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21/03/2002 | CANADA | N°2002_CSC_28

Canada | Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28 (21 mars 2002)


Sarvanis c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 921, 2002 CSC 28

Ioannis Sarvanis Appelant

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée

Répertorié : Sarvanis c. Canada

Référence neutre : 2002 CSC 28.

No du greffe : 27796.

2001 : 10 octobre; 2002 : 21 mars.

Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (2000), 184 D.L.R. (4th) 124, 252 N.R. 131, [2000] A.C.F. no 12 (QL), qui a infirmé un ju

gement de la Section de première instance (1998), 156 F.T.R. 265, [1998] A.C.F. no 1304 (QL). Pourvoi accueilli.

David R. T...

Sarvanis c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 921, 2002 CSC 28

Ioannis Sarvanis Appelant

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée

Répertorié : Sarvanis c. Canada

Référence neutre : 2002 CSC 28.

No du greffe : 27796.

2001 : 10 octobre; 2002 : 21 mars.

Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (2000), 184 D.L.R. (4th) 124, 252 N.R. 131, [2000] A.C.F. no 12 (QL), qui a infirmé un jugement de la Section de première instance (1998), 156 F.T.R. 265, [1998] A.C.F. no 1304 (QL). Pourvoi accueilli.

David R. Tenszen, pour l’appelant.

David Sgayias et Christopher Rupar, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Iacobucci —

I. Introduction

1 Dans le présent pourvoi, nous sommes appelés à décider si l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50, a pour effet de dégager l’État de toute responsabilité civile lorsqu’une personne reçoit des prestations en vertu du Régime de pensions du Canada (« RPC »). J’arrive à la conclusion que, suivant l’interprétation qu’il convient de donner à cette loi, l’article en question n’a pas cet effet. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rejeter la requête en jugement sommaire présentée par l’État.

II. Les faits

2 Au moment des faits pertinents, l’appelant, Ioannis Sarvanis, était détenu à l’établissement Pittsburgh, pénitencier fédéral situé à Joyceville en Ontario. Le 16 juin 1992, pendant qu’il travaillait dans la grange à foin de la ferme de la prison, il est tombé par une trappe se trouvant au deuxième étage de la grange et dont l’ouverture était dissimulée par du foin. Il a chuté jusqu’au rez‑de‑chaussée de la grange et subi de graves blessures, dont plusieurs seraient permanentes selon le dossier. Ces blessures l’ont rendu incapable de travailler. Il existe une possibilité raisonnable que la responsabilité de l’intimée soit retenue si la présente affaire donne lieu à un procès.

3 Le 12 septembre 1996, il a été déterminé, aux fins d’application des Programmes de la sécurité du revenu du gouvernement du Canada, que l’appelant était invalide et admissible à des prestations d’invalidité en vertu du RPC. L’appelant continue de recevoir ces prestations mensuelles. En novembre 1996, un paiement rétroactif lui a été versé à l’égard de la période allant d’octobre 1994 — date d’ouverture du droit aux prestations, fixée par le ministère — jusqu’à la date où il a commencé à recevoir les versements réguliers. L’appelant a également reçu des prestations d’aide sociale et « prestations familiales » de l’Ontario ou des prestations en vertu du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.

4 L’appelant a intenté la présente action en responsabilité civile le 21 août 1992, environ deux mois après avoir subi ses blessures. L’intimée a déposé une défense le 18 septembre 1992. Le 15 septembre 1998, le juge MacKay de la Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli la requête de l’intimée, qui sollicitait l’autorisation de modifier sa défense. Dans sa défense modifiée, l’intimée a prétendu que l’action était irrecevable par application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et, s’appuyant sur ce motif, elle a présenté une requête en jugement sommaire.

5 Le juge MacKay a rejeté la requête, estimant que l’art. 9 ne s’appliquait pas aux paiements reçus par l’appelant. La Cour d’appel fédérale a entendu et accueilli l’appel interjeté à l’encontre de cette décision. Monsieur Sarvanis se pourvoit maintenant devant notre Cour.

III. Les dispositions législatives pertinentes

6 Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50

9. Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessures ou dommages — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8

42. . . .

(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

. . .

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante‑cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

(ii) soit a versé des cotisations pendant au moins deux des trois dernières années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable,

(iii) soit a versé des cotisations pour les deux années civiles qui sont comprises dans sa période cotisable, dans les cas où il n’y a que deux années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable;

(iv) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle a effectivement été reçue;

108. (1) Est ouvert, parmi les comptes du Canada, un compte intitulé « compte du régime de pensions du Canada ».

