Smith c. Cie d’assurance générale Co-operators, [2002] 2 R.C.S. 129, 2002 CSC 30
Bernadette Smith Appelante
c.
Compagnie d’assurance générale Co-operators Intimée
Répertorié : Smith c. Cie d’assurance générale Co-operators
Référence neutre : 2002 CSC 30.
No du greffe : 27875.
2001 : 6 novembre; 2002 : 28 mars.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2000), 130 O.A.C. 122, 183 D.L.R. (4th) 385, 19 C.C.L.I. (3d) 1, 50 M.V.R. (3d) 270, [2000] O.J. No. 408 (QL), rejetant l’appel de l’appelante contre une décision de la Cour supérieure de justice, [1999] O.J. No. 2484 (QL). Pourvoi accueilli, le juge Bastarache est dissident.
Andrew R. Kerr et M. Steven Rastin, pour l’appelante.
Bruce Keay, pour l’intimée.
Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Binnie, Arbour et LeBel rendu par
Le juge Gonthier —
I. Introduction
1 La présente affaire porte sur des questions d’interprétation législative relatives aux délais de prescription prévus dans le droit des assurances de l’Ontario. L’assurée appelante se pourvoit contre l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario rejetant l’appel qu’elle avait interjeté contre un jugement sommaire de la Cour supérieure de justice. Cette dernière avait accueilli la motion fondée sur l’expiration du délai de prescription que l’assureur intimé avait présentée en vue d’obtenir le rejet de la demande d’indemnité de l’appelante. La question générale que soulève le présent pourvoi est de savoir si l’assureur s’est acquitté de son obligation, en vertu de l’art. 71 de l’Annexe sur les indemnités d’accident légales — accidents survenus après le 31 décembre 1993 mais avant le 1er novembre 1996, règl. de l’Ont. 776/93 (« AIAL »), d’informer l’assurée de la procédure de règlement des différends énoncée aux art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8. La réponse à cette question permettra de déterminer si l’intimée a exprimé un refus valable de continuer à verser les indemnités et si le délai de prescription de deux ans applicable aux actions civiles a, de ce fait, commencé à courir. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que l’assureur a rempli les obligations lui incombant en vertu de l’art. 71 AIAL. Le refus n’était donc pas valable et le délai de prescription n’a pas commencé à courir. Rien n’empêche l’appelante d’intenter son action. Cependant, je ne me prononce pas sur le bien‑fondé de sa demande, qui relève du juge de première instance.
II. Les faits
2 L’appelante a été victime d’un accident de la route le 14 avril 1994. Elle a demandé et obtenu le versement d’indemnités légales par l’intimée. Le 8 mai 1996, l’intimée a cessé de verser ces indemnités et a informé par écrit l’appelante des motifs de cette cessation. Le formulaire que l’intimée a envoyé à l’appelante contenait la note suivante :
[traduction] Nous avons évalué votre demande d’indemnité d’accident. Le présent formulaire vous indique la façon dont nous avons calculé vos indemnités. Si vous n’êtes pas d’accord avec notre évaluation, veuillez communiquer avec nous immédiatement.
Si nous ne pouvons pas régler la demande à votre satisfaction, vous avez le droit de faire une demande de médiation auprès de la Commission des assurances de l’Ontario, en composant le numéro (416) 250‑6750 si vous êtes à Toronto, ou le numéro sans frais 1‑800‑668‑0128 si vous êtes à l’extérieur de Toronto.
Dans une lettre envoyée à l’avocat de l’appelante le même jour, l’intimée écrivait : [traduction] « veuillez noter que Mme Smith n’a plus droit à des indemnités de remplacement de revenu ».
3 À la suite d’un échange de correspondance qui ne lui a pas permis de convaincre l’intimée de reprendre le versement des indemnités, l’appelante a présenté une demande de médiation conformément à la Loi sur les assurances. La médiation a eu lieu le 11 août 1997, mais elle a échoué. Le 8 septembre 1998, l’appelante a produit une déclaration dans laquelle elle réclamait le versement des indemnités légales impayées et de celles à venir.
