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12/02/2004 | CANADA | N°2004_CSC_5

Canada | R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (12 février 2004)


R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193, 2004 CSC 5

Michael Garfield Lyttle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Lyttle

Référence neutre : 2004 CSC 5.

No du greffe : 29412.

2003 : 17 octobre; 2004 : 12 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 61 O.R. (3d) 97, 167 C.C.C. (3d) 503, 4 C.R. (6th) 1, 163 O.A.C. 33, [2002] O.J. N

o. 3308 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure de justice. Pourvoi accueilli.

David M. Tanovich, pour l’app...

R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193, 2004 CSC 5

Michael Garfield Lyttle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Lyttle

Référence neutre : 2004 CSC 5.

No du greffe : 29412.

2003 : 17 octobre; 2004 : 12 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2002), 61 O.R. (3d) 97, 167 C.C.C. (3d) 503, 4 C.R. (6th) 1, 163 O.A.C. 33, [2002] O.J. No. 3308 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure de justice. Pourvoi accueilli.

David M. Tanovich, pour l’appelant.

Shelley Hallett, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Les juges Major et Fish —

I. Aperçu

1 Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité. Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.

2 Voilà pourquoi le droit de l’accusé de contre‑interroger les témoins à charge — sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées — est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière.

3 En l’espèce, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait indûment limité le droit de l’accusé de mener un contre‑interrogatoire complet et approprié du principal témoin à charge. Nous souscrivons à cette conclusion.

4 Nous sommes nous aussi d’avis que l’erreur commise par le juge résulte de son application erronée, mais compréhensible, de l’arrêt de notre Cour R. c. Howard, [1989] 1 R.C.S. 1337. S’estimant lié par cette décision, le juge du procès a exigé de l’appelant qu’il [traduction] « étaye par une preuve de fond » chacune des hypothèses factuelles que son avocate avait l’intention de soumettre à un témoin à charge en contre‑interrogatoire. Comme l’a clairement indiqué la Cour d’appel, il ne s’agit pas là du droit applicable : l’arrêt Howard n’a pas modifié la règle établie à cet égard et il n’a pas eu pour effet d’ajouter un fardeau de preuve à l’obligation de bonne foi qui est depuis longtemps considérée comme la norme applicable.

5 La Cour d’appel a néanmoins jugé qu’il était possible de remédier à l’application erronée de l’arrêt Howard par le juge du procès au moyen de l’exception relative aux erreurs sans conséquence prévue au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.

6 En toute déférence, nous arrivons à une conclusion différente, et ce pour les raisons suivantes.

7 Premièrement, la décision contestée du juge du procès a eu un effet inhibiteur sur l’avocate de la défense, elle a perturbé le rythme de ses contre‑interrogatoires et elle a clairement limité leur portée.

8 Deuxièmement, la décision a obligé l’avocate de la défense à citer, bien malgré elle, les policiers enquêteurs comme témoins à décharge. Le ministère public a été autorisé à contre‑interroger ses propres agents — alors que l’appelant, qui a été contraint de les assigner à cause d’une décision erronée, s’est de ce fait trouvé à renoncer au droit que la loi lui accorde de s’adresser au jury en dernier.

9 Pour ce qui est de ce dernier aspect, nous ne jugeons pas nécessaire, dans le présent pourvoi, de réexaminer la question de savoir s’il est en général avantageux de parler en dernier. Nombre d’avocats compétents et expérimentés — ainsi que d’autres personnes — sont assurément de cet avis. En outre, le par. 651(3) du Code criminel reconnaît expressément ce droit à la défense lorsqu’elle n’assigne aucun témoin. En l’espèce, la défense souhaitait exercer ce droit et elle en a été empêchée par la décision erronée en droit du juge.

10 Pour les motifs qui précèdent et pour ceux exposés ci-après, nous estimons que l’interprétation erronée par le juge du procès des principes régissant le contre‑interrogatoire a eu des conséquences fatales sur la conduite de la défense et sur l’équité du procès.

11 À notre humble avis, le pourvoi doit donc être accueilli et un nouveau procès doit être ordonné.

II. Faits

12 Le 19 février 1999, Stephen Barnaby a été sauvagement battu à coups de bâtons de baseball par cinq hommes, dont quatre étaient, dit-on, masqués. Il a été retrouvé à l’extérieur d’un immeuble d’habitation, inconscient, grelottant et souffrant de fractures et de blessures graves à la tête et aux jambes. Il n’avait sur lui ni portefeuille, ni clés de maison, ni pièces d’identité.

13 Monsieur Barnaby a dit à un policier en uniforme avec qui il s’est brièvement entretenu peu après l’agression qu’on l’avait battu à propos d’une chaîne en or.

14 Dans son [traduction] « Rapport circonstancié » (« Occurrence Report »), le détective Sean Lawson, initialement chargé de l’affaire, a écrit que l’attaque était selon lui reliée à une dette de drogue et que la victime ne disait pas toute la vérité. Le détective Lawson fondait ses soupçons à cet égard sur une conversation qu’il avait eue avec M. Barnaby à l’hôpital, sur la brutalité de la râclée, sur la déclaration de culpabilité prononcée antérieurement contre ce dernier pour une infraction liée à la drogue et sur d’autres éléments découverts au cours de ses démarches préliminaires.

15 Le lendemain matin, faisant état de l’agression commise contre M. Barnaby dans son [traduction] « Rapport quotidien sur les infractions graves » (« Daily Major »), lequel résume tous les crimes graves survenus pendant son quart de travail, le sergent‑détective Ian Ganson a écrit ceci : [traduction] « [s]erait reliée à une dette de drogue [. . .] l’enquête se poursuit ». Il convient de souligner que le sergent-détective Ganson n’a jamais parlé directement à M. Barnaby. Il s’est simplement fié, comme à l’habitude, aux renseignements reçus d’enquêteurs subalternes et de policiers en uniforme.

