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22/01/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._77

Canada | R. c. Underwood, [1998] 1 R.C.S. 77 (22 janvier 1998)


R. c. Underwood, [1998] 1 R.C.S. 77

Garry Richard Underwood Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Underwood

No du greffe: 25787.

Audition et jugement: 4 décembre 1997.

Motifs déposés: 22 janvier 1998.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1995), 174 A.R. 234, 102 W.A.C. 234, 102 C.C.C. (3d) 281, [1995] A.J. No. 906 (QL), qui a rejeté l’appel de l

’accusé contre sa déclaration de culpabilité relative à une accusation de meurtre au premier degré. Pourvoi accueilli et nouvea...

R. c. Underwood, [1998] 1 R.C.S. 77

Garry Richard Underwood Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Underwood

No du greffe: 25787.

Audition et jugement: 4 décembre 1997.

Motifs déposés: 22 janvier 1998.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1995), 174 A.R. 234, 102 W.A.C. 234, 102 C.C.C. (3d) 281, [1995] A.J. No. 906 (QL), qui a rejeté l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité relative à une accusation de meurtre au premier degré. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Peter J. Royal, c.r., pour l’appelant.

Goran Tomljanovic, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le Juge en chef --

I. Introduction

1 Dans R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, notre Cour a conclu, à la majorité, que l’art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 (auparavant S.R.C. 1970, ch. E-10), conférait au juge du procès le pouvoir discrétionnaire d’exclure, en totalité ou en partie, le casier judiciaire d’un accusé si son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante. En l’espèce, la Cour doit décider à quelle étape du procès un accusé a droit à ce qu’il soit statué sur sa demande d’exclusion de la totalité ou d’une partie de son casier judiciaire (une demande dite de type Corbett).

II. Les faits et les décisions des juridictions inférieures

2 Il n’est pas nécessaire d’examiner les faits en profondeur, étant donné que, pour la plupart, ils n’ont rien à voir avec l’issue du présent pourvoi. L’appelant a été accusé du meurtre au premier degré de Patrick William Campbell, abattu d’un coup de feu. Après que l’appelant eut changé plusieurs fois d’avocat, le procès s’est ouvert. Il avait prévu témoigner pour sa propre défense, mais après que le ministère public eut terminé la présentation de sa preuve, son avocat a soumis une demande de type Corbett au juge du procès. L’appelant avait pour le moins un lourd casier judiciaire. Il avait été reconnu coupable de nombreux vols, de voies de fait plus ou moins graves, de vol qualifié, de certaines infractions relatives aux armes, de menaces, de méfait, de défaut de comparaître, d’entrave à un agent de la paix, de trafic d’un stupéfiant et de conduite avec facultés affaiblies.

3 Le juge du procès n’a alors pris aucune décision, indiquant plutôt qu’il préférait attendre le témoignage principal de l’appelant, étant donné que l’un des facteurs déterminants était la nature de la preuve produite par la défense. L’appelant a alors informé son avocat qu’il ne témoignerait pas, et la défense a mis fin à sa plaidoirie. L’appelant a été reconnu coupable de meurtre au premier degré.

4 Dans un jugement unanime publié à (1995), 174 A.R. 234, 102 W.A.C. 234, 102 C.C.C. (3d) 281, [1995] A.J. No. 906 (QL), la Cour d’appel de l’Alberta a examiné brièvement l’arrêt Corbett et souligné que notre Cour n’a pas déterminé à quel moment du procès le juge devrait décider de l’exclusion des déclarations de culpabilité antérieures de l’accusé. La Cour d’appel a convenu avec le juge du procès qu’une demande de type Corbett ne saurait être tranchée dans l’abstrait. Elle a donc conclu que l’appelant n’avait pas droit à ce que la question de l’admissibilité de son casier judiciaire soit tranchée avant même qu’il ait décidé de témoigner ou de ne pas le faire. Il aurait fallu tenir un voir‑dire pour décider de l’admissibilité du casier judiciaire de l’appelant au moment où le juge du procès croyait disposer de tous les renseignements nécessaires. Cependant, on ne pouvait pas affirmer que le juge du procès n’aurait pas tenu de voir‑dire si l’appelant avait choisi de témoigner.

III. Analyse

5 La question à laquelle la Cour doit répondre en l’espèce est de savoir si le refus de statuer sur une demande de type Corbett avant que l’accusé ait choisi de témoigner et ait subi son interrogatoire principal constitue une erreur de droit. D’une part, il serait très peu souhaitable de forcer le juge du procès à rendre une décision en l’absence de tous les renseignements pertinents. D’autre part, l’accusé doit avoir la possibilité de décider en toute connaissance de cause s’il va témoigner ou non et devrait, par conséquent, en savoir autant que possible sur les conséquences de cette décision avant de la prendre.

