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15/09/1999 | CANADA | N°[1999]_3_R.C.S._199

Canada | Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199 (15 septembre 1999)


Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199

Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve et

le Board of Commissioners of Public Utilities Appelants

c.

Andrew Wells Intimé

Répertorié: Wells c. Terre-Neuve

No du greffe: 26362.

1999: 17 mai; 1999: 15 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de terre-neuve

Employeur et employé -- Fonction publique -- Hauts fonctionnaires -- Abolition d’un poste

par la loi -- Les hauts fonctionnaires occupant des postes à titre inamovible ont‑ils droit à une indemnité si leurs post...

Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199

Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve et

le Board of Commissioners of Public Utilities Appelants

c.

Andrew Wells Intimé

Répertorié: Wells c. Terre-Neuve

No du greffe: 26362.

1999: 17 mai; 1999: 15 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de terre-neuve

Employeur et employé -- Fonction publique -- Hauts fonctionnaires -- Abolition d’un poste par la loi -- Les hauts fonctionnaires occupant des postes à titre inamovible ont‑ils droit à une indemnité si leurs postes sont abolis par une loi en l’absence de texte législatif clair refusant l’indemnisation? -- Une législature qui restructure sa fonction publique en abolissant ou modifiant des postes peut-elle échapper aux conséquences financières qui en découlent, si elle n’éteint pas explicitement les droits qu’elle a abrogés? -- Le gouvernement peut-il invoquer la théorie de la séparation des pouvoirs pour échapper aux conséquences de ses propres actions? -- Public Utilities Act, R.S.N. 1970, ch. 322, art. 5(4), (5).

L’intimé a été nommé commissaire (représentant des consommateurs) au sein de la Public Utilities Board (la «Commission») en vertu des dispositions de la Public Utilities Act. Il avait le droit d’occuper le poste à titre inamovible jusqu’à l’âge de 70 ans. À la suite de modifications apportées à la compétence et à la charge de travail de la Commission, le Conseil exécutif du gouvernement de Terre‑Neuve a ordonné d’évaluer si celle-ci était toujours nécessaire. L’évaluation a recommandé la constitution d’une commission différente comptant moins de commissaires et le remplacement du poste de l’intimé par celui de protecteur du consommateur au ministère des Consommateurs et des Communications ou au ministère de la Justice. Une nouvelle Public Utilities Act a été adoptée; celle-ci prévoyait la restructuration de la Commission, la réduction du nombre de commissaires et l’abolition du poste de l’intimé. L’intimé a cessé d’occuper son poste à cette date. Ayant exercé ses fonctions pendant quatre ans et demi, il lui manquait six mois pour avoir droit à une pension. Il n’a pas été nommé à la nouvelle Commission et n’a reçu aucune indemnité. N’étant pas intéressé à occuper le poste de protecteur du consommateur, l’intimé a décidé de réclamer des dommages-intérêts. La Cour suprême de Terre-Neuve, Section de première instance, a rejeté son action. La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’intimé, concluant que la Couronne avait manqué à ses obligations légales et contractuelles, et elle lui a accordé des dommages-intérêts équivalant à deux ans et demi de salaire, plus des prestations de retraite.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le poste de l’intimé n’était pas une forme de patronage monarchique. Il a été engagé pour occuper une fonction importante au nom des citoyens de Terre-Neuve. Le gouvernement lui a offert ce poste, les conditions ont été négociées, et une entente a été conclue. Il s’agissait d’un contrat. Bien que les conditions d’un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s’applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l’entente le remplacent expressément. Les conditions d’un tel contrat se trouvent dans les expressions écrites et verbales de l’entente, les lois et règlements applicables et la common law.

L’intimé occupait un poste de haut fonctionnaire comportant une responsabilité quasi judiciaire. Le poste de l’intimé a été aboli même si aucune inconduite ne lui a été imputée. Dans le secteur privé, il s’agirait manifestement d’une rupture du contrat de travail de l’intimé et ce dernier aurait droit à des dommages-intérêts. Son statut d’employé de la Couronne ne devrait pas le placer dans une situation différente. Le droit relatif aux hauts fonctionnaires concorde avec la compréhension contemporaine du rôle et des obligations de l’État dans ses rapports avec ses employés. L’interprétation la plus vraisemblable des conditions d’emploi de l’intimé est que même si son poste et le pouvoir qui en découle pouvaient être abolis, il ne pouvait pas être privé des avantages de l’emploi sauf en raison de l’âge ou de l’inconduite.

La Couronne a manqué à ses obligations continues envers l’intimé en cessant de le rémunérer. Comme l’intimé n’a pas été privé par une loi de son droit à des dommages‑intérêts pour cette rupture, il a droit à une indemnité. Le gouvernement de Terre‑Neuve avait le pouvoir de restructurer ou d’éliminer la Commission. Toutefois, il existe une distinction fondamentale entre le fait pour la Couronne de se soustraire à l’exécution d’un contrat au moyen d’une loi, et le fait d’échapper entièrement aux conséquences juridiques d’une telle mesure. Bien qu’une législature puisse avoir le pouvoir extraordinaire d’adopter une loi pour refuser expressément d’indemniser une personne lésée avec qui elle a rompu une entente, il faudrait qu’une loi soit libellée de façon claire et explicite pour éteindre les droits qui avaient été précédemment conférés à cette partie. Dans un pays régi par la primauté du droit, on présume que le gouvernement respectera ses obligations, à moins qu’il n’exerce expressément son pouvoir de ne pas le faire. Faute d’une intention expresse et claire d’abroger des droits et des obligations — droits de la plus haute importance pour l’individu — ces droits demeurent en vigueur. Alléguer le contraire signifierait que le gouvernement n’est lié que par son caprice, non par sa parole. Au Canada, cela est inacceptable et ne concorde pas avec la façon dont on envisage la relation entre l’État et ses citoyens. Bien que la législature soit libre de priver un poste de pouvoir et de responsabilité, en ce faisant, elle ne prive pas l’intimé de l’indemnité découlant du contrat, sauf si elle le prévoit expressément dans la loi. Il est raisonnable de déduire que la sécurité financière de l’intimé était destinée à subsister après l’abolition de son poste.

Le gouvernement ne saurait invoquer la théorie de la séparation des pouvoirs pour échapper aux conséquences de ses propres actions. Bien que la législature conserve le pouvoir de mettre fin expressément à un contrat sans indemnisation, il est fallacieux de la part de l’exécutif d’affirmer que le texte législatif adopté conformément à son propre programme entraîne une impossibilité d’exécution indépendante de sa volonté. Les dommages-intérêts évalués par la Cour d’appel sont raisonnables et indemnisent équitablement l’intimé de sa perte.

Jurisprudence

Arrêts non suivis: Reilly c. The King, [1934] A.C. 176; Peddle c. Newfoundland (1994), 116 D.L.R. (4th) 161; Petryshyn c. Canada, [1993] 3 C.F. 640; arrêts mentionnés: Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057; Association des employés du gouvernement de la Nouvelle-Écosse c. Commission de la Fonction publique de la Nouvelle-Écosse, [1981] 1 R.C.S. 211; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Lucas c. Lucas, [1943] P. 68; Washer c. British Columbia Toll Highways and Bridges Authority (1965), 53 D.L.R. (2d) 620; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; Ridge c. Baldwin, [1964] A.C. 40; The King c. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] R.C.S. 500; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525; West Lakes Ltd. c. State of South Australia (1980), 25 S.A.S.R. 389; Welch c. New Brunswick (1991), 116 R.N.-B. (2e) 262; Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101; National Trust Co. c. Wong Aviation Ltd., [1969] R.C.S. 481; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312; Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735; Neilson c. Vancouver Hockey Club (1988), 51 D.L.R. (4th) 40; Gunton c. London Borough of Richmond Upon Thames, [1980] 3 All E.R. 577; Hôpital Bellechasse c. Pilotte, [1975] 2 R.C.S. 454; Reaney c. Co-operative Wholesale Society, Ltd., [1932] W.N. 78.

