R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128
Calhoun Edwards Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Edwards
No du greffe: 24297.
1995: 1er juin; 1996: 8 février.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1994), 91 C.C.C. (3d) 123, 19 O.R. (3d) 239, 22 C.R.R. (2d) 29, 73 O.A.C. 55, 34 C.R. (4th) 113, qui a rejeté un appel contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Downie de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté.
Keith E. Wright et Peter B. Hambly, pour l'appelant.
Robert W. Hubbard et Joseph DeFilippis, pour l'intimée.
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major rendu par
1 Le juge Cory — Quels droits un accusé a‑t‑il de contester l'admission d'éléments de preuve obtenus à la suite d'une perquisition dans les lieux occupés par un tiers? Telle est la question à laquelle il faut répondre en l'espèce.
Les faits
2 Après avoir été informée que l'appelant était un trafiquant de drogue qui opérait à partir de sa voiture au moyen d'un téléphone cellulaire et d'un téléavertisseur, la police a placé l'appelant sous surveillance. On lui avait dit qu'il avait de la drogue sur lui, à sa résidence ou à l'appartement occupé par son amie, Shelly Evers. À l'époque, Mme Evers était une étudiante de onzième année, âgée de 18 ans, qui habitait seule.
3 Le jour où ils l'ont arrêté, les policiers ont vu l'appelant quitter une résidence pour se rendre à l'appartement de Mme Evers au volant de la voiture de cette dernière. L'appelant est entré dans l'appartement et y est resté pendant un court moment. Les policiers l'ont interpellé peu après son départ. Ils savaient que son permis de conduire était suspendu et que la personne qui conduit un véhicule, alors que son permis est suspendu, peut faire l'objet d'une arrestation sans mandat (conformément au par. 217(2) du Code de la route, L.R.O. 1990, ch. H.8).
4 Les policiers ont vu l'appelant utiliser son téléphone cellulaire dans la voiture. Lorsqu'ils se sont approchés du véhicule, ils l'ont vu avaler un objet enveloppé dans de la cellophane et dont la taille équivalait environ à la moitié d'une balle de golf. Les portières étaient verrouillées et l'appelant ne les a déverrouillées qu'après avoir avalé l'objet. Arrêté pour avoir conduit alors que son permis était suspendu, il a été mis sous garde. La voiture de Mme Evers a ensuite été remorquée jusqu'à la fourrière.
5 Il a été admis que, dans le cas de l'arrestation d'une personne pour conduite alors que son permis est suspendu, on avait l'habitude de confisquer la voiture et de remettre une contravention. La mise sous garde était inhabituelle en pareil cas et on a reconnu y avoir eu recours pour faciliter l'enquête sur la drogue.
6 La police soupçonnait la présence de crack dans l'appartement de Mme Evers, mais elle estimait ne pas disposer d'éléments de preuve suffisants pour obtenir un mandat de perquisition. Après avoir mis l'appelant sous garde, deux policiers se sont présentés à l'appartement. Dans le but d'obtenir la collaboration de Mme Evers, ils lui ont fait un certain nombre de déclarations, certaines mensongères, d'autres à moitié vraies. Ils lui ont dit (1) que l'appelant les avait informés qu'il y avait de la drogue dans l'appartement, (2) que si elle ne collaborait pas, un policier resterait dans son appartement jusqu'à ce qu'un mandat de perquisition puisse être obtenu, (3) que l'obtention d'un mandat supposait une paperasserie fastidieuse, et (4) que l'un des policiers partait en vacances le lendemain et que, peu importe ce qu'on trouverait dans l'appartement, l'appelant et elle ne feraient pas l'objet d'accusations.
7 La preuve est contradictoire quant à savoir si ces déclarations ont été faites avant ou après que les policiers eurent été admis dans l'appartement. Néanmoins, dès qu'ils furent entrés, Mme Evers leur a indiqué un canapé dans le salon où elle croyait avoir vu l'appelant replacer un coussin quelques jours auparavant. Les policiers ont alors enlevé le coussin et ont découvert un sac de plastique contenant six sachets de crack d'une valeur approximative de 11 000 $ à 23 000 $, qu'ils ont saisis. Vingt minutes plus tard, ils sont retournés à l'appartement et ont arrêté Mme Evers, sur l'ordre d'un officier supérieur qui avait consulté un procureur de la Couronne. À aucun moment avant d'être mise sous garde Mme Evers n'a‑t‑elle été informée de son droit de refuser l'entrée à la police ou de recourir à l'assistance d'un avocat.
8 Interrogée au poste de police, Mme Evers a fait une déclaration dans laquelle elle a désigné l'appelant comme étant celui qui avait placé la drogue sous le coussin du canapé dans son appartement. L'appelant et elle ont été conjointement accusés en vertu du par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N‑1, de possession de crack en vue d'en faire le trafic. Madame Evers a ensuite été relâchée. Les accusations portées contre elle ont finalement été retirées le matin où son procès devait commencer.
9 Le soir de l'arrestation, les policiers se sont présentés à la fourrière et, sans disposer d'un mandat de perquisition, y ont saisi le téléphone cellulaire et le téléavertisseur utilisés par l'appelant. Pendant plusieurs heures, ils ont alors intercepté un certain nombre d'appels de personnes qui commandaient à l'appelant de petites quantités de crack.
10 Au terme du procès, l'appelant a été déclaré coupable des accusations portées contre lui. L'appel qu'il a interjeté contre sa déclaration de culpabilité a été rejeté par la Cour d'appel de l'Ontario, le juge Abella étant dissidente sur la question de la qualité de l'appelant pour invoquer les droits qui lui sont garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à la perquisition dans l'appartement de son amie. C'est à cette question que se limite le pourvoi formé devant notre Cour.
Les juridictions inférieures
Cour de l'Ontario, Division provinciale (le juge Downie)
11 Un voir‑dire a été tenu pour déterminer l'admissibilité de la preuve recueillie à l'appartement de Mme Evers. Le juge du procès s'est fondé sur l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. c. Pugliese (1992), 71 C.C.C. (3d) 295, établissant que l'art. 8 de la Charte garantissait à l'occupant d'une habitation une attente raisonnable en matière de vie privée.
12 Le juge du procès a déclaré que Mme Evers avait manifestement été victime d'une violation des droits que lui garantissent l'art. 8 et l'al. 10b) de la Charte, et qu'elle aurait pu demander l'exclusion des éléments de preuve obtenus à la suite de la perquisition, conformément au par. 24(2).
13 En ce qui concerne l'appelant, le juge du procès a fait remarquer que celui-ci considérait Mme Evers comme étant sa petite amie et qu'il lui rendait visite à l'occasion à son appartement. Même s'il avait la clé et laissait sur place certains effets personnels, il avait un lieu de résidence séparé. Le juge du procès a également fait observer que l'appelant niait être le propriétaire de la drogue.
