Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, 2004 CSC 31
Colleen Pritchard Appelante
c.
Commission ontarienne des droits de la personne Intimée
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
Commission canadienne des droits de la personne et
Commission des droits de la personne du Manitoba Intervenants
Répertorié : Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne)
Référence neutre : 2004 CSC 31.
No du greffe : 29677.
Audition et jugement : 23 mars 2004.
Motifs déposés : 14 mai 2004.
Présents : Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps et Fish.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2003), 63 O.R. (3d) 97, 167 O.A.C. 356, 223 D.L.R. (4th) 85, 22 C.C.E.L. (3d) 201, 27 C.P.C. (5th) 223, [2003] O.J. No. 215 (QL), qui a annulé un jugement de la Cour divisionnaire, [2002] O.J. No. 1169 (QL), ordonnant la production d’un avis juridique établi par une avocate interne de la Commission ontarienne des droits de la personne. Pourvoi rejeté.
Geri Sanson et Mark Hart, pour l’appelante.
Anthony D. Griffin et Hart Schwartz, pour l’intimée.
Christopher M. Rupar, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Leslie M. McIntosh, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Andrea Wright et Monette Maillet, pour l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne.
Aaron L. Berg, pour l’intervenante la Commission des droits de la personne du Manitoba.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Major —
I. Introduction
1 L’appelante, Mme Colleen Pritchard, a déposé devant l’intimée, la Commission ontarienne des droits de la personne, une plainte contre son ancien employeur, Sears Canada Inc., alléguant avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe, de harcèlement sexuel et de représailles. En application de l’al. 34(1)b) du Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H.19 (le « Code »), la Commission a décidé de ne pas traiter la plainte. L’appelante a demandé la révision
judiciaire de cette décision et présenté une requête pour contraindre la Commission à produire tous les documents qu’elle avait en sa possession au moment de rendre sa décision, y compris l’avis juridique de son avocate interne.
2 À l’audience, la juge des requêtes MacFarland, de la Cour divisionnaire, a ordonné la production des documents demandés, ordonnance qu’une formation de trois juges de cette cour a ultérieurement confirmée. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision, estimant plutôt que l’avis juridique était une communication privilégiée. L’appel a été rejeté, avec motifs à suivre.
II. Contexte factuel
3 Le 19 juillet 1996, Sears a mis fin à l’emploi de l’appelante. En janvier 1997, cette dernière a saisi la Commission d’une plainte dans laquelle elle alléguait avoir fait l’objet de discrimination fondée sur le sexe, de harcèlement sexuel et de représailles. En ce qui concerne les représailles, l’appelante soutenait que Sears avait refusé de la reprendre dans un poste annoncé en décembre 1996 en raison de plaintes déposées à la Commission en 1994 pour harcèlement sexuel et discrimination, et omission de l’employeur de prendre des mesures à l’égard des problèmes qu’elle avait signalés à bon droit.
4 Le 20 janvier 1998, en application de l’al. 34(1)b) du Code, la Commission a refusé de traiter la majeure partie de la plainte de l’appelante. Elle estimait que l’appelante avait agi de mauvaise foi en présentant une plainte puisque, auparavant, elle avait expressément renoncé à toute demande fondée sur le Code.
5 Plus particulièrement, le document signé par l’appelante précisait qu’elle renonçait à exercer tout recours contre Sears relativement à son emploi, y compris [traduction] « une demande d’indemnité de cessation d’emploi ou de licenciement sous le régime de la Loi sur les normes d’emploi et une demande fondée sur le Code des droits de la personne ». En contrepartie, l’appelante avait touché les sommes auxquelles elle avait droit en vertu de la Loi sur les normes d’emploi, L.R.O. 1990, ch. E.14, plus deux semaines de salaire.
6 Le 23 juin 1998, saisie d’une demande de réexamen présentée par l’appelante en application de l’art. 37 du Code, la Commission a refusé d’examiner les questions se rapportant à la cessation d’emploi; elle a en substance confirmé la décision du 20 janvier de ne pas traiter la plupart des éléments de la plainte.
7 Le 28 octobre 1998, l’appelante a demandé la révision judiciaire des décisions. La Commission n’a pas contesté la demande. Elle a plutôt remis à la cour et à l’appelante une lettre de son avocate expliquant pourquoi elle ne contestait pas la demande et pourquoi l’ensemble de la plainte devait lui être renvoyé pour enquête. Malgré l’opposition de Sears, la Commission a même offert de régler le litige. Après avoir conclu que la Commission avait mal interprété la notion de « mauvaise foi » et qu’elle n’avait pas appliqué le bon critère dans le cadre du réexamen, la Cour supérieure de justice, Cour divisionnaire, a annulé les décisions de la Commission ((1999), 45 O.R. (3d) 97). L’affaire a été renvoyée à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision sur le fondement de l’art. 34 du Code. L’appel interjeté par Sears a été rejeté.