Lois et règlements cités

Interpretation Act, R.S.N. 1990, ch. I-19, art. 28(1), 29(1)c).

Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 46.1 [aj. 1994, ch. 44, art. 99].

Public Utilities Act, R.S.N. 1970, ch. 322, art. 5(4), (5).

Public Utilities Act, 1989, S.N. 1989, ch. 37.

Doctrine citée

Blair, Leo. «Civil Servant — A Status Relationship» (1958), 21 Mod. L. Rev. 265.

Chitty, Joseph. A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown. London: Butterworths, 1820.

Chitty on Contracts, vol. 1, 27th ed. General Editor: A. G. Guest. London: Sweet & Maxwell, 1994.

Emden, Cecil S. The Civil Servant in the Law and the Constitution. London: Stevens, 1923.

Fridman, Gerald H. L. The Law of Contract in Canada, 3rd ed. Scarborough: Carswell, 1994.

Hogg, Peter W. Liability of the Crown, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1989.

Terre-Neuve. House of Assembly. Proceedings of the Resource Legislation Review Committee, Issue No. 8, December 14, 1989.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve (1997), 156 Nfld. & P.E.I.R. 271, 483 A.P.R. 271, 5 Admin. L.R. (3d) 113, [1997] N.J. No. 250 (QL), qui a annulé une décision du juge Riche (1994), 126 Nfld. & P.E.I.R. 295, 393 A.P.R. 295, [1994] N.J. No. 396 (QL), qui avait rejeté la demande d’indemnisation de l’intimé. Pourvoi rejeté.

John B. Laskin, Reg Locke et Andrew E. Bernstein, pour les appelants.

Gillian D. Butler, c.r., Stacy L. Feltham et Kenneth S. Purchase, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Major//

1 Le juge Major — Le présent pourvoi porte sur les positions respectives de la Couronne et de ses hauts fonctionnaires qui occupent des postes à titre inamovible. Les titulaires de tels postes ont-ils droit à une indemnité si leurs postes sont abolis par une loi? Il n’est pas contesté que le Parlement et les législatures provinciales ont le pouvoir de structurer la fonction publique comme ils le jugent approprié, et, ce faisant, d’abolir ou de modifier des postes. Cependant, peuvent-ils se soustraire aux conséquences financières qui en découlent s’ils n’éteignent pas explicitement les droits qu’ils ont abrogés? Je conclus qu’ils ne le peuvent pas.

I. Les faits

2 En août 1985, l’intimé Andrew Wells a été nommé commissaire (représentant des consommateurs) au sein de la Public Utilities Board (la «Commission») en vertu des dispositions de la Public Utilities Act, R.S.N. 1970, ch. 322 («Loi de 1970»). Conformément aux dispositions de la Loi de 1970, il avait le droit d’occuper le poste à titre inamovible.

3 Les conditions de la nomination de l’intimé ont été discutées, le 28 août 1985, lors d’une réunion avec le greffier du Conseil exécutif de Terre-Neuve au cours de laquelle on a donné à l’intimé le choix d’exercer ses fonctions pendant un mandat fixe de 10 ans ou jusqu’à l’âge de 70 ans. Il a choisi la dernière option. Ces conditions ainsi que les taux de rémunération ont été confirmés par l’honorable William W. Marshall, président du Conseil exécutif, dans une lettre datée du 18 septembre 1985. Le jour suivant, l’intimé a été assermenté comme commissaire.

4 La période pendant laquelle l’intimé a été en fonction s’est avérée courte et tumultueuse. Le 6 avril 1988, le Conseil exécutif du gouvernement de Terre-Neuve a ordonné au ministère de la Justice, au ministère des Transports et au Secrétariat du Conseil du Trésor d’évaluer si la Commission était toujours nécessaire.

5 Cette évaluation découlait de la déréglementation de l’industrie du transport routier à Terre-Neuve et de l’arrêt de notre Cour portant sur le pouvoir de réglementation des services téléphoniques publics dans Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225.

6 Tous les facteurs qui précèdent avaient contribué à une forte diminution de la charge de travail de la Commission compte tenu de la perte de compétence dans deux domaines qui avaient auparavant représenté une partie importante de son travail. L’évaluation a recommandé la constitution d’une commission différente comptant moins de commissaires et le remplacement du poste de l’intimé par celui de protecteur du consommateur au ministère des Consommateurs et des Communications ou au ministère de la Justice.

7 À la suite de cette évaluation, une nouvelle Public Utilities Act a été déposée. Le ministre de la Justice a avisé l’intimé que le gouvernement avait l’intention de se conformer aux recommandations de l’évaluation et que [TRADUCTION] «selon toute probabilité» son poste serait aboli. Le 18 décembre 1989, l’Assemblée législative de Terre-Neuve a adopté le projet de loi 44, qui prévoyait une restructuration complète de la Commission, la réduction du nombre de commissaires de six à trois et l’abolition du poste de représentant des consommateurs. En vertu des dispositions de ce projet de loi, tous les commissaires en poste devaient cesser d’exercer leurs fonctions, mais demeuraient admissibles à une nouvelle nomination à l’un des postes restants au sein de la nouvelle Commission.

8 Ce projet de loi est entré en vigueur le 16 février 1990 sous le titre de Public Utilities Act, 1989, S.N. 1989, ch. 37, et l’intimé a cessé d’occuper son poste à cette date. Le traitement annuel de l’intimé à la date de son licenciement était de 70 058 $. Ayant exercé ses fonctions pendant quatre ans et demi, il lui manquait six mois pour avoir droit à une pension.

9 L’intimé n’a pas été nommé à la nouvelle Commission. En outre, la directive du cabinet MC 0359-’90 prévoyait que l’intimé ne recevrait pas d’indemnité. Le ministre de la Justice lui a demandé s’il était intéressé à occuper le poste de protecteur du consommateur, mais il ne l’était pas. L’intimé a par la suite intenté la présente action en dommages-intérêts.

II. Historique des procédures judiciaires

A. La Cour suprême de Terre-Neuve, Section de première instance (1994), 126 Nfld. & P.E.I.R. 295

10 Le juge Riche a rejeté l’action de l’intimé, statuant que les arrêts Reilly c. The King, [1934] A.C. 176 (C.P.), et Peddle c. Newfoundland (1994), 116 D.L.R. (4th) 161 (C.A.T.-N.), excluaient tout droit à une indemnité pour les personnes nommées par le gouvernement dont les postes avaient été abolis par une loi, sauf si la loi portant abrogation en prévoyait une. Il a conclu (à la p. 301) que l’intimé n’avait pas occupé [TRADUCTION] «une véritable fonction à titre inamovible» parce que son poste n’était garanti que jusqu’à ce qu’une directive du cabinet le modifie, ce que la Loi de 1970 autorisait à son avis.