. . .

(3) Doivent être payés sur le Trésor et portés au débit du compte du régime de pensions du Canada :

a) les montants payables en vertu de la présente loi au titre des prestations ou à valoir sur celles‑ci ou de toute autre façon;

IV. Les décisions des juridictions inférieures

A. Cour fédérale, Section de première instance, [1998] A.C.F. no 1304 (QL)

7 Le juge MacKay a conclu que les prestations du RPC avaient été payées sur le Trésor. Selon lui, les prestations d’invalidité du genre de celles reçues par l’appelant sont versées aux cotisants admissibles au RPC qui sont également invalides. Il a rejeté l’argument de l’État voulant que l’arrêt Langille c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1992] 2 C.F. 208 (C.A.), s’applique à l’espèce. Dans cette affaire, les demandeurs avaient intenté des poursuites contre le gouvernement pour la destruction de leurs animaux d’élevage malades, malgré le fait qu’ils avaient déjà touché, à cet égard, une indemnité prélevée directement sur le Trésor. Le juge MacKay a également différencié les prestations en cause des pensions payables en vertu de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P‑6, et de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G‑5, pour le motif que ces régimes de pensions excluent explicitement les réclamations pour pertes ou blessures subies au cours du service militaire ou dans l’exercice de fonctions d’agent de l’État, respectivement, remplaçant ces droits à réclamation par le versement de pensions.

8 Le juge des requêtes a aussi souligné que les pensions d’invalidité prévues par le RPC n’étaient pas déduites des dommages‑intérêts accordés en cas d’action en responsabilité civile. Il a fait état de l’opinion exprimée dans l’arrêt Cugliari c. White (1998), 159 D.L.R. (4th) 254 (C.A. Ont.), selon laquelle ces sommes n’ont pas un caractère indemnitaire, mais « ressemble[nt] [. . .] au montant payable, en vertu d’une police d’assurance privée, au cotisant admissible à l’égard de son invalidité » (par. 11). De même, les pensions d’invalidité prévues par le RPC sont versées aux cotisants uniquement à l’égard de leur invalidité. Ce régime ne fait pas état de quelque cause d’invalidité particulière, ni de quelque autre dommage ou perte susceptible de donner droit à des dommages‑intérêts dans une action en responsabilité civile. Bien qu’il soit souvent possible de rattacher l’invalidité à une blessure, la blessure ou le dommage en cause ne constitue pas le fondement ou la raison de ces versements. En conséquence, le juge MacKay a rejeté la requête en jugement sommaire.

B. Cour d’appel fédérale, [2000] A.C.F. no 12 (QL)

9 S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Malone s’est attaché à l’interprétation qu’il convenait de donner à la locution anglaise « in respect of » figurant à l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Il a conclu que notre Cour et d’autres tribunaux avaient interprété cette expression de façon extrêmement large. Selon lui, la pension en litige était payée sur le Trésor « relativement aux » blessures pour lesquelles Sarvanis avait intenté une action (par. 8). Dans le texte même de la demande présentée par Sarvanis en vue d’obtenir une pension d’invalidité prévue par le RPC, ce dernier avait indiqué que son invalidité avait été causée par les blessures en question. Par l’utilisation, à l’art. 9, de la locution « in respect of », on entendait faire tomber dans le champ d’application de cette disposition non seulement les indemnités mais aussi les pensions.

10 Le juge Malone a en conséquence accueilli l’appel de l’État et fait droit à la requête en jugement sommaire.

V. La question en litige

11 La pension d’invalidité reçue par l’appelant en vertu du Régime de pensions du Canada équivaut‑elle au paiement d’une « pension or compensation . . . in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made », auquel cas son action serait irrecevable par application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif?

VI. L’analyse

A. Aperçu du régime d’invalidité prévu par le RPC

12 La présente affaire porte sur une question d’interprétation législative très précise. Comme l’a indiqué le juge Malone de la Cour d’appel fédérale, il s’agit essentiellement de décider si l’expression « in respect of » a une portée suffisamment large pour que la pension accordée à l’appelant soit visée par l’art. 9. L’appelant a reçu une pension d’invalidité en vertu du RPC. L’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif interdit toute poursuite contre l’État

if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

pour toute perte — notamment décès, blessures ou dommages — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État. [Je souligne.]

