Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024
Free World Trust Appelante
c.
Électro Santé Inc., Paul Demers et Noël Desjardins Intimés
et
Promotion R.A.S. (1992) Inc. et Électronique SEM Inc. Demanderesses devant la Cour supérieure
et
Procter & Gamble Inc. Intervenante
Répertorié: Free World Trust c. Électro Santé Inc.
Référence neutre: 2000 CSC 66.
No du greffe: 26406.
1999: 14 décembre; 2000: 15 décembre.
Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un jugement de la Cour d’appel du Québec [1997] R.J.Q. 2907, 81 C.P.R. (3d) 456, [1997] A.Q. no 3479 (QL), qui a accueilli en partie l’appel interjeté par l’appelante contre un jugement de la Cour supérieure, qui avait statué que les brevets de l’appelante étaient invalides et que les intimés ne les avaient pas contrefaits. Pourvoi rejeté.
Louis Masson et Nathalie Vaillant, pour l’appelante.
Personne n’a comparu pour les intimés.
Bruce W. Stratton et Dino P. Clarizio, pour l’intervenante.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Binnie — Dans le cadre du présent pourvoi, notre Cour est principalement appelée à déterminer dans quelle mesure le monopole conféré par un brevet protège l’«essentiel» ou l’«esprit» de l’invention, par opposition à ce qui est expressément énoncé dans les revendications écrites, et si en l’espèce, les revendications des brevets de l’appelante sont suffisamment extensibles pour englober l’appareil d’électromagnétothérapie de l’intimée Électro Santé Inc.
2 Plus précisément, l’appelante reconnaît que l’appareil des intimés, qui est utilisé dans le traitement d’affections physiques comme le rhumatisme et l’arthrite, ne correspond pas exactement à la description qui figure dans les revendications écrites de ses brevets. Elle soutient cependant que les intimés se sont approprié l’essentiel de son invention et elle demande une injonction ainsi que des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs.
3 Le présent pourvoi soulève donc d’importantes questions concernant la portée du monopole que confère le brevet à son titulaire. Une interprétation trop extensible de la portée des revendications crée de l’incertitude et entrave la concurrence. Une protection trop restreinte prive l’inventeur de l’avantage qu’on lui a promis en échange de la divulgation complète du fruit de son ingéniosité. La Cour d’appel du Québec a statué que les appareils des intimés ne contrefaisaient ni la lettre ni l’essentiel des brevets de l’appelante. Je crois que cette conclusion est juste, bien que j’y arrive à l’issue d’une démarche quelque peu différente. Le pourvoi doit donc être rejeté.
I. Les faits
4 L’appelante, Free World Trust, est titulaire des brevets d’invention 1 113 156 (le «brevet 156») et 1 150 361 (le «brevet 361») délivrés respectivement en 1981 et en 1983. Les brevets visent un appareil qui irradie différentes parties du corps humain d’ondes électromagnétiques de basse fréquence. L’électromagnétothérapie n’est pas un traitement nouveau, mais l’appelante a convaincu le commissaire aux brevets qu’elle avait découvert une nouvelle façon de régler, à l’aide de «circuits», l’amplitude et la fréquence des ondes électromagnétiques de façon à obtenir les effets bénéfiques voulus. L’appelante a exploité l’invention visée par ces brevets en commercialisant avec succès un appareil appelé Rhumart. En 1991, elle a vendu 3 525 systèmes Rhumart, son chiffre d’affaires à cet égard s’élevant alors à 13 683 240 $.
5 Le 4 mars 1992, l’intimé Paul Demers a résigné ses fonctions en tant que représentant des ventes de l’appelante et a mis sur pied la société intimée afin de concevoir et de lancer sur le marché des appareils d’électromagnétothérapie appelés à concurrencer ceux de son ancien employeur. Environ six mois après le départ de M. Demers de la société appelante, le «nouveau» produit était offert en vente. L’intimé Noël Desjardins, qui était auparavant un distributeur indépendant des systèmes Rhumart, s’est joint à M. Demers pour le faire bénéficier de son expérience en matière de distribution et de mise en marché.
6 L’appareil des intimés (appelé «Électro‑Santé») permettait d’obtenir des effets thérapeutiques semblables, mais à l’aide d’une technique quelque peu différente. Le litige porte sur cette différence et sur la question de savoir si elle est suffisamment importante pour soustraire l’appareil des intimés au monopole de l’appelante. Est d’une importance particulière le fait que les brevets de l’appelante enseignent l’utilisation de «circuits de contrôle» pour réguler le champ magnétique des ondes ou des impulsions dont la fréquence, l’orientation et l’amplitude sont cruciales à la thérapie. Son appareil, le Rhumart, était doté de tels «circuits de contrôle». Les appareils Électro‑Santé des intimés étaient par contre dotés d’un «microcontrôleur» qui, selon l’expert retenu par l’appelante, constitue un «élément très polyvalent, au même titre qu’un ordinateur IBM PC ou autre». L’expert a reconnu que ce mode de régulation du champ magnétique diffère de ce qui est envisagé dans les revendications du brevet. Cependant, l’appelante estime que, en fin de compte, le résultat est le même et qu’il y a donc contrefaçon.
II. Les jugements des juridictions inférieures
1. Première instance (Cour supérieure du Québec ‑- Le juge Bergeron)
7 Le juge de première instance a conclu à l’invalidité des brevets obtenus par l’appelante. La Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, prévoit qu’un brevet ne peut être accordé pour une invention qui a été décrite dans une publication imprimée au Canada ou dans un autre pays plus de deux ans avant la demande de brevet (par. 27(1) et 28(2)). De l’avis du juge Bergeron, l’invention décrite dans les revendications du brevet avait déjà fait l’objet, en 1975, d’un article de G. R. Solov'eva intitulé «Instrumentation and Applications of Low‑Frequency Magnetotherapy». Il a conclu que l’article de Solov'eva renfermait tous les éléments fondamentaux nécessaires à la réalisation de l’invention revendiquée, de sorte que les brevets se heurtaient à une antériorité et étaient par conséquent invalides:
À notre avis, l’article de Solov’eva révèle tous les éléments fondamentaux pouvant permettre à une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention de confectionner ou construire l’objet de l’invention. Nous retrouvons dans cet article la présence de toutes les caractéristiques essentielles décrites dans les revendications des brevets. Il s’agit d’une publication qui décrit l’invention faisant l’objet des brevets 1,113,156 et 1,150,361.
Vu cette conclusion, le juge Bergeron a rejeté l’action sans se prononcer sur la question de la contrefaçon du brevet. L’allégation de concurrence déloyale visant les intimés Demers et Desjardins a elle aussi été rejetée.
2. Cour d’appel (Le juge Rousseau‑Houle, s’exprimant au nom de la Cour), [1997] R.J.Q. 2907
8 Le juge Rousseau-Houle a cité la disposition de la Loi sur les brevets, qui crée une présomption de validité du brevet. Il incombait donc aux intimés d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la non‑validité des brevets de l’appelante. Les intimés ne se sont pas acquittés de ce fardeau de preuve. L’article de Solov'eva ne renfermait pas tous les éléments essentiels des revendications du brevet et ne fournissait pas à une personne versée dans l’art l’information nécessaire pour construire, sans risque d’erreur, l’appareil breveté. Le juge Rousseau‑Houle a également rejeté les allégations d’absence d’ingéniosité et d’esprit inventif. En conséquence, elle a écarté la conclusion d’invalidité du brevet tirée en première instance et a déclaré valides les brevets 156 et 361.