11 Le juge Riche a également conclu que Sa Majesté du chef de la province de Terre-Neuve n’avait agi ni de mauvaise foi ni en se fondant sur des motifs inappropriés. Il a dit que le changement dans la loi était survenu parce que la Commission n’avait plus compétence dans certains secteurs. Il n’a trouvé rien de fautif dans les motifs invoqués par la Couronne pour changer la fonction de l’intimé, de représentant des consommateurs à protecteur. Il a également souligné que l’intimé était le membre de la Commission ayant le moins d’ancienneté au moment de l’abrogation de la Loi de 1970, et que des membres ayant plus d’ancienneté que lui auraient pu demander à avoir priorité sur lui au moment des nouvelles nominations. En fin de compte, le juge Riche a conclu que rien ne justifiait le contrôle judiciaire de la décision du gouvernement de restructurer la Commission.

B. La Cour d’appel de Terre-Neuve (1997), 156 Nfld. & P.E.I.R. 271

12 Le juge en chef Gushue (avec l’appui du juge Steele) a rejeté, dans un jugement majoritaire, l’interprétation de la Loi de 1970 faite par le juge de première instance. Il a interprété les dispositions pertinentes comme signifiant que bien que le gouvernement ait eu le droit d’abolir le poste en abrogeant la Loi de 1970, il n’avait pas le droit de restreindre les droits de l’intimé en abolissant son poste et en ne le nommant pas à la nouvelle Commission. Les juges majoritaires écrivent (à la p. 283): [TRADUCTION] «Pour que la nomination à un poste qui a été créé par une loi et qui peut être occupé à titre inamovible ait une signification quelconque, elle doit comprendre le droit d’être indemnisé pour la perte des émoluments reliés à ce poste si son titulaire en est privé.»

13 Les juges majoritaires ont refusé de suivre l’arrêt Reilly et son application dans Petryshyn c. Canada, [1993] 3 C.F. 640 (1re inst.), en disant (à la p. 284) que [TRADUCTION] «[l]e droit a beaucoup évolué depuis l’arrêt Reilly». Selon le juge en chef Gushue, la souveraineté du Parlement à l’égard des droits des individus a été restreinte et l’arrêt Reilly est anachronique et inapplicable. Dans la mesure où les droits de l’intimé trouvent leur source dans un contrat, l’appelante ne peut pas, de l’avis du Juge en chef, abolir le poste de l’intimé en modifiant la loi et se fonder par la suite sur la théorie de l’impossibilité d’exécution, parce que l’événement qui a rendu le contrat inexécutable a été causé par ses propres actes. En outre, contrairement aux employés lésés dans Reilly et Peddle, précités, l’intimé aurait pu être nommé de nouveau.

14 Le juge en chef Gushue a conclu qu’il était justifié que les dommages-intérêts dans la présente affaire soient supérieurs à ceux qui auraient été accordés à un employé nommé «à titre amovible». Il a estimé que l’intimé n’avait pas droit à ce qu’il aurait reçu à 70 ans parce qu’il fallait tenir compte de facteurs comme les aléas de la vie et la mitigation. Il a accueilli l’appel, annulé le jugement de première instance et déclaré que Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve avait manqué à ses obligations légales et contractuelles. Il a accordé des dommages-intérêts équivalant à deux ans et demi du traitement que recevait l’intimé comme commissaire au moment de son licenciement, les prestations de retraite auxquelles l’intimé aurait eu droit pour ces années de service additionnelles, et les dépens dans toutes les cours.

15 Le juge O’Neill était dissident. Non seulement il était d’accord avec les principes de droit appliqués dans les arrêts Reilly et Peddle, mais il estimait qu’ils avaient un effet obligatoire. Il aurait conclu que le poste de l’intimé avait été aboli par une loi, que rien dans la nouvelle loi ne prévoyait une indemnité et qu’il n’y avait pas d’obligation de nommer l’intimé à la nouvelle Commission.

III. Analyse

16 L’intimé, en tant que membre de la Commission, occupait un poste de haut fonctionnaire comportant une responsabilité quasi judiciaire. Conformément aux dispositions de la loi régissant sa nomination et à ses négociations particulières avec les représentants du gouvernement, les conditions fondamentales de sa nomination étaient qu’il exercerait ses fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans à titre inamovible.

17 Cette entente signifiait clairement que la Couronne ne pouvait pas licencier l’intimé, à moins que ce dernier ne fasse quelque chose qui le rende inapte à continuer d’exercer ses fonctions de commissaire des services publics. Le poste de l’intimé a été aboli même si aucune inconduite ne lui a été imputée. Dans le secteur privé, il s’agirait manifestement d’une rupture du contrat de travail de l’intimé et ce dernier aurait droit à des dommages‑intérêts. Son statut d’employé de la Couronne ne devrait pas le placer dans une situation différente.

A. Le statut des fonctionnaires

18 Le droit de l’intimé à une indemnité dépend de la nature de sa relation avec la Couronne. S’il avait un contrat de travail avec la Couronne, son licenciement constitue une violation indemnisable en dommages-intérêts. Si, par contre, sa relation était uniquement fondée sur une loi, alors il est limité à des recours administratifs.

19 Le présent pourvoi est principalement fondé sur le motif que l’emploi de l’intimé était le résultat d’un processus décisionnel légistalif et exécutif et que les griefs ou les litiges se rapportant à son emploi devaient être tranchés en faisant appel aux principes du droit administratif. Pour les motifs qui suivent, je crois que la façon la plus satisfaisante d’examiner ce pourvoi est de le faire sous l’angle contractuel et de se demander si le licenciement de l’intimé constituait une rupture susceptible de recours.

20 Le statut des employés non syndiqués du gouvernement ayant peu d’ancienneté a été examiné dans l’arrêt Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057. Cette affaire portait sur un employé occasionnel qui avait poursuivi le gouvernement provincial devant une cour des petites créances pour une dette liée à son emploi. Accueillant sa demande pour que l’affaire soit entendue, le juge Beetz a dit, aux pp. 1082 et 1083:

. . . ayant à qualifier et à réglementer un rapport juridique donné en droit public, le juriste de tradition anglo-canadienne doit presque nécessairement accomplir cette fonction avec les concepts et les règles du droit commun à moins que la loi ou la prérogative n’imposent le contraire. Confronté par un rapport juridique qui a toutes les apparences d’un contrat, comme en l’espèce, le juriste de tradition anglo-canadienne doit le considérer et le traiter comme un contrat, sous réserve de la législation et de la prérogative.

Cette caractéristique est un des éléments du principe de légalité («Rule of law») comme il est conçu en droit public anglais.

. . .

Je ne puis voir dans ce règlement rien qui empêche l’application du droit commun contractuel. Le Procureur général a insisté sur le fait que l’employé occasionnel est «nommé» à son poste. Il faudrait plus que cette expression pour écarter les principes généraux du droit public. D’ailleurs on voit souvent dans le secteur privé qu’un employé a été «nommé» à un poste de direction. Il est vrai aussi que l’employé occasionnel ne traite pas d’égal à égal avec le gouvernement et ne peut pas, en pratique, négocier les conditions de son engagement. Mais on peut dire la même chose du petit employé qui contracte avec la grande entreprise. Quant à la prétention selon laquelle le gouvernement pourrait unilatéralement modifier les conditions de l’emploi, qui semble également provenir du droit administratif français, elle me paraît pour le moins douteuse dans le nôtre, à moins de dispositions explicites de la loi que je ne trouve pas dans le règlement en question.

