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26/09/2003 | CANADA | N°2003_CSC_45

Canada | Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45 (26 septembre 2003)


Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, 2003 CSC 45

Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson,

poursuivant en leur nom et au nom de tous les autres

membres de la Bande indienne Wewaykum (également connue

sous le nom de Bande indienne de Campbell River) Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James

D. Wilson, poursuivant en leur nom et au nom de tous les

autres membres de la Bande indienne Wewaikai (également

connue sous le nom

de Bande indienne de Cape Mudge) Intimés/Appelants

et entre

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu, Go...

Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, 2003 CSC 45

Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson,

poursuivant en leur nom et au nom de tous les autres

membres de la Bande indienne Wewaykum (également connue

sous le nom de Bande indienne de Campbell River) Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James

D. Wilson, poursuivant en leur nom et au nom de tous les

autres membres de la Bande indienne Wewaikai (également

connue sous le nom de Bande indienne de Cape Mudge) Intimés/Appelants

et entre

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu, Godfrey

Price, Allen Chickite et Lloyd Chickite, poursuivant en leur

nom et au nom de tous les autres membres de la Bande indienne

Wewaikai (également connue sous le nom de Bande indienne de

Cape Mudge) Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, procureur général de la

Colombie‑Britannique, Bande indienne Gitanmaax,

Bande indienne Kispiox et Bande indienne de Glen Vowell Intervenants

Répertorié : Bande indienne Wewaykum c. Canada

Référence neutre : 2003 CSC 45.

No du greffe : 27641.

2003 : 23 juin; 2003 : 26 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour, LeBel et Deschamps.

requête sollicitant des directives

requêtes en annulation de jugement


Synthèse
Référence neutre : 2003 CSC 45 ?
Date de la décision : 26/09/2003
Sens de l'arrêt : La requête sollicitant des directives et les requêtes en annulation de jugement sont rejetées. À la lumière des circonstances de l’espèce, aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie et le juge Binnie n’était pas inhabile à connaître des présents pourvois et à participer au jugement

Analyses

Tribunaux - Juges - Impartialité - Crainte raisonnable de partialité - Pourvois de bandes indiennes rejetés par la Cour suprême - Présentation par les bandes indiennes de requêtes en annulation du jugement fondée sur la crainte raisonnable de partialité qui découlerait du rôle joué par un juge dans les demandes des bandes en tant que sous‑ministre adjoint de la Justice plus de 15 ans avant l’audition des appels - Le jugement est‑il entaché d’une crainte raisonnable de partialité? - Y a‑t‑il lieu d’annuler le jugement?.

En 1985 et 1989 respectivement, la bande de Campbell River et la bande de Cape Mudge ont intenté une action en justice, chacune poursuivant l’autre ainsi que la Couronne et revendiquant le droit exclusif à deux réserves situées dans l’île de Vancouver. En 1995, la section de première instance de la Cour fédérale a rejeté les actions et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision. En décembre 2002, notre Cour a rejeté les pourvois des bandes dans des motifs exposés par le juge Binnie, auxquels ont souscrit tous les autres juges de la Cour. En février 2003, la bande de Campbell River a présenté au ministère de la Justice une demande d’accès à l’information dans laquelle elle sollicitait des copies de tous les documents qui soit avaient été expédiées à M. Binnie, soit émanaient de ce dernier ou encore faisaient mention de lui et qui se rapportaient aux demandes présentées contre le gouvernement fédéral par les bandes. Lorsqu’il a occupé le poste de sous‑ministre adjoint de la Justice, de 1982 à 1986, M. Binnie était responsable de tous les litiges auxquels était partie le gouvernement fédéral, sauf les affaires fiscales et celles se déroulant au Québec, et il supervisait des milliers de dossiers. Le ministère de la Justice a trouvé un certain nombre de notes de service internes qui indiquent que, à la fin de 1985 et au début de 1986, M. Binnie a reçu certains renseignements concernant la demande de la bande de Campbell River et a assisté à une réunion au cours de laquelle cette demande a été discutée. La Couronne a présenté à notre Cour une requête sollicitant des directives quant aux mesures qui pourraient devoir être prises. Le juge Binnie s’est récusé à l’égard de toutes procédures ultérieures dans cette affaire et il a déposé une déclaration précisant qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir participé personnellement à ce dossier. Les bandes ont demandé une ordonnance portant annulation du jugement de notre Cour. Les deux bandes reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’une affaire de partialité réelle et elles acceptent la déclaration du juge Binnie selon laquelle il n’avait aucun souvenir d’avoir participé personnellement à cette affaire. Cependant, elles font valoir que le rôle joué par le juge Binnie en tant que sous‑ministre adjoint de la Justice aux premiers stades de la demande de la bande de Campbell River en 1985 et 1986 fait naître une crainte raisonnable de partialité.

Arrêt : La requête sollicitant des directives et les requêtes en annulation de jugement sont rejetées. À la lumière des circonstances de l’espèce, aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie et le juge Binnie n’était pas inhabile à connaître des présents pourvois et à participer au jugement.

La confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant ainsi. L’impartialité du juge doit être présumée et c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. Le critère de récusation est la crainte raisonnable de partialité. Il consiste à se demander à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le juge, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

Il est nécessaire de clarifier le rapport entre cette norme objective et deux autres facteurs : le facteur subjectif de la partialité réelle et la notion d’inhabilité automatique. Dans la plupart des cas où l’inhabilité du décideur est invoquée, la partie qui la soulève n’invoque pas la partialité réelle. Lorsque des parties affirment qu’il y avait absence de partialité réelle de la part du juge, cela peut signifier l’une des trois choses suivantes : (1) que la crainte raisonnable de partialité est un critère de remplacement de la partialité réelle; (2) qu’il peut y avoir partialité inconsciente, même lorsque le juge a agi de bonne foi; (3) que la présence ou l’absence de partialité réelle n’est tout simplement pas la bonne question à se poser, puisque justice doit non seulement être rendue mais elle doit également paraître être rendue. Cette troisième justification de la norme objective de la crainte raisonnable de partialité admet la possibilité qu’un juge puisse être totalement impartial dans des circonstances faisant néanmoins naître une crainte raisonnable de partialité requérant qu’il soit déclaré inhabile. L’idée selon laquelle « justice doit paraître être rendue » ne peut être dissociée de la norme de la crainte raisonnable de partialité. La question pertinente n’est pas de savoir si, dans les faits, le juge a fait preuve de partialité consciente ou inconsciente, mais si une personne raisonnable et bien renseignée craindrait qu’il y ait eu partialité. Relativement à la notion d’inhabilité automatique, certains arrêts britanniques récents suggèrent que l’application de cette notion est justifiée lorsque le juge a un intérêt dans l’issue de l’instance. Cette jurisprudence n’est pas utile en l’espèce, parce que la règle de l’inhabilité automatique ne s’applique pas dans les cas où le décideur a, d’une certaine façon, participé au litige ou été en contact avec les avocats aux premiers stades de l’affaire. Au Canada, il faut prouver l’existence de partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité. Quoi qu’il en soit, au vu des faits de l’espèce, rien n’indique que le juge Binnie avait quelque intérêt pécuniaire dans les pourvois ou qu’il manifestait pour l’objet de l’affaire un intérêt tel qu’il se trouvait effectivement dans la position d’une partie à la cause.

Dans la présente affaire, l’inhabilité ne peut être invoquée que sur le fondement de la crainte raisonnable de partialité. Vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux, la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux. Chaque affaire doit être examinée au regard du contexte et des faits qui lui sont propres. Lorsque, comme en l’espèce, la question de l’inhabilité se soulève après le prononcé du jugement et non au début de l’instance, il n’est pas utile de se demander si le juge se serait récusé si la situation avait été connue plus tôt. Quoique la norme reste la même, bon nombre de juges, sinon la plupart d’entre eux, font montre d’une prudence extrême tôt dans l’instance, et il arrive souvent qu’ils se récusent alors qu’ils ne seraient pas légalement tenus de le faire. Enfin, la remarque incidente de notre Cour selon laquelle les juges ne doivent pas siéger dans une cause à laquelle ils ont participé à quelque stade de l’affaire n’est qu’une illustration du principe général. Elle ne dit pas que toute participation dans le passé à une affaire est automatiquement cause d’inhabilité, mais elle indique plutôt qu’une personne sensée et raisonnable verrait vraisemblablement d’un mauvais oeil le fait que le juge a agi comme avocat dans une affaire dont il est saisi, et que cette personne pourrait considérer que ce fait naître une crainte raisonnable de partialité.

En l’espèce, ni le fait que le juge Binnie ait dans le passé occupé la charge de sous‑ministre adjoint ni son intérêt de longue date pour les questions concernant les Premières nations ne justifient en soi de conclure à son inhabilité. La préoccupation des bandes est la participation du juge Binnie à la présente affaire au milieu des années 1980. La preuve documentaire n’étaye toutefois pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Le juge Binnie n’a joué dans le différend en cause qu’un rôle de supervision et d’administration limité. Bien que le lien entre le juge Binnie et le présent litige ait dépassé la gestion pro forma des dossiers, ce dernier n’a jamais été l’avocat inscrit au dossier et il n’a pas joué de rôle actif dans le différend après le dépôt de l’action ni planifié la stratégie d’instance. Les opinions attribuées au juge Binnie ont été formulées dans le contexte des répercussions plus larges du processus de négociation plutôt que dans le contexte du litige. De plus, en sa qualité de sous‑ministre adjoint, il était responsable de milliers de dossiers à l’époque pertinente et la question sur laquelle il s’est penché dans la présente affaire ne touchait pas exclusivement celle‑ci mais concernait en général les réserves existantes en Colombie‑Britannique. Fait plus important encore, le rôle limité de supervision qu’a joué le juge Binnie remonte à plus de 15 ans. Ce très long délai est important en ce qui concerne la déclaration du juge Binnie selon laquelle il n’avait aucun souvenir de sa participation à cette affaire, parce qu’il s’agit d’un facteur dont la personne raisonnable tiendrait à juste titre compte et qui rend improbable l’existence de partialité ou de crainte de partialité. Considérant la question de façon réaliste, cette personne ne conclurait pas non plus que le rôle limité d’administration et de supervision qu’a joué le juge Binnie dans ce dossier, il y a de cela plus de 15 ans, a inconsciemment influencé sa capacité de demeurer impartial.

Même si le rôle joué par un seul juge avait fait naître une crainte raisonnable de partialité en l’espèce, aucune personne raisonnable connaissant le processus décisionnel de notre Cour et le considérant de façon réaliste ne saurait conclure que les huit autres juges étaient partiaux ou ont été influencés.