8 Dans le cadre du nouvel examen, la Commission s’est encore une fois prévalu du pouvoir discrétionnaire, conféré à l’al. 34(1)b) du Code, de ne pas traiter la plus grande partie de la plainte. Dans sa décision du 20 décembre 2000, elle a invoqué des motifs qui sont d’une frappante ressemblance avec ceux de sa première décision. Elle a soutenu à nouveau que l’appelante avait agi de mauvaise foi. Le 11 janvier 2001, l’appelante a demandé une deuxième révision judiciaire. Dans l’avis de requête, elle sollicitait l’annulation de la deuxième décision de la Commission, alléguant l’erreur dans l’exercice de la compétence, y compris l’excès de compétence, le non-respect de l’équité procédurale, ainsi que la violation des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
9 Dans le cadre de cette deuxième révision judiciaire, l’appelante a demandé la production de divers documents, dont un avis juridique remis aux membres de la Commission. Cette dernière a refusé de produire les documents, et l’appelante a demandé à la juge MacFarland, de la Cour supérieure de justice, d’ordonner la production de [traduction] « tous les éléments d’information — tant oraux qu’écrits — dont avait disposé la Commission pour procéder à l’examen à l’issue duquel elle avait rendu sa décision en application de l’al. 34(1)b) du Code ».
III. Historique judiciaire
10 Le 6 juillet 2001, la juge MacFarland, de la Cour supérieure de justice, Cour divisionnaire, a accueilli la requête de l’appelante et ordonné la production de tous les documents, y compris l’avis juridique de l’avocate de la Commission ((2001), 148 O.A.C. 260). Six mois plus tard, soit le 10 janvier 2002, une formation de trois juges de la Cour divisionnaire ([2002] O.J. No. 1169 (QL)) a entendu l’appel accéléré relativement à la seule question de la production de l’avis juridique et confirmé l’ordonnance de la juge MacFarland. Aucun des tribunaux inférieurs n’a obtenu copie de l’avis juridique en cause.
11 Le 29 janvier 2003, la Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel, annulé les ordonnances des tribunaux inférieurs concernant l’avis juridique et ordonné que les copies de l’avis juridique versées à son dossier soit mises sous scellés ((2003), 63 O.R. (3d) 97).
IV. Dispositions législatives applicables
12 Il est possible de statuer sur le présent pourvoi à partir de la seule jurisprudence, mais les art. 34, 37 et 39(6) du Code établissent le contexte dans lequel la Commission a rendu ses décisions. En voici le libellé :
34 (1) S’il appert à la Commission que, selon le cas :
a) la plainte pourrait ou devrait plutôt être traitée en vertu d’une autre loi;
b) la plainte est futile, frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi;
c) la plainte n’est pas de son ressort;
d) les faits sur lesquels la plainte est fondée se sont produits plus de six mois avant son dépôt, à moins que la Commission ne soit convaincue que le retard s’est produit de bonne foi et qu’il ne causera de préjudice important à personne,
la Commission peut, à sa discrétion, décider de ne pas traiter la plainte.
(2) Si la Commission décide de ne pas traiter une plainte, elle communique par écrit au plaignant sa décision motivée et l'informe de la marche à suivre, aux termes de l'article 37, pour demander un réexamen de la décision.
37 (1) Dans les quinze jours qui suivent la date de la mise à la poste de la décision motivée visée au paragraphe 34(2) ou 36(2), ou dans un délai plus long, selon ce que la Commission peut autoriser pour des raisons particulières, un plaignant peut demander à la Commission de réexaminer sa décision en déposant une demande de réexamen contenant un énoncé concis des faits substantiels à l’appui de la demande.
(2) À la réception d’une demande de réexamen, la Commission en informe la personne qui fait l’objet de la plainte le plus tôt possible et lui donne la possibilité de faire des observations écrites à ce sujet dans le délai que la Commission lui impartit.
(3) Toute décision motivée de la Commission quant à une demande de réexamen est consignée et immédiatement communiquée au plaignant et à la personne qui fait l’objet de la plainte. La décision est définitive.
39 . . .