Comme la Cour provinciale et la Cour supérieure, j’en arrive donc à la conclusion que l’intimé était un contractuel et qu’il a eu raison de suivre la procédure prescrite pour le recouvrement des petites créances. [Je souligne.]

21 Bien que notre Cour se soit abstenue de dire que tous les employés de la Couronne étaient assujettis au droit commun des contrats, elle a statué que les emplois au sein du gouvernement étaient essentiellement des relations contractuelles. Le statut de la plupart des fonctionnaires est celui d’employés publics et non celui d’employés personnels de la Couronne.

22 Un examen fondé sur le bon sens de ce que signifie le fait de travailler pour le gouvernement tend à indiquer que ces relations portent toutes les marques d’un contrat. Des négociations donnent lieu à une entente et à un emploi et engendrent des obligations exécutoires pour les deux parties. La Couronne agit en grande partie comme un citoyen ordinaire le ferait, s’engageant dans des relations commerciales avantageuses pour les deux parties, tant avec des particuliers qu’avec des sociétés. Bien que la Couronne puisse être tenue de suivre des lignes directrices prévues par la loi, le résultat demeure quand même un contrat de travail.

23 De nos jours, la majorité des fonctionnaires sont syndiqués et bénéficient de conventions collectives qui définissent leurs conditions de travail ainsi que les obligations de la Couronne à leur égard. Dans l’arrêt Association des employés du gouvernement de la Nouvelle-Écosse c. Commission de la Fonction publique de la Nouvelle-Écosse, [1981] 1 R.C.S. 211, aux pp. 222 et 223, notre Cour a étudié la question de savoir si une convention collective entre la Couronne et ses employés de bureau syndiqués pouvait supplanter la «prérogative» de congédier à volonté. En statuant que les conditions de la convention collective prévalaient et liaient la Couronne, le juge en chef Laskin a dit:

Je voudrais m’arrêter un instant à la nature du pouvoir que la common law accorde à Sa Majesté de congédier à volonté. L’article 57 [de la loi pertinente de la Nouvelle-Écosse] emploie le mot «pouvoir» et non le mot «prérogative» qu’on a parfois employé à cet égard ou sous d’autres rapports lorsque l’autorité de Sa Majesté est en jeu. Dans Shenton v. Smith, [[1895] A.C. 229,] le Conseil privé a refusé de qualifier de «prérogative» le droit de Sa Majesté de congédier des fonctionnaires. Au Canada, dans les provinces canadiennes, et dans les autres pays de common law, le droit est allé loin dans l’établissement d’une égalité relative de situation juridique entre la Couronne et les personnes avec qui elle traite, trop loin à mon avis pour justifier le retour à un anachronisme.

. . .

Au mieux, à mon avis, le pouvoir de congédier à volonté peut être considéré comme une condition implicite d’un engagement qui ne comporte aucune disposition contraire. Tel n’est pas le cas en l’espèce. [Je souligne.]

24 Comme la Couronne est tenue d’agir conformément au principe de la primauté du droit, elle doit habituellement respecter les principes de justice naturelle dans l’exercice de ses droits relativement aux contrats de travail. Il a été jugé, dans des affaires comme Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, et Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, que lorsque les conditions d’emploi d’un fonctionnaire permettaient de congédier l’employé sans motif, la Couronne était toujours tenue d’agir équitablement en décidant de le faire. En l’absence de droits contractuels, un fonctionnaire peut toujours se tourner vers les recours administratifs. Toutefois, cette question n’est pas pertinente dans le présent pourvoi car le contrat de l’intimé prévoit le recours.

25 Le statut des hauts fonctionnaires, contrairement à celui des employés de la base bénéficiant de conventions collectives, demeure une question non résolue. Les hauts fonctionnaires sont souvent dans une situation incertaine, pris entre la condition féodale des employés exerçant leurs fonctions à la volonté de la Couronne et un monde moderne d’obligations contractuelles réciproques. L’origine du concept féodal de la fonction publique remonte au XIVe siècle. Ce concept prévoyait qu’un «fonctionnaire» était un serviteur du Roi et faisait partie de la maison royale, et que le poste occupé relevait du droit de propriété. Comme C. S. Emden l’a écrit dans The Civil Servant in the Law and the Constitution (1923), à la p. 18:

[TRADUCTION] Les postes avaient tendance à être héréditaires; ils constituaient des patrimoines étroitement liés à la possession de terres. Parfois, ils étaient accordés pour la vie. La relation entre le «fonctionnaire» et le Roi était, en conséquence, féodale plutôt que contractuelle. Un titulaire ne pouvait pas être congédié; mais il ne pouvait pas non plus insister pour exercer ses fonctions si le Roi ne le souhaitait pas.

26 Traditionnellement, la relation entre la Couronne et ses fonctionnaires n’a pas été qualifiée de contractuelle: Lucas c. Lucas, [1943] P. 68; Washer c. British Columbia Toll Highways and Bridges Authority (1965), 53 D.L.R. (2d) 620 (C.A.C.‑B.); L. Blair, «The Civil Servant -- A Status Relationship» (1958), 21 Mod. L. Rev. 265. La Couronne nommait des personnes à des postes qu’elles occupaient tant qu’elle n’ordonnait pas leur congédiement. En conséquence, les nominations étaient unilatérales et sujettes à un congédiement arbitraire: voir Reilly, précité; J. Chitty, A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown (1820).

27 Dans l’arrêt Reilly, le Conseil privé s’est penché sur la demande d’un membre du Bureau fédéral d’appel qui avait perdu son emploi quand le Parlement avait abrogé la loi habilitante applicable. Le Conseil privé a résolu l’affaire en statuant qu’il n’était pas pertinent de savoir s’il existait ou non un contrat, vu que l’exécution du contrat était rendue impossible en raison de l’abolition du poste prévue par la loi. Si la relation était d’origine législative, tous les droits et toutes les obligations étaient alors créés par la loi. Par contre, en abrogeant la loi, la Couronne était libérée de toutes les obligations que celle-ci prévoyait. Il a conclu (à la p. 180):

[TRADUCTION] Dans la mesure où les droits et les obligations de la Couronne et du titulaire du poste trouvaient leur source dans une loi, le poste était aboli et il n’existait pas de disposition législative visant les titulaires du poste ainsi aboli. Dans la mesure où les droits et les obligations trouvaient leur source dans un contrat, toute autre exécution du contrat avait été rendue impossible par la loi et le contrat était résilié. Il est peut-être superflu d’ajouter que la résiliation signifie mettre fin à un contrat et non le rompre.

28 Bien qu’il ait envisagé la possibilité qu’il existait un contrat quelconque entre Reilly et la Couronne, le Conseil privé a statué que la relation demeurait essentiellement une relation définie par la loi et qu’elle n’était donc pas visée par les obligations découlant du droit commun du travail. Cela permettait à la Couronne de congédier ses employés à volonté, sans tenir compte des conditions de leur nomination et sans être tenue d’accorder une indemnité: voir Petryshyn, précité. La Couronne dans le présent pourvoi se fonde presque uniquement sur les principes énoncés dans l’arrêt Reilly pour rejeter la revendication de l’intimé.