9 En ce qui concerne la contrefaçon, le juge Rousseau‑Houle a examiné les principes applicables à l’interprétation des revendications d’un brevet et a fait remarquer que la thèse de l’appelante s’appuyait sur une allégation de contrefaçon de l’«essentiel» du brevet. Elle a relevé certaines différences et similarités entre le système Électro‑Santé et le système Rhumart, puis a conclu que le premier se distinguait suffisamment du second pour échapper à la portée des brevets. Elle a donc rejeté l’allégation de contrefaçon. L’appel concernant une injonction et des dommages-intérêts a donc été rejeté.
10 Le syndic de faillite des intimés a choisi de ne pas participer au pourvoi dont notre Cour est saisie. Par contre, Procter & Gamble Inc. s’est vu reconnaître la qualité d’intervenante pour défendre le bien‑fondé de la décision de la Cour d’appel du Québec.
III. Les dispositions législatives pertinentes
11 Puisque les brevets en cause ont été délivrés avant le 1er octobre 1989, les dispositions de l’ancienne Loi sur les brevets s’appliquent. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, disposent:
paragraphe 27(1). [Demandes de brevets]
Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le «dépôt de la demande», et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas:
a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui‑même l’ait faite;
b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci‑après mentionnée;
c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.
Paragraphe 28(2). [prescription]
Aucun brevet ne peut être accordé sur une demande de brevet pour une invention qui a été brevetée ou décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans un autre pays, plus de deux ans avant la date du dépôt réel de la demande au Canada, ou qui a été d’un usage public ou en vente au Canada depuis plus de deux ans avant ce dépôt.
Article 34. [Mémoire descriptif]
(1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur:
a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;
b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;
c) s’il s’agit d’une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont il a conçu l’application de ce principe;
d) s’il s’agit d’un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions;
e) indique particulièrement et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention.
(2) Revendications -- Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.
Article 44. [Teneur et effet du brevet]
Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou nom de l’invention, avec renvoi au mémoire descriptif, et accorde, sous réserve des conditions prescrites dans la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée y mentionnée, à partir de la date de la concession du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.
12 Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiées par L.C. 1993, ch. 15, disposent:
Article 10. [Consultation des documents]
(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et de l’article 20, les brevets, demandes de brevet et documents relatifs à ceux-ci, déposés au Bureau des brevets, peuvent y être consultés aux conditions réglementaires.
(2) Période de non-consultation -- Sauf sur autorisation du demandeur, une demande de brevet et les documents relatifs à celle-ci ne peuvent être consultés avant l’expiration d’une période de dix-huit mois.
(3) Calcul de la période -- La période se calcule à compter de la date de dépôt de la demande de brevet ou, si une demande de priorité a été présentée à l’égard de celle-ci, de la date de dépôt de la première demande antérieurement déposée de façon régulière sur laquelle la demande de priorité est fondée.
Article 55 [Contrefaçon et recours]
(1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.
(2) Indemnité raisonnable -- Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.
IV. L’analyse
13 La protection assurée par un brevet se fonde sur la notion d’un marché conclu entre l’inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l’invention, l’inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l’exploiter. Il en a toujours été ainsi. Même avant la Statute of Monopolies (1623), l’État récompensait l’inventeur en lui accordant un monopole pour une période restreinte en échange de la divulgation [traduction] «d’une nouvelle invention et d’une nouvelle activité dans le royaume [. . .] ou lorsqu’un homme faisait la découverte de quelque chose de nouveau»: Clothworkers of Ipswich Case (1653), Godb. 252, 78 E.R. 147, à la p. 148, où la cour a ajouté qu’un monopole injustifié avait pour effet [traduction] «d’abolir le libre échange, qui est un droit que chaque sujet acquiert en naissant». Les intimés prétendent que l’appelante n’a pas respecté le marché et ce, sous deux rapports. Premièrement, elle n’a pas fait la découverte de quelque chose de nouveau. Ses brevets n’enseignent rien qui n’était pas déjà bien connu. Ils sont donc invalides. Deuxièmement, même si les brevets étaient valides, l’appelante exagère la portée du marché intervenu avec le public en alléguant maintenant que son monopole englobe des appareils qui ne font l’objet d’aucun enseignement, divulgation ou revendication dans ses brevets. L’appelante tente d’obtenir quelque chose sans rien fournir en retour. Elle n’a donné aucune contrepartie en échange de la protection par brevet qu’elle revendique maintenant. Telle est la prétention des intimés.
1. Les revendications en cause
14 Les revendications d’un brevet sont souvent comparées à des «clôtures» et à des «frontières» qui délimiteraient clairement les «champs» faisant l’objet du monopole. Ainsi, dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, le président Thorson s’exprime dans les termes suivants, à la p. 352:
[traduction] En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.
15 En réalité, les «clôtures» sont souvent constituées d’une superposition complexe de définitions de différents éléments (ou «composants» ou «caractéristiques» ou «parties intégrantes») dont la complexité, l’interchangeabilité et l’ingéniosité sont variables. Un ensemble de mots et d’expressions définit le monopole, met le public en garde et piège le contrefacteur. Dans certains cas, les éléments précis de la «clôture» peuvent être cruciaux ou «essentiels» au fonctionnement de l’invention revendiquée; dans d’autres, l’inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l’invention, et la personne versée dans l’art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non‑essentiel et d’accorder au «champ» délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.
16 L’issue du présent pourvoi dépend en somme de l’interprétation de la première revendication de chacun des deux brevets (comme les autres revendications incorporent la première revendication et s’appuient sur elle, il n’y a pas lieu de les examiner à fond).
a) Le brevet 156
17 [traduction] 1. Système thérapeutique électromagnétique à basse fréquence comprenant une bobine de magnétisation, qui est immobilisée pendant un traitement par champ magnétique, pour créer un champ magnétique thérapeutique présélectionné en réponse à des formes d’ondes présélectionnées de courant d’excitation de la bobine, le champ magnétique ayant les caractéristiques de traitement voulues et son intensité étant réglée par des moyens de contrôle, qui comprennent également:
(i) des circuits permettant de régler l’amplitude de crête du champ magnétique pour obtenir une modulation particulière de l’amplitude de crête en un temps donné;
(ii) des moyens de sélection de l’orientation et (ou) de la direction du champ magnétique thérapeutique par rapport au tissu à traiter;
(iii) des circuits permettant de sélectionner la fréquence d’interruption du courant d’excitation de la bobine pour obtenir le profil sélectionné parmi divers profils de champ magnétique thérapeutique en fonction du temps;
(iv) des moyens de sélection de la durée de traitement voulue: des moyens de démagnétisation automatique selon un temps et un mode de démagnétisation présélectionnés en vue de réduire le champ de la façon voulue pour mettre fin au traitement par champ magnétique.
b) Le brevet 361
18 La première revendication du brevet 361 apporte certaines améliorations au brevet 156; les principales innovations résident dans le traitement plus précis que permettent les moyens de contrôle. Même si elle ne fait pas mention d’une bobine «immobilisée», elle prévoit des «moyens de fixation de la bobine dans une position prédéterminée» et reprend l’exigence d’un «circuit de contrôle» pour régler l’amplitude et la fréquence. Voici la teneur de la première revendication, qui définit le monopole étendu de l’appelante:
[traduction] 1. Système thérapeutique électromagnétique à basse fréquence comprenant une bobine de magnétisation pour créer un champ électromagnétique, des moyens de fixation de la bobine dans une position prédéterminée, un générateur permettant d’alimenter la bobine de signaux de traitement prédéterminés pour obtenir une caractéristique voulue du champ magnétique et des circuits de contrôle permettant de sélectionner les caractéristiques voulues des signaux de traitement, les circuits de contrôle comprenant (i) des moyens de contrôle de l’intensité de crête du champ magnétique voulu, (ii) des moyens de contrôle de fréquence pour sélectionner la fréquence des signaux de traitement afin d’obtenir un type sélectionné parmi plusieurs signaux de traitement, (iii) des moyens de réglage permettant de prérégler la durée des signaux de traitement et du champ électromagnétique, les caractéristiques voulues du champ magnétique étant prédéterminées à partir d’un tableau de profils de champ magnétique représentatif des paramètres du champ de la bobine de magnétisation dans l’espace entourant la bobine afin d’obtenir une gamme voulue d’intensités du champ et une orientation voulue de ce champ par rapport à la position de la bobine.