14 Après examen de la preuve, le juge du procès a conclu que l'appelant ne s'était pas acquitté du fardeau d'établir qu'il pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement de Mme Evers. En définitive, il a conclu à l'inapplicabilité du par. 24(2) de la Charte et à l'admissibilité de la preuve.
15 Le juge du procès a déclaré régulière la saisie du téléphone cellulaire et du téléavertisseur dans le véhicule de Mme Evers. Il a également conclu que les appels téléphoniques interceptés, bien que constituant du ouï‑dire, étaient admissibles pour établir la nature des activités de l'appelant. Ces conclusions n'ont pas été contestées en appel et ne sont pas en cause devant nous.
Cour d'appel de l'Ontario (1994), 91 C.C.C. (3d) 123 (les juges McKinlay et Finlayson, au nom de la cour à la majorité)
Le juge McKinlay
16 Le juge McKinlay a fait observer que, pour faire valoir une violation de l'art. 8 de la Charte, l'appelant devait démontrer que la perquisition policière dans l'appartement de Mme Evers avait porté atteinte à son droit personnel au respect de sa vie privée. Si l'appelant réussissait à faire cette preuve, il appartiendrait alors à l'État d'établir que ses intérêts, dans les circonstances, étaient supérieurs à ceux de l'appelant.
17 Se fondant sur l'arrêt Pugliese, précité, le juge McKinlay a conclu que l'appelant n'avait aucun droit de propriété ou de possession sur l'appartement de Mme Evers. Elle affirme, à la p. 136:
[traduction] D'après la preuve, il n'était qu'un invité particulièrement privilégié. Madame Evers pouvait admettre dans son appartement toute personne à qui l'appelant souhaitait interdire l'accès, et elle pouvait en interdire l'accès à toute personne qu'il souhaitait admettre.
18 Le juge McKinlay a conclu que les policiers avaient eu recours au mensonge et à la ruse non pas pour entrer dans l'appartement, mais uniquement pour obtenir la collaboration de Mme Evers une fois à l'intérieur. Quoi qu'il en soit, a dit le juge McKinlay, cette conduite ne contrevenait à aucun droit garanti à l'appelant par la Charte. En conséquence, rien ne justifiait d'exclure la preuve conformément au par. 24(2) de la Charte.
19 Le juge McKinlay s'est ensuite demandé si la façon dont la perquisition avait été effectuée représentait un abus de pouvoir en contravention de l'art. 7 de la Charte. Elle a décidé que les tactiques utilisées par les policiers pour avoir accès à l'appartement de Mme Evers étaient acceptables et ne pouvaient donc avoir entaché les procédures engagées contre l'appelant. Compte tenu de la preuve admise à bon droit, elle a confirmé la déclaration de culpabilité de l'appelant, prononcée par le juge du procès.
Le juge Finlayson (opinion concordante)
20 Le juge Finlayson a également confirmé la déclaration de culpabilité de l'appelant. Il a souligné que l'appel avait soulevé trois questions relatives à la légalité de la perquisition. La première était de savoir si Mme Evers avait consenti à la perquisition. Dans l'affirmative, aucune question d'ordre constitutionnel ne se poserait. Le juge Finlayson a conclu à l'absence de conclusion du juge du procès sur ce point, et qu'il n'était donc pas en mesure, à titre de juge d'appel, de substituer sa propre conclusion.
21 La seconde question était de savoir si l'appelant avait qualité pour se plaindre de la perquisition. Cette question ne se poserait que si Mme Evers n'avait pas consenti à la perquisition ou si son consentement avait été obtenu par la ruse ou sous l'effet de la contrainte. Le juge Finlayson a conclu que, selon le dossier, rien ne justifiait d'annuler la déclaration de culpabilité de l'appelant pour cause de violation de l'art. 8. Tout en soulignant la rareté des conclusions factuelles dans les motifs du juge du procès, particulièrement en ce qui concernait la conduite des policiers pendant la perquisition, le juge Finlayson a conclu que cette question n'était pas pertinente relativement à celle de la vie privée et qu'elle ne devrait être prise en considération que dans le cas où on infirmerait la conclusion du juge du procès, selon laquelle l'appelant n'avait pas qualité pour se plaindre de la perquisition dans l'appartement de Mme Evers.
22 De l'avis du juge Finlayson, la preuve relative à la façon dont la perquisition a été effectuée touchait également la troisième question, celle de savoir si, au cours de la perquisition dans l'appartement de Mme Evers, il y avait eu abus de pouvoir violant l'art. 7 de la Charte. Souscrivant à l'opinion du juge McKinlay sur ce point, le juge Finlayson a souligné que le juge du procès n'avait pas conclu à l'existence des propos intimidants ou coercitifs nécessaires pour conférer à cet argument le caractère d'une attaque d'ordre constitutionnel.
Le juge Abella (dissidente)
23 Le juge Abella a statué que le juge du procès avait commis une erreur en concluant que, puisque l'appelant n'avait aucun droit sur les lieux en vertu de la loi (savoir qu'il n'y habitait pas et ne payait pas de loyer), il n'avait pas qualité pour invoquer un droit à la vie privée susceptible de le protéger contre une perquisition abusive dans l'appartement de Mme Evers.
24 À son avis, tout arrangement doit être considéré dans son contexte. Même si le titre légal relatif à des lieux, le temps qu'on y a passé et l'argent qu'on y a investi pouvaient être des facteurs à prendre en compte pour savoir s'il existe un droit à la vie privée, ces facteurs n'étaient pas décisifs. C'étaient plutôt la qualité de l'accès et la nature de la relation existante qui constituaient les indices dominants d'une attente raisonnable en matière de vie privée.
25 Le juge Abella a conclu que ce qui était déterminant c'était que Mme Evers et l'appelant se fréquentaient depuis trois ans, que ce dernier avait la clé et un [traduction] «accès réel illimité» à l'appartement, et qu'il y restait à l'occasion. C'est cet élément d'accès illimité qui, à son avis, distinguait le présent cas de l'affaire Pugliese, précitée.
26 À son avis, la qualité de l'accès de l'appelant était plus importante que sa fréquence ou le fait qu'il n'était pas locataire. L'appelant pouvait aller et venir à son gré et n'avait besoin de la permission de personne pour entrer. Le juge Abella a également rejeté l'idée que le droit à la vie privée reposait sur une contribution financière. Elle a conclu qu'aussi longtemps que l'appelant entretenait une relation avec Mme Evers et qu'il avait la clé de l'appartement, son droit à la vie privée s'y rattachait peu importe qu'il y ait été ou non physiquement présent.
27 Examinant ensuite les circonstances de la perquisition, le juge Abella conclut, à la p. 143, que [traduction] «[l]a ligne de démarcation entre une conduite policière justifiable destinée à obtenir la collaboration d'une personne, et la conduite illicite visant à la forcer à collaborer a clairement été franchie en l'espèce». Elle a conclu que l'admission de tout élément de preuve obtenu grâce à cette conduite délibérément illicite serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. En conséquence, cette preuve aurait dû être écartée.