Parties
Demandeurs : Bande indienne Wewaykum
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369
distinction d’avec l’arrêt : R. c. Bow Street Metropolitan Stipendiary Magistrate, Ex parte Pinochet Ugarte (No. 2), [1999] 2 W.L.R. 272
arrêts mentionnés : Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673
Locabail (U.K.) Ltd. c. Bayfield Properties Ltd., [2000] Q.B. 451
R. c. Bertram, [1989] O.J. No. 2123 (QL)
R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484
Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623
R. c. Gough, [1993] A.C. 646
The Queen c. Barnsley Licensing Justices, [1960] 2 Q.B. 167
The King c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256
Dimes c. Proprietors of the Grand Junction Canal (1852), 3 H.L.C. 759, 10 E.R. 301
Man O’War Station Ltd. c. Auckland City Council (Judgment No. 1), [2002] 3 N.Z.L.R. 577, [2002] UKPC 28
Panton c. Minister of Finance, [2001] 5 L.R.C. 132, [2001] UKPC 33.
Lois et règlements cités
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1.
Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5.
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, art. 3.
Doctrine citée
Conseil canadien de la magistrature. Principes de déontologie judiciaire. Ottawa : Le Conseil, 1998.
Wilson, Bertha. “Decision‑making in the Supreme Court” (1986), 36 U.T.L.J. 227.
REQUÊTE SOLLICITANT DES DIRECTIVES et REQUÊTES EN ANNULATION de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79. Requêtes rejetées.
Michael P. Carroll, c.r., et Malcolm Maclean, pour les appelants Roy Anthony Roberts et autres.
John D. McAlpine, c.r., et Allan Donovan, pour les intimés/appelants Ralph Dick et autres.
J. Vincent O’Donnell, c.r., et Jean Bélanger, pour l’intimée Sa Majesté la Reine.
Argumentation écrite seulement par Patrick G. Foy, c.r., et Angus M. Gunn, Jr., pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Argumentation écrite seulement par Peter R. Grant et David Schulze, pour les intervenantes la Bande indienne Gitanmaax, la Bande indienne Kispiox et la Bande indienne de Glen Vowell.
Version française du jugement rendu par
La Juge en chef et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour, LeBel et Deschamps —
I. Introduction
1 La bande indienne Wewaykum ou bande indienne de Campbell River (ci‑après la « bande de Campbell River ») et la bande indienne Wewaikai ou bande indienne de Cape Mudge (ci‑après la « bande de Cape Mudge ») prétendent que la décision unanime de la Cour dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, dont les motifs ont été exposés par le juge Binnie, est entachée d’une crainte raisonnable de partialité et devrait être annulée. Cette crainte raisonnable de partialité découlerait de la participation du juge Binnie à ce dossier en qualité de sous‑ministre adjoint fédéral de la Justice plus de 15 ans avant l’audition des pourvois formés devant notre Cour par les bandes susmentionnées.
2 Le fait de prétendre qu’un jugement est entaché de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité constitue une très grave allégation. Une telle allégation met en question l’impartialité de la Cour et de ses juges et fait naître dans le public des doutes quant à la capacité de la Cour de rendre justice conformément au droit. Par conséquent, les observations présentées par les bandes requérantes et les autres parties ont été examinées minutieusement, comme en témoignent les motifs qui suivent.
3 Après analyse des allégations et des éléments sur lesquels elles reposent, éléments figurant tous à l’annexe des présents motifs, nous concluons qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie et que, en conséquence, le juge Binnie n’était pas inhabile à connaître de l’affaire. Le juge Binnie n’a joué dans le différend en cause qu’un rôle de supervision et d’administration limité, et ce plus de 15 ans avant l’audition des pourvois. Dans sa déclaration écrite, qui a été versée au dossier des présentes requêtes, le juge Binnie affirme n’avoir aucun souvenir d’avoir participé au litige en cause et aucune des parties ne conteste cette affirmation. À la lumière de ce qui précède et pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis, d’une part, qu’une personne raisonnable ne saurait conclure que le juge Binnie a fait montre, consciemment ou inconsciemment, de partialité lorsqu’il a entendu les pourvois, et, d’autre part, qu’il n’y a de toute façon pas lieu d’écarter l’arrêt unanime de notre Cour. Par conséquent, les requêtes sollicitant l’annulation de l’arrêt rendu par la Cour le 6 décembre 2002 sont rejetées.
II. Les faits
4 Chacune des deux bandes a présenté une requête sollicitant l’annulation de l’arrêt unanime de notre Cour daté du 6 décembre 2002, dont les motifs ont été exposés par le juge Binnie. Cet arrêt a rejeté les pourvois formés par les bandes à l’encontre d’une ordonnance de la Cour d’appel fédérale. Dans leurs requêtes, les bandes prétendent que le rôle joué par le juge Binnie en tant que sous‑ministre adjoint de la Justice aux premiers stades de la demande de la bande de Campbell River en 1985 et 1986 ferait naître, chez une personne bien renseignée et sensée, une crainte raisonnable de partialité. Ces requêtes, qui ont été déposées à la suite de la présentation par la Couronne d’une requête sollicitant des directives, ont été entendues le 23 juin 2003. Le juge Binnie s’est récusé relativement à ces requêtes, après avoir versé au dossier une déclaration indiquant qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir participé au litige concernant les revendications en cause pendant qu’il travaillait au ministère de la Justice.
5 Avant d’être nommé juge à la Cour suprême du Canada en 1998, le juge Binnie a eu une carrière longue et diversifiée en tant que praticien. Admis au Barreau de l’Ontario en 1967, le juge Binnie a, jusqu’en 1982, été avocat plaideur au sein de l’étude Wright et McTaggart et des divers cabinets qui ont remplacé cette étude. De 1982 à 1986, période pertinente à l’égard des requêtes dont nous sommes saisis, le juge Binnie a été sous-ministre adjoint fédéral de la Justice, ayant joint les rangs de la fonction publique dans le cadre d’un détachement. À titre de sous-ministre adjoint de la Justice, le juge Binnie était responsable de tous les litiges auxquels était partie le gouvernement fédéral, sauf les affaires fiscales et les litiges émanant du Québec. Il assumait également des responsabilités particulières à l’égard des questions autochtones. Après avoir quitté le ministère de la Justice le 31 juillet 1986, le juge Binnie s’est joint au cabinet McCarthy Tétrault, où il est resté jusqu’à sa nomination à notre Cour. Évidemment, à son départ du ministère de la Justice, les dossiers auxquels il avait travaillé sont demeurés au ministère, conformément à la pratique habituelle en la matière. Par conséquent, les juges qui n’ont pas souvenir d’avoir participé à une affaire dont ils sont saisis n’ont pas la possibilité de consulter les dossiers qu’ils ont laissés à leur ancien cabinet ou organisme pour vérifier s’ils ont ou non participé à l’affaire en question.
6 Dans les présents motifs, les expressions « juge Binnie » et « M. Binnie » sont utilisées pour désigner celui-ci, selon qu’il est question de son rôle en tant que juge ou en tant que sous‑ministre adjoint de la Justice.
A. Les pourvois originaux
7 Pour bien comprendre les allégations de crainte raisonnable de partialité, il est nécessaire d’examiner le contexte factuel et procédural de la présente affaire. La bande de Campbell River et la bande de Cape Mudge sont des bandes sœurs de la Première nation Laich‑kwil‑tach. Depuis la fin du 19e siècle, les membres de ces bandes habitent des réserves situées à quelques milles l’une de l’autre sur la côte est de l’île de Vancouver. Plus précisément, les membres de la bande de Campbell River habitent la réserve no 11 (Campbell River) et les membres de la bande de Cape Mudge la réserve no 12 (Quinsam). En 1985 et 1989 respectivement, chacune des deux bandes a intenté une action en justice contre l’autre bande et contre la Couronne, revendiquant le droit exclusif aux deux réserves.
8 Les actions des bandes reposent sur un examen historique du processus ayant abouti à la création des deux réserves. En 1888, M. Ashdown Green, arpenteur du gouvernement fédéral, a recommandé la création de ces réserves. Dans son rapport, toutefois, il n’a pas attribué les réserves à une bande en particulier, mais plutôt aux Indiens Laich‑kwil‑tach. Le premier répertoire des réserves indiennes, publié en 1892 par le ministère des Affaires indiennes de l’époque, indiquait que les réserves nos 11 et 12 appartenaient aux Indiens Laich‑kwil‑tach, sans préciser de quelle façon elles devaient être réparties entre les bandes faisant partie de la Première nation Laich‑kwil‑tach. En 1902, le répertoire indiquait que les deux réserves étaient attribuées à la bande « Wewayakay » (Cape Mudge). Le nom de la bande de Cape Mudge « Wewayakay » était inscrit sur la ligne correspondant à la réserve no 7 et des guillemets de répétition étaient utilisés à la place de ce nom sur les lignes correspondant aux réserves nos 8 à 12.
9 L’attribution de la réserve no 11 à la bande de Cape Mudge a engendré des difficultés, étant donné que cette bande n’était alors pas en possession de cette réserve et ne l’avait d’ailleurs jamais été. Les membres de la bande de Campbell River l’occupaient exclusivement depuis plusieurs années. En 1905, un différend entre les deux bandes au sujet des droits de pêche dans la rivière Campbell s’est étendu à la possession de la réserve no 11. En 1907, le différend a été réglé au moyen d’une résolution par laquelle la bande de Cape Mudge cédait à la bande de Campbell River tout droit à la réserve no 11, conservant toutefois des droits de pêche dans ce secteur. Cette démarche a amené le ministère des Affaires indiennes à modifier le répertoire des réserves indiennes de 1902 en inscrivant le nom [traduction] « Bande We‑way‑akum » (Campbell River) sur la ligne correspondant à la réserve no 11. Par inadvertance, on a laissé les « guillemets de répétition » figurant sur la ligne suivante correspondant à la réserve no 12, donnant ainsi faussement l’impression que cette réserve était elle aussi attribuée à la bande de Campbell River. Cependant, la modification du répertoire ne visait que la réserve no 11 et on n’avait nullement entendu apporter quelque changement que ce soit à la situation de la réserve no 12.
10 En 1912, la Commission McKenna McBride a été établie et chargée d’examiner les différends qui persistaient entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Colombie‑Britannique relativement au nombre et à la taille des réserves dans cette province. La Commission a reconnu que la réserve no 11 avait à juste titre été attribuée à la bande de Campbell River, mais elle a relevé l’irrégularité à l’origine de la confusion touchant la réserve no 12. Néanmoins, la Commission n’a pas modifié le répertoire, de sorte que la bande de Cape Mudge a continué d’occuper la réserve no 12 et la bande de Campbell River la réserve no 11, sous réserve des droits de pêche dans la rivière Campbell accordés à la bande de Cape Mudge.
11 Le rapport McKenna McBride n’a pas reçu l’aval de la province. Les gouvernements fédéral et provincial ont alors établi la Commission Ditchburn Clark en vue de résoudre les différends qui continuaient de les opposer. Dans le rapport qu’elle a produit en 1923, la Commission Ditchburn Clark a repris la position avancée dans le rapport McKenna McBride relativement aux réserves nos 11 et 12. En 1924, les deux gouvernements ont adopté les recommandations de la Commission McKenna McBride, telles qu’elles avaient été modifiées par la Commission Ditchburn Clark. En 1938, la province a pris un décret transférant à la Couronne fédérale la maîtrise et l’administration des terres relatives aux réserves.
12 Le différend opposant les bandes a repris naissance dans les années 1970. En fin de compte, en décembre 1985, la bande de Campbell River a intenté une action en Cour fédérale contre la Couronne et la bande de Cape Mudge. L’action reprochait à la Couronne d’avoir manqué à son obligation de fiduciaire, de s’être rendue coupable de négligence, de fraude, de fraude en equity et de dol, en plus d’avoir manqué et de continuer à manquer à ses obligations légales envers la bande de Campbell River. Cette dernière a également prétendu que la bande de Cape Mudge était coupable d’intrusion et d’intrusion permanente sur la réserve no 12. En 1989, la bande de Cape Mudge a présenté une demande reconventionnelle contre la bande de Campbell River ainsi qu’une action contre la Couronne. La bande de Cape Mudge reprochait à la Couronne d’avoir manqué à son obligation de fiduciaire, à son devoir de loyauté et aux obligations qui lui incombent en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Par conséquent, chaque bande revendiquait les deux réserves (11 et 12) pour elle‑même, mais, à titre de réparation, demandait au tribunal non pas de déposséder l’autre bande de sa réserve mais plutôt de condamner la Couronne à lui verser une indemnité.
13 Les deux actions ont été réunies et entendues ensemble par le juge Teitelbaum de la section de première instance de la Cour fédérale. Le procès a duré 80 jours et les actions ont été rejetées le 19 septembre 1995 (99 F.T.R. 1). Les bandes ont interjeté appel à la Cour d’appel fédérale, qui les a déboutées de leur appel dans un jugement unanime rendu le 12 octobre 1999 (247 N.R. 350).
14 Les bandes ont demandé l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour, autorisation qui leur a été accordée le 12 octobre 2000, [2000] 2 R.C.S. vii. Les appels ont été entendus par la Cour au complet le 6 décembre 2001 et, le 6 décembre 2002, ils ont été rejetés dans des motifs exposés par le juge Binnie et auxquels ont souscrit tous les autres juges de la Cour. Celle‑ci a jugé que la Couronne n’avait pas manqué à son obligation de fiduciaire envers l’une ou l’autre bande et que, de toute façon, la Couronne pouvait invoquer des moyens de défense fondés sur l’equity, à savoir l’acquiescement et le manque de diligence. En outre, la Cour a conclu que les actions des bandes étaient prescrites en vertu des dispositions législatives applicables en la matière.
B. La demande d’accès à l’information
15 En février 2003, le ministère de la Justice a reçu une demande d’accès à l’information présentée par la bande de Campbell River en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1. Dans cette demande, la bande sollicitait la communication des éléments suivants :
[traduction] . . . copies, pour la période de 1982 à 1986, de tous documents, notamment lettres, correspondance et notes de service internes qui soit avaient été expédiées à M. William Binnie (Ian Binnie) [maintenant le juge Binnie], soit émanaient de ce dernier ou encore faisaient mention de lui et qui se rapportaient à la demande présentée contre le gouvernement fédéral par la bande indienne Wewaykum (ou Campbell River) et la bande indienne Wewaikai (ou Cape Mudge) à l’égard de la RI 12 Quinsam et la RI 11 Campbell River.
16 Durant l’audition des requêtes dont nous sommes saisis, les avocats de la bande de Campbell River ont expliqué les origines de la demande d’accès à l’information. À la suite du dépôt des motifs de la Cour, un autre des avocats de la bande, M. Robert T. Banno, a examiné ces motifs en compagnie de la bande et, comme l’ont rapporté les avocats de celle-ci en l’espèce, la bande était contrariée par le résultat du pourvoi et par le ton des motifs. Les avocats de la bande de Campbell River ont dit ceci :
[traduction] Ils étaient contrariés, pour être franc, par la teneur des motifs, en ce sens que l’action avait été rejetée
voici des mots qui ont été utilisés « revendications repos[a]nt sur des documents ». Et dans les faits ils estimaient, comme le font parfois les parties qui ont perdu leur procès, que leurs arguments n’avaient pas été considérés adéquatement.
17 Les avocats de la bande de Campbell River ont avancé l’argument suivant pour expliquer pourquoi une partie qui n’a pas eu gain de cause serait portée à présenter, geste par ailleurs inhabituel, une demande d’accès à l’information concernant l’un des auteurs des motifs de la Cour :
[traduction] Bon, il est possible de regarder la demande d’accès à l’information et d’y voir quelque chose d’autre qui ne serait peut‑être pas approprié -- bien, qu’il y aurait quelque chose d’inapproprié à agir ainsi. Selon moi, dans le cas où le client est contrarié, une demande d’accès à l’information peut bien s’avérer la mesure qui saura convaincre le client ou la partie que tout est correct. Je veux dire qu’il peut s’agir du genre de situation où en bout de ligne -- la demande d’accès à l’information ne révèle rien et où le client est satisfait. Bien, advienne que pourra. . .
. . .
. . . dans une situation comme celle‑là, lorsqu’on s’assoit avec un client et -- une partie et qu’on lui explique ce qui s’est passé, c’est le genre de mesure qui aide à expliquer ce qui est arrivé. On lui dit, regarde, il ne s’est rien passé de répréhensible, tout est régulier.
. . .
. . . selon moi, il ne faut pas attribuer le dépôt de cette demande d’information à quelque motif inapproprié. Une telle mesure aide parfois les avocats à expliquer les choses aux parties, à dissiper ce genre d’inquiétudes.
18 Les avocats de la bande de Campbell River ont fourni ces explications afin de réfuter toute suggestion voulant qu’on ait soupçonné, avant ou pendant le pourvoi devant notre Cour, le rôle du juge Binnie relativement à la demande de la bande il y a de cela de nombreuses années en tant que sous‑ministre adjoint au sein du ministère de la Justice, mais qu’on n’ait enquêté à ce sujet qu’une fois rendue la décision défavorable.
C. Résultats de la demande d’accès à l’information
19 Par suite de la demande d’accès à l’information, le ministère de la Justice a trouvé un certain nombre de notes de service internes qui soit avaient été expédiées à M. Binnie, soit émanaient de ce dernier ou encore faisaient mention de lui et qui se rapportaient à la demande de la bande de Campbell River. Ces notes de service indiquent que, à la fin de 1985 et au début de 1986, M. Binnie, en sa qualité de sous‑ministre adjoint de la Justice à l’époque, a reçu certains renseignements et assisté à une réunion au cours des premiers stades de la demande de la bande de Campbell River. Le 23 mai 2003, le sous‑procureur général adjoint, James D. Bissell, c.r., a écrit à la registraire de la Cour suprême du Canada pour l’informer que, par suite de la préparation de la réponse du ministère à la demande d’accès à l’information, il semblait ressortir de l’information colligée [traduction] « que M. W.I.C. Binnie, en 1985 et au début de 1986, dans le cours de ses fonctions de sous‑ministre adjoint de la Justice, a participé à des discussions avec des avocats du ministère de la Justice relativement à l’affaire Bande indienne Wewaykum [Campbell River] ».