(6) Les membres du tribunal qui entendent une plainte ne doivent pas avoir pris part avant l’audience à une enquête ni à une étude de la question faisant l’objet de l’enquête. Ils ne doivent communiquer directement ou indirectement avec personne, notamment une partie ou son représentant, au sujet de la question faisant l’objet de l’enquête, si ce n’est après en avoir avisé les parties et leur avoir fourni l’occasion de participer. Toutefois, la commission d’enquête peut solliciter les conseils juridiques d’un expert indépendant des parties, auquel cas la teneur des conseils donnés est communiquée aux parties pour qu’elles puissent présenter des observations quant au droit applicable.
V. Questions en litige
13 La seule question que soulève le présent pourvoi est de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en infirmant la décision de la juge des requêtes ordonnant la production de l’avis juridique. Rédigé pour la Commission par son avocate interne, l’avis juridique bénéficie-t-il du privilège avocat‑client de la même manière que l’opinion donnée par un avocat externe mandaté à cette fin?
VI. Analyse
A. Définition du privilège avocat‑client
14 Le privilège avocat‑client s’entend du lien privilégié existant entre un client et son avocat. Lorsqu’il consulte son avocat, le client doit sentir qu’il peut s’exprimer librement et en toute franchise au sujet de ce qui le préoccupe et qu’il bénéficie d’une protection à cet égard, de façon que, comme notre Cour l’a reconnu, le système de justice puisse bien fonctionner : voir Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, par. 46.
15 Dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837, le juge Dickson a énoncé les critères permettant d’établir l’existence du privilège avocat-client. Il doit s’agir d’« (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle ». À une certaine époque, le privilège ne s’appliquait qu’aux communications intervenues au cours d’un litige, mais il s’est ensuite appliqué à toute consultation juridique sur une question litigieuse ou non : voir Solosky, p. 834.
16 Généralement, le privilège avocat-client s’applique dans la mesure où la communication s’inscrit dans le cadre habituel et ordinaire de la relation professionnelle. Une fois son existence établie, le privilège a une portée particulièrement large et générale. Dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 893, notre Cour a statué que le privilège s’attachait « à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client‑avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel ». Le privilège ne s’étend pas aux communications : (1) qui n’ont trait ni à la consultation juridique ni à l’avis donné, (2) qui ne sont pas censées être confidentielles ou (3) qui visent à faciliter un comportement illégal : voir Solosky, précité, p. 835.
17 Comme l’a écrit notre Cour dans R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 2 :
Le secret professionnel de l’avocat [le privilège avocat-client] s’entend du privilège qui existe entre un client et son avocat et qui est fondamental pour le système de justice canadien. Le droit est un écheveau complexe d’intérêts, de rapports et de règles. L’intégrité de l’administration de la justice repose sur le rôle unique de l’avocat qui donne des conseils juridiques à des clients au sein de ce système complexe. La notion selon laquelle une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat pour qu’il soit en mesure de la représenter pleinement est au cœur de ce privilège.
Le privilège est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles, notamment en cas de risque véritable qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à tort.
18 Dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, notre Cour a confirmé que le privilège avocat-client doit être quasi absolu et ne doit souffrir que de rares exceptions. S’exprimant au nom de notre Cour à ce sujet, la juge Arbour a rappelé les principes énoncés dans McClure :
. . . le secret professionnel de l’avocat [le privilège avocat-client] doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas. [Souligné dans l’original.]
(La juge Arbour dans Lavallee, précité, par. 36, citant le juge Major dans McClure, par. 35.)
19 Selon notre Cour, le privilège avocat-client s’applique lorsqu’un avocat salarié de l’État donne un avis juridique à son client, l’organisme gouvernemental : voir R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 49. Dans cette affaire, les policiers appelants tentaient d’obtenir l’avis juridique que le ministère de la Justice avait fourni à la GRC et auquel cette dernière affirmait s’être fiée de bonne foi. Pour circonscrire le privilège avocat‑client applicable à un avocat de l’État, le juge Binnie a comparé les fonctions qu’il exerce au sein d’un organisme gouvernemental à celles de l’avocat salarié d’une entreprise. Il a expliqué que le privilège avocat-client s’applique lorsque l’avocat du gouvernement donne au « ministère client » des conseils juridiques qui seraient habituellement protégés. Toutefois, à l’instar des conseils donnés par un avocat d’affaires à titre de gestionnaire ou autrement qu’en qualité de juriste, les conseils donnés par un avocat du gouvernement au sujet de questions de politique générale qui n’ont rien à voir avec les compétences en droit de l’intéressé ne jouissent pas de la protection du privilège.