Analyse
L'attente raisonnable de l'appelant en matière de vie privée relativement à l'appartement de Mme Evers
28 Au départ, je dois dire que je suis d'accord avec les conclusions des juges formant la majorité et que je souscris, pour l'essentiel, à leurs motifs. Normalement, j'aurais été en faveur du rejet du pourvoi pour cette raison. Toutefois, dans les circonstances, il convient que j'expose quelque peu succinctement mes propres raisons de rejeter le pourvoi.
29 Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a catégoriquement rejeté, au nom de la Cour, toute exigence de lien entre les droits protégés par l'art. 8 et un droit de propriété sur les lieux ayant fait l'objet d'une perquisition. Aux pages 158 et 159, il cite, en les approuvant, les propos tenus par le juge Stewart en exposant l'opinion de la Cour suprême des États‑Unis à la majorité dans l'affaire Katz c. United States, 389 U.S. 347 (1967), à la p. 351, selon lesquels [traduction] «le Quatrième amendement protège les personnes et non les lieux». Le juge Dickson a conclu que cela s'appliquait également à l'interprétation de l'art. 8.
30 Même s'il préconisait un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, le juge Dickson a souligné que ce droit ne visait qu'une «attente raisonnable» en matière de vie privée. Il affirme, aux pp. 159 et 160, que le terme limitatif «raisonnable» suppose
. . . qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.
31 Il a été établi depuis que cette appréciation doit se faire eu égard à l'ensemble des circonstances d'un cas particulier. Voir, par exemple, R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, à la p. 54, et R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, à la p. 62.
32 Notons également que, dans l'arrêt R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, à la p. 291, on a conclu qu'il n'est pas nécessaire que l'accusé établisse l'existence d'un droit de propriété sur les biens saisis pour pouvoir invoquer des droits garantis par l'art. 8.
33 Il importe de souligner que, de façon générale, la question de savoir si l'accusé pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée doit être tranchée sans égard à la conduite des policiers au cours de la perquisition contestée. Dans toute attaque fondée sur l'art. 8, il faut répondre à deux questions distinctes. La première est de savoir si l'accusé pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée. La seconde est de savoir si la perquisition constituait une atteinte abusive à ce droit à la vie privée. Voir Rawlings c. Kentucky, 448 U.S. 98 (1980). Habituellement, la conduite des policiers ne sera pertinente qu'à ce second stade de l'analyse.
34 Dans toute décision sur une contestation fondée sur l'art. 8, il est essentiel de se rappeler que le droit à la vie privée dont la violation est alléguée doit, en général, être celui de l'accusé à l'origine de cette contestation. C'est ce que la Cour suprême des États‑Unis a souligné dans plusieurs affaires où l'on alléguait qu'une fouille ou perquisition violait la garantie du Quatrième amendement. Par exemple, dans Alderman c. United States, 394 U.S. 165 (1969), aux pp. 171 et 172, le juge White affirme au nom de la Cour à la majorité:
[traduction] . . . [la] suppression du fruit d'une violation du Quatrième amendement ne peut être obtenue que par ceux dont les droits ont été violés par la fouille ou la perquisition elle‑même, et non par ceux qui sont lésés seulement par la présentation d'un élément de preuve préjudiciable. [Je souligne.]
35 Ce principe a été adopté et appliqué dans Rakas c. Illinois, 439 U.S. 128 (1978), à la p. 133, et United States c. Salvucci, 448 U.S. 83 (1980), à la p. 86. Le point de vue exprimé dans ces arrêts est convaincant et devrait s'appliquer à l'examen des contestations fondées sur l'art. 8.
36 L'atteinte aux droits d'un tiers à la vie privée peut toutefois être pertinente au second stade de l'analyse fondée sur l'art. 8, lorsqu'il s'agit de savoir si la perquisition était raisonnable. Cette question a été examinée dans R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111. Le litige portait sur une autorisation d'écoute électronique qui permettait à la police d'intercepter les conversations à partir de plusieurs téléphones publics souvent utilisés par l'appelant ainsi que par d'autres membres du public. Les appelants ont fait valoir que le fait que le juge ayant autorisé l'écoute n'ait pas limité l'atteinte à la vie privée de ces tiers usagers rendait la fouille abusive. Souscrivant à cet argument, le juge Sopinka dit ceci, à la p. 1143:
À mon avis, l'étendue de l'atteinte à la vie privée de ces tiers est pertinente sur le plan constitutionnel à la question de savoir s'il y a eu fouille, perquisition ou saisie «abusive». Affirmer le contraire reviendrait à ignorer l'objet de l'art. 8 de la Charte qui est de restreindre l'atteinte à la vie privée dans des limites raisonnables. Le risque qu'il y ait de graves atteintes à la vie privée des personnes non concernées par les activités qui font l'objet de l'enquête ne peut être ignoré pour la simple raison qu'il n'est pas porté à l'attention de la cour par l'une d'entre elles. Puisqu'il est peu probable que ces personnes sachent qu'on a porté atteinte à leur vie privée, ces atteintes échapperaient à tout examen et l'objet de l'art. 8 ne serait pas réalisé.
37 Il importe de faire remarquer que le juge Sopinka a pris soin de souligner que l'atteinte aux droits d'un tiers à la vie privée n'est pas déterminante en ce qui concerne le caractère raisonnable de la fouille ou de la perquisition. Il affirme ceci, aux pp. 1143 et 1144:
Dans toute autorisation, il peut y avoir atteinte à la vie privée de tiers innocents. Par exemple, le dispositif d'écoute installé sur le téléphone de la résidence d'une cible enregistrera les communications des autres occupants de la maison. C'est l'un des inconvénients malheureux de la surveillance électronique. Mais il s'agit d'un inconvénient que le Parlement a évidemment estimé justifié dans des circonstances appropriées au cours d'une enquête portant sur un crime grave.
38 En de rares circonstances, l'étendue de l'atteinte à la vie privée peut être pertinente sur le plan constitutionnel. Ce fut le cas dans l'arrêt Thompson, précité, où l'on a jugé, à la p. 1143, que les actes de la police avaient constitué un «risque [. . .] de graves atteintes à la vie privée» de membres du grand public qui ne participaient pas à l'activité criminelle dont on soupçonnait l'existence.
39 Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, d'examiner si la perquisition était raisonnable étant donné que l'appelant n'a pas établi l'existence de l'attente requise en matière de vie privée. Même s'il était nécessaire d'examiner la question de l'atteinte à la vie privée de Mme Evers, je conclurais qu'il n'y avait ni risque d'atteinte grave à un droit de propriété ni abus flagrant du droit à la vie privée d'un particulier.
