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03/09/1998 | CANADA | N°[1998]_2_R.C.S._358

Canada | Banque continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358 (3 septembre 1998)


Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Banque Continentale du Canada Intimée

Répertorié: Banque Continentale du Canada c. Canada

No du greffe: 25521.

1998: 26 janvier; 1998: 3 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1996), 199 N.R. 100, 96 D.T.C. 6355, [1996] A.C.F. no 765 (QL), qui a rejeté l’appel for

mé par la Couronne contre une décision de la Cour canadienne de l’impôt, [1995] 1 C.T.C. 2135, 94 D.T.C. 1858, [1994] A.C.I...

Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Banque Continentale du Canada Intimée

Répertorié: Banque Continentale du Canada c. Canada

No du greffe: 25521.

1998: 26 janvier; 1998: 3 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1996), 199 N.R. 100, 96 D.T.C. 6355, [1996] A.C.F. no 765 (QL), qui a rejeté l’appel formé par la Couronne contre une décision de la Cour canadienne de l’impôt, [1995] 1 C.T.C. 2135, 94 D.T.C. 1858, [1994] A.C.I. no 585 (QL), qui a conclu que le gain réalisé par la Banque par suite de la disposition de sa participation dans une société en nom collectif était un gain en capital. Pourvoi rejeté.

S. Patricia Lee et Larry R. Olsson, c.r., pour l’appelante.

Kent E. Thomson et H. Lorne Morphy, pour l’intimée.

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé et Bastarache rendus par

1 Le juge Bastarache -- Compte tenu de ma décision dans l’affaire Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, motifs déposés en même temps que les présents motifs, («affaire Leasing»), les questions soulevées par le présent pourvoi ne se posent plus. Je vais cependant commenter la validité de la méthode retenue par le ministre pour établir la nouvelle cotisation à l’égard de la Banque Continentale du Canada (la «Banque»).

Les faits

2 Le présent pourvoi découle des faits résumés dans l’affaire Leasing. Outre les faits exposés dans cette affaire, les faits suivants sont également pertinents. Le 12 octobre 1989, subsidiairement à l’établissement de la nouvelle cotisation à l’égard de Continental Bank Leasing Corporation («Leasing»), le ministre a transmis un avis de cotisation à la Banque sur le fondement que le bénéfice réalisé par celle-ci lors de la disposition de sa prétendue participation dans une société en nom collectif -- ou société de personnes -- n’était pas un gain en capital, contrairement à ce que la Banque avait déclaré, mais plutôt un gain à inscrire au titre des revenus d’exploitation et donc imposable en entier. Sur ce fondement, la somme de 83 052 657 $ a été incluse dans le calcul du revenu de la Banque tiré d’une entreprise en vertu du par. 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications (la «Loi»).

Les dispositions législatives pertinentes

3 Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes:

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

(2) Sous réserve des dispositions de l’article 31, la perte subie par un contribuable dans une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte, si perte il y a, subie dans cette année d’imposition relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée en appliquant mutatis mutandis les dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

(3) Dans la présente loi, le revenu tiré d’un bien exclut tout gain en capital réalisé à la disposition de ce bien et la perte résultant d’un bien exclut toute perte en capital résultant de la disposition de ce bien.

13. (1) Lorsque à la fin d’une année d’imposition le total des sommes déterminées conformément aux sous‑alinéas (21)f)(iii) à (viii) en ce qui concerne des biens amortissables d’une catégorie prescrite appartenant à un contribuable est supérieur au total des sommes déterminées conformément aux sous‑alinéas (21)f)(i) à (ii.1) en ce qui concerne des biens amortissables de cette catégorie appartenant au contribuable, le contribuable doit inclure l’excédent dans le calcul de son revenu de ladite année d’imposition.

88. (1) Lorsqu’une corporation canadienne imposable (appelée dans le présent paragraphe la «filiale») a été liquidée après le 6 mai 1974 et qu’au moins 90% des actions émises de chaque catégorie de son capital‑actions appartenaient, immédiatement avant la liquidation, à une autre corporation canadienne imposable (appelée dans le présent paragraphe la «corporation mère») et que toutes les actions de la filiale qui n’appartenaient pas à la corporation mère immédiatement avant la liquidation appartenaient à cette date à des personnes avec lesquelles la corporation mère n’avait pas de lien de dépendance, les règles suivantes s’appliquent nonobstant toutes autres dispositions de la présente loi,

a) . . . tout bien de la filiale attribué à la corporation mère lors de la liquidation est réputé avoir fait l’objet d’une disposition par la filiale pour un produit égal,

. . .

