 à 1992 et y effectue le choix permettant d’imputer les frais d’intérêt au coût en capital.
8 Le ministre du Revenu national a refusé les déductions découlant de l’augmentation du coût en capital au motif que l’art. 17 de la Loi d’interprétation soustrayait la NSPC, à titre de mandataire de l’État, à l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). L’appelante a signifié son désaccord et les parties ont soumis à la Cour canadienne de l’impôt les deux questions suivantes :
[traduction] [J]usqu’en 1992, année où elle s’est dessaisie de ses éléments d’actif :
(1) La Nova Scotia Power Corporation a‑t‑elle exercé ses principales activités productrices de revenus en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine, de sorte que l’article 2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (y compris les dispositions accessoires telles que l’article 21 de la Loi) ne s’y appliquait pas?
(2) Dans la négative, la Nova Scotia Power Corporation était‑elle mandataire de Sa Majesté la Reine à l’égard de la propriété des éléments d’actif utilisés au sein de son entreprise, de sorte que l’article 21 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas aux biens amortissables acquis par la société?
II. Historique judiciaire
9 S’appuyant sur les critères de contrôle établis en common law pour déterminer si une entité est mandataire de l’État, le juge en chef adjoint Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt, a conclu que le degré de contrôle exercé par la province de la Nouvelle‑Écosse n’était pas suffisant pour faire de la NSPC un mandataire de l’État. Au vu de ses activités, il a estimé que la société n’était pas un mandataire, mais agissait pour son propre compte : [2002] 1 C.T.C. 2276.
10 La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de cette décision : [2003] C.T.C. 180, 2003 CAF 33. Le juge Pelletier a conclu qu’il fallait donner effet à la désignation expresse de la NSPC à titre de mandataire de l’État. Selon lui, la question n’était pas de savoir si la NSPC était mandataire de l’État, mais bien quels objectifs sous‑tendaient sa désignation. Il a conclu que la NSPC était un mandataire de l’État agissant dans le cadre de ses objectifs, de sorte qu’elle avait droit à l’exception prévue au bénéfice de l’État.
III. Questions en litige
11 (1) L’article 4 de la Power Corporation Act fait‑il de la NSPC un mandataire de l’État?
(2) La NSPC agissait‑elle dans le cadre des objectifs pour lesquels elle avait été désignée mandataire de l’État?
IV. Analyse
12 Une entité peut être mandataire de l’État dans deux cas. Dans le premier, l’État exerce sur elle un contrôle suffisant pour que l’on puisse dire qu’elle est soumise à un contrôle de droit, ce qui exige un examen attentif de la relation entre les parties : voir R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551, p. 573-574. Le ministre intimé a concédé devant la Cour d’appel fédérale que le degré de contrôle exercé par la province de la Nouvelle‑Écosse sur la NSPC ne satisfait pas au critère du contrôle de droit.
13 Dans le deuxième cas, le législateur désigne expressément l’entité mandataire de l’État : Eldorado Nucléaire, précité, p. 575‑576. C’est ce qu’il a fait en l’espèce. Il semble que la législature de la Nouvelle‑Écosse n’ait pas voulu que le statut de la société soit déterminé par la common law, d’où le par. 4(1) de la Power Corporation Act :
[traduction]
4 (1) La Commission est maintenue comme personne morale et mandataire de Sa Majesté du chef de la province sous le nom de Nova Scotia Power Corporation et se compose d’un conseil d’administration formé de son président, du directeur général et d’au plus douze autres administrateurs. [Je souligne.]
14 L’intimée soutient que, en raison de l’art. 17 de la Loi d’interprétation, la NSPC, à titre de mandataire de l’État, échappe à l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Or, la jurisprudence prévoit une deuxième condition pour qu’un mandataire de l’État bénéficie d’une telle immunité. L’entité doit agir dans le cadre des objectifs pour lesquels le législateur l’a désignée mandataire de l’État : voir Eldorado Nucléaire, précité; Société Radio‑Canada c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 339; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225.
15 L’appelante fait valoir que le seul examen du par. 4(1), qui désigne la NSPC mandataire de l’État, ne permet pas de déterminer les objectifs sous‑tendant cette désignation. Il appert, à la lecture de la loi, que l’intention du législateur était que la NSPC exerce ses activités productrices de revenus et fasse l’acquisition des éléments d’actif nécessaires à titre de mandant, et non de mandataire. Selon l’appelante, la désignation ne valant pas pour tous objectifs, la portée du mandat doit être dégagée de la loi dans son ensemble.
16 L’intimée rétorque que ces objectifs n’ont pas à être dégagés de la loi : ils sont énoncés expressément à l’art. 6 de la Power Corporation Act. J’estime que l’intimée a raison et que les objectifs de la NSPC ressortent de l’art. 6 :
[traduction]
6 La société est chargée de développer pour la Nouvelle‑Écosse l’utilisation maximale de l’énergie de façon économique et efficace et, à cette fin, elle peut, en Nouvelle‑Écosse et ailleurs, s’occuper de la production, du transport, de la distribution, de l’approvisionnement et de l’utilisation de l’électricité, de l’eau, de la vapeur, du gaz, du pétrole et d’autres produits utilisés ou utiles dans la production d’énergie.
17 Aucune preuve n’a été avancée selon laquelle, en acquérant et en possédant les éléments d’actif visés en l’espèce, la NSPC n’a pas respecté les objectifs fixés à l’art. 6.
18 La NSPC était un mandataire de l’État agissant dans le cadre des objectifs pour lesquels ce statut lui avait été conféré. Le présent pourvoi est donc rejeté avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Thorsteinssons, Toronto.
Procureur de l’intimée : Sous-procureur général du Canada, Toronto.