Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, 2001 CSC 4
Ellis‑Don Limited Appelante
c.
La Commission des relations de travail de l’Ontario et
la Fraternité internationale des ouvriers en électricité,
section locale 894 Intimées
Répertorié : Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail)
Référence neutre : 2001 CSC 4.
No du greffe : 26709.
2000 : 15 février; 2001 : 26 janvier.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1998), 38 O.R. (3d) 737, 108 O.A.C. 301, 6 Admin. L.R. (3d) 187, qui a confirmé une décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario (1995), 89 O.A.C. 45, [1995] O.J. No. 3924 (QL), qui avait rejeté la requête en révision judiciaire de l’appelante. Pourvoi rejeté, les juges Major et Binnie sont dissidents.
Earl A. Cherniak, c.r., et Kirk F. Stevens, pour l’appelante.
Sheila R. Block et Andrew E. Bernstein, pour l’intimée la Commission des relations de travail de l’Ontario.
Alan M. Minsky, c.r., et Susan Philpott, pour l’intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 894.
Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Arbour et LeBel rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1 La principale question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si la Commission des relations de travail de l’Ontario (la « CRTO » ou la « Commission ») a violé les règles de justice naturelle lorsqu’une formation de trois commissaires a accueilli un grief déposé contre l’appelante, Ellis‑Don Limited, par l’intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 894 (le « syndicat » ou la « section locale 894 de la FIOE »). La question de la violation des règles de justice naturelle s’est posée lorsque l’appelante a appris que le grief aurait été rejeté dans un projet de décision initial et que ce projet avait été discuté au cours d’une réunion plénière de la Commission. L’appelante affirme que les différences entre le projet et la décision définitive qui a accueilli le grief découlent d’un changement dans l’évaluation des faits. Ellis‑Don allègue qu’il s’agit là d’une preuve suffisante que des questions de fait ont été discutées à la réunion plénière de la Commission, ce qui contrevient aux règles établies par notre Cour dans l’arrêt SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282.
II. Les faits
2 L’affaire remonte loin et elle est étroitement liée à l’évolution du système de relations du travail dans l’industrie de la construction en Ontario ainsi qu’à son orientation vers un système de négociation collective plus centralisé. En 1962, Ellis‑Don était un entrepreneur général très actif, mais elle s’attaquait au marché de Toronto pour la première fois. À cette époque, il existait un système de négociations collectives locales dans l’industrie de la construction. Ellis‑Don a conclu avec le Toronto Building and Construction Trades Council (le « Conseil ») une « convention de travail ». Elle s’y engageait à n’employer que les membres des syndicats affiliés au Conseil et à n’accorder des contrats ou des contrats de sous‑traitance qu’aux personnes et aux sociétés dont les employés étaient membres en règle de ces syndicats. La convention de travail prévoyait son renouvellement automatique sauf avis de résiliation (cet avis n’a jamais été donné).
3 La section locale 353 de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (la « section locale 353 de la FIOE ») était affiliée au Conseil. Elle avait et a toujours compétence exclusive dans la région de Toronto (le syndicat intimé, section locale 894, n’était pas encore membre du conseil en 1962).
4 En 1971, l’Electrical Contractors Association of Toronto déposa auprès de la CRTO une demande d’accréditation en tant qu’agent négociateur pour les entrepreneurs électriciens de Toronto. Conformément à la réglementation alors en vigueur, à la suite du dépôt de cette demande par l’association d’employeurs, la section locale 353 de la FIOE devait fournir, sur un formulaire connu comme l’annexe F, une liste des employeurs à l’égard desquels elle prétendait détenir des droits de négociation.
5 La section locale 353 de la FIOE omit d’inscrire Ellis‑Don en tant qu’employeur dans le formulaire qu’elle a déposé en réponse à la demande de l’Electrical Contractors Association of Toronto.
6 En 1978, le régime de négociation dans l’industrie a commencé à s’appliquer à l’échelle de la province. La compétence du Conseil s’est étendue au centre de l’Ontario en 1979. La section locale 894 de la FIOE est devenue affiliée au Conseil. Des modifications législatives ont fait en sorte que les droits de négociation de la section locale 353 de la FIOE relativement aux employés de Ellis‑Don ont été accordés à la section locale 894, dans la mesure où la section locale 353 n’avait pas renoncé à ces droits avant la mise en œuvre du régime de négociation à l’échelle de la province.
7 Le 12 janvier 1990, le syndicat déposa un grief auprès de la Commission, alléguant que l’appelante avait donné en sous‑traitance des travaux de construction en électricité à des entrepreneurs dont les employés n’étaient pas syndiqués, contrevenant ainsi aux dispositions de la convention collective provinciale conclue entre l’Electrical Trade Bargaining Agency de l’Electrical Contractors Association of Ontario, la FIOE et le conseil de l’Ontario de la FIOE, représentant ses syndicats locaux affiliés.
8 Une formation de trois membres de la CRTO présidée par la vice‑présidente Susan Tacon entendit le grief. L’appelante ne nia pas avoir accordé des contrats de sous‑traitance à des entrepreneurs électriciens dont les employés n’étaient pas syndiqués. Elle prétendit toutefois ne pas être liée par la convention provinciale parce que la section locale 353 de la FIOE avait renoncé à ses droits de négociation avant la mise en œuvre du régime de négociation à l’échelle de la province lorsqu’elle avait omis d’inscrire son nom à l’annexe F de la demande d’accréditation de l’Electrical Contractors Association of Toronto. Selon Ellis‑Don, cette omission et le fait que la section locale 894 de la FIOE n’avait pas présenté d’éléments de preuve pour l’expliquer démontrait que la section locale 894 de la FIOE reconnaissait dans les faits qu’elle ne possédait pas de droits de négociation au nom des employés de l’appelante ou qu’elle y avait renoncé.
9 Après l’audition du grief, la vice‑présidente Tacon rédigea un projet de décision. Ce dernier proposait de rejeter le grief pour le motif que la section locale 353 de la FIOE avait omis d’inscrire le nom de Ellis‑Don à l’annexe F au moment de la demande d’accréditation de l’Electrical Contractors Association of Toronto et qu’elle était donc réputée avoir renoncé à ses droits de négociation relativement à l’appelante :
[traduction] La section locale [8]94, la demanderesse en l’espèce, n’a présenté aucun élément de preuve pour expliquer l’omission de la section locale 353 d’inclure Ellis‑Don à l’annexe F, ce à quoi on s’attendrait si le syndicat visé par la demande d’accréditation croyait avoir des droits de négociation vis‑à‑vis Ellis‑Don. Faute d’explication, la conclusion la plus raisonnable à tirer est que le syndicat visé par la demande d’accréditation a tenu pour acquis qu’il n’avait pas de droits de négociation en 1971, au moment du dépôt de la demande d’accréditation. Dans les faits, le syndicat affirmait ne pas avoir de droits de négociation concernant Ellis‑Don. Le syndicat intimé visé par la demande d’accréditation doit être considéré comme ayant renoncé à tout droit de négociation qu’il pouvait avoir relativement à Ellis‑Don au plus tard à ce moment‑là. Le simple recours par Ellis‑Don à des sous‑traitants dont les employés étaient syndiqués n’équivaut pas à une nouvelle reconnaissance volontaire une fois éteints les droits de négociation créés par la convention de travail.
La conclusion de la Commission que la section locale 353 de la FIOE avait renoncé aux droits de négociation avant 1978 a comme conséquence que le syndicat ne peut pas « s’intégrer » au régime provincial, de sorte que la question de la renonciation après 1978 ne se pose pas. La section locale [8]94, la demanderesse dans le cadre du présent grief, invoque ce régime provincial en vue d’acquérir les droits de négociation qu’elle entend faire respecter par Ellis‑Don. La Commission est d’avis que la section locale 353 n’avait aucun droit de négociation en 1978, de sorte que les dispositions législatives de 1978 et les modifications subséquentes n’ont pas pu conférer un tel droit à la section locale [8]94. [Je souligne.]
10 Le projet de décision fut transmis à tous les membres de la CRTO et la vice‑présidente Tacon convoqua une réunion plénière de la Commission pour discuter de ses effets. Cette réunion aurait eu lieu le 27 janvier 1992.
11 Le 28 février 1992, la Commission rendit sa décision définitive, qui accueillait le grief (le membre Trim étant dissident) : [1992] OLRB Rep. 147. Les membres majoritaires conclurent, au par. 54, que le syndicat n’avait pas renoncé à ses droits de négociation malgré l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F :
[traduction] L’absence de preuve expliquant l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F déposée par la section locale 353 de la FIOE dans le cadre de la demande d’accréditation préoccupe la Commission, qui estime qu’il s’agit de savoir si cette omission est suffisante en soi, dans le contexte de l’ensemble des autres circonstances, pour lui permettre de conclure que la section locale 353 avait renoncé aux droits de négociation qu’elle avait obtenus auparavant. L’omission du nom de Ellis‑Don n’est pas incompatible avec une renonciation et peut donc signifier ce que l’avocat de l’intimée affirme. Cependant, cette omission est compatible également avec le fait que la section locale aurait tenu pour acquis que la demande d’accréditation ne touchait que les entrepreneurs spécialisés ou que l’annexe F ne s’appliquait qu’aux employeurs relativement auxquels la section locale avait des droits de négociation mais qui avaient eu des employés dans le passé (quoique pas dans l’année précédente). Il semble (et il n’y a aucune preuve convaincante du contraire) que l’association d’employeurs représentait les entrepreneurs électriciens spécialisés, et non pas les entrepreneurs généraux. Dans ce contexte, le nom de Ellis‑Don peut avoir été omis dans la réponse du syndicat intimé, comme l’ont apparemment été les noms d’autres entrepreneurs généraux qui avaient signé la convention de travail, compte tenu du cadre de la demande initiale. La question n’est pas de savoir quelle est la conclusion la plus raisonnable ou quelle serait une conclusion raisonnable à tirer de l’omission du nom de Ellis‑Don, mais bien de savoir si cette omission équivaut à une renonciation. La Commission est d’avis qu’il est plus probable que l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F n’indiquait pas une renonciation aux droits de négociation. De même, bien qu’elle ne constitue pas nécessairement une preuve concluante de l’existence de droits de négociation (voir le paragraphe 46 ci-dessus), il ne faut pas faire abstraction de la pratique constante de Ellis‑Don de donner en sous‑traitance des travaux en électricité à des entrepreneurs dont les employés sont syndiqués. Étant donné la conclusion de la Commission que la convention de travail a été dûment signée par les parties et qu’elle constituait un ensemble d’ententes de reconnaissance volontaire, notamment la reconnaissance volontaire de la section locale 353, et étant donné que la convention de travail n’a jamais été résiliée, mais plutôt que, au moins en ce qui concerne la sous‑traitance de travaux d’électricité, Ellis‑Don s’est entièrement conformée pendant de nombreuses années à cette convention et qu’elle en a bénéficié pendant cette période, la Commission n’est pas convaincue que, en tant que question de fait, la section locale 353 a renoncé aux droits de négociation en raison de l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F. En résumé, vu l’ensemble des circonstances, la Commission estime que la section locale 353 n’a pas renoncé à ses droits de négociation avant la mise en œuvre du régime de négociation à l’échelle de la province. [Je souligne.]
12 Quelques semaines plus tard, en mars 1992, un membre à la retraite de la CRTO remit à Ellis‑Don une copie du projet qui avait été envoyé à tous les membres de la Commission. De la même source, Ellis‑Don apprit également qu’une réunion plénière de la Commission avait été tenue à la demande de la vice‑présidente Tacon pour examiner le projet de décision.
13 Ellis‑Don prétendit qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle et que les règles jurisprudentielles régissant les consultations institutionnelles n’avaient pas été respectées. Sans solliciter un nouvel examen de la décision, elle présenta une demande de contrôle judiciaire. Selon l’appelante, la modification survenue entre le projet de décision et la décision arbitrale rendue par la suite par la Commission était de nature factuelle, par opposition à une modification de nature juridique ou de principe. Cela indiquait que les faits avaient été discutés à la réunion plénière de la Commission, en contravention des principes établis par notre Cour dans l’arrêt Consolidated‑Bathurst, précité.
14 Avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, l’appelante demanda que soit rendue une ordonnance interlocutoire suspendant la décision de la CRTO; elle requit aussi l’assignation à comparaître pour fins d’interrogatoire de plusieurs membres de la Commission devant un auditeur officiel ainsi que la production de certains documents. En juillet 1992, le juge Steele, de la Cour divisionnaire de l’Ontario, ordonna aux membres de la Commission de comparaître devant un auditeur officiel mais refusa de suspendre la décision et d’ordonner la production des documents : (1992), 95 D.L.R. (4th) 56. En janvier 1994, une formation de trois juges de la Cour divisionnaire infirma la décision du juge Steele et affirma que les membres de la Commission ne pouvaient pas être contraints à comparaître devant un auditeur officiel : (1994), 16 O.R. (3d) 698. La Cour divisionnaire fonda sa décision sur la règle de common law relative à la contraignabilité des membres des tribunaux administratifs et sur l’art. 111 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. L.2 (maintenant L.O. 1995, ch. 1, art. 117). L’autorisation d’interjeter appel de cette décision fut refusée par la Cour d’appel de l’Ontario en juin 1994 et par la Cour suprême du Canada en janvier 1995, [1995] 1 R.C.S. vii.
