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06/03/2003 | CANADA | N°2003_CSC_9

Canada | Markevich c. Canada, 2003 CSC 9 (6 mars 2003)


Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, 2003 CSC 9

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Joe Markevich Intimé

et

Teck Cominco Metals Ltd. Intervenante

Répertorié : Markevich c. Canada

Référence neutre : 2003 CSC 9.

No du greffe : 28717.

2002 : 4 décembre; 2003 : 6 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [2001] 3 C.F. 44

9, 199 D.L.R. (4th) 255, 270 N.R. 275, 2001 D.T.C. 5305, [2001] 3 C.T.C. 39, [2001] A.C.F. no 696 (QL), 2001 CAF 144, qui a infirmé une ...

Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, 2003 CSC 9

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Joe Markevich Intimé

et

Teck Cominco Metals Ltd. Intervenante

Répertorié : Markevich c. Canada

Référence neutre : 2003 CSC 9.

No du greffe : 28717.

2002 : 4 décembre; 2003 : 6 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [2001] 3 C.F. 449, 199 D.L.R. (4th) 255, 270 N.R. 275, 2001 D.T.C. 5305, [2001] 3 C.T.C. 39, [2001] A.C.F. no 696 (QL), 2001 CAF 144, qui a infirmé une décision de la Section de première instance, [1999] 3 C.F. 28, 163 F.T.R. 209, 172 D.L.R. (4th) 164, 99 D.T.C. 5136, [1999] 2 C.T.C. 104, [1999] A.C.F. no 250 (QL). Pourvoi rejeté.

Graham R. Garton, c.r., et Carl Januszczak, pour l’appelante.

Ian Worland, pour l’intimé.

Edwin G. Kroft, et Geoffrey T. Loomer, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel rendu par

1 Le juge Major — La question en litige dans le présent pourvoi est restreinte et facile à énoncer : les délais de prescription prévus dans la loi fédérale et la loi provinciale, lorsqu’ils sont expirés, s’appliquent‑ils à l’exercice par l’État des pouvoirs de recouvrement de créances fiscales que lui confère la loi? Je conclus que le délai de prescription prévu à l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 (« LRCÉCA »), empêche l’État de recouvrer la créance fiscale fédérale auprès de l’intimé et que le par. 3(5) de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 266 (« Limitation Act »), l’empêche de recouvrer auprès de celui-ci la créance fiscale de la province.

I. Les faits

2 L’intimé résidait en Colombie‑Britannique durant les périodes visées par le présent pourvoi. Il a reçu un avis de cotisation du ministre du Revenu national (« ministre ») daté du 17 juin 1986. D’après cet avis, il devait 234 136,04 $ en impôts fédéral et provincial par suite de cotisations et d’impôts non payés pour les années d’imposition 1980 à 1985. L’intimé n’a pas contesté cet avis et n’a rien payé de l’impôt en souffrance après 1986. Bien que cela n’ait aucune incidence sur le présent pourvoi, il convient de noter qu’en 1987 Revenu Canada a procédé à une radiation interne de la dette, mais cette radiation ne l’a ni éteinte ni annulée. De 1987 à 1998, Revenu Canada n’a fait aucun effort pour recouvrer la créance, et les relevés de compte envoyés à l’intimé au cours de cette période ne faisaient pas état du solde de 1986. Cependant, le 15 janvier 1998, environ 12 ans après l’établissement de l’avis de cotisation, Revenu Canada, pour la première fois durant cette période, a envoyé un relevé de compte à l’intimé qui faisait état d’un solde de 770 583,42 $. Cette somme représentait le montant dû au 17 juin 1986 et les intérêts courus.

3 L’intimé a présenté à la Section de première instance de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la réclamation du 15 janvier 1998 et a demandé un jugement déclaratoire selon lequel l’État n’était pas autorisé à prendre quelque mesure que ce soit pour recouvrer les créances fiscales de 1990 et des années antérieures. Le juge des requêtes a rejeté la demande. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté contre cette décision et a conclu que l’État ne pouvait plus exiger de l’intimé le remboursement de la dette fiscale indiquée dans l’avis de cotisation de 1986, la dette étant prescrite. L’État se pourvoit contre cet arrêt.

II. Les dispositions législatives pertinentes

4 Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes :

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)

222. Tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la présente loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la présente loi.

223. . . .

(2) Le ministre peut, par certificat, attester qu’un montant ou une partie de montant payable par une personne — appelée « débiteur » au présent article — mais qui est impayé est un montant payable par elle.

(3) Sur production à la Cour fédérale, un certificat fait en application du paragraphe (2) à l’égard d’un débiteur est enregistré à cette cour. Il a alors le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoient les lois visées au paragraphe (1) en application desquelles le montant est payable, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Dans le cadre de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette envers Sa Majesté du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoient ces lois.

224. (1) S’il sait ou soupçonne qu’une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle‑même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée « débiteur fiscal » au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) et (3)), le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu’ils deviennent payables, au receveur général au titre de l’obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

225. (1) Lorsqu’une personne n’a pas payé un montant exigible en vertu de la présente loi, le ministre peut lui donner un avis au moins 30 jours avant qu’il procède, par lettre recommandée à la dernière adresse connue de cette personne, de son intention d’ordonner la saisie et la vente des biens meubles de cette personne; si, au terme des 30 jours, la personne est encore en défaut de paiement, le ministre peut délivrer un certificat de défaut et ordonner la saisie des biens meubles de cette personne.

225.1 (1) Dans le cas où un contribuable est redevable du montant d'une cotisation établie en vertu de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation, [prendre aucune mesure de recouvrement.]

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

Limitation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 266

[traduction]

1 . . .

« action » S’entend notamment de toute procédure judiciare et de l’exercice de toute voie de droit extrajudiciare;

3 . . .

(5) toute autre action qui n’est pas expressément prévue dans la présente loi ou une autre loi se prescrit par six ans suivant la date où prend naissance le droit d’agir en justice.

9 (1) À l’expiration du délai de prescription prévu à la présente loi pour l’action en recouvrement de créance, de dommages‑intérêts ou autre somme due, ou en reddition de compte, s’éteignent, à l’égard de la personne contre laquelle le droit d’action aurait été exercé et de ses successeurs, le droit et le titre de celui qui avait ce droit d’action comme de quiconque le revendique par l’intermédiaire de ce dernier.

. . .

(3) Le droit d’agir, le cas échéant, en recouvrement des frais et dépens ou en recouvrement d’arriéré d’intérêts sur le capital s’éteint à l’expiration du délai de prescription prévu à la présente loi pour l’action entre les mêmes parties en ce qui concerne le jugement ou le recouvrement du capital.

