Orlowski c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 733
Travis Orlowski Appelant
c.
Le directeur du Forensic Psychiatric Institute et
le procureur général de la Colombie‑Britannique Intimés
et
Le procureur général du Canada,
le procureur général de l’Ontario,
le procureur général du Québec et
l’Association canadienne pour la santé mentale Intervenants
Répertorié: Orlowski c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute)
No du greffe: 25751.
1998: 15, 16 juin; 1999: 17 juin.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 84 B.C.A.C. 67, 137 W.A.C. 67, [1996] B.C.J. No. 2264 (QL), qui a conclu que l’art. 672.54 du Code criminel était constitutionnel. Pourvoi rejeté.
Rod Holloway et Lisa Sturgess, pour l’appelant.
Harvey M. Groberman et Lisa J. Mrozinski, pour les intimés.
Kenneth J. Yule et George G. Dolhai, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Eric H. Siebenmorgen et Riun Shandler, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Pierre Lapointe, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Janet L. Budgell et Jennifer August, pour l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale.
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par
//Le juge McLachlin//
Le juge McLachlin --
I. Introduction
1 Dans le cadre du présent pourvoi, nous devons examiner la constitutionnalité des dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, portant sur les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. La même question est soulevée dans les pourvois connexes Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, Bese c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 733, et R. c. LePage, [1999] 2 R.C.S. 744. Je conclus que, interprétées en fonction de leur objet, les dispositions du Code criminel, particulièrement l’art. 672.54, sont constitutionnelles, et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Les faits
2 Monsieur Orlowski souffre de schizophrénie paranoïde et se croit persécuté. Il s’est retrouvé soumis à l’application des dispositions du Code criminel portant sur les troubles mentaux par suite d’un incident survenu le 8 octobre 1989 à Hedley (C.‑B.). À cette date, un agent de la GRC a aperçu M. Orlowski se parlant à lui-même et faisant feu à répétition en direction d’une maison et du sol avec une carabine. Lorsque l’agent lui a dit de laisser tomber son arme, M. Orlowski s’est rendu sur‑le‑champ. Tout le long de l’incident, M. Orlowski paraissait très effrayé. Il avait de l’écume à la bouche, ses yeux étaient inversés et il criait des choses comme [traduction] «ils me poursuivent», «j’ai appelé le Pentagone», «j’ai parlé à l’armée américaine» et «ils vont nous faire sauter». En le fouillant, l’agent a trouvé deux briquets Bic entourés de charges explosives et de mèches. Monsieur Orlowski a été accusé de possession d’une substance explosive, de braquement d’une arme à feu, de possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique, de menaces et de méfait. Le 22 mars 1990, il a été déclaré non coupable pour cause d’aliénation mentale, et il a automatiquement été placé en détention selon le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la Colombie‑Britannique en vertu des dispositions du Code criminel en vigueur à l’époque. Après avoir été placé sous bonne garde au Forensic Psychiatric Institute pendant plusieurs mois, il a fait l’objet d’une ordonnance de libération conditionnelle qui a été rendue par le lieutenant‑gouverneur le 17 avril 1991.
3 En 1991, le législateur a édicté la partie XX.1 du Code criminel, de sorte que M. Orlowski a acquis le droit de voir son statut révisé à intervalles réguliers par la commission d’examen. Depuis l’entrée en vigueur de la partie XX.1, M. Orlowski a bénéficié de sept auditions, en conformité avec l’art. 672.54 du Code criminel. À chaque fois, la commission d’examen lui a refusé la libération inconditionnelle mais a ordonné sa libération sous réserve de modalités. Se fondant sur une question de droit, M. Orlowski a interjeté appel auprès de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique de la décision rendue le 2 mars 1992 par la commission d’examen, et il a obtenu gain de cause: Orlowski c. British Columbia (Attorney-General) (1992), 75 C.C.C. (3d) 138 («Orlowski no 1»). Toutefois, le 31 mars 1993, il a de nouveau été libéré conditionnellement.