15 Le 20 décembre 1995, la Cour divisionnaire rejeta la demande de contrôle judiciaire de l’appelante. La Cour d’appel, à l’unanimité, confirma ce jugement en avril 1998.
III. Les dispositions législatives pertinentes
16 Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1
114. (1) La Commission a compétence exclusive pour exercer les pouvoirs que lui confère la présente loi ou qui lui sont conférés en vertu de celle‑ci et trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. Ses décisions ont force de chose jugée. Toutefois, la Commission peut à l’occasion, si elle estime que la mesure est opportune, réviser, modifier ou annuler ses propres décisions, ordonnances, directives ou déclarations. [Auparavant l’art. 108 de la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, ch. L.2.]
117. Sauf si la Commission y consent, ses membres, son registrateur, et les autres membres de son personnel sont exemptés de l’obligation de témoigner dans une instance civile ou dans une instance devant la Commission ou devant toute autre commission, en ce qui concerne des renseignements obtenus dans le cadre de leurs fonctions ou en rapport avec celles‑ci dans le cadre de la présente loi.
IV. Historique des procédures judiciaires
A. La Cour divisionnaire (Décision relative à la demande de contrôle judiciaire) (1995), 89 O.A.C. 45
17 La cour rejeta la demande de contrôle judiciaire. Le juge Adams, s’exprimant au nom de la formation, conclut que la différence entre le projet et la décision définitive constituait une modification des principes ou de la norme juridique applicables, mais non pas une nouvelle détermination des faits. Il souligna que le fait que la section locale 353 de la FIOE avait omis d’inscrire le nom de Ellis‑Don à l’annexe F de la demande d’accréditation de l’Electrical Contractors Association of Toronto et le fait que cette association représentait les entrepreneurs électriciens spécialisés, et non pas les entrepreneurs généraux, n’avaient pas changé entre le projet de décision et la décision définitive. Selon le juge Adams, la Commission devait simplement déterminer si l’omission en soi menait nécessairement à la conclusion qu’il y avait eu renonciation. Il a écrit, à la p. 55 :
[traduction] Cette détermination comportait un élément de principe important et manifeste, malgré la manière particulière dont le la formation s’est exprimée. Dans ce sens, elle comportait une question qui pouvait être tranchée au niveau des principes sans contrevenir aux exigences de la justice naturelle.
18 Le juge Adams énuméra plusieurs choix de principe qui s’offraient à la Commission : (i) l’omission pouvait constituer en soi la preuve de la renonciation; (ii) l’omission pouvait donner lieu à une présomption réfutable de renonciation (ce qui aurait donc obligé la section locale 894 de la FIOE à fournir une explication); (iii) l’omission pouvait constituer un facteur à examiner au même titre que les autres éléments de preuve soumis à la Commission; ou (iv) l’omission pouvait n’avoir aucune pertinence quant à la question de la renonciation. Il conclut que la Commission avait décidé que l’omission était un facteur à prendre en considération, sans qu’elle ne soit déterminante dans les circonstances, même en l’absence d’explication de la part de la section locale 894 de la FIOE.
19 Le juge Adams fit remarquer que la conclusion de la décision arbitrale était compatible avec l’improbabilité d’une intention du syndicat de renoncer à ses droits de négociation ainsi qu’avec la jurisprudence et la politique de la Commission, qui exigeait la preuve sans équivoque qu’un syndicat avait [traduction] « négligé de faire valoir ses droits » (p. 56). Par conséquent, à son avis, rien ne permettait de déduire que les membres de la Commission qui ne faisaient pas partie de la formation ayant entendu l’affaire auraient peut-être participé à l’appréciation des faits. Il cita la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans Khan c. College of Physicians & Surgeons of Ontario (1992), 94 D.L.R. (4th) 193, à l’appui de l’idée que, de nos jours, la prise de décision ne peut pas avoir lieu dans un isolement complet. Il expliqua que, si l’appelante estimait que des questions de fait avaient été discutées à la réunion plénière de la Commission, elle aurait dû, au moins par courtoisie, donner à la Commission la possibilité de s’expliquer en demandant un nouvel examen. Enfin, le juge Adams était d’avis que la décision de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable.
B. La Cour d’appel (1998), 38 O.R. (3d) 737
20 La Cour d’appel rejeta l’appel à l’unanimité. Elle a considéré que l’appelante n’avait pas démontré que la modification de la décision de la formation avait été causée par l’ingérence de l’ensemble des membres de la Commission dans le processus d’appréciation des faits de la formation. L’examen du dossier avait révélé que la possibilité d’ingérence de la part de l’ensemble des membres de la Commission relativement aux questions de fait constituait tout au plus une hypothèse. La cour était convaincue que la modification découlait de l’application d’une norme juridique différente aux faits présentés en preuve devant la formation.
21 La cour conclut, à la p. 740, que la formation n’avait pas émis d’hypothèses sur les intentions de la section locale 353 de la FIOE, lorsqu’elle a omis d’inscrire le nom de l’appelante à l’annexe F :
[traduction] Les faits selon lesquels il y a eu omission, que l’association d’employeurs visée par la demande représentait des entrepreneurs électriciens spécialisés, et non pas des entrepreneurs généraux, que Ellis‑Don est un entrepreneur général qui avait signé la convention de travail provinciale, que le nom d’autres entrepreneurs généraux ayant signé la convention a également été omis à l’annexe F, que Ellis‑Don a bénéficié de la convention et qu’elle n’avait fait appel qu’à des entrepreneurs électriciens dont les employés étaient syndiqués jusqu’au grief ayant donné lieu au présent litige, ont tous été présentés en preuve et n’étaient pas des hypothèses.
22 La Cour d’appel décida également que la Cour divisionnaire avait refusé avec raison de tirer une conclusion défavorable du refus de la Commission de révéler le contenu des délibérations internes qui avaient eu lieu à sa réunion plénière. À son avis, une présomption de régularité s’appliquait puisqu’il n’y avait aucune preuve que la procédure suivie à la réunion plénière en question était différente de la pratique habituelle, en vertu de laquelle la discussion était limitée aux répercussions de principe d’un projet de décision. Le simple fait que la formation du secteur de la construction avait modifié sa conclusion ne pouvait pas entraîner la déduction que la Commission avait agi de façon inappropriée au cours du processus de consultation.
V. Les questions en litige
23 Le présent pourvoi ne conteste pas la légalité du processus de consultation institutionnelle des organismes administratifs comme la CRTO. De plus, on n’a pas prétendu que notre Cour devait réexaminer les règles établies dans les arrêts Consolidated-Bathurst, précité, et Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952. Est en litige dans le présent pourvoi la question de savoir si la Commission s’est conformée à ces règles lorsqu’elle a tenu sa réunion plénière pour discuter du grief déposé contre Ellis‑Don. Nous devons donc examiner la nature du fardeau de présentation de la partie qui demande un contrôle judiciaire en raison d’une présumée violation des règles de justice naturelle.
24 L’appelante présente plusieurs arguments étroitement liés. Premièrement, elle affirme que la modification apportée dans la décision définitive était de nature factuelle et que cela suffit pour prouver que des questions de fait ont été abordées à la réunion plénière de la Commission. L’appelante soutient également que notre Cour doit intervenir puisque la modification soulève une crainte raisonnable de violation des règles de justice naturelle. Elle avance que le refus de la Commission de présenter des éléments de preuve relativement à son processus décisionnel interne entraîne l’application d’une présomption d’irrégularité qui permettrait aux tribunaux de déduire qu’il y a eu manipulation de la preuve au cours de la réunion plénière de la Commission.
25 Notre Cour doit également déterminer si l’omission de l’appelante de demander un nouvel examen de la décision de la Commission rend irrecevable sa demande de contrôle judiciaire.
VI. Analyse
A. Les règles relatives à la consultation institutionnelle
26 Les problèmes relatifs aux procédures de consultation institutionnelle des organismes administratifs ont été exposés de façon exhaustive dans les motifs du juge Gonthier dans les arrêts Consolidated-Bathurst et Tremblay, précités. Un simple rappel des principes établis dans ces décisions suffit pour les fins de l’examen des principales questions en litige soulevées par la présente affaire.
27 Dans l’affaire Consolidated-Bathurst, la légalité des procédures de consultation institutionnelle des organismes administratifs avait été mise en doute pour deux motifs. En premier lieu, on a prétendu que ces procédures créaient une crainte raisonnable de partialité et d’un manque d’indépendance de la part des arbitres. Les membres d’un organisme administratif qui entendent une affaire sont susceptibles de faire l’objet de pressions indues de la part de leurs collègues ou de leurs supérieurs hiérarchiques. Ces pressions proviendraient de personnes qui n’auraient pas entendu la preuve ni les arguments des parties et qui seraient néanmoins bien placées pour influencer la décision définitive. En second lieu, on a prétendu que ces consultations contrevenaient également à la règle audi alteram partem, puisque de nouveaux arguments pouvaient être soulevés pendant les discussions de la réunion plénière de la Commission sans être communiqués aux parties.
28 S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Gonthier a reconnu la légitimité des consultations institutionnelles en tant que moyen d’assurer la cohérence des décisions rendues par différents arbitres ou différentes formations au sein d’un organisme administratif. D’ailleurs, l’importance vitale de cette procédure a par la suite été soulignée par notre Cour dans l’arrêt Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756. S’exprimant au nom de notre Cour à l’unanimité, le juge L’Heureux‑Dubé a fait remarquer qu’il n’appartient pas aux cours de juridiction supérieure d’assurer la cohérence des décisions des organismes et des tribunaux administratifs dans le cadre de leur fonction de contrôle judiciaire. Des incohérences ou des contradictions entre les différentes décisions du même tribunal ne constitueraient pas un motif d’intervention, pourvu que les décisions elles‑mêmes relèvent de la compétence fondamentale du tribunal administratif et qu’elles soient raisonnables. Il incombait aux organismes administratifs eux‑mêmes d’élaborer les procédures requises pour assurer un minimum de cohérence entre ses arbitres ou ses divisions (Domtar, précité, p. 798).
1. Crainte de partialité ou de manque d’indépendance
29 Dans l’arrêt Consolidated‑Bathurst, précité, le juge Gonthier a examiné la question de savoir si l’existence de ce genre de procédure de consultation institutionnelle créait en soi une crainte de partialité ou de manque d’indépendance, comme le redoutait le juge Sopinka dans sa dissidence. Selon le juge Gonthier, une telle procédure ne soulevait pas en soi cette crainte, pourvu qu’elle soit conçue de manière à protéger la capacité de l’arbitre de se prononcer de façon indépendante tant sur les faits que sur le droit dans l’affaire en cause. Il a formulé un ensemble de principes essentiels visant à assurer le respect des règles de justice naturelle. Premièrement, la procédure de consultation ne pouvait pas être imposée par un niveau d’autorité supérieur dans la hiérarchie administrative, mais ne pouvait être demandée que par les arbitres eux‑mêmes. Deuxièmement, la consultation devait se limiter aux questions de principe et de droit. On ne pouvait pas permettre aux membres de l’organisation qui n’avaient pas entendu les témoignages de les réévaluer. La consultation devait reposer sur les faits énoncés par les membres qui avaient entendu les témoignages. Enfin, même relativement aux questions de droit et de principe, les arbitres devaient demeurer libres de prendre la décision qu’ils jugeaient juste selon leur conscience et selon leur compréhension des faits et du droit, et ne pas être forcés d’adopter les opinions exprimées par d’autres membres du tribunal administratif. Dans la mesure où ces règles étaient respectées, la consultation institutionnelle ne créait pas de crainte raisonnable de partialité ou de manque d’indépendance.
30 Il importe de signaler que l’affaire Consolidated-Bathurst portait aussi sur la procédure de consultation suivie par la CTRO. Notre Cour a décidé à la majorité que les procédures de cette nature ne créaient pas de crainte raisonnable de partialité ou de manque d’indépendance.
31 Les principes élaborés dans Consolidated-Bathurst ont également été appliqués dans l’arrêt ultérieur Tremblay, précité. Dans Tremblay, notre Cour a jugé que les procédures de consultation étaient imposées aux décideurs par les autorités supérieures et qu’elles étaient si rigides qu’elles liaient les juges des faits et compromettaient donc leur indépendance.