20 Étaient joints à la lettre adressée à la registraire par le sous‑procureur général adjoint Bissell plusieurs documents, datés de 1985 à 1988, faisant état du nom de M. Binnie et de la demande de la bande de Campbell River contre le gouvernement fédéral relativement aux réserves nos 11 et 12. M. Bissell indiquait à la registraire que, en tant qu’auxiliaire de la justice, le ministère de la Justice renonçait au privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard de ces documents et que ceux-ci seraient communiqués à l’auteur de la demande d’accès présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Il a également indiqué que le ministère entendait présenter, conformément à l’art. 3 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, une requête sollicitant des directives quant aux démarches qui pourraient devoir être prises en raison des renseignements figurant dans sa lettre. Était annexée à cette lettre une déclaration énonçant les faits suivants qui font partie du dossier présenté au soutien de la requête :
[traduction]
1. L’affaire Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] C.S.C. 79, no du greffe 27641 a été entendue par la Cour suprême du Canada le 6 décembre 2001 et jugement a été rendu le 6 décembre 2002.
2. La déclaration initiale dans cette affaire a été déposée en décembre 1985 et la défense initiale de la Couronne a été déposée le 28 février 1986.
3. La Section de première instance de la Cour fédérale a rendu jugement le 19 septembre 1995 et la Cour d’appel fédérale le 12 octobre 1999.
4. M. W.I.C. Binnie a occupé la charge de sous‑ministre adjoint de la Justice du 2 septembre 1982 jusqu’au 31 juillet 1986, date à laquelle il a quitté le ministère de la Justice pour aller exercer le droit dans le secteur privé.
5. En tant que sous‑ministre adjoint, M. Binnie était notamment responsable de tous les litiges, tant en matières civiles que pénales, auxquels était partie le gouvernement du Canada dans les provinces et territoires de common law
dans ce contexte, il supervisait de façon générale des milliers de dossiers. Outre ses responsabilités en matière de contentieux, M. Binnie était également responsable du droit relatif aux Autochtones au sein du ministère.
6. L’information découverte dans le cours de la préparation de la réponse à la demande de renseignements fondée sur la Loi sur l’accès à l’information reçue en février 2003 a révélé que M. Binnie avait eu l’occasion de discuter de l’affaire avec des avocats du ministère de la Justice à la fin de 1985 et au début de 1986.
7. Lorsqu’ils se préparaient en vue de l’audition de l’affaire par la Cour suprême du Canada, les avocats du ministère de la Justice ont relevé le fait que M. Binnie était sous‑ministre adjoint en 1985 et 1986 et se sont demandé si ce dernier avait participé de façon particulière au dossier.
8. Les avocats n’ont pas procédé à un examen exhaustif des dossiers. Par conséquent, ils n’ont pas découvert à ce moment‑là le rôle joué par M. Binnie.
21 Des exemplaires de la lettre du sous‑procureur général adjoint Bissell, de la déclaration reproduite plus haut et des documents joints à la lettre ont été communiqués aux avocats des autres parties et des intervenants.
D. La demande de directives
22 Le 26 mai 2003, la Couronne a déposé et fait signifier une requête sollicitant des directives dans laquelle elle invoquait les moyens suivants :
[traduction]
1. Jugement a été rendu dans le présent pourvoi le 6 décembre 2002. L’appel formé contre la décision de la Cour d’appel fédérale a été rejeté à l’unanimité (9:0). L’honorable juge Binnie a rédigé la décision
2. il a récemment été porté à l’attention de l’avocat de l’intimée, Sa Majesté la Reine, que, en 1985 et 1986, lorsque M. le juge Binnie était sous‑ministre adjoint de la Justice (secteur du contentieux), ce dernier a participé à certaines discussions préliminaires au sein du ministère relativement à l’instance qui a éventuellement donné lieu au présent pourvoi devant la Cour
3. l’intimée dépose en conséquence la présente requête afin de communiquer officiellement ce fait à la Cour et de demander des directives quant aux démarches qui devraient, le cas échéant, être prises.
23 Ont été produits, avec la requête sollicitant des directives, des documents concernant M. Binnie pendant qu’il travaillait au ministère de la Justice et la demande de la bande de Campbell River relativement aux réserves nos 11 et 12. Dès la réception de la requête par la Cour, le juge Binnie s’est récusé à l’égard de toutes procédures ultérieures dans cette affaire et, le 27 mai 2003, il a déposé la déclaration suivante auprès de la registraire de la Cour suprême :
[traduction] Relativement à la requête sollicitant des directives qu’a présentée la Couronne hier, je vous saurais gré de verser la présente note au dossier de la Cour et d’en communiquer la teneur aux avocats des parties.
Il est notoire que, de septembre 1982 à juillet 1986, j’ai occupé la charge de sous‑ministre adjoint de la Justice et que, à ce titre, j’étais responsable de toutes les poursuites intentées par la Couronne fédérale ou contre celle‑ci, sauf les affaires fiscales et celles se déroulant au Québec. Ces poursuites incluaient les affaires concernant des Indiens. À tout moment durant cette période, j’étais responsable de plusieurs milliers de dossiers.
Lorsque le pourvoi en cause était pendant devant notre Cour en 2002, il ne m’est revenu aucun souvenir d’avoir participé personnellement à ce dossier 17 ans plus tôt lorsque l’affaire a pris naissance. Ce sont des avocats du ministère au bureau régional de Vancouver qui s’occupaient de ce dossier.
Je ne me rappelle pas avoir participé de quelque façon à cette affaire au‑delà de ce qui est indiqué dans le dossier du ministère.
Je me récuse à l’égard de la requête susmentionnée.
24 La Cour a invité les parties à présenter des observations supplémentaires à l’égard de la demande de directives de la Couronne. Cette dernière a déposé un mémoire dans lequel elle soutient qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’a entaché la décision de la Cour du fait de la charge occupée par le juge Binnie au ministère de la Justice et de sa participation quelque 17 années plus tôt à un dossier à l’égard duquel il n’avait aucun souvenir. La bande de Cape Mudge a répondu en sollicitant une ordonnance annulant l’arrêt rendu par la Cour le 6 décembre 2002 et demandant à la Cour de recommander aux parties d’amorcer un processus de négociation et de réconciliation. Subsidiairement, la bande de Cape Mudge a demandé une ordonnance suspendant l’application du jugement pendant une période de quatre mois pour permettre aux parties de participer à un processus de négociation et de réconciliation et de présenter au besoin des observations supplémentaires à la Cour.
25 Pour sa part, la bande de Campbell River a demandé une ordonnance annulant le jugement et les motifs de jugement déposés par la Cour le 6 décembre 2002, ainsi qu’une ordonnance autorisant la présentation d’une demande de redressement supplémentaire en cas d’annulation de la décision de la Cour. La Couronne a contesté les deux requêtes ainsi que la prétention de la bande de Cape Mudge selon laquelle la tenue de négociations supplémentaires constituerait une réparation appropriée en l’espèce.
26 Le procureur général de la Colombie‑Britannique, un intervenant, a plaidé qu’il n’a pas existé de crainte raisonnable de partialité et que les requêtes en annulation devaient être rejetées.
27 Plusieurs autres intervenants, en l’occurrence la bande Gitanmaax, la bande Kispiox et la bande de Glen Vowell ont avancé que l’arrêt de la Cour devait être gannulé.
E. Le détail de la participation du juge Binnie dans l’action des appelants en 1985‑1986
28 Nous allons maintenant examiner les documents produits par la Couronne pour déterminer la nature et l’étendue de la participation de M. Binnie relativement à la demande de la bande de Campbell River en 1985 et 1986. La Couronne a produit dix-sept documents. Comme il a été indiqué plus tôt, les documents en question sont reproduits intégralement à l’annexe. Tous ces documents ont été montrés à M. Binnie ou vus par celui‑ci dans le cours de ses fonctions de sous‑ministre adjoint de la Justice. Les documents pertinents se rapportent à la demande de la bande de Campbell River. L’action de la bande de Cape Mudge a été intentée en 1989, plusieurs années après le départ de M. Binnie du ministère de la Justice. Comme on peut le constater, les 17 documents sont constitués d’une lettre et de 16 notes de service internes. La lettre, datée du 23 mai 1985, est signée par M. Binnie et adressée au chef Sol Sanderson de la Federation of Saskatchewan Indian Nations et elle n’est manifestement pas pertinente à l’égard des requêtes dont nous sommes saisis. Des 16 autres documents, deux ont été produits en double. Il s’agit en l’occurrence de la note de service datée du 13 décembre 1985 et de celle du 25 février 1986 de Mme Mary Temple à M. Binnie. Par conséquent, 14 documents doivent être examinés et nous le ferons chronologiquement.
29 La note de service no 1, datée du 19 juin 1985, est une « note pour le dossier » rédigée par Mme Temple, avocate-conseil par intérim, Bureau des revendications des Autochtones. Le nom de M. Binnie figure dans cette note de service parce qu’on y fait mention de la lettre du 23 mai 1985 au chef Sanderson. La note ne donne aucune précision sur un quelconque rôle de M. Binnie dans la demande de la bande de Campbell River et elle n’est pas pertinente à l’égard des requêtes dont nous sommes saisis en l’espèce.
30 La note de service no 2, datée du 9 août 1985, est une note de Mme Temple à M. Binnie. Cette note de service est antérieure à la déclaration déposée par la bande de Campbell River dans l’action. La note indique qu’une question soulevée par la revendication de la bande de Campbell River et celle de la bande de Port Simpson avait été soumise à M. Tom Marsh du bureau de Vancouver pour obtenir son avis à cet égard. On précise également dans la note que cet avis ne sera pas prêt avant le milieu de septembre. L’auteure de la note termine en demandant à être informée de toute communication des représentants de la bande de Port Simpson concernant l’avis relatif à la revendication de la bande.
31 La note de service no 3 est également antérieure à la déclaration produite par la bande de Campbell River dans l’action. Cette note, datée du 11 octobre 1985, a été expédiée à M. Binnie par M. R. Green, avocat général au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La note de service, qui porte sur les revendications des bandes de Campbell River et de Port Simpson, a été préparée en vue d’une rencontre entre MM. Binnie et Green où ceux-ci devaient discuter d’une question de droit [traduction] « qui concerne potentiellement toutes les revendications présentées par des bandes de la C.-B., ou à tout le moins les revendications requérant la détermination de droits et obligations découlant de la période antérieure à McKenna/McBride ». La note de service traite de la création des réserves en Colombie‑Britannique et de la publication d’avis à cet égard dans la Gazette. Dans sa note, M. Green fait état de l’avis préparé par M. Marsh et énumère trois interprétations pouvant être données des dispositions législatives pertinentes de la C.‑B. :
[traduction]
1. aucune réserve n’est légalement établie tant que l’avis à cet effet n’a pas été publié dans la Gazette
2. les dispositions relatives à la publication dans la Gazette visent la constitution de réserves foncières
3. la procédure de publication d’un avis dans la Gazette est un préalable au transfert au fédéral de la maîtrise et de l’administration des réserves mais non à la création d’un intérêt en faveur des Indiens.
32 On peut lire, dans la marge, la note manuscrite suivante, vraisemblablement rédigée par M. Green à M. Binnie : [traduction] « À première vue le 3e argument semble le moyen le moins préjudiciable à invoquer. »
33 La note de service no 4, datée du 12 décembre 1985, est adressée à M. Binnie par M. Duff Friesen, avocat général, Section du contentieux des affaires civiles. Dans cette note, M. Friesen propose de confier au Bureau régional de Vancouver du ministère de la Justice la déclaration déposée par la bande de Campbell River, le 2 décembre 1985. À la main, sur la note, M. Binnie a écrit [traduction] « Je suis d’accord ».
34 La note de service no 5, datée du 13 décembre 1985, est adressée par Mme Temple à M. G. Donegan, avocat général, Bureau régional de Vancouver, et copie de cette note a été transmise à M. Binnie. L’auteure de la note indique que la bande de Campbell River a déposé une déclaration et entend recourir aux tribunaux plutôt que négocier dans le cadre de la politique du ministère des Affaires indiennes. Mme Temple précise en outre que certains aspects de la revendication ont fait l’objet de correspondance avec M. Marsh du Bureau régional de Vancouver et de discussions avec M. Binnie, à Ottawa. Au sujet de ces discussions, Mme Temple écrit ceci :
[traduction] En particulier, Ian Binnie a exprimé l’avis que le rapport McKenna McBride, dans la mesure où il y est précisé que la réserve Quinsam no 12 était la réserve de la bande de Campbell River, devrait être pris à la lettre, indépendamment du fait que l’attribution de la réserve à cette bande découle d’une erreur administrative dans la liste des réserves que la Commission a utilisée comme principale source de renseignements.
35 La note de service no 6, datée du 14 janvier 1986, est adressée à Mme Temple par M. Binnie. Ce dernier accuse d’abord réception de la note de service no 5 et reproduit l’extrait précité de cette note, puis il écrit ceci :
[traduction] Je me souviens d’une discussion à ce sujet, mais pas dans les termes sommaires dans lesquels vous énoncez la chose. Pourriez‑vous me faire parvenir une note exposant les faits de l’affaire et les questions de droit dont nous avons discuté, ainsi que toute autre question de droit pertinente qui, selon vous, devrait être examinée?
36 La note de service no 7, datée du 15 janvier 1986, est une note de M. Binnie à M. Harry Wruck du Bureau régional de Vancouver. Dans cette note, M. Binnie écrit qu’il est ravi que le dossier ait été confié à M. Bill Scarth (maintenant le juge Scarth). Il demande en outre à être informé de toute question qui devrait être portée à l’attention du ministre.
37 La note de service no 8, datée du 20 janvier 1986, est adressée à M. Binnie par Mme Temple en réponse à la note de service no 6. Dans la note no 8, Mme Temple expose les faits relatifs à la revendication de la bande de Campbell River et conclut en décrivant ainsi les discussions qu’ils ont eues au sujet de la revendication :
[traduction] Lors de notre discussion au sujet de cette revendication en octobre 1985, nous avons surtout parlé d’une autre question de droit. Cependant, lorsque nous avons abordé la question de l’effet du rapport de la Commission McKenna McBride sur les réserves nos 11 et 12, vous avez indiqué qu’une interprétation des termes clairs du rapport McKenna McBride comme celle que j’ai proposée ne devrait pas être soutenue et que le rapport devrait être pris à la lettre, de sorte que seule la bande de Campbell River soit investie légalement d’un droit dans ces deux réserves. Si j’ai bien compris les raisons que vous invoquez au soutien de cette position, ce serait que, si nous commençons à mettre en doute de quelque façon que ce soit certains éléments tels qu’ils figurent au dossier, nous remettrions en question d’autres aspects du rapport McKenna McBride.
L’autre question à laquelle nous nous sommes attaqués lors de la discussion du mois d’octobre concernait l’effet de la loi de la C.-B. intitulée Land Act sur la création des réserves à l’époque des commissions des réserves au dix‑neuvième siècle. En particulier, une des interprétations de cette loi aurait confirmé la nécessité de publier dans la Gazette de la C.‑B. la décision du gouvernement de cette province, ou de ses fonctionnaires autorisés, de créer des réserves pour les bandes avant qu’on puisse considérer qu’une bande possède un intérêt dévolu dans une de ces réserves. Nous avons conclu que, quel que soit le fondement de cette interprétation, nous devrions continuer de soutenir, du moins en ce qui concerne les réserves de Campbell River et de Quinsam, qu’il n’existait aucune obligation de publier un avis préalable dans la Gazette pour que l’on puisse considérer qu’elles avaient été créées. La loi en question était assez ambiguë et notre décision reflétait une tentative de soutenir une interprétation qui, bien sûr, était raisonnablement défendable, mais tenait compte aussi du traitement accordé à ces réserves pendant la période précédant la mise en œuvre du rapport McKenna McBride.
Comme il est mentionné dans l’extrait précité, les discussions auxquelles Mme Temple fait allusion sont survenues en octobre 1985, soit avant que la bande de Campbell River ne dépose sa déclaration dans l’action et pendant que les parties participaient encore au processus de négociation.
38 La note de service no 9, datée du 25 février 1986, est elle aussi adressée par Mme Temple à M. Binnie. L’auteure de la note a joint à celle-ci, à l’intention de M. Binnie, une copie de la déclaration de la bande de Campbell River. Dans la note, l’auteure précise que, lorsque M. Binnie et elle ont discuté de ce dossier, [traduction] « pendant que celui‑ci suivait encore son cours dans le processus du Bureau des revendications des Autochtones et avant que la bande de Campbell River n’ait décidé de s’adresser aux tribunaux ». Mme Temple mentionne en outre que M. Scarth, dont les services avaient été précédemment retenus et qui était responsable de l’action, avait reçu instruction de présenter une défense complète. Mme Temple indique aussi ce qui suit dans sa note :
[traduction] Je tiens également à vous signaler, à titre d’information, que la présentation par la Couronne d’une défense complète pourrait amener cette dernière à faire une certaine atténuation ou interprétation de l’application du rapport McKenna McBride, position que vous avez déconseillée lors de nos discussions concernant les négociations. Il nous a semblé, à Bob Green, à moi, ainsi qu’aux fonctionnaires du ministère que, dans le contexte de la présente action, cette défense était néanmoins justifiée.
39 La note de service no 10, datée elle aussi du 25 février 1986, est une note de Mme Temple à M. Scarth. La note communique l’instruction de déposer une défense complète. Le passage suivant de cette note porte sur la participation de M. Binnie aux discussions concernant la revendication :