16 Le « Rapport circonstancié » du détective Lawson et le « Rapport quotidien sur les infractions graves » du sergent-détective Ganson ont, comme l’exige la loi, été communiqués à la défense en temps utile. Voir R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

17 Le lendemain de l’attaque, le détective Michael Korb et son coéquipier, le détective Martin Ottaway, ont pris l’enquête en main et obtenu une déclaration de M. Barnaby à l’hôpital. Messieurs Korb et Ottaway étaient au courant de la thèse de la [traduction] « transaction de drogue ayant mal tourné » mentionnée par MM. Lawson et Ganson, mais ils ont tous les deux témoigné que cette thèse n’avait pas influencé leur enquête. Contrairement à leurs collègues, MM. Korb et Ottaway ont prêté foi à la version de M. Barnaby au sujet de l’agression et aux raisons qu’il a données à cet égard.

18 Lors d’une séance d’identification photographique, M. Barnaby a identifié l’appelant comme étant l’agresseur non masqué.

III. Historique des procédures

A. Cour supérieure de justice de l’Ontario

19 Le procès de l’appelant devant juge et jury a débuté le 21 octobre 1999.

20 L’avocat du ministère public avait pris connaissance, au cours de discussions préalables au procès, de la thèse de la défense suivant laquelle M. Barnaby aurait été battu à cause d’une dette de drogue et aurait identifié l’appelant comme étant son agresseur afin de protéger les véritables malfaiteurs — ses associés au sein d’un réseau de trafiquants de drogue.

21 Avant de présenter sa preuve, l’avocat du ministère public a demandé au juge du procès d’interdire tout contre‑interrogatoire à ce propos, vu l’absence du fondement de preuve [traduction] « requis ». Au soutien de sa demande, le ministère public a invoqué l’arrêt Howard, précité, et déclaré que ni le détective Lawson ni le sergent-détective Ganson ne seraient cités comme témoins à charge.

22 Tout au long du voir-dire ayant suivi cette demande, le juge du procès a clairement indiqué que, suivant son interprétation du droit, la défense ne pouvait procéder au contre‑interrogatoire projeté que si elle fournissait une « preuve de fond » étayant sa thèse de la « dette de drogue ». L’échange suivant illustre la position du juge :

[traduction] LA COUR : Elle n’a aucune obligation à ce moment‑ci de révéler la nature de sa défense ou les éléments de preuve qu’elle entend présenter, mais le droit est très clair, si une allégation de cette nature est formulée, il faut s’engager à produire certains éléments de preuve à cet égard. Est‑ce là votre intention, madame, ou . . .

MME ROBB [avocate de la défense] : Votre [. . .] Seigneurie, mon confrère est bien au fait de la preuve. Je n’ai rien inventé. Dans les instants qui ont suivi leur arrivée sur les lieux, les enquêteurs ont interrogé le CIPC et ont noté qu’ils ne croyaient pas que l’agression avait pour objet une chaîne en or. Ils estimaient qu’une transaction de drogue ayant mal tourné était à l’origine de l’agression. C’est de là que ça vient, de la preuve communiquée par le ministère public. [Nous soulignons.]

23 Lorsque l’avocate de la défense a refusé de s’engager à présenter un fondement de preuve au soutien du contre‑interrogatoire qu’elle projetait de mener, le juge du procès a réitéré les limites qu’il imposait à l’égard du contre‑interrogatoire des témoins à charge :

[traduction] MME ROBB : Bien, vous devez comprendre ma position, votre Seigneurie. Je ne peux enquêter sur M. Barnaby, intenter des poursuites contre lui et prouver qu’il est un trafiquant de drogue. Je ne suis pas en mesure de faire ça. La thèse de la défense est que cet homme a inventé le fait que M. Lyttle soit son agresseur afin de se protéger contre ceux qui l’ont battu parce qu’il n’a pas versé l’argent de drogues. Voilà la thèse de la défense.

LA COUR : Bien il peut fournir cette preuve, non — vous n’êtes pas obligée de nous dire si vous l’assignez ou non. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le droit prévoit que si vous êtes pour faire ces allégations en contre‑interrogatoire, dans le cours du contre-interrogatoire des témoins à charge, vous avez tout intérêt à les étayer ensuite par une preuve de fond. C’est le droit applicable. [Nous soulignons.]

24 Dans sa décision préliminaire, ainsi qu’à plusieurs reprises par la suite, le juge du procès a prévenu l’avocate de la défense du risque d’annulation du procès si elle faisait état aux témoins à charge des allégations relatives à la « dette de drogue » et si elle ne fournissait pas ultérieurement le fondement de preuve qu’il estimait nécessaire :

[traduction] [LA COUR] : La réponse est que, si vous affirmez que les questions sont nécessaires à votre défense et que vous allez vous conformer à la règle établie dans R. c. Howard, et à des décisions remontant aussi loin que l’arrêt Browne et Dunn, je vais alors certainement vous autoriser à les poser, mais il vaut mieux que la preuve requise suive à un moment donné.

MME ROBB : D’accord. À ce moment‑ci, lorsque le ministère public appellera son premier témoin, indépendamment de la preuve à apporter plus tard, suis‑je autorisée à le questionner au sujet du CIPC?

LA COUR : Oui, certainement.

MME ROBB : Donc, vous dites que la seule question que je ne peux poser s’adresse à la victime?

LA COUR : Je ne — non, vous ne m’avez pas compris du tout. Je ne dis pas que vous pouvez poser des questions ou que vous ne pouvez pas le faire. C’est votre cause, c’est votre défense, vous la menez comme bon vous semble. Je dis simplement qu’il y aura application stricte des règles de preuve, lesquelles exigent que si vous posez une question de la nature de celle dont nous avons discuté, vous êtes tenue, à un moment donné, de produire des éléments de preuve de fond étayant cette question. Vous ne pouvez tout simplement pas soulever comme ça une allégation de cette nature et espérer qu’elle convainque le jury. Cette allégation doit avoir un fondement factuel. Si ce fondement est établi plus tard au cours du procès, alors tout va bien, aucun problème . . .

. . .

. . . vous avez satisfait à votre obligation.

. . .

Mais s’il ne l’est pas, vous vous exposez à une demande d’annulation du procès par le ministère public. [Nous soulignons.]