4 L’intimée a présenté une motion visant à obtenir un jugement sommaire pour le motif que la demande de l’appelante était prescrite en vertu du par. 281(5) de la Loi sur les assurances, qui prévoit que toute instance devant un tribunal ou toute procédure d’arbitrage à l’égard d’indemnités d’accident légales doit être engagée dans les deux ans qui suivent le « moment où l’assureur refuse de payer l’indemnité demandée ». Le 23 juin 1999, le juge MacKinnon de la Cour supérieure de justice a accueilli cette motion et a rejeté l’action de l’appelante. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté, à la majorité, l’appel de l’appelante le 21 février 2000.
III. Les dispositions législatives pertinentes
5 Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8
281. (1) Sous réserve du paragraphe (2) :
a) la personne assurée peut introduire une instance devant un tribunal compétent;
. . .
(5) Les mesures permises par le paragraphe (1) doivent être prises dans les deux ans qui suivent le moment où l’assureur refuse de payer l’indemnité demandée ou dans le délai plus long que prévoit l’Annexe sur les indemnités d’accident légales.
Annexe sur les indemnités d’accident légales — accidents survenus après le 31 décembre 1993 mais avant le 1er novembre 1996, règl. de l’Ont. 776/93
62. . . .
(7) Lorsqu’une indemnité hebdomadaire est initialement payée aux termes de la partie II, de l’article 15 ou de la partie IV ou V, ou en cas de modification du montant de l’indemnité hebdomadaire, l’assureur fournit à la personne assurée des explications écrites sur la façon dont le montant de l’indemnité hebdomadaire a été déterminé.
(8) L’assureur qui refuse de verser des indemnités hebdomadaires visées à la partie II, à l’article 15, à la partie IV ou à la partie V donne à la personne assurée un avis précisant les motifs du refus :
a) dans les 14 jours qui suivent la réception de la demande d’indemnités, si le refus survient avant l’approbation de la demande;
b) au plus tard le jour où il aurait versé l’indemnité hebdomadaire suivante, si le refus survient après l’approbation de la demande.
71. S’il refuse de payer une indemnité ou une prestation qu’une personne a demandée aux termes du présent règlement ou s’il réduit le montant d’une indemnité ou d’une prestation qu’une personne a reçue aux termes du présent règlement, l’assureur renseigne la personne par écrit sur la procédure de règlement de différends relatifs aux indemnités ou aux prestations qui est prévue aux articles 279 à 283 de la Loi sur les assurances.
94. Les documents qui suivent sont rédigés selon la formule approuvée par le commissaire aux assurances :
. . .
10. Les explications visées au paragraphe 62(7).
11. L’avis visé au paragraphe 62(8).
IV. Les jugements
A. Cour supérieure de justice de l’Ontario, [1999] O.J. No. 2484 (QL)
6 Le juge MacKinnon a accueilli la motion visant à obtenir un jugement sommaire et a rejeté la demande. Il a conclu que le délai de prescription de deux ans prévu au par. 281(5) de la Loi sur les assurances commençait à courir à partir du moment où l’assureur refuse de payer, comme le prévoit ce paragraphe. Étant donné que l’appelante n’avait pas déposé sa demande dans les deux ans suivant le moment où l’assureur a refusé de payer, son action était prescrite. Selon le juge MacKinnon, le délai de prescription de deux ans commence à courir à partir du moment où l’assureur refuse de verser les indemnités, et non pas à partir du moment où l’assureur avise le demandeur de son droit à la médiation et de l’existence du délai de prescription.
B. Cour d’appel de l’Ontario (2000), 130 O.A.C. 122
7 Les juges majoritaires de la Cour d’appel (les juges Sharpe et Catzman) ont rejeté l’appel de l’appelante, mais pour des motifs différents de ceux exposés par le juge des requêtes. Ils ont reconnu que le délai de prescription prévu au par. 281(5) de la Loi sur les assurances ne commençait à courir que si les exigences de l’art. 71 AIAL étaient respectées. Il s’agissait donc de déterminer si l’intimée s’était conformée à l’art. 71. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’argument de l’appelante selon lequel l’avis donné par l’intimée était insuffisant étant donné qu’il ne l’informait pas de l’existence du délai de prescription légal de deux ans. D’après le juge Sharpe, la procédure de règlement des différends énoncée aux art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances et mentionnée à l’art. 71 AIAL était complexe, de sorte qu’il était suffisant pour l’intimée de mentionner l’étape suivante de cette procédure, soit le droit de demander la médiation.