40 Je conviens avec les parties que les motifs clairement exposés du juge Finlayson dans l'arrêt Pugliese, précité, sont justes et applicables en l'espèce. Le seul élément qui différencie les parties tient à leur perception de la façon dont ces motifs devraient être appliqués. Dans Pugliese, précité, la police avait obtenu un mandat les autorisant à perquisitionner dans un appartement situé dans un édifice appartenant à l'accusé, mais loué à une autre personne. On a trouvé, dans l'appartement, de la drogue illégale que le locataire avait dissimulée pour le compte de l'accusé. L'accusé a contesté le mandat de perquisition en faisant valoir son droit à la vie privée qui, prétendait‑il, découlait soit de son droit de propriété sur l'appartement, soit de son droit de possession des biens saisis.
41 Le juge Finlayson a rejeté cet argument. Il a conclu que, même si Pugliese pouvait être propriétaire de l'édifice, il avait loué l'appartement au locataire de sorte que son droit d'entrée était restreint par la loi provinciale régissant les relations propriétaire‑locataire. C'était le locataire qui avait un droit légitime au respect de sa vie privée. Lui seul était en mesure d'accorder ou de refuser la permission d'entrer dans les lieux. Quant à Pugliese, il n'avait ni le droit ni le pouvoir d'aller à l'encontre de la volonté du locataire à cet égard. Il n'avait pas non plus de droit établi à la possession de la drogue saisie puisqu'il avait expressément nié tout lien avec celle‑ci.
42 Le juge Finlayson a souligné que l'élément essentiel du critère de l'art. 8 était l'existence d'un droit personnel à la vie privée. Il a toutefois ajouté qu'un droit de propriété ou de possession pourrait à juste titre être considéré comme la preuve de l'existence de ce droit personnel. Étant donné l'incapacité de Pugliese d'avancer d'autre moyen que son droit de propriété sur l'édifice, le juge Finlayson a conclu que rien dans le dossier n'établissait l'existence d'une attente en matière de vie privée dans l'appartement ou dans la partie de celui‑ci où la drogue a été saisie.
43 Les passages suivants des motifs du juge Finlayson, tirés des pp. 301 et 302, sont, à mon avis, pertinents:
[traduction] Lorsqu'un accusé, comme l'appelant, fait valoir à son procès qu'il y a eu atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, que lui garantit l'art. 8 de la Charte, il se trouve à invoquer un droit particulier à la vie privée qui peut parfois n'être lié à aucun droit reconnu de propriété ou de possession. L'article 8 de la Charte vise la protection de la sécurité de la personne, et non la protection de ses biens, et c'est le fait que l'appelant soit personnellement exposé aux conséquences de la fouille, de la perquisition et de la saisie qui lui confère le droit d'attaquer non pas le mandat lui‑même, mais l'admission en preuve, à son procès, du fait de la perquisition et du compte rendu des choses saisies.
Il ressort de l'arrêt Hunter c. Southam, précité, que l'art. 8 de la Charte n'autorise pas les fouilles, les perquisitions et les saisies, qu'il a plutôt pour effet de limiter les pouvoirs énoncés en la matière dans le Code. L'article 8 garantit un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, qui protège, à tout le moins, le droit d'une personne d'avoir une attente raisonnable en matière de vie privée. Par conséquent, l'art. 8 peut servir à donner qualité à l'accusé qui pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans les lieux où la saisie a été effectuée, même s'il n'avait aucun droit de propriété ou de possession sur les lieux ou les articles saisis. Lorsque cela est indiqué, la réparation dont pourrait bénéficier l'accusé serait l'exclusion, en vertu du par. 24(2) de la Charte, des éléments de preuve obtenus à la suite de la fouille ou de la perquisition.
. . .
Le véritable critère de l'existence d'un droit constitutionnel garanti par l'art. 8 de la Charte consiste à déterminer s'il y a attente raisonnable en matière de vie privée. Il en est ainsi même lorsqu'on allègue qu'une activité illégale se déroule dans les lieux privés. Voir R. c. Wong (1990), 60 C.C.C. (3d) 406, [1990] 3 R.C.S. 36, 1 C.R. (4th) 1 (C.S.C.), et R. c. Mercer, arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario rendu le 29 janvier 1992 (publié depuis à 70 C.C.C. (3d) 180, 7 O.R. (3d) 9, 15 W.C.B. (2d) 215).
Cela ne veut pas dire que le droit de propriété ne confère pas un droit à la vie privée dans un cas donné. Il le fait de toute évidence. Mais l'appelant doit revendiquer un droit personnel à la vie privée, quel que soit le fondement de sa revendication. Et puisque cette attente raisonnable en matière de vie privée est un droit protégé par la Charte, le fardeau d'en prouver la violation incombe à l'appelant. [. . .] Rien dans le dossier ne permet de dire que l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement de McInnis ou dans toute partie de celui‑ci où la drogue et les accessoires facilitant la consommation de drogue ont été saisis. L'appelant est donc dans l'incapacité d'établir qu'il avait un droit constitutionnellement protégé. [En italique dans l'original; je souligne.]
44 Dans la présente affaire, l'un des motifs pour lesquels l'appelant a invoqué son droit à la vie privée dans l'appartement de Mme Evers était le droit qu'il détenait sur la drogue. Il est possible, dans certaines circonstances, d'établir l'existence d'une attente en matière de vie privée quant aux biens saisis. Dans l'arrêt Plant, précité, l'appelant a tenté sans succès de le faire en ce qui concernait les dossiers d'une entreprise de service public qui faisaient état de sa consommation d'électricité. Voir également R. c. Sandhu (1993), 82 C.C.C. (3d) 236 (C.A.C.‑B.), où la question avait été soulevée relativement à la valise d'un coaccusé. Toutefois, cet argument ne peut être soulevé dans les circonstances de la présente affaire. Au procès, l'appelant a nié que la drogue lui appartenait et Mme Evers a témoigné qu'elle pouvait appartenir à quelqu'un d'autre. L'appelant a maintenu en Cour d'appel que la drogue ne lui appartenait pas. Ce n'est que devant notre Cour qu'il a reconnu pour la première fois en être le propriétaire. Il ne devrait pas lui être permis de changer de position à l'égard d'un aspect fondamental de la preuve afin d'avancer un nouvel argument qui n'a pu être examiné par les tribunaux d'instance inférieure. Le résultat du présent pourvoi doit dépendre uniquement du droit de l'appelant au respect de sa vie privée dans l'appartement de Mme Evers.
45 Un examen des arrêts récents de notre Cour et de ceux de la Cour suprême des États‑Unis, que j'estime convaincants et applicables à bon droit à la situation dont nous sommes saisis, indique qu'il est possible de dégager certains principes quant à la nature du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, garanti par l'art. 8. J'estime qu'ils peuvent être résumés de la façon suivante:
1. Une demande de réparation fondée sur le par. 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés. Voir R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, à la p. 619.