25 Plus tard le même jour, la présentation des observations sur la thèse de la défense s’est poursuivie. Le juge du procès a tranché la question en réitérant sa décision antérieure :

[traduction] [LA COUR] : Bon, nous allons régler ça de la même manière que nous avons réglé l’autre question dont nous avons discuté en profondeur ce matin. Vous serez autorisée à poser ces questions. Si vous ne présentez pas les éléments de preuve requis, et suivant l’arrêt R. c. Howard vous êtes tenue de le faire, je présume que vous l’avez lu depuis. Je citerai, juste pour régler rapidement cette question, cet extrait de la page [1347] du jugement du juge Lamer, où celui-ci dit très clairement :

« Celui qui interroge ou contre‑interroge ne peut pas présenter comme un fait, ni même comme un fait hypothétique, ce qui ne fait pas partie et ne fera pas partie des éléments admissibles et mis en preuve. »

MME ROBB : D’accord, votre Seigneurie . . .

LA COUR : Voilà donc votre directive. Si vous ne vous y soumettez pas, il y aura des conséquences. [c.‑à‑d. l’annulation du procès] . . .

26 Peu avant la fin de l’interrogatoire principal de M. Ottaway, le deuxième témoin à charge, l’avocate de la défense a exprimé certaines inquiétudes à l’égard de la décision du juge du procès et elle a soulevé la question de l’annulation du procès. En l’absence du jury, Mme Robb a précisé qu’elle entendait continuer à parler de la thèse de la dette de drogue lors du contre‑interrogatoire et elle a demandé l’assurance que, si le ministère public sollicitait l’annulation du procès, elle serait autorisée à s’adresser au tribunal. Le juge du procès a confirmé que la défense aurait cette possibilité et il a déclaré ceci :

[traduction] LA COUR : . . . Vous serez autorisée à poser toutes les questions que vous estimez pertinentes pour la défense de votre client, et je ne ferai qu’appliquer les règles de preuve si, plus tard au cours du procès, vous ne présentez pas la preuve de fond afin — qui, avec le recul, aurait justifié cette question et cette suggestion au témoin. Bon nous allons nous arrêter là. Nous allons rappeler le jury. Continuons le procès.

Je vous demande simplement, avant qu’ils n’entrent, Mme Robb, de lire la décision de Monsieur le juge Darichuk, de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba [R. c. Evans (1994), 93 Man. R. (2d) 77]. [. . .] Il dit très clairement :

« Le droit de contre‑interroger emporte-t‑il celui d’avancer des faits précis sans confirmation par l’avocat que les points mentionnés font ou feront partie de sa thèse et que des éléments de preuve seront produits à ce sujet? Je ne crois pas. »

27 La question du fondement de preuve requis au soutien de la thèse de la défense s’est de nouveau soulevée pendant le contre‑interrogatoire de M. Ottaway. Pour éviter que le procès ne soit annulé au cas où l’avocate de la défense ne se conformerait pas à sa décision, le juge du procès a tenu un second voir-dire afin de déterminer cette fois la nature des faits qui justifieraient à son avis le contre‑interrogatoire projeté par l’avocate de la défense. MM. Ottaway et Lawson ont été appelés à témoigner.

28 Au cours du voir-dire, le juge du procès a demandé qui assignerait le détective Lawson. Manifestement résignée à la façon dont le juge du procès appliquait l’arrêt Howard, l’avocate de la défense a répondu ceci : [traduction] « Bien, si mon confrère n’assigne pas l’agent Lawson, je le ferai. »

29 Le juge du procès estimait que le témoignage du détective Lawson apporterait ce qu’il considérait comme la « preuve de fond » requise et c’est sur ce fondement qu’il a fini par permettre à la défense de contre‑interroger les témoins à charge à propos de sa thèse fondée sur la dette de drogue.

30 Après le témoignage de M. Ottaway et une fois le jury retiré, le juge du procès est revenu sur la question du fondement de preuve requis au soutien du contre‑interrogatoire mené par l’avocate de la défense :

[traduction] LA COUR : Avant de quitter. À propos de ma décision concernant le contre‑interrogatoire, Mme Robb, j’ai remarqué qu’à de nombreuses occasions vous avez posé à ce témoin des questions 1) lui demandant s’il avait vu une BMW dans l’entrée de l’immeuble, 2) s’il avait vérifié l’identité des propriétaires de tous les véhicules dont ils avaient relevé le numéro d’immatriculation, 3) s’ils avaient vu une Maxima dans l’entrée de l’immeuble, 4) si des accusations d’importation pesaient contre Mme Veta Smith et 5) suggérant que beaucoup d’autres suspects [. . .] avaient fait l’objet d’une enquête. Ce sont toutes des questions de la nature de celle que vous vouliez poser au sujet de la [transaction] de drogue. Je présume que vous allez présenter des éléments de preuve concernant ces différents points ou que des éléments de preuve se feront jour. Aucune objection n’a été soulevée par votre confrère et ces points ne sont pas aussi sérieux ou peut‑être pas aussi importants pour votre défense que la thèse de la drogue, et je vous ai donné la latitude nécessaire pour poser ces questions, mais vous avez tendance à poser des questions, et à vous contenter d’un non comme réponse. Nous nous demandons si vous présenterez des éléments de preuve qui, par exemple, confirmeront la présence d’une BMW dans l’entrée de l’immeuble.

MME ROBB : Bien, votre Seigneurie, j’ai tiré [. . .] [cela de la preuve communiquée par le ministère public].

LA COUR : Techniquement, suivant la Règle, vous ne pouvez pas simplement laisser cette question en suspens comme vous l’avez fait.

31 Lorsque, plus tard, l’avocate de la défense a dit au tribunal qu’elle souhaitait s’adresser au jury en dernier et qu’elle ne voulait pas être obligée de renoncer à ce droit en produisant des éléments de preuve, le juge du procès a déclaré ceci :

[traduction] LA COUR : . . . Madame, je vais vous demander de ne plus utiliser cette terminologie. Le ministère public ne vous oblige pas à assigner Lawson. La raison pour laquelle j’affirme que vous devez assigner Lawson est que vous vous êtes engagée de plein gré à l’assigner au cours d’un voir-dire où vous avez eu gain de cause, et votre argument a prévalu en grande partie parce que vous vous êtes engagée envers le tribunal à assigner Lawson, afin d’être en mesure de vous conformer au principe établi dans l’arrêt Howard qui requiert que, si vous entendez contre‑interroger sur ce sujet en particulier, vous devez, comme le dit le ministère public, livrer « la marchandise ».