[traduction] Puisqu’une telle défense pourrait amener la présentation d’arguments juridiques impliquant le « réexamen » des décisions de la Commission McKenna McBride mises en œuvre par la législation et les décrets, les présentes directives sont transmises à Ian Binnie parce que, lorsque nous avons initialement discuté avec lui de la position du gouvernement à l’égard de la revendication, il a conseillé de ne pas contester le rapport McKenna McBride lui-même, du moins pas pendant le processus des revendications.
40 Les notes 8, 9 et 10 établissent que les conseils prodigués par M. Binnie au sujet de l’attitude à favoriser relativement au rapport McKenna McBride l’ont été dans le contexte du processus de négociation et non dans le cadre des procédures judiciaires. De fait, l’avis de M. Binnie, dans le contexte de la négociation visant à régler la revendication de la bande de Campbell River, est ce qui a conduit à la reconnaissance de la validité de la revendication aux fins de négociation. Dans la note de service no 9, Mme Temple a écrit ceci :
[traduction] Lorsque nous avons discuté de la position que la Couronne devrait adopter durant la négociation d’un règlement en vertu du processus de règlement des revendications, nous avons décidé de recommander d’accepter la revendication de la bande de Campbell River aux fins de négociation, car agir autrement laisserait entendre que la mise en œuvre du rapport McKenna McBride n’avait pas eu pour effet d’attribuer la réserve no 12 à la bande indienne de Campbell River. Par ailleurs, cette position était considérée comme bien fondée parce que, même si la revendication était discutable, tant en droit qu’en fait, elle semblait étayée par suffisamment d’arguments raisonnables pour justifier un règlement, du moins au prorata, d’autant plus qu’elle aurait probablement nécessité une cession par la bande de Campbell River et, par conséquent, une clarification de l’intérêt de la bande de Cape Mudge dans la réserve.
41 La note de service no 11 datée du 27 février 1986, est adressée par Mme Temple à Mme Carol Pepper, conseillère juridique, Direction des revendications particulières de Vancouver. Mme Temple indique à Mme Pepper qu’elle lui transmet un certain nombre d’avis tirés du dossier de la revendication de la bande de Campbell River. Dans sa note, Mme Temple écrit que les opinions qu’elle a émises reflètent en bout de ligne la position préconisée par Ian Binnie, à savoir de [traduction] « ne pas “aller au-delà de la lettre” du rapport McKenna McBride ».
42 La note de service no 12 datée du 3 mars 1986 est adressée à M. Binnie par M. Scarth. En même temps que cette note, ce dernier transmet à M. Binnie une copie de la défense préparée, vraisemblablement par M. Scarth lui-même, et déposée pour le compte de la Couronne le 28 février 1986. Dans sa note, M. Scarth indique que, selon lui, la défense reflète les positions du ministère de la Justice et du ministère des Affaires indiennes. Il mentionne en outre avoir tenté de ne pas répudier le rapport de la Commission McKenna McBride.
43 La note de service no 13, datée du 5 mars 1986, est la réponse de M. Binnie à la note de service no 9 émanant de Mme Temple. Dans la note no 13, M. Binnie dit ceci :
[traduction] Pour ce qui est du traitement qu’il faut réserver au rapport McKenna McBride, je suggère d’attendre l’avis de Bill Scarth sur la façon dont cet aspect de notre éventuelle défense devrait être abordé. En ce qui me concerne, c’est Bill Scarth qui est responsable du dossier. Je suis certain qu’il tiendra compte de l’opinion que vous, Bob Green et les « fonctionnaires du ministère » avez formulée et selon laquelle il conviendrait que la Couronne invoque en défense une certaine atténuation ou interprétation de la mise en œuvre du rapport McKenna McBride.
J’attends que Bill Scarth me fasse part, en temps et lieu, de son opinion sur cet aspect de l’affaire. Nous déciderons alors de ce qu’il faut faire.
44 La note de service no 13 est le dernier document attestant de la participation de M. Binnie dans cette affaire. Comme l’ont reconnu les parties, la décision de la Cour quant au degré de participation de M. Binnie relativement à la demande de la bande de Campbell River doit reposer sur la preuve documentaire produite par la Couronne. Le dossier ne révèle aucune autre participation et, en particulier, aucune intervention de M. Binnie dans cette affaire du 5 mars 1986 jusqu’à son départ du ministère de la Justice, le 31 juillet 1986.
45 Enfin, la note de service no 14, qui est datée du 3 février 1988, date postérieure au départ de M. Binnie du ministère de la Justice, est adressée par M. Scarth à M. E.A. Bowie, c.r., sous‑procureur général adjoint (maintenant le juge Bowie). Dans cette note, M. Scarth résume l’affaire Campbell River à l’intention de M. Bowie. Il y écrit :
[traduction] Je souligne en passant que, pendant qu’il était sous‑ministre adjoint, Ian Binnie a suggéré, en raison de leurs répercussions plus générales, que nous ne contestions pas la validité des travaux de la Commission royale. En toute déférence, je partage toujours cet avis et, selon moi, il s’agit de délimiter plus étroitement ce que la Commission a fait, du moins en ce qui concerne les réserves en question.
III. Les prétentions des parties
A. La bande de Cape Mudge, la bande de Campbell River et les intervenantes, la bande Gitanmaax, la bande Kispiox et la bande de Glen Vowell
46 Les bandes de Campbell River et de Cape Mudge reconnaissent toutes deux qu’il ne s’agit pas d’une affaire de partialité réelle. Ni l’une ni l’autre ne prétend que le juge Binnie a fait preuve de partialité réelle ou que les motifs du jugement ou le jugement de notre Cour sont entachés de partialité. Les deux bandes acceptent sans réserve la déclaration du juge Binnie selon laquelle il n’avait aucun souvenir d’avoir participé personnellement à cette affaire. Cependant, elles font valoir que les documents communiqués par la Couronne font naître une crainte raisonnable de partialité.
47 La bande de Cape Mudge a soutenu que la participation du juge Binnie dans la demande de la bande de Campbell River était à ce point substantielle qu’il avait effectivement agi comme avocat-conseil de la Couronne et qu’il était inhabile en raison du principe voulant qu’un juge ne doive pas entendre une affaire dans laquelle il a agi comme conseiller juridique à quelque étape que ce soit des procédures. Selon la bande de Cape Mudge, les documents communiqués révèlent que le juge Binnie participait activement à l’analyse du risque et à l’élaboration d’une stratégie d’instance pour le compte de la Couronne défenderesse. La bande a plaidé que la participation du juge Binnie au litige pendant qu’il était sous‑ministre adjoint de la Justice permet légitimement de se demander si les positions qu’il a formulées et recommandées, ainsi que les divers documents et notes de service qu’il a lus n’ont pas eu d’influence sur sa façon d’aborder la même affaire en tant que juge. Selon la bande Cape Mudge, cette influence pourrait bien être inconsciente et l’absence de souvenir du juge Binnie ne change pas le fait qu’il a participé à l’affaire d’une manière substantielle et pertinente. Selon cette bande, le fait que le juge Binnie a participé à l’affaire à titre d’avocat de la Couronne défenderesse, conjugué au fait qu’une quinzaine d’années plus tard, dans le même litige, il a rédigé un jugement dégageant la Couronne de toute responsabilité potentielle, fait naître une crainte raisonnable de partialité. La bande de Cape Mudge a fait valoir que, si les documents communiqués par la Couronne avaient été connus avant l’audition des pourvois par notre Cour, le juge Binnie se serait récusé.
48 La bande de Campbell River a soutenu que le critère de détermination de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est respecté lorsqu’un juge entend une affaire à laquelle il a participé de quelque façon que ce soit dans le passé. De l’avis de cette bande, il ressort des documents communiqués par la Couronne que la participation passée du juge Binnie à la demande de la bande était substantielle. À l’instar de la bande de Cape Mudge, la bande de Campbell River a prétendu que, si la participation passée du juge Binnie à la présente affaire avait été connue avant l’audience, ce dernier n’aurait eu d’autre choix que de se récuser, à moins que toutes les parties n’aient consenti à ce qu’il connaisse de l’affaire. Selon la bande de Campbell River, une preuve subjective de l’état d’esprit d’un juge — et de ce fait l’absence de souvenir du juge Binnie — n’est pas pertinente en droit pour décider s’il existe une crainte raisonnable de partialité. La bande de Campbell River a en outre plaidé que, en raison de l’intérêt particulier que manifeste le juge Binnie pour les questions autochtones, du caractère exceptionnel de l’« erreur des guillemets de répétition » dont il est question en l’espèce et de la participation du juge Binnie comme avocat dans l’affaire Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, le bon sens veut qu’une certaine connaissance « contaminante » ait survécu à l’écoulement du temps, ne serait‑ce qu’inconsciemment.
49 Pour ce qui est de la réparation, les deux bandes ont fait valoir qu’un jugement entaché d’une crainte raisonnable de partialité est nul et doit être annulé. Selon la bande de Campbell River, le concours des huit autres juges de notre Cour n’élimine pas l’effet de la partialité. La bande a soutenu que, en droit, une crainte raisonnable de partialité entache toute la procédure et est présumée se transmettre entre les décideurs.
50 Comme il a été indiqué plus tôt, la bande de Cape Mudge a également demandé à notre Cour de recommander aux parties d’amorcer un processus de négociation et de réconciliation ou, subsidiairement, de suspendre l’exécution du jugement pendant quatre mois afin de permettre la tenue de discussions entre les parties. Quant à elle, la bande de Campbell River a sollicité une ordonnance l’autorisant à présenter une demande de redressement supplémentaire en cas d’annulation du jugement de la Cour. Pendant les débats, les avocats des bandes ont indiqué qu’il était possible que les pourvois doivent éventuellement être entendus à nouveau si le jugement était annulé et s’il s’avérait impossible pour les parties d’arriver à un accord.
51 Les intervenantes, la bande Gitanmaax, la bande Kispiox et la bande de Glen Vowell ont présenté des observations écrites au soutien des requêtes sollicitant l’annulation du jugement rendu par notre Cour. Selon ces intervenantes, les faits de l’espèce font naître une crainte raisonnable de partialité et il faut en conséquence conclure, en droit, à l’existence de partialité. À leur avis, l’absence de souvenir réel du juge Binnie n’est pas un facteur pertinent. Les intervenantes vont plus loin et suggèrent que le juge Binnie a pu faire preuve de partialité réelle, même s’il n’en avait pas l’intention ou ne se souvenait pas de sa participation au dossier. Tout comme les bandes de Campbell River et de Cape Mudge, les intervenantes ont soutenu que le juge Binnie se serait récusé s’il s’était souvenu de sa participation à la présente affaire avant l’audience.
B. La Couronne et l’intervenant, le procureur général de la Colombie‑Britannique
52 La Couronne a affirmé que le jugement de notre Cour ne devait pas être annulé et qu’aucune autre réparation n’était nécessaire. Selon la Couronne, la règle portant qu’un juge est inhabile s’il a agi antérieurement comme avocat dans l’affaire est subordonnée au principe général selon lequel il n’y a inhabilité que s’il existe une crainte raisonnable de partialité. En conséquence, la Couronne a plaidé que le critère général établi par le juge de Grandpré dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, et confirmé dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, devrait s’appliquer aux circonstances particulières de l’espèce.
53 De prétendre la Couronne, comme le juge Binnie n’avait aucun souvenir de l’affaire, il n’a apporté avec lui aucune connaissance de sa participation passée aux discussions concernant la demande de la bande de Campbell River. Par conséquent, il n’existait ni partialité réelle ni crainte raisonnable de partialité de sa part. S’appuyant sur la décision rendue par la Cour d’appel d’Angleterre dans Locabail (U.K.) Ltd. c. Bayfield Properties Ltd., [2000] Q.B. 451, la Couronne a plaidé que l’absence de souvenir du juge Binnie dissipe toute apparence de partialité possible. Selon elle, le fait que la participation passée du juge Binnie remonte à 17 ans renforce la conclusion qu’il ne peut y avoir de crainte raisonnable de partialité. À cet égard, les bandes admettent que l’écoulement du temps est un facteur pertinent. Enfin, la Couronne a soutenu que, puisque notre Cour a rejeté les pourvois à l’unanimité et que le juge Binnie ne se souvenait pas de sa participation antérieure, aucune personne raisonnable ne saurait conclure que ce dernier a influencé de quelque façon les huit autres juges ayant entendu l’affaire.
54 Le procureur général de la Colombie‑Britannique a lui aussi affirmé que le jugement de notre Cour ne devait pas être écarté, plaidant que les renseignements divulgués par la Couronne n’auraient pas nécessité la récusation du juge Binnie, même si une demande en ce sens avait été présentée avant l’audience. A fortiori, les renseignements divulgués n’établissent pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et ne requièrent pas l’annulation du jugement. Le procureur général de la Colombie‑Britannique a de plus fait valoir que, bien que la preuve de la subjectivité de l’état d’esprit d’un juge ne soit pas déterminante quant à la question de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité, cette preuve demeure pertinente et utile à l’observateur sensé et raisonnable.
55 Le procureur général de la Colombie‑Britannique a soutenu que le juge Binnie n’avait pas agi comme avocat de la Couronne en l’espèce. Sa participation consistait à exercer des fonctions générales d’administration et de supervision, lesquelles ne soulèvent aucune crainte raisonnable de partialité. Le procureur général de la Colombie‑Britannique a plaidé qu’une personne raisonnable ne considérerait pas que les opinions provisoires portant sur une question générale qu’a formulées le juge Binnie 15 ans plus tôt, en sa qualité de sous‑ministre adjoint, l’ont empêché de trancher l’affaire avec impartialité.
56 Le procureur général de la Colombie‑Britannique a en outre affirmé que, comme en l’espèce le décideur était la Cour au complet, une crainte raisonnable de partialité à l’égard du juge Binnie n’est pas importante juridiquement, sauf si on établit également l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’égard du jugement rendu par l’ensemble de la Cour. En l’espèce, le jugement rendu par la Cour au complet n’est entaché d’aucune crainte de partialité. Qui plus est, la présomption d’impartialité est renforcée par des considérations d’ordre pratique dans le cas des tribunaux d’appel. La nature collégiale de ces tribunaux et le fait qu’ils examinent habituellement une preuve écrite réduisent la mesure dans laquelle les caractéristiques personnelles, les traits de caractère et le tempérament de chaque juge peuvent jouer. Enfin, selon le procureur général de la Colombie‑Britannique, s’il y a partialité entraînant l’inhabilité de l’ensemble de la Cour, la seule réparation serait l’annulation du jugement et le réexamen des pourvois sans la participation du juge Binnie, en application de la doctrine de la nécessité.
IV. L’analyse
A. L’importance du principe de l’impartialité
57 Pour statuer sur les requêtes présentées par les parties, il nous faut examiner les circonstances de l’espèce au regard du principe fondamental et bien établi de l’impartialité des cours de justice. Point n’est besoin en l’espèce de réaffirmer l’importance de ce principe, question à l’égard de laquelle on a pu observer un intérêt renouvelé dans les pays de common law durant la dernière décennie. En termes simples, la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte.
58 L’essence de l’impartialité est l’obligation qu’a le juge d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit trancher. À l’inverse, voici comment on a défini la notion de partialité ou préjugé :
[traduction] . . . une tendance, une inclination ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu’une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c’est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d’une certaine façon qui ne permet pas au juge d’être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.
(R. c. Bertram, [1989] O.J. No. 2123 (QL) (H.C.), cité par le juge Cory dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 106.)
59 Considérée sous cet éclairage, « [l]’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. Comme l’ont signalé les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d’impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l’impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé.
60 En droit canadien, une norme s’est maintenant imposée comme critère de récusation. Ce critère, formulé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, précité, p. 394, est la crainte raisonnable de partialité :
. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
61 Nous reviendrons sous peu sur l’application de cette norme aux circonstances décrites dans la section traitant des faits. D’abord, toutefois, il est nécessaire de clarifier le rapport entre cette norme objective et deux autres facteurs : le facteur subjectif de la partialité réelle et la notion d’inhabilité automatique qui refait surface dans de récentes décisions britanniques.
B. Crainte raisonnable de partialité et partialité réelle
62 La question de savoir si, dans les faits, le juge a fait jouer des préjugés ou le ferait se pose rarement. Il va de soi que, lorsque l’existence d’une telle situation peut être établie, elle entraîne inévitablement l’inhabilité du juge concerné. Cela dit, toutefois, dans la plupart des cas où la question de l’inhabilité est débattue, toutes les parties commencent d’abord par reconnaître qu’il n’y a pas partialité réelle, puis elles passent à l’examen de la question de la crainte raisonnable de partialité. En l’espèce, comme dans beaucoup d’affaires, les parties concèdent qu’il n’y a pas eu partialité réelle de la part du juge Binnie, et la déclaration de ce dernier selon laquelle il n’avait aucun souvenir de sa participation à l’affaire est elle aussi acceptée par tous les intéressés. Comme l’ont indiqué les parties, l’intégrité personnelle du juge Binnie n’est pas mise en doute, ni dans les présents pourvois ni dans quelque autre appel qu’il a entendu en tant que juge de notre Cour. Néanmoins, affirme-t‑on, les circonstances de l’espèce sont de nature à faire naître une crainte raisonnable de partialité de la part du juge Binnie. Puisque les deux propositions sont indissociables, il est utile, pour bien comprendre le sens de la notion de crainte raisonnable de partialité, de se demander ce que signifie le fait d’affirmer qu’on ne plaide pas l’inhabilité sur le fondement de la partialité réelle.