2. La règle audi alteram partem
32 L’autre question en litige dans Consolidated-Bathurst portait sur l’effet de la procédure de consultation sur l’application de la règle audi alteram partem. Dans ses motifs, le juge Gonthier a admis qu’il existait des risques à cet égard, mais il était d’avis que ces risques pouvaient être éliminés si on veillait à ce que les parties soient avisées de toute nouvelle question soulevée pendant la discussion et qu’elles aient la possibilité de répondre de manière efficace. Le simple fait que des questions ayant déjà été débattues par les parties soient discutées de nouveau au cours d’une réunion plénière de la Commission ne constituait pas une violation de la règle audi alteram partem.
33 Dans la mesure où ces règles étaient respectées, les arbitres conservaient le droit de changer d’idée et de modifier un projet de décision initial. Une modification de cette nature ne donnait pas lieu à la présomption que quelque chose d’inapproprié s’était produit pendant le processus de consultation. En l’absence d’éléments de preuve contraires, la présomption de régularité des procédures administratives s’appliquait.
B. Application à la présente affaire
34 Ces principes, énoncés dans Consolidated-Bathurst, précité, et appliqués dans Tremblay, précité, régissent la présente affaire. De la même manière que l’appelante a le fardeau de démontrer que les règles de justice naturelle n’ont pas été respectées, elle doit également démontrer que l’évaluation de la preuve a fait l’objet de manipulation.
1. Les problèmes de preuve
35 L’appelante faisait face à de difficiles problèmes de preuve lorsqu’elle a institué sa demande de contrôle judiciaire. Les seuls faits qu’elle connaissait étaient qu’un projet de décision rejetant le grief avait été diffusé, qu’une réunion plénière de la CRTO avait été convoquée à la demande de la vice‑présidente Susan Tacon, que cette réunion avait effectivement eu lieu et que la décision arbitrale définitive avait confirmé le grief.
36 La décision définitive ne faisait pas état de ce qui s’était passé à la réunion plénière de la Commission. Comme je l’ai mentionné précédemment, aucune demande de nouvel examen n’a été présentée, de sorte que la possibilité d’obtenir des renseignements sur le processus de consultation de la CRTO a peut‑être été perdue. À la lumière de ces faits, il n’existe aucune preuve directe de manipulation de la décision de la formation. Ellis‑Don a tenté de renforcer sa preuve en obtenant des éléments de preuve sur ce qui s’était passé pendant le processus de consultation. Elle a cherché à obtenir ces éléments de preuve au moyen d’une requête interlocutoire pour interrogatoire de certains membres et de certains dirigeants de la CRTO. Sa requête ayant été rejetée par la Cour divisionnaire, Ellis‑Don s’est trouvée dans une impasse, ne pouvant pas obtenir de la CRTO d’éléments de preuve sur le processus suivi dans son cas en interrogeant ses membres ou ses dirigeants.
37 L’appelante a alors emprunté une nouvelle avenue au cours de l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. Le but de son argument est resté le même : démontrer l’ingérence inappropriée de l’ensemble des membres de la Commission dans la décision de la formation. Elle a donc cherché à convaincre les cours que la modification de la décision était de nature factuelle et qu’on pouvait à bon droit déduire que les faits avaient été abordés à la réunion plénière de la Commission. Elle a également avancé que le seuil permettant le contrôle judiciaire dans un tel cas était la crainte de violation des règles de justice naturelle et qu’il n’était pas nécessaire de démontrer l’existence de violation de la règle audi alteram partem. Elle a prétendu que cette crainte de violation des règles de justice naturelle avait été établie au moyen du déplacement de la présomption de régularité des procédures administratives de la Commission. Selon l’appelante, il incombait aux intimées de démontrer que les procédures n’avaient été viciées par aucune violation des règles de justice naturelle. Faute de preuve en ce sens, notre Cour devait statuer qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle, que la Commission avait fait preuve de partialité et que la règle audi alteram partem n’avait pas été respectée. Cette présomption non réfutée devait justifier l’accueil de la demande de contrôle judiciaire et l’annulation de la décision de la Commission.
2. La nature de la modification
38 Le pourvoi repose sur l’argument qu’une modification de l’évaluation des faits a eu lieu. L’appelante a soutenu que cette modification ne s’expliquait que par l’acceptation par la Commission de la théorie factuelle avancée par le syndicat, qui avait initialement été rejetée dans le projet. À partir de cette prémisse, Ellis‑Don a fait valoir que, dans les circonstances, il se trouvait assez d’éléments pour écarter la présomption de régularité de la procédure suivie par la Commission et conclure que des questions de fait avaient été discutées à sa réunion plénière. Par conséquent, nous devons en premier lieu examiner la nature de la modification en question.
39 D’entrée de jeu, il faut admettre que la distinction entre les questions de fait et de droit et les questions de droit pur est difficile à faire et que la frontière entre elles est souvent floue. De plus, une procédure de consultation ne se déroule pas d’une manière purement abstraite. Même si les faits sont acceptés, ils sont examinés et la discussion porte sur ces faits. Des questions complexes peuvent parfois surgir. La qualification juridique des faits et le choix même des faits peuvent être abordés. Cela est particulièrement probable lorsqu’une partie essentielle de la preuve n’a pas été prise en considération et que cette erreur est susceptible de modifier toute l’appréciation du droit applicable à l’affaire.
40 Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, une affaire de droit administratif, le juge Iacobucci a examiné la difficulté de distinguer entre les questions de droit et les questions de fait et il a tenté de les définir ainsi, aux par. 35-37 :
En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Un exemple simple permettra d’illustrer ces concepts. En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la «négligence» est une question de droit. Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait. Une fois qu’il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait. Toutefois, je reconnais que la distinction entre les questions de droit, d’une part, et celles de droit et de fait, d’autre part, est difficile à faire. Parfois, ce qui semble être une question de droit et de fait se révèle une question de droit, ou vice versa.
Par exemple, dans Pezim, précité, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique à la majorité a conclu que constituait une erreur de droit le fait de considérer que de nouveaux renseignements sur la valeur d’éléments d’actif étaient un «changement important» dans les affaires d’une société. Tous étaient d’accord pour dire, dans cette affaire, que le critère approprié était de déterminer si les renseignements constituaient un changement important; le débat portait sur la question de savoir si l’obtention d’un certain type de renseignements pouvait être qualifiée de changement de cette nature. Dans une certaine mesure, donc, la question ressemblait à une question de droit et de fait. Il s’agissait cependant d’une question de droit, en partie parce que les mots en cause se trouvaient dans une disposition législative et que les questions d’interprétation des lois sont généralement des questions de droit, mais aussi parce que le point litigieux était susceptible de se présenter à nouveau dans bon nombre de cas dans le futur: le débat concernait les types de renseignements et non simplement les renseignements particuliers visés par l’instance. La règle sur laquelle la British Columbia Securities Commission semblait s’être appuyée — le fait que de nouveaux renseignements sur la valeur d’éléments d’actif peuvent constituer un changement important — était une question de droit, parce qu’elle était susceptible de s’appliquer à un grand nombre de cas.
À l’opposé, il arrive que les faits dans certaines affaires soient si particuliers, de fait qu’ils soient si uniques, que les décisions concernant la question de savoir s’ils satisfont aux critères juridiques n’ont pas une grande valeur comme précédents. Si une cour décidait que le fait d’avoir conduit à une certaine vitesse, sur une route donnée et dans des conditions particulières constituait de la négligence, sa décision aurait peu de valeur comme précédent. Bref, plus le niveau de généralité de la proposition contestée se rapproche de la particularité absolue, plus l’affaire prend le caractère d’une question d’application pure, et s’approche donc d’une question de droit et de fait parfaite. Voir R. P. Kerans, Standards of Review Employed by Appellate Courts (1994), aux pp. 103 à 108. Il va de soi qu’il n’est pas facile de dire avec précision où doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer si le litige porte sur une proposition générale qui peut être qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter beaucoup d’intérêt pour les juges et les avocats dans l’avenir. [Je souligne.]
(Voir également, dans le contexte du droit criminel, les observations du juge Arbour dans l’arrêt R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, par. 21-22.)
41 En l’espèce, il appert que la modification de la décision de la formation portait sur une question de droit et de principe. La question générale en litige était le problème de la renonciation aux droits de négociation. Les faits en soi étaient bien établis. Il n’était pas contesté que lorsqu’elle a dû énumérer les employeurs relativement auxquels elle avait des droits de négociation, la section locale 353 de la FIOE a omis d’inscrire le nom de Ellis‑Don. Il était également admis que le syndicat n’avait présenté aucune preuve à l’audience devant la formation du secteur de la construction relativement aux motifs de cette omission.
42 La position adoptée dans le projet initial était que l’omission d’inscrire Ellis‑Don à l’annexe F avait donné naissance à une présomption réfutable de renonciation. La décision définitive a écarté l’idée d’une présomption de cette nature et a indiqué que l’absence du nom de Ellis‑Don de l’annexe n’était qu’un des facteurs qui devaient être examinés pour trancher la question de la renonciation. La modification consiste en une conclusion différente quant aux effets juridiques découlant des faits, ce qui constitue une pure question de droit. De plus, elle ne constitue pas l’application d’un principe entièrement nouveau : la modification dans la décision définitive a rendu cette dernière plus compatible avec de nombreuses affaires tranchées par la CRTO qui ont fait en sorte qu’il est devenu très difficile de faire la preuve de la renonciation à des droits de négociation. (Voir, par exemple, Lorne’s Electric, [1987] O.L.R.B. Rep. 1405, p. 1408 à 1410.)
43 L’appelante a également prétendu que la modification avait été causée par une réévaluation des faits en cause et qu’elle ne portait pas vraiment sur une question de principe et de droit. Le dossier dont nous sommes saisis indique que cet argument relève tout au plus d’une hypothèse.
3. La norme de contrôle judiciaire
44 L’appelante insiste beaucoup sur la déclaration suivante faite par le juge Gonthier dans l’arrêt Tremblay, précité, p. 980-981 :
Le justiciable qui voit une «décision» qui lui était favorable se changer en décision défavorable ne pensera pas qu’il s’agit du processus normal de consultation . . .
45 Comme ce commentaire est cité hors contexte, il serait bon de le replacer dans son contexte :
Je souligne finalement que la procédure de signature anticipée des projets de décisions par les membres et assesseurs suivie en l’espèce m’apparaît être à déconseiller. Même si cette procédure s’avère pratique, elle ne fait qu’ajouter à l’apparence de partialité lorsqu’un décideur décide de modifier son opinion après libre consultation avec ses collègues. Le justiciable qui voit une «décision» qui lui était favorable se changer en décision défavorable ne pensera pas qu’il s’agit du processus normal de consultation; il aura plutôt l’impression qu’une pression extérieure a bel et bien fait changer d’avis les personnes d’abord favorables à sa cause.
Dans ce paragraphe, le juge Gonthier ne semble pas avoir énoncé un principe de droit, mais plutôt avoir simplement fait un commentaire sur l’effet d’une pratique administrative exigeant la signature d’un projet de motifs.
46 Selon l’appelante, modifier une décision favorable en une décision défavorable établit une apparence d’absence de justice naturelle. L’appelante affirme qu’elle ne doit démontrer que l’apparence d’absence de justice naturelle et que cela devrait suffire pour justifier le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Elle n’aurait pas à établir l’existence d’une violation réelle des règles de justice naturelle.
47 Le droit n’a jamais adopté ce critère. La violation des règles de justice naturelle constitue un motif de contrôle judiciaire, mais cette notion complexe s’applique à diverses situations très différentes, tout particulièrement la partialité et le manque d’indépendance de l’arbitre ainsi que la règle audi alteram partem sous toutes ses formes.
48 L’appelante tente de rendre applicable à tous les cas de violation des règles de justice naturelle une démarche limitée au problème de la partialité et du manque d’indépendance. Le critère de l’apparence de violation a été élaboré en vue de l’application du concept de la partialité principalement dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394. Ce critère a été confirmé de nouveau dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 689, qui portait sur la crainte raisonnable de manque d’indépendance. Dans le cas de la partialité, les tribunaux étaient placés devant le problème d’établir l’état d’esprit de l’arbitre, preuve souvent difficile à saisir directement. Par conséquent, le critère adopté devait généralement se limiter à la preuve d’une crainte raisonnable que l’esprit de l’arbitre était susceptible d’être biaisé. Si l’on avait adopté comme principe général l’obligation de prouver l’existence d’une partialité réelle, le contrôle judiciaire pour motif de partialité aurait vraiment été un événement rare.