III. Historique des procédures judiciaires

5 À la Section de première instance de la Cour fédérale ([1999] 3 C.F. 28), le juge des requêtes déclare que l’art. 32 de la LRCÉCA ne s’applique pas aux mesures de recouvrement autorisées par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« LIR »). Il conclut que les mesures de recouvrement ne peuvent pas être considérées comme une poursuite pour un fait générateur selon l’art. 32 et que la LIR est un code complet en soi qui exclut l’application de l’art. 32. Il affirme également que la Limitation Act ne s’applique pas au recouvrement par l’État de la créance fiscale de la province sous le régime de la Income Tax Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 215 (« ITA »). Il conclut donc que les délais de prescription ne s’appliquent pas au recouvrement par l’État de la créance fiscale fédérale ou provinciale.

6 La Cour d’appel fédérale n’est pas du même avis et accueille l’appel ([2001] 3 C.F. 449, 2001 CAF 144). Le juge Rothstein décide que la LIR n’est pas un code complet qui exclut l’application de l’art. 32 de la LRCÉCA et que les mesures de recouvrement peuvent être considérées comme une poursuite pour un fait générateur selon l’art. 32. En conséquence, le délai de prescription prévu à l’art. 32 s’applique aux mesures de recouvrement prévues par la LIR. Le juge Rothstein conclut que la disposition pertinente en matière de prescription est le par. 3(5) de la Limitation Act. Celui‑ci vise à la fois les demandes en justice et les voies de droit extrajudiciaires, et s’applique donc à la fois aux mesures de recouvrement judiciaires et extrajudiciaires prévues par la LIR. Compte tenu de cette disposition, le ministre ne peut plus recouvrer la créance fiscale fédérale après l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle son droit d’action a pris naissance. Le juge Rothstein conclut également que le par. 3(5) empêche l’État, lorsqu’il agit en tant qu’agent de perception pour la Colombie‑Britannique sous le régime de l’ITA, d’exiger du contribuable le remboursement de la dette fiscale provinciale.

IV. Les questions en litige

7 Le pourvoi soulève les questions suivantes :

1. a) Les mesures de recouvrement prévues dans la LIR sont‑elles soumises à un délai de prescription en application de l’art. 32 de la LRCÉCA? Cette question soulève, à son tour, deux autres questions :

(i) La LIR prévoit‑elle des délais de prescription pour le recouvrement de créances fiscales ou exclut‑elle par ailleurs l’application de l’art. 32 de la LRCÉCA?

(ii) L’exercice d’un pouvoir de recouvrement prévu par la loi constitue‑t‑il « [une] poursuit[e] [. . .] pour tout fait générateur . . . » selon l’art. 32?

b) Dans l’affirmative, le fait générateur est‑il survenu dans une province ou ailleurs que dans une province?

2. La Limitation Act s’applique‑t‑elle aux mesures de recouvrement prévues par la loi que prend l’État lorsqu’il agit à titre d’agent de perception pour la Colombie‑Britannique sous le régime de l’ITA?

V. Analyse

A. Les créances fiscales fédérales

(1) L’article 32 de la LRCÉCA s’applique‑t‑il aux créances fiscales fédérales?

8 Avant d’analyser ce problème, il est utile de décrire les vastes pouvoirs de recouvrement prévus par la LIR. Le ministre est autorisé à demander le paiement des dettes fiscales en intentant une action en justice ou en recourant aux mesures de recouvrement prévues par la loi. Voici ce que prévoit l’art. 222 de la LIR :

Tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la présente loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la présente loi.

Les divers mécanismes de recouvrement énoncés dans la LIR procurent au ministre une vaste gamme de recours pour le recouvrement de créances. Il peut, par certificat, attester un montant d’impôt impayé (par. 223(2)) et enregistrer ce certificat auprès de la Cour fédérale (par. 223(3)). Dès lors, le certificat est réputé être un jugement de cette cour. Celle‑ci peut alors produire un certificat, une notification ou un bref faisant preuve du contenu du certificat visé au par. 223(2), dont le ministre peut se servir pour grever d’une sûreté, d’un privilège, d’une priorité ou d’un autre droit un bien situé dans une province (par. 223(5) à 223(8)). En vertu du par. 224(1), qui porte sur la saisie‑arrêt, le ministre peut exiger d’un tiers qui a une dette envers le contribuable de faire ses paiements directement à lui. Il peut également, en vertu du par. 225(1), ordonner la saisie et la vente des biens meubles du contribuable. Ces pouvoirs de recouvrement ne peuvent être exercés que 90 jours suivant la dernière en date de la mise à la poste de l’avis de cotisation ou de la mise à la poste d’un avis de confirmation ou de modification de la cotisation, et ne peuvent être exercés avant que la Cour canadienne de l’impôt ne statue de façon définitive sur l’appel du contribuable (par. 225.1(1) à 225.1(4)).

9 La question soulevée en l’espèce se résume à se demander si l’exercice de ces pouvoirs de recouvrement est prescriptible en application de l’art. 32 de la LRCÉCA. L’article 32 prévoit que, sauf disposition législative contraire, les délais de prescription s’appliquent aux poursuites auxquelles l’État est partie :

Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans. [Je souligne.]

Deux critères doivent être respectés pour que cette disposition s’applique aux mesures de recouvrement prévues par la loi. Premièrement, la LIR ne doit pas comporter d’autres dispositions pour ce qui est des délais de prescription applicables au recouvrement de créances fiscales. Deuxièmement, les mesures de recouvrement prévues par la loi doivent être considérées comme « [une] poursuit[e] [. . .] pour [un] fait générateur . . . » selon l’art. 32.

10 Je conviens avec la Cour d’appel fédérale que ces deux critères sont respectés en l’espèce et que l’art. 32 doit s’appliquer à l’exercice par l’État des pouvoirs de recouvrement prévus par la loi.

a) La LIR comporte‑t‑elle des dispositions en matière de prescription?

11 Comme il s’agit d’une disposition d’application générale, il faut présumer que l’art. 32 de la LRCÉCA s’applique par défaut à toutes les poursuites auxquelles l’État est partie. Seule une disposition expresse ou implicite « contraire » d’une loi fédérale peut en restreindre l’application. Il est évident que les dispositions de la LIR sur le recouvrement ne fixent aucun délai de prescription.

12 L’auteur bien connu E. A. Driedger, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), affirme que la méthode moderne d’interprétation des lois exige qu’on interprète les termes d’une loi [traduction] « dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». La Cour a souvent retenu ces principes, de façon générale et dans le domaine de l’interprétation de la législation fiscale : voir Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, 2000 CSC 36, par. 32; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, motifs majoritaires et motifs minoritaires concordants; et Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578.

13 Les dispositions de la LIR sur les cotisations sont claires en ce qui a trait à la prescription. Par contre, celles sur le recouvrement sont muettes à ce sujet. Rien dans l’art. 222 ni dans les dispositions s’y rattachant n’indique l’absence ou la présence d’un délai de prescription. L’appelante soutient, malgré tout, que la LIR comporte des « disposition[s] contraire[s] » quant à la prescription. À son avis, la LIR constitue un code complet pour le recouvrement d’impôts et ses silences témoignent donc de l’intention du législateur d’éviter d’entraver, par l’imposition de délais de prescription, l’exercice par l’État de ses pouvoirs de recouvrement.