63 Dire qu’il y avait « absence de partialité réelle » peut signifier l’une des trois choses suivantes : qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence de la partialité réelle parce que la crainte raisonnable de partialité peut être considérée comme un critère de remplacement
qu’il peut y avoir partialité inconsciente, même lorsque le juge est de bonne foi
que la présence ou l’absence de partialité réelle n’est pas la question pertinente. Examinons chacune de ces possibilités à tour de rôle.
64 Premièrement, lorsque les parties affirment qu’il y avait absence de partialité réelle de la part du juge, elles peuvent vouloir dire que la norme actuelle en la matière ne requiert pas qu’elles fassent la preuve de la partialité réelle. En ce sens, la « crainte raisonnable de partialité » peut être considérée comme critère de remplacement de la partialité réelle, si l’on suppose qu’il n’est peut-être pas judicieux ou réaliste d’exiger que l’on prouve la partialité réelle. Il est évidemment impossible de déterminer de façon précise l’état d’esprit d’un décideur (le juge Cory dans Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, p. 636). Comme l’a déclaré la Cour d’appel d’Angleterre dans Locabail (U.K.), précité, p. 472 :
[traduction] La preuve de la partialité réelle est très difficile à apporter, parce que le droit n’admet pas que l’on questionne un juge sur les influences extérieures agissant sur sa pensée
la common law a comme principe de protéger le plaideur qui parvient à s’acquitter du fardeau moins lourd consistant à établir l’existence d’un risque réel de partialité, sans exiger qu’il prouve l’existence concrète de cette partialité.
Il convient une fois de plus de rappeler que, dans la présente affaire, personne ne prétend que le juge Binnie a consciemment laissé des influences extérieures agir sur sa pensée. Par conséquent, il semble que la crainte raisonnable de partialité ne soit pas en l’espèce invoquée comme critère de remplacement de la partialité réelle.
65 Deuxièmement, lorsque les parties affirment que le juge n’a pas fait montre de partialité réelle, peut‑être reconnaissent‑elles que le juge agissait de bonne foi et ne s’appuyait pas consciemment sur des idées préconçues inappropriées, mais qu’il a néanmoins agi inconsciemment de manière partiale. Dans R. c. Gough, [1993] A.C. 646 (H.L.), p. 665, lord Goff, citant le lord juge Devlin dans The Queen c. Barnsley Licensing Justices, [1960] 2 Q.B. 167 (C.A.), nous a rappelé ceci :
[traduction] La partialité est ou peut être une attitude inconsciente, et une personne peut sincèrement affirmer qu’elle n’était pas réellement partiale et qu’elle n’a pas laissé ses propres intérêts influer sur sa pensée, bien qu’elle puisse avoir inconsciemment permis que cela se produise. La question doit être tranchée en fonction des probabilités qui peuvent être inférées des circonstances dans lesquelles les juges ont entendu l’affaire.
Tels qu’ils sont formulés, certains des arguments présentés par les parties tendent à indiquer que celles‑ci craignent que le juge Binnie ait pu, malgré sa bonne foi, être inconsciemment partial.
66 Enfin, lorsque les parties concèdent qu’il y avait absence de partialité réelle, elles suggèrent peut-être que le fait de s’interroger sur l’existence ou l’absence de partialité réelle n’est tout simplement pas la bonne question à se poser. En l’espèce, comme dans la plupart des cas, les parties invoquent l’aphorisme formulé par le lord juge en chef Hewart selon lequel [traduction] « il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais également que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue » (The King c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, p. 259). En d’autres mots, dans les affaires où l’on plaide l’inhabilité du décideur, la question pertinente n’est pas de savoir si, dans les faits, le juge a fait preuve de partialité consciente ou inconsciente, mais si une personne raisonnable et bien renseignée craindrait qu’il y ait eu partialité. En ce sens, la crainte raisonnable de partialité n’est pas seulement le substitut d’un élément de preuve non disponible, ou un moyen de preuve permettant d’établir la probabilité de l’existence de partialité inconsciente, mais elle est également la manifestation d’une préoccupation plus générale à l’égard de l’image de la justice. Comme l’a dit lord Goff dans l’arrêt Gough, précité, p. 659, [traduction] « il existe un intérêt public impérieux commandant de maintenir la confiance dans l’intégrité de l’administration de la justice ».
67 De ces trois justifications de la norme objective de la crainte raisonnable de partialité, la dernière est la plus exigeante pour le système judiciaire, en ce qu’elle admet la possibilité que justice puisse paraître ne pas avoir été rendue, même lorsqu’elle l’a indubitablement été — c’est‑à‑dire qu’elle envisage qu’un décideur puisse être totalement impartial dans des circonstances faisant néanmoins naître une crainte raisonnable de partialité requérant qu’il soit déclaré inhabile. Cependant, même lorsque le principe est interprété ainsi, le critère de détermination de l’inhabilité revient toujours à l’état d’esprit du juge, quoique ce facteur soit considéré du point de vue objectif de la personne raisonnable. On demande à cette personne d’imaginer l’état d’esprit du juge, dans les circonstances pertinentes. En ce sens, l’idée maintes fois énoncée selon laquelle « justice doit paraître être rendue », qu’ont invoqué les avocats des bandes, ne peut être dissociée de la norme de la crainte raisonnable de partialité.
68 Nous insistons sur cet élément du critère de détermination de l’inhabilité en droit canadien parce qu’il existe, sur cet aspect du droit dans le Commonwealth, un autre courant voulant que certaines situations de conflit d’intérêts suffisent à justifier une déclaration d’inhabilité, indépendamment du fait que, du point de vue de la personne raisonnable, ces situations puissent ou non avoir une influence sur l’esprit du juge. Vu notre conclusion dans la prochaine section, cette argumentation n’est d’aucun secours aux avocats des bandes en l’espèce.
C. Crainte raisonnable de partialité et inhabilité automatique
69 Aux antipodes des demandes invoquant l’existence de partialité réelle, il a été avancé que nul ne peut être à la fois juge et partie dans une cause, et ce que la personne concernée en soit consciente ou non. On rattache cette thèse à une vieille décision, l’affaire Dimes c. Proprietors of the Grand Junction Canal (1852), 3 H.L.C. 759, 10 E.R. 301. Plus récemment, dans l’arrêt Gough, précité, p. 661, lord Goff a dit ceci :
[traduction] . . . il existe des cas où l’on a estimé que les circonstances sont telles qu’elles ébranleraient inévitablement la confiance du public dans l’intégrité de l’administration de la justice si la décision était maintenue. [. . .] Il s’agit des cas où une personne exerçant des fonctions judiciaires possède un intérêt pécuniaire dans l’issue de l’instance. [. . .] En pareils cas, [. . .] non seulement l’absence de partialité de la part du tribunal n’est-elle pas pertinente, mais il n’est pas question de se demander si, d’un point de vue objectif, il existait une probabilité réelle de partialité ou une crainte raisonnable de partialité eu égard aux faits de l’affaire en cause. La nature de l’intérêt est telle que la confiance du public dans l’administration de la justice commande que la décision ne soit pas maintenue.
70 Ce genre de cas, qu’on a qualifié de situations d’« inhabilité automatique », a récemment été réexaminé par la Chambre des lords dans R. c. Bow Street Metropolitan Stipendiary Magistrate, Ex parte Pinochet Ugarte (No. 2), [1999] 2 W.L.R. 272. Dans cet arrêt, la Chambre des lords a examiné une situation où lord Hoffmann avait participé à la décision d’une affaire dans laquelle Amnistie internationale était intervenante, alors qu’il siégeait comme administrateur et président d’un organisme de bienfaisance qui était intimement lié à Amnistie internationale et partageait les objectifs de celle‑ci. Dans ce contexte, il a été jugé qu’une catégorie limitée d’intérêts non pécuniaires entraînent également l’application de la règle de l’« inhabilité automatique », par exemple lorsque le juge possède un intérêt à ce point pertinent à l’égard de l’objet de l’affaire qu’il se trouve effectivement dans la position d’une partie à la cause. Par conséquent, lord Hoffmann a été déclaré inhabile et la décision de la Chambre des lords a été annulée dans un jugement qui a suscité beaucoup d’attention à travers le monde.
71 Un arrêt plus récent de la Cour d’appel d’Angleterre semble indiquer que l’élargissement de l’application de la règle de l’inhabilité automatique à d’autres situations que celles mettant en jeu des intérêts pécuniaires restera vraisemblablement exceptionnel (Locabail (U.K.), précité). Malgré cet élargissement, la règle de l’inhabilité automatique ne s’applique pas dans les cas où le décideur a, d’une certaine façon, participé au litige ou été en contact avec les avocats aux premiers stades de l’affaire, comme il est allégué en l’espèce.
72 Peu importe la situation en Grande‑Bretagne, la notion d’inhabilité automatique prend une couleur différente au Canada, compte tenu de notre insistance sur le fait que l’inhabilité doit reposer sur la partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité, critères qui, comme nous l’avons dit, requièrent l’examen de l’état d’esprit du juge, soit au regard des faits soit à travers les yeux de la personne raisonnable. Quoi qu’il en soit, même en supposant que le raisonnement exposé dans l’arrêt Pinochet, précité, fasse autorité au Canada, il n’est pas pertinent en l’espèce. Au vu des faits qui nous ont été présentés, rien n’indique que le juge Binnie avait quelque intérêt pécuniaire dans les pourvois ou qu’il manifestait pour l’objet de l’affaire un intérêt tel qu’il se trouvait effectivement dans la position d’une partie à la cause.
73 Bref, si la question de l’inhabilité doit être débattue en l’espèce, elle ne peut l’être que sur le fondement de la crainte raisonnable de partialité. Un tel argument ne pourra être accueilli que si on établit qu’une personne sensée, raisonnable et bien renseignée estimerait que le juge Binnie a, consciemment ou non, été influencée d’une manière inappropriée par sa participation à cette affaire, plus de 15 ans avant que notre Cour n’en soit saisie. Examinons maintenant cet aspect de la question.
D. La crainte raisonnable de partialité et son application en l’espèce
74 Encore une fois, la question est la suivante : À quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le juge Binnie n’a pas rendu, consciemment ou non, une décision juste?
75 Trois remarques préliminaires s’imposent.
76 Premièrement, il convient de répéter que la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux. À cet égard, le juge de Grandpré a ajouté ces mots à l’expression maintenant classique de la norme de la crainte raisonnable :
Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [. . .] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse et tatillonne ».
(Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, précité, p. 395)
77 Deuxièmement, il s’agit d’une analyse qui dépend énormément des faits propres à chaque affaire. Dans Man O’War Station Ltd. c. Auckland City Council (Judgment No. 1), [2002] 3 N.Z.L.R. 577, [2002] UKPC 28, par. 11, lord Steyn a dit qu’[traduction] « [i]l s’agit d’un aspect du droit où le contexte et les circonstances particulières sont de la plus haute importance ». En conséquence, la question ne peut être tranchée au moyen de règles péremptoires et, contrairement à ce qui a été soutenu durant les plaidoiries, il n’existe pas d’exemples « classiques ». Que les faits avérés tendent à indiquer que le décideur possède un intérêt pécuniaire ou personnel dans le litige, qu’il existe des liens entre lui et une partie, un avocat ou un juge, qu’il a dans le passé participé au litige ou été au fait de celui‑ci, qu’il a exprimé des opinions et exercé des activités à cet égard, tous ces faits doivent être examinés attentivement eu égard à l’ensemble du contexte. Il n’existe aucun raccourci.
78 Troisièmement, lorsque, dans une situation comme celle qui nous occupe, la question de l’inhabilité se soulève après le prononcé du jugement et non au début de l’instance, il n’est pas utile ni nécessaire de se demander si le juge se serait récusé si la situation avait été connue plus tôt. Il est certain que la norme demeure la même, quel que soit le moment où la question de l’inhabilité est soulevée. On ne peut cependant faire abstraction, dans les spéculations sur la façon dont les juges réagissent lorsque la question de la récusation est soulevée au début de l’instance, de la prudence extrême qui guide bon nombre de juges, sinon la plupart d’entre eux, à ce stade précoce. Cette prudence produit des résultats qui pourraient ne pas être requis par l’application objective de la norme de la crainte raisonnable de partialité. À cet égard, il est fort possible que des juges se soient récusés dans des affaires où, à proprement parler, ils n’étaient pas légalement tenus de le faire. Autrement dit, le fait qu’un juge se soit récusé avant l’instance ne permet pas automatiquement de conclure, après l’instance, qu’il existait une crainte raisonnable de partialité.
79 Comme le reconnaissent les parties, le fait que le juge Binnie ait dans le passé occupé la charge de sous‑ministre adjoint ne justifie pas en soi de conclure à son inhabilité. Il en va de même de son intérêt de longue date pour les questions concernant les Premières nations. La préoccupation à l’origine de la présentation, par les bandes, de leurs requêtes en annulation du jugement est la participation du juge Binnie à la présente affaire plutôt que ses fonctions générales de chef du contentieux au ministère de la Justice au milieu des années 1980.
80 À cet égard, les bandes invoquent notamment la déclaration suivante, faite par le juge en chef Laskin dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, précité, p. 388 :
On sait que des avocats nommés juges se sont abstenus pendant une période raisonnable, d’entendre des affaires auxquelles d’anciens clients étaient parties même s’ils n’avaient rien eu à faire avec le dossier. À plus forte raison, nul ne siégerait dans une cause à laquelle il aurait pu prendre part à un stade quelconque de l’affaire. Ce serait le cas par exemple même s’il n’avait fait que participer à l’élaboration ou à la rédaction de la déclaration ou de la défense.
81 Cette remarque incidente doit être considérée dans le contexte du principe dont elle n’est qu’une illustration. Elle ne dit pas que toute participation dans le passé à une affaire est automatiquement cause d’inhabilité. Cet énoncé fournit aux intéressés des indications judicieuses à prendre en compte avant l’instance. Elle indique plutôt qu’une personne sensée et raisonnable verrait vraisemblablement d’un mauvais œil le fait que le juge a agi comme avocat dans une affaire dont il est saisi, et que cette personne pourrait considérer que cette situation fait naître une crainte raisonnable de partialité.
82 Cependant, contrairement aux arguments avancées à cet égard, on ne saurait conclure de façon réaliste que le juge Binnie a agi comme avocat en l’espèce, et le caractère limité de sa participation n’étaye pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Comme nous l’avons dit précédemment, les considérations pertinentes sont la nature et l’étendue du rôle du juge Binnie. Le détail de sa participation dans le présent litige, qui a été exposé plus tôt dans les présents motifs et qui doit être considéré dans le contexte de ses fonctions générales au ministère de la Justice, convaincrait une personne raisonnable qu’il jouait un rôle limité d’administration et de surpervision.
83 Certes, le lien entre le juge Binnie et le présent litige a dépassé la gestion pro forma des dossiers. En revanche, il convient de souligner que le juge Binnie n’a jamais été l’avocat inscrit au dossier et qu’il n’a pas joué de rôle actif dans le différend après le dépôt de l’action. Il ressort de la note de service no 4 datée du 12 décembre 1985 que l’affaire a été confiée au Bureau régional de Vancouver dans les jours qui ont suivi le dépôt de l’action de la bande de Campbell River. Bien que des notes de service subséquentes indiquent que M. Binnie était informé de certains événements relatifs à cette action, M. Bill Scarth à Vancouver était chargé de la direction de l’action. Les faits n’étayent pas la prétention des bandes selon laquelle M. Binnie aurait planifié la stratégie d’instance dans la présente affaire. Par exemple, dans ses observations, la bande de Cape Mudge semble laisser entendre que l’annotation manuscrite figurant dans la marge de la note de service no 3 a été rédigée par M. Binnie du fait qu’ [traduction] « [il] a participé aux premières analyses d’ordre tactique dans la présente affaire, examinant quelle voie serait la moins risquée par la Couronne, quel moyen serait le “moins préjudiciable à invoquer”» (voir le mémoire de la bande de Cape Mudge, par. 12). Cependant, un examen plus attentif de cette note semble indiquer qu’elle est adressée à « Ian [Binnie] » et qu’elle est signée par « Bob [Green] ». En outre, comme nous l’avons indiqué précédemment, les notes de service nos 8, 9 et 10 en particulier établissent que les opinions attribuées à M. Binnie ont été formulées dans le contexte des répercussions plus larges du processus de négociation plutôt que dans le contexte du litige.
84 De plus, dans l’appréciation que fait la personne raisonnable du risque de partialité découlant des activités passées d’un juge à titre d’avocat, cette personne doit tenir compte des particularités de l’exercice du droit au sein du ministère de la Justice plutôt que dans un cabinet d’avocats. Voir les Principes de déontologie judiciaire, op. cit., du Conseil canadien de la magistrature, p. 49. À cet égard, il convient de rappeler que toutes les parties ont concédé qu’une crainte raisonnable de partialité ne saurait reposer simplement sur les années de service du juge Binnie au sein du ministère de la Justice. En sa qualité de sous‑ministre adjoint, M. Binnie était responsable de milliers de dossiers à l’époque pertinente. Bien qu’on ait sollicité son opinion à l’étape des négociations du présent différend, il est utile de mentionner qu’il était consulté sur l’orientation stratégique de dizaines de dossiers ou de catégories de dossiers. À cet égard, la question sur laquelle il s’est penché dans la présente affaire, principalement l’effet du rapport McKenna McBride, n’était pas une question touchant exclusivement celle‑ci, mais une question concernant en général les réserves existantes en Colombie-Britannique. C’est d’ailleurs vraisemblablement la raison pour laquelle on l’a consulté.