32 L’avocate de la défense a alors demandé au juge du procès de citer lui‑même M. Lawson comme témoin, conformément à l’arrêt R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113, mais le juge a refusé.

33 Par conséquent, MM. Lawson et Ganson ont été assignés par la défense et l’appelant a perdu le droit que lui reconnaît la loi de s’adresser au jury en dernier. Durant le contre‑interrogatoire mené par le ministère public, MM. Lawson et Ganson ont présenté leurs hypothèses sur la « dette de drogue » comme étant des théories de départ ou des « intuitions » qui, ont‑ils dit, se sont révélées non fondées lorsque la police a poussé son enquête.

34 La défense n’a présenté aucun autre élément de preuve.

35 L’appelant a été déclaré coupable de vol qualifié, de voies de fait causant des lésions corporelles, d’enlèvement et de possession d’arme dangereuse.

B. Cour d’appel de l’Ontario (2002), 61 O.R. (3d) 97

36 L’appelant a interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario, qui a estimé que le juge du procès avait commis une erreur en appliquant l’arrêt Howard, mais que le verdict pouvait être maintenu et l’appel pouvait être rejeté en recourant au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel.

37 Prononçant le jugement de la Cour d’appel, le juge Carthy a conclu (au par. 11) que la règle générale énoncée par le juge Lamer (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Howard ne s’appliquait pas dans les circonstances de l’espèce, car cette règle ne visait que le contre‑interrogatoire des témoins experts :

[traduction] Le juge Lamer ne saurait avoir eu l’intention d’établir une règle générale applicable à toutes les formes de contre‑interrogatoire et d’écarter les précédents bien établis de notre cour et d’autres tribunaux sans les mentionner. Les incidences d’une règle aussi stricte s’étendraient à tous les contre‑interrogatoires traditionnels comportant un élément de spéculation et en restreindraient la portée.

38 Le juge Carthy a estimé, à juste titre selon nous, que l’arrêt Howard n’écartait pas l’arrêt R. c. Bencardino (1973), 15 C.C.C. (2d) 342 (C.A. Ont.), lequel étaye le principe qu’un avocat peut contre‑interroger le témoin sur des points qu’il n’est peut-être pas en mesure de prouver directement, pourvu qu’il pose ses questions en toute bonne foi. Il a aussi fait état de l’arrêt R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466, et mentionné ceci, au par. 19 :

[traduction] [L]a règle générale reconnaît un large droit de contre‑interroger qui n’est pas subordonné à une exigence de pertinence directe des questions avec les points en litige, puis un droit plus limité, qui n’est toutefois pas une obligation, de réfuter les dires du témoin par d’autres éléments de preuve s’il ne s’agit pas d’une question incidente.

39 La Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en imposant à l’avocate de la défense, comme préalable au contre‑interrogatoire relatif à sa thèse de la « dette de drogue », qu’elle s’engage à présenter des éléments de preuve au soutien de celle‑ci.

40 Cependant, convaincue que cette erreur n’avait entraîné aucun tort important ni aucune erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, la Cour d’appel a débouté l’appelant.

IV. Analyse

41 Comme il a été mentionné au départ, le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière. Voir l’arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 608, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) :

Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière. Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi. [Nous soulignons.]

42 Dans l’arrêt R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory a examiné la jurisprudence pertinente et, à la p. 663, il a expliqué pourquoi le contre‑interrogatoire joue un rôle aussi important dans le processus de débat contradictoire, particulièrement — mais évidemment pas seulement — dans les procès criminels :

Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence. Voir les arrêts R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275 (C.A. Man.); R. c. Rewniak (1949), 93 C.C.C. 142 (C.A. Man.); Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163 (B.R. Qué.); et R. c. Lindlau (1978), 40 C.C.C. (2d) 47 (C.A. Ont.).

43 Vu son importance, le droit de contre‑interroger est maintenant reconnu comme un droit protégé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Voir l’arrêt Osolin, précité, p. 665.

44 Le droit de contre‑interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il ne doit cependant pas être exercé de manière abusive. Les avocats sont liés par les règles de la pertinence et il leur est interdit de harceler le témoin, de faire des déclarations inexactes, de se répéter inutilement ou, de façon plus générale, de poser des questions dont l’effet préjudiciable excède la valeur probante. Voir R. c. Meddoui, [1991] 3 R.C.S. 320; R. c. Logiacco (1984), 11 C.C.C. (3d) 374 (C.A. Ont.); R. c. McLaughlin (1974), 15 C.C.C. (2d) 562 (C.A. Ont.); Osolin, précité.

45 Tout comme le droit de contre‑interroger n’est pas lui-même absolu, les limites dont il est assorti ne le sont pas elles non plus. Le juge du procès jouit, à cet égard comme dans d’autres aspects de la conduite d’un procès, d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’assurer l’équité de celui-ci et de voir à ce que justice soit rendue — et perçue comme l’ayant été. Il peut arriver que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le juge estime approprié d’assouplir quelque peu les règles de la pertinence ou de tolérer un degré de répétition qui serait par ailleurs inacceptable dans d’autres circonstances. Voir United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, p. 925.

46 Le présent pourvoi porte sur les contraintes que doivent respecter les avocats en raison de leurs obligations légales et déontologiques lorsque, en contre‑interrogatoire, ils font allusion dans leurs questions à des faits contestés et non prouvés. La bonne foi de l’avocat est‑elle suffisante ou ce dernier doit‑il, comme a conclu le juge du procès en l’espèce, produire des éléments de preuve au soutien de ses affirmations?

47 En toute déférence, contrairement au juge du procès, nous croyons qu’il est possible de contre‑interroger un témoin sur des points qui n’ont pas besoin d’être prouvés indépendamment, pourvu que l’avocat soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions. Il n’est pas inhabituel qu’un avocat prête foi à un fait qui est effectivement vrai, sans qu’il soit capable d’en faire la preuve autrement que par un contre-interrogatoire; il n’est pas non plus inhabituel qu’un témoin récalcitrant admette les faits qu’on lui suggère — croyant erronément que le contre-interrogateur les connaît déjà et que, en conséquence, leur existence va de toute façon être révélée.