14 Rien n’appuie la théorie selon laquelle la LIR est un code complet qui ne peut être interprété à la lumière des lois d’application générale. La LIR ne s’applique pas dans un vide législatif : voir Will‑Kare, précité, par. 31. Voir également P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law (3e éd. 1999), p. 2, où les auteurs notent que la [traduction] « Loi de l’impôt sur le revenu se fonde implicitement sur le droit commun ». En conséquence, pour savoir si une loi ou un principe juridique influe sur l’application de la LIR, il faut analyser les dispositions particulières en cause.

15 Malgré l’absence de fondement législatif ou jurisprudentiel, l’appelante demande à la Cour d’interpréter l’art. 222 de la LIR comme s’il permettait le recouvrement de créances fiscales « en tout temps ». Selon « un principe fondamental en matière d’interprétation des lois, un tribunal ne devrait pas accepter une interprétation qui nécessite l’ajout de mots, lorsqu’il existe une autre interprétation acceptable qui ne requiert aucun ajout de cette nature » : voir Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, par. 27. Ce principe joue contre l’interprétation de l’appelante. La disposition ne comporte pas l’expression « en tout temps » ou autre formule au même effet et il est possible de lui donner une interprétation raisonnable sans cet ajout. Le silence du législateur relativement à la prescription permet logiquement d’inférer qu’il voulait que les dispositions d’application générale en matière de prescription s’appliquent aux pouvoirs de recouvrement du ministre.

16 Le fait que la LIR traite expressément des délais de prescription dans ses dispositions sur les cotisations appuie cette conclusion. La Cour conclut dans Friesen, précité, par. 27, que « [l]’ajout de mots dans une définition qui figure dans une loi est encore moins acceptable lorsque les termes qui doivent être ajoutés figurent dans plusieurs autres définitions de cette même loi ». De nombreuses dispositions de la LIR prévoient expressément que le ministre peut établir une cotisation en tout temps : voir les par. 152(4), 152(4.2), 159(3), 160(2), 160.1(3), 160.2(3), 160.3(2), 160.4(3) et 227(10.1). Le législateur démontre une intention claire de traiter de la question des délais de prescription dans la LIR lorsqu’il le juge nécessaire. Comme le souligne le juge Rothstein au par. 22, « [l]e législateur a réfléchi à la question de la prescription relativement à la Loi de l’impôt sur le revenu et quand il souhaite qu’aucun délai de prescription ne s’applique, il le dit clairement. » Il faut donc inévitablement conclure que le langage clair des dispositions sur le recouvrement ne permet pas d’inférer que le législateur veut soustraire les pouvoirs de recouvrement du ministre à l’application des dispositions sur la prescription.

17 En concluant que les dispositions sur le recouvrement excluent l’application de l’art. 32, le juge des requêtes paraît s’être fondé principalement sur l’art. 225.1 de la LIR, qui empêche le ministre de prendre des mesures de recouvrement lorsqu’une procédure d’opposition ou d’appel est en cours à l’égard d’une cotisation. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’art. 225.1 ajoute du poids à l’argument de l’appelante. Le sursis prévu à l’art. 225.1 vise à protéger le contribuable des mesures de recouvrement en attendant qu’une décision définitive ne soit rendue quant à la validité de sa cotisation. Les délais de prescription, par contre, visent à promouvoir la certitude, à éviter les éléments de preuve périmés, à encourager la diligence et à apporter la tranquillité d’esprit : voir M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6, p. 29, le juge La Forest. Les justifications des sursis et des dispositions en matière de prescription, dont je viens de faire état, sont tout à fait distinctes. Je souscris à la conclusion du juge Rothstein au par. 21 :

L’adoption d’un sursis légal qui précise à quel moment les mesures de recouvrement peuvent être prises ne peut logiquement appuyer l’inférence que le législateur avait l’intention de n’appliquer aucun délai de prescription à ces mesures de recouvrement.

18 L’analyse téléologique de la LIR confirme que les dispositions sur le recouvrement n’excluent pas implicitement l’application de l’art. 32. L’application de délais de prescription au recouvrement de créances fiscales ne porte pas atteinte aux principes d’équité horizontale et d’équité verticale, qui, comme le souligne le juge Iacobucci dans Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 738, devraient régir en partie l’interprétation de la LIR. L’appelante soutient que l’application des règles de droit en matière de prescription au recouvrement de créances fiscales allégerait injustement le fardeau fiscal d’individus qui connaissent des variations de revenu au détriment de ceux qui ont un revenu stable. Ce problème apparent peut toutefois être évité si le ministre exerce son pouvoir de recouvrement de façon raisonnablement diligente. Si le contribuable n’est pas capable de s’acquitter d’une dette fiscale avant l’expiration du délai de prescription, le ministre peut proroger ce délai de diverses façons. Dans Ross c. Canada, [2002] 2 C.T.C. 222, 2002 CFPI 401, la Section de première instance de la Cour fédérale juge que l’enregistrement d’un certificat auprès de la Cour fédérale conformément au par. 223(3) de la LIR donne lieu à un renouvellement du délai de prescription. Voir aussi MacKinnon c. Canada, [2002] 4 C.T.C. 48, 2002 CFPI 824, où la cour conclut que, en matière de prescription, la reconnaissance de la dette par une entente de nantissement avec le ministre ainsi que le paiement partiel de la dette fiscale emportent le renouvellement du délai de prescription. Il n’est pas nécessaire d’établir une liste exhaustive des façons dont le ministre peut renouveler le délai de prescription, mais je souligne qu’il dispose de nombreux moyens à cet effet. Il n’y a aucun fondement crédible à l’appui de l’argument que les règles de droit en matière de prescription compromettraient l’équité en matière de recouvrement des créances fiscales, alors qu’une diligence minimale aurait l’effet inverse.

19 L’argument de l’appelante que les justifications des délais de prescription militent contre leur application au recouvrement de créances fiscales ne peut être retenu. Les dispositions en matière de prescription reposent sur les justifications qui peuvent être décrites comme étant la certitude, la preuve et la diligence : voir M. (K.), précité, p. 29. Pour ce qui est de la certitude, après un certain temps, un individu « devrait être raisonnablement certain qu’il ne sera plus redevable de ses anciennes obligations » : M. (K.), précité, p. 29. En ce qui concerne la preuve, il faut écarter les réclamations fondées sur des éléments de preuve périmés. Enfin, quant à la diligence, les demandeurs sont encouragés « [à] agi[r] avec diligence et [à] ne “[pas] tarde[r] [. . .] à faire valoir leurs droits” » : M. (K.), précité, p. 30.