49 Dans le cas d’une présumée violation de la règle audi alteram partem, même s’il peut s’avérer difficile de prouver ce fait dans certains cas, celui qui demande le contrôle judiciaire doit démontrer l’existence d’une violation réelle. Aucune décision n’appuie la proposition avancée par l’appelante, selon laquelle une « crainte » de violation suffit pour donner lieu au contrôle judiciaire. Dans Consolidated-Bathurst, précité, le juge Gonthier a fait une distinction claire entre les deux problèmes : la partialité et la règle audi alteram partem. D’une part, il a examiné la question de savoir si le processus de consultation institutionnelle avait donné lieu à une crainte de partialité. En étudiant l’application de la règle audi alteram partem, il n’a jamais indiqué qu’une crainte de violation suffisait pour justifier une intervention. En fait, il était d’avis que le dossier dont notre Cour était saisie ne révélait aucune preuve que d’autres questions ou arguments avaient été abordés à la réunion plénière de la Commission. Il a donc conclu que l’appelant n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une violation de la règle audi alteram partem : voir Consolidated‑Bathurst, p. 339-340. Par conséquent, il faut examiner la nature du problème de justice naturelle en cause pour déterminer le seuil justifiant le contrôle judiciaire. L’arrêt Consolidated-Bathurst n’appuie pas l’affirmation que le seuil justifiant le contrôle judiciaire dans tous les cas de présumée violation des règles de justice naturelle est simplement la crainte de violation de ces règles.
50 À l’appui de son argument, l’appelante a également invoqué la décision rendue par notre Cour dans Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, où le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a écrit à la p. 1116 :
Nous [c.‑à‑d., notre Cour] ne sommes pas concernés ici par la preuve de l’existence d’un préjudice réel mais plutôt par la possibilité ou la probabilité qu’aux yeux des gens raisonnables, il existe un préjudice.
Cet extrait n’a toutefois pas la signification que lui attribue l’appelante. Dans Kane, le demandeur avait démontré l’existence d’une violation réelle de la règle audi alteram partem : au cours des délibérations du Conseil d’administration de l’U.C.‑B. dans une affaire disciplinaire, le président de l’université avait fait part aux arbitres de faits supplémentaires en l’absence des parties. S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Dickson a simplement affirmé qu’une fois la violation de la règle audi alteram partem établie, il n’était pas nécessaire de prouver que cette violation avait causé un préjudice réel au justiciable, mais seulement de démontrer la probabilité de préjudice.
51 Dans la présente affaire, notre Cour doit appliquer les normes de contrôle judiciaire habituelles dans les questions portant sur la règle audi alteram partem. Pour étayer son allégation de violation de la règle audi alteram partem, Ellis‑Don devait démontrer l’existence d’une violation réelle. Comme je l’ai mentionné précédemment, elle n’a pas pu obtenir de preuve directe à la suite du rejet de sa requête interlocutoire. À sa face même, le dossier n’indique aucune violation de cette nature. Les seuls renseignements disponibles sont que des discussions ont eu lieu à la réunion plénière de la Commission et qu’une modification a été apportée relativement à une question de droit et de principe qui figurait dans le projet de décision. Cela n’est pas suffisant pour justifier un contrôle judiciaire.
52 La présente affaire révèle l’existence d’une tension entre le caractère équitable du processus et le principe du secret du délibéré. L’existence de cette tension a été admise par le juge Gonthier dans Tremblay, précité, p. 965-966. Il ne fait aucun doute que le principe du secret du délibéré crée de graves difficultés aux parties qui craignent avoir été victimes de manipulation de la décision des arbitres qui les ont entendues. Bien que notre Cour ait refusé d’accorder le même niveau de protection aux délibérations des tribunaux administratifs qu’à celles des cours de justice civile et criminelle et qu’elle n’ait pas permis l’interrogatoire et l’interrogatoire préalable relativement au processus suivi, le juge Gonthier a reconnu que ce principe du secret du délibéré jouait un rôle important dans la protection de l’indépendance des arbitres administratifs.
53 Le secret du délibéré favorise également la cohérence administrative au moyen de la protection qu’il confère à un processus consultatif qui comporte une interaction entre les arbitres qui ont entendu l’affaire et les membres qui ne l’ont pas entendue, dans le cadre des règles établies dans Consolidated-Bathurst, précité. Sans cette protection, il risque d’y avoir un effet paralysant sur les consultations institutionnelles, ce qui priverait les tribunaux administratifs d’un moyen essentiel d’assurer la cohérence.
54 Il ne fait aucun doute que le respect de ces exigences de cohérence et d’indépendance est assorti d’un prix, ce prix étant que le processus devient moins ouvert et que les justiciables font face à de grands obstacles lorsqu’ils tentent de bâtir le fondement probatoire permettant d’avoir gain de cause dans une contestation fondée sur de présumées violations des règles de justice naturelle (voir, p. ex., H. N. Janisch, « Consistency, Rulemaking and Consolidated-Bathurst » (1991), 16 Queen’s L.J. 95; D. Lemieux, « L’équilibre nécessaire entre la cohérence institutionnelle et l’indépendance des membres d’un tribunal administratif : Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales) » (1992), 71 R. du B. can. 734). La présente affaire fournit un excellent exemple de ces difficultés.
55 Après le rejet de sa requête interlocutoire, l’appelante n’a pu interroger les responsables de la Commission au sujet du processus suivi. En l’absence de toute preuve additionnelle, notre Cour ne peut pas écarter la présomption de régularité du processus administratif simplement en raison d’une modification dans les motifs de la décision, surtout lorsque la modification est limitée à sa face même à des questions de droit et de principe, comme je l’ai mentionné précédemment. Une méthode contraire relative à la présomption priverait les tribunaux administratifs de l’indépendance que le principe du secret du délibéré leur confère dans le cadre de leur processus décisionnel. Cela pourrait également compromettre des procédures de consultation institutionnelle, devenues plus nécessaires que jamais pour assurer la cohérence et la prévisibilité des décisions des tribunaux administratifs.
4. Conclusion relative aux motifs de contrôle judiciaire
56 Le dossier ne donne aucune indication d’une modification quant aux faits, d’une irrégularité ou d’une violation des principes régissant la consultation institutionnelle. Toute intervention serait nécessairement fondée sur de simples hypothèses au sujet de ce qui a pu se passer pendant la consultation à la réunion plénière de la Commission. Le contrôle judiciaire de la décision d’un organisme administratif ne peut pas reposer sur des motifs hypothétiques. Par conséquent, la Cour divisionnaire et la Cour d’appel de l’Ontario ont correctement appliqué les règles régissant le contrôle judiciaire lorsqu’elles ont rejeté la demande de l’appelante.
5. L’omission de demander un nouvel examen
57 L’omission de l’appelante de demander un nouvel examen a également été abordée devant notre Cour. Toutefois, même la Commission a admis que, dans les circonstances, un nouvel examen ne constituait pas un préalable obligatoire au contrôle judiciaire. En l’espèce, cela aurait pu constituer une bonne tactique qui aurait peut‑être permis de tirer des renseignements de la Commission au sujet de son processus de consultation, mais les principes applicables au contrôle judiciaire n’exigeaient pas l’usage ou l’épuisement de ce recours particulier. Il va sans dire que, dans certains cas, l’omission de demander un nouvel examen pourrait constituer un facteur qu’une cour de juridiction supérieure devrait prendre en considération pour déterminer s’il y a lieu d’accorder un redressement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.
VII. Conclusion
58 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Major et Binnie rendus par
59 Le juge Binnie (dissident) — On fait parfois remarquer que la personne la plus importante dans la salle d’audience est la partie qui vient tout juste de perdre une cause. Malgré l’amertume ou l’incrédulité du perdant face à l’issue de l’affaire, l’exigence prédominante est que la conclusion ait été, et ait paru être, tirée de façon impartiale dans le cadre d’une procédure équitable. Il s’agit de la question prédominante dans le présent pourvoi.
60 L’appelante, un entrepreneur général œuvrant dans l’industrie de la construction en Ontario, prétend qu’il y a 30 ans le syndicat intimé a renoncé aux droits de négociation qu’il pouvait détenir relativement à ses employés et à ses sous‑traitants. Elle se plaint qu’une formation de la Commission des relations de travail de l’Ontario, qui a examiné des éléments de preuve et entendu des arguments pendant des semaines et a rendu une décision initiale en faveur de l’appelante, a ensuite abandonné ses responsabilités décisionnelles en faveur de la Commission en réunion plénière. Le président de la Commission, le président suppléant, les 20 vice‑présidents et quelque 40 autres membres ont été invités à la réunion, avant que la décision ne soit rendue publique, pour en discuter en l’absence des parties dont les intérêts étaient directement touchés. Aucune possibilité n’a été offerte à l’appelante de présenter des éléments de preuve ou des arguments à cet auditoire plus nombreux.
61 La plainte de l’appelante réside donc dans le fait qu’une décision avait été rendue en sa faveur, à la lumière de ce que la Commission elle‑même qualifiait de question de fait, pour ensuite être modifiée à son désavantage suivant immédiatement une réunion plénière de la Commission convoquée précisément en vue de l’examen des motifs de la décision rendue dans cette affaire. L’appelante se plaint également du fait que la Commission a contesté tous les moyens légaux qui lui auraient permis d’en connaître davantage sur la façon dont ce changement s’est produit ou sur les raisons pour lesquelles il s’est produit. L’appelante dit avoir été traitée inéquitablement.
62 Lorsque notre Cour a décidé dans l’arrêt SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, que les membres d’une formation pouvaient consulter la Commission dans son ensemble sur des questions de principe, par opposition à des questions de fait, certains craignaient que l’intégrité du processus de décision administrative puisse paraître compromise sans qu’il n’y ait de redressement efficace. Le présent pourvoi amène la Cour à se pencher sur les limites de la règle établie dans l’arrêt Consolidated‑Bathurst. Il l’amène également à examiner la possibilité de redressement efficace en cas de non‑respect de ces limites.
63 La Commission a longtemps considéré la renonciation aux droits de négociation comme une question de fait. Dans sa décision initiale préparée par la vice‑présidente et dont la Commission a reconnu l’authenticité, la formation a écrit qu’elle [traduction] « a conclu à l’existence d’une preuve sans équivoque que la demanderesse [la FIOE] a renoncé à ses droits de négociation avant 1978 » (par. 55), soit la date à laquelle l’industrie de la construction en Ontario est passée à un régime de négociation à l’échelle de la province. Dans la décision révisée de la formation, la vice‑présidente a écrit que [traduction] « vu l’ensemble des circonstances, la Commission estime que la section locale 353 n’a pas renoncé à ses droits de négociation avant la mise en œuvre du régime de négociation à l’échelle de la province » ([1992] OLRB Rep. 147, par. 54). Aucune explication pour le changement ne ressort de la preuve autre que la tenue de la réunion plénière de la Commission. Je suis d’avis que l’arrêt Consolidated-Bathurst ne doit pas être interprété comme permettant à la Commission dans son ensemble de faire la microgestion des conclusions tirées par des formations particulières d’une façon aussi évidente que dans la présente affaire. La notion de « principe » a été démesurément étendue. Le principe voulant que « celui qui entend doit trancher » doit être défendu. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer la question pour qu’elle soit examinée par une formation différente de la Commission.
64 J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge LeBel, et je ne reprendrai pas sa description des événements qui ont mené au présent litige ni son examen des précédents. J’apporterai des précisions seulement dans la mesure où cela m’est nécessaire pour indiquer les points sur lesquels je suis en désaccord.
La norme de contrôle
65 Le syndicat intimé prétend que la décision de la Commission ne doit être écartée que si elle est « manifestement déraisonnable ». Cela suppose que l’erreur a été commise dans le cadre de la compétence de la Commission. L’appelante soutient que la formation a perdu compétence lorsqu’elle a demandé la tenue d’une réunion plénière de la Commission pour discuter de ce qu’elle considère comme une question de fait. La conformité aux règles de justice naturelle est une question de droit. La norme de contrôle est celle de la décision correcte, comme l’ont souligné D. J. M. Brown et J. M. Evans dans Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 2, par. 14:2300, p. 14-14 et 14-15 :
[traduction] . . . la question de savoir si le décideur administratif a contrevenu aux règles de justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale en ne permettant pas à la personne concernée d’apporter sa participation ou une participation adéquate est généralement évaluée selon la norme de la « décision correcte ». Et la présence d’une clause privative n’a aucune conséquence à cet égard.
J’estime qu’il s’agit d’un énoncé correct du droit.
Celui qui entend doit trancher
66 Rien n’est plus fondamental en droit administratif que le principe voulant que celui qui entend doit décider. L’arrêt Consolidated-Bathurst, précité, a confirmé l’importance de cette règle générale tout en reconnaissant l’existence d’une exception s’appliquant aux réunions plénières de la Commission et visant à donner de la « qualité et de [la] cohérence » à ses politiques (p. 324). Les questions de principe ont été jugées différentes de l’appréciation des faits, qui, a-t-on estimé, ne pouvait même pas être abordée à la réunion plénière de la Commission, le juge Gonthier, à la p. 335 :
Les réunions plénières de la Commission tenues ex parte comportent certains inconvénients sur le plan de la règle audi alteram partem parce que les parties ne savent pas ce qui a été dit à ces réunions et n’ont pas la possibilité de répliquer aux nouveaux arguments soumis par les personnes qui y ont assisté. De plus, il y a toujours le risque que les personnes présentes à la réunion discutent de la preuve. [Je souligne.]