48 Dans ce contexte, la « bonne foi » est fonction des renseignements dont dispose le contre-interrogateur, de l’opinion de celui-ci sur leur probable exactitude et du but de leur utilisation. Des renseignements qui ne constitueraient par ailleurs pas des éléments de preuve admissibles peuvent être présentés aux témoins. En fait, des renseignements peuvent avoir un caractère incomplet ou incertain, pourvu que le contre-interrogateur ne soumette pas au témoin des hypothèses qui soient inconsidérées ou qu’il sait être fausses. Le contre-interrogateur peut soulever toute hypothèse qu’il avance honnêtement sur la foi d’inférences raisonnables, de son expérience ou de son intuition. Le but de la question doit être compatible avec le rôle que joue l’avocat en tant qu’auxiliaire de justice : il est à notre avis permis à l’avocat de suggérer un fait qu’il considère sincèrement possible à la lumière de faits connus ou d’hypothèses raisonnables; il est toutefois inacceptable et interdit selon nous d’énoncer un fait ou de suggérer implicitement son existence dans le but de tromper.

49 Dans l’arrêt Bencardino, précité, p. 347, le juge Jessup de la Cour d’appel de l’Ontario a appliqué la règle anglaise sur la question :

[traduction] . . . indépendamment du caractère malséant des trois incidents survenus lors du contre‑interrogatoire, il m’est impossible de conclure qu’ils ont quoi que ce soit d’illégal. Comme l’a dit lord Radcliffe dans l’arrêt Fox c. General Medical Council, [1960] 1 W.L.R. 1017, p. 1023 :

Un avocat dispose de la latitude voulue pour poser, en contre‑interrogatoire, des questions reposant sur des éléments d’information qu’il n’est pas en mesure de prouver directement. Le prix à payer est que, s’il obtient une dénégation ou une réponse qui ne lui convient pas, cette réponse joue contre lui pour ce qu’elle vaut.

50 Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58, tout en reconnaissant l’exceptionnelle retenue dont doivent faire montre les avocats dans les affaires d’agression sexuelle, le juge Binnie a réaffirmé, aux par. 121-122, la règle générale établissant « la grande latitude que, dans la plupart des cas, le processus contradictoire laisse aux contre‑interrogateurs de recourir à des hypothèses et à des insinuations non prouvées pour tenter de désarçonner le témoin qui ment . . . ». Toutefois, comme il a été mentionné au départ, cette vaste latitude ne saurait être assimilée à la liberté d’action absolue et le contre-interrogatoire reste assujetti aux obligations de bonne foi et d’intégrité professionnelle ainsi qu’aux autres limites précisées plus tôt (par. 44-45). Voir également les arrêts Seaboyer, précité, p. 598, et Osolin, précité, p. 665.

51 Le juge du procès doit établir un juste équilibre entre le droit de l’accusé à un procès équitable et la nécessité d’empêcher la tenue d’un contre‑interrogatoire contraire à l’éthique. Il surviendra en conséquence des cas où le juge du procès voudra s’assurer que [traduction] « l’avocat ne se contente pas simplement d’attaquer à l’aveuglette une réputation imprudemment compromise ou de poser une question non fondée afin de lancer une insinuation injustifiée à l’intention des jurés ». Voir Michelson c. United States, 335 U.S. 469 (1948), p. 481, le juge Jackson.

52 Lorsqu’une question implique l’existence d’une assise factuelle contestée et manifestement fragile ou suspecte, le juge du procès peut à bon droit prendre les mesures qui s’imposent — soit en tenant un voir-dire soit autrement — pour obtenir de l’avocat l’assurance qu’il pose la question de bonne foi. Si les assurances données à cet égard satisfont le juge et que la formulation de la question n’est pas prohibée pour une autre raison, l’avocat devrait être autorisé à poser la question au témoin.

53 Un aspect central de la décision du juge du procès en l’espèce est l’interprétation, par ailleurs compréhensible mais erronée, qu’il a donnée de l’arrêt Howard.

54 La Cour d’appel a déclaré l’arrêt Howard inapplicable à l’espèce pour le motif que cette décision ne viserait que les témoins experts.

55 À notre humble avis, la ratio decidendi de l’arrêt Howard a été mal comprise et mal appliquée. Cet arrêt portait essentiellement sur l’admissibilité de la preuve. Malheureusement, les motifs du juge Lamer ont reçu une application débordant leur contexte et, en l’espèce, il ressort indubitablement du dossier que l’interprétation erronée de l’arrêt Howard a pesé lourd au procès de l’appelant.

56 Dans l’arrêt Howard, l’accusé et son coaccusé ont été jugés ensemble et reconnus coupables de meurtre au premier degré. La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis certaines erreurs et elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le coaccusé a plaidé coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré avant le second procès. Au cours du premier procès, le ministère public et la défense ont tous deux cité des experts en empreintes de pieds, pour déterminer si les empreintes relevées près du corps de la victime étaient celles du coaccusé, un certain Trudel.

57 Au deuxième procès, avant que l’expert de la défense ne témoigne, le ministère public a sollicité du tribunal l’autorisation de demander à l’expert de la défense, en contre‑interrogatoire, si le fait que le coaccusé avait plaidé coupable à l’accusation de meurtre et avait accepté un exposé des faits précisant qu’il se trouvait sur les lieux du crime modifiait l’opinion qu’il avait exprimée au premier procès, à savoir que les empreintes n’étaient pas celles du coaccusé. Le juge du procès a estimé que le ministère public pouvait poser la question. La défense a choisi de ne pas faire témoigner son expert.