19 Le présent pourvoi porte tant sur la validité des brevets que sur leur contrefaçon. Dans les deux cas, l’analyse doit débuter par l’interprétation des revendications.
2. L’interprétation des revendications
20 Compte tenu de la preuve d’expert entendue en première instance concernant le sens des termes utilisés et vu la compréhension que pouvait en avoir à la date du brevet un travailleur moyen versé dans l’art des appareils d’électromagnétothérapie et ayant les connaissances usuelles des personnes travaillant dans ce domaine, il appert que certains éléments des brevets 156 et 361 sont essentiels pour que l’appareil fonctionne comme l’a prévu l’inventeur et conformément aux revendications, et que d’autres ne le sont pas. Les éléments non essentiels peuvent être substitués ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications n’en soit substantiellement modifié.
a) Les éléments essentiels
21 Les éléments essentiels communs aux revendications des brevets 156 et 361 comprennent à tout le moins:
1. un contrôle réglant l’amplitude de crête et la fréquence d’interruption du courant qui «excite» la bobine;
2. des «circuits» assurant ce réglage.
22 Il n’est pas nécessaire aux fins des présentes de donner le détail des autres caractéristiques de l’invention. La prétention est que l’appareil qui ne comprend pas ces éléments essentiels échappe clairement au monopole délimité par les revendications.
b) Les éléments non essentiels
23 Le brevet 156 comprend un certain nombre de revendications supplémentaires, qui découlent de la première revendication. Ainsi, par exemple, les revendications 4 et 5 décrivent un [traduction] «condensateur déchargé de façon répétée» qui injecte un courant électrique dans une bobine de magnétisation par voie d’une résistance d’amortissement et qui peut être câblé de façon à diviser le courant en impulsions (forme d’onde pulsée) pour produire des champs magnétiques. L’appelante fait valoir qu’un appareil de ce genre constituerait une contrefaçon de son brevet. Toutefois, la preuve révèle qu’une grande partie de ce matériel est couramment utilisé dans les laboratoires universitaires et en d’autres lieux où sont produits des champs magnétiques à l’aide de courants électriques transmis par des fils hélicoïdaux. Ces éléments sont visés par le brevet uniquement en raison de leur emploi de pair avec les éléments «essentiels» de l’invention décrite dans la première revendication. Dans le cas de certains de ces éléments spécifiques, n’importe quelle personne versée dans l’art qui aurait pris connaissance du brevet à la date de sa publication aurait immédiatement constaté l’existence de substituts ou d’équivalents mécaniques connus qui feraient tout aussi bien l’affaire. Les revendications du brevet 361 prévoient en outre un certain nombre de composants interchangeables qui ne font pas partie essentielle de l’invention. Ainsi, les revendications 5, 14 et 20 du brevet 361 mentionnent l’utilisation d’interrupteurs en liaison avec l’appareil décrit dans la première revendication. Ces composants ne sont pas eux‑mêmes brevetés; en fait, ils ne pourraient l’être, car il s’agit de matériel que les personnes versées dans le génie électrique connaissent et utilisent habituellement. Ils figurent dans la revendication en tant qu’élément d’une combinaison ingénieuse. Dans la présente affaire, le remplacement d’un type d’interrupteur par un autre ne toucherait pas les éléments essentiels de l’invention.
3. La validité des brevets en cause
24 Le juge de première instance a déclaré les brevets invalides parce qu’il convenait avec les intimés que les inventions faisant l’objet des brevets 156 et 361 avaient été entièrement décrites dans l’article de 1975 de Solov'eva. Il a donc conclu que l’«invention» était considérée comme ayant été décrite «dans une publication imprimée au Canada ou dans un autre pays, plus de deux ans» avant le dépôt de la demande de brevet et, par conséquent, n’était pas brevetable suivant le par. 28(2) de la Loi.
25 La défense fondée sur l’antériorité découlant d’une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu’il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire. En l’occurrence, les intimés prétendent que tous les éléments essentiels des prétendues inventions de l’appelante avaient été divulgués dans une seule publication, savoir l’article de Solov'eva, environ quatre ans avant la demande de brevet. Si tel est le cas, le brevet est invalide.
26 Les intimés ont appris l’existence de l’article de Solov'eva en prenant connaissance du mémoire descriptif du brevet 361, l’appelante en faisant mention à titre d’antériorité. La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article renferme suffisamment d’information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, [traduction] «la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique» (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), aux pp. 126 et 127). En d’autres mots, les renseignements donnés par Solov'eva étaient‑ils, «en termes d’utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés»? (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Dickson, à la p. 534), ou, pour reprendre l’exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la p. 486:
[traduction] Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.
Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité:
Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.
(Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)
27 En toute déférence, il est clair que l’article de Solov'eva n’aborde pas et résout encore moins les difficultés techniques sur lesquelles portent les brevets en cause. Il ne s’agit de rien de plus qu’un résumé de quatre pages de l’histoire de l’électromagnétothérapie. L’article fait état de certains des différents systèmes offerts en 1975 en Europe et au Japon. Il convient de signaler que l’appelante ne prétend pas avoir inventé l’électromagnétothérapie. Elle a obtenu un brevet pour un moyen en particulier. Même si les différents composants étaient déjà connus des personnes versées dans l’art, l’inventeur les a combinés pour obtenir ce que le commissaire aux brevets a qualifié de résultat nouveau, utile et ingénieux. L’invention revendiquée correspondait à une combinaison ingénieuse de composants déjà connus, et non à leur simple juxtaposition (The King c. Uhlemann Optical Co., [1952] 1 R.C.S. 143, le juge en chef Rinfret, à la p. 150; Domtar Ltée c. MacMillan Bloedel Packaging Ltée, [1977] A.C.F. no 207 (QL) (1re inst.), aux par. 28 à 33). La combinaison ingénieuse n’était ni enseignée ni envisagée dans l’article de Solov'eva. Aucun des autres arguments invoqués à l’encontre de la validité des brevets n’est convaincant. Le breveté a respecté les obligations contractées dans le cadre du marché en divulguant une invention. Les brevets sont valides.
4. Les questions relatives à la contrefaçon
28 Le présent pourvoi porte essentiellement sur la contrefaçon. Depuis au moins l’arrêt Grip Printing and Publishing Co. of Toronto c. Butterfield (1885), 11 R.C.S. 291, il est établi que le titulaire d’un brevet dispose d’un recours contre tout contrefacteur éventuel qui, sans s’approprier littéralement l’invention, s’approprie néanmoins l’essentiel de celle‑ci (ou sa «substance»). Cette protection accrue du breveté est reconnue en droit anglo‑canadien. Elle est également accordée dans une forme modifiée aux États‑Unis suivant la théorie des équivalents, qui peut être invoquée à l’encontre du fabricant d’un appareil accomplissant essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat: Graver Tank & Mfg. Co. c. Linde Air Products Co., 339 U.S. 605 (1950), à la p. 608.