(iii) au coût indiqué du bien, pour la filiale, immédiatement avant la liquidation, dans le cas de tout autre bien;

. . .

f) lorsqu’un bien, qui était un bien amortissable d’une catégorie prescrite de la filiale, a été attribué à la corporation mère lors de la liquidation, et que le coût en capital du bien, pour la filiale, dépasse le montant réputé être, en vertu de l’alinéa a), le produit que la filiale a tiré de la disposition de ce bien, aux fins des articles 13 et 20 et de tous règlements établis en vertu de l’alinéa 20(1)a),

(i) nonobstant l’alinéa c), le coût en capital de ce bien, pour la corporation mère, est réputé être le coût en capital de ce bien, pour la filiale, et

(ii) la corporation mère est réputée avoir été autorisée à déduire l’excédent relatif à ce bien, en vertu des règlements établis en vertu de l’alinéa 20(1)a), lors du calcul du revenu pour les années d’imposition antérieures à l’acquisition du bien par la corporation mère.

L’historique des procédures

Cour canadienne de l’impôt, [1995] 1 C.T.C. 2135

4 Dans sa décision sur l’appel formé par la Banque contre la nouvelle cotisation établie par Revenu Canada, le juge Bowman de la Cour canadienne de l’impôt a conclu à l’absence de fondement justifiant d’imposer, en tant que revenu d’exploitation, le bénéfice réalisé par la Banque lors de la disposition de sa participation dans une société en nom collectif en faveur des filiales de Central. Après avoir examiné la preuve, il a conclu que cette participation constituait une immobilisation entre les mains de Leasing et qu’elle avait conservé ce caractère après son transfert à la Banque au moment de la liquidation de Leasing.

5 Le juge Bowman a rejeté l’argument selon lequel, pendant la période au cours de laquelle la Banque avait détenu le titre relatif à la participation dans la société en nom collectif, celle-ci avait cessé de constituer une immobilisation et était devenue un titre spéculatif. Il a souligné que les circonstances dans lesquelles la Banque avait acquis puis disposé de sa participation dans la société ne comportaient pas les caractéristiques d’une opération spéculative. Le juge Bowman a conclu que la Banque avait à bon droit déclaré le produit de la vente de sa participation dans la société comme un gain en capital et qu’elle n’avait pas à l’inclure au titre des revenus d’exploitation.

Cour d’appel fédérale (1996), 199 N.R. 100

6 Le juge Linden, au nom de la cour, a rejeté l’appel formé par la Couronne et a confirmé la décision rendue à l’égard de la Banque par le juge Bowman de la Cour canadienne de l’impôt. Il a souligné que les tribunaux doivent prendre en considération le contexte dans lequel s’effectuent les opérations pour déterminer si une opération visant un bien constitue une opération commerciale ou une opération sur une immobilisation. Il a conclu que les tribunaux doivent tenir compte de l’intention des parties, de la nature et de la quantité du bien censé avoir fait l’objet de l’opération, de la question de savoir si l’opération s’apparente aux activités ordinaires de l’entreprise ou si elle a un caractère isolé et singulier par rapport à celles-ci. Pour les fins de sa décision, le juge Linden a supposé que la Banque avait vendu une participation dans une société en nom collectif. Il a indiqué que la vente était un élément d’une opération composite visant à liquider Leasing et que, tout au long de la période considérée, la Banque avait eu l’intention de réaliser l’actif immobilisé. Il a conclu que le contexte de la vente révélait qu’il s’agissait d’une opération en capital et non d’une opération spéculative faite dans le but de réaliser un bénéfice. Par conséquent, a‑t‑il conclu, la vente ne constituait pas une opération commerciale et son produit, réalisé par suite de la disposition d’une immobilisation, était imposable à titre de gain en capital.