À la p. 339, le juge Gonthier a souligné que le principe établi dans l’arrêt Consolidated-Bathurst se limitait aux « arguments juridiques ou de politique qui ne soulèvent pas de questions de fait » (italiques ajoutés) :
Il est vrai que relativement aux questions de fait, les parties doivent obtenir une [traduction] «possibilité raisonnable [. . .] de corriger ou de contredire tout énoncé pertinent qui nuit à leur point de vue» [. . .] Cependant, la règle relative aux arguments juridiques ou de politique qui ne soulèvent pas des questions de fait est un peu moins sévère puisque les parties n’ont que le droit de présenter leur cause adéquatement et de répondre aux arguments qui leur sont défavorables. [Je souligne.]
67 Il paraît plus probable que des questions factuelles comprenant vraisemblablement des « énoncé[s] [. . .] qui nui[sent au] point de vue [de l’appelante] » ont été abordées à la réunion plénière de la Commission en l’espèce, parce que la formation a par la suite renversé sa propre décision sur l’opportunité d’une conclusion défavorable au syndicat en raison de son omission de produire une preuve pertinente et qu’elle l’a renversée sur la question de la renonciation et quant à l’issue de l’audience.
La question de la renonciation
68 La Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, L.O. 1995, ch. 1 (« la Loi ») ne traite pas de la renonciation aux droits de négociation. Cette notion a été élaborée dans la jurisprudence de la Commission en vue de permettre l’abolition des droits de négociation d’un syndicat qui fait défaut de faire la [traduction] « promotion active de ces droits ». Citant des décisions antérieures, la formation a adopté ces principes en utilisant des termes identiques au par. 43 de sa décision initiale et au par. 43 de sa décision définitive :
[traduction] Au cours des 20 dernières années, le principe de la renonciation s’est profondément enraciné dans la jurisprudence de la Commission. Une fois qu’un syndicat a obtenu des droits de négociation par voie d’accréditation ou de reconnaissance volontaire, on s’attend à ce qu’il fasse la promotion active de ces droits. Si un syndicat néglige d’exercer des droits de négociation, il peut les perdre par inaction. La question de savoir si un syndicat a renoncé à ses droits de négociation doit être examinée à la lumière des faits de chaque affaire particulière, mais une fois que la Commission est convaincue qu’un syndicat a omis de préserver ses droits, le syndicat ne peut plus les invoquer pour demander la nomination du conciliateur prévu par l’article 15 de la Loi. . . [Je souligne.]
La question que devait donc trancher la formation était de savoir si le syndicat intimé avait fait la « promotion active » de ses droits de négociation envers l’appelante ou s’il les avait perdus « par inaction ».
La décision initiale
69 Je tire les événements suivants de la décision initiale préparée pour la formation et datée de décembre 1991. (Il semble s’agir de plus qu’une ébauche. Il ressort de la « copie certifiée conforme » figurant au dossier que l’original a été signé par la vice‑présidente.)
70 Le 12 janvier 1990, la section locale 894 de la FIOE a déposé un grief visant le marché de sous‑traitance de travaux d’électricité conclu par l’appelante avec un entrepreneur dont les employés n’étaient pas syndiqués. Elle a prétendu que l’appelante était liée par la convention en cours à l’échelle de la province entre l’Electrical Contractors Association of Ontario et le conseil des métiers de la construction de la FIOE pour l’Ontario. L’appelante a soutenu ne pas être partie à cette convention. En réponse, le syndicat a fait un recul de 30 ans environ dans le passé pour invoquer une [traduction] « convention de travail » que la section locale 353 de la FIOE avait signée avec l’appelante en 1962. L’appelante a avancé que s’il y avait eu reconnaissance volontaire des droits de négociation de la FIOE à cette époque (ce qu’elle a nié), ces droits avaient fait l’objet d’une renonciation au plus tard au début des années 70, lorsque l’Electrical Contractors Association of Toronto a sollicité l’accréditation en tant qu’agent de négociation envers les employeurs au sujet desquels la section locale 353 de la FIOE faisait valoir des droits de négociation. Le formulaire prévu par la loi (« l’annexe F ») ainsi que le règlement exigeaient que le syndicat dresse la liste de [traduction] « tous les employeurs » de l’unité avec laquelle le syndicat intimé [traduction] « a le droit de négocier en vertu d’une convention collective, d’une entente de reconnaissance ou d’un certificat de la Commission des relations de travail qui n’a pas encore donné lieu à une convention collective », mais qui n’avaient pas directement employé d’électriciens dans l’année précédant la demande. La section locale 353 de la FIOE avait déposé une telle liste. Le nom de l’appelante n’y figurait pas. L’appelante a prétendu que si des droits de négociation avaient été acquis en vertu de ce que la Commission considérait comme l’« entente de reconnaissance » de 1962, ces droits avaient fait l’objet d’une renonciation au moment où le syndicat avait déposé les documents d’accréditation en 1971. L’exercice d’accréditation a ensuite été étendu à la négociation à l’échelle de la province.
71 La décision initiale comportait une description du processus d’accréditation de 1971 :
[traduction] Ce qui compte, c’est que dans le cadre de sa demande d’accréditation, le syndicat intimé dépose auprès de la Commission une « annexe F », dans laquelle il énumère les employeurs au sujet desquels il affirme avoir des droits de négociation mais qui n’avaient aucun employé dans l’année précédant la date de la demande d’accréditation. Il ressort du dossier 1469‑71‑R de la Commission, dans lequel une ordonnance d’accréditation a été rendue le 9 janvier 1975, que le nom de Ellis‑Don ne figure pas à l’annexe F finale. Le nom de Ellis‑Don n’avait pas non plus été radié d’une annexe F initiale comme l’avait été celui d’autres employeurs ayant contesté leur inclusion dans cette annexe par le syndicat intimé. Il semble tout simplement que la section locale 353 n’a pas inscrit le nom de Ellis‑Don à l’annexe F que le syndicat a déposée auprès de la Commission.
72 Une ordonnance d’accréditation a été rendue le 9 janvier 1975. Il est important de souligner que le grief du syndicat en l’espèce est fondé sur son opinion que l’appelante est liée par la clause de sous‑traitance figurant dans la convention provinciale conclue entre l’Electrical Contractors Association of Ontario et le conseil des métiers de la construction de la FIOE pour l’Ontario, la version actuelle de la convention qui a découlé du processus d’accréditation des années 70, où le syndicat a omis de faire valoir l’existence de droits de négociation à l’égard de l’appelante.
73 L’appelante a soulevé un éventail d’oppositions et d’arguments contre la prétention du syndicat, dont la plupart ont été rejetés. En particulier, dans sa décision initiale, la formation a refusé de tirer une conclusion défavorable du fait que différents syndicats (à l’exception de ceux des « métiers ») n’avaient pas tenté de faire appliquer les conventions provinciales à l’appelante avant 1990, malgré la preuve que, au fil des ans, quelques marchés de sous‑traitance avaient été conclus avec des entreprises dont les employés n’étaient pas syndiqués. Le syndicat intimé a expliqué qu’il n’avait pas paru faire la « promotion active » de ses droits parce que cela n’était pas nécessaire. L’appelante confiait continuellement des travaux à des sous‑traitants en électricité dont les employés étaient syndiqués. Le seul point sur lequel la formation a conclu que le syndicat aurait pu devoir agir était le processus d’accréditation qui a mené à la convention précédant celle sur laquelle il s’appuie maintenant pour poursuivre :
[traduction] La section locale [8]94, la demanderesse en l’espèce, n’a présenté aucun élément de preuve pour expliquer l’omission de la section locale 353 d’inclure Ellis‑Don à l’annexe F, ce à quoi on s’attendrait si le syndicat visé par la demande d’accréditation croyait avoir des droits de négociation vis‑à‑vis Ellis‑Don. Faute d’explication, la conclusion la plus raisonnable à tirer est que le syndicat visé par la demande d’accréditation a tenu pour acquis qu’il n’avait pas de droits de négociation en 1971, au moment du dépôt de la demande d’accréditation. [Je souligne.]
La question de savoir si une conclusion défavorable est justifiée ou non par les faits particuliers est inextricablement liée à la détermination des faits. Même si on l’a mis au défi de le faire, le syndicat n’a cité aucun témoin connaissant les événements de 1971. [traduction] « Une telle omission équivaut à l’aveu implicite que la déposition du témoin absent serait défavorable à la cause de la partie ou, du moins, qu’elle ne l’appuierait pas », J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 297; R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, 2000 CSC 29, par. 28.
74 En bref, la formation a suivi le raisonnement suivant dans sa décision initiale :
1. Un syndicat faisant activement valoir des droits de négociation contre l’appelante en vertu de la convention antérieure à celle qui fait maintenant l’objet de la poursuite était tenu par la Loi et le Règlement d’inscrire l’appelante à l’annexe F.
2. Cette omission constituait une certaine preuve de renonciation, sauf si elle avait fait l’objet d’une explication de la part du syndicat.
3. Le syndicat a fait entendre des témoins, mais aucun n’a pu expliquer son omission d’inscrire l’appelante à l’annexe F.
4. Il n’y avait aucune autre preuve d’affirmation « active » de droits de négociation par le syndicat, qui pourrait faire pencher la conclusion de la formation en faveur du syndicat.
75 Par conséquent, compte tenu de l’omission du syndicat de faire la « promotion active » de ses droits de négociation, la formation a conclu dans sa décision initiale à l’existence d’une [traduction] « preuve sans équivoque que la demanderesse [la FIOE] a renoncé à ses droits de négociation avant 1978 ».
76 Mon collègue le juge LeBel conclut au par. 42 que cette décision initiale
repose sur une « présomption réfutable » qui a ensuite été écartée pour des raisons de principe par l’ensemble des membres de la Commission. Il est donc nécessaire d’examiner plus en détail les modifications qui ont été apportées à la décision à la suite de la réunion plénière de la Commission.
La réunion plénière de la Commission
77 Pour des motifs qui ne sont pas expliqués, la vice‑présidente a demandé la tenue d’une réunion plénière de la Commission pour discuter de la décision initiale de la formation. La vice‑présidente n’a formulé aucune question de principe ni avisé ses collègues qu’il y aurait un examen général des conséquences de la renonciation sur le plan des principes. Elle s’est contentée d’indiquer que cette décision à venir serait le sujet de discussion de la réunion plénière.
78 L’arrêt Consolidated-Bathurst conclut qu’il est permis de convoquer une réunion plénière de la Commission pendant qu’une affaire particulière est en cours dans la mesure où (i) la question à discuter est une question de politique plutôt qu’une question de fait, (ii) la formation est libre en bout de ligne de rendre sa propre décision, et (iii) si la discussion ayant lieu à la réunion plénière soulève des questions non abordées par les parties, celles‑ci sont avisées et peuvent faire des observations avant qu’une décision ne soit prise.
79 Je suis d’avis que la procédure adoptée dans la présente affaire ne viole que la première des ces restrictions. Il n’y a aucune preuve indiquant que la deuxième restriction n’a pas été respectée et, quant à la troisième, l’appelante a eu la possibilité de présenter ses arguments à la formation relativement à toutes les facettes de la question de la renonciation. L’appelante prétend à bon droit que la décision initiale n’aurait jamais dû être renvoyée à la réunion plénière de la Commission.
Les faits par opposition aux principes
80 Je conviens avec mon collègue le juge LeBel que l’une des conditions préalables à la validité d’une réunion plénière de la Commission veut que « la consultation devait se limiter aux questions de principe et de droit. On ne pouvait pas permettre aux membres de l’organisation qui n’avaient pas entendu les témoignages de les réévaluer. La consultation devait reposer sur les faits énoncés par les membres qui avaient entendu les témoignages » (par. 29). Cette restriction est fondée sur ce qu’a dit le juge Gonthier, au nom de la majorité, dans Consolidated-Bathurst, précité, p. 335-336. Dans cette affaire, la question était de savoir quelle était la portée de l’obligation de négocier de bonne foi imposée à l’employeur par ce qui est maintenant l’art. 17 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario. Plus particulièrement, la question était de savoir si l’obligation de négocier de bonne foi comprenait l’obligation de franchise relativement à la divulgation des projets de l’employeur qui auraient des conséquences importantes sur la situation économique des employés de l’unité de négociation (Consolidated-Bathurst, précité, p. 311). Une analyse de la relation entre l’obligation de négocier de bonne foi et une obligation de franchise a soulevé une question de principe abstraite qui pouvait être dissociée des faits de cette affaire. En l’espèce, la politique de la Commission avait été établie par les précédents, c.‑à‑d., le critère de la [traduction] « promotion active ». Il incombait à la formation de déterminer dans le contexte factuel de la présente affaire si cette norme était respectée ou non.