29 À mon avis, le temps est venu de mettre fin à l’incertitude et de confirmer que le droit relatif aux hauts fonctionnaires concorde avec la compréhension contemporaine du rôle et des obligations de l’État dans ses rapports avec ses employés. Un emploi au sein de la fonction publique ne constitue pas une servitude féodale. Le poste de l’intimé n’était pas une forme de patronage monarchique. Il a été engagé pour occuper une fonction importante au nom des citoyens de Terre-Neuve. Le gouvernement lui a offert ce poste, les conditions ont été négociées et une entente a été conclue. Il s’agissait d’un contrat.

30 Comme le juge Beetz l’a clairement fait remarquer dans Labrecque, précité, la common law traite les relations du travail découlant d’une entente réciproque comme s’il s’agissait d’un contrat. C’est incontestablement de cette façon que pratiquement toute personne qui traite avec la Couronne les perçoit. Bien que les conditions d’un contrat puissent être prévues, en totalité ou en partie, par une loi, la relation du travail demeure fondamentalement un contrat et le droit général en matière de contrat s’applique, à moins que des termes explicites dans la loi ou l’entente ne le remplacent expressément.

31 C’est le cas pour la plupart des hauts fonctionnaires. Des exceptions sont nécessaires pour les juges, les ministres de la Couronne et d’autres personnes qui remplissent au sein de l’État des rôles définis constitutionnellement. Les conditions de leur relation avec l’État sont régies par les termes et les conventions de la Constitution. Les postes occupés par ces personnes font partie intégrante du «réseau de liens institutionnels entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire qui continuent de former la base de notre système constitutionnel»: Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au par. 3.

32 Ni l’une ni l’autre partie ne peut modifier les modalités fondamentales de ces relations, même par une entente. Par exemple, un juge ne peut pas négocier son traitement ni d’autres conditions d’emploi; voir Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 («Renvoi sur les juges»), au par. 134. Il n’en demeure pas moins que ces personnes exercent leurs fonctions aux termes de conditions particulières. Le mécanisme d’exécution de ces conditions ne figure pas dans un contrat, mais dans une déclaration des garanties constitutionnelles sous-jacentes à leur poste: voir Renvoi sur les juges, précité. Il existe également certains postes qui subsistent parce que leurs racines historiques sont toujours nourries par des considérations pratiques, par exemple, le «poste» indépendant d’agent de police: R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; Ridge c. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.).

B. Les conditions d’emploi de l’intimé

33 Dans des cas comme celui en l’espèce, la Cour doit mettre l’accent sur les conditions du contrat du fonctionnaire. Ces conditions se trouvent dans les expressions écrites et verbales de l’entente, les lois et règlements applicables et la common law. Un bon point de départ pour déterminer les conditions du contrat de travail de l’intimé consiste à examiner les par. 5(4) et (5) de la Loi de 1970 en vertu desquels il a été nommé. Ces dispositions prévoient:

[TRADUCTION]

5. . . .

(4) Sous réserve du paragraphe (5), les commissaires occupent leur poste à titre inamovible.

(5) Sauf instruction contraire du lieutenant gouverneur en conseil, la limite d’âge pour l’occupation du poste de commissaire est de soixante‑dix ans.

34 L’essentiel des communications entre l’intimé et la Couronne en ce qui concerne le poste est résumé dans l’exposé conjoint des faits. Le paragraphe 5 précise que l’intimé [TRADUCTION] «avait le droit d’occuper son poste à titre inamovible jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 70 ans». De même, le par. 9 dit que [TRADUCTION] «le demandeur [Wells] a eu la possibilité de choisir les conditions de sa nomination et a choisi “à titre inamovible” jusqu’à l’âge de 70 ans» (je souligne). L’article 5 de la Loi, interprété en regard de ces faits, crée un poste permanent.

35 Même si la Couronne et l’intimé savaient tous les deux qu’une intervention législative pouvait modifier ou éliminer la Commission, rien n’indique que cela était considéré comme compromettant la sécurité financière de l’intimé. Le concept de la sécurité du poste doit s’appliquer à la situation personnelle de l’intimé en vertu du contrat et non au poste lui-même.

36 Le seul licenciement envisagé était en raison d’une inconduite ou de l’âge. Il s’agissait explicitement d’un emploi permanent. Cette permanence doit avoir une signification. L’interprétation la plus vraisemblable des conditions d’emploi de l’intimé est que même si son poste et le pouvoir qui en découle pouvaient être abolis, il ne pouvait pas être privé des avantages de l’emploi sauf en raison de son âge ou d’une inconduite. La Couronne a manqué à ses obligations continues envers l’intimé en cessant de le rémunérer.

C. Le droit de la Couronne d’annuler le contrat

37 La Couronne appelante soutient que même si elle a violé le contrat de travail de l’intimé en abolissant son poste, elle avait le droit de le faire puisqu’elle exerçait son pouvoir discrétionnaire souverain. Il est évident, soutient-elle, que le gouvernement ne peut pas abandonner par contrat sa compétence législative: The King c. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] R.C.S. 500. Dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 560, le juge Sopinka a adopté le principe énoncé par le juge en chef King, in banco, de la Cour suprême de l’Australie‑Méridionale, dans l’affaire West Lakes Ltd. c. State of South Australia (1980), 25 S.A.S.R. 389, à la p. 390:

[TRADUCTION] Les ministres d’État ne sauraient toutefois, au moyen d’obligations contractées pour le compte de l’État, imposer des restrictions à leur propre liberté, à celle de leurs successeurs ou à celle d’autres députés, de proposer, d’étudier et, s’ils le jugent opportun, de voter des lois, fussent‑elles incompatibles avec les obligations contractuelles.

38 La Couronne soutient que, peu importe ce que les conditions d’engagement de l’intimé aient pu prévoir, la législature a conservé le pouvoir d’abolir son poste. Cette prérogative, prétend-elle, aurait pu exister soit comme une condition implicite du contrat, soit comme un droit détenu par la Couronne. Lord Atkin écrit dans Reilly, précité, à la p. 181: [TRADUCTION] «Il serait étrange que le Dominion ait le pouvoir de créer un poste, mais pas de l’abolir, sauf en accordant une indemnité apparemment pour la durée totale du poste original.»

39 La Couronne appelante fait valoir essentiellement que la Cour d’appel a confondu le droit de l’intimé d’occuper son poste avec le droit au maintien de ce poste. Autrement dit, l’intimé avait le droit d’occuper son poste à titre inamovible, jusqu’à l’âge de 70 ans, tant qu’il existait. Comme le poste a légitimement cessé d’exister, poursuit‑elle, les droits de l’intimé qui en découlaient ont cessé en même temps.

40 La Couronne a tenté d’étayer ce point de vue en se reportant au par. 28(1) de l’Interpretation Act, R.S.N. 1990, ch. I-19, qu’elle a interprété comme concluant que l’abolition du poste de l’intimé mettait également fin aux droits qui en découlaient. L’article se lit ainsi:

[TRADUCTION]

28. (1) Une loi doit s’interpréter comme réservant à la Législature la faculté de l’abroger ou de la modifier et de révoquer, restreindre ou modifier un pouvoir, un privilège ou un avantage qu’elle attribue ou confère à une personne.