20 Chacune des justifications invoquées à l’appui de l’argument selon lequel le recouvrement de créances fiscales n’est pas assujetti au délai de prescription se trouvent, en fait, être exactement en sens contraire et sont directement applicables au recouvrement par le ministre de créances fiscales. Si, pendant une longue période, le ministre ne fait aucun effort pour recouvrer une créance fiscale, le contribuable peut, un moment donné, raisonnablement en venir à penser ne plus être redevable de cette obligation, et gérer ses affaires en conséquence. En outre, un délai de prescription incite le ministre à agir avec diligence dans le recouvrement des créances fiscales. Vu les répercussions importantes que celui‑ci a sur la sécurité financière des citoyens canadiens, le fait pour le ministère de tarder à exercer ses droits en matière de recouvrement est contraire à l’intérêt public. Il est évident que les justifications de l’existence de délais de prescription s’appliquent au recouvrement des créances fiscales.

21 Le silence du législateur dans ces dispositions en ce qui touche la prescription, si on l’interprète conjointement avec les termes explicites employés dans les dispositions de la LIR sur les cotisations, appuie la conclusion que le législateur veut que les dispositions d’application générale en matière de prescription s’appliquent au recouvrement par le ministre de créances fiscales. Une interprétation téléologique de la loi confirme cette conclusion. La Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve appuyant de quelque façon que ce soit l’argument que les règles de droit en matière de prescription violeraient l’équité en matière de recouvrement des créances fiscales. Enfin, pour les motifs exposés précédemment, les justifications des délais de prescription s’appliquent directement au recouvrement des créances fiscales.

22 En conséquence, l’application de l’art. 32 de la LRCÉCA aux mesures de recouvrement prises par le ministre en application de la loi dépend entièrement de la question de savoir si ces mesures peuvent être considérées comme « [une] poursuit[e] [. . .] pour [un] fait générateur . . . » selon l’art. 32.

b) Les mesures de recouvrement prévues par la loi peuvent‑elles être considérées comme « [une] poursuit[e] [. . .] pour [un] fait générateur . . . »?

23 L’article 32 s’applique uniquement lors des « poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur ».

24 Interprétés selon leur sens ordinaire et grammatical, ces termes visent clairement les mesures de recouvrement prévues par la LIR. Bien que le mot « proceeding » dans la version anglaise soit souvent utilisé dans le contexte d’une action en justice, sa définition est plus large. La Cour d’appel du Manitoba affirme dans Royce c. MacDonald (Municipality) (1909), 12 W.L.R. 347, p. 350, que le mot « proceeding » [traduction] « a un sens très large : il vise notamment des étapes ou mesures qui ne sont liées d’aucune façon à des actions ou poursuites en justice ». Selon la définition que donne le Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 1204, le terme « proceeding » s’entend notamment [traduction] « d’une mesure que l’on doit prendre pour obtenir un résultat donné; d’un mode d’action prescrit pour la mise en œuvre d’un droit ».

25 Les mesures de recouvrement prévues par la loi ressemblent beaucoup à plusieurs procédures judiciaires. En vertu du par. 223(3), un certificat enregistré auprès de la Cour fédérale est réputé être un jugement de cette cour. Comme le note le juge Rothstein au par. 35 :

Une sommation de payer en vertu de l’article 224 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 101) est analogue à une ordonnance de saisie‑arrêt rendue par une cour. [. . .] La saisie et la vente de biens meubles prévue[s] au paragraphe 225(1) est une disposition similaire à un bref d’exécution délivré par un tribunal.

En lui accordant le pouvoir de recouvrer les créances fiscales de cette façon, le législateur a fourni au ministre une solution de rechange efficace et expéditive à l’action en justice. Les mesures de recouvrement judiciaires et non judiciaires ont toutefois le même objectif. Elles sont toutes deux des mécanismes permettant au ministre de procéder au recouvrement forcé de créances fiscales et, par le fait même, de faire respecter les droits de l’État. Il est évident qu’on peut à bon droit qualifier de poursuites entreprises en vertu de la loi ces deux types de mesures.

26 L’argument de l’appelante porte sur la question de savoir si ces poursuites se rapportent à un « fait générateur ». La Cour a jugé que l’expression « in respect of » (« quant à ») a une portée des plus larges et exprime un lien quelconque entre deux sujets. Voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, p. 39, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) :

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large.

Dans le contexte de l’art. 32, l’expression « in respect of » (« pour ») exige uniquement que la procédure en cause ait un lien quelconque avec le fait générateur.

27 Un « fait générateur » est un état de fait qui fonde une action en justice : voir Letang c. Cooper, [1964] 2 All E.R. 929 (C.A.), p. 934; Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills, Inc. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481 (C.A.F.), le juge en chef Iacobucci (maintenant juge de notre Cour), p. 496; et le Black’s Law Dictionary, op. cit., p. 221. En l’espèce, les impôts impayés sont des créances recouvrables par action en justice (art. 222 de la LIR), sous réserve du sursis aux mesures de recouvrement (art. 225.1). En conséquence, comme le note le juge Rothstein au par. 37, « l’existence d’une dette fiscale et l’expiration du délai donnant au ministre le droit de prendre des mesures de recouvrement » constituent le fait générateur en l’espèce.

28 D’après l’analyse qui précède, le membre de phrase dans le texte anglais « proceedings [ . . .] in respect of a cause of action », selon son sens ordinaire, vise aussi les mesures de recouvrement prises par le ministre en application de la loi. L’exercice des recours prévus par la loi dépend entièrement de l’état de fait sur lequel l’action du ministre prend appui, c’est‑à‑dire l’existence d’une dette fiscale et l’expiration du délai prévu à l’art. 225.1.

29 J’examine maintenant la version française de l’art. 32, qui dit :

Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

30 Les termes « poursuite », « procédure » et « instance » sont tous employés pour rendre le mot « proceedings » dans différents contextes. « Procédure » est même employé pour décrire un fait générateur, comme le montre le libellé de l’art. 32 de la LRCÉCA. C’est également ce qui ressort de certaines publications de langue française sur la traduction du droit anglais (voir, par ex., Bouscaren, Greenstein & Cordahi, Les bases du droit anglais (1981)). Il est donc difficile de dégager un sens commun aux versions française et anglaise de l’art. 32 d’après la définition d’une seule expression. En fait, l’historique législatif de l’art. 32, commençant avec le par. 38(2) (S.R.C. 1970, ch. 10 (2e suppl.)) et plus tard le par. 39(3) (L.R.C. 1985, ch. F‑7) de la Loi sur la Cour fédérale (« LCF »), qui, comme nous le verrons plus loin, sont ses précurseurs, montre à la fois que le contexte a son importance et que les modifications d’ordre terminologique ne visent pas nécessairement à apporter un changement en droit substantif.

31 Si nous devions limiter notre analyse au mot « poursuite », nous conclurions qu’en général, au Canada, ce terme exclut toute voie de droit extrajudiciaire. Voici la définition qui en est donnée dans H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (2e éd. 2001), p. 425 :

1. Action en justice engagée par une personne en vue de faire valoir son droit ou d’obtenir une sanction contre l’auteur d’une infraction. Ex. La poursuite du créancier contre son débiteur.