6 Un équilibre doit être établi entre ces deux impératifs. Cet équilibre doit cependant refléter le but ultime des garanties procédurales et substantielles du système de justice pénale, qui est d’assurer que les procès soient parfaitement équitables. Notre processus pénal est fondé sur le principe selon lequel, avant que l’accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doit connaître la preuve complète qui pèse contre lui. Cette dernière comprendra son casier judiciaire dans la mesure où celui‑ci est admissible. Le principe de la «preuve complète» est un précepte fondamental de notre système de justice pénale, qui est profondément enraciné dans la common law et fait partie intégrante des principes de justice fondamentale (R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451) qui sont protégés par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il fait partie du principe général interdisant l’auto‑incrimination, qui émane de la présomption d’innocence et du rapport de force inégal entre l’État et le particulier. Voir Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, et R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555, à la p. 578.

7 Dans ce contexte, le principe de la preuve complète veut que l’accusé ait le droit de présenter une demande de type Corbett et d’en connaître l’issue dès que le ministère public clôt sa preuve. Il serait manifestement inéquitable d’obliger un accusé à jouer à la «roulette russe» comme le dit l’appelant, ou à «colin‑maillard», pour reprendre l’expression du professeur Delisle dans une annotation de R. c. Hoffman (1994), 32 C.R. (4th) 396, à la p. 398. J’adopterais les assertions du juge Lederman dans R. c. Ford (1995), 34 C.R.R. (2d) 143 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 146:

[traduction] Je me demande, pour la forme, pourquoi l’accusé devrait‑il ignorer cela lorsque le ministère public clôt sa preuve? Pourquoi son avocat devrait‑il être obligé de deviner quelle sera l’issue de la demande de type Corbett, en décidant s’il y a lieu de faire témoigner l’accusé lui‑même?

Il n’y a aucune raison valable de différer la demande de manière à placer l’accusé dans la situation irrémédiable où il aura renoncé à son droit de garder le silence dans l’espoir qu’une demande de type Corbett joue en sa faveur.

La demande de type Corbett ne devrait pas être un piège pour l’accusé. Les cours ont de plus en plus affirmé qu’avant de produire quelque preuve que ce soit, l’accusé devrait connaître la preuve complète qui pèse contre lui. Conformément à ces principes, c’est à la fin de la présentation de la preuve du ministère public qu’il convient de présenter une demande de type Corbett.

8 Bien que l’équité exige que la décision soit rendue au plus tard à la fin de la présentation de la preuve du ministère public, il y a toujours la possibilité que la preuve de la défense influe sur l’évaluation préalable, par le juge du procès, de la valeur probante et de l’effet préjudiciable du casier judiciaire. Ce problème peut être résolu de diverses façons. L’une d’elles est la possibilité de rendre une décision préliminaire, quitte à revenir sur celle-ci au besoin. Toutefois, cela peut tout autant représenter un «piège» pour l’accusé que le refus de rendre une décision. Imaginons l’iniquité qui pourrait résulter si l’accusé témoignait sur la foi d’une décision que ses déclarations de culpabilité antérieures seraient exclues en totalité ou en partie, et si cette décision était révoquée par la suite.

9 À mon avis, on peut remédier à la situation en tenant un voir‑dire avant que la défense produise sa preuve. Au cours de ce voir‑dire, la défense révélera les éléments de preuve qu’elle compte produire au moyen de témoins ou encore d’exposés conjoints des faits. Le juge du procès pourra alors examiner les facteurs énoncés dans Corbett (la nature des déclarations de culpabilité antérieures, le temps écoulé depuis celles-ci, et toute attaque portant sur la crédibilité des témoins à charge) dans le contexte de la preuve de la défense, et rendre une décision définitive sur la demande de type Corbett.

10 Je tiens à souligner que ce voir‑dire n’a pas pour objet la «divulgation des moyens de défense». Il ne crée aucun droit indépendant au profit du ministère public, et ne devrait donc pas lui servir de prétexte pour sonder en profondeur la preuve de la défense, comme la défense a le droit de le faire à l’égard de la preuve du ministère public lors d’une enquête préliminaire. Il s’agit de mettre à la disposition du juge du procès les éléments dont il a besoin pour rendre une décision éclairée, mais le ministère public n’a pas le droit d’exiger plus que cela. Il peut même y avoir des cas où le juge du procès croit disposer de renseignements suffisants pour rendre une décision sans une telle divulgation, comme celui où la nature des moyens de défense est assez claire ou a été communiquée autrement (par exemple, un alibi), ou encore si l’issue de la demande est tout à fait évidente sans ces renseignements. Dans ces cas, aucune divulgation n’est nécessaire.

11 Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une forme de «procédure de type Stinchcombe à rebours». L’accusé conserve toujours le droit de produire des éléments de preuve qui n’ont pas été divulgués lors du voir‑dire. Cependant, si l’accusé ne divulgue pas des éléments de preuve et que le juge du procès croit que les éléments de preuve non divulgués auraient eu un effet significatif sur la demande de type Corbett, ce dernier peut modifier sa décision lorsque ces éléments de preuve sont produits.