41 Au risque de nous répéter, il ne fait aucun doute que le gouvernement de Terre-Neuve avait le pouvoir de restructurer ou d’éliminer la Commission. Toutefois, il existe une distinction fondamentale entre le fait pour la Couronne de se soustraire à l’exécution d’un contrat au moyen d’une loi, et le fait d’échapper entièrement aux conséquences juridiques d’une telle mesure. Bien qu’une législature puisse avoir le pouvoir extraordinaire d’adopter une loi pour refuser expressément d’indemniser une personne lésée avec qui elle a rompu une entente, il faudrait qu’une loi soit libellée de façon claire et explicite pour éteindre les droits qui avaient été précédemment conférés à cette partie. Ce point de vue est renforcé par l’al. 29(1)c) de la Interpretation Act, qui prévoit:

[TRADUCTION]

29. (1) Lorsqu’un texte législatif est abrogé en tout ou en partie ou un règlement révoqué en tout ou en partie, l’abrogation ou la révocation

. . .

c) ne porte pas atteinte aux droits, privilèges, obligations ou responsabilités, acquis, nés, naissant ou encourus en application du texte législatif ainsi abrogé ou du règlement ainsi révoqué;

42 Les droits contractuels de l’intimé relativement à son emploi de commissaire ont été acquis sous le régime de la Public Utilities Act, et la seule abrogation de cette dernière ne le prive pas de ces droits. Point à signaler, le vice-président du comité de l’Assemblée législative de Terre-Neuve sur la révision des lois concernant les ressources a suggéré que la nouvelle Loi s’intitule: [TRADUCTION] «Projet de loi portant sur le renvoi de Andy Wells»: Terre-Neuve: Proceedings of the Resource Legislation Review Committee, fascicule no 8,14 décembre 1989, à la p. L7. Le gouvernement était libre d’adopter un tel projet de loi, comme il l’était d’en adopter un qui aurait expressément refusé toute indemnité à l’intimé (voir Welch c. New Brunswick (1991), 116 R.N.-B. (2e) 262 (B.R.), pour un exemple d’un déni explicite du droit à une indemnité). Toutefois, comme aucune loi en ce sens n’a été adoptée, les droits contractuels fondamentaux de l’intimé à une indemnité de départ subsistent.

43 L’anomalie apparente d’un poste permanent dans un monde où le gouvernement a un droit inconditionnel de modifier une structure administrative est résolue par le respect de la distinction entre le droit de l’intimé d’occuper un poste comme commissaire et son droit aux avantages financiers qui découlent du fait d’avoir accepté d’exercer de telles fonctions. Bien que la législature soit libre de priver un poste de pouvoir et de responsabilité, en ce faisant, elle ne prive pas l’intimé de l’indemnité découlant du contrat, sauf si elle le prévoit expressément dans la loi.

44 Comme il a été souligné dans le Renvoi sur les juges, précité, la sécurité financière personnelle est une caractéristique essentielle de l’indépendance judiciaire. Étant donné que la protection de l’indépendance dans le processus décisionnel public était la raison d’être d’une commission des services publics permanente, une interprétation inspirée de l’objet de la loi veut que le gouvernement ait eu l’intention de protéger l’intimé, dans la mesure du possible, d’une coercition financière indue. Une menace de le priver d’avantages financiers importants et d’une sécurité, par exemple l’abolition d’une pension presque acquise, serait un bon exemple d’une telle contrainte.

45 Il est raisonnable de déduire que la sécurité financière de l’intimé était destinée à subsister après l’abolition de son poste. La Couronne s’étant fondée sur le fait que l’abolition de la Commission originale constituait une décision prise de bonne foi et sans intention d’exercer une contrainte ou d’intimider ses membres ou de compromettre leur indépendance, elle ne peut soutenir à présent une autre interprétation des conditions d’emploi de l’intimé.

46 Dans un pays régi par la primauté du droit, nous présumons que le gouvernement respectera ses obligations, à moins qu’il n’exerce expressément son pouvoir de ne pas le faire. Faute d’une intention expresse et claire d’abroger des droits et des obligations — droits de la plus haute importance pour l’individu — ces droits demeurent en vigueur. Prétendre le contraire signifierait que le gouvernement n’est lié que par son caprice, non par sa parole. Au Canada, cela est inacceptable et ne concorde pas avec la façon dont on envisage la relation entre l’État et ses citoyens.

47 L’arrêt Reilly doit être compris comme portant sur l’interprétation donnée à la loi portant abrogation. Dans la mesure où l’on se fonde sur cet arrêt pour faire valoir que la Couronne peut implicitement se soustraire à ses obligations contractuelles en prévoyant indirectement une violation dans une loi, il ne s’agit plus du droit en vigueur au Canada. Un contrat de travail conclu avec la Couronne est obligatoire pour les parties, à moins d’être explicitement remplacé par une loi et jusqu’à ce qu’il le soit. Cela est conforme à l’arrêt Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101, dans lequel la Cour a statué qu’une loi ne doit pas être interprétée de façon à priver quelqu’un de ses biens sans indemnisation, à moins que le libellé de la loi ne le prévoie clairement.

48 La restriction de principe du droit de la Couronne de manquer à ses obligations contractuelles sans conséquence a été approuvée par le professeur P. W. Hogg, dans Liability of the Crown (2e éd. 1989), aux pp. 171 et 172, où il écrit:

[TRADUCTION] Je reconnais qu’il est possible que, à de rares occasions, la Couronne puisse se sentir contrainte par des considérations d’ordre public de violer un engagement contractuel. S’il n’existait pas de théorie de nécessité de l’exécutif, le droit commun en matière de contrat s’appliquerait et exigerait que la Couronne négocie avec l’autre partie en vue d’obtenir un changement ou une décharge, ou encore verse des dommages-intérêts pour rupture de contrat. Il s’agit certainement du bon résultat. Il prévoit l’indemnisation de la partie contractante lésée. Le trésor public est tenu d’assumer le coût du changement de la politique gouvernementale.

Il est concevable que survienne une situation où le gouvernement ne peut admettre la décision d’un tribunal qui tient la Couronne responsable de la rupture de contrat. Par exemple, un tribunal pourrait accorder des dommages-intérêts qui sont si élevés qu’ils associent un coût insupportable à une politique gouvernementale envisagée. La solution en ce cas est de légiférer. Le Parlement ou une législature a le pouvoir d’annuler un contrat et ce pouvoir n’est limité par aucune obligation de verser une indemnisation. De même, les décisions judiciaires peuvent être rétroactivement annulées ou modifiées. La Charte canadienne des droits ne prévoit pas de protection générale pour le droit de propriété ni aucune interdiction générale en ce qui concerne les lois rétroactives. Par conséquent, par l’entremise d’une loi, la volonté de la collectivité peut être exprimée de manière à l’emporter sur des droits contractuels privés. Il s’agit de la garantie ultime de la politique gouvernementale.

49 On n’a pas invoqué la Charte dans le présent pourvoi, et les présents motifs ne traitent pas d’arguments possibles fondés sur la Charte. Quoi qu’il en soit, le recours à une loi pour priver une personne en particulier d’un droit à une indemnité pour manquement à une relation d’emploi est une utilisation draconienne et extraordinaire du pouvoir gouvernemental qui, parce qu’il ne doit pas être exercé à la légère, exige un libellé spécifique et clair.