85 Selon nous, un seul facteur important se détache nettement des autres et doit éclairer la personne raisonnable dans son appréciation de l’incidence de la participation du juge Binnie sur son impartialité dans les pourvois. Il s’agit en l’occurrence de l’écoulement du temps. Dans la plupart des cas où l’on plaide l’inhabilité du décideur, on invoque des circonstances contemporaines au processus décisionnel ou survenues peu avant celui‑ci.
86 Dans Locabail (U.K.), précité, p. 480, la Cour d’appel d’Angleterre a déclaré ceci :
[traduction] . . . chaque demande doit être tranchée selon les faits et les circonstances propres à l’affaire concernée. Plus il s’est écoulé de temps entre l’événement qui, plaide-t-on, crée le risque de partialité et l’affaire dans laquelle cet argument est soulevé, plus faible (toutes choses étant par ailleurs égales) sera l’argument.
87 De même, dans Panton c. Minister of Finance, [2001] 5 L.R.C. 132, [2001] UKPC 33, par. 15, le Conseil privé a fait les observations suivantes :
[traduction] Un autre facteur militant contre l’existence de partialité apparente ou potentielle en l’espèce est le laps de temps qui s’est écoulé entre l’acte reproché au président Rattray en ce qui concerne la Loi, ou d’ailleurs le moment où il était titulaire de la charge de procureur général, et le moment où il a entendu la présente affaire en qualité de président de la Cour d’appel [. . .] Il ressort des faits que le président Rattray a pris sa retraite comme procureur général en 1993. L’audition de l’appel a eu lieu en 1998. Bien que le laps de temps écoulé ne soit pas suffisamment long pour que l’on puisse qualifier d’histoire ancienne le lien antérieur avec l’acte lié à la Loi, il est néanmoins assez long pour affaiblir jusqu’à un certain point la valeur de toute contestation de son habilité à connaître de l’affaire.
88 En l’espèce, le rôle limité de supervision qu’a joué le juge Binnie dans l’affaire remonte à plus de 15 ans. Ce très long délai est clairement important en ce qui concerne la déclaration du juge Binnie selon laquelle, lorsque les pourvois ont été instruits et jugés, il n’avait aucun souvenir de sa participation dans cette affaire, qui remontait aux années 1980. La question de l’absence de connaissance ou de souvenir des faits pertinents a été examinée par la Cour d’appel d’Angleterre dans Locabail (U.K.), précité. Dans cette affaire, à la p. 487, la Cour d’appel a posé la question suivante :
[traduction] Comment peut‑il y avoir risque réel de partialité ou encore crainte ou probabilité réelle de partialité si le juge ne connaît pas les faits qui, invoque-t-on, feraient naître le conflit d’intérêts?
89 Les parties n’ont pas contesté la déclaration du juge Binnie et nous estimons qu’elles ne sont pas tenues de le faire. Il faut décider si cette déclaration a une influence sur l’appréciation que fait la personne raisonnable, compte tenu du contexte — à savoir la période qui s’est écoulée, et le rôle limité d’administration et de supervision qu’a joué M. Binnie dans ce dossier. À notre avis, il s’agit d’un facteur dont la personne raisonnable tiendrait à juste titre compte et qui, dans les circonstances, rend improbable l’existence de partialité ou de crainte de partialité.
90 L’absence de souvenir du juge Binnie est donc un facteur pertinent. Cependant, elle n’est pas déterminante relativement à la question en litige. Nous sommes en présence non pas d’un cas où le juge n’a jamais rien su du conflit d’intérêts en cause, situation qui serait beaucoup plus simple, mais plutôt d’une affaire où le juge ne s’en souvient plus. Sans mettre en doute la mémoire du juge Binnie, il serait possible de soutenir que sa participation au dossier dans le passé a influencé inconsciemment sa façon de voir les choses. Néanmoins, nous sommes convaincus que la personne raisonnable, considérant la question de façon réaliste, ne conclurait pas que le rôle limité d’administration et de supervision qu’a joué le juge Binnie dans ce dossier, il y a de cela plus de 15 ans, a influencé, même inconsciemment, sa capacité de demeurer impartial en l’espèce. C’est le cas, et ce même si l’on fait abstraction de la multitude d’événements et d’expériences qui l’ont entre‑temps façonné comme avocat et comme juge, ainsi que des transformations importantes qui ont marqué le droit relatif aux questions autochtones et dont nous avons tous été témoins depuis 1985.
91 Nous concluons donc qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie et que le juge Binnie n’était pas inhabile à connaître des présents pourvois. Le jugement de notre Cour et les motifs exposés par le juge Binnie, le 6 décembre 2002, doivent être maintenus. Il n’est pas nécessaire de se demander si la validité du jugement de notre Cour dans ces pourvois aurait été compromise si nous avions conclu à l’inhabilité du juge Binnie. Néanmoins, vu l’importance de la question, nous formulons quelques commentaires à ce propos.
92 Bien qu’il ne soit pas largement connu, le processus décisionnel au sein de la Cour suprême du Canada est néanmoins notoire. De nombreux juges de notre Cour se sont exprimés publiquement sur ce processus, dont on trouve une description assez complète dans un article publié en 1986 par la juge Bertha Wilson (« Decision-making in the Supreme Court » (1986), 36 U.T.L.J. 227). Pour les besoins du présent pourvoi, les explications suivantes suffiront. Chaque membre de la Cour suprême se prépare individuellement pour l’audition des pourvois. Tous les juges sont bien préparés et aucun d’entre eux ne se voit assigner la tâche d’éplucher l’affaire afin de l’« exposer » aux autres membres de la formation avant l’audience. Après celle‑ci, chaque juge de la formation ayant entendu l’affaire exprime son opinion individuellement. Des discussions ont lieu en vue de décider qui rédigera le projet de motifs, tant pour la majorité que pour la minorité, le cas échéant. Le ou les projets de motifs sont ensuite préparés par un ou plusieurs juges, puis distribués aux autres. Ces motifs sont le fruit d’un véritable processus collégial de révision de divers projets successifs. En ce sens, on peut dire que les motifs résultent d’efforts collectifs et expriment les vues individuelles de chacun des juges qui les signent, ainsi que l’opinion de l’ensemble du groupe.
93 En l’espèce, les neuf juges ayant entendu les pourvois étaient du même avis quant au dispositif et aux motifs de jugement. Les affaires où le juge partial ou dont on craint raisonnablement la partialité exprime la voix qui a pour effet de décider de l’affaire ne sont pas pertinentes en l’espèce. En effet, dans les circonstances de la présente affaire, même si l’on constatait que le rôle d’un seul juge a fait naître une crainte raisonnable de partialité, aucune personne raisonnable connaissant le processus décisionnel de notre Cour et le considérant de façon réaliste ne saurait conclure que les huit autres juges étaient vraisemblablement partiaux ou ont été influencés d’une quelconque façon par la partialité redoutée de la part du neuvième juge.
V. Conclusion
94 Nous concluons qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’a été établie. Le juge Binnie n’était pas inhabile à connaître des présents pourvois et à participer au jugement. Par conséquent, les requêtes sollicitant l’annulation du jugement rendu par notre Cour le 6 décembre 2002 sont rejetées. La requête présentée par la Couronne en vue d’obtenir des directives est elle aussi rejetée. Bien que les bandes aient réclamé les dépens, la Couronne ne l’a pas fait. Vu les circonstances, chaque partie supportera ses propres dépens.
ANNEXE
Documents produits par la Couronne et examinés dans les motifs :
LETTRE
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
Ottawa, Canada
K1A 0H8
le 23 mai 1985
Chef Sol Sanderson
Federation of Saskatchewan Indian Nations
1100 First Avenue East
Prince Albert (Saskatchewan)
S6V 2A7
Chef Sanderson,
Objet : Revendications relatives aux cessions
Ce matin, j’ai rencontré Delia Opekokew et Anita Gordon afin de discuter de la procédure de règlement des 36 revendications relatives aux cessions toujours non résolues. Je comprends évidemment que la Federation of Saskatchewan Indian Nations souhaite régler ces revendications par voie de négociation avec le gouvernement fédéral, mais certaines inquiétudes ont été soulevées quant à la possible expiration des délais de prescription.
Vu les circonstances, nous avons convenu que la démarche la plus prudente serait que les demandeurs potentiels intentent une action en Cour fédérale du Canada à l’égard de ces revendications, étant clairement entendu qu’il ne serait pas nécessaire, ni utile, que le gouvernement fédéral produise une défense tant et aussi longtemps qu’il ne deviendra pas évident pour l’une ou l’autre partie qu’un règlement négocié de la revendication est peu probable. À ce moment-là, les deux parties auraient le droit de passer à l’étape suivante de l’instance.
De cette façon, le dépôt des déclarations arrêterait l’écoulement de tout délai de prescription applicable à la cause d’action invoquée, protégeant ainsi les droits des bandes, tout en laissant aux parties la possibilité de négocier de bonne foi un règlement amiable pour chacune de ces revendications.
Comme vous le savez, le gouvernement fédéral a comme politique de s’efforcer de régler amiablement les revendications particulières et, malgré le dépôt d’une déclaration, nous déploierons tous les efforts raisonnables afin de régler rapidement ces revendications dans le cadre de la politique du gouvernement sur les revendications particulières.
Veuillez agréer, Chef Sanderson, mes salutations distinguées.
Ian Binnie, c.r.
Sous-ministre adjoint
/hdm
c.c. : Bob Green
Stu Archibald
NOTE DE SERVICE No 1
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 19 juin 1985
TO/À: File / Dossier
FROM/DE: Mary Temple
Avocate‑conseil/p.i.
Bureau des revendications des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: Revendication de la bande indienne de Campbell River
Comments/Remarques
La semaine dernière, Lou Harvey, l’avocat de la bande, a indiqué que celle‑ci songeait à introduire une instance en Cour fédérale afin de se protéger contre l’expiration des délais de prescription au cas où sa revendication serait déclarée irrecevable. Il a donc demandé ce qui devait être fait pour s’assurer que le processus du Bureau des revendications des Autochtones se poursuive dans l’intervalle. Je lui ai dit qu’une procédure avait été discutée relativement à d’autres revendications et que je le rappellerais dans une semaine pour lui dire exactement ce que la Couronne exigerait de lui. J’ai examiné la note datée du 23 mai 1985 qu’a envoyée Ian Binnie au chef Sol Sanderson de la Federation of Saskatchewan Indian Nations, laquelle note a été écrite en rapport avec 36 revendications relatives à des cessions. Dans sa missive, M. Binnie mentionnait que, lors du dépôt de la déclaration, la Couronne aurait besoin d’une note confirmant qu’il n’était ni nécessaire, ni utile pour le gouvernement fédéral de produire une défense. J’ai discuté de cette procédure avec Bill Scarth du bureau régional de Vancouver, et il a dit que ce que je propose est sensé. J’ai parlé avec Lou Harvey aujourd’hui et je lui ai dit que, lorsqu’il intenterait une action, il devrait envoyer à la Section du contentieux du ministère de la Justice à Vancouver une lettre indiquant pourquoi l’action était intentée, que la bande désirait poursuivre le processus du Bureau des revendications des Autochtones (en supposant qu’une décision concernant la recevabilité n’ait pas encore été rendue) et que, jusqu’à nouvel ordre, la Couronne n’aurait pas à produire de défense. Lou Harvey a affirmé que cela lui convenait et qu’il me ferait parvenir une copie de cette lettre à titre d’information.
M.T.
NOTE DE SERVICE No 2
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 9 août 1985
TO/À: W. I. C. Binnie, c.r.
FROM/DE: Mary Temple
SUBJECT/OBJET: Les revendications des bandes indiennes de Port Simpson et de Campbell River
Comments/Remarques
Comme vous le savez, on a demandé à Tom Marsh, du bureau de Vancouver son avis à l’égard d’une question cruciale, qui n’a pas encore été tranchée, relativement à la position du gouvernement fédéral sur la recevabilité de ces deux revendications. Je me suis entretenu récemment (le 7 août) avec Tom Marsh et il m’a dit que son avis ne serait pas prêt avant la mi‑septembre. Si d’autres communications émanaient des représentants de la bande en ce qui concerne l’avis sur Port Simpson, je compte sur vous pour m’en aviser ou en aviser Joanne Kellerman.
M. T.
c.c. T. B. Marsh
NOTE DE SERVICE No 3
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
1.45.0.2007
Date
Le 11 octobre 1985
TO/À: I. Binnie, c.r.
Sous-ministre adjoint
FROM/DE: R. Green
Avocat général, Services juridiques MAINC
SUBJECT/
OBJET: Établissement des réserves en C.‑B.
Revendications des bandes de Port Simpson et de Campbell River
Comments/Remarques
J’ai demandé à vous rencontrer le 18 octobre (15 h) relativement à ces affaires afin que nous discutions d’un point de droit qui concerne potentiellement toutes les revendications présentées par des bandes de la C.‑B., ou à tout le moins les revendications requérant la détermination de droits et obligations découlant de la période antérieure à McKenna/McBride.
La recevabilité de ces deux revendications dépend de la question de savoir si les réserves en question ont été établies avant les travaux de la Commission McKenna/McBride. Dans le cas de la réserve de Port Simpson, un décret provincial a été pris le 26 février 1884 censément dans le but d’établir cette réserve (vous trouverez ci‑joint copie de ce décret et de la note de service connexe). Dans le cas des réserves nos 11 et 12 de Campbell River, un décret provincial et un décret fédéral ont été pris les 6 avril et 29 mai 1888 respectivement (vous trouverez ci‑joint copie de ces décrets) donnant à Green le pouvoir de délimiter les réserves. Si ce n’était de la disposition de la loi provinciale (disposition dont j’ai annexé les différentes versions depuis la Confédération jusqu’en 1936) mentionnant la publication d’avis dans la Gazette pour la mise de côté de terres indiennes, ces décrets sembleraient suffisants pour que l’on puisse conclure que les réserves ont été juridiquement établies par ces documents (ou, dans le cas de Campbell River, par la décision de Green dans son rapport).
Lors de la première réunion que le Bureau des revendications des Autochtones et les représentants de la bande indienne de Campbell River ont tenue afin de discuter de l’opinion préliminaire du ministère de la Justice (selon laquelle la revendication de la bande n’était pas recevable), l’avocat de la bande a prétendu qu’à moins qu’un avis approprié n’ait été publié dans la Gazette de la C.‑B., conformément à l’art. 60 de la loi de la C.‑B. intitulée Land Act, les réserves n’ont pas établies légalement par les deux décrets de 1888 ou par le rapport de Green. S’il a raison, les réserves n’ont pas été établies légalement avant les travaux de McKenna/McBride, ce qui aurait pour effet de rendre recevable la revendication de la bande.
En ce qui concerne la revendication de la bande indienne de Port Simpson, laquelle a été déclarée recevable par le ministre le 15 avril 1985 (vous trouverez ci‑joint copie de la lettre à cet effet), la conclusion selon laquelle la publication d’un avis dans la Gazette est essentielle pour établir une réserve produirait l’effet contraire, c.‑à-d. qu’elle convertirait ce qui a été reconnu comme une revendication recevable en une revendication à l’égard de laquelle la Couronne n’a légalement aucune responsabilité.
De façon générale, si la publication de ces avis dans la Gazette est, en droit, essentielle pour établir une réserve, en conséquence, comme aucun de ces avis n’a été publié dans la Gazette après l’adhésion de la C.‑B. à la Confédération en 1871 (bien que de tels avis fussent publiés avant cette date), aucune des réserves recensées par les commissaires des Indiens dans la seconde partie du 19e siècle (environ 2/3 de l’ensemble des réserves de la C.‑B.) n’a été établie légalement avant la mise en œuvre du rapport McKenna/McBride en 1924.
J’ai joint aux présentes la réponse de Tom Marsh à la demande que nous lui avons adressée concernant cette question. Comme vous pouvez le constater, il a énuméré un certain nombre d’arguments concernant l’interprétation de la loi de la C.‑B. Il me semble qu’il existe trois interprétations possibles :
1. aucune réserve n’est légalement établie tant que l’avis à cet effet n’a pas été publié dans la Gazette
2. les dispositions relatives à la publication dans la Gazette visent la constitution de réserves foncières
3. la procédure de publication d’un avis dans la Gazette est un préalable au transfert au fédéral de la maîtrise et de l’administration des réserves mais non à la création d’un intérêt en faveur des Indiens.
Il est impossible de dire avec certitude laquelle de ces interprétations est la meilleure, mais pour donner suite à l’une ou l’autre des revendications, une décision doit être prise sur l’interprétation qu’il convient de faire valoir.
Une autre difficulté est le risque de litige quelle que soit l’interprétation que nous retenions. Les représentants de la bande de Port Simpson ont indiqué qu’ils intenteraient une action si leur revendication n’était pas déclarée recevable et la bande de Campbell River a, apparemment, déjà intenté une action, quoique pour l’instant ce ne soit que pour empêcher l’expiration de tout délai de prescription applicable.
J’espère vous avoir communiqué dans ce qui précède les éléments essentiels de la question. J’attends avec intérêt notre réunion et je suis confiant que nous trouverons une solution acceptable.
R.G.
P.j.
*[I]an, à première vue le 3e argument semble le moyen le moins préjudiciable à invoquer.
*Note manuscrite.
Bob
NOTE DE SERVICE No 4
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
284563
Date
Le 12 décembre 1985
TO/À: W.I.C. Binnie, c.r.
Sous‑ministre adjoint
FROM/DE: Duff Friesen, avocat général,
Section du contentieux des affaires civiles
SUBJECT/
OBJET: ROY ANTHONY ROBERTS, C. AUBREY ROBERTS et JOHN HENDERSON, poursuivant en leur nom et au nom de tous les autres membres de la BANDE INDIENNE WEWAYKUM, également connue sous le nom de BANDE INDIENNE DE CAMPBELL RIVER
No du greffe : T-2652-85
Comments/Remarques
La déclaration dans la présente affaire soulève des questions concernant l’administration ou l’application de lois relatives aux Indiens. Je vous l’envoie donc, avant de l’assigner, afin que vous me fassiez part de vos observations. À moins que vous ne souhaitiez traiter l’affaire d’une manière différente, je propose de la confier au Bureau régional de Vancouver.