13 La version française est formulée différemment de la version anglaise, mais son effet est le même, la différence de formulation reflétant les méthodes distinctes de rédaction législative appliquées pour chacune des langues officielles. Il convient toutefois de signaler que la version française antérieure de cette disposition, qui a été modifiée dans le cadre de la révision de 1985, suivait étroitement la formulation du texte anglais (« . . . si une pension ou une indemnité a été payée ou est payable [. . .] relativement à ce décès, ces blessures, dommages ou autres pertes », S.R.C. 1970, ch. C‑38, par. 4(1) (je souligne)). La conclusion que le sens n’a pas changé est renforcée par les dispositions des al. 6e) et f) de la Loi sur la révision des lois, L.R.C. 1985, ch. S‑20, qui précisent que les révisions de forme apportées à un texte n’en modifient pas le fond. Aux termes de la version actuelle du texte français de l’art. 9, l’État est à l’abri des poursuites «. . . pour toute perte — notamment décès, blessures ou dommages — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité . . . » (traduit littéralement en anglais ce passage se lirait ainsi : « for any loss — in particular, for death, injury or damage — that gives rise to the payment of a pension or compensation »). La question est donc de savoir si une pension d’invalidité versée en vertu du Régime de pensions du Canada est une pension versée « in respect of . . . death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made ».

14 En l’espèce, la pension en cause a été accordée en vertu du RPC, qui a été mis en place en 1966. La plupart des salariés canadiens cotisent au RPC, quoique les personnes admissibles travaillant au Québec cotisent à un régime similaire, le Régime de rentes du Québec. Les personnes admissibles versent, en fonction de leur salaire, la moitié des cotisations obligatoires, tandis que leurs employeurs versent l’autre moitié. S’ils satisfont aux critères prescrits par la loi instituant le RPC, les cotisants ont le droit de réclamer des prestations, dont le montant dépend de la catégorie de prestation demandée, de la période pendant laquelle l’intéressé a cotisé et du total de ses cotisations.

15 Le RPC comporte différentes catégories de prestations. La plus courante est la pension de retraite. Il existe également des prestations aux survivants, que l’épouse ou les enfants d’un cotisant décédé peuvent réclamer. La catégorie de prestations en cause dans le présent pourvoi est la pension d’invalidité.

16 En vertu du RPC, des prestations sont versées aux personnes invalides et à leurs enfants à charge, conformément aux dispositions de l’art. 44 du Régime de pensions du Canada. La personne qui désire recevoir ces prestations doit présenter une demande à cet effet et elle doit généralement respecter les trois conditions suivantes. Premièrement, elle doit en général être âgée de moins de 65 ans. Deuxièmement, elle doit avoir cotisé une somme minimale au RPC, pendant la période minimale prescrite. Ces chiffres varient selon la situation et sont assortis d’exceptions, mais ce qu’il importe de retenir c’est qu’il existe une période cotisable minimale et qu’une somme minimale doit avoir été cotisée. Troisièmement, la personne doit être « invalide ».

17 L’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada définit l’invalidité, précisant que, pour satisfaire à ce critère d’admissibilité aux prestations, l’intéressé doit souffrir d’une invalidité « grave et prolongée », termes qui sont définis ainsi au sous‑al. 42(2)a) :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.

Par conséquent, suivant la troisième condition d’admissibilité aux prestations d’invalidité prévues par le RPC, il faut que, en raison de son invalidité, le cotisant soit incapable de travailler pendant une période qui sera vraisemblablement longue et indéfinie.

18 Le versement de prestations d’invalidité en vertu du RPC prend fin lorsque le cotisant cesse d’être invalide ou lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans. Dans ce dernier cas, le cotisant commence à recevoir la pension de retraite du RPC. Par conséquent, les prestations d’invalidité ne sont versées au cotisant que tant et aussi longtemps qu’il satisfait aux critères d’admissibilité.

B. L’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif

19 Je vais maintenant examiner le texte de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, avant de trancher la question fondamentale de savoir si, selon l’interprétation qu’il convient de lui donner, cette disposition vise les prestations d’invalidité prévues par le RPC. Il s’agit essentiellement de décider si cet avantage correspond à une pension versée « in respect of . . . death, injury, damage or loss ». Dans ce contexte, c’est la locution « in respect of » qui est importante.