D. L’impossibilité d’exécution

50 La Couronne appelante soutient que le contrat de l’intimé est devenu inexécutoire en raison de l’adoption de la nouvelle Loi qui empêche Wells de continuer d’occuper son ancien poste. La Couronne s’est de nouveau fondée sur l’arrêt Reilly, ainsi que sur des décisions récentes qui l’appliquent; Welch, Peddle, et Petryshyn, précités. Dans Reilly, à la p. 180, Lord Atkin affirme:

[traduction] . . . il semble à leurs Seigneuries que la présente affaire soit tranchée par la proposition élémentaire selon laquelle, si la poursuite de l’exécution d’un contrat est rendue impossible par l’adoption d’une loi ayant cet effet, le contrat est résilié. En l’espèce, le poste occupé par l’appelant a été aboli par une loi: il devenait alors illégal pour le fonctionnaire de rester dans son poste ou qu’on lui verse un salaire. [. . .] Dans la mesure où les droits et les obligations trouvaient leur source dans un contrat, la loi avait rendu impossible toute autre exécution du contrat et le contrat avait été résilié.

51 L’objection manifeste à cet argument est que l’impossibilité d’exécution engendrée par son propre fait n’excuse pas l’inexécution: National Trust Co. c. Wong Aviation Ltd., [1969] R.C.S. 481; G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (3e éd. 1994), aux pp. 642 et 643; Chitty on Contracts (27e éd. 1994), vol. 1, au par. 23‑047. La Couronne répond que la séparation des pouvoirs entre les organes législatif et exécutif signifie qu’un texte législatif qui empêche l’exécutif d’exercer ses obligations contractuelles en cours ne constitue pas une impossibilité d’exécution engendrée par son propre fait, parce que ces organes sont des entités indépendantes.

52 La théorie de la séparation des pouvoirs est un élément essentiel de notre constitution. Elle maintient la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et les deux autres organes de gouvernement, le législatif et l’exécutif, et dans une certaine mesure, entre le législatif et l’exécutif: voir Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 491; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, à la p. 469. Cependant, le gouvernement ne peut pas se fonder sur cette séparation formelle pour échapper aux conséquences de ses propres actions. Bien que la législature conserve le pouvoir de mettre fin expressément à un contrat sans indemnisation, il est fallacieux de la part de l’exécutif d’affirmer que le texte législatif adopté conformément à son propre programme entraîne une impossibilité d’exécution indépendante de sa volonté.

53 En pratique, il est admis que les mêmes personnes contrôlent à la fois les organes exécutif et législatif du gouvernement. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Procureur général du Québec c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312, à la p. 320, «Il y a donc une certaine intégration du gouvernement à la Législature. [. . .] [C]’est le gouvernement qui, par sa majorité, contrôle en pratique au jour le jour les travaux des membres élus de la Législature». De même, dans le Renvoi relatif au Régime d’assurance publique du Canada, précité, le juge Sopinka a dit, à la p. 547:

C’est [. . .] le cabinet qui détient le véritable pouvoir exécutif. Et comme c’est le cabinet qui contrôle le gouvernement, il en résulte dans la pratique que les termes «gouvernement», «cabinet» et «exécutif» se chevauchent jusqu’à un certain point. [. . .] En pratique, la plupart des projets de loi sont déposés à l’initiative du gouvernement . . .

54 La séparation des pouvoirs n’est pas une structure rigide et absolue. La Cour ne doit pas omettre de tenir compte de la réalité de l’exercice de l’autorité au Canada selon lequel, sauf dans de rares cas, l’exécutif contrôle, fréquemment et de fait, le législatif. La nouvelle Public Utilities Act de Terre-Neuve était un projet de loi émanant du gouvernement, présenté par un député, comme l’ordonnait la directive du cabinet C 328-’89. Par conséquent, les mêmes «âmes dirigeantes», à savoir l’exécutif, étaient responsables de la nomination de l’intimé et de son licenciement. En outre, étant donné que plusieurs postes équivalents à celui qu’occupait auparavant l’intimé ont été créés en vertu de la nouvelle Loi, l’exécutif aurait pu le nommer de nouveau et remédier à sa rupture de contrat. Cela continue de prouver la futilité de l’argument relatif à l’impossibilité d’exécution dans les circonstances de la présente affaire.

55 La Couronne avait, à l’égard de l’intimé, une obligation contractuelle à laquelle elle a manqué en abolissant le poste de ce dernier. Comme l’intimé n’a pas été privé par une loi de son droit à des dommages-intérêts pour cette rupture, il a droit à une indemnité.

E. Question de droit administratif

56 Comme les présents motifs prévoient que l’intimé a droit à des dommages‑intérêts en raison d’une rupture de contrat, il n’est pas nécessaire d’examiner si la Couronne a manqué à un devoir d’équité dans le processus décisionnel qui a donné lieu au licenciement de l’intimé. Toutefois, vu que l’affaire a été plaidée principalement sur ce fondement et que ce point a fait l’objet de commentaires élaborés et discordants de la part des tribunaux d’instance inférieure, il convient d’aborder brièvement la question.

57 L’idée maîtresse de l’argumentation de l’intimé était que, puisqu’il avait perdu son emploi en raison d’une mesure gouvernementale, il avait droit à ce que cette décision soit prise de manière équitable. Les décisions du gouvernement qui ont été prises suivant une procédure inéquitable ou arbitraire n’ont pas force de loi et sont susceptibles de contrôle judiciaire par les tribunaux: Nicholson, précité, au par. 328; Knight, précité, à la p. 675. Les employés de la Couronne, même ceux qui ne bénéficient pas de conditions d’emploi particulières, légales ou négociées, les protégeant d’un licenciement, ont le droit de ne pas être licenciés sauf en conformité avec les principes de justice naturelle.

58 Dans la présente affaire, le licenciement de l’intimé n’a rien à voir avec lui personnellement, et peut être distingué des cas où la compétence ou les capacités d’un employé sont en litige. Le licenciement de l’intimé découlait d’événements extérieurs qui avaient touché la Commission pour laquelle il exerçait ses fonctions et des choix de politique gouvernementale faits par le gouvernement de Terre-Neuve en réponse aux besoins publics changeants. Il ne s’agit pas d’une situation où l’animosité personnelle a amené des membres du gouvernement à recourir illégalement à leur pouvoir contre une personne sur laquelle ils avaient autorité, comme c’était le cas dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 140.

59 La décision de restructurer la Commission et la décision subséquente de ne pas nommer de nouveau l’intimé étaient des décisions valables prises de bonne foi. La décision de restructurer la Commission était délibérée et a été adoptée par la législature élue de la province de Terre-Neuve. En conséquence, l’argument de l’intimé relativement à la mauvaise foi ne tient pas, car la prise d’une décision législative ne fait l’objet d’aucun devoir d’équité connu. Les législatures sont assujetties à des exigences constitutionnelles pour que l’exercice de leur pouvoir de légiférer soit valide, mais à l’intérieur des limites que leur impose la constitution, elles peuvent faire ce que bon leur semble. Seuls les électeurs peuvent débattre de la sagesse et de la valeur des décisions législatives. Le jugement dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité, à la p. 558, était concluant sur ce point: «les règles de l’équité procédurale ne s’appliquent pas à un organe qui exerce des fonctions purement législatives». Voir également Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, le juge Dickson, à la p. 628.