4 Après sa libération conditionnelle du Forensic Psychiatric Institute, M. Orlowski a eu de nouveaux démêlés avec la justice à la suite d’un incident concernant une adolescente de 14 ans, survenu le 25 juillet 1993. Il a été accusé d’agression sexuelle et est retourné à l’institut où, après une audition, la commission d’examen a ordonné qu’il soit de nouveau libéré sous réserve de certaines conditions. Il a interjeté appel sans succès de cette décision devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique: Orlowski c. British Columbia (Attorney General), [1994] B.C.J. No. 1626 (QL). Il a plaidé coupable à l’accusation d’agression sexuelle et a été condamné à un jour de prison le 14 mars 1995. Le juge qui a prononcé la peine a conclu qu’il serait [traduction] «dans l’intérêt supérieur de la société et de l’accusé que ce dernier soit condamné à un jour de prison et qu’il demeure ensuite sous la garde continue du Forensic Psychiatric Institute». Le 26 juillet 1995, M. Orlowski a commencé à habiter chez son frère et, le 1er novembre 1995, il a été remis aux soins de l’Adult Forensic Outpatient Clinic.
III. Les jugements des juridictions inférieures
5 L’audition de la commission d’examen qui a mené au présent pourvoi a commencé le 6 juillet 1995. Après avoir entendu les témoignages des membres de l’équipe médicale en charge de M. Orlowski, la commission a suspendu ses délibérations afin de recueillir des renseignements additionnels. La commission a demandé un examen psychologique, une évaluation visant à examiner la possibilité d’une ordonnance d’hébergement, une évaluation des risques ainsi que la transcription de l’audition sur la détermination de la peine à l’égard de l’accusation d’agression sexuelle. La procédure a pris fin le 8 septembre 1995, après deux journées d’audition supplémentaires.
6 La commission d’examen a rendu sa décision le 25 septembre 1995. Se fondant sur la décision de la Cour d’appel dans Orlowski no 1, la commission a refusé d’accorder à M. Orlowski une libération inconditionnelle parce que [traduction] «bien que l’accusé ne semble pas, au moment de l’audition, constituer un risque immédiat et constant pour lui‑même et pour le public en général, il pourrait, dans certaines circonstances, constituer un tel risque, et même, un risque important». La commission a plutôt préféré assortir de nouveau la libération de M. Orlowski de conditions, affirmant que [traduction] «[Monsieur Orlowski] a clairement besoin de l’occasion de faire ses preuves». L’ordonnance de libération de la commission comportait la condition générale que M. Orlowski continue d’être soumis au contrôle et à la surveillance du directeur des Adult Forensic Psychiatric Services, ce qui l’obligeait à se présenter auprès du directeur au moins une fois par deux semaines, à respecter diverses conditions à l’égard du lieu de son domicile et à se soumettre à des conditions lui interdisant de consommer de l’alcool et des drogues et de posséder des armes à feu.
7 Conformément au droit d’appel conféré par l’art. 672.72, M. Orlowski a interjeté appel contre quatre des conditions imposées par la commission d’examen dans sa décision du 25 septembre 1995. Il n’a pas cherché à obtenir une libération inconditionnelle. Au cours de l’instance en appel, trois conditions ont été modifiées de consentement entre les parties. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté la contestation de M. Orlowski à l’égard de la quatrième condition et a rejeté l’appel le 29 juillet 1996: 79 B.C.A.C. 16.
8 À l’instar de MM. Winko et Bese, qui sont appelants dans deux des pourvois connexes, M. Orlowski a par la suite contesté la constitutionnalité des dispositions du Code criminel, portant sur les décisions relatives aux accusés non responsables criminellement, devant une formation différente de la Cour d’appel. Dans une décision rendue le 19 novembre 1996 (84 B.C.A.C. 68), les juges majoritaires ont conclu que les dispositions de la partie XX.1 ne violaient pas l’art. 7 ni le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge Williams, dissident, a conclu que les dispositions faisaient reposer le fardeau de la preuve sur le demandeur, ce qui était contraire à l’art. 7 de la Charte et n’était pas justifié au sens de l’article premier. Le présent pourvoi découle de cette décision.
9 Devant notre Cour, M. Orlowski et ceux qui, dans le cadre des pourvois connexes, ont également interjeté appel, prétendent que l’art. 672.54 viole leurs droits à la liberté garantis par l’art. 7 ainsi que leurs droits à l’égalité garantis par le par. 15(1) de la Charte, et que ces violations ne sont pas justifiées au sens de l’article premier de la Charte. Ils demandent un jugement déclarant que les dispositions concernées du Code criminel sont inopérantes, ainsi qu’une ordonnance de libération inconditionnelle.
IV. Les questions en litige
10 Le Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes le 16 octobre 1997:
1. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’il crée de la discrimination à l’endroit des personnes souffrant de troubles mentaux -- y compris celles atteintes de déficiences mentales -- qui, pour cette cause, font l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle?
2. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte-t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif que, d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, il prive de leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne les personnes faisant l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux?