2. Comme tous les droits garantis par la Charte, l'art. 8 est un droit personnel. Il protège les personnes et non les lieux. Voir Hunter, précité.
3. Le droit d'attaquer la légalité d'une fouille ou perquisition dépend de la capacité de l'accusé d'établir qu'il y eu violation de son droit personnel à la vie privée. Voir Pugliese, précité.
4. En règle générale, deux questions distinctes doivent être posées relativement à l'art. 8. Premièrement, l'accusé pouvait‑il raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée? Deuxièmement, si tel est le cas, la fouille ou la perquisition a‑t‑elle été effectuée de façon raisonnable par la police? Voir Rawlings, précité.
5. L'existence d'une attente raisonnable en matière de vie privée doit être déterminée eu égard à l'ensemble des circonstances. Voir Colarusso, précité, à la p. 54, et Wong, précité, à la p. 62.
6. Les facteurs qui peuvent être pris en considération dans l'appréciation de l'ensemble des circonstances incluent notamment:
(i) la présence au moment de la perquisition;
(ii) la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l'objet de la fouille ou de la perquisition;
(iii) la propriété du bien ou du lieu;
(iv) l'usage historique du bien ou de l'article;
(v) l'habilité à régir l'accès au lieu, y compris le droit d'y recevoir ou d'en exclure autrui;
(vi) l'existence d'une attente subjective en matière de vie privée;
(vii) le caractère raisonnable de l'attente, sur le plan objectif.
Voir United States c. Gomez, 16 F.3d 254 (8th Cir. 1994), à la p. 256.
7. Si l'accusé établit l'existence d'une attente raisonnable en matière de vie privée, il faut alors, dans un deuxième temps, déterminer si la perquisition ou la fouille a été effectuée de façon raisonnable.
46 Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, j'estime que l'appelant n'a pas établi qu'il pouvait s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement de Mme Evers. Bien que les facteurs énoncés dans l'arrêt Gomez, précité, soient utiles, ils ne sont sûrement pas exhaustifs et, en fait, d'autres facteurs peuvent être déterminants dans un cas particulier. Néanmoins, il est révélateur que, mis à part l'historique de l'utilisation de l'appartement de Mme Evers, aucun des autres facteurs énumérés dans Gomez, précité, ne s'applique au cas de l'appelant.
47 Il y a également plusieurs facteurs qui militent précisément contre la conclusion que l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement. Premièrement, Mme Evers a déclaré, dans son témoignage, que l'appelant [traduction] «n'était qu'un visiteur» qui restait chez elle à l'occasion. Comme l'a conclu le juge McKinlay, aux pp. 136 et 134 respectivement, [traduction] «il n'était qu'un invité particulièrement privilégié» qui «a profité de Mme Evers en se servant de son appartement pour y cacher une quantité importante de drogue illégale».
48 Deuxièmement, même s'il laissait quelques effets personnels dans l'appartement, l'appelant ne contribuait pas au paiement du loyer ou des dépenses du ménage, hormis l'aide qu'il aurait fournie à Mme Evers pour l'achat d'un canapé.
49 Troisièmement, bien que Mme Evers et lui aient été les seuls à posséder les clés de l'appartement, l'appelant n'avait pas le pouvoir d'en régir l'accès. Pour reprendre les mots du juge McKinlay, à la p. 136, [traduction] «Madame Evers pouvait admettre dans son appartement toute personne à qui l'appelant souhaitait interdire l'accès, et elle pouvait en interdire l'accès à toute personne qu'il souhaitait admettre». Un aspect important du droit à la vie privée («privacy») dans un lieu est la capacité d'en interdire l'accès à autrui. C'est ce qui ressort de l'une des définitions du mot «privacy» que l'on trouve dans The Oxford English Dictionary (2e éd. 1989), et qui est ainsi libellée:
[traduction] b. Le fait d'être seul, de ne pas être dérangé ou d'échapper à l'attention publique, à la suite d'un choix ou de l'exercice d'un droit; le fait d'être à l'abri de toute ingérence ou intrusion.
50 Le droit d'être à l'abri de toute intrusion ou ingérence est un élément clé de la notion de vie privée. Il s'ensuit que le fait que l'appelant ne pouvait être à l'abri de toute intrusion ou ingérence dans l'appartement de Mme Evers revêt une grande importance pour ce qui est de confirmer la conclusion qu'il n'avait aucune attente raisonnable en matière de vie privée. Il n'était qu'un invité privilégié.
51 Étant donné que la conduite des policiers dans l'appartement n'a porté atteinte à aucun droit personnel de l'appelant, celui‑ci ne pouvait pas contester l'admissibilité des éléments de preuve conformément au par. 24(2) de la Charte. Il est donc inutile d'examiner cet aspect de l'affaire ou encore la question de savoir si Mme Evers a effectivement consenti à ce qu'une perquisition soit effectuée dans son appartement. Ce motif est suffisant en soi pour rejeter le pourvoi.
52 Toutefois, l'appelant a fait valoir qu'on devrait lui reconnaître automatiquement la qualité pour attaquer la perquisition dans des lieux appartenant à un tiers lorsque le ministère public allègue que l'accusé est le possesseur des biens découverts et saisis. La Cour suprême des États‑Unis est revenue sur sa position antérieure à cet égard. Voir Jones c. United States, 362 U.S. 257 (1960). Dans les arrêts Salvucci et Rawlings, précités, elle a décidé que, pour invoquer les droits garantis par le Quatrième amendement, il fallait satisfaire au [traduction] «critère de l'attente légitime en matière de vie privée».
53 Non seulement la règle de la reconnaissance automatique de la qualité pour agir a‑t‑elle été rejetée par la Cour suprême des État‑Unis, mais encore elle l'a été par la grande majorité des tribunaux des États. Comme l'a écrit un auteur, [traduction] «ils l'ont fait non pas parce qu'ils sont tenus de le faire, mais parce qu'ils souscrivent au principe qui sous‑tend les arrêts de la Cour suprême». Voir David A. Macdonald, Jr., «Standing to Challenge Searches and Seizures: A Small Group of States Chart Their Own Course» (1990), 63 Temp. L. Rev. 559, aux pp. 571, 572 et 576.
54 De plus, l'adoption de la règle de la reconnaissance automatique de la qualité pour agir semblerait aller à l'encontre du texte de l'art. 24 de la Charte, qui se lit ainsi:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. [Je souligne.]
55 Comme je l'ai fait remarquer précédemment, le par. 24(2) n'accorde un recours qu'aux demandeurs dont les propres droits garantis par la Charte ont été violés. Telle est la position adoptée par le juge Wilson dans l'arrêt Rahey, précité, à la p. 619, lorsqu'elle affirme:
. . . je tiens à souligner ce qui suit. Une demande de réparation aux termes du par. 24(1) ne peut être présentée que par la personne dont le droit garanti par l'al. 11b) a été violé. Cela ressort clairement du début du par. 24(1).