60 Dans le Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, on a dit à la p. 785:

La façon dont les chambres du Parlement procèdent, celle dont une assemblée législative provinciale procède est dans chaque cas une question d’auto-définition, sous réserve de prescriptions constitutionnelles prépondérantes, ou de prescriptions auto-imposées par la loi ou internes. Il est inutile en l’espèce de se lancer dans un examen historique de l’aspect «judiciaire» du Parlement et de l’immunité de ses procédures au contrôle judiciaire. Les tribunaux interviennent quand une loi est adoptée et non avant (à moins qu’on ne leur demande leur avis sur un projet de loi par renvoi). [Je souligne.]

61 Le préjudice subi par l’intimé est le résultat d’une décision «législative et générale» prise légitimement et non d’une décision «administrative et particulière»: voir Knight, précité, à la p. 670. Bien que les répercussions pour l’intimé puissent avoir été particulièrement graves, il ne s’agissait pas d’une attaque directe et intentionnelle contre ses intérêts. Sa situation n’est pas différente de celle d’un contribuable mécontent désargenté à cause d’un budget nouvellement adopté, ni de celle d’un bénéficiaire de l’aide sociale dont les prestations sont réduites à cause de modifications législatives des critères d’admissibilité. Il ne s’agissait pas d’une affaire personnelle, il s’agissait d’un choix de politique législative. Les droits procéduraux soulevés dans Nicholson et Knight, précités, ne s’appliquent pas. Il n’existe pas de droit général au contrôle judiciaire de l’équité de telles décisions ou de leur portée sur des personnes: Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735. L’intimé ne peut pas revendiquer le droit de participer aux décisions ayant conduit à l’abolition de son poste dans le cadre de réformes globales.

62 L’intimé n’a pas non plus de motifs de contester la décision de ne pas le nommer de nouveau. La question de la nouvelle nomination de l’intimé survient une fois qu’il a été décidé que son licenciement au moment de la dissolution de l’ancienne Commission était légal et exécutoire. À ce stade, l’intimé se trouvait dans la même situation que tout autre membre du public cherchant à être nommé. Il est difficile de comprendre comment un candidat à une fonction publique peut revendiquer le droit de participer au processus de nomination. Il n’existe aucun intérêt acquis en jeu donnant lieu à un devoir d’équité (Knight, précité). L’intimé n’a établi l’existence d’aucun fondement sur lequel il aurait pu former une attente raisonnable d’être consulté dans le processus.

F. Évaluation des dommages-intérêts de l’intimé

63 Le contrat de l’intimé pouvait prendre fin de trois façons: par sa démission ou sa mort, par le fait qu’il atteigne l’âge de 70 ans ou pour une inconduite. L’intimé pouvait choisir de partir à n’importe quel moment, mais il ne pouvait pas être licencié avec préavis. Il ne s’agissait pas d’un contrat de travail à durée indéterminée ou déterminée. Les dommages-intérêts de l’intimé doivent être évalués en fonction de la perte de la chance d’exercer ses fonctions pendant toute la durée du contrat et de gagner le salaire et les avantages s’y rattachant.

64 Dans la présente affaire, la rémunération de l’intimé pour les années restantes de sa nomination était connue et la seule question à trancher est de savoir s’il aurait exercé ses fonctions pendant toute la durée de son mandat. Le dossier montre que l’intimé prenait son emploi au sérieux et qu’il avait suivi une formation complémentaire en vue de mieux comprendre et de mieux exécuter ses fonctions. Rien dans la preuve ne tend à indiquer un départ imminent.

65 Comme il s’agit d’une réclamation contractuelle, les règles habituelles en matière de mitigation des dommages-intérêts s’appliquent: Neilson c. Vancouver Hockey Club (1988), 51 D.L.R. (4th) 40 (C.A.C.‑B.); Gunton c. London Borough of Richmond Upon Thames, [1980] 3 All E.R. 577 (C.A.). L’intimé, qui a un sens aigu de la politique et est connu publiquement, n’est pas resté longtemps sans emploi après son licenciement de la Commission. En fait, il est actuellement maire de la ville de St. John’s à Terre-Neuve. Par conséquent, il est clair qu’il était capable de mitiger la perte d’un emploi stable à long terme. Toutefois, il n’était pas obligé d’accepter le poste moins important de protecteur du consommateur, qui a de toute façon été aboli peu de temps après. Rien ne donne à penser que l’intimé aurait pu raisonnablement limiter la perte de prestations de retraite.

66 Suite à un examen du dossier et des éléments de preuve concernant l’exercice des fonctions de l’intimé et son intention face à son poste, la Cour d’appel a accordé à l’intimé des dommages-intérêts représentant deux ans et demi de traitement, ainsi que les prestations de retraite auxquelles il aurait eu droit pour ces années de service additionnelles (c.-à-d. sept ans). La Cour d’appel a signalé son hésitation à évaluer des dommages-intérêts, le juge de première instance n’ayant fait aucun commentaire à ce sujet. Toutefois, elle a statué, à la p. 288, que [TRADUCTION] «[d]ans le but d’accélérer les choses et, espérons-le, pour éviter d’autres litiges et la perte de temps, nous avons décidé de nous prononcer sur les dommages-intérêts».

67 Nous convenons qu’habituellement l’évaluation des dommages-intérêts aurait été renvoyée au juge de première instance, mais nous partageons les préoccupations de la Cour d’appel en ce qui concerne la célérité. Bien que la Couronne appelante se soit objectée au fait que la Cour d’appel accorde des dommages-intérêts, aucune raison impérieuse n’a été donnée pour démontrer que les dommages-intérêts accordés étaient trop élevés ou non appropriés dans les circonstances. Il est arrivé que notre Cour confirme les dommages‑intérêts accordés en premier lieu par une Cour d’appel: voir Hôpital Bellechasse c. Pilotte, [1975] 2 R.C.S. 454.

68 De même, dans l’arrêt Reaney c. Co-operative Wholesale Society, Ltd., [1932] W.N. 78, la Cour d’appel d’Angleterre a évalué les dommages-intérêts en premier lieu dans un appel d’une affaire de décès causé par la faute d’autrui, également afin d’éviter un retard improductif qui aurait entraîné plus d’injustice que d’avantages. L’article 46.1 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, prévoit:

46.1 La Cour peut renvoyer une affaire en tout ou en partie à la juridiction inférieure ou à celle de première instance et ordonner les mesures qui lui semblent appropriées.

L’intimé ayant été licencié il y a plus de neuf ans, tout autre retard ne servirait pas l’intérêt de la justice et l’affaire devrait être menée à terme. Compte tenu de toutes les circonstances, les dommages-intérêts évalués par la Cour d’appel sont raisonnables et indemnisent équitablement l’intimé pour le préjudice subi. Rien au dossier n’appuie l’attribution de dommages-intérêts additionnels et l’ordonnance de la Cour d’appel de Terre-Neuve est donc confirmée.

IV. Dispositif

69 En conséquence, le pourvoi est rejeté. L’intimé a droit à ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur des appelants: Le ministère de la Justice, St. John’s.

Procureurs de l’intimé: White, Ottenheimer & Baker, St. John’s.



Parties
Demandeurs : Wells
Défendeurs : Terre-Neuve

Références :
Proposition de citation de la décision: Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199 (15 septembre 1999)


Origine de la décision
Date de la décision : 15/09/1999
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1999] 3 R.C.S. 199 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-09-15;.1999..3.r.c.s..199 ?
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