29 Limiter la portée de la «contrefaçon de l’essentiel du brevet» est manifestement une importante question d’intérêt public. L’application purement textuelle des revendications permettrait à une personne versée dans l’art d’apporter à l’appareil des modifications légères et sans importance et de s’approprier ainsi l’essentiel de l’invention en copiant l’appareil tout en échappant au monopole. Une interprétation plus large risque par contre de conférer au breveté les avantages d’inventions qui ne lui sont pas attribuables dans les faits, mais qui pourraient être jugées, avec le recul, «équivalentes» à ce qui a été inventé. Un tel résultat serait injuste pour le public et pour les concurrents. Il importe que le système de concession de brevets soit juste et que son fonctionnement soit prévisible.
30 Les intimés soutiennent que, même si les brevets sont valides, l’appelante ne respecte pas le marché qu’elle a conclu. Elle repousse les frontières de la théorie de la «contrefaçon de l’essentiel du brevet» au‑delà de ce qui est divulgué ou revendiqué dans ses mémoires descriptifs. L’inventeur a combiné des composants connus pour obtenir un résultat utile et ingénieux et s’en prend maintenant à l’appareil des intimés qui réunit des composants différents pour obtenir un résultat comparable.
31 Le présent pourvoi soulève donc la question fondamentale de la démarche qui s’impose pour arbitrer «contrefaçon textuelle» et «contrefaçon de l’essentiel du brevet» de façon à obtenir un résultat juste et prévisible. D’innombrables débats ont eu lieu à ce sujet au Canada et ailleurs dans le monde; j’en ferai état brièvement à l’appui des propositions suivantes:
a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.
b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.
c) La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme «l’esprit de l’invention» pour en accroître l’étendue.
e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés:
(i) en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;
(ii) à la date à laquelle le brevet est publié;
(iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou
(iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;
(v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.
f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.
32 À partir de ces principes, je conclus que les arguments de l’appelante doivent être écartés. Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. J’examinerai maintenant la première des propositions énumérées.
a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications
33 La Loi sur les brevets exige que les lettres patentes accordant un monopole au titulaire du brevet renferment un mémoire descriptif qui «divulgue» avec exactitude et exhaustivité l’invention, c.‑à‑d. qui «décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur» (al. 34(1)a)). La divulgation est suivie d’«une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif» (par. 34(2)). C’est donc pour l’invention ainsi revendiquée que le breveté obtient «le droit, la faculté et le privilège exclusifs» d’exploitation (art. 44). Ces dispositions, et les dispositions apparentées d’autres pays, ont donné naissance à deux écoles de pensée. Pour l’une d’elles, la revendication renferme une idée d’ordre technique et son interprétation doit se fonder sur le fond et non sur la forme afin de protéger l’idée qui sous-tend la teneur des revendications. Il s’agit de ce qu’on appelle parfois le «principe de revendication centrale» et qui est associé aux systèmes allemand et japonais de protection par brevet: T. Takenaka, «Doctrine of Equivalents after Hilton Davis: A Comparative Law Analysis» (1996), 22 Rutgers Computer & Tech. L. J. 479, aux pp. 491, 502 et 519. L’autre école de pensée, qui appuie ce qu’on appelle parfois le «principe de revendication périphérique», met l’accent sur la teneur des revendications en tenant pour acquis qu’elle définit non pas l’idée technique sous‑jacente, mais bien la portée juridique du monopole accordé par l’État. Pour des raison d’équité et de prévisibilité, les tribunaux canadiens ont traditionnellement privilégié la seconde école de pensée.
34 Au pays, les tenants de l’«esprit de l’invention» s’appuient sur l’arrêt Electrolier Manufacturing Co. c. Dominion Manufacturers Ltd., [1934] R.C.S. 436. Dans cette affaire, qui portait sur un appareil permettant de faire pivoter les poignées d’un cercueil, le juge Rinfret a fait mention de l’«esprit de l’invention», mais en citant textuellement le brevet (à la p. 443):
[traduction] Ce que l’appelante a fait ‑- et ce en quoi consiste vraiment la contrefaçon -‑ c’est s’approprier l’idée qui constituait le véritable objet de l’invention. Peu importe qu’elle ait aussi adopté la substitution des deux trous à la barre dans les dispositifs de pivotement. La forme exacte de ces dispositifs importait peu. Suivant la teneur du brevet, ils pouvaient faire l’objet d’une modification «tout en respectant l’esprit de l’invention». [Je souligne.]
À la p. 444, le juge Rinfret lie explicitement sa conclusion concernant la contrefaçon à une [traduction] «juste interprétation de la teneur du mémoire descriptif».
35 Tant les tenants du «principe de revendication centrale» que ceux du «principe de revendication périphérique» peuvent invoquer des arrêts à l’appui de leurs thèses respectives. Dans une affaire assez ancienne, Smith Incubator Co. c. Seiling, [1936] R.C.S. 251, à la p. 259, un avocat a signalé qu’il semblait y avoir deux courants opposés:
[traduction] Suivant l’un de ces courants, il convient d’examiner ce qui constitue l’«essentiel» ou l’«esprit» de l’invention et d’interpréter le brevet en conséquence. L’autre veut que l’on considère la teneur des revendications comme déterminant de manière définitive l’étendue du monopole accordé par l’État et qu’on y donne ou non effet en fonction des expressions qu’il renferme dans la mesure où ces expressions sont convenablement interprétées et où leur sens est déterminé.
Ce à quoi le juge Rinfret a répondu au nom de la Cour (aux pp. 259-260):
[traduction] À notre avis, la règle exige que les revendications soient considérées comme déterminant de manière définitive l’étendue du monopole, compte tenu d’une interprétation juste et appropriée des expressions qu’elles renferment.
36 Dans l’arrêt J. K. Smit & Sons, Inc. c. McClintock, [1940] R.C.S. 279, le juge en chef Duff, s’exprimant au nom de notre Cour, a infirmé la conclusion de la Cour de l’Échiquier qu’il y avait eu contrefaçon, parce que, selon lui, [traduction] «les revendications ne renfermaient pas la description d’un monopole interdisant clairement et nettement» (p. 287) la contrefaçon alléguée. L’arrêt Gillette Safety Razor Co. of Canada c. Pal Blade Corp., [1933] R.C.S. 142, le juge Rinfret, à la p. 147, va dans le même sens.
37 En ce qui a trait aux États‑Unis, j’ai fait mention précédemment de l’arrêt charnière Graver Tank datant de 1950. Plus récemment, la Cour suprême des États‑Unis s’est à nouveau penchée sur la théorie des équivalents dans l’affaire Warner‑Jenkinson Co. c. Hilton Davis Chemical Co., 520 U.S. 17 (1997), et a conclu par la voix du juge Thomas, aux pp. 28 et 29:
[traduction] Nous partageons toutefois l’inquiétude des juges dissidents des juridictions inférieures, savoir que la théorie des équivalents, telle qu’elle est appliquée depuis l’arrêt Graver Tank, a acquis une vie qui lui est propre, sans que les revendications du brevet n’en limitent l’application. On ne saurait nier que la théorie des équivalents, interprétée de manière extensive, est incompatible avec la raison d’être de l’exigence légale de la revendication qui est de définir l’invention et d’informer le public.
38 Tout comme nous, les tribunaux américains dissocient les éléments constitutifs de l’invention décrite dans les revendications du brevet, mais au lieu de qualifier un composant d’essentiel ou de non essentiel, ils considèrent tous les éléments comme «substantiels»; le juge Thomas, à la p. 29:
[traduction] Chacun des éléments de la revendication du brevet est réputé substantiel aux fins de circonscrire l’invention brevetée. Par conséquent, la théorie des équivalents doit être appliquée aux éléments individuels de la revendication, et non à l’invention dans son ensemble. Il importe de faire en sorte que l’application de la théorie, même à un élément individuel, ne joue pas un rôle si grand qu’elle supprime dans les faits cet élément dans sa totalité.