Mais des dictionnaires français, également utilisés au Canada, donnent une définition plus large à « poursuite ». Voici ce que G. Cornu dit dans Vocabulaire juridique (8e éd. 2000), p. 654 :

Exercice d’une voie de droit pour contraindre une personne à exécuter ses obligations ou à se soumettre aux ordres de la loi ou de l’autorité publique.

M. Cornu définit ainsi « voie de droit » à la p. 909 :

Moyen offert par la loi aux citoyens de faire reconnaître et respecter leurs droits ou de défendre leurs intérêts; terme générique englobant action en justice, voies (juridictionnelles) de recours, voies d’exécution, recours administratif; par ext., toute procédure juridictionnelle même à l’initiative du ministère public.

Des dictionnaires généraux, comme Le Petit Larousse (2003), définissent « poursuite » comme étant une action en justice, mais aussi comme une « [a]ction du fisc pour assurer le recouvrement forcé des créances du Trésor ».

32 Il serait donc difficile de conclure de façon certaine que le terme « poursuite » a un sens plus restrictif que « proceedings » et que c’est déterminant dans le contexte de l’art. 32. Il convient donc, en l’espèce, de conclure que le sens commun aux versions française et anglaise de la disposition n’est pas clair et qu’il faut recourir à d’autres règles d’interprétation des lois pour discerner l’intention du législateur. En appliquant ces règles et en interprétant l’art. 32 en contexte, d’une façon qui s’harmonise avec l’objet de la LRCÉCA, je conclus qu’il vise entre autres des mécanismes administratifs qui permettent à l’État de parvenir exactement au même résultat que par voie judiciaire.

33 En common law, l’État n’était pas assujetti aux délais de prescription, sauf si une loi fédérale prévoyait expressément le contraire. Par contre, il avait le droit d’invoquer la prescription comme moyen de défense dans les poursuites intentées contre lui : voir D. Sgayias et al., The Annotated Crown Liability and Proceedings Act 1995 (1994), p. 135‑136, et P. W. Hogg et P. J. Monahan, Liability of the Crown (3e éd. 2000), p. 71. L’article 32 vise de toute évidence, dans la recherche de l’équité, à donner la même possibilité de défense au défendeur ordinaire dans une poursuite intentée contre lui par l’État.

34 Les dispositions en matière de prescription qui figurent à l’art. 32 s’appliqueraient aux actions en justice intentées par le ministre pour recouvrer la créance fiscale en l’espèce. Il serait absurde de conclure que le législateur veuille que l’art. 32 de la LRCÉCA s’applique aux actions en justice et non aux mesures de recouvrement prévues par la loi, qui servent la même fin. Les justifications relatives à la certitude, à la preuve et à la diligence qui sous‑tendent l’application des dispositions en matière de prescription aux procédures auxquelles l’État est partie s’appliquent tant aux procédures judiciaires qu’aux procédures non judiciaires en cause en l’espèce. Voir Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275, le juge Estey, p. 284 :

[C]’est l’interprétation la plus pratique et la plus efficace qu’il faut retenir lorsque les termes utilisés par le législateur le permettent . . .

Rien ne permet d’imputer au législateur l’intention que l’application de l’art. 32 dépende uniquement de la question technique de savoir si la procédure pertinente est une procédure judiciaire. Ne pas appliquer l’art. 32 aux procédures qui équivalent par leur objet et par leur effet à une action en justice ferait obstacle à l’objectif de cette disposition.

35 L’historique législatif de l’art. 32 de la LRCÉCA appuie l’inférence que le législateur veut que cette disposition s’applique également aux procédures non judiciaires. L’article 38 de la LCF a été édicté en 1971 (S.R.C. 1970, ch. 10 (2e suppl.)). Cette disposition est par la suite devenue l’art. 39 des L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le paragraphe 38(2), qui a été remplacé par le par. 39(3), prévoyait que les dispositions en matière de prescription s’appliquaient aux procédures auxquelles l’État était partie. Voici ce que prévoit l’art. 39 de la LCF :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui‑ci n’est pas survenu dans une province.

(3) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription visées aux paragraphes (1) et (2) s’appliquent à toutes les procédures engagées par ou contre la Couronne.

Avant 1992, l’art. 32 de la LRCÉCA (alors la Loi sur la responsabilité de l’État) ne s’appliquait qu’aux actions en responsabilité délictuelle intentées contre l’État. Dans L.C. 1990, ch. 8, art. 10 et 31, le par. 39(3) de la LCF a été abrogé et l’art. 32 de la LRCÉCA a été modifié de façon à s’appliquer lors de toute poursuite pour un fait générateur à laquelle l’État est partie.

36 Il est facile de constater, comme le souligne la Cour d’appel fédérale au par. 49, que le par. 38(2) et ultérieurement le par. 39(3) ont précédé l’actuel art. 32 de la LRCÉCA. Pour déterminer l’intention du législateur quant au libellé actuel de l’art. 32, il est utile d’examiner l’interprétation que les tribunaux ont donnée aux dispositions qui l’ont précédé. Dans E. H. Price Ltd. c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841, la Cour d’appel fédérale s’est demandé si le par. 38(2) de la LCF s’appliquait à l’enregistrement par le ministre d’un certificat en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. Dans une remarque incidente, le juge suppléant Clement a déclaré aux p. 847‑848 qu’en l’absence de l’expression restrictive « devant la Cour » qui figure au par. 38(1), le terme « procédures » au par. 38(2) ne visait pas uniquement les procédures judiciaires et s’appliquait également à l’enregistrement d’un certificat par le ministre. Dans la modification qu’il a apportée subséquemment à l’art. 32 de la LRCÉCA, le législateur n’a pas inclus l’expression « devant la Cour » ou autre terme ayant un effet limitatif semblable. Comme le déclare le juge Rothstein au par. 50, « on peut équitablement conclure que le législateur, puisqu’il n’a pas agi ainsi, avait l’intention d’adopter l’interprétation de l’arrêt E. H. Price, de sorte que les “poursuites” (“proceedings”) prévues à l’art. 32 incluent toutes les voies de droit relatives à une cause d’action, qu’elles soient engagées devant une cour ou autrement ». Bien que le terme « pour [un] fait générateur » ne figure pas au par. 39(3), pour les motifs que j’ai exposés précédemment, son inclusion à l’art. 32 n’a pas pour effet de restreindre l’application de cette disposition aux procédures judiciaires.

37 Je conclus que la version anglaise reflète le mieux l’intention du législateur. En conséquence, il faudrait déterminer quel délai de prescription prévu à l’art. 32 s’applique à la procédure en l’espèce. Il s’agit de se demander si le fait générateur de la dette fiscale fédérale est survenu dans une province ou ailleurs que dans une province.

(2) Le fait générateur est‑il survenu dans une province ou ailleurs que dans une province?