8 En plus de respecter les exigences de l’art. 71, l’avis était conforme à l’objectif de protection du consommateur visé par la loi et les règlements. Le juge Sharpe a conclu qu’une interprétation large de l’art. 71 contrecarrerait probablement cet objectif puisque les assureurs joindraient simplement à leurs avis une copie des art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances, de sorte que les demandeurs seraient inondés de renseignements. Pour étayer davantage son point de vue selon lequel les demandeurs reçoivent en temps opportun les renseignements nécessaires au sujet de la prescription, le juge Sharpe a souligné que l’appelante a été avisée de l’existence du délai de prescription de deux ans dans le rapport du médiateur que la Commission des assurances de l’Ontario lui a fait parvenir le 11 août 1997, à la suite de l’échec de la médiation. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que l’intimée s’était conformée à l’art. 71 AIAL et qu’elle pouvait donc invoquer la prescription comme moyen de défense.
9 Le juge Borins, dissident, était d’avis que les mesures prises étaient insuffisantes pour qu’il y ait conformité avec l’art. 71 AIAL. Il a indiqué que cette disposition est claire et sans ambiguïté, et traduit l’intention du législateur d’accroître la quantité de renseignements qui doivent être fournis par l’assureur qui refuse de payer ou qui réduit le montant des paiements. Pour se conformer à l’objectif de protection du consommateur visé par l’art. 71, les assureurs doivent fournir clairement aux assurés tous les renseignements dont ils ont besoin pour contester le refus de payer ou la réduction du montant des paiements. Selon le juge Borins, la médiation n’est que la première étape de la procédure de règlement d’un différend et il n’est donc pas suffisant que l’assureur ne donne des renseignements qu’au sujet de cette étape. Bien qu’il ait reconnu la complexité des dispositions relatives au règlement des différends, le juge Borins a conclu que le délai de prescription est au cœur de la procédure de règlement des différends établie dans la Loi sur les assurances, étant donné qu’il traduit la nécessité d’agir rapidement. La complexité des dispositions ne pouvait pas excuser l’omission de tenir compte du sens clair de l’art. 71. Le juge Borins a indiqué que, pour se conformer à l’art. 71, l’assureur doit fournir au moins quatre éléments d’information. Il a conclu que le délai de prescription n’avait pas commencé à courir, de sorte que rien n’empêchait l’appelante d’intenter son action contre l’intimée.
V. Les questions en litige
10 Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :
(1) Quelles obligations l’art. 71 AIAL impose-t-il à l’assureur?
(2) L’intimée a‑t‑elle exprimé un refus valable ayant fait en sorte que le délai de prescription de deux ans applicable aux actions civiles a commencé à courir?
VI. Analyse
A. Les exigences de l’art. 71 AIAL
11 Il n’est pas contesté que l’un des principaux objectifs du droit des assurances est de protéger les consommateurs, surtout dans les domaines de l’assurance‑automobile et de l’assurance‑habitation. La Cour d’appel était unanime à ce sujet et l’intimée ne prétend pas le contraire. Dans son ouvrage intitulé Insurance Law in Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, le professeur Craig Brown fait remarquer que, [traduction] « [d]’une manière ou d’une autre, une bonne partie du droit des assurances a pour objectif de protéger les consommateurs » (p. 1-5). Je souligne, dans la même veine, que le par. 279(2) de la Loi sur les assurances précise que toute restriction du droit qu’a une partie de demander la médiation ou l’arbitrage, d’intenter une poursuite ou d’interjeter appel est nulle, sous réserve des exceptions prévues par les règlements. Conformément à cet objectif de protection du consommateur, on ne peut pas dire que l’assureur a exprimé un refus au sens de l’art. 71 AIAL s’il n’a pas pris les mesures suffisantes pour se conformer à cette disposition.