20 L’expression « in respect of » a clairement une large portée. Au soutien de l’interprétation large de cette expression à l’art. 9, l’intimée invoque, à l’instar de la Cour d’appel fédérale, les observations suivantes qu’a faites le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) en interprétant une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, p. 39 :

À mon avis, les mots « quant à » [« in respect of »] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large.

Plus récemment, dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 16, qui portait sur l’interprétation du par. 487(1) du Code criminel, notre Cour a approuvé la façon dont le juge Dickson a interprété ces mots.

21 Dans l’arrêt Langille c. Canada (Ministre de l’Agriculture), précité, qui portait sur l’interprétation de l’art. 9 (alors le par. 4(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, ch. C‑38), la Cour d’appel fédérale s’est elle aussi appuyée sur l’interprétation du juge Dickson. Dans cette affaire, un fermier avait intenté une action en dommages‑intérêts contre l’État par suite de la destruction de ses animaux d’élevage malades par le ministère de l’Agriculture en vue d’empêcher propagation de la maladie. Une indemnité lui avait été versée directement sur le Trésor en dédommagement de ses pertes. La Cour d’appel fédérale a conclu que le par. 4(1) faisait obstacle à l’action. Elle a jugé que l’expression « relativement à » (« in respect of » dans la version anglaise) visait l’indemnité versée. Le juge Stone a conclu ainsi, à la p. 213 :

[L]a large portée du paragraphe 4(1) comprend certainement les dommages ou les pertes faisant l’objet de la demande portant sur leurs animaux détruits présentée par les intimés en l’espèce. L’indemnité a été payée « relativement à » des « dommages ou . . . pertes » résultant de la destruction des animaux et il s’agit dans la présente action d’une demande « relativement à » ces mêmes « dommages ou . . . pertes ». La seule différence est que les intimés cherchent en l’espèce au moyen de leur action délictuelle à obtenir à l’égard de ladite destruction une indemnité en sus de celle qui leur a été versée sur le Fonds du revenu consolidé en 1978.

22 On peut à tout le moins dire avec justesse que l’expression « in respect of » indique l’intention d’exprimer des rapports plutôt larges entre deux idées. Elle n’a toutefois pas une portée illimitée. Quoique je souscrive à l’opinion du juge Dickson selon laquelle cette expression est parmi les plus larges qui soient pour exprimer un lien entre deux circonstances ou faits mentionnés dans une loi, ce seul fait ne met pas fin à l’analyse.

23 Les mots utilisés en français pour exprimer le lien entre la pension ou l’indemnité et la perte à laquelle ce paiement se rapporte sont tout aussi larges et ambigus. Cela ressort très clairement du syntagme verbal rattachant la perte au paiement, savoir les mots « ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité » (je souligne). Il est important de garder à l’esprit les styles de rédaction distincts que le législateur a choisi d’appliquer pour rédiger l’article en cause dans chacune des langues officielles. Je tiens toutefois à souligner que, fondamentalement, c’est le même rapport — à savoir le lien entre la pension versée et la perte subie — que le législateur a exprimé de façon un peu obscure en utilisant les expressions « in respect of » et « ouvrant droit ». Les caractéristiques du libellé dans l’une et l’autre version ne remédient pas à l’ambiguïté centrale soulevée dans le présent pourvoi.

24 Dans les deux cas, nous ne devons pas interpréter des mots qui ont en soi une grande portée sans examiner le contexte dans lequel ils sont utilisés. De fait, conformément à la méthode d’interprétation législative qu’il convient d’adopter, nous devons examiner plus attentivement le contexte global de l’art. 9 avant de nous prononcer sur sa portée exacte. Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, examinant la méthode d’interprétation législative à privilégier, notre Cour a déclaré ceci, au par. 21 :

. . . Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

À mon avis, la nature et la teneur de cette méthode ainsi que la justesse de l’énoncé succinct du professeur Driedger n’ont pas changé. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous appuyer aveuglément sur le fait que l’expression « in respect of » a un sens large.