58 Il s’agissait de décider si l’avocat du ministère public avait le droit de parler du plaidoyer de culpabilité du coaccusé au cours du contre‑interrogatoire du témoin expert de la défense. C’est dans ce contexte que l’arrêt Howard doit être interprété. Selon la ratio decidendi de l’arrêt Howard, exprimée à la p. 1348, les avocats ne doivent pas influencer l’application par le témoin expert de ses connaissances spécialisées en lui communiquant un fait qui corrobore l’une des possibilités qu’on lui demande d’« établir scientifiquement » et en lui demandant de prendre ce fait en considération :

Les experts aident le juge des faits à arriver à une conclusion en appliquant à un ensemble de faits des connaissances scientifiques particulières, que ne possèdent ni le juge ni le jury, et en exprimant alors une opinion sur les conclusions que l’on peut en tirer. Par conséquent, un expert ne peut pas tenir compte de faits qui ne sont pas soumis à son examen à titre d’expert professionnel, car ils n’ont pas de rapport avec son examen d’expert; à fortiori, on ne devrait pas lui communiquer ni lui demander de prendre en considération un fait qui corrobore l’une des possibilités qu’on lui demande d’établir scientifiquement car cela fausserait l’expertise elle‑même. Si les policiers avaient dit aux experts de la poursuite, lorsqu’on avait retenu leurs services, que Trudel avait avoué et qu’il reconnaissait les faits qui établissaient qu’il s’agissait de ses empreintes de pieds, il nous faudrait nous demander si leur conclusion est vraiment scientifique. Il en est ainsi parce que leur domaine d’expertise ne s’étend pas à la crédibilité de Trudel et que ce qu’il a admis n’a absolument rien à voir avec ce qu’on leur a demandé de faire pour aider la Cour, c’est‑à‑dire d’appliquer leurs connaissances scientifiques aux « faits scientifiques » pertinents, à savoir les moules, etc.

59 Autrement dit, le ministère public n’aurait pas dû être autorisé à demander à l’expert de prendre en considération le plaidoyer de culpabilité du coaccusé ou le fait que ce dernier avait souscrit à l’exposé des faits du ministère public. Celui-ci n’avait pas cité le coaccusé comme témoin et, comme le juge Lamer l’a ensuite souligné à la p. 1349, « [d]ans le cadre du nouveau procès, le ministère public peut, s’il le souhaite, appeler Trudel à témoigner sur les faits qui tendraient à prouver que [l’expert] s’est trompé dans sa conclusion ».

60 Les remarques suivantes du juge Lamer, à la p. 1347 de l’arrêt Howard, pourraient être à l’origine de la confusion :

Le fait que Trudel avait plaidé coupable et avait reconnu que les empreintes de pieds étaient les siennes n’était pas un fait présenté en preuve à l’époque où l’on voulait poser la question à l’expert et n’allait pas le devenir par la suite. Ce n’était pas non plus un fait qu’on pouvait vraiment déduire des faits soumis en preuve. Celui qui interroge ou contre‑interroge ne peut pas présenter comme un fait, ni même comme un fait hypothétique, ce qui ne fait pas partie et ne fera pas partie des éléments admissibles et mis en preuve. [Nous soulignons.]

61 Dans l’arrêt Howard, la question que le ministère public se proposait de poser à l’expert lui aurait permis de contourner les règles de preuve. Trudel n’avait pas témoigné et son plaidoyer de culpabilité n’était pas soumis en preuve. La question et la réponse étaient sans rapport avec la validité de l’opinion de l’expert et elles étaient par conséquent inadmissibles. Il existe une différence fondamentale entre le fait de poser, en contre‑interrogatoire, des questions qui portent et reposent sur des éléments de preuve inadmissibles et le fait de contre-interroger un témoin sur des faits non établis. Voir P. M. Brauti, « Improper Cross-Examination » (1998), 40 Crim. L.Q. 69, p. 91.

62 Au lieu de restreindre l’arrêt Howard à l’admissibilité de la preuve, ainsi que l’a fait le juge Finlayson dans l’arrêt R. c. Norman (1993), 16 O.R. (3d) 295 (C.A.), p. 310, il est arrivé assez fréquemment, comme en témoigne le présent pourvoi, que des tribunaux de première instance et d’appel tirent de cet arrêt la proposition générale voulant que les seules questions autorisées en contre‑interrogatoire soient celles portant sur les faits étayés par la preuve. Voir R. c. Fiqia (1993), 145 A.R. 241 (C.A.), par. 44-50; R. c. Fickes (1994), 132 N.S.R. (2d) 314 (C.A.), par. 9-10.

63 La conclusion selon laquelle l’arrêt Howard a pour effet d’exiger, ou de permettre au tribunal d’exiger, un fondement de preuve à l’égard de chaque fait soumis à un témoin (expert ou non) en contre‑interrogatoire est injustifiée. Cet arrêt ne peut être invoqué au soutien d’une telle proposition. Il est peu probable que la Cour ait voulu ajouter un fardeau de preuve aux exigences déjà applicables au contre‑interrogatoire et ainsi limiter la portée de celui-ci, portée qui avait évolué au fil de la longue histoire de la common law et de la jurisprudence pertinente. On ne saurait donc accepter que l’arrêt Howard, qui portait sur l’admissibilité de certains éléments de preuve, fasse autorité au‑delà de sa ratio decidendi.

64 Le juge du procès a aussi invoqué l’arrêt Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), pour étayer la proposition selon laquelle il est nécessaire de présenter un fondement de preuve à l’égard des questions posées en contre‑interrogatoire. Il a fait erreur. La règle établie dans Browne c. Dunn oblige l’avocat à prévenir les témoins dont il entend mettre en doute la crédibilité ultérieurement. La justification de cette règle a été expliquée ainsi par lord Herschell, aux p. 70-71 :

[traduction] Bien, vos Seigneuries, je ne peux m’empêcher d’affirmer qu’il m’apparaît absolument essentiel au déroulement régulier d’une instance, lorsqu’un avocat entend suggérer qu’un témoin ne dit pas la vérité sur un point en particulier, d’attirer l’attention de ce témoin sur ce fait en lui posant en contre-interrogatoire certaines questions indiquant qu’on fera cette imputation, et non d’accepter son témoignage et d’en faire abstraction comme s’il était absolument incontesté puis, lorsqu’il lui est impossible d’expliquer — ce qu’il aurait peut‑être pu faire si ces questions lui avaient été posées — les circonstances qui, prétend-on, montrent que sa version des faits ne doit pas être retenue, de soutenir qu’il n’est pas un témoin digne de foi. Vos Seigneuries, il m’a toujours semblé que l’avocat qui entend mettre en doute le témoignage d’une personne doit, lorsque cette personne se trouve à la barre des témoins, lui donner l’occasion d’offrir toute explication qu’elle est en mesure de présenter. De plus, il me semble qu’il ne s’agit pas seulement d’une règle de pratique professionnelle dans la conduite d’une affaire, mais également d’une attitude essentielle pour agir de façon loyale envers les témoins. On souligne parfois le caractère excessif du contre‑interrogatoire auquel un témoin est soumis, reprochant à ce contre-interrogatoire d’être abusif. Toutefois, il me semble qu’un contre‑interrogatoire mené par un avocat péchant par excès de zèle peut se révéler beaucoup plus équitable pour le témoin que le fait de ne pas le contre‑interroger puis de suggérer qu’il ne dit pas la vérité, je veux dire sur un point à l’égard duquel il n’est par ailleurs pas clair qu’il a été pleinement informé au préalable qu’on entendait mettre en doute la crédibilité de sa version des faits.