Les questions en litige

7 Étant donné que, dans l’affaire Leasing, j’ai conclu que la nouvelle cotisation établie à l’égard de Leasing doit être confirmée parce que cette dernière n’a pas effectué un transfert libre d’impôt de ses éléments d’actif en faveur d’une société valide aux termes du par. 97(2) de la Loi, je n’ai pas à statuer sur la cotisation établie à l’égard de la disposition par la Banque de sa «participation dans la société». Cependant, dans le présent pourvoi, l’appelante a avancé pour la première fois un autre argument qui doit être examiné. Elle a plaidé que, si la Cour statue, dans l’affaire Leasing, que c’est la Banque et non Leasing qui a agi à titre de vendeur lors de la vente des éléments d’actif à Central Capital Corporation («Central»), la nouvelle cotisation établie à l’égard de la Banque et visée dans le présent pourvoi devrait être rétablie au motif que, comme la Banque a acquis les éléments d’actifs de crédit‑bail à titre de biens lui étant attribués en vertu du par. 88(1) de la Loi, la déduction pour amortissement de 83 052 657 $ récupérée par la Banque est imposable en vertu du par. 13(1) de la Loi. Cet argument soulève la question de savoir s’il est permis à la Couronne de substituer la nouvelle cotisation initialement établie à l’égard de la Banque à une cotisation établie sur une base différente mais aboutissant au même revenu.

L’analyse

8 Vu la conclusion tirée dans l’affaire Leasing selon laquelle c’est Leasing, et non la Banque, qui a vendu les éléments d’actif à Central, il n’est pas nécessaire de décider si la Banque est imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement parce qu’elle a acquis les éléments d’actif de crédit‑bail en tant que biens lui étant attribués en vertu du par. 88(1) de la Loi. Cependant, même s’il était jugé que la Banque était le vendeur de ces éléments d’actifs et imposable à l’égard de la récupération, l’appelante ne pourrait pas avoir gain de cause dans le présent pourvoi quant au maintien de la nouvelle cotisation qu’elle a établie à l’égard de la Banque.

9 La seule explication fournie par Revenu Canada dans l’avis de nouvelle cotisation envoyé à la Banque pour l’année d’imposition 1987 était que le montant en question était, affirmait-on, un [traduction] «gain spéculatif réalisé sur la vente de la participation dans la société Central Capital Leasing». Revenu Canada n’a pas fondé la nouvelle cotisation sur quelque autre base ni sur le fait que la Banque avait vendu des éléments d’actifs de crédit‑bail amortissables ou que celle‑ci était par ailleurs imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement conformément au par. 88(1) de la Loi, comme l’affirme pour la première fois l’appelante devant notre Cour.

10 Le délai prévu par la Loi pour établir une cotisation à l’égard d’un contribuable est de quatre ans à compter de la délivrance par Revenu Canada d’un avis de nouvelle cotisation (par. 152(3.1) et 152(4) de la Loi). Par conséquent, le ministre avait jusqu’au 12 octobre 1993 pour envoyer à la Banque une nouvelle cotisation à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement. La Couronne n’est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin. La bonne façon d’aborder cette question a été énoncée dans la décision La Reine c. McLeod, 90 D.T.C. 6281 (C.F. 1re inst.), à la p. 6286. Dans cette affaire, la cour a rejeté la requête de la Couronne, qui sollicitait l’autorisation de modifier ses actes de procédure pour fonder sur une nouvelle base dans la Loi la cotisation établie par Revenu Canada. La cour a refusé l’autorisation pour le motif que le désir de la Couronne d’invoquer un nouvel article de la Loi était, en fait, une tentative en vue de changer le fondement de la cotisation faisant l’objet de l’appel, ce qui «reviendrait à permettre au ministre d’en appeler de sa propre cotisation, notion qui a été expressément rejetée par les tribunaux». De même, la Cour d’appel fédérale a qualifié de telles tentatives de la part de la Couronne de «tentative[s] tardive[s] de donner un nouveau fondement à la cause de l’appelante» (British Columbia Telephone Co. c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 112, à la p. 116).