38 En vertu de l’art. 32, les règles de droit provinciales en matière de prescription s’appliquent lors des poursuites pour un fait générateur survenu dans une province, et lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, le recours se prescrit par six ans. Au paragraphe 59, le juge des requêtes aurait conclu que le fait générateur était survenu ailleurs que dans une province. La Cour d’appel a appliqué la disposition provinciale en matière de prescription et a donc, au moins implicitement, conclu que le fait générateur était survenu dans une province. En l’espèce, cette question est sans conséquence particulière, parce que dans les deux cas le délai de prescription est de six ans et commence à courir le jour suivant la date où survient le fait générateur. Quoi qu’il en soit, j’estime que le fait générateur du recours de l’appelante est survenu ailleurs que dans une province et que le délai de prescription de six ans prévu à l’art. 32 s’applique.

39 Les dettes fiscales contractées en vertu de la LIR découlent d’une loi fédérale et créent des droits et des obligations entre l’État fédéral et les résidants du Canada ou les personnes qui ont gagné un revenu au Canada. La dette peut découler d’un revenu gagné dans plusieurs provinces ou dans un autre pays. Il s’agit d’une dette envers le gouvernement fédéral, qui n’est situé dans aucune province et qui ne prend pas de province particulière comme point de repère pour l’établissement de ses cotisations. En conséquence, selon le sens clair de l’art. 32, le fait générateur en l’espèce est survenu « ailleurs que dans une province ».

40 Une interprétation téléologique de l’art. 32 appuie cette conclusion. Si on concluait que le fait générateur est survenu dans une province, le délai de prescription applicable au recouvrement par le gouvernement fédéral de créances fiscales pourrait varier considérablement selon la province dans laquelle le revenu a été gagné et ses délais de prescription. En plus des difficultés administratives qui pourraient survenir à cause de l’obligation de répartir les dettes fiscales selon la province où elles ont été contractées, l’application différente des délais de prescription aux contribuables canadiens pourrait porter atteinte à l’équité en matière de recouvrement des créances fiscales. Des disparités entre les délais de prescription provinciaux pourraient, de façon prévisible, donner lieu à des systèmes de recouvrement fiscal plus sévères dans certaines provinces et moins sévères dans d’autres. La Cour peut seulement présumer que, lorsqu’il a prévu qu’un délai de prescription de six ans s’appliquerait aux procédures relatives à un fait générateur survenu ailleurs que dans une province, le législateur voulait que les dispositions en matière de prescription s’appliquent de manière uniforme partout au pays en ce qui concerne les procédures du type de celle en cause en l’espèce.

41 Je conclus que les mesures de recouvrement prises en vertu de la LIR sont prescrites six ans après la survenance du fait générateur. La dette fiscale de l’intimé et l’expiration du délai de 90 jours suivant la mise à la poste de l’avis de cotisation daté du 17 juin 1986 constituent le fait générateur en l’espèce. Celui‑ci est donc survenu le 16 septembre 1986. Pendant les six années qui ont suivi cette date, le ministre n’a pris aucune mesure en vue du renouvellement du délai de prescription. Par conséquent, à partir du 16 septembre 1992, selon l’art. 32 de la LRCÉCA, le ministre ne pouvait plus exiger de l’intimé le remboursement de sa dette fiscale pour l’année 1986. On a traditionnellement considéré que les délais de prescription empêchaient le créancier d’exercer son recours, mais qu’ils n’éteignaient pas sa créance. À mon avis, il s’agit là d’une distinction vide de sens. À toutes fins utiles, la dette fiscale fédérale de l’intimé est prescrite.

B. La dette fiscale provinciale

42 Il reste à déterminer si la Limitation Act empêche le ministre, en tant que mandataire de la Colombie‑Britannique, de demander le remboursement des dettes fiscales découlant de l’ITA.

43 L’article 49 de l’ITA prévoit que l’art. 222 de la LIR s’applique dans le cadre de l’ITA avec, conformément au par. 1(7), les adaptations nécessaires à son application en Colombie‑Britannique. En conséquence, les dettes fiscales découlant de l’ITA sont des dettes envers la province.

44 L’article 69 de l’ITA autorise le ministre des Finances et des Relations avec les entreprises de la Colombie‑Britannique à conclure avec le gouvernement fédéral un accord de perception par lequel ce dernier accepte de percevoir les impôts payables en vertu de l’ITA et de les verser au gouvernement provincial. Un accord de perception de ce type entre la Colombie‑Britannique et le gouvernement du Canada existe depuis 1962 : Memorandum of Agreement, 28 janvier 1962. Voici ce que prévoit le par. 1(1) de cette entente :

[traduction] Le Canada, en tant que mandataire de la province, percevra pour le compte de celle‑ci les impôts exigés en vertu de [l’ITA] . . . [Je souligne.]

45 Par conséquent, le gouvernement provincial, le mandant, a délégué au gouvernement fédéral, le mandataire, son pouvoir de recouvrer les créances fiscales. Il est bien établi que les pouvoirs, explicites ou implicites, de tout mandataire sont circonscrits par les pouvoirs de son mandant : F. M. B. Reynolds, Bowstead and Reynolds on Agency (16e éd. 1996), p. 110. Pour savoir quels pouvoirs de recouvrement ont été délégués au gouvernement fédéral, il faut déterminer les pouvoirs de recouvrement de la province.

46 La Limitation Act régit le droit applicable en ce qui a trait à la prescription des actions en Colombie‑Britannique. Le paragraphe 14(1) de la Interpretation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 238, prévoit que les dispositions législatives lient le gouvernement de la Colombie‑Britannique à moins qu’elles ne prévoient expressément le contraire. La Limitation Act ne prévoit pas le contraire. Ses dispositions s’appliquent donc aux procédures auxquelles est partie le gouvernement provincial.

47 Le paragraphe 3(5) de la Limitation Act dispose que les actions pour lesquelles un délai de prescription n’a pas été [traduction] « expressément prévu » par une autre loi se prescrivent par six ans. En vertu de l’article premier de la Limitation Act, une action s’entend notamment [traduction] « de toute procédure judiciaire et de l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire ». Je conviens avec le juge des requêtes et la Cour d’appel que l’expression « voie de droit extrajudiciaire » comprend les mesures de recouvrement prévues dans l’ITA. Une mesure de recouvrement prévue par la loi est un mécanisme extrajudiciaire par lequel le ministre peut atteindre un résultat qui ne pourrait autrement être atteint que par action en justice. En outre, l’ITA ne prévoit pas expressément de délais de prescription dans ses dispositions sur le recouvrement.

48 Par conséquent, le droit de la province de prendre des mesures de recouvrement en vertu de l’ITA est assujetti au délai de prescription prévu au par. 3(5) de la Limitation Act. De plus, à l’expiration de ce délai le droit et le titre de la province à la créance fiscale s’éteignent en application du par. 9(1) de la Limitation Act et le droit et le titre de la province aux intérêts sur la dette fiscale s’éteignent en application du par. 9(3) de cette loi.