65 Bien qu’elle vise à faire en sorte que les témoins et les parties soient traités équitablement, cette règle n’a pas un caractère absolu. La mesure dans laquelle elle est appliquée est une décision qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire. Voir Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 781-782; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 954 et 957. Quoi qu’il en soit, la règle susmentionnée établie dans l’arrêt Browne c. Dunn demeure un principe valable d’application générale, bien qu’elle ne soit pas pertinente pour la question dont était saisi le juge du procès en l’espèce.

66 Pourvu que l’avocat agisse de bonne foi lorsqu’il pose en contre‑interrogatoire une question par ailleurs admissible, cette question devrait être autorisée. À notre avis, il n’est pas nécessaire d’établir de distinction entre les témoins experts et les témoins profanes à l’intérieur du vaste cadre de ce principe général. Toutefois, les avocats sont assujettis à d’importantes obligations professionnelles et déontologiques, non seulement au cours du procès mais aussi en appel. Lord Reid a souligné l’importance de ce point dans l’arrêt Rondel c. Worsley, [1969] 1 A.C. 191 (H.L.), p. 227-228, lorsqu’il a dit ceci :

[traduction] Tout avocat a envers son client l’obligation de ne pas hésiter à soulever tout point, à faire valoir tout argument et à poser toute question — aussi répugnante que puisse être cette intervention — qui selon lui aide la cause de son client. Cependant, en tant qu’officier de justice soucieux de l’intérêt de l’administration de la justice, il a envers le tribunal, les normes de sa profession et le public une obligation primordiale qui peut entrer en conflit et qui dans bien des cas entre effectivement en conflit avec les désirs d’un client ou avec ce que le client estime être ses intérêts personnels. L’avocat ne doit pas induire le tribunal en erreur, il ne doit pas se permettre de lancer des accusations contre l’autre partie ou les témoins sans avoir en sa possession les renseignements suffisants pour les étayer, il ne doit pas cacher de la jurisprudence ou des documents qui pourraient être défavorables à ses clients, mais que le droit ou les normes de sa profession l’obligent à déposer. . . [Nous soulignons.]

67 Le juge du procès a commis une erreur de droit en exigeant, sur la base de l’arrêt Howard, la production d’un fondement de preuve. De toute façon, l’existence de la bonne foi requise pour justifier la présentation de la thèse de la dette de drogue était ressortie clairement au cours des deux voir-dires. Parmi les éléments étayant cette bonne foi, mentionnons les rapports de police, la déclaration de culpabilité figurant au dossier du plaignant Barnaby pour une affaire de drogue et son aveu, à l’enquête préliminaire, qu’il avait vendu de la drogue et la déclaration de culpabilité pour une affaire de drogue prononcée contre la personne — une connaissance du plaignant — qui l’avait conduit sur les lieux présumés de l’agression.

V. Conclusion

68 Afin de déterminer si l’erreur du juge du procès a causé un tort important ou une erreur judiciaire grave, la cour d’appel saisie de la question doit se demander « s’il existe une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur en question ». Voir R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, p. 617.

69 Dans l’arrêt R. c. Anandmalik (1984), 6 O.A.C. 143, p. 144, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que le contre‑interrogatoire revêt une importance plus cruciale encore lorsque la crédibilité est la question centrale du procès :

[traduction] Dans une affaire où la culpabilité ou l’innocence de l’[accusé] dépendait largement de la question de la crédibilité, ce fut une grave erreur que de priver l’[accusé] de son droit fondamental de contre‑interroger pleinement le principal témoin de la poursuite. Il ne serait pas approprié dans les circonstances d’invoquer ou d’appliquer les dispositions réparatrices du sous‑al. 613(1)b)(iii) [maintenant le sous‑al. 686(1)b)(iii)].

70 La Cour d’appel du Manitoba a fait écho à cette opinion dans l’arrêt R. c. Wallick (1990), 69 Man. R. (2d) 310, p. 311 :

[traduction] Le contre‑interrogatoire est un outil très puissant à la disposition de la défense, particulièrement lorsque toute l’affaire repose sur la crédibilité des témoins. Dans un procès criminel, l’accusé a le droit de contre‑interroger les témoins, et ce au sens le plus complet et le plus large du terme, pourvu qu’il n’abuse pas de ce droit. Toute limitation irrégulière de ce droit constitue une erreur susceptible d’entraîner l’annulation de la déclaration de culpabilité.

71 Il s’ensuit que dans les cas où, comme en l’espèce, le juge du procès a limité irrégulièrement le droit de l’accusé de contre‑interroger, a fait peser la menace d’annulation du procès et a subordonné la présentation d’une série de questions légitimes au respect de conditions qui ont eu pour effet de faire perdre à l’accusé le droit que lui confère la loi de s’adresser au jury en dernier, un tort important a été causé et un procès inéquitable en a résulté.

72 Cette conclusion justifie à elle seule de trancher le pourvoi en faveur de l’appelant.

73 En outre, nous ne sommes pas convaincus qu’il n’existe aucune « possibilité raisonnable que le verdict eût été différent » en l’absence de l’erreur commise par le juge du procès. Voir l’arrêt Bevan, précité, p. 617.

74 À notre humble avis, il serait erroné dans les circonstances d’appliquer la disposition réparatrice.

75 Au contraire, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant : Pinkofskys, Toronto.

Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit criminel - Preuve - Témoins - Contre-interrogatoire - Droit de l’accusé de contre-interroger les témoins à charge - L’avocat doit-il présenter des éléments de preuve au soutien de son contre-interrogatoire ou est-il suffisant qu’il soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions?.