12 Le juge Borins a eu raison de faire remarquer que l’art. 71 est clair et sans ambiguïté. Le législateur a clairement voulu imposer à l’assureur l’obligation d’informer le demandeur de la procédure de règlement des différends énoncée aux art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances. L’article 71 ne renvoie pas seulement au par. 280(1), qui donne à l’assuré le droit de soumettre le litige à un médiateur. Il renvoie à l’ensemble de la procédure. En fait, le défaut d’indiquer que la médiation n’est pas la seule possibilité tendrait à susciter chez le demandeur un malencontreux sentiment de découragement.
13 Cela dit, le juge Sharpe avait également raison de craindre que les demandeurs soient inondés de renseignements si les assureurs décidaient simplement de joindre à leur refus une reproduction littérale des art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances. En réalité, il est douteux que cette façon de procéder constituerait un refus valable étant donné qu’elle contrecarrerait sûrement l’objectif de protection du consommateur visé par la mesure législative. Toutefois, nous ne disposons pas seulement de deux choix situés aux extrémités opposées de l’éventail des renseignements pouvant être fournis. Il existe une solution intermédiaire.
14 Le juge Borins a donné une liste des éléments fondamentaux des art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances qui, selon lui doivent être communiqués, et, de façon générale, je souscris à sa description des aspects les plus importants de ces dispositions. Je tiens cependant à souligner qu’il n’appartient pas à notre Cour d’énoncer le contenu précis des formulaires de refus des indemnités d’assurance. Il appartient au législateur de le faire. Il convient toutefois que notre Cour donne une interprétation générale des renseignements que le législateur a voulu que l’assureur communique aux termes de l’art. 71. À mon avis, cette disposition oblige l’assureur à utiliser des termes clairs et simples — qu’un profane peut saisir — pour informer la personne assurée de la procédure de règlement des différends énoncée aux art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances. L’assureur doit au moins donner une description des éléments les plus importants de la procédure, comme le droit de demander la médiation, le droit de demander l’arbitrage ou d’intenter une poursuite en cas d’échec de la médiation, l’obligation de recourir à la médiation avant de demander l’arbitrage ou d’intenter une poursuite et les délais pertinents qui s’appliquent à l’ensemble de la procédure. Si ces renseignements de base ne sont pas fournis, on ne peut pas dire que le refus exprimé est valable.
B. Le refus était-il valable?
15 Étant donné que l’art. 71 AIAL oblige, comme nous l’avons vu, à informer le demandeur de la procédure de règlement des différends, et que l’intimée n’a informé l’appelante que de la première étape de cette procédure, on ne peut pas dire qu’un refus valable a été exprimé. Étant donné que le refus n’était pas valable et que le délai de prescription prévu au par. 281(5) de la Loi sur les assurances ne commence à courir qu’à partir du moment où un refus est exprimé, l’avis envoyé le 8 mai 1996 n’a pas fait en sorte que ce délai de prescription a commencé à courir.
16 L’intimée a prétendu que, de toute manière, l’appelante avait été informée du délai de prescription grâce au rapport du médiateur. Le juge Sharpe a également pris acte de ce fait sans toutefois avoir l’intention d’en tenir compte au détriment de l’appelante comme l’intimée souhaite le faire. Cela dit, tenir compte de ce fait au détriment de l’appelante reviendrait à passer sous silence la nature particulière de l’affaire. Comme je l’ai mentionné précédemment, le droit des assurances est, à maints égards, axé sur la protection du consommateur. Les tribunaux sont, de ce fait, tenus de tracer une ligne de démarcation claire entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, sans toutefois accorder trop d’importance aux circonstances qui peuvent être défavorables aux demandeurs dans certains cas. De plus, comme nous l’avons vu, l’assureur n’est pas seulement tenu de communiquer l’existence du délai de prescription.