3. Si oui, s’agit-il d’atteintes dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
V. Analyse
11 Les motifs de notre Cour dans le pourvoi connexe Winko, précité, analysent de façon exhaustive la constitutionnalité des dispositions du Code criminel portant sur les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Dans ce pourvoi, je conclus que, interprétées en fonction de leur objet, les dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, particulièrement l’art. 672.54, ne violent pas l’art. 7 ni le par. 15(1) de la Charte, et qu’elles sont donc constitutionnelles.
VI. Conclusion*
12 Pour les motifs exposés dans le pourvoi connexe Winko, je conclus que l’art. 672.54 ne viole pas l’art. 7 ni le par. 15(1) de la Charte. Il s’agit d’une disposition législative valide, rédigée avec soin pour protéger la liberté de l’accusé non responsable criminellement, de la manière la plus compatible avec la situation actuelle de cette personne et avec la nécessité de protéger la sécurité du public.
13 Monsieur Orlowski n’a pas interjeté appel de la décision rendue le 29 juillet 1996 par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique qui confirme la décision portant libération conditionnelle prononcée par la commission d’examen le 25 septembre 1995. Devant notre Cour, il a fondé l’ensemble de son argumentation et de sa demande de redressement sur l’inconstitutionnalité alléguée de l’art. 672.54. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’infirmer ou de modifier la décision de la commission d’examen portant libération conditionnelle de M. Orlowski. J’aimerais souligner cependant que, dans leur décision du 25 septembre 1995, les membres majoritaires de la commission semblent avoir tenu pour acquis que, s’ils n’étaient pas convaincus que l’appelant, M. Orlowski, ne constituait pas un risque important pour la sécurité du public, ils devaient continuer d’imposer des conditions restrictives. Pareille interprétation de l’art. 672.54 ne serait pas conforme à celle exposée dans les présents motifs.
14 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:
1. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’il crée de la discrimination à l’endroit des personnes souffrant de troubles mentaux -- y compris celles atteintes de déficiences mentales -- qui, pour cette cause, font l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle?
Non.
2. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif que, d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, il prive de leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne les personnes faisant l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux?
Non.
3. Si oui, s’agit-il d’atteintes dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Vu les réponses données aux questions précédentes, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé et Gonthier rendus par
Le juge Gonthier —
I. Introduction
15 Dans le cadre du présent pourvoi, nous sommes appelés à déterminer si la partie XX.1 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, contrevient à l’art. 7 ou à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, si elle peut se justifier au sens de l’article premier. La même question est soulevée dans les pourvois connexes Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, Bese c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 722, et R. c. LePage, [1999] 2 R.C.S. 744.
16 J’ai pris connaissance des motifs du juge McLachlin. J’adopte son exposé des faits ainsi que son résumé des jugements des instances inférieures. Comme je l’ai expliqué dans les motifs que j’ai rédigés dans Winko, je fais miennes pour l’essentiel son analyse de même que sa conclusion que les dispositions contestées du Code criminel ne violent ni l’art. 7 ni l’art. 15 de la Charte et, par conséquent, que le pourvoi doit être rejeté.
17 J’arrive toutefois à cette conclusion en recourant à une interprétation différente des dispositions en cause. À mon avis, l’al. 672.54a) du Code criminel exige clairement que le tribunal ou la commission d’examen conclue que l’accusé non responsable criminellement «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public» (je souligne) avant de pouvoir rendre une décision portant libération inconditionnelle de celui‑ci. Pour les motifs exposés dans Winko, l’al. 672.54a) ne viole ni l’art. 7 ni l’art. 15.
18 En l’espèce, contrairement au juge McLachlin (au par. 13), je conclus que si la commission a agi sur le fondement qu’elle devait accorder une libération inconditionnelle si elle était convaincue que M. Orlowski ne représentait pas un risque important pour la sécurité du public, elle a correctement interprété les dispositions contestées.
19 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles comme le propose le juge McLachlin.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l’appelant: Rod Holloway, Vancouver.
Procureur de l’intimé le directeur du Forensic Psychiatric Institute: Mary P. Acheson, Vancouver.
Procureurs de l’intimé le procureur général de la Colombie‑Britannique: Harvey M. Groberman et Lisa J. Mrozinski, Victoria.
Procureurs de l’intervenant le procureur général du Canada: Kenneth J. Yule et George G. Dolhai, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Eric H. Siebenmorgen, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Pierre Lapointe, Québec.
Procureur de l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale: Centre de la défense des droits des handicapés, Toronto.
* Voir Erratum [1999] 2 R.C.S. iv