56 La notion d'attente raisonnable en matière de vie privée a donné de bons résultats au Canada. Elle s'est avérée raisonnable, souple et viable. Je ne vois donc aucune raison de l'abandonner au profit de la règle discréditée de la reconnaissance automatique de la qualité pour agir.
Dispositif
57 En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance de la Cour d'appel confirmant la déclaration de culpabilité de l'appelant.
Version française des motifs rendus par
58 Le juge La Forest — Bien que je sois d'accord avec la conclusion de mes collègues, je le suis pour des motifs fort différents de ceux exposés par la Cour à la majorité, avec lesquels je suis en profond désaccord. Je m'inquiète vivement des répercussions de ces motifs qui, à mon avis, donnent lieu à une grave diminution de la protection que l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés vise à garantir au public. Cela est d'autant plus regrettable qu'il s'agit d'un pourvoi de plein droit fondé sur des faits tout au mieux obscurs, et que les arguments avancés devant notre Cour étaient fort différents de ceux examinés par les tribunaux d'instance inférieure. De plus, les arguments qui nous ont été présentés n'ont pas traité toutes les répercussions de l'incidence que le présent pourvoi peut avoir sur la portée de l'art. 8.
59 À mon avis, le texte de l'art. 8 ne limite pas la protection qu'il garantit aux fouilles ou perquisitions dans des lieux sur lesquels un accusé possède un droit personnel à la vie privée, au sens qu'il existe un lien direct de contrôle ou de propriété. La disposition vise plutôt à nous protéger tous contre l'intrusion de l'État ou de ses représentants par des fouilles, perquisitions ou saisies abusives; elle ne vise pas seulement à protéger les criminels, quoique la réparation la plus efficace — et c'est le prix à payer pour assurer la liberté de tous et chacun — protégera inévitablement le criminel. On se rappellera le texte de la disposition: «Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives» (je souligne). Ce droit est accordé à tout le public. Il s'applique à chacun, terme qui, contrairement à de nombreuses autres dispositions de la Charte, n'est pas restreint par l'exigence de circonstances précises comme c'est le cas, par exemple, à l'art. 9 qui s'applique à chaque personne détenue ou emprisonnée arbitrairement, à l'art. 10 qui s'applique à quiconque est arrêté ou détenu, et à l'art. 11 qui ne vise que les personnes inculpées. De plus, non seulement l'art. 8 interdit-il les fouilles, perquisitions ou saisies abusives, mais il garantit également à chacun le droit à la protection contre de tels agissements de la part de l'État; voir R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, à la p. 427. Il établit une distinction entre les droits de l'État et les droits du citoyen, et non seulement ceux d'un accusé. C'est un droit public dont nous jouissons tous. Il est important pour toute personne, et non seulement pour un accusé, que la police (ou, ce qui est encore plus dangereux pour le public, d'autres représentants de l'État) n'entre pas sans mandat dans des lieux privés.
60 La question n'a pas encore été directement posée parce que les arrêts de notre Cour ont jusqu'à maintenant porté sur des cas de fouilles ou perquisitions abusives allant directement à l'encontre des attentes personnelles d'un accusé en matière de vie privée. Cependant, la méthode que je propose est tout à fait compatible avec les fondements conceptuels, sociaux et constitutionnels du droit garanti par l'art. 8. Il vaut donc la peine de signaler que, dans l'arrêt charnière Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 159, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a indiqué au nom de la Cour, dans le passage même que citent mes collègues, que l'art. 8 protégeait «le droit du public de ne pas être importuné». En examinant si l'art. 8 s'appliquerait, le juge Dickson formule ainsi la démarche à suivre, aux pp. 159 et 160:
. . . il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi. [Je souligne.]
J'ajoute que le juge Dickson a fait ressortir l'importance d'interpréter ce droit de façon libérale et non formaliste, ce que notre Cour a réitéré dans tous les pourvois relatifs à l'art. 8 dont elle a subséquemment été saisie. Nulle part le droit n'a‑t‑il été restreint à la protection d'un accusé.
61 De même dans Dyment, précité, j'ai souligné les aspects publics du droit garanti par l'art. 8. Après avoir fait remarquer que la disposition ne fait pas qu'interdire les fouilles, perquisitions et saisies abusives, mais «va plus loin et garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives» (p. 427), j'ajoute, aux pp. 427 et 428:
Le point de vue qui précède est tout à fait approprié dans le cas d'un document constitutionnel enchâssé à une époque où, selon ce que nous dit Westin, la société a fini par se rendre compte que la notion de vie privée est au coeur de celle de la liberté dans un État moderne; voir Alan F. Westin, Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350. Fondée sur l'autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien‑être. Ne serait‑ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l'ordre public. L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique. [Je souligne.]
62 Le droit du public de ne pas être importuné, de bénéficier de la «protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives», a en fait été précisé ou invoqué pour définir l'application de l'art. 8 dans un certain nombre d'arrêts de notre Cour. Cela ressort de la distinction établie entre une fouille dans des documents d'entreprise (qui, selon l'arrêt Hunter, précité, requiert normalement un mandat pour être raisonnable), et une saisie de documents similaires (qui, selon l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, ne requiert pas un mandat pour être raisonnable). Dans ces arrêts, les sociétés faisant l'objet d'une enquête avaient elles aussi revendiqué de façon semblable un droit à la vie privée relativement aux documents concernés. La différence résidait dans le fait qu'une fouille ou perquisition, contrairement à une saisie, portait atteinte à la vie privée de tiers non visés par l'enquête (voir mes commentaires aux pp. 521 et 522).
63 Une situation similaire s'est présentée dans l'affaire R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, où les juges formant la majorité et les juges dissidents ont convenu que l'interception d'une conversation d'une personne qui utilise un téléphone public, par opposition à un téléphone privé, exigeait que l'on tienne compte des droits du public. Le juge Sopinka dit ceci, au nom de la Cour à la majorité, à la p. 1143:
À mon avis, l'étendue de l'atteinte à la vie privée de ces tiers est pertinente sur le plan constitutionnel à la question de savoir s'il y a eu fouille, perquisition ou saisie «abusive». Affirmer le contraire reviendrait à ignorer l'objet de l'art. 8 de la Charte qui est de restreindre l'atteinte à la vie privée dans des limites raisonnables. Le risque qu'il y ait de graves atteintes à la vie privée des personnes non concernées par les activités qui font l'objet de l'enquête ne peut être ignoré pour la simple raison qu'il n'est pas porté à l'attention de la cour par l'une d'entre elles. Puisqu'il est peu probable que ces personnes sachent qu'on a porté atteinte à leur vie privée, ces atteintes échapperaient à tout examen et l'objet de l'art. 8 ne serait pas réalisé.