17 L’intimée a également fait valoir que son avis de refus avait été rédigé selon une formule type prescrite par le commissaire aux assurances (appelé surintendant après le 1er juillet 1998). Elle a soutenu qu’en vertu de l’art. 94 et des par. 62(7) et 62(8) AIAL, elle était tenue d’utiliser la formule conçue et approuvée par le commissaire aux assurances. Le paragraphe 62(7) oblige à fournir des explications écrites en cas de modification de paiement et le par. 62(8) oblige à donner un avis précisant les motifs qui incitent l’assureur à refuser de payer. Selon l’art. 94, les formules utilisées pour donner ces explications et ces avis doivent être approuvées par l’organisme de réglementation.
18 La lecture de ces dispositions réglementaires m’amène à leur donner une interprétation plus nuancée que celle proposée par l’intimée. L’article 94 prévoit que « [l]es documents qui suivent sont rédigés selon la formule approuvée par le commissaire aux assurances . . . ». Rien dans cette disposition n’exige que les documents soient rédigés selon une formule prescrite par le commissaire. L’article 94 ne fait qu’indiquer que, quelle que soit la formule utilisée par l’assureur, cette formule doit être approuvée par le commissaire. De plus, l’art. 94 ne renvoie pas à l’art. 71. Par conséquent, il est plutôt douteux que l’art. 94 s’applique en l’espèce. L’utilisation par l’assureur d’une formule prescrite n’a pas pour effet de le soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de l’art. 71.
19 Nonobstant ma propre interprétation de l’art. 94, cette question est très peu pertinente en l’espèce étant donné que la pratique de l’industrie consistant à utiliser la formule prescrite par le commissaire ne saurait en aucune façon dispenser l’assureur de l’obligation de se conformer à l’art. 71 AIAL. L’article 71 précise clairement que c’est l’assureur qui « renseigne la personne par écrit » sur la procédure de règlement des différends. Rien n’indique que les assureurs ne peuvent pas légalement effectuer des ajouts à la formule prescrite de manière à la rendre conforme aux exigences de l’art. 71.
20 Je ne suis pas sûr que l’avis donné par l’intimée en l’espèce serait même considéré en pratique comme un refus, si elle n’avait pas envoyé la lettre de refus à l’avocat de l’appelante. L’avis indique notamment : [traduction] « Si vous n’êtes pas d’accord avec notre évaluation, veuillez communiquer avec nous immédiatement. Si nous ne pouvons pas régler la demande à votre satisfaction, vous avez le droit de faire une demande de médiation . . . ». La décision de l’assureur laisse place à une certaine incertitude, ce qui donne au lecteur l’impression que l’assureur pourra fort bien changer d’idée s’il communique avec lui pour discuter de l’affaire. La lettre envoyée à l’avocat en l’espèce élimine tout doute en indiquant clairement que [traduction] « Mme Smith n’a plus droit à des indemnités de remplacement de revenu ». Toutefois, n’eût été cette lettre, il aurait pu y avoir un autre motif que les exigences de l’art. 71 de contester l’allégation que l’avis donné constituait un refus.
VII. Dispositif
21 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.
Version française des motifs rendus par
22 Le juge Bastarache (dissident) — Je conviens avec mon collègue le juge Gonthier que l’art. 71 de l’Annexe sur les indemnités d’accident légales — accidents survenus après le 31 décembre 1993 mais avant le 1er novembre 1996, règl. de l’Ont. 776/93 (« AIAL »), adopté en 1993, établit un droit d’accès à la procédure de règlement des différends et que cet article doit être interprété en fonction de l’objet qu’il vise. Voilà pourquoi je partage l’opinion que l’avis donné selon la formule type, conformément à l’art. 71, était insuffisant pour fournir à l’appelante les renseignements requis par cet article. Comme l’affirme mon collègue, l’art. 71 oblige clairement l’assureur à renseigner le demandeur sur les aspects les plus importants de la procédure de règlement des différends énoncée aux art. 279 à 283 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8.