49 Le pouvoir du gouvernement fédéral de recouvrer les impôts provinciaux en l’espèce est circonscrit par le pouvoir que lui a délégué la province. Comme les droits de recouvrement de la province se prescrivent par six ans suivant la naissance du fait générateur, il en est de même pour les droits de recouvrement du gouvernement fédéral, qui est son mandataire.

50 La dette fiscale et l’expiration, le 16 septembre 1986, du délai permettant de prendre des mesures de recouvrement constituent le fait générateur en l’espèce. Pendant les six années qui ont suivi cette date, le ministre n’a pris aucune mesure en vue du renouvellement du délai de prescription. En conséquence, le 16 septembre 1992, le droit du gouvernement fédéral de recouvrer la créance fiscale provinciale était prescrit. En outre, le droit et le titre de tout créancier quant à la dette fiscale provinciale de l’intimé et aux intérêts courus se sont éteints à cette date.

VI. Conclusion

51 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs des juges Gonthier et Deschamps rendus par

52 La juge Deschamps — Je partage l’opinion de mon collègue le juge Major, sauf sur un point.

53 Pour déterminer où survient le fait générateur selon l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, le juge Major se concentre sur le lieu où est situé le gouvernement fédéral. La conclusion que le fait générateur survient « ailleurs que dans une province » est, à mon avis, inappropriée pour deux raisons. D’abord, elle met l’accent sur la résidence du créancier au lieu de tenir compte des facteurs de rattachement du fait générateur et, de plus, elle implique que le gouvernement fédéral n’est situé nulle part au Canada ou, pour reprendre le libellé de la version française de l’art. 32, qu’il serait situé « ailleurs que dans une province ». Le bon sens dicte plutôt que le gouvernement fédéral soit situé dans chaque province et non « ailleurs » que dans une province.

54 Le concept du fait générateur est plus facile à comprendre dans les cas de négligence. Ici, cependant, la réclamation trouve son fondement dans une loi. Elle peut être qualifiée de droit personnel de l’État contre le contribuable. Dans Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, la Cour était saisie d’un problème analogue. Elle devait déterminer les conditions d’application d’une exemption fiscale. Bien que le critère de la résidence ait été modifié en faveur d’un critère englobant tous les facteurs de rattachement, l’analyse fondée sur le situs a été maintenue. Ce concept est aussi utilisé en droit international privé pour déterminer l’endroit où une action peut être intentée : J.‑G. Castel et J. Walker, Canadian Conflict of Laws (5e éd. (feuilles mobiles)), par. 22.2.

55 Selon le critère des facteurs de rattachement utilisé dans Williams, les facteurs pertinents sont : la résidence de l’intimé, son lieu d’emploi et le lieu où il a reçu son revenu. Tous ces facteurs indiquent que le fait générateur est survenu en Colombie‑Britannique. La prescription applicable est celle de la Colombie‑Britannique, soit six ans.

56 Puisque le gouvernement fédéral est, par suite d’une entente avec toutes les provinces, à l’exception du Québec, responsable de la perception des impôts provinciaux sur le revenu, il est logique que le recouvrement des créances fiscales fédérales soit assujetti aux délais de prescription prévus pour le recouvrement des créances fiscales provinciales. Il en résulte un seul délai de prescription pour les créances fiscales fédérales et provinciales recouvrées dans chacune des provinces, sauf au Québec. L’efficacité est ainsi préservée.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur de l’appelante : Ministère de la Justice, Vancouver.

Procureurs de l’intimé : Legacy Tax & Trust Lawyers, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante : McCarthy Tétrault, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2003 CSC 9 ?
Date de la décision : 06/03/2003
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Impôt sur le revenu - Recouvrement - Prescription - Contribuable ayant omis de payer des impôts fédéral et provincial pour les années d’imposition 1980 à 1985 selon les cotisations établies par Revenu Canada en 1986 - Aucune mesure de recouvrement de la part de Revenu Canada jusqu’en 1998 - Est‑ce que les délais de prescription fédéral et provincial empêchent Revenu Canada de recouvrer auprès du contribuable des créances fiscales fédérales et provinciales? - Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, art. 32 - Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, art. 1, 3(5).

Couronne - Responsabilité civile - Prescription - Recouvrement de créances fiscales fédérales - Est‑ce que le terme « poursuites » dans la disposition fédérale sur la prescription englobe les mesures de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu? - Est‑ce que le fait générateur est survenu « ailleurs que dans une province »? - Est‑ce que la Loi de l’impôt sur le revenu est un code complet qui exclut l’application du délai de prescription fédéral aux mesures de recouvrement? - Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, art. 32.

Prescription - Recouvrement de créances fiscales provinciales - Définition du mot « action » - L’expression « voie de droit extrajudiciaire » dans la définition du mot « action » de la loi provinciale sur la prescription englobe-t‑elle les mesures de recouvrement prévues par la loi provinciale de l’impôt sur le revenu? - Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, art. 1, 3(5).

En 1986, l’intimé, qui résidait en Colombie‑Britannique, a reçu un avis de cotisation du ministre du Revenu national indiquant qu’il devait 234 136 $ en impôts fédéral et provincial par suite de cotisations et d’impôts non payés pour les années d’imposition 1980 à 1985. L’intimé n’a pas contesté cet avis et n’a rien payé de l’impôt en souffrance. De 1987 à 1998, Revenu Canada n’a fait aucun effort pour recouvrer la créance, et les relevés de compte envoyés à l’intimé au cours de cette période ne faisaient pas état du solde de 1986. En 1998, Revenu Canada a envoyé à l’intimé un relevé de compte indiquant un solde de 770 583 $. Cette somme représentait le montant dû jusqu’en 1986 et les intérêts courus. L’intimé a présenté à la Section de première instance de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la réclamation de 1998 et a demandé un jugement déclaratoire selon lequel l’État n’était pas autorisé à prendre quelque mesure que ce soit pour recouvrer les créances fiscales de 1990 et des années antérieures. Le juge des requêtes a rejeté la demande. La Cour d’appel fédérale a annulé cette décision et a conclu que, selon l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (« LRCÉCA ») et le par. 3(5) de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, l’État ne pouvait plus exiger de l’intimé le remboursement des dettes fiscales fédérales et provinciales, celles‑ci étant prescrites.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel : Le délai de prescription de six ans prévu à l’art. 32 de la LRCÉCA empêche l’État de recouvrer la créance fiscale fédérale auprès de l’intimé. Premièrement, comme il s’agit d’une disposition d’application générale, il faut présumer que l’art. 32 s’applique par défaut à toutes les poursuites auxquelles l’État est partie. Seule une disposition expresse ou implicite « contraire » d’une loi fédérale peut en restreindre l’application pour ce qui est des délais de prescription. Les dispositions sur le recouvrement de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») ne fixent aucun délai de prescription. Le silence du législateur dans ces dispositions en ce qui touche la prescription, si on l’interprète conjointement avec les termes explicites employés dans les dispositions de la LIR sur les cotisations, appuie la conclusion que le législateur veut que les dispositions d’application générale en matière de prescription s’appliquent au recouvrement par le ministre de créances fiscales. Une interprétation téléologique de la LIR confirme cette conclusion. Par ailleurs, les justifications relatives à la certitude, à la preuve et à la diligence en matière de prescription ne portent pas atteinte aux principes d’équité horizontale et d’équité verticale qui devraient régir en partie l’interprétation de la LIR et sont directement applicables au recouvrement de créances fiscales. Deuxièmement, le membre de phrase dans le texte anglais « proceedings [. . .] in respect of a cause of action », à l’art. 32, selon son sens ordinaire, vise aussi les mesures de recouvrement prises par le ministre en application de la loi. Il serait absurde de conclure que le législateur veuille que cette disposition s’applique aux actions en justice et non aux mesures de recouvrement prévues par la loi, qui servent la même fin. Les justifications qui sous‑tendent l’application des dispositions en matière de prescription aux procédures auxquelles l’État est partie s’appliquent tant aux procédures judiciaires qu’aux procédures non judiciaires en cause en l’espèce. Ne pas appliquer l’art. 32 aux procédures qui équivalent par leur objet et par leur effet à une action en justice ferait obstacle à l’objectif de cette disposition. L’historique législatif de l’art. 32 appuie aussi l’inférence que le législateur veut que cette disposition s’applique également aux procédures non judiciaires. Troisièmement, selon le sens clair et l’interprétation téléologique de l’art. 32, le fait générateur en l’espèce est survenu « ailleurs que dans une province ». Les dettes fiscales contractées en vertu de la LIR découlent d’une loi fédérale et créent des droits et des obligations entre l’État fédéral et les résidants du Canada ou les personnes qui ont gagné un revenu au Canada. La dette peut découler d’un revenu gagné dans plusieurs provinces ou dans un autre pays. Il s’agit d’une dette envers le gouvernement fédéral, qui n’est situé dans aucune province et qui ne prend pas de province particulière comme point de repère pour l’établissement de ses cotisations.