25 Gardant cette méthode à l’esprit, je constate que l’art. 9 parle des pensions et des indemnités versées « in respect of » « death, injury, damage or loss ». Le lien entre l’expression générale « in respect of » et cette énumération d’événements n’est pas sans importance. Selon leur sens ordinaire, les mots de cette énumération sont des événements précis qui pourraient être sources de responsabilité, si ce n’était de l’application de l’art. 9. En d’autres termes, l’article 9 vise les cas où une pension ou indemnité est versée parce qu’il y a eu perte, notamment décès, blessures ou dommages, situation qui correspond, par exemple, à la destruction des bovins dans l’arrêt Langille, précité. Dans cette affaire, le gouvernement a versé une indemnité pour dédommager les demandeurs de la perte de leurs bovins. Le fait que les demandeurs sollicitaient des dommages‑intérêts pour la même perte dans leur action en responsabilité civile suffisait pour établir l’identité entre l’objet de leur action et celui de leur demande d’indemnité.

26 Cet exemple est compatible avec une interprétation de l’expression « in respect of » qui tient compte du contexte du membre de phrase dans lequel elle figure. La condition exigeant que la pension soit versée pour un événement constituant une « perte — notamment décès, blessures ou dommages » permet de mieux saisir la signification des mots « in respect of ». Il est possible de dégager le sens de cette expression générale — en soi imprécise — en se demandant pour quel genre de situations la pension doit être versée. Nous pouvons nous faire une meilleure idée de la portée précise de cette expression dans ce contexte en examinant, par exemple, le contexte de l’occurrence suivante de cette expression dans la version anglaise de l’art. 9, passage qui est rédigé ainsi : « death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made ». La portée de la locution « in respect of » pourrait être différente lorsqu’elle est liée à la notion de « claim » plutôt qu’à une énumération d’événements.

27 Cette interprétation est également compatible avec la version française de l’article. Sont interdites les poursuites « pour toute perte » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « for any loss »), « notamment décès, blessures ou dommages » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « in particular, for death, injury or damage »), dans les cas où il s’agit également d’une perte « ouvrant droit » à une pension ou indemnité. Tant pour ce qui est de la version française que de la version anglaise de la loi, il importe de reconnaître que la perte dont l’indemnisation est écartée par la loi doit être la même que celle qui crée le droit à la pension ou à l’indemnité pertinente. L’énumération d’événements que comporte la disposition explicite tout autant le sens du mot « perte » dans le texte français que celui de l’expression « in respect of » dans le texte anglais.

28 À mon avis, bien que libellé en termes larges, l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’en exige pas moins que, pour qu’elle fasse obstacle à une action contre l’État, la pension ou l’indemnité payée ou payable ait le même fondement factuel que l’action. En d’autres termes, l’article 9 traduit le désir rationnel du législateur d’empêcher la double indemnisation d’une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d’un acte fautif mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard. Autrement dit, cette disposition n’exige pas que la pension ou le paiement soit versé en dédommagement de l’événement pertinent, mais uniquement que le fondement précis de leur versement soit l’existence de cet événement.

29 Cette large portée est nécessaire pour éviter que l’État ne soit tenu responsable, sous des chefs accessoires de dommages-intérêts, de l’événement pour lequel une indemnité a déjà été versée. Autrement dit, en cas de versement d’une pension tombant dans le champ d’application de l’art. 9, un tribunal ne saurait connaître d’une action dans laquelle on ne réclame des dommages‑intérêts que pour douleurs et souffrances ou encore pour perte de jouissance de la vie, du seul fait que ce chef de dommage ne correspond pas à celui qui a apparemment été indemnisé par la pension. Tous les dommages découlant du fait ouvrant droit à pension sont visés par l’art. 9, dans la mesure où la pension ou l’indemnité est versée « in respect of » la même perte — notamment décès, blessure ou dommage — ou sur le même fondement.

30 Bien que ces remarques ne soient pas déterminantes, je souligne que l’opinion ainsi exprimée est compatible avec les commentaires faits par le ministre de l’époque, lors du débat de la première Loi sur la responsabilité de la Couronne en 1953. Le ministre a comparé les pensions censées faire obstacle à l’engagement d’actions en justice aux lois provinciales sur les accidents du travail, dans lesquelles le droit d’ester en justice a, pour ainsi dire, été échangé contre une indemnisation administrative complète (Débats de la Chambre des communes, vol. 4, 7e sess., 21e lég., 26 mars 1953, p. 3523).