81 Je conviens avec mon collègue le juge LeBel que, si elle est examinée de façon abstraite, la question de la « renonciation » comporte un aspect principe. Comme je tente de le démontrer, cependant, ce qui s’est produit à la suite de la réunion plénière de la Commission ne constituait pas un changement de principe, mais une réévaluation des faits.
Les questions de principe et de fait
82 L’avocate de la Commission prétend que les faits essentiels sont ceux qui [traduction] « sont observés par les témoins et prouvés par les témoignages. La question de savoir si les faits essentiels établis satisfont à une définition ou à une exigence légales est une question de droit, qui peut parfaitement faire l’objet d’une réunion plénière de la Commission ». Il y a évidemment une catégorie intermédiaire entre les « faits essentiels » et le « droit », soit la catégorie des questions de droit (ou de principe) et de fait. Dans cette catégorie intermédiaire se trouvent des échelons qui partent de l’extrémité factuelle de l’échelle, où le contenu juridique est non contesté ou minime, pour se rendre à l’extrémité juridique, où les faits ont peu d’importance et, comme l’avocate de la Commission le souligne, où la décision a [traduction] « un effet allant au‑delà du règlement du litige entre les parties ». Cette échelle a été reconnue par notre Cour dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci, par. 35-38. Dans la présente affaire, l’aspect juridique ou de principe de la « renonciation » a été décrit dans une partie de la décision qui n’a fait l’objet d’aucune modification entre la décision initiale et la révision définitive, comme je l’ai mentionné précédemment. Le critère ne consistait pas à déterminer si le syndicat avait l’intention d’abandonner des droits (ce qui est un scénario improbable, comme la Cour divisionnaire l’a souligné), mais plutôt à savoir s’il avait fait la promotion active de ces droits dans des circonstances où on s’attendrait raisonnablement à ce qu’il le fasse.
83 J’estime que la question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir si l’on peut extirper une question de principe des faits en litige. Il s’agit de savoir si, à la lumière de l’interprétation par la Commission du droit (ou du principe), le renvoi à la Commission dans son ensemble s’insère dans le processus décisionnel au point de violer le principe voulant que celui qui entend doit trancher et que celui qui tranche doit entendre. J’estime que cela dépend de la question de savoir si la question de principe peut être suffisamment dissociée des faits du litige particulier pour qu’elle n’intervienne pas dans la décision sur les faits, comme l’envisageait d’ailleurs le juge Gonthier dans Consolidated‑Bathurst, p. 337 :
Il est possible de dissocier ces discussions des décisions sur les faits qui déterminent l’issue du litige après que le banc a adopté un critère. [Je souligne.]
Lorsqu’il est impossible de faire cette dissociation avec certitude, le renvoi d’une décision à la Commission dans son ensemble avant qu’elle ne soit rendue risque de menacer l’intégrité du processus décisionnel, comme l’a fait remarquer le professeur H. N. Janisch dans son article intitulé « Consistency, Rulemaking and Consolidated Bathurst » (1991), 16 Queen's L.J. 95, p. 104.
84 L’acceptation par notre Cour de ce qui a été fait dans la présente affaire a des conséquences importantes. En vertu du par. 9(1) de la Loi, par exemple, la Commission est tenue de déterminer l’unité de négociation appropriée. Au fil des ans, la Commission a élaboré des politiques détaillées sur le sujet pour que chaque formation les applique aux faits : voir J. Sack, C. M. Mitchell et S. Price, Ontario Labour Relations Board Law and Practice (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, p. 3.121. Il arrive fréquemment que la preuve relative à cette question soit considérable. De façon générale, j’estime qu’il serait inapproprié de la part d’une formation de renvoyer une affaire à la Commission dans son ensemble pour que celle‑ci prenne, en l’absence des parties, une décision ad hoc relativement aux faits en cause. En outre, l’art. 76 interdit l’usage de « la menace de contraindre quiconque » à appartenir ou à ne pas appartenir à des organisations de négociation collective, etc. Cela exige que l’on définisse la « menace », mais la question de savoir si une situation donnée est visée ou non par la définition doit être tranchée par la formation chargée de rendre la décision. De la même manière, l’art. 69 régit les droits de succession afférents à la vente d’une entreprise. L’un des critères applicables à cet égard consiste à savoir si [traduction] « l’entreprise continue de fonctionner » : Marvel Jewellery Ltd., [1975] OLRB Rep. 733, p. 735, et il s’agit là également, selon la Commission, d’une question de fait : Accomodex Franchise Management Inc., [1993] OLRB Rep. 281. Il est évident que toutes ces décisions ainsi que de nombreuses autres reposent sur une interprétation juridique ou de principe d’une notion ou d’une disposition législative, selon le cas. L’arrêt Consolidated‑Bathurst n’a pas permis la tenue de consultations générales en réunion plénière relativement aux décisions reposant sur les faits. Cela est particulièrement vrai lorsque la jurisprudence de la Commission sur la politique en question est déjà bien établie. Dans la présente affaire, comme je l’ai mentionné précédemment, la politique de la Commission sur la renonciation, qui repose sur la promotion active des droits, n’a jamais été mise en doute et a été décrite dans les mêmes termes tant dans la décision définitive que dans la décision initiale.
L’infirmation d’une conclusion de fait
85 La formation a indiqué clairement, tant dans sa décision initiale que dans sa version révisée, qu’elle considérait la renonciation comme une question de fait. Elle a expliqué dans les deux décisions, au par. 43 :
[traduction] Avant l’introduction de la négociation à l’échelle de la province dans le secteur de la construction industrielle, commerciale et institutionnelle, la Commission avait conclu à plusieurs reprises que, dans les faits, un syndicat avait renoncé à ses droits de négociation par inaction. [. . .] Un résumé utile de la jurisprudence et des facteurs influençant l’évaluation de la Commission est fait dans R. Reusse Co. Ltd.. . . [Je souligne.]
Dans la décision citée R. Reusse Co., [1988] OLRB Rep. 523, la Commission a énoncé ainsi sa politique, aux par. 13 et 15 :
[traduction] Il n’a pas été contesté que la question de la renonciation
est une question de fait que la Commission doit résoudre selon les circonstances de chaque affaire . . .
. . .
Ce qui est le plus frappant au sujet de la présente demande, c’est que, ayant obtenu des droits de négociation en 1965, la section locale 397 n’a rien fait pendant presque 15 ans (jusqu’à l’arrivée de la négociation collective à l’échelle de la province) en vue de négocier des renouvellements de la convention collective, d’appliquer les conventions « existantes » ou de communiquer de quelque autre façon avec l’intimée. Étant donné l’écoulement d’une aussi longue période, la Commission doit examiner avec soin les raisons fournies par le syndicat à titre d’explication pour son inaction afin d’éviter la conclusion raisonnable que le syndicat a renoncé à ses droits de négociation. [Italiques dans l’original.]
La décision de la Commission en l’espèce (tant initiale que définitive) n’a fait que reprendre les termes utilisés dans Reusse, précité :
[traduction] Il n’a pas été contesté que la question de la renonciation est une question de fait que la Commission doit résoudre selon les circonstances de chaque affaire : J. S. Mechanical, précité; Inducon Construction (Northern) Inc., précité; John Entwistle Construction Limited, précité; Re Carpenters’ District Council of Lake Ontario and Hugh Murray (1974) et al., Re Labourers’ International Union of North America, Local 527 et al. et John Entwistle Construction Ltd. et al., précité; Twin City Plumbing and Heating, [1982] OLRB Rep. Apr. 631. [Je souligne.]
Et elle a poursuivi au par. 44 :
[traduction] C’est dans le contexte jurisprudentiel ci-dessus que la Commission doit analyser la preuve en l’espèce.
86 D’ailleurs, la formation a conclu dans la version définitive de la décision en l’espèce, au par. 54, qu’elle [traduction] « n’est pas convaincue que, en tant que question de fait, la section locale 353 a renoncé aux droits de négociation en raison de l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F » (je souligne). Nous ne sommes pas liés par la façon dont la formation a qualifié sa propre décision, mais j’estime qu’elle avait raison à cet égard.
La question dominante était de savoir si le syndicat avait fait la « promotion active » de ses droits de négociation
87 La décision initiale acceptait la position du syndicat intimé selon laquelle on pouvait difficilement le blâmer pour l’absence de « promotion active » alors qu’il s’était avéré non nécessaire qu’il intervienne pour veiller à ce que les travaux d’électricité soient confiés à des sous‑traitants dont les employés sont syndiqués, quoique la Commission a également conclu que l’appelante ne considérait pas avoir l’obligation de le faire. L’exception importante était le fait que la formation s’attendait à ce qu’un syndicat qui faisait la promotion « active » de ses droits de négociation ait inscrit l’appelante à l’annexe F lors du processus d’accréditation qui a mené à la convention antérieure à celle maintenant invoquée par le syndicat. La formation a fait remarquer que le syndicat pouvait fort bien avoir une explication plausible pour son manque de promotion « active » dans le cadre du processus d’accréditation, mais qu’il n’en avait présentée aucune en preuve. Dans sa décision initiale, la formation n’était pas prête à agir en s’appuyant sur les hypothèses non étayées faites par l’avocat du syndicat intimé. Dans sa décision définitive, toutefois, la formation a semblé considérer les mêmes hypothèses non étayées comme l’explication adéquate qu’elle avait auparavant jugée inexistante.
88 La formation a initialement estimé qu’à la lumière des faits particuliers de l’affaire, une conclusion défavorable au syndicat devrait être tirée en raison de sa décision de ne présenter aucune preuve à cet égard. Je ne dis pas que la formation était obligée de tirer une conclusion défavorable. Il n’en demeure pas moins que c’est ce qu’elle a fait à la suite d’une longue audience. Le bien‑fondé de cette décision était lié à la preuve :
[traduction] Il est parfaitement approprié qu’un jury déduise, même s’il n’est pas obligé de le faire, que l’omission de produire des éléments de preuve substantielle dont seuls les Vieczorek disposaient était une indication que ces éléments de preuve ne leur auraient pas été favorables. Il s’agit d’une conclusion fondée sur le bon sens qui peut être tirée par tout juge des faits. Aucune décision ne met en doute cette proposition. [Je souligne.]
(Vieczorek c. Piersma (1987), 36 D.L.R. (4th) 136 (C.A. Ont.), le juge Cory, p. 140 et 141)
Voir dans le même sens l’énoncé figurant dans Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., à la p. 97 :
[traduction] Une présomption de fait est une déduction de fait qui peut logiquement et raisonnablement être tirée à partir d’un fait ou d’un groupe de faits dont on a conclu à l’existence ou qui ont été autrement établis. Autrement dit, il s’agit d’une conclusion logique fondée sur le bon sens qui est tirée à partir de faits prouvés. [Je souligne.]
89 Qualifier cette « conclusion fondée sur le bon sens [. . .] tirée par [un] juge des faits » de « présomption réfutable » ne change pas selon moi cette question de conclusion factuelle en question de droit, comme mon collègue le juge LeBel le conclut au par. 42. Quoi qu’il en soit, j’estime, en toute déférence, que nous ne devrions pas laisser un débat terminologique nous écarter de l’examen plus fondamental de la question de savoir si, en l’espèce, la consultation de l’ensemble des membres de la Commission a empiété sur des faits sur lesquels la formation elle-même était tenue de se prononcer.
90 Les motifs de la vice‑présidente, réécrits après la réunion plénière de la Commission, se lisaient ainsi, au par. 54 :
[traduction] L’absence de preuve expliquant l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F déposée par la section locale 353 de la FIOE dans le cadre de la demande d’accréditation préoccupe la Commission, qui estime qu’il s’agit de savoir si cette omission est suffisante en soi, dans le contexte de l’ensemble des autres circonstances, pour lui permettre de conclure que la section locale 353 avait renoncé aux droits de négociation qu’elle avait obtenus auparavant. L’omission du nom de Ellis‑Don n’est pas incompatible avec une renonciation et peut donc signifier ce que l’avocat de l’intimée affirme. Cependant, cette omission est compatible également avec le fait que la section locale aurait tenu pour acquis que la demande d’accréditation ne touchait que les entrepreneurs spécialisés ou que l’annexe F ne s’appliquait qu’aux employeurs relativement auxquels la section locale avait des droits de négociation mais qui avaient eu des employés dans le passé (quoique pas dans l’année précédente). Il semble (et il n’y a aucune preuve convaincante du contraire) que l’association d’employeurs représentait les entrepreneurs électriciens spécialisés, et non pas les entrepreneurs généraux. Dans ce contexte, le nom de Ellis‑Don peut avoir été omis dans la réponse du syndicat intimé, comme l’ont apparemment été les noms d’autres entrepreneurs généraux qui avaient signé la convention de travail, compte tenu du cadre de la demande initiale. La question n’est pas de savoir quelle est la conclusion la plus raisonnable ou quelle serait une conclusion raisonnable à tirer de l’omission du nom de Ellis‑Don, mais bien de savoir si cette omission équivaut à une renonciation. La Commission est d’avis qu’il est plus probable que l’omission du nom de Ellis‑Don à l’annexe F n’indiquait pas une renonciation aux droits de négociation. [Je souligne.]