12 En l’espèce, le juge du procès a refusé de statuer sur la demande de type Corbett tant que l’appelant n’aurait pas choisi de témoigner et n’aurait pas subi son interrogatoire principal. Par les raisons exposées plus haut, il s’agit là d’une erreur de droit. Le ministère public a soutenu qu’il n’y a eu aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave, et que la Cour devrait appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, pour rejeter le pourvoi. Je ne suis pas d’accord. Il est clair que le refus de statuer du juge du procès a eu un effet néfaste sur la décision de l’appelant quant à l’opportunité de témoigner pour sa propre défense, comme il avait le droit de le faire. Il nous est impossible de savoir ce que l’appelant aurait pu dire et, par conséquent, nous ne pouvons dire avec certitude qu’il n’y a aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur de droit (ce qui est le critère d’application de la disposition en cause -- R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599).

IV. Conclusion

13 En résumé, la demande de type Corbett devrait être présentée après que le ministère public a terminé la présentation de sa preuve. Si le juge du procès l’estime nécessaire, il devrait y avoir un voir‑dire au cours duquel la défense divulguerait la preuve qu’elle compte produire, afin qu’il puisse rendre une décision tout à fait éclairée sur la demande. Cette décision peut être modifiée subséquemment si la preuve de la défense s’écarte sensiblement de celle divulguée. En l’espèce, le juge du procès a refusé de statuer tant que l’appelant n’aurait pas témoigné, et ce faisant, il a commis une erreur. Étant donné que son erreur a amené l’appelant à refuser de témoigner pour sa propre défense, il n’y a pas lieu d’appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii). Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureurs de l’appelant: Royal McCrum Ducket & Glancy, Edmonton.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de l’Alberta, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 77 ?
Date de la décision : 22/01/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit criminel - Procès - Procédure - Moment opportun pour statuer sur une demande de la défense visant l’exclusion du casier judiciaire de l’accusé - Le juge du procès a-t-il commis une erreur en refusant de statuer sur la demande avant que l’accusé ait témoigné?.

Droit criminel - Preuve - Contre-interrogatoire de l’accusé - Déclarations de culpabilité antérieures - Demande de type Corbett - Moment opportun pour statuer sur une demande de la défense visant l’exclusion du casier judiciaire de l’accusé.

L’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré. À son procès, il avait prévu témoigner pour sa propre défense, mais après que le ministère public eut terminé la présentation de sa preuve, son avocat a soumis une demande de type Corbett visant à faire exclure le lourd casier judiciaire de l’accusé. Le juge du procès n’a alors pris aucune décision, indiquant plutôt qu’il préférait attendre le témoignage principal de l’accusé, étant donné que l’un des facteurs déterminants était la nature de la preuve produite par la défense. L’accusé a choisi de ne pas témoigner. Il a été, par la suite, déclaré coupable et sa déclaration de culpabilité a été confirmée par la Cour d’appel.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

Notre processus pénal est fondé sur le principe selon lequel, avant que l’accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doit connaître la preuve complète qui pèse contre lui. Cette dernière comprendra son casier judiciaire dans la mesure où celui‑ci est admissible. Partant, une demande de type Corbett devrait être soumise par la défense et tranchée par le juge du procès après que le ministère public a terminé la présentation de sa preuve. Si le juge du procès l’estime nécessaire, il devrait y avoir un voir-dire au cours duquel la défense divulguerait la preuve qu’elle compte produire, afin qu’il puisse rendre une décision tout à fait éclairée sur la demande. Ce voir‑dire n’est pas une «divulgation des moyens de défense» et ne crée aucun droit indépendant au profit du ministère public. La défense conserve toujours le droit de produire des éléments de preuve qui n’ont pas été divulgués lors du voir‑dire. Cependant, la décision du juge du procès sur la demande peut être modifiée subséquemment si la preuve de la défense s’écarte sensiblement de celle divulguée. En l’espèce, le juge du procès a refusé de statuer tant que l’accusé n’aurait pas témoigné, et ce faisant, il a commis une erreur. Étant donné que son erreur a amené l’accusé à refuser de témoigner pour sa propre défense, il n’y a pas lieu d’appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. On ne saurait dire avec certitude qu’il n’y a aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur de droit.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Underwood

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670
R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451
Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350
R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555
R. c. Ford (1995), 34 C.R.R. (2d) 143
R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)].
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, art. 12.
Doctrine citée
Delisle, R. J. Annotation to R. v. Hoffman (1994), 32 C.R. (4th) 396.

Proposition de citation de la décision: R. c. Underwood, [1998] 1 R.C.S. 77 (22 janvier 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-01-22;.1998..1.r.c.s..77 ?
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