C. Application au Régime de pensions du Canada

31 Gardant à l’esprit qu’il parle de pensions et d’indemnités payées ou payables « in respect of » des événements particuliers, je suis d’avis que, eu égard au sens ordinaire des termes de cette disposition, l’art. 9 ne vise pas les prestations d’invalidité prévues par le RPC. Je concède que la locution « in respect of » peut viser davantage que l’indemnité versée directement à l’égard d’une perte. Cependant, je ne crois pas que les paiements effectués en vertu du RPC sont faits suivant un fondement identique à celui que l’art. 9 semble exiger. Autrement dit, l’article 9 envisage des paiements qui dépendent, d’une certaine manière, d’un événement constituant une « perte — notamment décès, blessures ou dommages ». À l’opposé, les prestations d’invalidité du RPC ne sont aucunement tributaires de quelque événement, mais dépendent plutôt du respect de la condition exigeant que le cotisant admissible et âgé de moins de 65 ans qui présente une demande de paiement soit invalide au moment de la demande. Pour décider de l’admissibilité, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si l’invalidité grave et prolongée dont souffre le cotisant par ailleurs admissible et qui lui donne droit de recevoir des prestations d’invalidité du RPC résulte de « toute perte — notamment décès, blessures ou dommages ». À supposer que le demandeur respecte les conditions d’admissibilité relatives à l’âge et aux cotisations, la seule question pertinente est celle de savoir s’il est invalide au moment de la demande.

32 L’intimée a prétendu que la pension était versée « in respect of » les blessures faisant l’objet de l’action en responsabilité civile, puisque c’est seulement [traduction] « en raison » de ces blessures que l’appelant était admissible aux prestations d’invalidité du RPC. Cet argument s’inspire de l’observation faite par la Cour d’appel fédérale en l’espèce et selon laquelle « dans sa propre demande de pension d’invalidité RPC, [Sarvanis] indiquait que la cause de la blessure était l’accident dont il était victime ce jour‑là » (par. 8). Je ne peux accepter qu’il s’agisse là d’un fait pertinent pour bien comprendre la nature de la prestation prévue par le RPC. Les explications données par Sarvanis quant à la cause de son invalidité n’étaient pertinentes qu’à titre d’élément de preuve permettant au gouvernement de déterminer s’il était vraiment invalide au moment de la présentation de sa demande et d’établir la date à laquelle il est devenu admissible aux prestations. Ces explications n’impliquent nullement que ces paiements sont conditionnels à une blessure. Elles révèlent simplement que, dans la présente affaire, l’invalidité que devait établir Sarvanis résultait d’une blessure plutôt que, par exemple, de facteurs génétiques.

33 Cette conclusion est étayée tant par le contexte du RPC que par celui des autres lois pourvoyant au paiement de pensions qui sont visées par l’art. 9. D’abord, pour ce qui concerne le RPC, les prestations d’invalidité prévues par ce programme ont clairement comme but d’augmenter les revenus des Canadiens invalides qui ont de la difficulté à faire face à leurs dépenses courantes en raison de leur incapacité à travailler, en d’autres mots de leur invalidité. Voilà pourquoi, dans une décision antérieure, notre Cour a jugé que les prestations d’invalidité ne doivent pas être considérées comme des versements indemnitaires et que, de ce fait, elles ne peuvent être déduites des dommages‑intérêts accordés au terme d’une action en responsabilité civile pour indemniser le demandeur des blessures qui ont dans les faits causé l’invalidité pertinente ou y ont contribué. Voir Canadian Pacific Ltée c. Gill, [1973] R.C.S. 654, p. 670; Cugliari, précité. Cette règle repose sur la nature contractuelle ou contributive du RPC. Seuls les cotisants ont droit aux prestations d’invalidité, s’ils satisfont également aux autres conditions d’admissibilité.

34 Il est utile de mettre en contraste la loi instituant le RPC avec d’autres lois qui pourvoient au paiement de pensions ou d’indemnités et qui, par application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, excluent clairement l’engagement de toute poursuite. La Loi sur les pensions, qui a été mentionnée plus tôt, est une de ces lois. Elle pourvoit au paiement d’une pension aux membres des Forces canadiennes qui sont blessés au cours de leur service militaire. Au paragraphe 111(2) de la version actuelle de la Loi sur les pensions, on mentionne expressément l’art. 9 dans le passage suivant : « [Les] action[s] non visée[s] par l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif » (L.C. 2000, ch. 34, art. 42). L’ancienne version de l’art. 111 de la Loi sur les pensions était simplement libellée ainsi :

Nulle action ou autre procédure n’est recevable contre Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans tous cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité ou à ce décès.