La théorie américaine des équivalents permet ainsi la souplesse en ce que le tribunal se demande si chacun des éléments constitutifs de l’invention revendiquée se retrouve dans l’appareil en cause, qu’il figure textuellement dans la revendication ou qu’il s’agisse d’un élément «équivalent». La connaissance de l’interchangeabilité est appréciée à la date de la contrefaçon et non à celle du brevet (ibid., à la p. 37). La théorie américaine se sert donc des revendications du brevet comme d’un tremplin vers d’autres considérations (y compris la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet) dont certaines sont extrinsèques par rapport aux revendications comme telles.
39 Les tribunaux anglais ont également débattu la question de l’étendue que doit avoir le monopole conféré par un brevet. Dans Clark c. Adie (1873), L.R. 10 Ch. 667, à la p. 675, le lord juge James a parlé de [traduction] «l’essence ou la substance de l’invention qui sous‑tend la simple forme fortuitement revêtue; et cette invention, comme toute autre invention, peut être piratée par un vol sous une forme déguisée ou tronquée». Par ailleurs, dans l’arrêt Electric & Musical Industries Ld. c. Lissen Ld. (1939), 56 R.P.C. 23 (H.L.), lord Russell a dit à la p. 39:
[traduction] Le breveté qui écrit une invention dans le corps d’un mémoire descriptif ne se voit accorder aucun monopole autre que ce qui figure dans les revendications [. . .] [I]l ne saurait y avoir de contrefaçon de l’intérêt en equity du brevet. . .
La primauté de la teneur des revendication a été catégoriquement confirmée dans la décision Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (H.L.), qui a été fort bien accueillie. La démarche préconisée dans Catnic a été reprise en Nouvelle‑Zélande dans Interpress Associates Ltd. c. Pacific Coilcoaters Ltd. (1994), 29 I.P.R. 635 (H.C.), et Smale c. North Sails Ltd., [1991] 3 N.Z.L.R. 19 (H.C.); en Australie dans Populin c. H.B. Nominees Pty. Ltd. (1982), 59 F.L.R. 37 (Fed. Ct. (Gen. Div.)), à la p. 43, et Rhone-Poulenc Agrochimie SA c. UIM Chemical Services Pty. Ltd. (1986), 68 A.L.R. 77 (Fed. Ct. (Gen. Div.)), aux pp. 92 et 93; en Afrique du Sud dans Multotec Manufacturing (Pty.) Ltd. c. Screenex Wire Weaving Manufacturers (Pty.) Ltd., 1983 (1) SA 709 (App. Div.), et Sappi Fine Papers (Pty.) Ltd. c. ICI Canada Inc. (Formerly CIL Inc.), 1992 (3) SA 306 (App. Div.); de même qu’à Hong Kong dans Improver Corp. c. Raymond Industrial Ltd., [1991] F.S.R. 233 (C.A.). La décision Catnic a évidemment ses détracteurs, spécialement parmi ceux qui estiment que son application ultérieure sous le régime de la Convention sur le brevet européen prive le breveté de la protection plus grande accordée aux brevetés dans les pays du continent européen. Pour certains détracteurs, il serait plus opportun d’assimiler les revendications non pas à une «clôture», mais à une «balise»: J. D. C. Turner, «Purposive Construction: Seven Reasons Why Catnic is Wrong» (1999), 21 E.I.P.R. 531; M. Sajewycz, «Patent Claim Interpretation as It Should Be: Promoting the Objects of the Patent Act» (1996-97), 13 R.C.P.I. 173; R. E. Annand, «Infringement of Patents ‑- Is “Catnic” the Correct Approach for Determining the Scope of a Patent Monopoly Under the Patents Act 1977?» (1992), 21 Anglo‑Am. L. Rev. 39.
40 Le jugement de lord Diplock a été appliqué à l’issue d’un examen par la Cour d’appel fédérale dans Eli Lilly & Co. c. O'Hara Manufacturing Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, et dans les décisions ultérieures inspirées de cet arrêt. La primauté de la teneur des revendications était déjà profondément enracinée dans notre jurisprudence et elle devrait, je crois, être confirmée de nouveau dans le cadre du présent pourvoi.
b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité
41 L’étendue de la protection découlant du brevet doit être non seulement équitable, mais aussi raisonnablement prévisible. Après tout, un brevet est un document public établi en application d’un pouvoir légal, et sa contrefaçon peut avoir de graves répercussions financières. La portée de l’interdiction qui y est faite doit être claire, de façon que les citoyens sachent quelles avenues leur demeurent ouvertes. Comme l’a dit le juge Gonthier relativement à un autre aspect du droit public dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la p. 639, dans un texte de loi, la précision s’impose afin de «délimit[er] suffisamment une sphère de risque».
42 Le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général. La réalisation de ces objectifs est cependant compromise lorsqu’un concurrent craint de marcher dans les plates‑bandes du titulaire d’un brevet dont la portée n’est pas raisonnablement précise et certaine. Le brevet dont la portée est incertaine devient [traduction] «une nuisance publique» (R.C.A. Photophone, Ld. c. Gaumont‑British Picture Corp. (1936), 53 R.P.C. 167 (C.A. Angl.), à la p. 195). Les concurrents éventuels sont dissuadés d’œuvrer dans des domaines qui, en fait, échappent à la portée du brevet même lorsque, à l’issue d’une longue et coûteuse instance (les frais de justice en la matière pouvant effectivement être très élevés, et la procédure très longue), un tribunal pourrait confirmer que ce qu’un concurrent projette de faire est parfaitement licite. Les sommes qui auraient pu être investies sont perdues ou affectées à autre chose. La concurrence est «gelée». Le breveté jouit d’un monopole plus grand que celui que l’État a voulu lui accorder. L’incertitude se double d’un grave préjudice économique, et il convient que le droit des brevets s’efforce de réduire le plus possible ce préjudice.
43 Le breveté, les concurrents, les contrefacteurs éventuels et le public en général ont donc droit à des règles claires et précises définissant l’étendue du monopole accordé. Il s’ensuit que les éléments subjectifs ou discrétionnaires d’interprétation des revendications (p. ex. la recherche de l’insaisissable «esprit de l’invention») doivent être tenus au minimum compatible avec l’octroi à l’inventeur de [traduction] «l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi» (Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574). La prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté; l’équité résulte de l’interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l’objet.
c) Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet
44 Traditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d’une interprétation trop textuelle. Le brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art, que le Dr Fox a décrit comme
[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’«homme raisonnable» retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.
(Fox, op. cit., à la p. 184)
Ce sont les «connaissances usuelles» que partagent les «travailleurs moyens» compétents qui sont déterminantes aux fins de l’interprétation: Fox, op. cit., à la p. 204; Terrell on the Law of Patents (15e éd. 2000), à la p. 125; I. Goldsmith, Patents of Invention (1981), à la p. 116. Le présent pourvoi ne soulève pas de grandes subtilités d’interprétation. Les experts dont les parties ont retenu les services s’entendent plus ou moins sur la signification de ce qui est énoncé dans les revendications. L’électromagnétothérapie doit être régulée par des «circuits». Le présent pourvoi porte sur l’étendue de la protection juridique qui découle de ce fait.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme «l’esprit de l’invention» pour en accroître l’étendue
45 La controverse paraît subsister dans certains milieux quant à savoir si une allégation de contrefaçon doit donner lieu à deux analyses (contrefaçon textuelle et contrefaçon de l’essentiel du brevet) ou à une seule, savoir la contrefaçon des revendications telles qu’elles sont rédigées, mais interprétées «en fonction de l’objet».