Pourriez‑vous me faire part de vos observations?
DFF/vht D.F.F.
P.j.
*Je suis d’accord.
*Note manuscrite.
I. Binnie
12-12-85
NOTE DE SERVICE No 5
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 13 décembre 1985
TO/À: G. Donegan
Avocat général, Bureau régional de Vancouver
Aux soins de : H.J. Wruck, avocat‑conseil, Contentieux des affaires civiles
FROM/DE: Mary Temple, conseillère juridique
Revendications des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: La revendication particulière de la bande de Campbell River
Comments/Remarques
Le 22 octobre 1985, j’ai informé Manfred Klein, négociateur pour la Direction générale des revendications particulières à Vancouver, que la revendication de la bande indienne de Campbell River concernant la Réserve Quinsam no 12 était à mon avis recevable aux fins de négociation dans le cadre de la politique du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Lou Harvey, du cabinet d’avocats Davis and Company de Vancouver, qui représente la bande indienne de Campbell River, m’a informée aujourd’hui que la bande avait fait déposer une déclaration en cour et entendait faire valoir sa revendication devant les tribunaux plutôt que négocier dans le cadre de la politique du ministère des Affaires indiennes. La principale raison invoquée est que la bande veut que la réserve en question, Quinsam no 12, lui soit remise malgré le fait que cette réserve est présentement occupée, comme elle l’a toujours été, par une autre bande, la bande de Cape Mudge. Conformément à la position habituelle prévue par la politique du ministère des Affaires indiennes, il ne saurait être porté atteinte aux droits de tierces parties pour indemniser une bande à l’égard d’une perte reconnue dans le cadre de la politique.
Je présume que vous recevrez officiellement signification des documents ayant trait à cette action et, afin de vous aider à préparer une défense, vous trouverez ci‑joint copie de mes avis datés des 22 octobre 1985 et 8 mars 1985 respectivement, cette dernière ayant été quelque peu modifiée par l’opinion du 22 octobre, ainsi qu’une copie d’une note de service datée du 14 novembre 1985 qu’a envoyée Manfred Klein à M. Harvey, l’informant qu’il était prêt à recommander au ministre des Affaires indiennes que celui‑ci déclare la revendication recevable dans le cadre de la politique.
Les documents sur lesquels repose mon avis ont été examinés et se trouvent présentement au Bureau des revendications des Autochtones de Vancouver. Manfred Klein, de ce bureau, vous fournira ces documents au besoin.
De plus, je tiens à vous informer que certains aspects de la revendication ont fait l’objet de correspondance entre Thomas Marsh, de votre bureau, et de discussions avec Ian Binnie à Ottawa. En particulier, Ian Binnie a exprimé l’avis que le rapport McKenna McBride, dans la mesure où il y est précisé que la réserve Quinsam no 12 était la réserve de la bande de Campbell River, devrait être pris à la lettre, indépendamment du fait que l’attribution de la réserve à cette bande découle d’une erreur administrative dans la liste des réserves que la Commission a utilisée comme principale source de renseignements.
Il me fera le plus grand plaisir d’apporter mon aide au membre de votre personnel à qui le dossier sera confié.
M.T.
P.j.
c.c. : D. F. Friesen, avocat général
Contentieux des affaires civiles (section de common law), Administration centrale, Ottawa
I. Binnie, sous-ministre adjoint, Administration centrale, Ottawa
M. Freeman, avocat‑conseil, Section du droit des Autochtones, Administration centrale, Ottawa
M. Klein, négociateur, Direction générale des revendications particulières, Bureau régional de Vancouver
D. K. Goodwin, sous‑ministre adjoint, Programme des affaires indiennes et inuites
NOTE DE SERVICE No 6
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 14 janvier 1986
TO/À: Mary Temple
Bureau des revendications des Autochtones - MAINC
FROM/DE: Ian Binnie
SUBJECT/
OBJET: Revendication particulière de la bande de Campbell River
Comments/Remarques
J’accuse par les présentes réception d’une copie de votre note du 13 décembre 1985, dont je vous remercie et dans laquelle on peut lire ce qui suit :
« Ian Binnie a exprimé l’avis que le rapport McKenna McBride, dans la mesure où il y est précisé que la réserve Quinsam no 12 était la réserve de la bande de Campbell River, devrait être pris à la lettre, indépendamment du fait que l’attribution de la réserve à cette bande découle d’une erreur administrative dans la liste des réserves que la Commission a utilisée comme principale source de renseignements. »
Je me souviens d’une discussion à ce sujet, mais pas dans les termes sommaires dans lesquels vous énoncez la chose. Pourriez‑vous me faire parvenir une note exposant les faits de l’affaire et les questions de droit dont nous avons discuté, ainsi que toute autre question de droit pertinente qui, selon vous, devrait être examinée?
Merci beaucoup.
Ian Binnie
/hdm
c.c. : Bob Green
NOTE DE SERVICE No 7
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 15 janvier 1986
TO/À: Harry Wruck - Vancouver
FROM/DE: Ian Binnie
SUBJECT/
OBJET: Ray Anthony Roberts c. Sa Majesté la Reine et autres — Cour fédérale du Canada, Section de première instance
Comments/Remarques
Je vous remercie de votre note de service du 16 janvier 1986. Je suis ravi que vous ayez attribué cette affaire à Bill Scarth. Je vous saurais gré de me prévenir s’il arrive quoi que ce soit dont le ministre devrait être informé.
Ian Binnie
rg
NOTE DE SERVICE No 8
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 20 janvier 1986
TO/À: Ian Binnie
Sous-ministre adjoint, Justice
FROM/DE: Mary Temple
Conseillère juridique, Revendication des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: Revendication particulière et action en justice de la bande de Campbell River
Comments/Remarques
Comme vous l’avez demandé dans votre note de service du 14 janvier 1986, je vais exposer ci‑après les circonstances factuelles de cette revendication et les questions de droit dont nous avons discuté lors de notre entretien en octobre 1985.
Présentement, la bande indienne de Campbell River occupe la réserve no 11 et la bande indienne de Cape Mudge occupe, entre autres réserves, la réserve no 12 qui est située à plusieurs milles de distance de la réserve no 11. Les recherches historiques ont révélé que les deux réserves avaient été établies juridiquement pour la première fois en 1888 par la prise de décrets fédéral et provincial et par un arpentage réalisé par M. Green. Dans son document d’arpentage et son rapport, M. Green a mentionné que les deux réserves avaient été établies pour la bande indienne de Cape Mudge. La preuve historique indique que des différends ont presque aussitôt pris naissance entre les membres des deux bandes quant à savoir qui avait le droit d’occuper et d’utiliser la réserve no 11. La réserve no 12 n’a commencé à être utilisée de façon notable qu’au début du 20e siècle. Le différend a éclaté parce que les premiers occupants autochtones de la réserve no 11 étaient membres d’une famille dont le chef était officiellement membre de la bande indienne de Campbell River, bien qu’il résidât dans une réserve de la bande indienne de Cape Mudge située sur une île voisine et que, quelques années auparavant seulement, il avait commencé à occuper cette réserve vers la fin de l’année et pendant l’hiver qui avait suivi. La preuve révèle que cet individu a tenté d’empêcher les membres de la bande indienne de Cape Mudge d’utiliser la réserve no 11, en dépit des efforts déployés par des fonctionnaires du gouvernement fédéral pour le convaincre que la réserve avait été mise de côté pour tous les Indiens. En 1907, il était clair que seuls les membres de la bande indienne de Campbell River occupaient la réserve no 11 et en étaient les principaux utilisateurs. Dans le but d’essayer de régler cette divergence entre la situation de fait et la preuve documentaire selon laquelle la réserve avait apparemment été mise de côté pour la bande indienne de Cape Mudge, les fonctionnaires du gouvernement fédéral ont organisé une rencontre avec la bande indienne de Cape Mudge, qui a consenti à permettre à la bande indienne de Campbell River de résider sur la réserve no 11 à la condition seulement que la bande indienne de Cape Mudge conserve le droit de pêcher conjointement dans la rivière avec la bande indienne de Campbell River. Les conditions formelles prévues par la Loi sur les Indiens en matière de cessions n’avaient pas été respectées. Les fonctionnaire fédéraux avaient modifié le répertoire des réserves du ministère en inscrivant, en regard de la description de la réserve no 11, le nom de Campbell River à l’endroit où figuraient auparavant une paire de guillemets inscrits en dessous d’autres paires de guillemets au-dessus desquelles était inscrit le nom bande indienne de Cape Mudge. Comme la réserve no 12 suivait immédiatement la réserve no 11 dans la liste et que les guillemets figurant en regard de la description de la réserve no 12 n’ont pas été modifiés, l’édition de 1914 de ce registre ministériel semblait indiquer que les réserves nos 11 et 12 étaient détenues pour la bande indienne de Campbell River et non pour la bande indienne de Cape Mudge, malgré le fait que, comme dans l’édition précédente de ce répertoire des guillemets avaient été inscrits en regard de la description des deux réserves et sous le nom bande indienne de Cape Mudge, d’après cette version antérieure du répertoire les réserves nos 11 et 12 étaient détenues pour la bande indienne de Cape Mudge. Rien ne semble justifier d’accorder quelque effet juridique à la modification du répertoire des réserves. En d’autres mots, la réédition du répertoire par le ministère ne pouvait être considérée comme ayant pour effet de constater officiellement le transfert d’intérêts dans l’une ou l’autre réserve de la bande indienne de Cape Mudge à la bande indienne de Campbell River. Toutefois, le répertoire des réserves de 1914 est le document qui a été utilisé par la Commission royale McKenna McBride comme fondement factuel à partir duquel elle a entrepris son examen des réserves en Colombie‑Britannique.
Dans le rapport McKenna McBride, les conclusions sont classées en trois catégories. La première catégorie avait trait aux terres à l’égard desquelles on recommandait une nouvelle mise de côté
la deuxième catégorie avait trait aux terres qui, selon le répertoire de 1914, avaient déjà été mises de côté pour une bande donnée mais à l’égard desquelles la Commission recommandait de retirer le statut de réserves
la troisième catégorie avait trait aux réserves qui avaient déjà été mises de côté pour une ou des bandes données selon le répertoire de 1914 et à l’égard desquelles la Commission recommandait la confirmation de ce statut. Dans le rapport, les réserves nos 11 et 12 ont été classées dans cette dernière catégorie, à savoir les confirmations, mais, reflétant les données du répertoire de 1914, la bande dont le nom était inscrit pour les deux réserves était la bande indienne de Campbell River. Bien que la Commission McKenna McBride ait possédé le pouvoir de retirer la qualité de terres indiennes aux terres de réserve, du fait que les renseignements dont elle disposait l’avaient apparemment amené à croire que le statut juridique des réserves nos 11 et 12 était tel que seule la bande indienne de Campbell River avait un intérêt dans celles‑ci et du fait qu’elle a inscrit ces deux réserves dans la catégorie des confirmations du rapport, j’ai suggéré que l’on interprète le répertoire de manière à ne pas donner d’effet juridique à ce qui figurait dans le rapport de la Commission royale, sur le fondement que des intérêts indiens ne doivent pas, en droit, être considérés comme des droits qui peuvent être retirés par inadvertance, mais seulement au moyen d’un acte délibéré, à supposer qu’une telle mesure soit autorisée par la loi.
Lors de notre discussion au sujet de cette revendication en octobre 1985, nous avons surtout parlé d’une autre question de droit. Cependant, lorsque nous avons abordé la question de l’effet du rapport de la Commission McKenna McBride sur les réserves nos 11 et 12, vous avez indiqué qu’une interprétation des termes clairs du rapport McKenna McBride comme celle que j’ai proposée ne devrait pas être soutenue et que le rapport devrait être pris à la lettre, de sorte que seule la bande de Campbell River soit investie légalement d’un droit dans ces deux réserves. Si j’ai bien compris les raisons que vous invoquez au soutien de cette position, ce serait que, si nous commençons à mettre en doute de quelque façon que ce soit certains éléments tels qu’ils figurent au dossier, nous remettrions en question d’autres aspects du rapport McKenna McBride.
L’autre question à laquelle nous nous sommes attaqués lors de la discussion du mois d’octobre concernait l’effet de la loi de la C.-B. intitulée Land Act sur la création des réserves à l’époque des commissions des réserves au dix‑neuvième siècle. En particulier, une des interprétations de cette loi aurait confirmé la nécessité de publier dans la Gazette de la C.‑B. la décision du gouvernement de cette province, ou de ses fonctionnaires autorisés, de créer des réserves pour les bandes avant qu’on puisse considérer qu’une bande possède un intérêt dévolu dans une de ces réserves. Nous avons conclu que, quel que soit le fondement de cette interprétation, nous devrions continuer de soutenir, du moins en ce qui concerne les réserves de Campbell River et de Quinsam, qu’il n’existait aucune obligation de publier un avis préalable dans la Gazette pour que l’on puisse considérer qu’elles avaient été créées. La loi en question était assez ambiguë et notre décision reflétait une tentative de soutenir une interprétation qui, bien sûr, était raisonnablement défendable, mais tenait compte aussi du traitement accordé à ces réserves pendant la période précédant la mise en œuvre du rapport McKenna McBride.
J’espère que la présente note de service répond à vos questions et, si vous avez besoin de plus amples renseignements concernant l’analyse que j’ai exposée dans mes différentes notes de service, j’aimerais beaucoup que vous m’en fassiez part. Si je peux vous communiquer d’autres renseignements, souvenirs ou analyses en rapport avec cette affaire, je me ferai un plaisir de le faire.
M.T.
NOTE DE SERVICE No 9
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 25 février 1986
TO/À: Ian Binnie
Sous-ministre adjoint, ministère de la Justice
FROM/DE: Mary Temple
Conseillère juridique, Revendication des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: Action en Cour fédérale no T-2652-85, Roy Anthony Roberts et autres
(bande indienne de Campbell River) c. Sa Majesté la Reine et autres
(bande indienne de Cape Mudge)
Comments/Remarques
Au cas où vous ne l’auriez pas déjà reçue, vous trouverez ci‑joint, à titre d’information, une copie de la déclaration qui a été déposée dans le cadre de la présente action. Vous vous rappellerez que nous avons discuté de ce dossier pendant que celui‑ci suivait encore son cours dans le processus du Bureau des revendications des Autochtones et avant que la bande de Campbell River n’ait décidé de s’adresser aux tribunaux. J’ai fait part à Bill Scarth, qui est chargé de la direction de l’action, du souhait exprimé par le ministère client qu’une défense complète soit déposée, car une telle démarche serait compatible avec les mesures administratives prises dans le passé à l’égard de ces deux bandes et de leurs réserves, et de celles qu’il continue de prendre. En d’autres mots, le ministère client a toujours considéré que seule la bande indienne de Cape Mudge avait un intérêt dans la réserve no 12. Lorsque nous avons discuté de la position que la Couronne devrait adopter durant la négociation d’un règlement en vertu du processus de règlement des revendications, nous avons décidé de recommander d’accepter la revendication de la bande de Campbell River aux fins de négociation, car agir autrement laisserait entendre que la mise en œuvre du rapport McKenna McBride n’avait pas eu pour effet d’attribuer la réserve no 12 à la bande indienne de Campbell River. Par ailleurs, cette position était considérée comme bien fondée parce que, même si la revendication était discutable, tant en droit qu’en fait, elle semblait étayée par suffisamment d’arguments raisonnables pour justifier un règlement, du moins au prorata, d’autant plus qu’elle aurait probablement nécessité une cession par la bande de Campbell River et, par conséquent, une clarification de l’intérêt de la bande de Cape Mudge dans la réserve.
Je tiens également à vous signaler, à titre d’information, que la présentation par la Couronne d’une défense complète pourrait amener cette dernière à faire une certaine atténuation ou interprétation de l’application du rapport McKenna McBride, position que vous avez déconseillée lors de nos discussions concernant les négociations. Il nous a semblé, à Bob Green, à moi, ainsi qu’aux fonctionnaires du ministère que, dans le contexte de la présente action, cette défense était néanmoins justifiée.
Si vous avez quelque réserve à l’égard des ces décisions, nous vous saurions gré de nous en faire part.
M. T.
P.j.
c.c. : B. Scarth
NOTE DE SERVICE No 10
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 25 février 1986
TO/À: Bill Scarth
Conseiller juridique
FROM/DE: Mary Temple
Conseillère juridique, Revendication des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: Action en Cour fédérale no T-2652-85, Roy Anthony Roberts et autres (bande indienne de Campbell River) c. Sa Majesté la Reine et autres (bande indienne de Cape Mudge)
Comments/Remarques
J’ai reçu instruction de Janice Zaharko, directrice, liaison et soutien juridique, MAIN et Bob Goudie, directeur, Revendication des Autochtones, MAIN, de vous demander de déposer une défense complète dans l’action mentionnée en rubrique. La défense devrait notamment nier que le ministère public aurait, à tort ou irrégulièrement, autorisé la bande indienne de Cape Mudge à occuper la réserve no 12, étant donné que le ministère a comme position, depuis la fin du 19e siècle, que c’était la bande indienne de Cape Mudge qui avait le droit d’occuper et d’utiliser la réserve no 12. Bien que cette position puisse paraître incompatible avec l’intention des fonctionnaires du ministère de recommander la négociation d’un règlement de la revendication présentée par la bande indienne de Campbell River, la position des fonctionnaires quant à cette revendication, lorsqu’elle était à l’étape du règlement des revendications (avant le dépôt de l’action), était fondée sur la reconnaissance que tant les questions de fait que les questions de droit soulevées par la présente affaire étaient discutables et que comme la position de la bande indienne de Campbell River semble avoir un fondement raisonnable, un règlement, au moins au prorata, particulièrement s’il en résultait une cession visant à clarifier le droit de la bande indienne de Cape Mudge à l’égard de la réserve no 12, était justifié. Toutefois, dans le contexte de l’action en justice, le caractère discutable des arguments à l’appui de la revendication de la bande indienne de Campbell River ne semble pas justifier que la Couronne s’abstienne de présenter une défense appuyant les mesures administratives prises par les fonctionnaires à l’égard de la bande indienne de Cape Mudge.