Le critère appliqué par la formation (« il est plus probable que l’omission [. . .] n’indiquait pas une renonciation aux droits de négociation ») est typique d’une conclusion de fait. La révision ne révèle aucune modification de la question de principe ou du principe juridique régissant le poids à accorder à la preuve. Elle multiplie simplement les hypothèses au sujet des raisons pour lesquelles le syndicat aurait (ou n’aurait pas) agi comme il l’a fait. La Commission a donc choisi d’accorder moins d’importance à l’omission du syndicat d’inscrire l’appelante à l’annexe F et davantage d’importance à des facteurs hypothétiques. En d’autres termes, la preuve a été réévaluée apparemment par suite de la réunion plénière de la Commission. Cela est contraire à l’arrêt Consolidated-Bathurst.
La justification de la décision de la Commission par la Cour divisionnaire
91 Il revenait au juge Adams, de la Cour divisionnaire de l’Ontario ((1995), 89 O.A.C. 45), de suggérer une manière de justifier la décision définitive de la formation par rapport à sa décision initiale, au par. 31 :
[traduction] Plusieurs choix de principe s’offraient à la Commission quant aux faits tenus pour avérés: (i) l’absence de Ellis‑Don à l’annexe F constituait en soi la preuve de la renonciation aux droits de négociation; (ii) l’omission a donné lieu à une présomption réfutable de renonciation, ce qui obligeait la section locale 353 à fournir une explication; (iii) l’omission constituait un facteur à examiner au même titre que tous les autres éléments de preuve soumis à la Commission; ou enfin, (iv) l’omission de la section locale 353 d’inscrire le nom de Ellis‑Don à l’annexe F n’avait aucune pertinence, dans les circonstances, quant à la question de la renonciation. En fin de compte, la Commission a déterminé que l’omission de la part de la section locale 353 d’inscrire Ellis‑Don à l’annexe F constituait un facteur à prendre en considération et n’était pas déterminante dans les circonstances.
92 Les options sont présentées comme un menu de choix de principes, mais
l’extrait ne fait rien de plus que décrire les étapes de transition, à partir d’une forte conclusion, en passant par une faible conclusion, jusqu’à l’absence de conclusion. La question de savoir quelle importance devrait être accordée à la conduite du syndicat à la lumière de l’ensemble de la preuve entendue pendant plusieurs semaines me semble, de par sa nature même, relever du juge des faits. L’appelante n’avait pas affaire au ministère du Travail, où l’on ne s’attend pas à ce que les procédures ministérielles soient conformes à une méthode judiciaire ou quasi judiciaire de prise de décisions. La Loi sur les relations de travail de l’Ontario renferme la promesse d’un tribunal quasi judiciaire où syndicats et patrons font face aux décideurs. Tant que la promesse législative existe, les contraintes pertinentes en matière de conclusions relatives aux faits doivent être respectées.
93 La décision initiale de la formation, selon mon interprétation, ne donnait pas à entendre que l’absence de l’appelante à l’annexe F constituait en soi une renonciation. Il a été conclu dans la décision initiale que la décision du syndicat de ne pas inscrire l’appelante à l’annexe F [traduction] « constituait un facteur à examiner au même titre que tous les autres éléments de preuve », mais que, en l’absence d’explication ou de preuve contraire de la part du syndicat selon laquelle les droits de négociation avaient en fait été affirmés activement à un certain moment entre 1962 et 1971, rien ne pouvait être opposé à la conclusion fondée sur le bon sens selon laquelle il y avait eu renonciation.
94 La Cour divisionnaire a également blâmé l’appelante d’avoir omis de demander un nouvel examen par la Commission aux termes du par. 114(1) de la Loi. Apparemment, la cour n’a pas aimé la réplique quelque peu triomphale de l’avocat de l’appelante selon laquelle la Commission avait été [traduction] « pris[e] la main dans le sac », ni le fait qu’il n’était pas prêt à lui donner la possibilité de se sortir de cet embarras. Même si la requête en nouvel examen constituait une option, elle n’équivalait pas à un appel interne pour les fins de l’argument fondé sur [traduction] « l’épuisement des recours administratifs ». La position que la Commission a fait valoir avec ingéniosité et insistance en l’espèce reflète sans aucun doute ce que la formation aurait dit lors d’un nouvel examen, à savoir l’affirmation que Consolidated‑Bathurst a sanctionné la procédure adoptée dans la présente affaire.
L’omission d’obtenir la déposition de témoins membres de la Commission
95 L’appelante a obtenu une ordonnance du juge Steele, de la Cour de l’Ontario (Division générale) ((1992), 95 D.L.R. (4th) 56), qui obligeait le président de la Commission, la vice‑présidente qui a présidé la formation, et le registrateur de la Commission à comparaître [traduction] « afin d’obtenir des renseignements sur la procédure mise en œuvre par la CRTO pour en arriver à ses décisions définitives » (p. 58). La décision du juge des requêtes a été infirmée par la Cour divisionnaire de l’Ontario ((1994), 16 O.R. (3d) 698) sur le fondement de l’art. 111 de la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, ch. L.2 (maintenant l’art. 117), qui accorde l’exonération de l’obligation de témoigner dans les termes suivants :
Sauf si la Commission y consent, ses membres, son registrateur, et les autres membres de son personnel sont exemptés de l’obligation de témoigner dans une instance civile ou dans une instance devant la Commission ou devant toute autre commission, en ce qui concerne des renseignements obtenus dans le cadre de leurs fonctions ou en rapport avec celles‑ci dans le cadre de la présente loi.
96 La Cour d’appel de l’Ontario et, par la suite, notre Cour ([1995] 1 R.C.S. vii) ont refusé la permission d’interjeter appel de cette décision interlocutoire.
97 Le fait que l’art. 111 accorde l’exonération de l’obligation de témoigner peut se justifier par différentes raisons de principe, comme l’a souligné mon collègue le juge LeBel aux par. 52-53. Cela crée toutefois le problème suivant dans le contexte actuel :
[traduction] Les mesures de protection ne sont d’aucune utilité si elles ne peuvent pas être appliquées. Comment peut‑on utiliser le contrôle judiciaire pour vérifier les mesures de protection intégrées au processus décisionnel si le fonctionnement de ce processus se cache derrière le voile du secret du délibéré? Tout comme il y a au niveau du fond la nécessité de mesures de protection pour concilier la justice naturelle et la prise de décision institutionnelle, il faut trouver au niveau opérationnel un mécanisme conciliant la nécessité du contrôle judiciaire et le privilège du secret du délibéré.
(R. E. Hawkins, « Behind Closed Doors II : The Operational Problem — Deliberative Secrecy, Statutory Immunity and Testimonial Privilege » (1996), 10 C.J.A.L.P. 39, p. 40)
98 Dans l’arrêt Consolidated-Bathurst notre Cour a examiné la possibilité de redressement significatif lorsque les réunions plénières vont au‑delà du rôle qui leur revient. Cela a été démontré dans l’arrêt Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, dans lequel le juge Gonthier a écrit, à la p. 965 :
L’institutionnalisation des décisions des tribunaux administratifs crée une tension entre, d’une part, le traditionnel concept du secret du délibéré et, d’autre part, le droit fondamental d’une partie de savoir que la décision a été rendue en conformité avec les principes de justice naturelle. [. . .] Le caractère public de ces règles, par ailleurs fort souhaitable, est paradoxalement ce qui peut donner prise à une action en nullité ou à une évocation. L’apparence de justice peut être mise en cause. L’évolution bien particulière de la pratique des tribunaux administratifs oblige donc la Cour à s’immiscer dans des domaines où, s’il s’agissait d’un tribunal judiciaire, elle refuserait probablement de s’aventurer . . . [Je souligne.]
et à la p. 966 :
. . . de par la nature du contrôle qui est exercé sur leurs décisions, les tribunaux administratifs ne [peuvent] invoquer le secret du délibéré au même degré que les tribunaux judiciaires.
99 En l’espèce, la preuve non contestée révèle que dans sa décision initiale, la formation a tiré la conclusion de fait que le syndicat avait renoncé à ses droits de négociation. Dans sa décision définitive, elle a tiré la conclusion de fait que le syndicat n’avait pas renoncé à ses droits, et l’événement qui s’est produit entre ces deux décisions est la réunion plénière de la Commission. Dans l’arrêt Tremblay, le juge Gonthier a fait remarquer à la p. 980 :
. . . la procédure de signature anticipée des projets de décisions par les membres et assesseurs suivie en l’espèce m’apparaît être à déconseiller. Même si cette procédure s’avère pratique, elle ne fait qu’ajouter à l’apparence de partialité lorsqu’un décideur décide de modifier son opinion après libre consultation avec ses collègues.
(Même si, comme je l’ai mentionné, le dossier de notre Cour ne contient aucun exemplaire original signé de la décision initiale en l’espèce, la « copie certifiée conforme » qui a été déposée indique que l’original a été signé.) Le juge Gonthier a poursuivi aux p. 980-981 :
Le justiciable qui voit une «décision» qui lui était favorable se changer en décision défavorable ne pensera pas qu’il s’agit du processus normal de consultation; il aura plutôt l’impression qu’une pression extérieure a bel et bien fait changer d’avis les personnes d’abord favorables à sa cause.
100 L’appelante n’a pas à établir l’existence d’une « pression extérieure » en l’espèce. Il suffit qu’elle établisse le fondement d’une conclusion raisonnable que des questions factuelles ont été renvoyées pour fins de discussions à la réunion plénière de la Commission et qu’il aurait fallu que ces questions soient laissées à la formation pour qu’elle délibère en toute quiétude à leur sujet.
101 Vu l’article 111 l’appelante n’a pu aller au fond du processus décisionnel de la Commission en l’espèce. J’estime que cela n’empêche pas l’appelante d’établir le fondement d’un contrôle judiciaire. Notre Cour ne devrait pas fermer les yeux sur la difficulté de déterminer si l’appelante a établi sa preuve. Autrement, la restriction imposée par l’arrêt Consolidated-Bathurst devient un vœu pieux plutôt qu’une règle de droit exécutoire, question que soulève d’ailleurs le professeur David J. Mullan dans son commentaire d’arrêt :
[traduction] . . . il est possible de considérer que le jugement ne fait qu’attirer l’attention des membres sur leurs responsabilités sans qu’il n’y ait d’attente réelle que leur conduite fasse l’objet d’une surveillance continue.
(D. J. Mullan, « Policing the Consolidated‑Bathurst Limits — Of Whistleblowers and Other Assorted Characters » (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 241, p. 242)
102 J’estime que l’arrêt Tremblay a montré que notre Cour avait effectivement l’« attente réelle » que les limites imposées à la portée des réunions plénières soient exécutoires. Dans cette affaire, notre Cour a annulé la décision de la Commission des affaires sociales du Québec parce que son équivalent de la procédure de la réunion plénière compromettait la capacité de chaque formation de rendre sa propre décision à l’abri des contraintes imposées par des collègues.
103 La Commission est responsable du maintien du secret de ses délibérations et les tribunaux l’appuieront généralement à cet égard. Toutefois, lorsqu’une violation de ce secret provient de la Commission elle‑même, que ce soit en raison de la présence d’un dénonciateur ou pour d’autres raisons, les renseignements embarrassants ne peuvent pas disparaître comme par enchantement. On ne peut pas blâmer l’appelante d’avoir obtenu des renseignements qu’un membre retraité de la Commission a pris l’initiative de lui fournir.
104 Dans ses arguments, la Commission met notre Cour en garde contre le fait [traduction] « [d’]abaisser la barre » en matière de contrôle judiciaire et elle craint que dès [traduction] « qu’une allégation de faute serait faite, un tribunal administratif n’aurait pas d’autre choix que de révéler ses délibérations pour réfuter la “crainte raisonnable” ». La Commission interprète largement le mot « délibérations », qui comporte selon elle le processus de même que le fond, et elle dit que ce mot vise non seulement les décideurs (la formation), mais aussi tous ceux qui ont participé à la réunion plénière. Toutefois, la nature du contrôle judiciaire fait en sorte qu’il se peut que la Commission ait à lever le secret afin de dissiper des craintes légitimes au sujet de l’intégrité de son processus décisionnel. Dans un cas où le demandeur s’est acquitté de la charge initiale de présentation (comme en l’espèce), la solution de rechange pour la Commission consiste à permettre que la décision soit annulée pour que soit préservé le secret entourant son élaboration.