46 Dans le cadre de l’analyse à deux volets, le tribunal interprète les revendications et détermine si, en mettant au point son appareil, le prétendu contrefacteur s’est littéralement approprié l’invention. Lorsque tel n’est pas le cas, le tribunal passe à l’étape suivante qui consiste à déterminer s’il y a eu contrefaçon de l’«essentiel» de l’invention. Dans certains cas particuliers, la démarche correspondant à la seconde étape a parfois prêté le flanc aux critiques pour le motif qu’elle était subjective et indûment discrétionnaire. À partir du moment où l’analyse ne s’appuie plus sur la teneur des revendications, le tribunal peut se retrouver en territoire inconnu, sans aucun repère. L’analyse comportant un seul volet doit intégrer la souplesse et le bon sens à l’interprétation initiale des revendications, car il n’y a pas de second volet.
47 L’analyse «fondée sur la cause d’action unique» a été préconisée par lord Diplock dans Catnic, précité, à la p. 242:
[traduction] Dans leurs mémoires bien raisonnés présentés à cette Chambre, comme dans leurs plaidoiries, les deux parties ont eu tendance à traiter la «contrefaçon littérale» et la contrefaçon de la «substance» d’une invention comme s’il s’agissait de causes d’action distinctes, l’existence de la première étant une pure question d’interprétation, celle de la deuxième relevant d’une notion plus large d’apparence trompeuse. À mon sens, cette dichotomie n’existe pas; il n’y a qu’une cause d’action et l’on risque de semer la confusion si l’on adopte un autre point de vue, en particulier dans les affaires du type de celle qui fait l’objet du présent appel.
48 Les principes dégagés dans Catnic ont été suivis dans O'Hara, puis repris par la Cour d’appel fédérale, notamment dans Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., [1995] A.C.F. no 1243 (QL), le juge Marceau, au par. 40:
J’estime qu’on ne devrait pas tenter de créer une distinction entre une contrefaçon de la substance d’une invention et une contrefaçon textuelle dans une affaire comme la présente espèce; il faut interpréter les revendications afin de déterminer ce qui est exactement couvert par la portée des droits de l’inventeur. Une fois cela déterminé, la Cour peut examiner le produit de la défenderesse afin de décider s’il est embrassé par la portée de la revendication.
Toutefois, dans d’autres décisions rendues par des formations différentes, la Cour d’appel fédérale du Canada a tenté à l’occasion de raviver la dichotomie: voir Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77, aux pp. 80 et 81, et Feherguard Products Ltd. c. Rocky's of B.C. Leisure Ltd., [1995] A.C.F. no 620 (QL). Dans son ouvrage intitulé «Purposive Construction in Canadian Patent Infringement Cases Since O'Hara» (1996), 11 I.P.J. 111, B. H. Sotiriadis signale ce qui suit à la p. 116:
[traduction] En fait, malgré l’arrêt O'Hara, la Cour d’appel [dans Imperial Oil c. Lubrizol (1992), 45 C.P.R. (3d) 449] est allée même jusqu’à affirmer que la notion de la «substance» de l’invention en matière de brevets était un principe qui «existe toujours et est applicable dans les présentes circonstances.»
49 De même, dans l’ouvrage de C. V. E. Hitchman et D. H. MacOdrum intitulé «Don't Fence Me In: Infringement in Substance in Patent Actions» (1990-91), 7 R.C.P.I. 167, les auteurs citent, à la p. 201, Cutter (Canada) Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd., [1983] A.C.F. no 6 (QL) (C.A.), et Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd., [1984] A.C.F. no 239 (QL) (C.A.), pour établir que, après l’arrêt Catnic, la cour a continué de recourir à la démarche à deux volets, et ils concluent: [traduction] «Il est trop tôt pour déterminer si la Cour fédérale, après l’arrêt O'Hara, appliquera uniquement le critère dégagé dans Catnic.»
50 Je ne prétends pas que la démarche à deux volets mène nécessairement à un résultat différent par rapport à la démarche à un seul volet, ni qu’elle a donné lieu à des abus. Je crois cependant qu’il faut désormais reconnaître que plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher «l’esprit de l’invention» au‑delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes. L’«interprétation téléologique» supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l’interprétation de ce qui constitue l’«essentiel» ou la «substance» de l’invention et ce, afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. À mon sens, la Cour d’appel fédérale a eu raison de la privilégier dans l’arrêt O'Hara.
e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés de la manière suivante:
(i) En fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention
51 Cet aspect est plus particulièrement examiné dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, et Whirlpool Corp. c. Maytag Corp., [2000] 2 R.C.S. 1116, 2000 CSC 68, rendus concurremment. L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.
(ii) Ce qui constitue un élément «essentiel» doit être déterminé en fonction des connaissances acquises dans le domaine à la date de la publication du mémoire descriptif
52 L’interchangeabilité d’éléments non essentiels est déterminée à l’issue d’une interprétation éclairée de la teneur des revendications au moment où elles sont communiquées aux personnes cibles versées dans l’art dont relève l’invention. Ainsi, dans Consolboard, précité, le juge Dickson a fait mention à la p. 523 de [traduction] «ce qu’un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l’époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire» (je souligne). Voir également Fox, op. cit., à la p. 204. La date de la publication a été retenue par lord Diplock dans Catnic, précité, puis reprise par le juge Hoffmann (maintenant lord Hoffmann) dans Improver Corp. c. Remington Consumer Products Ltd., [1990] F.S.R. 181 (Pat. Ct.), à la p. 182:
[traduction] Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. [Je souligne.]
53 La date de publication est toujours la date déterminante en Angleterre: Terrell, op. cit., à la p. 106, bien que lord Hoffmann ait fait remarquer [traduction] «[qu’]il y existe une grande différence entre la [Patent Act] de 1949 et [celle] de 1977», qui prévoit que la date de la demande (ou date d’antériorité) devient la date déterminante à certaines fins: Biogen Inc. c. Medeva PLC, [1997] R.P.C. 1 (H.L.), à la p. 54. Dans cette affaire, la cour devait examiner la question du caractère suffisant de la divulgation, mais certains juges anglais ont saisi l’occasion pour interpréter les revendications également à compter de la date de la demande, p. ex., Dyson Appliances Ltd. c. Hoover Ltd., [2000] E.W.J. No. 4994 (QL) (Pat. Ct.), au par. 48k). Au Canada, le juge Reed a préconisé une démarche semblable dans AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.), à la p. 260, même en l’absence de ces modifications législatives. Bien qu’il puisse y avoir des avantage à établir une seule date déterminante aux fins, notamment, des questions d’évidence, de caractère suffisant et d’interprétation des revendications, je suis d’avis que le droit canadien ne justifie pas le choix de la date de la demande comme date déterminante pour l’interprétation des revendications.
54 Un choix demeure toutefois entre la date de la délivrance du brevet et la date de sa publication car, en vertu de l’ancienne loi, la date de la délivrance et la date de publication étaient la même. De nos jours, par suite des obligations que le Canada a contractées dans le cadre du Traité de coopération en matière de brevets de 1970 mis en application par l’art. 10 de la nouvelle loi (L.C. 1993, ch. 15, art. 28), le mémoire descriptif des brevets devient «accessible au public» 18 mois après la date d’effet de la demande de brevet canadien. À mon avis, la logique qui préconisait la date de délivrance/publication comme date déterminante pour l’interprétation des revendications en vertu de l’ancienne loi, préconise également la date d’«accessibilité» en application de la nouvelle loi. À compter de cette date, l’invention est divulguée au public, les personnes intéressées ont la possibilité de s’opposer à l’octroi du brevet demandé et le demandeur du brevet peut réclamer une indemnité raisonnable (par. 55(2)), dans la mesure où le brevet est accordé. Le public, le breveté, ses concurrents et les contrefacteurs éventuels sont tous intéressés et (ou) concernés à compter de cette date. Le destinataire fictif versé dans l’art dispose d’un texte susceptible d’être interprété. Bref, la divulgation publique et les conséquences juridiques qu’elle entraîne à compter de la date d’«accessibilité», de même que les considérations de principe qui formaient le fondement de la jurisprudence plus ancienne, militent en faveur de cette date, plutôt que les autres possibilités offertes, comme date déterminante aux fins de l’interprétation des revendications.