11 L’appelante aurait pu -- soit lorsqu’elle a délivré à l’intimée l’avis de nouvelle cotisation le 12 octobre 1989, soit à tout autre moment avant l’expiration du délai dont elle disposait pour établir une nouvelle cotisation -- établir une cotisation sur la base que l’intimée était imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement. L’appelante a toutefois choisi de ne pas le faire et elle ne peut être autorisée, onze ans plus tard, à modifier la cotisation. L’appelante a soutenu que l’obligation de l’intimée à l’égard de la cotisation fondée sur le par. 13(1) est un motif subsidiaire justifiant la cotisation précédente, et non une nouvelle cotisation. Selon l’appelante, puisque l’obligation relative à la récupération fondée sur le par. 13(1) ne peut être imposée que s’il est jugé, dans l’affaire Leasing, que Leasing n’était pas le vendeur des éléments d’actif vendus à Central, l’établissement d’une nouvelle cotisation sur cette base est simplement une conclusion de droit découlant de l’application correcte de la Loi.

12 Accepter cette qualification faite par l’appelante aboutirait, dans les faits, à une situation où la Couronne serait autorisée à avancer de nouveaux arguments simplement parce que ceux qu’elle a présentés aux juridictions inférieures n’ont pas été retenus. Contrairement à ce qu’avait fait le ministre dans l’affaire Ministre du Revenu national c. Riendeau (1991), 132 N.R. 157 (C.A.F.), le ministre n’a jamais voulu, en l’espèce, modifier, corriger ou redélivrer la nouvelle cotisation établie à l’égard de la Banque pour y inclure une obligation relative à la récupération de l’amortissement en vertu de l’al. 88(1)f) de la Loi. En outre, en affirmant qu’il s’agit d’un argument subsidiaire, l’appelante ne tient pas compte du fait que Leasing et la Banque sont deux contribuables distincts. Ce que le ministre cherche à faire, c’est substituer une cotisation établie à l’égard d’un contribuable donné à une cotisation établie à l’égard d’un autre contribuable, parce que la première cotisation n’a pas porté fruit.

13 Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. En l’espèce, il n’est pas évident que les faits étayent l’établissement d’une nouvelle cotisation sur la base invoquée par l’appelante. Par exemple, la valeur du fonds commercial rattaché à l’entreprise de location de la Banque, qui a été transféré à Central en décembre 1986, pourrait avoir une incidence sur la nouvelle demande de l’appelante fondée sur la récupération de l’amortissement par la Banque. Il n’est pas possible de déterminer dans quelle mesure la Banque pourrait par ailleurs être imposable à l’égard de la récupération de l’amortissement, ni de fixer son revenu aux fins de l’impôt, à moins de pouvoir répartir correctement le prix d’acquisition payé par Central entre le fonds commercial d’une part et les éléments d’actif de crédit‑bail d’autre part. Parce que la Banque n’a pas été imposée à l’égard de la récupération de l’amortissement, la preuve relative à la répartition du prix d’acquisition n’a pas été présentée en première instance. Pour pouvoir permettre à l’appelante d’établir une nouvelle cotisation en l’absence de conclusions de fait tirées en première instance, notre Cour devrait se transformer en tribunal de première instance à l’égard de la nouvelle demande.

14 Comme je l’ai indiqué précédemment, il n’était pas nécessaire, vu la décision rendue dans l’affaire Leasing, d’aborder les questions soulevées dans le présent pourvoi. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement des juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major rendu par

15 Le juge McLachlin -- Ce second pourvoi découle de la cotisation subsidiaire établie par le ministre du Revenu national à l’égard de la Banque continentale du Canada (la «Banque»). En tant que mesure subsidiaire par rapport à la nouvelle cotisation établie à l’égard de Continental Bank Leasing Corporation («Leasing»), le ministre a transmis à la Banque un avis de cotisation fondé sur le fait que cette dernière aurait réalisé un gain imposable au titre des revenus d’exploitation plutôt qu’un gain en capital lorsqu’elle a disposé de la participation dans la société en nom collectif qu’elle avait acquise de Leasing. Le juge de première instance a conclu -- conclusion à laquelle a souscrit la Cour d’appel fédérale -- que la vente de la participation dans la société en nom collectif ne pouvait être qualifiée d’opération commerciale et que la Banque avait à juste titre déclaré le produit de cette vente en tant que gain en capital.