Le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique empêche également le ministre, en tant que mandataire de la Colombie‑Britannique, de demander à l’intimé le remboursement de sa dette fiscale provinciale découlant de l’Income Tax Act de la Colombie‑Britannique (« ITA »). Le paragraphe 3(5) dispose que les actions pour lesquelles un délai de prescription n’a pas été [traduction] « expressément prévu » par une autre loi se prescrivent par six ans. En vertu de l’article premier de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, une action s’entend notamment [traduction] « de toute procédure judiciaire et de l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire ». L’expression « voie de droit extrajudiciaire » comprend les mesures de recouvrement prévues dans l’ITA. Une mesure de recouvrement prévue par la loi est un mécanisme extrajudiciaire par lequel le ministre peut atteindre un résultat qui ne pourrait autrement être atteint que par action en justice. En outre, l’ITA ne prévoit pas expressément de délais de prescription dans ses dispositions sur le recouvrement. Comme les droits de recouvrement de la province se prescrivent par six ans suivant la naissance du fait générateur, il en est de même pour les droits de recouvrement du gouvernement fédéral, qui est son mandataire.

Les juges Gonthier et Deschamps : La conclusion que le fait générateur survient « ailleurs que dans une province » est, à mon avis, inappropriée pour deux raisons. D’abord, elle met l’accent sur la résidence du créancier au lieu de tenir compte des facteurs de rattachement du fait générateur et, de plus, elle implique que le gouvernement fédéral n’est situé nulle part au Canada. Le bon sens dicte plutôt que le gouvernement fédéral soit situé dans chaque province. Puisque le gouvernement fédéral est, par suite d’une entente avec toutes les provinces (à l’exception du Québec), responsable de la perception des impôts provinciaux sur le revenu, il est logique que le recouvrement des créances fiscales fédérales soit assujetti aux délais de prescription prévus pour le recouvrement des créances fiscales provinciales. Il en résulte un seul délai de prescription pour les créances fiscales fédérales et provinciales recouvrées dans chacune des provinces, sauf au Québec. L’efficacité est ainsi préservée. En l’espèce, tous les facteurs de rattachement indiquent que le fait générateur est survenu en Colombie‑Britannique. La prescription applicable est donc celle de la Colombie‑Britannique, soit six ans.


Parties
Demandeurs : Markevich
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Arrêts mentionnés : Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, 2000 CSC 36
65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804
Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536
Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103
M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6
Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695
Ross c. Canada, [2002] 2 C.T.C. 222, 2002 CFPI 401
MacKinnon c. Canada, [2002] 4 C.T.C. 48, 2002 CFPI 824
Royce c. MacDonald (Municipality) (1909), 12 W.L.R. 347
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
Letang c. Cooper, [1964] 2 All E.R. 929
Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills, Inc. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481
Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275
E. H. Price Ltd. c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841.
Citée par la juge Deschamps
Arrêt mentionné : Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877.
Lois et règlements cités
Income Tax Act, R.S.B.C. 1996, ch. 215, art. 1(7), 49, 69.
Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 238, art. 14(1).
Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, art. 1 « action », 3(5), 9(1), (3).
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), art. 152(4), 152(4.2), 159(3), 160(2), 160.1(3), 160.2(3), 160.3(2), 160.4(3), 222, 223(2), (3), (5) à (8), 224(1), 225(1), 225.1(1) à 225.1(4), 227(10.1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 39(3) [abr. 1990, ch. 8, art. 10].
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, ch. 10 (2e suppl.), art. 38(2).
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, art. 32 [abr. & rempl. 1990, ch. 8, art. 31].
Doctrine citée
Black, Henry Campbell. Black’s Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990, « cause of action », « proceeding ».
Bouscaren, C., R. Greenstein et A. Cordahi. Les bases du droit anglais. Paris : Ophrys, 1981.
Castel, Jean‑Gabriel, and Janet Walker. Canadian Conflict of Laws, 5th ed. Toronto : Butterworths, 2002 (loose‑leaf updated December 2002, Issue 3).
Cornu, Gérard. Vocabulaire juridique, 8e éd. Paris : Presses universitaires de France, 2000, « poursuite », « voie de droit ».
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Hogg, Peter W., Joanne E. Magee and Ted Cook. Principles of Canadian Income Tax Law, 3rd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1999.
Hogg, Peter W., and Patrick J. Monahan. Liability of the Crown, 3rd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 2000.
Petit Larousse, 2003. Paris : Larousse, 2003, « poursuite ».
Reid, Hubert. Dictionnaire de droit québécois et canadien avec table des abréviations et lexique anglais‑français, 2e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2001, « poursuite ».
Reynolds, F. M. B. Bowstead and Reynolds on Agency, 16th ed. London : Sweet & Maxwell, 1996.
Sgayias, David, et al. The Annotated Crown Liability and Proceedings Act 1995. Scarborough, Ont. : Carswell, 1994.

Proposition de citation de la décision: Markevich c. Canada, 2003 CSC 9 (6 mars 2003)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-03-06;2003.csc.9 ?
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