(iii) Il faut se demander s’il était manifeste, au moment où le brevet a été publié, que la substitution d’une variante modifierait le fonctionnement de l’invention
55 Il serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet. En conséquence, les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] «qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière», sa réponse aurait été affirmative: Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par «fonctionner de la même manière» que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. Dans Improver Corp. c. Remington, le juge Hoffmann a tenté de ramener l’essentiel de l’analyse proposée dans l’arrêt Catnic à une série de questions concises, à la p. 182:
[traduction]
(i) La variante influence‑t‑elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative:
(ii) Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative:
(iii) L’expert du domaine conclurait‑il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.
56 Les trois questions ne sont pas exhaustives, mais elles englobent ce qui est au cœur de l’analyse de lord Diplock, et elles ont par la suite été approuvées par les tribunaux anglais.
57 Dans AT & T Technologies, précité, à la p. 257, le juge Reed dégage une série de principes d’interprétation à partir de différents arrêts, dont Catnic et O'Hara, précités. Le troisième principe qu’elle dégage est le suivant:
(3) Si une variante d’un aspect d’une revendication n’a aucune incidence importante sur le fonctionnement de l’invention, il existe une présomption portant que le brevet est contrefait et que le breveté voulait que cette variante entre dans la portée de la revendication . . . [Je souligne.]
Le caractère souhaitable d’une telle présomption est confirmé par quelques observateurs (voir p. ex. J.‑C. Boudreau, «AT&T Technologies: A Contribution to the Purposive Construction Approach for Patent Infringement Analysis in Canada» (1998-99), 15 R.C.P.I. 323). S’il s’ensuit que le caractère non essentiel est présumé lorsqu’il est établi, compte tenu de la connaissance de l’interchangeabilité existant à la date de la contrefaçon (AT & T Technologies, précité, à la p. 262), qu’une variante n’aurait aucun effet important sur la manière dont fonctionne l’invention, je ne peux, en toute déférence, être d’accord avec ce point de vue. Si elle était appliquée, cette présomption aurait pour effet que l’étendue du monopole s’accroîtrait pendant la période de validité du brevet lorsque des substituts seraient mis au point et intégrés aux connaissances usuelles du travailleur versé dans l’art. On ne peut considérer que l’inventeur a eu l’«intention» nécessaire à l’égard de connaissances dont l’acquisition est postérieure, sauf dans le sens non pertinent de vouloir tirer avantage de la plus grande portée possible de ses revendications. À mon avis, dans Catnic et O'Hara, précités, les tribunaux ont eu raison d’exiger du breveté qu’il établisse une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, l’expression ou le mot descriptifs figurant dans la revendication doivent être considérés comme essentiels, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire.
(iv) Conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications du brevet
58 L’inventeur s’adresse à d’autres personnes exerçant leurs activités dans le même domaine. Les mots ont plusieurs degrés de signification et des sens secondaires. En anglais, le mot «turf» signifie une piste de course pour un propriétaire de chevaux de course, tandis que, pour un dirigeant d’entreprise combatif, il a le sens de territoire à défendre. De même, le mot «bench» représente un objet matériel pour un haltérophile, mais il a de nombreux sens secondaires dans les milieux juridiques. Les tribunaux reconnaissent que la langue comporte des pièges et ils font ce qu’ils peuvent pour accorder à l’inventeur [traduction] «l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi» (Western Electric, précité, à la p. 574), mais jusqu’à un certain point.
59 Dans O’Hara, précité, la Cour d’appel fédérale a statué que le brevet d’un appareil d’enrobage de comprimés précisant qu’un collecteur d’échappement était appliqué de manière flexible ne pouvait être considéré comme visant un appareil accomplissant la même fonction et réunissant tous les autres éléments essentiels, mais étant doté d’un collecteur d’échappement en position fixe. Selon le juge Pratte, s’exprimant au nom de la cour, le fait que le breveté avait employé l’expression «collecteur d’échappement appliqué obliquement et de manière non rigide» était important et il fallait supposer que l’inventeur attachait une importance particulière aux mots choisis (à la p. 7):
. . . sauf si de toute évidence, l’inventeur savait que le fait de ne pas s’y conformer n’aurait aucun effet sur le fonctionnement de [l’invention].
Le juge Pratte a également dit:
Le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les récrire. Lorsqu’un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu’il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu’il se trompait.
Voir dans le même sens J. K. Smit & Sons, précité, le juge en chef Duff, à la p. 285.
60 Sur le plan des faits, l’affaire O'Hara s’apparente à la présente espèce. La première revendication du brevet 156 énonce que «[la bobine de démagnétisation] est immobilisée» pendant le traitement. Que la bobine de magnétisation soit immobilisée ou non peut avoir ou ne pas avoir un effet sur la manière dont l’appareil fonctionne, mais l’inventeur a stipulé que tel était le cas.
(v) Interprétation fondée sur le mémoire descriptif lui‑même, indépendamment de toute preuve extrinsèque
61 Dans O'Hara, précité, le juge Pratte dit à la p. 7 que, pour interpréter une revendication, la cour «essaie simplement de dégager l’intention de l’inventeur». Cette observation a incité certains à prétendre que des éléments de preuve extrinsèque devraient parfois être recevables pour interpréter des revendications et établir l’intention de l’inventeur.
62 L’intervenante, Procter & Gamble Inc., exhorte notre Cour à autoriser la preuve de l’intention de l’inventeur au moyen des observations présentées au Bureau des brevets au cours de l’examen de la demande de brevet, c.‑à‑d. les négociations qui se sont déroulées au sujet du libellé des revendications et ont mené à la délivrance du brevet. Dans ses motifs, le juge Rousseau‑Houle renvoie brièvement à l’examen de la demande de brevet à la p. 2911:
[Le commissaire], lors de son étude des demandes de brevets, a analysé différents appareils décrits dans des brevets américains et allemands et également conçus pour traiter le corps humain par la création de champs magnétiques. Il a pu prendre connaissance de l’article de Solov'eva que l’appelante avait cité et explicitement commenté dans la demande de brevet 361 [. . .] Il a demandé des précisions additionnelles sur quelques‑unes des revendications décrites aux brevets et a exigé des amendements aux descriptions de certaines fonctions et la disparition de toute référence à des méthodes de traitement puisqu’une méthode n’est pas brevetable. [Je souligne.]
63 Aux États‑Unis, les observations devant le Bureau des brevets ont historiquement été notées sur la couverture ou l’«enveloppe» du dossier, ce qui a donné naissance à la théorie de la «préclusion fondée sur les notes apposées au dossier» ou de la «préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet». Récemment, dans Warner‑Jenkinson Co., précité, la Cour suprême des États‑Unis a statué que le titulaire d’un brevet ne pouvait se prévaloir de la théorie des équivalents pour reprendre le terrain cédé au moyen d’une argumentation ou d’une modification portant restriction lors des négociations avec le Bureau des brevets. Elle a confirmé que la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier pouvait être invoquée, mais elle l’a circonscrite afin que [traduction] «des limites raisonnables soient apportées à la théorie des équivalents», le juge Thomas, à la p. 34. Alors que la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet demeure liée aux modifications apportées pour éviter que l’invention ne se heurte à une antériorité ou pour éviter un autre écueil — telle l’évidence — qui aurait pu rendre non brevetable l’objet revendiqué, le tribunal a exigé du breveté qu’il justifie la modification demandée pendant l’examen de la demande de brevet. Lorsque aucune explication innocente n’est avancée, le tribunal présumera désormais que le Bureau des brevets avait un motif valable lié à la brevetabilité d’intégrer l’élément restrictif ajouté par voie de modification. Dans ces circonstances, la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet fait obstacle à l’application de la théorie des équivalents à l’égard de cet élément.