16 À supposer que la Banque ait transféré sa participation dans la société en nom collectif à 693396 Ontario Limited («693396») et 693397 Ontario Limited («693397»), je conviens avec le juge Bastarache que le transfert devrait être considéré comme une opération en capital et non comme une opération commerciale, ce qui rend la cotisation subsidiaire intenable. Rien dans les faits n’indique que l’acquisition et la disposition subséquente par la Banque de la participation de Leasing dans la société en nom collectif était une opération commerciale spéculative. J’ajouterais simplement que cette façon de trancher le pourvoi ne dépend pas de la conclusion que la Banque a disposé de la participation dans la société en nom collectif en soi. Il est important de souligner ce fait parce qu’il est possible de prétendre que, le 29 décembre 1986, la Banque ne faisait plus partie de la société en nom collectif et ne pouvait donc pas transférer une participation valide.

17 Cet argument tient compte de deux événements en particulier. Le premier est survenu le 27 décembre 1986, lorsque Leasing a été liquidée et a transféré à la Banque sa participation dans la société en nom collectif. À ce moment‑là, la Banque a cessé d’être simplement un investisseur dans la société en nom collectif; elle est devenue un associé de celle‑ci. Il est possible d’affirmer qu’il était illégal pour la Banque d’être un associé: art. 174 de la Loi sur les banques, L.R.C. (1985), ch. B-1. En conséquence, le transfert à la Banque de la participation de Leasing dans la société en nom collectif peut être considéré comme «un événement» ayant rendu illégal le fait pour les membres de la société en nom collectif de poursuivre l’exploitation de leur entreprise en tant qu’associés. Si c’est le cas, la société en nom collectif a été dissoute: art. 34 de la Partnerships Act, R.S.O. 1980, ch. 370. Il est possible que la société dissoute ait été reconstituée en tant que nouvelle société en nom collectif formée des associés restants admissibles: Hudgell Yeates & Co. c. Watson, [1978] 2 All E.R. 363 (C.A.), à la p. 368 (le lord juge Bridge).

18 L’autre événement s’est produit le 29 décembre 1986, lorsque la Banque a transféré à 693396 et 693397 sa participation dans la société en nom collectif. Le ministre ne peut prétendre que la Banque ne pouvait pas transférer sa participation à cette étape. Il doit reconnaître que le transfert a eu lieu parce que la cotisation qu’il a établie à l’égard de la Banque reposait sur l’hypothèse que cette dernière avait disposé de sa participation dans la société en nom collectif. Je suis d’accord avec le juge Bastarache pour dire que ne peut être retenu l’argument du ministre -- soulevé pour la première fois devant notre Cour -- que la Banque a vendu des éléments d’actif de crédit‑bail amortissables ou encore que celle-ci était par ailleurs imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement en application du par. 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications. Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin.

19 Sur le fondement qu’elle avait disposé de sa participation dans la société en nom collectif, la Banque a à juste titre déclaré le produit de cette disposition en tant que gain en capital. Je rejetterais donc le second pourvoi avec dépens. Toutes les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour réexamen et établissement d’une nouvelle cotisation en conformité avec les présents motifs.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur de l’appelante: George Thomson, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 2 R.C.S. 358 ?
Date de la décision : 03/09/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Impôt sur le revenu - Gains en capital imposables - Banque prétendant avoir disposé de sa participation dans une société en nom collectif - Le gain tiré de cette disposition était‑il un gain en capital ou un gain imposable en tant que revenu d’exploitation? - L’argument subsidiaire de la Couronne que la Banque est imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement doit‑il être retenu?.

