R. c. Skinner, [1998] 1 R.C.S. 298
Stacey Skinner Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Skinner
No du greffe: 25831.
1997: 5 décembre; 1998: 19 février.
Présents: Les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d’appel de la nouvelle-écosse
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (1997), 158 N.S.R. (2d) 81, 466 A.P.R. 81, [1997] N.S.J. No. 22 (QL) (sub nom. R. c. McQuaid (Skinner Appeal)), qui a rejeté l’appel interjeté par l’accusé contre sa déclaration de culpabilité relative à deux chefs d’accusation de voies de fait graves (1996), 148 N.S.R. (2d) 321 (sub nom. R. c. McQuaid), 429 A.P.R. 321, [1996] N.S.J. No. 81 (QL). Pourvoi contre la déclaration de culpabilité relative aux voies de fait contre Watts accueilli et nouveau procès ordonné.
Warren K. Zimmer, pour l’appelant.
Kenneth W. F. Fiske, c.r., et Richard B. Miller, pour l’intimée.
//Le juge Cory//
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Cory — Le présent pourvoi a été entendu le même jour que l’affaire R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 000. Il découle des mêmes faits et soulève des questions similaires. Les motifs, en l’espèce, ne porteront que sur les points qui sont propres au présent pourvoi.
I. Les faits
2 Les faits à l’origine du présent pourvoi sont exposés dans Dixon, précité.
II. Les juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1996), 148 N.S.R. (2d) 321
3 Le juge Saunders a, pour les motifs exposés dans Dixon, précité, déclaré l’appelant coupable des voies de fait graves dont a été victime Darren Watts. Il a aussi déclaré l’appelant coupable des voies de fait graves dont a été victime John Charman. Le présent pourvoi ne concerne que les voies de fait contre Watts.
B. Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (1997), 158 N.S.R. (2d) 81
4 En examinant la question de la diligence raisonnable de l’avocat, le juge Flinn (avec l’appui du juge Chipman) a souligné que l’avocate de l’appelant au procès n’avait commencé à exercer le droit qu’en octobre 1994 et que le procès de l’appelant, en février 1996, n’était que le deuxième procès criminel auquel elle participait devant la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse. Le juge Flinn a fait remarquer que, dans son affidavit déposé devant la Cour d’appel, l’avocate de l’appelant au procès a déclaré qu’elle n’était même pas au courant de l’existence d’une déclaration distincte faite par Terris Daye. Elle pensait que les rapports de police contenaient la déclaration complète de Daye. Comme elle croyait avoir tout en sa possession, elle n’avait aucune raison de faire d’autres demandes de production. En outre, l’avocate de l’appelant au procès ne l’a pas représenté en Cour d’appel et ne s’était plus occupée de le représenter après sa déclaration de culpabilité et le prononcé de sa sentence. En conséquence, elle n’a pas assisté à la rencontre à laquelle ont participé les autres avocats de la défense afin de discuter des questions d’appel, et qui a abouti à la demande de production de la déclaration de Daye. Contrairement aux autres avocats de la défense, elle n’a donc pas changé d’avis de façon inexpliquée après le procès, quant à l’importance de cette déclaration. La cour à la majorité a conclu que l’avocate de l’appelant au procès avait fait preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir la divulgation. Par conséquent, en se fondant uniquement sur la conclusion que la déclaration de Daye n’était pas pertinente pour la défense, la cour à la majorité a statué que l’omission du ministère public de divulguer cette déclaration n’avait pas porté atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière.
5 Le juge Bateman était dissidente pour les mêmes raisons que celles exposées dans R. c. Dixon (S.) (1997), 156 N.S.R. (2d) 81. Ainsi, la Cour d’appel a conclu à l’unanimité que l’avocate de l’appelant au procès avait fait preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir la divulgation, et la question ne se pose donc pas devant notre Cour. Le juge Bateman a également partagé l’opinion des juges majoritaires, selon laquelle il y avait lieu de rejeter l’appel de la déclaration de culpabilité relative aux voies de fait contre John Charman, parce que l’appelant avait lui‑même reconnu avoir commis ces voies de fait dans sa déclaration à la police. Toutefois, le juge Bateman a conclu que l’omission du ministère public de divulguer la déclaration de Daye avait porté atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière. Elle aurait ordonné la tenue d’un nouveau procès pour le motif que, si la défense avait disposé de la déclaration de Daye, il y aurait eu une possibilité raisonnable que le résultat soit différent, et que l’omission de divulguer cette déclaration a nui à l’équité du procès.
III. Analyse
6 Les principes applicables aux cas où il est question de l’obligation de divulguer du ministère public et du droit d’un accusé à une défense pleine et entière sont énoncés dans l’arrêt Dixon, précité, de notre Cour. Il ne reste qu’à les appliquer au présent pourvoi, qui repose uniquement sur l’omission de divulguer la déclaration de Daye.
Application au présent pourvoi
7 Contrairement à ce qui s’est passé dans les pourvois connexes, il a été conclu que l’avocate de Skinner au procès n’avait pas omis de faire preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir la divulgation par le ministère public. La Cour d’appel a tiré à l’unanimité cette conclusion, dont la justesse n’a pas été contestée. Dans les circonstances, il n’y a rien à redire à ce sujet. Pourtant, il se peut bien qu’il n’y ait pas lieu de considérer l’inexpérience de l’avocate comme une excuse valable pour ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable. Néanmoins, aux fins du présent pourvoi, il faut accepter que l’avocate de Skinner au procès a fait preuve de diligence raisonnable à cet égard.