20 Vu la nature du travail d’un avocat interne, dont les fonctions sont souvent à la fois juridiques et non juridiques, chaque situation doit être évaluée individuellement pour déterminer si les circonstances justifient l’application du privilège. Ce dernier s’appliquera ou non selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni : Campbell, précité, par. 50.
21 Comme je l’indique précédemment, lorsqu’il s’applique, le privilège avocat‑client protège une vaste gamme de communications entre avocat et client. Il vise tant l’avis donné à un organisme administratif par un avocat salarié que l’avis donné dans le contexte de l’exercice privé du droit. Lorsqu’un avocat salarié donne des conseils que l’on qualifierait de privilégiés, le fait qu’il est un avocat « interne » n’écarte pas l’application du privilège ni n’en modifie la nature.
B. L’exception fondée sur un intérêt commun
22 L’appelante prétend que le privilège avocat‑client ne peut empêcher la divulgation d’une communication à une personne ayant, avec le client en question, un « intérêt commun » quant à l’objet de la communication. L’exception fondée sur l’« intérêt commun » ne s’applique pas à la Commission puisque ses intérêts ne coïncident pas avec ceux des personnes qui se présentent devant elle. Le rôle de la Commission, à l’égard des plaintes relatives aux droits de la personne, demeure celui d’un gardien impartial, et par définition, elle n’a pas d’intérêt dans le dénouement d’une affaire.
23 L’exception fondée sur l’intérêt commun a été invoquée à l’encontre du privilège avocat‑client dans une affaire où les deux parties avaient consulté ensemble un avocat. Voir R. c. Dunbar (1982), 138 D.L.R. (3d) 221 (C.A. Ont.), le juge Martin, p. 245 :
[traduction] Il ressort de la jurisprudence que lorsqu’une question présente un intérêt pour deux personnes ou plus qui consultent de concert un avocat, leurs communications confidentielles avec l’avocat, même si elles leur sont connues, bénéficient d’un privilège vis-à-vis des tiers. Toutefois, en ce qui concerne les rapports entre les parties, toutes deux sont censées prendre part à toutes les communications intervenant entre elles et leur avocat et en être informées. Par conséquent, si une controverse ou un différend vient à les opposer, le privilège ne s’applique pas, et l’une ou l’autre peut exiger la divulgation de la communication. . .
24 L’exception fondée sur l’intérêt commun est apparue dans un contexte où des parties visant un même objectif ou cherchant à obtenir un même résultat possédaient [traduction] un « même intérêt », pour reprendre l’expression employée par le maître des rôles lord Denning dans Buttes Gas & Oil Co. c. Hammer (No. 3), [1980] 3 All E.R. 475 (C.A.), p. 483. La portée de cette exception a été quelque peu élargie. En effet, elle s’applique désormais lorsqu’une obligation fiduciaire ou apparentée existant entre les parties a fait naître un intérêt commun. Cela comprend les relations fiduciaire-bénéficiaire, celles entre l’État et les autochtones et certains types de rapports contractuels ou de rapports mandant-mandataire.
25 Il n’y a ni lien fiduciaire entre la Commission et les parties qui se présentent devant elle, ni obligation fiduciaire de la Commission envers ces parties. La Commission est un organe décisionnel établi par la loi. La jurisprudence invoquée par l’appelante se rapporte aux fiducies, à l’obligation fiduciaire et aux obligations contractuelles. Une distinction peut alors aisément être faite d’avec la présente affaire, et les décisions citées n’appuient pas la prétention de l’appelante. L’exception fondée sur l’intérêt commun ne s’applique pas à une instance administrative et aux parties qui se présentent devant elle.
26 L’appelante s’est en grande partie appuyée sur l’arrêt Melanson c. Nouveau-Brunswick (Commission des accidents du travail) (1994), 146 R.N.-B. (2e) 294, de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick. Dans cette affaire, la Cour d’appel a ordonné la tenue d’une nouvelle audience au motif que la Commission des accidents du travail n’avait pas respecté l’équité procédurale dans le traitement de la demande présentée par l’appelante. Elle a conclu que le comité de révision avait commis plusieurs erreurs importantes, contrairement à son obligation d’agir équitablement. Au nombre de ces erreurs figuraient l’omission d’informer l’appelante de sa première décision, le choix de faire de la demande de l’appelante une cause type et ce, à son insu et en partie à ses dépens, et la production de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été communiqués à l’appelante. Pour ces motifs, la Cour d’appel a conclu dans la ratio decidendi que « le vice qui a entaché le niveau intermédiaire, soit le comité de révision, a de façon irrévocable terni les procédures » (par. 31). Ses autres observations concernant la production d’un avis juridique constituaient des remarques incidentes. Pour décider si un avis juridique doit être produit, il convient de déterminer si, par sa nature, il entre dans la catégorie des communications privilégiées. Dans l’affirmative, le privilège s’applique. L’appelante commet une erreur en s’appuyant ainsi sur l’arrêt Melanson.