En 1986, après avoir décidé de liquider ses activités, la Banque Continentale du Canada (la «Banque») a sollicité des offres d’achat à l’égard des éléments d’actif ou des actions de sa filiale en propriété exclusive, Continental Bank Leasing Corp. («Leasing»). Central Capital Leasing («Central»), qui avait des inquiétudes au sujet de la solvabilité de plusieurs locataires et de certaines obligations fiscales éventuelles de Leasing, a proposé une opération par laquelle Leasing formerait, avec certaines filiales de Central, une société en nom collectif qui exercerait les mêmes activités que Leasing, transférerait ses éléments d’actif à cette société -- à l’exception des baux exclus -- en effectuant le choix prévu au par. 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, disposition permettant de faire un transfert libre d’impôt, attribuerait sa participation dans la société à la Banque au prix de base dans le cadre de sa liquidation, puis ferait en sorte que la Banque vende sa participation à Central ou à ses filiales. Les parties ont signé un accord principal faisant état des différentes démarches qu’elles devaient effectuer. La société en nom collectif a été formée le 24 décembre 1986; dans le contrat de société, des déclarations et des garanties émanant de tous les associés, sauf Leasing, précisaient qu’ils étaient et demeureraient dûment inscrits et compétents pour exploiter l’entreprise de la société. Le 27 décembre, Leasing et la Banque ont signé un contrat transférant à la Banque la participation de Leasing dans la société. Le 29 décembre 1986, la Banque a vendu sa participation dans la société à des filiales de Central. Leasing a établi sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1987 sur la base de ces transferts. Le ministre du Revenu national a établi un avis de nouvelle cotisation à l’égard de Leasing sur le fondement que l’opération créant la société en nom collectif était invalide et qu’il s’agissait en réalité d’une disposition, par Leasing, de ses éléments d’actif de crédit‑bail en faveur de Central, de sorte que le choix fait en application du par. 97(2) était invalide et qu’il y avait lieu de récupérer la déduction pour amortissement dans les mains de Leasing. En tant que mesure subsidiaire par rapport à la nouvelle cotisation établie à l’égard de Leasing, le ministre a transmis à la Banque un avis de cotisation fondé sur le fait que cette dernière aurait réalisé un gain imposable au titre des revenus d’exploitation plutôt qu’un gain en capital lorsqu’elle a disposé de la participation dans la société en nom collectif qu’elle avait acquise de Leasing. La Cour canadienne de l’impôt a conclu que la Banque avait à bon droit déclaré le produit de la vente de sa participation dans la société comme un gain en capital et qu’elle n’avait pas à l’inclure au titre des revenus d’exploitation. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major: À supposer que la Banque ait transféré sa participation dans la société en nom collectif, le transfert devrait être considéré comme une opération en capital et non comme une opération commerciale. Rien dans les faits n’indique que l’acquisition et la disposition subséquente par la Banque de la participation de Leasing dans la société en nom collectif constituaient une opération commerciale spéculative. Ne peut être retenu l’argument du ministre — soulevé pour la première fois devant la Cour — que la Banque a vendu des éléments d’actif de crédit‑bail amortissables ou encore que celle‑ci était par ailleurs imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement en application du par. 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin.

Les juges L’Heureux-Dubé et Bastarache: Étant donné que, dans Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, il a été conclu que la nouvelle cotisation établie à l’égard de Leasing doit être confirmée parce que cette dernière n’a pas effectué un transfert libre d’impôt de ses éléments d’actif en faveur d’une société valide aux termes du par. 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, il n’est pas nécessaire de statuer sur la cotisation établie à l’égard de la disposition, par la Banque, de sa «participation dans la société». Vu la conclusion selon laquelle c’est Leasing, et non la Banque, qui a vendu les éléments d’actif à Central, il n’est pas nécessaire de décider si la Banque est imposable à l’égard de la récupération de la déduction pour amortissement parce qu’elle a acquis les éléments d’actif de crédit‑bail en tant que biens lui étant attribués en vertu du par. 88(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En outre, le ministre n’est pas autorisé à invoquer ce nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin.


Parties
Demandeurs : Banque continentale du Canada
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêt mentionné: Hudgell Yeates & Co. c. Watson, [1978] 2 All E.R. 363.
Citée par le juge Bastarache
Arrêts mentionnés: Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298
La Reine c. McLeod, 90 D.T.C. 6281
British Columbia Telephone Co. c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 112
Ministre du Revenu national c. Riendeau (1991), 132 N.R. 157.
Lois et règlements cités
Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 [mod. 1970‑71‑72, ch. 63], art. 9 [mod. 1986, ch. 6, art. 4], 13(1) [abr. & rempl. 1980‑81‑82‑83, ch. 48, art. 5], 88(1) [mod. 1974‑75‑76, ch. 26, art. 52
mod. 1980‑81‑82‑83, ch. 48, art. 48], 97(2), 152(3.1) [aj. 1990, ch. 39, art. 38], (4) [abr. & rempl. idem].
Loi sur les banques, L.R.C. (1985), ch. B-1, art. 174.
Partnerships Act, R.S.O. 1980, ch. 370, art. 34.

Proposition de citation de la décision: Banque continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358 (3 septembre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-09-03;.1998..2.r.c.s..358 ?
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