De même, la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État prévoit ce qui suit, à l’art. 12 :

L’agent de l’État ou les personnes à sa charge qui, par suite d’un accident du travail, ont droit à l’indemnité prévue par la présente loi ne peuvent exercer d’autre recours contre Sa Majesté ou un fonctionnaire, préposé ou mandataire de celle‑ci pour cet accident.

La Loi sur l’indemnisation des marins marchands, L.R.C. 1985, ch. M‑6, comporte, à l’art. 13, une disposition analogue.

35 La principale différence entre ces trois exemples de pensions — qui, dès que l’intéressé les reçoit ou y est admissible font effectivement obstacle à toute action, au même titre que l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif — n’est pas simplement le fait que l’interdiction est répétée dans chaque loi, mais plutôt que, dans chaque cas, la condition d’admissibilité essentielle est qu’il se produise une « perte — notamment décès, blessures ou dommages », et que ce soit en raison de cet événement que la pension est reçue. Par exemple, l’al. 21(1)a) de la Loi sur les pensions précise qu’une pension est accordée seulement « aux membres des forces ou à leur égard [. . .] en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie [. . .] survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui‑ci » (je souligne). De même, l’al. 4(1)a) de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État permet le versement de prestations uniquement lorsque des agents de l’État sont :

(i) soit blessés dans un accident survenu par le fait ou à l’occasion de leur travail,

(ii) soit devenus invalides par suite d’une maladie professionnelle attribuable à la nature de leur travail;

En d’autres mots, ces pensions sont versées sur le même fondement que des dommages‑intérêts au terme d’une action en responsabilité civile, alors que les sommes versées en vertu du RPC le sont sur le même fondement qu’une indemnité d’assurance.

36 L’interprétation retenue en l’espèce est renforcée par l’examen du contexte de l’objet général de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Cette loi a été votée afin d’établir la responsabilité de l’État, qui était jusque‑là écartée par la common law. Bien qu’elle ait été adoptée avant la création du RPC, il serait plutôt étonnant que la loi instituant le RPC et le régime d’assurance quasi contractuel qu’elle a mis en place aient eu pour objectif de neutraliser le risque accru de responsabilité créé par la loi sur la responsabilité de l’État. Autrement dit, pourquoi cette dernière loi aurait‑elle ouvert si grand la porte aux actions en responsabilité, en écartant l’obstacle que constituait la règle de common law, pour ensuite, si on retient l’interprétation du Régime de pensions du Canada avancée par l’État, refermer cette porte presque complètement? Compte tenu du caractère impératif des cotisations au RPC, c’est ce qui se produirait si l’interprétation de l’art. 9 préconisée par l’intimée était retenue.

37 Le fait que le législateur n’ait très vraisemblablement pas voulu ce résultat est également compatible avec l’absence de toute disposition explicite en ce sens dans le Régime de pensions du Canada, par comparaison avec les dispositions claires qui mentionnent l’art. 9 ou en reprennent l’essentiel. Contrairement au Régime de pensions du Canada, les lois qui reproduisent l’interdiction de toute action sont des régimes complets, conçus pour garantir l’indemnisation efficace des personnes ayant subi des blessures et des pertes dans l’exercice de leurs fonctions d’agents de l’État.

38 Tout simplement, l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État

et le contentieux administratif établit l’immunité de l’État lorsque la perte même — notamment décès, blessures ou dommages — qui constitue le fondement de l’action irrecevable est l’événement qui a fondé le paiement d’une pension ou d’une indemnité. La situation est très différente pour ce qui est du RPC, régime contributif dont les avantages sont accordés en fonction non pas de quelque perte — notamment décès, blessures ou dommages — , mais plutôt de l’état de santé du demandeur et du paiement de cotisations suffisantes pendant la période minimale prévue.

VII. Conclusion

39 Pour l’ensemble de ces motifs, je conclus que, pour l’application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, les prestations d’invalidité accordées en vertu du Régime de pensions du Canada ne constituent pas une pension ou une indemnité « in respect of . . . death, injury, damage or loss ». En conséquence, le pourvoi est accueilli, l’ordonnance du juge MacKay est rétablie et la requête en jugement sommaire présentée par l’intimée est rejetée. L’appelant a droit aux dépens tant devant notre Cour que devant les juridictions inférieures.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelant : Thomson, Rogers, Toronto.