Puisqu’une telle défense pourrait amener la présentation d’arguments juridiques impliquant le « réexamen » des décisions de la Commission McKenna McBride mises en œuvre par la législation et les décrets, les présentes directives sont transmises à Ian Binnie parce que, lorsque nous avons initialement discuté avec lui de la position du gouvernement à l’égard de la revendication, il a conseillé de ne pas contester le rapport McKenna McBride lui-même, du moins pas pendant le processus des revendications.
Ces instructions sont conformes aux conseils formulés par notre contentieux, puisqu’il nous semble non seulement qu’elles appuient les actions passées du ministère (et ses rapports actuels avec les deux réserves), mais également qu’il y a de solides arguments à opposer, en défense, aux positions avancées par la partie demanderesse dans la déclaration.
Si moi‑même ou quelqu’un d’autre à Ottawa pouvons vous aider davantage relativement à la préparation de la défense ou à toute autre question ayant trait à la présente action, n’hésitez pas à communiquer avec nous.
M.T.
c.c. : J. Zaharko
P. Goudie
NOTE DE SERVICE No 11
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
1.45.4.2071
Date
Le 27 février 1986
TO/À: Carol Pepper
Conseillère juridique, Direction des revendications particulières
Vancouver
FROM/DE: Mary Temple
Conseillère juridique, Revendication des Autochtones
SUBJECT/
OBJET: Avis juridiques récents
Comments/Remarques
En réponse à votre demande du 13 février 1986, j’ai extrait de mon dossier sur la revendication de la bande indienne de Campbell River (réserve Quinsam no 12) un certain nombre d’avis que j’ai inclus à la présente note. Comme vous pouvez le constater, ces avis se classent en deux catégories. Ceux que j’ai regroupés et désignés liasse no 1 portent sur la question précise de la nécessité, à la fin du 19e siècle, de publier dans la Gazette des avis pour établir légalement les réserves indiennes. La deuxième catégorie d’avis que j’ai réunis et désignés liasse no 2 ont trait aux autres questions qui ont été soulevées dans le cadre de la revendication de la bande indienne de Campbell River. Veuillez noter que ma note de service du 8 mars au Bureau des revendications des Autochtones n’était que ma position préliminaire et que, à la suite d’une rencontre ultérieure avec l’avocat de la bande et d’autres consultations à Ottawa, j’ai modifié ma position sur plusieurs points, comme je le précise ci‑dessous.
1. En ce qui concerne le paragraphe 4 à la page 6 de ma note de service du 8 mars, j’ai en fin de compte arrêté l’opinion que le rapport McKenna McBride avait eu pour effet d’attribuer à une autre bande l’intérêt dans la réserve, en supposant toujours qu’une bande ait obtenu un tel intérêt avant que McKenna McBride ne tranche la question.
2. En ce qui concerne le paragraphe figurant au milieu de la page 8 de ma note du 8 mars, dans la mention que je fais de la mise en œuvre des modifications apportées par Ditchburn et Clark, j’ai subséquemment changé d’avis et souscrit à la position selon laquelle le décret de 1924 donne effet aux confirmations précisées par McKenna McBride, bien qu’il donne effet uniquement aux modifications apportées par Ditchburn et Clark qui concernent de nouvelles réserves ou des terres retranchées à des réserves existantes. Bien que j’aie en bout de ligne adopté la position préconisée par Ian Binnie (à savoir de ne pas « aller au‑delà de la lettre » du rapport McKenna McBride), j’estime qu’on peut néanmoins raisonnablement prétendre que, même si le rapport McKenna McBride, tel que lui a finalement donné effet le décret de 1924, entre autres textes de loi, peut de façon générale être considéré comme ayant eu pour effet d’établir de nouvelles réserves, de modifier des réserves existantes et de confirmer diverses autres réserves existantes (ou d’établir de nouvelles réserves par voie de « confirmation » si, pour une raison quelconque, il semble que la réserve « existante » n’avait pas dans les faits été validement établie?), dans le cas d’une réserve comme celle de Campbell River, où la confirmation reposait sur des renseignements erronés, étant donné que les auteurs, par le langage qu’ils ont utilisé, entendaient seulement maintenir le statu quo, l’aliénation qu’ils disaient faire de la réserve en faveur d’une bande autre que celle à laquelle elle avait été attribuée à l’origine ne saurait être considérée comme produisant ses effets, car il en résulterait une extinction involontaire de l’intérêt des Indiens dans la réserve.
3. À la page 9 de ma note du 8 mars, j’énonce, concernant le décret de 1938, une position à laquelle on m’a convaincue de me rallier, de sorte que, bien qu’il n’ait pas été nécessaire en bout de ligne d’en faire part dans mes notes de service ultérieures, le décret de 1938 pouvait, j’en étais persuadée, avoir pour effet d’attribuer à nouveau des secteurs à des bandes données, mais compte tenu des dispositions de la Loi fédérale sur les indiens en matière de cessions, il ne me semblait pas possible de prétendre qu’un tel décret provincial puisse modifier quelque intérêt existant des bandes dans les réserves.
En ce qui concerne ma note de service du 26 avril 1985 au Bureau des revendications des Autochtones, veuillez noter également que, postérieurement à cette note de service, j’ai effectivement produit un avis exposant la position différente concernant la portée de la mise en œuvre du rapport McKenna McBride, tel qu’il avait été modifié par les changements apportés par Ditchburn et Clark.
J’espère que ces documents sauront à tout le moins vous intéresser sinon peut-être même vous être utiles dans vos dossiers actuels.
M.T.
NOTE DE SERVICE No 12
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 3 mars 1986
TO/À: W.I.C. Binnie, c.r.
Sous‑ministre adjoint
FROM/DE: W. B. Scarth
Bureau régional de Vancouver
SUBJECT/
OBJET: Roberts et autres c. Sa Majesté la Reine et autres
Comments/Remarques
Vous trouverez ci-joint copie de la défense produite au nom de la Couronne le 28 février 1986.
Je crois qu’elle reflète les positions du ministère de la Justice et du ministère des Affaires indiennes. Comme on ne m’a pas dit si la bande indienne de Cape Mudge entendait poursuivre la Couronne, il va de soi que la défense n’est pas très précise et pourrait devoir être modifiée ultérieurement. Quoi qu’il en soit, j’ai tenté de ne pas répudier le rapport de la Commission Mckenna-McBride.
W.B.S.
WBS/dg
NOTE DE SERVICE No 13
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 5 mars 1986
TO/À: Mary Temple
Conseillère juridique, Revendications des Autochtones
FROM/DE: Ian Binnie
SUBJECT/
OBJET: Action en Cour fédérale no T-2652-85, Roy Anthony Roberts et autres (bande indienne de Campbell River) c. Sa Majesté la Reine et autres (bande indienne de Cape Mudge)
Comments/Remarques
Je vous remercie de votre note de service du 25 février 1986 et de la copie de la déclaration qui a été déposée en Cour fédérale du Canada le 2 décembre 1985 dans l’affaire susmentionnée. Pour ce qui est du traitement qu’il faut réserver au rapport McKenna McBride, je suggère d’attendre l’avis de Bill Scarth sur la façon dont cet aspect de notre éventuelle défense devrait être abordé. En ce qui me concerne, c’est Bill Scarth qui est responsable du dossier. Je suis certain qu’il tiendra compte de l’opinion que vous, Bob Green et les « fonctionnaires du ministère » avez formulée et selon laquelle il conviendrait que la Couronne invoque en défense une certaine atténuation ou interprétation de la mise en œuvre du rapport McKenna McBride.
J’attends que Bill Scarth me fasse part, en temps et lieu, de son opinion sur cet aspect de l’affaire. Nous déciderons alors de ce qu’il faut faire.
Ian Binnie
rg
c.c. : Bill Scarth, c.r.
Dogan Akman (avec pièces jointes)
NOTE DE SERVICE No 14
[traduction]
Department of Justice Ministère de la Justice
Canada Canada
MEMORANDUM/NOTE DE SERVICE
Security Classification - Cote de sécurité
File number - numéro de dossier
Date
Le 3 février 1988
TO/À: E.A. Bowie, c.r.
Sous‑procureur général adjoint
FROM/DE: W.B. Scarth
Bureau régional de Vancouver
SUBJECT/
OBJET: Roy Anthony Roberts et autres c. Sa Majesté la Reine et autres
Comments/Remarques
Lors de notre réunion à Vancouver, la semaine dernière (le 29 janvier), j’ai promis de vous écrire concernant une question qui est soulevée dans l’affaire mentionnée en rubrique et qui, à mon avis, doit être examinée non seulement dans le contexte de ce dossier mais également dans celui des revendications fondées sur les droits ancestraux qui sont présentées en Colombie‑Britannique.
Bref, il est essentiel pour notre défense dans l’affaire Roberts que le tribunal juge que les deux réserves en question ont été attribuées à la bande indienne de Cape Mudge avant 1900. En revanche, les intérêts de la Couronne dans les affaires Gitksan Carrier et Pasco seraient assurément mieux servis par une décision statuant que, en Colombie-Britannique, les réserves n’ont pas été créées avant 1930 au moins, parce que l’on disposerait alors d’un argument encore plus solide portant que les dispositions législatives provinciales ont effectivement éteint certains droits ancestraux, du moins en ce qui concerne les terres de réserve.
J’ajouterais à ce que qui précède que, dans des affaires antérieures, nous avons plaidé que les réserves ont été créées en 1887 ou avant, malgré le fait que la Colombie‑Britannique n’ait pas transféré les terres au fédéral avant 1930. Pour sa part, la province a toujours prétendu que les terres ne sont pas devenues des « terres réservées pour les Indiens » avant 1938 (voir Moses et al. c. The Queen et al. [1977] 4 W.W.R. 474, p. 477
Dunstan et al. c. Hell’s Gate Enterprises Ltd. et al. (1985) 22 D.L.R. (4th) 568, p. 597-598.)
Pour ce qui concerne l’affaire Roberts, le résumé suivant indique bien en quoi il est important de plaider que les deux réserves ont été attribuées à la bande indienne de Cape Mudge avant 1900 :
A. La demande
1. La bande indienne de Campbell River poursuit en Cour fédérale la bande indienne de Cape Mudge et la Couronne, sollicitant notamment des déclarations portant que les réserves nos 11 et 12 ont en tout temps été mises de côté pour l’usage et le profit exclusifs de la bande indienne de Campbell River. C’est cette bande qui occupe présentement et qui occupait, avant même le tournant du siècle, la réserve no 11
les membres de la bande indienne de Cape Mudge occupent présentement et ont toujours occupé la réserve no 12. Dans sa défense, la bande indienne de Cape Mudge fait valoir son droit d’occuper les deux réserves. La position de la Couronne, telle qu’elle a été formulée, est la suivante : les membres de la bande indienne de Campbell River occupent légitimement la réserve no 11, et ce depuis 1907 environ, et ils ont le droit de s’en servir pour leur usage et leur profit
les membres de la bande indienne de Cape Mudge occupent et ont occupé légitimement la réserve no 12 à tout moment pertinent et ils ont le droit de s’en servir pour leur usage et leur profit.
B. Le contexte historique
1. En 1879, Gilbert Malcolm Sproat, commissaire nommé pour régler la question des terres indiennes en Colombie‑Britannique, a attribué des réserves à la tribu des Laich-kwil-tach à laquelle appartiennent les bandes indiennes de Campbell River et de Cape Mudge. Apparemment, les décisions de Sproat attribuant ces réserves n’avaient pas, comme l’exigeaient les décrets l’ayant nommé à sa charge, été approuvées par le Commissaire en chef des terres et des travaux publics de la Colombie‑Britannique.
2. En octobre 1886, Peter O’Reilly, alors commissaire des réserves de la Colombie‑Britannique, a mis de côté un certain nombre de réserves pour la tribu des Laich-kwil-tach. Il a été en mesure de mettre une réserve de côté (la réserve no 10 qui n’est pas en litige) pour la bande indienne de Cape Mudge, mais il n’a pu délimiter les réserves nos 11 et 12 étant donné que les Indiens ne se trouvaient pas dans la région.
3. Par la suite, en 1888, Ashdown H. Green, arpenteur en chef de la Commission des réserves indiennes, a été nommé par le gouvernement fédéral (c.p. daté du 29 mai 1888) à la demande du gouvernement provincial « pour déterminer l’étendue et les limites des réserves indiennes à » Campbell River. Dans son rapport, M. Green a transmis pour approbation au Commissaire en chef des terres et des travaux publics, un croquis des réserves telles qu’il les avait délimitées « pour l’usage de la tribu des Laich-kwil-tach » et le procès-verbal de la décision à cet égard. Le croquis illustre les deux réserves et porte le titre suivant :
« Indiens (Eu-cla-taw) Laich-kwil-tach
bande Wewayakai »
Le mot « Wewayakai » désigne la bande indienne de Cape Mudge. La question en litige est de savoir si M. Green a officiellement attribué ces réserves à la tribu Laich-kwil-tach et si, effectivement, il était autorisé à le faire. J’ai demandé à nos spécialistes de la recherche historique de me dire si, à leur avis, l’une ou l’autre des réserves a été attribuée à une bande donnée avant 1900. Toutefois, les documents dont nous disposons (lettres, notes de service, etc.) indiquent que les Affaires indiennes ont considéré que les deux réserves avaient été mises de côté pour l’usage et le profit de la bande indienne de Cape Mudge jusque vers 1907, date à laquelle la bande indienne de Cape Mudge a, au moyen d’une résolution, « cédé » la réserve no 11 à la bande indienne de Campbell River.
Au cours de notre discussion, j’ai parlé de l’existence d’une proclamation, datée du 15 décembre 1876, par laquelle le gouverneur en conseil a soustrait l’ensemble des réserves et des terres indiennes de la Colombie‑Britannique à l’application des dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de cessions. Vous trouverez ci‑joint copie de cette proclamation. On me dit que cette proclamation est demeurée en vigueur jusqu’en 1951, année où la disposition de la Loi sur les Indiens en vertu de laquelle elle avait été autorisée a été abrogée.
Vous trouverez également ci-joint le texte de la résolution par laquelle la bande indienne de Cape Mudge a cédé la réserve no 11 à la bande indienne de Campbell River. Si on suppose que la réserve no 11 a été attribuée à la bande indienne de Cape Mudge par M. Ashdown Green et que la bande occupait légalement cette réserve et avait droit à celle-ci pour son usage et son profit, il nous faudra plaider que, du fait de la proclamation, la bande indienne de Cape Mudge a « cédé » légalement ses droits dans la réserve no 11 à la bande indienne de Campbell River, tout en conservant, évidemment, le droit d’occuper légalement la réserve no 12 qui lui avait été attribuée de la même manière.
4. Enfin, le répertoire des réserves indiennes de 1902 semble être la source d’une erreur concernant le droit d’occupation de la réserve no 12. L’erreur s’est produite en raison d’une inscription manuscrite qui avait été faite dans le répertoire, probablement à la suite de la résolution portant « cession », laquelle inscription indiquait que la bande indienne de Campbell River occupait la réserve no 11 (ce qui est en fait exact). Les guillemets de répétition figurant au‑dessous de l’inscription manuscrite n’ont pas été modifiés pour indiquer que la bande indienne de Cape Mudge occupait toujours la réserve no 12 (comme c’est effectivement le cas).
5. Bien que l’existence de cette « erreur » ait été reconnue, elle a été perpétuée dans le rapport de la Commission McKenna McBride publié en 1916, ainsi que dans le décret 1036 de la Colombie‑Britannique (pris en 1938) par lequel la province a transféré au fédéral les terres de réserve situées en Colombie‑Britannique. Les demandeurs (la bande indienne de Campbell River) prétendront sans aucun doute que l’effet combiné des recommandations figurant dans le rapport de la Commission royale, des dispositions législatives, des décrets se rapportant à ces recommandations et du transfert des terres en faveur du fédéral a été de leur conférer le droit d’occuper les deux réserves. Nous devrons plaider que la Commission royale n’a fait que confirmer les limites de ces deux réserves mais n’en a attribué aucune à une bande donnée — cela ayant été fait par les commissaires des réserves au siècle dernier — et que les dispositions législatives n’ont pas pour effet d’accorder aux demandeurs quelque droit que ce soit d’occuper la réserve no 12. (Je souligne en passant que, pendant qu’il était sous‑ministre adjoint, Ian Binnie a suggéré, en raison de leurs répercussions plus générales, que nous ne contestions pas la validité des travaux de la Commission royale. En toute déférence, je partage toujours cet avis et, selon moi, il s’agit de délimiter plus étroitement ce que la Commission a fait, du moins en ce qui concerne les réserves en question.)
J’ai discuté brièvement de la question de la création des réserves avec Mme Koenigsberg et je suis censé la rencontrer à nouveau afin de décider de l’approche qu’elle et M. Macaulay entendent adopter dans Gitksan Carrier et Pasco. Je vais évidemment lui demander si elle estime que mon approche dans Roberts nuirait sérieusement à ces affaires.
Conformément à la discussion que nous avons eue à cet égard, il serait utile que Bob Green nous fasse part de ses opinions sur la question. Je lui envoie une copie de la présente note de service.
Entre-temps, je vais mener la défense de la Couronne de la manière exposée plus haut. À défaut de légiférer, nous n’avons probablement pas d’autre choix. Si vous avez des vues contraires en ce qui concerne l’approche décrite ci-dessus, je vous saurais gré de m’en faire part.
W.B.S.
WBS/dg
c.c. R. L. Evans, c.r.
R. J. Green, c.r.
I. G. Whitehall, c.r.
Requêtes rejetées.
Procureurs des appelants Roy Anthony Roberts et autres : Davis & Company, Vancouver.
Procureurs des intimés/appelants Ralph Dick et autres : McAlpine & Associates, Vancouver.
Procureurs de l’intimée Sa Majesté la Reine : Lavery de Billy, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Borden Ladner Gervais, Vancouver.
Procureurs des intervenantes la Bande indienne Gitanmaax, la Bande indienne Kispiox et la Bande indienne de Glen Vowell : Hutchins, Soroka & Grant, Vancouver.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45 (26 septembre 2003)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-09-26;2003.csc.45 ?
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