105 À mon avis, la Commission ne peut pas jouer sur les deux plans. Elle ne peut pas, avec l’aide du législateur, priver une personne dans la position de l’appelante de tout accès légitime aux renseignements pertinents, pour ensuite invoquer l’absence de ces mêmes renseignements en tant que réponse déterminante à la plainte de l’appelante. Nous ne sommes pas ici devant une situation sans issue. Le dossier révèle que la formation a modifié sa position sur une question de fait. Cela va à l’encontre de l’arrêt Consolidated‑Bathurst et il faut prendre les mesures appropriées pour que la confiance dans l’intégrité du processus décisionnel de la Commission soit préservée. Les exigences applicables en matière de contrôle judiciaire ont été expressément énoncées par le juge Gonthier dans Tremblay, p. 965-966 :
. . . lorsque les décisions d’un tribunal administratif sont sans appel, comme c’est le cas à la Commission, il n’existe qu’une seule façon de réviser celles‑ci: le contrôle de la légalité. Or, il relève de la nature même du contrôle judiciaire d’examiner, entre autres, le processus décisionnel du décideur. Certains des motifs pour lesquels une décision peut être attaquée portent même sur l’aspect interne de ce processus décisionnel: par exemple, la décision a‑t‑elle été prise sous la dictée d’un tiers? Résulte‑t‑elle de l’application aveugle d’une directive ou d’une politique pré‑établie? Tous ces événements sont concomitants au délibéré ou en font partie.
Il me semble donc que, de par la nature du contrôle qui est exercé sur leurs décisions, les tribunaux administratifs ne puissent invoquer le secret du délibéré au même degré que les tribunaux judiciaires. Le secret demeure bien sûr la règle, mais il pourra néanmoins être levé lorsque le justiciable peut faire état de raisons sérieuses de croire que le processus suivi n’a pas respecté les règles de justice naturelle. [Je souligne.]
106 Il est évident que dans Tremblay notre Cour ne faisait pas face à une disposition d’exonération de l’obligation de témoigner comparable à l’art. 111 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario. Néanmoins, notre Cour n’a pas pu avoir l’intention de faire une distinction entre fait et principe, pour voir ensuite l’application de cette distinction rendue impossible. Lorsque de telles difficultés en matière de preuve se présentent, comme en l’espèce, elles doivent être considérées comme faisant partie du fardeau de présentation de la preuve reposant sur l’appelante.
La présomption de régularité
107 La Cour d’appel de l’Ontario a estimé que la procédure de la Commission était protégée par la « présomption de régularité » ((1998), 38 O.R. (3d) 737, p. 740). Comme toute présomption réfutable, cette présomption s’efface devant une preuve contraire. Encore une fois en l’espèce, la Commission s’appuie sur le fait qu’elle a réussi à interdire à l’appelante l’accès aux renseignements pertinents pour renforcer la présomption et faire rejeter la plainte de l’appelante. Non seulement des assignations de témoins ont été annulées, mais la Commission a résisté avec succès aux tentatives de l’appelante d’obtenir des renseignements pertinents au moyen de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31, de la province. Partant de ce succès, la Commission se fonde sur l’énoncé du juge Gonthier dans Consolidated‑Bathurst, p. 336 :
L’appelante ne soutient pas que de nouveaux éléments de preuve ont été soumis à la réunion et le dossier ne révèle aucune violation de la règle audi alteram partem pour ce motif. La pratique définie par la Commission lors de ces réunions plénières consiste précisément à discuter des questions de politique en tenant pour avérés les faits établis par le banc. Il ne faut pas refuser les avantages que l’utilisation valable de ce processus de consultation peut procurer, uniquement à cause de la simple crainte que cette pratique établie ne soit pas respectée, en l’absence de toute preuve que la chose s’est produite. En l’espèce, le dossier ne contient aucune preuve que des questions de fait ont été discutées par la Commission lors de la réunion du 23 septembre 1983. [Je souligne.]
108 Lorsque, comme en l’espèce, une question sérieuse est soulevée à partir de documents émanant de la Commission même quant à savoir si les limites imposées par l’arrêt Consolidated‑Bathurst ont été respectées, je ne crois pas que la Commission puisse prétendre que l’omission de la partie d’obtenir la preuve supplémentaire que la Commission elle‑même a cherché à ne pas communiquer constitue une réponse complète à la plainte. La force de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de régularité varie selon la nature de l’affaire : W. Wade et C. Forsyth, Administrative Law (7e éd. 1994), p. 334. Quant aux difficultés qu’a éprouvées l’appelante à obtenir des éléments de preuve auxquels elle aurait eu droit en common law (Tremblay, p. 965-966), j’estime qu’elle s’est acquittée de sa charge de présentation consistant à déplacer la « présomption » de régularité.
109 La Commission se fonde sur l’intérêt public relatif à la gestion efficace de ses dossiers, mais il ne s’agit pas du seul intérêt public en jeu en l’espèce. La confiance du public dans l’intégrité du processus décisionnel des cours de justice et des tribunaux administratifs est de la plus haute importance. Les parties comparaissant devant la Commission ne doivent pas repartir avec la crainte raisonnable d’avoir été soumise à un processus irrégulier. Une fois qu’il a été déterminé en l’espèce que le changement intervenu entre la décision initiale et la décision définitive portait sur une question qui était presque entièrement factuelle et qui a néanmoins été soulevée à une réunion plénière de la Commission, j’estime que l’appelante a établi à première vue un fondement pour le contrôle judiciaire, que la Commission a décidé de ne pas réfuter en l’espèce. Conclure autrement indiquerait que notre Cour a confirmé, dans Consolidated‑Bathurst, l’existence de restrictions procédurales relatives aux réunions plénières sans qu’il n’y ait une réparation efficace pour la violation de ces restrictions.
110 Je ne pense pas qu’il soit nécessaire en l’espèce d’examiner la possibilité de réparation en matière de violation « apparente » du droit à une audience équitable. Je souligne toutefois que plusieurs des justifications que mon collègue le juge LeBel énumère, au par. 48, pour le recours aux « apparences » dans les affaires de partialité s’appliquent en l’espèce, tout particulièrement la difficulté de la preuve et la nécessité de défendre l’intégrité du processus décisionnel. Il sera généralement apparent qu’une personne a reçu ou non le genre d’audience à laquelle elle a droit. Connaissait-elle la preuve invoquée contre elle? Y a-t-il eu communication appropriée? Y a-t-il eu une audience? Des motifs ont‑ils été fournis? Ces motifs étaient‑ils adéquats? Généralement et contrairement aux affaires de partialité, un participant a suffisamment de renseignements pour déterminer le contenu de l’équité procédurale dans une affaire particulière et s’il en a bénéficié. En majeure partie, tous « verront » si le droit à une audience équitable a été respecté. Il s’agit en l’espèce d’une affaire différente. La loi interdit l’accès aux renseignements pertinents pour déterminer si la réunion plénière de la Commission était contraire à la justice naturelle. Les problèmes de renseignements et de preuve inhérents aux affaires de partialité, qui ont contribué à la création de la norme des « apparences », sont présents en l’espèce.
111 Il n’est cependant pas nécessaire en l’espèce de pénétrer sur ce territoire jurisprudentiel controversé. La preuve indique l’existence d’un renvoi de l’affaire à la réunion plénière et d’un changement de décision quant aux faits. Cela fait en sorte que l’appelante est visée par le principe énoncé par le juge Gonthier dans Consolidated‑Bathurst, p. 335-336 :
La détermination et l’évaluation des faits sont des tâches délicates qui dépendent de la crédibilité des témoins et de l’évaluation globale de la pertinence de tous les renseignements présentés en preuve. En général, les personnes qui n’ont pas entendu toute la preuve ne sont pas à même de bien remplir cette tâche et les règles de justice naturelle ne permettent pas à ces personnes de voter sur l’issue du litige. Leur participation aux discussions portant sur ces questions de fait pose moins de problèmes quand elles ne participent pas à la décision définitive. Cependant, j’estime que ces discussions violent généralement les règles de justice naturelle parce qu’elles permettent à des personnes qui ne sont pas parties au litige de faire des observations sur des questions de fait alors qu’elles n’ont pas entendu la preuve. [Je souligne.]
Sur ce point, il ne semble y avoir eu aucun désaccord entre le juge Gonthier et le juge Sopinka, dissident quant à l’issue, qui a écrit à la p. 296 :
. . . en matière d’atteinte à l’intégrité du processus décisionnel, il suffit qu’il y ait apparence d’injustice. On ne peut accepter que le tribunal nie ce qui paraît être une conclusion objective plausible. [Je souligne.]
Dès que l’on démontre la probabilité que la réunion plénière de la Commission ait empiété sur des questions décisionnelles devant être laissées à la formation, la question suivante du préjudice doit être examinée conformément à l’observation faite par le juge Dickson dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, p. 1116 : « Nous ne sommes pas concernés ici par la preuve de l’existence d’un préjudice réel mais plutôt par la possibilité ou la probabilité qu’aux yeux des gens raisonnables, il existe un préjudice. »
112 À mon avis, sous réserve de la question de la clause privative, l’appelante a droit à une nouvelle audience devant une formation différente de la Commission. Il ne s’agit pas d’une ordonnance facile à rendre compte tenu du fait que la présente affaire est devant la Commission et les tribunaux depuis de nombreuses années. Toutefois, les tribunaux ontariens ont refusé de suspendre l’ordonnance originale de la Commission confirmant les droits de négociation du syndicat intimé, de sorte que le délai n’a causé aucun préjudice au syndicat et à ses membres.
Les clauses privatives
113 Les décisions de la Commission sont protégées par une armée de dispositions législatives qui comprennent une « clause d’irrévocabilité » et une « clause privative » :
114. (1) [Compétence exclusive] La Commission a compétence exclusive pour exercer les pouvoirs que lui confère la présente loi ou qui lui sont conférés en vertu de celle‑ci et trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. Ses décisions ont force de chose jugée. Toutefois, la Commission peut à l’occasion, si elle estime que la mesure est opportune, réviser, modifier ou annuler ses propres décisions, ordonnances, directives ou déclarations.
116. [La décision de la Commission n’est pas susceptible de révision] Sont irrecevables devant un tribunal les demandes en contestation ou en révision des décisions, ordonnances, directives ou déclarations de la Commission ou les instances visant la contestation, la révision, la limitation ou l’interdiction de ses activités, par voie notamment d’injonctions, de jugement déclaratoire, de brefs de certiorari, mandamus, prohibition ou quo warranto.
114 L’effet de ces dispositions a été expliqué par le juge Dickson (plus tard Juge en chef), s’exprimant au nom de notre Cour dans l’arrêt Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382, p. 389 :
Un tribunal peut, d’une part, avoir compétence dans le sens strict du pouvoir de procéder à une enquête mais, au cours de cette enquête, faire quelque chose qui retire l’exercice de ce pouvoir de la sauvegarde de la clause privative ou limitative de recours. Des exemples de ce genre d’erreur seraient le fait d’agir de mauvaise foi, de fonder la décision sur des données étrangères à la question, d’omettre de tenir compte de facteurs pertinents, d’enfreindre les règles de la justice naturelle ou d’interpréter erronément les dispositions du texte législatif de façon à entreprendre une enquête ou répondre à une question dont il n’est pas saisi. [Je souligne.]
Dans le même sens, voir Université du Québec à Trois‑Rivières c. Laroque, [1993] 1 R.C.S. 471, p. 491 et 494; Metropolitan Life Insurance Co. c. International Union of Operating Engineers, Local 796, [1970] R.C.S. 425, p. 435; Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, op. cit., par. 13:5440, p. 13‑78; G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 4.100, p. 4-6. La Commission se situe à l’extrémité judiciaire de l’échelle des tribunaux administratifs mentionnée dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, p. 628-629. Lorsque, comme en l’espèce, la Commission accueille un grief et ordonne le versement de dommages‑intérêts en vertu d’une procédure qui a contrevenu aux principes de justice naturelle, l’ordonnance est rendue en l’absence de compétence et sera annulée malgré la clause privative.
Dispositif
115 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens et de renvoyer la demande du syndicat à la Commission des relations de travail de l’Ontario pour une nouvelle audience devant une formation différente. L’appelante a droit aux dépens sur une base de frais entre parties en notre Cour et dans les tribunaux d’instance inférieure.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Major et Binnie sont dissidents.
Procureurs de l’appelante : Lerner & Associates, Toronto.
Procureurs de l’intimée la Commission des relations de travail de l’Ontario : Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto.
Procureurs de l’intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 894 : Koskie Minsky, Toronto.