64 Au Canada, la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier a été énergiquement rejetée par le président Thorson dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1962), 23 Fox Pat. C. 112 (C. de l’É.), et la Cour fédérale du Canada a généralement confirmé au fil des ans l’irrecevabilité des notes apposées sur l’enveloppe du dossier aux fins de l’interprétation des revendications. Voir p. ex. P.L.G. Research Ltd. c. Jannock Steel Fabricating Co. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346 (C.F. 1re inst.), à la p. 349. Aucune distinction n’est établie à cet égard entre une affaire portant sur une allégation de contrefaçon textuelle et une affaire relative à la contrefaçon de l’essentiel du brevet.
65 L’avocat de Procter & Gamble Inc. fait valoir que des éléments de preuve liés à l’examen de la demande de brevet devraient être recevables dans certaines circonstances pour que l’interprétation des revendications soient cohérente ici et aux États‑Unis, d’où proviennent de nombreux brevets canadiens. Cette proposition jouit d’un certain appui de la part d’autres praticiens d’expérience (p. ex. D. W. Scott, «The Record of Proceedings in the Patent Office in Canada & Foreign Countries as Evidence in Infringement & Validity Contests» (1985-86), 2 R.C.P.I. 160). On avance que la mention de l’intention de l’inventeur dans Catnic et O'Hara, précités, entrouvrirait la porte à un éventuel réexamen de la question.
66 J’estime que, dans ces affaires, l’intention de l’inventeur renvoie à l’expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l’interprétation qui en est faite par une personne versée dans l’art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l’examen de la demande de brevet. Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléogique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier. Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.
67 Il ne s’ensuit pas que l’examen de la demande de brevet ne puisse jamais être pertinent pour une autre fin que celle de définir l’étendue du monopole accordé: Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 47. Notre Cour ne se prononce toutefois pas à ce sujet, car la question n’est pas soulevée en l’espèce.
f) Vu ces principes, l’appareil des intimés n’est pas visé par le monopole de l’appelante et le pourvoi doit être rejeté
68 Même si les principes dégagés devront être adaptés aux exigences des différents types de brevets, on peut néanmoins résumer leur application en l’espèce.
(1) À l’étape de l’interprétation des revendications, la teneur de ces dernières a été analysée pour faire ressortir les expressions et les termes descriptifs qui déterminent les éléments de l’invention. Il n’y a pas lieu, dans la présente affaire, de se perdre dans les détails. Les revendications précisent que des «circuits» régulent l’électromagnétothérapie. Aucun élément du contexte des revendications ne permet de conclure que l’inventeur considérait les circuits comme non essentiels. Au contraire, ils sont au cœur de l’invention. Aussi, rien ne prouve que, à la date de la publication du brevet, un travailleur moyen versé dans l’art aurait constaté que des variantes pouvaient permettre d’accomplir essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat qu’à l’aide des circuits mentionnés dans le brevet.
(2) La régulation de la magnétothérapie grâce à des circuits constitue donc un élément essentiel de l’invention.
(3) À l’étape de l’analyse relative à la contrefaçon, l’appareil Électro‑Santé en cause doit être soumis à un examen pour en déterminer les éléments constitutifs.
(4) Si l’appareil en cause reprend tous les éléments essentiels de l’invention, il y a contrefaçon.
69 L’appelante déplore, en partie avec raison selon moi, qu’après avoir énoncé le critère juridique applicable en matière de contrefaçon, la Cour d’appel du Québec a commis une erreur en comparant son appareil et celui des intimés, puis en concluant que les appareils étaient différents (ce que l’appelante n’a pas contesté).
70 L’appelante soutient que la comparaison aurait dû avoir pour objet les revendications de ses brevets et les appareils mis en marché par les intimés. J’en conviens, mais après avoir lu en entier les motifs de la Cour d’appel du Québec, je crois qu’elle a procédé à la comparaison qui s’imposait, même si elle a en outre comparé inutilement les deux appareils.
71 L’appelante signale que bon nombre des caractéristiques des appareils Électro‑Santé correspondent à celles décrites dans la première revendication du brevet 156. Il s’agit d’un «[s]ystème thérapeutique électromagnétique à basse fréquence». L’utilisateur peut régler l’intensité du champ magnétique. Une commande permet de régler l’amplitude de crête du champ magnétique ainsi que la fréquence. Comme l’a dit le juge Wills dans Incandescent Gas Light Co. c. De Mare Incandescent Gas Light System, Ld. (1896), 13 R.P.C. 301 (Q.B.D.), à la p. 330:
[traduction] Il est rare que le contrefacteur accomplisse tout ce qui est revendiqué dans le mémoire descriptif et rien d’autre.
72 Or, l’appelante n’a pas établi que, en 1981 et en 1983, au moment où les brevets ont été publiés, (i) une personne versée dans l’art aurait conclu que l’intention de l’inventeur était que les inventions englobent les écarts (ou les variantes) par rapport à la technologie précisée utilisant un circuit, (ii) il était manifeste pour une telle personne versée dans l’art que la substitution d’une variante aux «circuits» prévus permettrait d’accomplir essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat et (iii) en employant le terme «circuits», l’inventeur n’avait pas vraiment voulu que la description soit textuellement interprétée. Si l’appelante avait pu établir ces éléments, ses brevets auraient probablement été déclarés invalides pour cause de visées trop ambitieuses.
73 Les revendications exigent clairement des «circuits». Comme je le mentionne précédemment, en 1981 ou en 1983, une personne versée dans l’art aurait associé ce terme descriptif à la technologie en cause et aurait considéré que le recours à cette technologie était essentiel à l’invention revendiquée. Même si l’appareil Électro‑Santé utilise un microcontrôleur pour accomplir une fonction semblable et même identique, il n’est pas visé par la revendication. Il accomplit la fonction d’une manière très différente. En outre, rien ne permet de croire que l’inventeur envisageait autre chose que ce qu’il a décrit ni qu’il considérait le recours à des «circuits» comme un élément non essentiel des revendications ou qu’il voulait revendiquer davantage que des «circuits», compromettant ainsi la validité des brevets à cause de visées trop ambitieuses. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, le moyen de régler l’amplitude et la fréquence correspond précisément à la différence qui a justifié la délivrance des brevets par rapport à l’antériorité intégrée à des appareils de magnétothérapie déjà existants comme Magnétopace, Myodynamic et Elec.
74 En résumé, l’appareil des intimés se distingue de celui envisagé dans les revendications tant par sa construction que par son fonctionnement. Le remplacement des «circuits» par un microcontrôleur emporte la substitution d’une technologie totalement différente à l’élément essentiel des brevets 156 et 361, ce qui en soi justifie clairement le rejet de l’allégation de contrefaçon formulée par l’appelante.
75 Étant donné que l’appelante n’a pas prouvé que le système Électro‑Santé des intimés englobait tous les éléments essentiels du monopole circonscrit par les revendications de ses brevets, interprétés en fonction de l’objet, l’action a à juste titre été rejetée.
V. Dispositif
76 Le pourvoi est rejeté sans dépens.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelante: Joli-Cœur, Lacasse, Lemieux, Simard, St-Pierre, Sillery (Québec).
Procureurs de l’intervenante: Dimock Stratton Clarizio, Toronto.