23 Compte tenu des faits de la présente affaire, l’argument de l’intimée selon lequel elle a utilisé la formule fournie par le commissaire aux assurances est sans importance. La formule intitulée [traduction] « Explication de l’évaluation effectuée par la compagnie d’assurances », que l’intimée a utilisée, est une formule approuvée qui sert à informer le demandeur du refus de l’indemniser. Aucune formule n’a été fournie ou approuvée pour ce qui est d’informer le demandeur de son droit de contestation. Comme je vais l’expliquer plus en détail ci-après, l’obligation qu’a l’assureur, en vertu du par. 62(8) AIAL, d’aviser un demandeur de son refus de l’indemniser est distincte de l’obligation, qui lui incombe en vertu de l’art. 71 AIAL, d’informer le demandeur de son droit de contester ce refus.
24 Mon collègue accepte la conclusion de la Cour d’appel que l’obligation de l’assureur d’informer un demandeur du droit de contestation prévu à l’art. 71 est inextricablement liée à son obligation, en vertu du par. 62(8) AIAL, d’aviser le demandeur de son refus de l’indemniser. Il estime que le refus n’est valable que si le demandeur est renseigné sur la procédure de règlement des différends. Par ailleurs, le délai de prescription prévu au par. 281(5) de la Loi sur les assurances ne commence à courir que s’il y a refus valable. Selon ce raisonnement, le délai de prescription ne commence pas à courir si l’assureur ne renseigne pas le demandeur sur la procédure de règlement des différends au moment où il lui exprime son refus de l’indemniser.
25 D’après moi, ni les termes de l’AIAL ni ceux de la Loi sur les assurances n’appuient la conclusion susmentionnée. Je reconnais qu’il est bien établi dans la jurisprudence que les délais de prescription prévus au par. 281(5) de la Loi sur les assurances et au par. 72(1) AIAL ne commencent à courir que si l’assureur a exprimé au demandeur un refus valable de payer : voir, par exemple, Kirkham c. State Farm Mutual Automobile Insurance Co., 1998 CarswellOnt 2811 (C. div.), autorisation d’appel refusée, [1998] O.J. No. 2872 (QL) (C.A.). Cette interprétation repose sur le texte précis et non équivoque des dispositions législatives en cause. Le paragraphe 281(5) de la Loi sur les assurances prévoit que les procédures « doivent être [engagées] dans les deux ans qui suivent le moment où l’assureur refuse de payer l’indemnité demandée ou dans le délai plus long que prévoit l’Annexe sur les indemnités d’accident légales » (je souligne). Le paragraphe 72(1) AIAL prévoit que « [l]a procédure de médiation prévue à l’article 280 de la Loi sur les assurances ou la procédure d’arbitrage ou l’instance devant un tribunal prévue à l’article 281 de la Loi relativement à une indemnité ou à une prestation prévue par le présent règlement doit être engagée dans les deux ans de la date à laquelle l’assureur a refusé de verser le montant demandé . . . » (je souligne). Ces deux dispositions établissent clairement un lien entre l’écoulement du délai de prescription et le refus de l’assureur de payer le demandeur.
26 Bien que je convienne que le délai de prescription ne commence à courir que si le demandeur a été valablement avisé du refus de l’indemniser, je ne partage pas l’opinion de mon collègue que cet avis est incomplet tant que le demandeur n’est pas informé du droit de contestation que lui confère l’art. 71 AIAL. Selon moi, les dispositions législatives en question n’établissent aucun lien clair entre la notification du droit de contestation et celle du refus de verser des indemnités, cette dernière notification étant requise pour que les délais de prescription prévus au par. 281(5) de la Loi sur les assurances et au par. 72(1) AIAL commencent à courir. Si le législateur avait voulu établir un lien entre l’écoulement du délai de prescription et l’obligation de l’assureur d’aviser le demandeur de son droit de contestation, il aurait pu modifier le par. 281(5) de la Loi sur les assurances et formuler différemment l’art. 72 AIAL lorsqu’il a adopté l’art. 71 AIAL en 1993. Je ne suis pas convaincu qu’il convienne d’interpréter les par. 72(1) et 281(5) comme s’ils comportaient une disposition que le législateur n’y a manifestement pas incluse.