Bien qu'il ait reconnu, aux pp. 1143 et 1144, que même l'interception des communications faites au moyen d'un téléphone privé pourrait donner lieu à une atteinte à la vie privée de tiers innocents, le juge Sopinka a précisé qu'il s'agissait d'un fait inévitable que le législateur fédéral avait manifestement estimé justifié dans des circonstances appropriées. Cependant, il ajoute, à la p. 1144, que «la possibilité d'atteinte à la vie privée de personnes innocentes peut prendre des proportions tellement importantes dans certains cas qu'elle doit être reconnue expressément au même titre que les intérêts qu'il y a à enquêter sur un crime». Il conclut, à la p. 1145 que «compte tenu de l'étendue de l'atteinte à la vie privée autorisée en l'espèce, l'absence de toute protection du public a entraîné un risque que des fouilles, perquisitions et saisies abusives soient effectuées».
64 Il semble ressortir de ce qui précède que les juges formant la majorité conviennent, au par. 38, qu'«[e]n de rares circonstances» au moins, l'étendue de l'atteinte à la vie privée de membres du public peut être pertinente sur le plan constitutionnel. Je n'ai aucun doute que cela est pertinent et, à mon avis, la jurisprudence ne se limite pas aux cas d'atteintes massives à la vie privée, mais vise aussi d'autres situations où l'on peut raisonnablement conclure qu'il y a eu violation du droit du public à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. L'introduction intentionnelle et par la force dans la maison d'une personne autre que l'accusé me paraîtrait mériter un examen. Un exemple encore plus frappant serait le cas où des représentants de l'État s'introduiraient illicitement dans un lieu pour des motifs moins impérieux que l'application du droit criminel. Ne pas accepter ce point de vue revient à protéger davantage le droit à la vie privée d'un accusé ou autre malfaiteur que celui d'une personne qui ne peut raisonnablement être soupçonnée de quoi que ce soit. À mon avis, cela semble contrecarrer le droit de ne pas être importuné que la Charte garantit au citoyen. Nous exerçons notre pouvoir discrétionnaire d'empêcher que des éléments de preuve obtenus dans le cadre de fouilles ou perquisitions inconstitutionnelles soient utilisés contre un accusé, même dans le cas où ils établiraient clairement sa culpabilité, et ce, non pas pour protéger des criminels mais parce que la seule véritable garantie efficace du droit dont nous jouissons tous en vertu de la Constitution réside dans l'interdiction d'utiliser des éléments de preuve obtenus en violation de ce droit du public lorsque cette utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Certes, il existe d'autres réparations, comme en matière de violation du droit de propriété, mais elles ne sont pas de nature constitutionnelle et ne sont pas suffisantes.
65 Avant de poursuivre, je tiens à préciser que la notion du droit du public de ne pas être importuné ou de bénéficier de la «protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives», pour employer la terminologie de la Charte, n'est pas limitée à la jurisprudence que j'ai citée; pour des analyses de la question, voir, par exemple, Donald L. Doernberg, «"The Right of the People": Reconciling Collective and Individual Interests Under the Fourth Amendment» (1983), 58 N.Y.U. L. Rev. 259; David A. Macdonald, Jr., «Standing to Challenge Searches and Seizures: A Small Group of States Chart Their Own Course» (1990), 63 Temp. L. Rev. 559; Jonathan Dawe, «Standing to Challenge Searches and Seizures Under the Charter: The Lessons of the American Experience and Their Application to Canadian Law» (1993), 52 U.T. Fac. L. Rev. 39. Je n'ai pas à me demander ici jusqu'où devraient aller le droit du public, ni dans quelle mesure il conviendrait de nuancer l'application du par. 24(2) de la Charte. Cela ne serait pas approprié puisque la question du droit du public n'a même pas été soulevée; il s'agit là de mon objection préliminaire aux motifs de mes collègues (quoique j'admette qu'elle est loin d'expliquer en entier mon désaccord avec leur point de vue). Pour l'instant, je souligne simplement que des tribunaux américains ont emprunté diverses voies après avoir refusé de suivre la méthode restrictive de la Cour suprême des États‑Unis en interprétant la Constitution de leurs États respectifs; il me semble qu'au Canada on devrait apprécier la question en fonction de l'expérience acquise, au lieu d'adopter une position abstraite à cet égard. Mes collègues laissent entendre que, dans un cas flagrant, on pourrait se fonder sur l'abus de procédure pour la régler. Il me semble au mieux incongru d'adopter ce type d'analyse variable et de restreindre en même temps la possibilité que la disposition constitutionnelle conçue spécifiquement pour remédier au problème évolue d'une façon structurée en fonction de l'expérience acquise.
66 Comme je l'ai mentionné, certains aspects des motifs majoritaires semblent permettre jusqu'à un certain point l'existence d'un droit du public compatible avec l'arrêt Thompson, précité; cependant, cette possibilité paraît restreinte par la partie des motifs où mes collègues sont censés exposer l'état du droit par une série de syllogismes. C'est cette partie de leurs motifs qui me préoccupe peut‑être le plus. Un raisonnement syllogistique est certes pertinent, mais seulement dans la mesure où il se fonde sur des prémisses valables. Il est évident, d'après l'analyse que je viens de faire, que je ne suis pas d'accord avec toutes ces prémisses dans la mesure où elles sont censées se fonder sur la jurisprudence de notre Cour. Par exemple, si nous bénéficions tous du droit garanti au public par l'art. 8, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas invoquer le par. 24(2) si les éléments de preuve ainsi obtenus sont présentés contre nous. Je ne considère pas non plus que l'arrêt Hunter, précité, est limité à un droit personnel à la vie privée; en fait, notre Cour s'est explicitement abstenue de trancher cette question (voir p. 158). Cependant, je trouve particulièrement affligeant que mes collègues souscrivent à la récente jurisprudence américaine sur le sujet, que ce doit directement ou par l'intermédiaire de la jurisprudence canadienne des tribunaux inférieurs qui l'ont acceptée. C'est précisément à cet égard que, dans l'arrêt Hunter, précité, le juge Dickson a fait une première mise en garde contre l'acceptation aveugle de la jurisprudence américaine, et ce, avec raison. La jurisprudence des tribunaux américains sur le sujet, et plus particulièrement celle de la Cour suprême, n'a pas été accueillie sans réserve aux États‑Unis. Dès 1973, l'auteur réputé Roger B. Dworkin l'a qualifiée succinctement de [traduction] «fouillis»; voir Dworkin, «Fact Style Adjudication and the Fourth Amendment: The Limits of Lawyering» (1973), 48 Ind. L.J. 329, à la p. 329. De même, le professeur Amsterdam, qui a abondamment écrit sur le sujet, affirme, dans une litote délibérée, que cette jurisprudence [traduction] «ne constitue pas le plus heureux produit de la Cour suprême»; voir Amsterdam «Perspectives On The Fourth Amendment» (1974), 58 Minn. L. Rev. 349, à la p. 349. Selon le professeur Doernberg, loc. cit., à la p. 259, [traduction] «la situation ne s'est pas améliorée» depuis.