Procureur de l’intimée : Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : 2002 CSC 28 ?
Date de la décision : 21/03/2002
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Couronne - Responsabilité de l’État - Blessures subies par un prisonnier dans le cours de travaux qu’il exécutait dans un pénitencier fédéral - Versement au détenu de prestations d’invalidité prévues par le Régime de pensions du Canada et payées sur le Trésor - Action en responsabilité civile intentée par le détenu contre l’État - Cette action est‑elle irrecevable par application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50? - Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8.

Dans le cours de travaux qu’il effectuait dans un pénitencier fédéral où il était détenu, un prisonnier a subi de graves blessures, dont plusieurs seraient permanentes. En conséquence, il a été déclaré admissible à des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (« RPC »), prestations qui sont versées sur le Trésor. Le détenu a intenté une action en responsabilité civile contre l’État peu de temps après avoir subi ses blessures. L’État a présenté une requête en jugement sommaire, affirmant que l’action était irrecevable par application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, qui prévoit, dans sa version anglaise, que « [n]o proceedings lie against the Crown . . . if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund . . . in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made. » Il existe une possibilité raisonnable que la responsabilité de l’État soit retenue si la présente affaire donne lieu à un procès. Le juge de première instance a estimé que l’art. 9 ne s’appliquait pas aux prestations d’invalidité reçues par l’appelant en vertu du RPC. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté à l’encontre de cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

Selon l’interprétation qu’il convient de donner à cette disposition, l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’a pas pour effet de dégager l’État de toute responsabilité civile lorsqu’une personne reçoit des prestations en vertu du RPC. Quoique l’expression « in respect of », qui a une très large portée, soit utilisée à l’art. 9, ces mots ne peuvent être interprétés sans examiner le contexte dans lequel ils sont utilisés. L’article 9 parle des pensions et des indemnités versées « in respect of . . . death, injury, damage or loss ». Étant donné que l’expression « in respect of » est rattachée à des événements précis qui pourraient être sources de responsabilité, si ce n’était de l’application de l’art. 9, une action n’est irrecevable que si elle repose sur le fondement factuel prévu par cette disposition. Toutefois, le RPC est un régime contributif dans le cadre duquel le paiement des prestations d’invalidité prévues dépend du respect de la condition exigeant que le cotisant par ailleurs admissible soit invalide au moment de la demande. Comme le paiement de ces prestations dépend du seul fait de l’existence de l’invalidité, et non du fondement factuel précisé à l’art. 9, ces prestations ne tombent pas dans le champ d’application de cette disposition. Les prestations d’invalidité versées au détenu ne constituent pas une pension ou une indemnité pour l’application de l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Cette conclusion est également compatible avec la version française de cet article.

Cette conclusion est étayée et par le texte de lois pourvoyant au paiement de pensions qui sont visées par l’art. 9 et par l’objet général de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, qui consistait à établir la responsabilité de l’État, jusque‑là écartée par la common law. Il serait étonnant que la loi instituant le RPC ait eu pour objet de neutraliser ce risque accru de responsabilité. En outre, cette loi ne comporte aucune disposition explicite faisant obstacle à une action en responsabilité civile délictuelle.


Parties
Demandeurs : Sarvanis
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : Langille c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1992] 2 C.F. 208
arrêts mentionnés : Cugliari c. White (1998), 159 D.L.R. (4th) 254
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Canadian Pacific Ltée c. Gill, [1973] R.C.S. 654.
Lois et règlements cités
Loi portant modification de la législation concernant les avantages pour les anciens combattants, L.C. 2000, ch. 34, art. 42.
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 [abr. & rempl. 1990, ch. 8, art. 21], art. 9.
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, ch. C‑38, art. 4(1).
Loi sur la révision des lois, L.R.C. 1985, ch. S-20, art. 6e), f).
Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P‑6, art. 21(1)a) [abr. & rempl. ch. 16 (1er suppl.), art. 2
abr. & rempl. 1990, ch. 43, art. 8], 111(2) [rempl. 2000, ch. 34, art. 42].
Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G‑5, art. 4(1)a), 12.
Loi sur l’indemnisation des marins marchands, L.R.C. 1985, ch. M‑6, art. 13.
Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8, art. 42(2)a) [abr. & rempl. ch. 30 (2e suppl.), art. 12], 44(1)b) [mod. idem, art. 13
mod. 1992, ch. 2, art. 1], 108(1), (3)a).
Doctrine citée
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. 4, 7e sess., 21e lég., 26 mars 1953, p. 3523.

Proposition de citation de la décision: Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28 (21 mars 2002)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2002-03-21;2002.csc.28 ?
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