27 J’estime que, pour obliger l’assureur à fournir au demandeur tous les renseignements requis en vertu de l’art. 71, il n’est pas nécessaire de recourir à une interprétation aussi éloignée du [traduction] « sens grammatical et ordinaire des mots », pour reprendre les termes utilisés par l’appelante. J’estime que l’art. 71 vise simplement à donner accès au droit de contestation, comme la rubrique l’indique. Il renforce le droit du demandeur de contester un refus d’indemnisation et oblige l’assureur à le renseigner sur ce droit. Pour sanctionner l’assureur qui ne s’acquitte pas de son obligation d’informer le demandeur de son droit de contestation, il convient de lui interdire de s’opposer à une demande de médiation, qui est la première étape de la procédure de règlement des différends. Tant que l’avis du droit de contestation n’est pas donné, le demandeur peut en tout temps recourir à la médiation. Dès qu’il est informé de ce droit, le demandeur dispose alors de deux ans pour recourir à la médiation, selon le par. 72(1).
28 Cette interprétation protège également le droit du demandeur de recourir à l’arbitrage ou d’intenter une poursuite. Aux termes du par. 72(2), la procédure d’arbitrage ou l’instance devant un tribunal prévue à l’art. 281 de la Loi sur les assurances peut être engagée dans les 90 jours suivant le dépôt du rapport du médiateur. Comme nous l’avons vu, le demandeur a le droit de recourir à la médiation en tout temps tant qu’il n’est pas informé de son droit de contestation, après quoi il dispose de deux ans pour y recourir. Le paragraphe 72(2) garantit que le demandeur conserve son droit de demander l’arbitrage ou d’intenter une poursuite tant qu’il n’a pas exercé son droit à la médiation et qu’un rapport n’a pas été déposé.
29 Mon collègue doute que l’appelante ait reçu un avis clair de la décision de l’assureur de cesser de lui verser des indemnités en l’espèce. Je ne suis pas d’accord. L’appelante avait demandé et obtenu le versement par l’intimée d’indemnités d’accident, y compris d’indemnités de remplacement de revenu. Le 8 mai 1996, l’intimée a envoyé à l’appelante un formulaire intitulé [traduction] « Explication de l’évaluation effectuée par la compagnie d’assurances ». Sous la rubrique [traduction] « Indemnités de remplacement de revenu » (première section du formulaire), l’intimée avait clairement coché la case intitulée « Non admissible ». Dans une case située plus bas et intitulée « Notes sur le calcul de votre indemnité de remplacement de revenu, notamment le revenu et les paiements provenant d’autres sources », l’intimée a écrit à la main :
[traduction] Nous avons reçu, le 6 mai 1996, le rapport du Centre d’évaluation d’invalidité désigné. Veuillez noter que vous ne répondez plus au critère d’invalidité vous donnant droit à des indemnités de remplacement de revenu. Par conséquent, nous cesserons de vous verser des indemnités à compter du 8 mai 1996.
30 En outre, dans les présentes circonstances, l’appelante a eu recours à la médiation. Aux termes du par. 72(2) AIAL, il lui était loisible d’intenter une action civile dans les 90 jours suivant le dépôt du rapport du médiateur. Une fois la médiation terminée, l’appelante a reçu une copie du rapport du médiateur. Conformément à la pratique suivie par la Commission des assurances de l’Ontario, la lettre d’accompagnement du rapport informait clairement l’appelante qu’elle avait le droit de demander l’arbitrage ou d’intenter une action en justice. Cette lettre l’informait également des délais de prescription applicables aux possibilités qui s’offraient à elle.
31 Compte tenu de ce qui précède, il n’y a rien d’injuste à appliquer le par. 281(5) de la Loi sur les assurances et le par. 72(1) AIAL pour déclarer irrecevable l’action de l’appelante en l’espèce. On ne lui a pas refusé l’accès à la procédure de règlement des différends et on ne l’a pas empêchée non plus d’intenter une action civile en ne lui donnant pas avis du délai de prescription applicable à l’époque pertinente.
32 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi accueilli avec dépens, le juge Bastarache est dissident.
Procureurs de l’appelante : Ferguson Barristers, Midland (Ontario).
Procureurs de l’intimée : Malach & Fidler, Richmond Hill (Ontario).