Droit criminel - Iniquité procédurale au procès - Disposition réparatrice - L’avocate de la défense a été obligée d’assigner elle-même les policiers enquêteurs et de renoncer au droit que lui reconnaît la loi de s’adresser au jury en dernier - L’injustice en résultant pouvait-elle être corrigée par l’application de la disposition réparatrice? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 686(1)b)(iii).

Ayant subi une sévère correction aux mains de cinq hommes, la victime a affirmé avoir été battue au sujet d’une chaîne en or. Toutefois, dans des rapports distincts communiqués à la défense, deux policiers ont dit croire que l’agression était reliée à une dette de drogue. La victime a identifié l’accusé à l’occasion d’une séance d’identification photographique. La thèse de la défense était que l’attaque se rapportait à une dette de drogue impayée et que la victime avait désigné l’accusé comme étant son agresseur afin de protéger les véritables malfaiteurs — ses associés au sein d’un réseau de trafiquants de drogue. Le ministère public n’entendait pas citer les policiers comme témoins. Au cours d’un voir-dire ainsi qu’à plusieurs reprises au cours du procès, le juge a indiqué que l’avocate de la défense ne pourrait contre-interroger les témoins à charge comme elle projetait de le faire que si elle fournissait une preuve de fond étayant sa thèse de la dette de drogue. L’avocate de la défense a elle-même assigné les policiers et l’accusé a de ce fait perdu le droit que lui accorde la loi de s’adresser au jury en dernier. La défense n’a présenté aucune autre preuve. L’accusé a été déclaré coupable de vol qualifié, de voies de fait causant des lésions corporelles, d’enlèvement et de possession d’arme dangereuse. Confirmant les déclarations de culpabilité, la Cour d’appel a estimé que le juge du procès avait commis une erreur en exigeant de l’avocate de la défense qu’elle produise des éléments de preuve au soutien de sa thèse de la dette de drogue, mais elle a conclu que le verdict pouvait être maintenu par application du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

Le juge du procès a indûment limité le droit de l’accusé de mener un contre‑interrogatoire complet et approprié du principal témoin à charge. L’accusé n’était pas tenu de s’engager à présenter des éléments de preuve au soutien de sa thèse de la dette de drogue pour être autorisé à procéder au contre‑interrogatoire. Le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière. Le droit de contre‑interroger, qui est garanti par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il est possible de contre‑interroger un témoin sur des points qui n’ont pas besoin d’être prouvés indépendamment, pourvu que l’avocat soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions. Il n’est pas inhabituel qu’un avocat prête foi à un fait qui est effectivement vrai, sans qu’il soit capable d’en faire la preuve autrement que par un contre-interrogatoire. La « bonne foi » est fonction des renseignements dont dispose le contre-interrogateur, de l’opinion de celui-ci sur leur probable exactitude et du but de leur utilisation. Ces renseignements peuvent ne pas être des éléments de preuve admissibles et ils peuvent avoir un caractère incomplet ou incertain, pourvu toutefois que le contre-interrogateur ne soumette pas au témoin des hypothèses qui soient inconsidérées ou qu’il sait être fausses. Le contre-interrogateur peut soulever toute hypothèse qu’il avance honnêtement sur la foi d’inférences raisonnables, de son expérience ou de son intuition et rien ne l’oblige à présenter un fondement de preuve à l’égard de chaque fait soumis à un témoin. Lorsqu’une question implique l’existence d’une assise factuelle contestée et manifestement fragile ou suspecte, le juge du procès peut demander à l’avocat l’assurance qu’il pose la question de bonne foi. Si les assurances données à cet égard satisfont le juge et que la formulation de la question n’est pas prohibée pour une autre raison, l’avocat devrait être autorisé à poser la question au témoin. En l’espèce, l’existence de la bonne foi requise pour justifier la présentation de la thèse de la dette de drogue était ressortie clairement au cours des deux voir-dires. Le juge du procès a commis une erreur de droit en exigeant, pour la tenue du contre-interrogatoire, la production d’un fondement de preuve.

Il est impossible de remédier à l’erreur du juge du procès en appliquant le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. La décision contestée du juge du procès a eu un effet inhibiteur sur l’avocate de la défense, elle a perturbé le rythme de ses contre‑interrogatoires et elle a clairement limité leur portée. Cette décision a obligé l’avocate de la défense à citer, bien malgré elle, les policiers enquêteurs comme témoins à décharge. Le ministère public a été autorisé à contre‑interroger ses propres agents et l’accusé a été considéré comme ayant renoncé au droit que la loi lui accorde de s’adresser au jury en dernier. Cette situation a eu des conséquences fatales sur l’équité du procès. Il est impossible d’affirmer qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur du juge du procès. De plus, il serait erroné dans les circonstances d’appliquer la disposition réparatrice.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Lyttle

Références :

Jurisprudence
Arrêts expliqués : R. c. Howard, [1989] 1 R.C.S. 1337
Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67
arrêts critiqués : R. c. Fiqia (1993), 145 A.R. 241
R. c. Fickes (1994), 132 N.S.R. (2d) 314
arrêts mentionnés : R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113
R. c. Bencardino (1973), 15 C.C.C. (2d) 342
R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
R. c. Meddoui, [1991] 3 R.C.S. 320
R. c. Logiacco (1984), 11 C.C.C. (3d) 374
R. c. McLaughlin (1974), 15 C.C.C. (2d) 562
United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901
R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58
Michelson c. United States, 335 U.S. 469 (1948)
R. c. Norman (1993), 16 O.R. (3d) 295
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
Rondel c. Worsley, [1969] 1 A.C. 191
R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599
R. c. Anandmalik (1984), 6 O.A.C. 143
R. c. Wallick (1990), 69 Man. R. (2d) 310.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 651(3), 686(1)b)(iii).
Doctrine citée
Brauti, Peter M. « Improper Cross-Examination » (1998), 40 Crim. L.Q. 69.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999.

Proposition de citation de la décision: R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (12 février 2004)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/02/2004
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2004 CSC 5 ?
Numéro d'affaire : 29412
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-02-12;2004.csc.5 ?
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