67 L'état déplorable du droit américain résulte de l'histoire. Il semble malheureux que notre Cour ressente le besoin irrésistible de répéter l'expérience. Dawe, loc. cit., aux pp. 43 et suiv., expose succinctement cette histoire et je ne tenterai pas d'en faire un examen détaillé; voir aussi les autres articles que je viens de citer. Il suffit de dire que, malgré le libellé général du Quatrième amendement ([traduction] «Le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des perquisitions et saisies déraisonnables . . .»), les tribunaux fédéraux d'instance inférieure ont tôt fait d'en restreindre l'application aux situations où le demandeur avait un droit de propriété sur les biens saisis ou le lieu de la perquisition. Cependant, dans l'arrêt Jones c. United States, 362 U.S. 257 (1960), la Cour suprême a rejeté cette analyse restrictive fondée sur la propriété et a instauré une procédure permettant d'établir des règles plus générales en matière de qualité pour agir des individus visés par le Quatrième amendement. L'arrêt Katz c. United States, 389 U.S. 347 (1967), est particulièrement important pour le Canada; dans cet arrêt, la Cour suprême élargit en fait la portée du Quatrième amendement en axant la protection qu'il offre sur le droit à la vie privée plutôt que sur les lieux visés. C'est évidemment l'arrêt dont notre Cour s'est inspirée dans Hunter, précité, pour interpréter l'art. 8 de la Charte. Depuis, notre Cour a réussi jusqu'à un certain point à étendre la protection offerte par cette disposition à des domaines dans lesquels la Cour suprême des États‑Unis, même à l'époque où elle était plus libérale, ne s'était pas aventurée, une attitude évidemment fondée sur la conviction que le droit à la vie privée, le droit de ne pas être importuné, est au coeur de la liberté dans un État moderne. C'est pourquoi le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives appartient à tous et chacun d'entre nous.
68 Une orientation tout à fait différente a été adoptée dans la jurisprudence récente aux États‑Unis. Après l'époque Warren, la Cour suprême, en commençant par l'arrêt Rakas c. Illinois, 439 U.S. 128 (1978), a systématiquement restreint la portée du Quatrième amendement en rejetant les diverses règles en matière de qualité pour agir, qui avaient été établies pendant les années où la Cour élargissait la protection accordée par cet amendement. Chose assez curieuse, elle s'est fondée à cette fin sur le concept du droit à la vie privée qui, comme nous l'avons vu, avait servi à élargir la portée du Quatrième amendement, et en a strictement restreint l'application aux cas les plus évidents d'atteintes à la vie privée de l'accusé. La Cour a si bien réussi que la protection maintenant offerte par le Quatrième amendement est, du moins à certains égards, plus restreinte que celle qui existait en vertu de l'ancien concept restrictif de la propriété. Cela semble en grande partie résulter des coûts sociaux liés à l'application de la règle d'exclusion stricte en vigueur aux États‑Unis. Cependant, si l'on exclut le fait que le par. 24(2) de la Charte fournit un instrument de pondération au Canada, il reste qu'en définissant le droit du public et du particulier de ne pas être importunés, il y a lieu de prendre en considération les coûts sociaux rattachés au fait de donner à des représentants de l'État un vaste pouvoir discrétionnaire de porter atteinte à ce droit. En l'absence d'une analyse détaillée des politiques sous‑jacentes (qui n'ont même pas été abordées dans la plaidoirie), j'estime qu'il est malavisé que notre Cour adopte le point de vue américain.
69 Toutefois, comme je l'ai mentionné, je suis d'accord avec la conclusion de mes collègues, mais seulement pour l'unique raison qu'il n'y avait, en l'espèce, aucun droit d'appel de plein droit. Comme ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé l'indique dans des motifs distincts, la dissidence en Cour d'appel porte uniquement sur la question de savoir si, d'après les conclusions de fait du juge du procès, l'accusé pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement de son amie. Le dispositif ne peut s'interpréter comme étendant le motif de dissidence qui est fort explicite. La qualité pour agir est une question distincte. J'ajoute que l'argument qui nous a été présenté relativement à cette question se fondait sur le point de vue restrictif adopté par les tribunaux américains et ne s'attardait pas réellement à la portée plus large que notre Cour a reconnue à l'art. 8 dans un certain nombre de ses énoncés. Même pour ce motif plus général, on peut douter que l'appelant aurait eu gain de cause. Selon ce que je peux déduire de l'insuffisance des conclusions de fait, il semble que nous nous trouvions au mieux en présence d'un cas d'introduction par effraction «par imputation», où l'amie de l'appelant a dirigé la police vers les éléments de preuve. Cela semblerait présenter une certaine similitude avec la situation décrite dans l'arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 41, où notre Cour a établi une distinction entre les déclarations d'un accusé que la police avait obtenues par surveillance électronique, qui bénéficiaient de la protection offerte par l'art. 8, et celles que l'accusé avaient faites à un ami en qui il avait confiance, mais que ce dernier avait divulguées à la police, lesquelles n'étaient pas protégées. En l'espèce, je suis tout particulièrement préoccupé par le fait que les juges formant la majorité sembleraient avoir écarté toute possibilité d'évolution dans les cas où l'on pourrait raisonnablement conclure que la sécurité du public est en cause.
Les motifs suivants ont été rendus par
70 Le juge L'Heureux‑Dubé — Bien que je sois substantiellement en accord avec les motifs du juge Cory et avec le résultat auquel il arrive, dans le contexte de la présente affaire je m'interroge sur la pertinence de traiter de la violation des droits d'un tiers garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
71 Puisqu'il s'agit d'un pourvoi de plein droit, j'estime que cette question ne se pose pas. La dissidence porte uniquement sur la question de savoir si, d'après les conclusions du juge du procès, l'accusé pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée dans l'appartement de Mme Evers. Le dispositif ne peut s'interpréter comme étendant le fondement de la dissidence à la question de la qualité pour agir puisque les motifs de la dissidence sont fort explicites. La qualité pour agir constitue un argument tout à fait distinct qui n'a pas été traité dans l'arrêt de la Cour d'appel.
Version française des motifs rendus par
72 Le juge Gonthier — J'ai pris connaissance des motifs de mes collègues. Je suis d'accord avec le juge La Forest pour rejeter le pourvoi parce qu'il n'y avait, en l'espèce, aucun droit d'appel de plein droit. La dissidence, en Cour d'appel, portait sur la question de savoir si l'accusé avait une attente raisonnable en matière de vie privée. À l'instar du juge Cory, je réponds à cette question par la négative. Je m'abstiens de commenter les autres questions mentionnées par mes collègues.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l'appelant: Keith E. Wright, Toronto.
Procureur de l'intimée: Le procureur général du Canada, Toronto.