C. Application à la présente espèce
27 Comme je l’ai indiqué précédemment, la communication entre la Commission et son avocate interne était protégée par le privilège avocat‑client.
28 L’avis que l’avocate a fourni à la Commission était un avis juridique. La Commission pouvait à son gré tenir compte ou non de cet avis établi par son avocate interne ou salariée. Il entre dans la catégorie des communications protégées par le privilège avocat‑client. Le fait qu’il a été fourni par une avocate interne ne change pas la nature de la communication ni celle du privilège.
29 Aucune exception ne soustrait la communication à l’application du privilège. Il n’existe entre la Commission et les parties qui se présentent devant elle aucun intérêt commun susceptible de justifier la divulgation. Notre Cour n’est pas non plus disposée à créer une nouvelle exception de common law à partir des faits de l’espèce.
30 Avec déférence, la juge des requêtes a eu tort de se fonder sur les remarques incidentes de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick dans Melanson et d’ordonner la production de l’avis juridique.
31 L’équité procédurale n’exige pas la divulgation d’un avis juridique protégé par le privilège avocat‑client. Son respect s’impose dans le cadre d’une instance tant judiciaire qu’administrative. Elle ne compromet pas l’application du privilège avocat‑client; les deux principes peuvent coexister sans que l’un ne nuise à l’autre. De plus, même si l’avis juridique n’a pas été produit, l’appelante connaissait la preuve qu’elle devait réfuter. La notion d’équité imprègne tous les aspects du système de justice, et l’un de ses aspects fondamentaux est le privilège avocat-client.
32 L’article 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1, dispose :
10 Lorsqu’un avis d’une requête en révision judiciaire d’une décision rendue dans l’exercice réel ou prétendu d’une compétence légale de décision est signifié à la personne qui a rendu la décision, celle‑ci dépose sans délai au greffe, aux fins de la requête, le dossier de l’instance d’où émane la décision.
33 Un texte législatif visant à limiter ou à écarter l’application du privilège avocat‑client sera interprété restrictivement : voir Lavallee, précité, par. 18. Le privilège avocat‑client ne peut être supprimé par inférence. Si, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, un organisme administratif est maître de sa procédure, il reste que ces pouvoirs doivent être exercés conformément aux règles de justice naturelle et à la common law.
34 Lorsque le législateur exige d’un organisme administratif qu’il communique aux parties à une procédure relevant de sa compétence l’ensemble du dossier, et qu’il est précisé que « l’ensemble du dossier » comprend les avis obtenus par l’organisme administratif, le privilège ne pourra être invoqué vu l’absence d’attentes en matière de confidentialité. La question de savoir si, par ailleurs, le législateur peut écarter expressément le privilège avocat‑client est matière à controverse et ne fait pas l’objet du présent pourvoi.
35 Quoi qu’il en soit, l’art. 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire n’exprime pas clairement et sans équivoque l’intention d’écarter le privilège avocat‑client ni ne précise que le « dossier » comprend les avis juridiques. L’on ne saurait donc interpréter l’expression « dossier de l’instance » comme englobant les communications privilégiées entre la Commission et son avocate.
VII. Dispositif
36 La communication intervenue entre la Commission et son avocate interne est protégée par le privilège avocat‑client. Il s’agissait de l’avis d’une conseillère juridique professionnelle — l’avocate interne de la Commission — donné en cette qualité et à titre confidentiel à la cliente, la Commission. Par conséquent, le pourvoi est rejeté, et la décision de la Cour d’appel de l’Ontario est confirmée. Aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens devant notre Cour. Il incombera à la Cour divisionnaire de rendre toute ordonnance qu’elle jugera appropriée en ce qui concerne les dépens afférents à la révision judiciaire dont elle sera saisie.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelante : Sanson & Hart, Toronto.
Procureur de l’intimée : Commission ontarienne des droits de la personne, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Sous-procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne : Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa.
Procureur de l’intervenante la Commission des droits de la personne du Manitoba : Commission des droits de la personne du Manitoba, Winnipeg.