8 Pour les mêmes raisons que celles exposées dans Dixon, précité, la déclaration de Daye, à première vue, n’aurait pu avoir, le cas échéant, qu’une incidence très faible sur le bien‑fondé du résultat atteint au procès. Toutefois, l’appelant aura droit à un nouveau procès s’il peut établir que la non‑divulgation de cette déclaration a nui à l’équité globale du procès. Cela peut se faire en démontrant que la non‑divulgation de la déclaration en cause a privé la défense de la possibilité de recueillir des éléments de preuve additionnels.
9 Dans les circonstances de la présente affaire, il y a une possibilité raisonnable que l’omission du ministère public de divulguer la déclaration de Daye ait nui à l’équité du procès. À cet égard, il faut tenir compte du fait que c’est à l’unanimité que la Cour d’appel a conclu que l’avocate de l’appelant a fait preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir une divulgation complète au procès. Plus précisément, la Cour d’appel a jugé que l’affidavit de l’avocate prouvait que, outre le résumé divulgué dans les rapports de police, elle ignorait l’existence d’une autre déclaration de Daye. Il y a lieu de souligner que ce résumé ne mentionnait aucunement les déclarations de Daye au sujet de l’appelant et des actes qu’il avait accomplis le soir en question. L’avocate n’a pas non plus assisté à la rencontre des autres avocats de la défense afin de discuter des questions d’appel. On ne pouvait donc pas affirmer qu’elle avait elle aussi changé d’avis sur l’utilité d’obtenir les déclarations non divulguées et, en particulier, celle de Terris Daye.
10 Dans ces circonstances, l’omission du ministère public de divulguer la déclaration de Daye a‑t‑elle nui à l’équité du procès en privant la défense de la possibilité de recueillir des éléments de preuve découlant de cette déclaration? Selon moi, il y a une possibilité raisonnable que la défense ait été en mesure de tirer de cette déclaration des éléments de preuve additionnels susceptibles d’être utiles au procès.
11 La déclaration révèle que (i) Daye était un témoin oculaire, (ii) Daye contredit le témoignage de Clayton dans au moins un cas de voies de fait, (iii) Daye a pu déterminer où se trouvait l’appelant au début des événements de sorte qu’il a pu l’observer à un certain moment, (iv) Daye n’a pas vu l’appelant frapper quelqu’un. La déclaration de Daye aurait dû être divulguée à l’avocate de la défense. L’omission de la divulguer a nui à l’équité du procès, car la défense n’a pas eu la possibilité d’examiner quelle utilisation pourrait être faite de ces renseignements.
12 Par exemple, il y a une possibilité raisonnable que, si elle avait été produite par le ministère public, la déclaration non divulguée aurait eu une incidence sur la décision de la défense de ne pas présenter de preuve. La défense aurait pu choisir d’assigner Daye comme témoin afin de contredire le témoignage de Clayton et d’attaquer sa crédibilité. Il est impossible, dans le cadre d’un appel, de reconstituer le procès et de déterminer exactement comment la défense aurait pu utiliser la déclaration non divulguée. Pourtant, la déclaration de Daye semble contenir assez de renseignements pertinents pour que son utilité éventuelle pour la défense ne relève pas de la pure conjecture ou de l’imagination. Il est raisonnablement possible que la divulgation de cette déclaration aurait eu une incidence sur la façon de présenter la défense lors du procès. Je conclus donc que la non‑divulgation de cette déclaration a nui à l’équité du procès et porté atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière.
13 Il est vrai que l’avocate de l’appelant au procès savait, bien avant l’ouverture du procès, que Daye pouvait être un témoin oculaire. Cependant, on ne saurait réfuter l’atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière, en affirmant que l’avocate de la défense aurait pu ou aurait dû interroger Daye. En fait, la question à trancher en appel est de savoir si des décisions rendues au procès auraient été différentes si les renseignements non divulgués avaient été disponibles.
14 Il est également vrai que, s’il avait communiqué d’autres sources contenant les mêmes renseignements que le document non communiqué, le ministère public se serait acquitté de son obligation de divulguer. À cet égard, il faut tenir compte de la divulgation du résumé de la déclaration de Daye, contenu dans le rapport de police. Ce résumé révèle que (i) Daye était un témoin oculaire, ce que l’avocate de l’appelant aurait déjà su, (ii) Daye a observé deux cercles de personnes autour de Darren Watts, et (iii) Daye a pu identifier les agresseurs de Charman. Toutefois, ce résumé ne mentionne pas les déclarations de Daye au sujet de l’appelant et des actes qu’il a accomplis le soir en question. L’appelant a donc été privé de ces renseignements et on ne saurait dire que le ministère public a divulgué une autre source contenant les mêmes renseignements que la déclaration de Daye à la police.
15 Il n’est question, en l’espèce, ni d’une décision tactique au procès ni de l’omission de faire preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir la divulgation. Dans les circonstances de la présente affaire, il faut conclure qu’il y a une possibilité raisonnable que l’omission du ministère public de divulguer la déclaration de Daye ait nui à l’équité du procès. En conséquence, il y a eu atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière.
IV. Dispositif
16 Le pourvoi de Skinner contre sa déclaration de culpabilité relative aux voies de fait contre Darren Watts est accueilli et un nouveau procès est ordonné.
Pourvoi contre la déclaration de culpabilité relative aux voies de fait contre Watts accueilli et nouveau procès ordonné.
Procureur de l’appelant: Warren K. Zimmer, Halifax.
Procureur de l’intimée: The Nova Scotia Public Prosecution Service, Halifax.